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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 mai 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Audition, en présence de la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée auprès de la ministre de l'emploi et de la solidarité, chargée de la famille et de l'enfance, sur les mesures en faveur des jeunes adultes

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La commission a entendu Mme Ségolène Royal, ministre déléguée auprès de la ministre du travail et des affaires sociales, chargée de la famille et de l'enfance, sur les mesures en faveur des jeunes adultes.

Le président Jean Le Garrec a d'abord souligné l'importance qu'il y avait à procéder devant la commission à un débat sur la question des mesures en direction des jeunes adultes.

La commission des affaires sociales, au travers du suivi de la loi de lutte contre les exclusions, et plus précisément du suivi du parcours TRACE effectué par Mme Hélène Mignon, se penche régulièrement sur la question de l'insertion des jeunes en très grande difficulté. A l'initiative du groupe communiste qui s'était saisi de cette question, la commission a également débattu d'une proposition de loi sur la création d'une allocation d'autonomie.

D'autres propositions ont été formulées, notamment, par le Commissariat général du plan ou le Conseil économique et social ainsi que par les groupes de travail comme « Familles et pauvreté » mis en place par la ministre déléguée chargée de la famille et de l'enfance. Il est donc apparu utile de faire aujourd'hui un bilan des travaux sur cette question dans la perspective de la prochaine Conférence de la famille.

Mme Ségolène Royal a remercié la commission de cette initiative qui lui permettait de faire le point, pour la première fois, sur des travaux conduits depuis le mois de juin dernier afin de préparer les décisions qui seront annoncées, par le Premier ministre, à l'issue de la prochaine Conférence de la famille du 11 juin.

Celui-ci avait demandé à cette conférence d'examiner particulièrement la question des jeunes adultes en soulignant que, compte tenu des fortes inégalités existant entre eux, ce sujet devait être traité dans toutes ses dimensions.

Le problème posé est en réalité celui de la capacité du monde des adultes à tendre la main aux jeunes, au bon moment et il s'intègre nécessairement à la problématique de la politique familiale et des solidarités inter-générations.

Il se dégage, tout d'abord, des constats sur la situation des jeunes adultes que le passage de l'enfance à l'adolescence, puis à l'âge adulte, ne s'opère plus suivant des étapes aussi clairement identifiées qu'auparavant.

Dans un premier temps, on a pris acte du report de l'accès à l'âge adulte. 91 % des jeunes de quinze à dix-neuf ans sont scolarisés, l'âge de la première maternité s'établit autour de trente ans, la durée de la cohabitation familiale s'est allongée. Aujourd'hui, l'âge auquel les enfants quittent le domicile familial reste fixé autour de vingt-quatre ans. Par contre, les aller-retours jusqu'à la trentaine entre des situations d'autonomie et la réintégration du domicile parental sont de plus en plus fréquents.

Cette remise en cause des frontières de l'âge pose des questions nouvelles. La notion de seuil est mise à mal.

Il faut aussi prendre en compte les profonds changements intervenus dans la famille. Celle-ci est de plus en plus diverse. Elle a évolué selon des modalités qui font qu'aujourd'hui, elle est de plus en plus plébiscitée par les jeunes et les solidarités familiales fonctionnent dans la plupart des cas. Ainsi on a évalué à cent milliards de francs les transferts des ascendants vers les descendants. Alors que le couple est fragilisé, l'axe de la filiation est renforcé. Un jeune sur quatre bénéficie de l'aide de sa famille pendant ses études. Cependant, on retrouve, en matière de solidarités familiales, les inégalités existant entre les familles.

Il faut aussi rappeler que les jeunes ont payé un lourd tribut au chômage. Ils sont aujourd'hui les premiers bénéficiaires de l'amélioration de l'emploi mais cela, souvent, ne signifie plus l'accès à un emploi stable. Il faudra d'ailleurs trouver des solutions pour éviter certains abus, notamment dans la pratique des stages.

La formation et la qualification sont des éléments primordiaux. Les jeunes dépourvus de diplômes éprouvent bien plus de difficultés à s'insérer dans le monde du travail que les autres jeunes.

Diverses mesures ont été prises afin de faciliter l'intégration des jeunes les plus en difficulté dans la société : les Fonds d'aide aux jeunes ont été abondés et ont bénéficié à près de 100 000 jeunes. Les aides au logement ont également été développées et revalorisées depuis le 1er janvier 2001. Elles sont désormais conçues de façon à ne pas pénaliser les jeunes qui retrouvent un emploi.

Mais il convient de renforcer encore les aides à destination des jeunes les plus marginalisés. Ces jeunes, qui sont en situation de rupture, doivent faire l'objet d'une prise en charge quasiment « sur mesure ». C'est au cas par cas qu'il faut analyser les situations concrètes auxquelles ils sont confrontés au quotidien. Et parmi ceux-ci, une attention particulière doit être apportée aux jeunes femmes élevant seules un enfant.

On le voit, le sujet présente une grande complexité. C'est pourquoi il a été procédé à de multiples consultations, notamment au sein de la Conférence de la famille, en liaison avec la Délégation interministérielle à la famille.

Les réflexions menées depuis plusieurs mois font apparaître trois problématiques bien distinctes.

La première consiste à savoir dans quelle mesure les droits accordés aux jeunes doivent être individualisés ou au contraire familialisés, même si la logique familiale ne peut être opposée à la démarche individuelle, les deux dimensions étant dans la réalité étroitement liées. D'ailleurs les mesures récentes ont répondu aux deux logiques. La montée en charge des emplois-jeunes, l'augmentation des bourses et des aides au logement sont des actions dirigées vers les jeunes eux-mêmes, tandis que le relèvement de l'âge de perception des allocations familiales par les parents renforce la logique de la solidarité familiale.

Le deuxième débat renvoie au nécessaire équilibre devant être trouvé entre l'universalité des aides et le ciblage de certaines d'entre elles vers les publics les plus en difficulté. Le Gouvernement a clairement écarté l'idée d'un « RMI jeune » ou d'un système dit de SMIC jeune. Aucune allocation universelle n'est donc préconisée à ce jour. En revanche, toutes les actions menées doivent avoir pour objectif d'aider le plus possible les jeunes à entrer dans le monde du travail et à trouver une place dans la société.

Le troisième enjeu est de savoir si les aides attribuées doivent comporter ou non une contrepartie. Il faut probablement adopter une attitude prudente en la matière. Les jeunes même lorsqu'ils reçoivent une aide doivent, comme tout un chacun, se voir reconnaître un certain droit à l'échec. La contractualisation avec les jeunes reste cependant souhaitable, mais il faut être conscient qu'un dispositif de suivi et de contrôle trop lourd aboutirait à mettre en place une bureaucratie pesante, ce que personne ne souhaite.

Il est certain que les collectivités locales sont appelées à jouer un rôle beaucoup plus actif en ce domaine, notamment pour accompagner les jeunes sans diplômes dans une démarche de formation. Ce sont ces jeunes qui d'après les statistiques de l'INSEE sont les moins aidés par la cellule familiale. Le groupe de travail interministériel sur les jeunes adultes a mis en lumière l'importance du clivage entre diplômés (y compris les titulaires du brevet des collèges) et non diplômés. On estime entre 1 et 1,5 % le pourcentage de jeunes victimes de la pauvreté. Entre 20 000 et 30 000 étudiants sont en situation précaire sans compter que de 70 000 à 100 000 d'entre eux sont obligés de travailler pour payer leurs études, en risquant de compromettre leur chance de réussite aux examens et aux concours.

Afin de lutter contre ces situations, cinq principes ont été posés : Il faut étendre et améliorer le dispositif TRACE, mettre en place des prêts à taux zéro pour les étudiants, renforcer les aides au logement y compris pour les foyers de jeunes travailleurs, éviter les effets de couperet en matière de prestations familiales et enfin, accorder davantage de bourses sur des critères sociaux.

Les objectifs poursuivis consistent à améliorer les dispositifs d'insertion et de formation existants et à donner aux jeunes sans diplômes une seconde chance. Il faut par ailleurs sécuriser les parcours des jeunes en tenant compte de leur diversité. Leur travail doit être reconnu à sa juste place, ce qui signifie qu'une réflexion doit être engagée sur la situation des jeunes en stage dans des entreprises. Il est également nécessaire de lutter contre les discriminations dont certains jeunes sont victimes. Parmi eux, le cas des jeunes filles doit être signalé. Ce sont malheureusement souvent les jeunes filles qui occupent les emplois les plus précaires et qui ont le plus de difficulté à s'insérer correctement dans le monde du travail.

En définitive, dans une France en pleine évolution, il faut plus que jamais reconnaître à la jeunesse de ce pays un rôle décisif, ce qui suppose de préparer les jeunes à trouver leur place dans la société et dans le monde professionnel.

Après avoir déclaré partager l'analyse de la situation des jeunes faite par la ministre, le président Jean Le Garrec a formulé les observations suivantes :

- Il ne faut pas sous-estimer le poids du chômage de masse depuis vingt-cinq ans, qui a des conséquences en terme de structuration de la jeunesse.

- La mutation du rapport au travail, notamment en raison des innovations technologiques, nécessite de donner une deuxième chance de formation à chaque jeune et de lui offrir une formation continue permettant une adaptation professionnelle permanente.

- Il faut conserver une capacité à être entendu de jeunes qui ont développé un nouveau langage propre à leurs territoires.

- Même si la complexité des situations individuelles nécessite un ciblage des mesures, il faut réaffirmer les droits et devoirs universels de chaque jeune.

- Les collectivités locales, et notamment les centres communaux d'action sociale, ont un rôle primordial à jouer pour apporter des solutions concrètes. Même si la mise en place d'un guichet unique n'a pas été possible il faut éviter l'éparpillement des lieux d'accueil des jeunes.

- La lutte contre la discrimination entre sexes doit également faire partie de l'objectif d'insertion des jeunes car la situation des jeunes filles est souvent fort différente de celle des jeunes hommes.

M. Michel Liebgott a observé que la place réservée aux jeunes détermine la vision que l'on a de la société de demain et qu'il était effectivement essentiel de lier les problèmes de la jeunesse à la situation de la famille.

Le malaise des jeunes, notamment dans les cités, qui se traduit par un fort abstentionnisme électoral, résulte de leur sentiment de ne pas avoir de rôle dans la société. Il est la conséquence de situations dramatiques et de discriminations dans l'accès au logement et aux études ou de la cristallisation de noyaux familiaux avec jeunes adultes au chômage et pères chômeurs âgés.

Il faut rappeler que les départements ont un rôle essentiel à jouer pour permettre de faire face à ces situations. Cela suppose de ne pas les cantonner dans ses missions traditionnelles.

Après avoir jugé conforme à la réalité le constat de la situation des jeunes, dressé par la ministre, M. Pierre-Christophe Baguet s'est déclaré sensible au souci d'éviter une plus grande atomisation des familles. Le refus d'une législation spécifique pour les jeunes adultes va donc dans le bon sens. Il en est de même de la création d'un groupe de travail interministériel sur les jeunes adultes.

La question essentielle reste cependant celle des moyens. Des actions doivent être menées en coordination avec l'éducation nationale, que ce soit en matière de prévention de la santé avec un renforcement de la médecine scolaire ou en ce qui concerne l'insertion des jeunes sur le marché du travail par une offre accrue de stages préqualifiants. On peut toutefois se demander qui sera réellement mis à contribution pour financer ces actions.

D'ailleurs, les collectivités locales, qui sont les acteurs les plus efficaces, voient leurs initiatives restreintes en matière d'éducation populaire par le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel.

Enfin, il faut souligner que l'on oublie trop souvent les devoirs des jeunes et de leurs parents, en corollaire de leurs droits.

Le président Jean Le Garrec a rappelé que les collectivités locales doivent jouer un rôle essentiel en matière d'aiguillage mais qu'il n'est pas question de leur demander de prévoir des moyens financiers supplémentaires.

M. Jean-Marie Geveaux a tenu à souligner le poids financier auquel sont confrontés, des familles, qui ne sont pourtant pas en difficultés, quand leurs enfants poursuivent des cycles d'études longs. Il est par ailleurs vivement souhaitable de renoncer à une politique d'universalité des aides pour privilégier celles liées à des projets spécifiques.

Devant la situation des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans sans diplôme, qui seraient aujourd'hui au nombre d'un million, on peut se demander, tout de même, s'il ne conviendrait pas de remettre en question l'obligation scolaire jusqu'à seize ans. Il faudrait pouvoir trouver des solutions adaptées aux jeunes en difficulté scolaire ou personnelle, âgées de plus de quatorze ans, pour qu'ils puissent s'insérer, avec une formation minimale, dans la vie professionnelle.

S'agissant des problèmes de logement, de santé et de prévention, on ne peut que déplorer l'insuffisance notoire des moyens des foyers de jeunes travailleurs, en dépit du soutien que peuvent leur apporter les collectivités territoriales, et de la médecine scolaire. Les insuffisances de la médecine scolaire, connues depuis plus de vingt ans, exigent quant à elles un changement d'approche en faveur de la prévention, totalement négligée jusqu'à ce jour.

Il faut par ailleurs reconnaître et saluer le rôle décisif joué en matière d'éducation par les collectivités territoriales qui prennent en la matière de nombreuses initiatives. Il est indispensable qu'elles disposent de davantage de moyens car leur travail de proximité recueille un succès certain, tout en préservant les spécificités de leurs interventions adaptées à la situation locale..

Le président Jean Le Garrec, a souhaité rendre hommage au travail remarquable réalisé par les associations. L'administration, en effet, éprouve des difficultés à appréhender certaines situations, à comprendre la complexité des problèmes et à communiquer. Il faut donc veiller à une meilleure articulation entre la volonté politique de l'Etat, les moyens disponibles, l'action des collectivités locales et la collaboration avec les intervenants du « terrain », au premier rang desquels les associations. Il y a nécessité par ailleurs de mieux faire connaître aux intéressés leurs droits qui sont trop souvent méconnus.

En réponse à ces interventions, Mme Ségolène Royal a apporté les précisions suivantes :

- L'accès aux droits pour les familles en situation de précarité sera l'un des axes majeurs de la prochaine convention d'objectifs et de gestion qui sera conclue entre l'Etat et la CNAF pour les quatre années à venir.

- Les devoirs ne sont pas oubliés par rapport aux droits et il est nécessaire d'affirmer que l'un des premiers droits fondamentaux des familles en situation de précarité est celui d'exercer leurs devoirs de parents.

- Il n'y a pas eu de désengagement de l'Etat s'agissant des fonds d'aides aux jeunes cofinancés par l'Etat et les départements qui ont bénéficié, en l'an 2000, à 115 000 d'entre eux, dont 13 000 dans le cadre du programme TRACE. En revanche, une nouvelle impulsion doit sans doute leur être donnée, en collaboration avec les acteurs de terrain tels que les associations. Il est souhaitable à ce titre que l'Etat fixe le cadre d'action et que les collectivités locales disposent d'une plus grande marge de man_uvre pour l'application.

- A l'issue de la discussion de la proposition de loi du groupe communiste relative à l'allocation d'autonomie qui sera examinée en juin par le Sénat, il est clairement apparu qu'il ne s'agissait aucunement de créer une allocation comparable au RMI mais le débat reste ouvert sur la création d'une allocation d'autonomie.

- A côté du Conseil national des jeunes, la réflexion se poursuit au sein d'un groupe interministériel sur les jeunes adultes dont les conclusions viennent d'être exposées. Dans ce groupe sont représentés les ministères des finances, de l'emploi et de la solidarité, de l'équipement et du logement, de l'éducation, de la ville, de la jeunesse et des sports, le Commissariat au Plan. Y sont également associées l'UNAF et la CNAF. Au sein de ce groupe, l'unanimité s'est dessinée en faveur de la mise en place de dispositifs très ciblés en faveur de des jeunes adultes en difficulté, en liaison avec un projet et en intégrant la dimension familiale.

- Devant la charge financière lourde que présente pour certaines familles le soutien aux études supérieures de leurs enfants, des efforts d'accompagnement doivent effectivement être fournis. Des mesures fiscales sont actuellement étudiées dans ce but.

- Il ne doit pas y avoir de remise en cause de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans. Et il existe, dans le système scolaire actuel, des dispositifs qui ont montré leur efficacité, pour remotiver les jeunes en situation d'échec et les mettre en contact avec le monde du travail par des expériences nouvelles d'insertion ou par l'exercice de nouvelles activités. Il faut tenir l'objectif du brevet des collèges qui doit devenir un bagage accessible à chacun et redonner à ces jeunes le respect d'eux-mêmes et la conviction qu'ils « sont capables de faire quelque chose ».

M. Jean-Marie Geveaux a considéré que sans remettre en cause l'obligation scolaire jusqu'à seize ans, il serait opportun d'aller plus loin sur la voie de l'intégration dans une formation professionnelle des quatorze-seize ans qui refusent les méthodes de l'enseignement classique. Il n'existe pas dans tous les départements de structures innovantes dans ce sens tandis que le devenir des sections d'enseignement général professionnel adapté (SEGPA) est remis en cause.

M. Michel Liebgott a souligné le problème des formations qualifiantes que certains élèves abandonnent avant le diplôme devant les offres que leur proposent des entrepreneurs trop pressés d'embaucher.

Mme Ségolène Royal a affirmé qu'il n'était pas question de remettre en cause les SEGPA dont la réussite est avérée.

Le président Jean Le Garrec, en assurant la ministre de la contribution des membres de la commission à la poursuite des travaux en cours, lui a demandé d'accorder la plus grande attention à la publicité qui sera faite des propositions du Gouvernement devant la prochaine Conférence nationale de la famille afin qu'elles soient connues des personnes directement concernées.


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