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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 12 décembre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi de M. Jean-François Mattei relative la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux - n° 3431 (M. Jean-François Mattei, rapporteur)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean-François Mattei, sa proposition de loi relative à l'indemnisation des handicaps congénitaux (n° 3431) à laquelle elle a décidé de joindre les propositions de loi de M. Bernard Accoyer instituant un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ou du maintien de la vie (n° 2844) et de M. Jean-François Chossy tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de sa naissance (n° 2805).

M. Jean-François Mattei, rapporteur, après avoir observé que le présent débat devrait se dérouler en conscience et en dehors des clivages politiques, a souligné que la proposition de loi ne pouvait être taxée d'opportuniste puisqu'il avait dès le 5 janvier 2001, déposé un texte sur le même sujet, et par la suite, avec d'autres députés, plusieurs fois des amendements à divers textes.

En avril dernier, le Gouvernement a souhaité approfondir la réflexion sur ce sujet difficile et la ministre de l'emploi et de la solidarité avait alors saisi le Comité national consultatif d'éthique qui a conclu dans le même sens que le rapporteur. Le Gouvernement n'a donné aucune suite à cet avis. Pourtant en juillet 2001 puis en octobre dernier, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence initiale. Ainsi, par trois fois en un an, ses positions se sont vues non seulement confirmées mais aggravées. On ne peut donc dire que le groupe Démocratie libérale agit dans la précipitation en demandant, un an après la décision originelle de la Cour de cassation, à l'Assemblée nationale de se saisir solennellement de la question.

Les progrès fulgurants accomplis au cours des trente dernières années dans le domaine des sciences, de la biologie et de la médecine nous placent de plus en plus souvent devant des situations inédites qui imposent de nouveaux choix au terme d'interrogations aussi nombreuses que diverses. Dans le domaine du diagnostic prénatal, ce sont tout à la fois, le rôle du médecin, l'accueil des personnes handicapées et l'intervention du juge pour apprécier la nature et l'importance de préjudices éventuels qui sont en jeu. Or la société ne supporte plus la fatalité, la malchance et même l'aléa. Cet état d'esprit est évidemment légitime lorsqu'une faute est à l'origine du dommage. En l'absence de faute, c'est le champ des interrogations sur le risque social qui se présente à la réflexion du juge ou du législateur.

C'est dans ce conteste que la Cour de cassation en Assemblée plénière a rendu le désormais célèbre « arrêt Perruche » du 17 novembre 2000. Cet arrêt a entraîné très vite un trouble de l'opinion publique et un débat lourd de conséquences pour l'avenir.

Deux préalables doivent être posés afin d'éviter les faux débats :

- Il est normal qu'une erreur médicale, qu'il s'agisse d'une erreur technique ou de comportement, donne lieu à une juste réparation. Il ne s'agit donc pas d'apporter aux médecins responsables d'une faute une quelconque protection qui serait injustifiable.

- De même, il est vrai que la privation pour une femme de choisir librement d'interrompre sa grossesse constitue un préjudice indemnisable. Il ne s'agit donc pas de vouloir, d'une manière ou d'une autre, et vingt-six ans après, limiter la portée de la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse. Ce serait même plutôt le contraire.

Ces mises au point sont utiles car la plus grande confusion a souvent envahi le débat : de fait, il est normal, dans l'affaire en question que le couple ait été indemnisé tout à la fois pour l'erreur médicale et la privation de libre choix. Une tout autre question est de savoir si une personne née handicapée peut engager pour elle-même une action en justice pour obtenir réparation et être indemnisée du préjudice que représente pour elle le fait d'être née handicapée.

Une telle démarche ne semble pas recevable. En effet elle peut reposer sur deux motifs : le handicap et la naissance handicapée.

Le handicap peut-il être imputable au médecin ?

Oui, s'il y a une causalité directe entre l'action du médecin et l'apparition du handicap. C'est le cas après des tentatives d'interruption de grossesse infructueuses avec blessures f_tales. C'est encore le cas après la prescription substances tératogènes, c'est-à-dire provoquant des malformations (Thalidomides par exemple). Dans tous ces cas, il y a évidemment lieu de réparer et d'incriminer la responsabilité du médecin.

De même si, à l'occasion d'un accident de la circulation, le f_tus est blessé dans le ventre de sa mère et que par la suite, naît un enfant handicapé, c'est bien la faute du responsable de l'accident qui est engagée.

Mais dans les cas soumis à la Cour de cassation, l'erreur de diagnostic qui n'a pas décelé le handicap n'est évidemment pas à l'origine du handicap. Celui-ci préexiste par définition, d'ailleurs sinon, comment aurait-il pu être décelé par le médecin ?

Le handicap est lié dans l'affaire Perruche à une rubéole survenue pendant la grossesse, c'est le virus rubéoleux qui est la cause des malformations constituant un tableau clinique bien connu de rubéole congénitale. Si le médecin ne l'a pas vue, il ne l'a cependant pas provoquée.

Dans l'affaire X de novembre 2001, c'est une cause génétique lors de la répartition des spermatozoïdes vers l'ovule qui est responsable de la présente de trois chromosomes 21 au lieu de 2, entraînant la trisomie 21 ou mongolisme. Le médecin ne l'a pas vue, on ne peut pas dire qu'il l'a provoquée.

Le médecin ne peut donc être tenu pour responsable du handicap de l'enfant et selon les articles 1382 et 1383 du code civil, il ne peut être tenu pour responsable du préjudice dont la cause ne vient ni de son fait, ni de son imprudence, ni de sa négligence.

C'est d'ailleurs le raisonnement tenu dans une affaire semblable par le Conseil d'Etat (le 14 février 1997, affaire Quarez contre centre hospitalier régional de Nice), où une amniocentèse n'avait pas permis de détecter une trisomie 21. Le juge administratif fait prévaloir une acception stricte de la notion de cause, s'appuyant sur la théorie de la causalité adéquate. Le Conseil d'Etat ne retient comme cause du dommage parmi les faits qui s'enchaînent l'un à l'autre avant la survenue du préjudice que celui ou ceux qui portaient en eux normalement le dommage.

Il apparaît que, de quelque manière qu'on la considère, la faute, indéniable, qui a consisté à ne pas déceler le handicap in utero n'a pu être la cause de celui-ci qui est le fait de la nature et qui préexistait à l'intervention du médecin. Dans son arrêt, la Cour de cassation, en procédant par pure affirmation sans justifier sa décision, apparaît critiquable.

Si ce n'est pas le handicap lui-même, est-ce la naissance avec le handicap qui est imputable au médecin ?

On peut effectivement se demander si la Cour de cassation n'a pas voulu, en réalité, réparer le fait d'être né avec un handicap.

Il faut rappeler les conclusions du Commissaire du Gouvernement dans l'affaire Quarez : « Nous ne pensons pas qu'en enfant puisse se plaindre d'être né tel qu'il a été conçu par ses parents, même s'il est atteint d'une maladie incurable ou d'un défaut génétique, dès lors que la science médicale n'offrait aucun traitement pour le guérir in utero. Affirmer l'inverse serait juger qu'il existe des vies qui ne valent pas la peine d'être vécues et imposer à la mère une sorte d'obligation de recourir, an cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse. Ce serait selon nous aller contre tous les principes qui fondent notre droit en matière biomédicale... »

L'arrêt de la Cour de cassation fait peser une nouvelle et redoutable responsabilité sur le corps médical. Reconnaître que le handicap naturel, et non provoqué par un acte médical, d'un nouveau-né est source de responsabilité pour le médecin qui a surveillé la grossesse de la mère sans déceler ce handicap modifie profondément la conception du droit à l'avortement qui deviendrait une contrainte. Car la responsabilité qui risque de peser sur le médecin va l'amener à inciter la mère à recourir à l'IVG dans tous les cas où le risque d'un handicap se présente. On passerait alors du droit à l'interruption de grossesse à une quasi-obligation d'y recourir. C'est en cela qu'il s'agit de défendre l'esprit de la loi de 1975 basé sur le libre choix de la femme : certes le droit d'interrompre, mais aussi de poursuivre.

Ainsi en recherchant systématiquement à préciser de façon rétroactive à déterminer si l'enfant n'aurait pas pu bénéficier d'une IVG, la Cour de cassation, peut être à son corps défendant, laisse-t-elle entendre que l'inexistence est préférable à la vie handicapée, ce qui n'est « ni logique, ni pertinent » comme l'énonce un récent arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 22 octobre 2001, lequel, à la suite de celle d'Aix-en-Provence, s'oppose à la position de l'Assemblée plénière. Or, nul n'est fondé à juger, en droit, de la légitimité des vies humaines.

En fin de compte, la jurisprudence Perruche, confirmée par deux fois en juillet 2001 et novembre 2001, malgré l'avis contraire de la majorité de la doctrine, qui se trouve en désaccord avec les juges du fond et en divergence avec le Conseil d'Etat présente deux anomalies. D'une part, elle considère qu'il y a un lien entre la faute et le handicap, lien qui n'existe pas. D'autre part, elle avalise comme règle le choix certain de l'IVG par la mère si elle avait su.

Outre ces points qui aboutissent une grave dérive de notre droit, il faut aborder les effets pervers qui, eux aussi, justifient l'intervention immédiate du législateur.

Il y a d'abord l'effet pervers d'inégalité. La divergence de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat signifie que les enfants handicapés suivis et nés dans un hôpital public ne sont pas indemnisés puisque le Conseil d'Etat ne reçoit pas l'action en préjudice pour naissance handicapée. Au contraire, les enfants handicapés suivis et nés dans un établissement privé peuvent être indemnisés conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation. C'est une première inégalité insupportable. Une inégalité semblable a amené récemment l'Assemblée nationale à légiférer dans le domaine de l'aléa thérapeutique.

De surcroît, seuls les handicapés dont le handicap résulte d'une erreur médicale et dont les parents auront intenté une action seront indemnisés alors que les autres handicapés ne le seront pas.

Il y a ensuite l'effet pervers de normalité. La Cour ne s'est pas exprimée sur le caractère du préjudice de l'enfant car, en effet, comment pourrait-il être apprécié ? Par rapport à l'inexistence, au droit à ne pas naître ou par rapport à des critères de normalité de vie qui seraient forcément arbitraires, même si ils sont juridiquement définis ? L'inquiétude, ici, s'accroît avec la reconnaissance dans la dernière décision de la Cour de cassation du droit à une réparation intégrale qui porterait aussi sur le préjudice esthétique.

Dès lors, comme l'écrit M. Renaud Denoix de Saint-Marc, vice-président du Conseil d'Etat « N'entre-t-on pas dans la voie redoutable de l'eugénisme ? Le mot est fort, j'en conviens. Il ne s'agit pas ici d'évoquer un eugénisme d'Etat cherchant à préserver ou à recréer la pureté d'une race, mais on a le droit de songer au risque de voir se développer de façon insidieuse un eugénisme privé plus ou moins fondé sur une sorte de droit implicite à mettre au monde de beaux enfants, encouragé par le progrès de la médecine prédictive et des techniques du diagnostic prénatal. Est-il besoin de rappeler qu'on serait là en contradiction évidente avec les principes les plus fondamentaux non seulement de notre droit, mais de notre civilisation ? »

La deuxième série d'effets pervers est liée à l'exercice médical.

En effet, la jurisprudence Perruche a des effets directs sur l'exercice du diagnostic prénatal par les médecins désormais tenus pour responsables du handicap par erreur ou insuffisance de diagnostic. Les médecins échographes et les généticiens craignent de ne plus pouvoir exercer leur métier. Ceux exerçant en secteur 1, pratiquant des honoraires conventionnés, ne pourront assurer le surcroît de leurs assurances professionnelles, multipliées par huit ou par dix en peu de temps. Ceux exerçant en secteur 2, à honoraires libres, pourront éventuellement augmenter leur tarif pour équilibrer leurs comptes. Dès lors, seules les femmes pouvant payer pourront accéder au diagnostic prénatal. C'est l'effet pervers d'iniquité.

Enfin, les médecins pourraient, afin de dégager leur responsabilité, soulever le doute, après tout examen chez une femme, la laissant seule devant ses responsabilités. C'est l'effet pervers du doute.

Dans tous les cas, c'est un désengagement obligé des médecins qui risque d'être préjudiciable aux femmes et responsable aussi d'une augmentation paradoxale des handicaps provoquée par une diminution du nombre d'échographies.

La Cour ne se situe pas délibérément dans une perspective eugénique. Il semble qu'elle n'a pas souhaité laisser les personnes handicapées sans ressources. Mais alors que la jurisprudence québécoise a posé l'impossibilité de comparer la situation d'un enfant après sa naissance avec celle qui aurait été la sienne s'il n'était pas né, en raison même de l'illogisme de cette situation, alors que la doctrine de la reconnaissance de la vie préjudiciable (« Wrongful life »), qui avait connu un fort succès de 1975 à 1985 auprès des tribunaux américains, a ensuite fait l'objet d'une condamnation quasi générale dans ce pays, la France ne peut s'engager dans les voies ouvertes par la Cour de cassation et doit traiter de la véritable question qui est celle de l'accueil des personnes handicapées. L'indemnisation ne peut continuer à dépendre des décisions de justice. C'est à la solidarité nationale d'apporter les solutions.

En conclusion, le rapporteur a indiqué que des critiques avaient été formulées à l'encontre de l'article premier et qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que son texte soit amendé. L'essentiel est de mettre fin à la situation actuelle.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean-François Chossy a rappelé que le groupe UDF avait déposé, le 11 janvier 2001, une proposition de loi tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de la naissance, très proche de celle de M. Jean-François Mattei à laquelle il se ralliait.

Il a fait ensuite les observations suivantes :

- Quand la faute médicale est avérée elle doit être sanctionnée. On peut toutefois s'interroger sur les cas où le handicap n'apparaît que postérieurement à la naissance comme par exemple dans le cas de l'autisme. La jurisprudence actuelle crée une situation d'inégalité : certains handicaps dont le diagnostic peut être fait avant la naissance seront indemnisés et les autres ne le seront pas.

- La reconnaissance par la Cour de cassation d'un préjudice esthétique ouvre la voie à la définition d'une normalité et, par là même, à l'eugénisme. Ne serait-ce que pour cette raison, il est indispensable de légiférer.

- Devant la crainte d'une recherche systématique de responsabilité, les échographistes et les praticiens du diagnostic prénatal risquent de ne plus être en mesure d'exercer leur métier. Ils menacent d'ailleurs de ne plus effectuer ces actes à partir du 1er janvier 2002. Il ne peut en résulter qu'un nombre plus élevé de naissances d'enfants handicapés.

- On ne peut attendre la réforme de la loi de 1975 relative aux personnes handicapées. Il est urgent de légiférer.

M. Bernard Accoyer a indiqué qu'il avait déposé un amendement lors de la troisième lecture sur le projet de loi de modernisation sociale et une proposition de loi visant l'un comme l'autre à demander un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance, initiatives animées par les mêmes préoccupations que celles de M. Jean-François Mattei. Il a ensuite fait les remarques suivantes :

- L'arrêt Perruche accrédite l'idée qu'il y aurait des vies dommageables. On peut comprendre l'indignation et l'émotion des parents d'enfants handicapés. Le fait de poser le principe qu'une vie ne vaut pas la peine d'être vécue lorsque l'on est né handicapé apparaît en effet profondément choquant.

- Plus généralement, se pose le problème de l'accueil des personnes handicapées dans notre société. La loi de 1975 mérite d'être repensée car elle ne permet plus de prendre en compte les évolutions apparues dans les modes de vie et les difficultés actuelles des personnes handicapées pour s'insérer dans la vie sociale et le monde du travail. Lorsqu'elle a rendu l'arrêt Perruche, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a d'ailleurs, semble-t-il, surtout cherché à accorder un supplément d'indemnisation aux parents du jeune Nicolas. La grande question à laquelle la Cour de cassation a en réalité été confrontée est la déficience de l'accueil des personnes handicapées dans notre société.

- Il faut absolument éviter les dérives qui pourraient résulter de cette jurisprudence en termes d'eugénisme. Le juge ne peut déterminer des critères de normalité, définir les caractéristiques de ce que l'on pourrait nommer l'enfant parfait. Le juge ne peut pas davantage mettre en _uvre un droit de ne pas naître. Une telle démarche serait aussi absurde que dangereuse. Il ne serait pas acceptable en effet qu'au nom d'une sorte d'eugénisme de précaution, certaines femmes décident d'avorter suite aux discours pessimistes ou alarmistes d'échographistes n'hésitant pas à faire part de leurs moindres doutes sur une possible infirmité de l'enfant à naître pour mieux se couvrir en cas de contentieux futur.

- La jurisprudence Perruche porte les germes d'une régression tant sociale que médicale : une régression sociale car n'est pas traité correctement le problème de l'insuffisante prise en charge du handicap dans notre société et une régression médicale car le diagnostic prénatal risque d'être de fait réservé aux couples dotés de moyens financiers importants. En définitive, cette jurisprudence pourrait aboutir à ce que le nombre d'enfants nés handicapés augmente.

M. Jean-Pierre Foucher, après s'être prononcé en faveur de l'adoption de la proposition de loi de M. Jean-François Mattei, a fait les observations suivantes :

- Il serait faux de prétendre que le législateur se saisissant de ce grave problème interviendrait dans la précipitation. Depuis un an, divers députés ont déposé soit des amendements au projet de loi de modernisation sociale ou à d'autres textes soit des propositions de loi visant à faire obstacle à la jurisprudence Perruche. Ainsi peut-on être surpris d'apprendre que le Gouvernement, lors du débat en séance publique, se prononcera contre la présente proposition de loi et demandera aux parlementaires de mener une réflexion sur le sujet associant des juristes, des associations de personnes handicapées et des médecins. Il serait évidemment plus opportun d'adopter la proposition de loi de M. Mattei qui a la mérite de mettre fin à une jurisprudence que la majorité des observateurs s'accordent à qualifier d'inacceptable. Il est temps pour le législateur de faire entendre sa voix car il n'appartient pas au juge de définir les contours d'un droit à ne pas naître.

- Il est paradoxal, d'un côté, de dire qu'il faut améliorer les structures d'accueil et les conditions de vie des personnes handicapées et, d'un autre côté, d'admettre l'idée que certaines vies ne méritent pas d'être vécues et constituent un préjudice juridiquement réparable.

- Il paraît inadmissible de prétendre faire porter aux médecins la responsabilité d'un handicap alors que cet handicap ne résulte pas d'une faute médicale mais est le fait de la nature. Le médecin ne saurait être considéré comme directement responsable de l'existence du handicap, comme cela a été jugé dans l'affaire du jeune Nicolas Perruche. C'est le fait que sa mère ait malheureusement contracté la rubéole durant sa grossesse qui a été à l'origine du handicap et non pas une quelconque intervention du médecin.

- Le risque est grand de mettre en place un système de médecine à deux vitesses : certaines familles disposant de revenus confortables pourront continuer à consulter un échographiste tandis que d'autres n'en auront plus les moyens.

- Il convient de lutter en général contre la tendance à la judiciarisation de notre système de santé : si le législateur tolère de fait la jurisprudence Perruche en n'y revenant pas de façon ferme et définitive, cela signifie que le juge est reconnu compétent pour définir ce qu'est la normalité en matière de vie humaine. On peut ainsi imaginer un recours de toute personne estimant qu'elle aurait pu naître autre si un professionnel de santé avait au moment de sa naissance opéré tel ou tel acte. Les dérives eugénistes sont donc bien présentes.

- Le dispositif prévu dans l'article 2 de la proposition de loi de M. Mattei est excellent. Il apparaît en effet très utile de mettre en place un observatoire de l'accueil et de l'intégration des personnes handicapées chargé d'observer la situation matérielle, financière et morale des personnes handicapées en France.

Mme Nicole Catala a déclaré comprendre le malaise ressenti par des familles d'enfants handicapés vis-à-vis de la jurisprudence Perruche. Cependant la solution proposée par la proposition de loi présentée par M. Jean-François Mattei n'apparaît pas totalement satisfaisante, en particulier le dernier alinéa de l'article premier. Il serait opportun en effet de faire un traitement à part du cas de handicaps ayant une origine génétique et n'ayant pas été décelés au moment de la grossesse en raison d'une faute médicale lourde. Dans ce cas précis, il serait utile de prévoir dans la loi, outre la réparation du préjudice propre des parents, de leur fournir les moyens d'assurer dans les meilleures conditions possibles l'avenir de leur enfant handicapé, compte tenu du fait que l'article 213 du code civil leur donne l'obligation de pourvoir à l'éducation de leur enfant et de préparer son avenir.

L'accent doit donc être mis sur l'aide devant être apportée aux parents des enfants nés dans de telles conditions, la solution à ce problème grave ne pouvant passer par la reconnaissance d'un préjudice lié au fait de la naissance.

M. Jean-Marie Le Guen a fait les observations suivantes :

- Le débat ne porte pas sur les difficultés de certaines professions médicales, si sérieuses soient-elles. Il ne s'agit pas non plus seulement d'apporter une réponse à l'angoisse légitime des parents d'enfants handicapés que la jurisprudence Perruche a suscitée. Ce qui est en jeu à travers le débat sur cette jurisprudence c'est une question d'ordre éthique qui est celle du rapport à la vie.

- On ne peut qu'être sensible aux arguments avancés par M. Jean-François Mattei s'agissant des risques d'inégalité dans l'accès aux diagnostics prénataux entre les couples plus ou moins aisés. Par ailleurs, il est certain que les jurisprudences contraires du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation sur ce sujet démontrent la nécessité de remettre de l'ordre dans cet imbroglio juridique.

- En revanche, ne faut pas accréditer l'idée que le débat sur l'arrêt Perruche est lié à celui sur l'interruption volontaire de grossesse. Il n'est nullement question d'admettre les notions d'IVG obligatoire ou d'eugénisme privé.

- Etant donné que « l'impact » de la proposition de loi sur d'autres dispositions du code civil n'a pas été étudié, elle n'est pas susceptible d'être adoptée en l'état même si la nécessité de légiférer semble évidente sur le sujet. Un temps de réflexion supplémentaire est nécessaire.

M. Bernard Perrut a estimé que l'arrêt Perruche soulevait deux objections. Premièrement, le lien de causalité entre le handicap et la faute médicale n'existe pas ; le handicap congénital n'est pas directement lié à une faute médicale. Il est le fait de la nature. Deuxièmement, il est inadmissible d'affirmer que la vie constitue un dommage réparable.

La jurisprudence Perruche est de surcroît en contradiction directe avec la jurisprudence administrative de 1997 qui ne prévoit que l'indemnisation des parents. Elle a été critiquée par le Comité consultatif national d'éthique.

En outre, l'arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2001 a accepté une indemnisation du préjudice esthétique ce qui est inadmissible.

Alors que d'autres pays n'ont pas accepté une évolution jurisprudentielle comparable à celle de la Cour de cassation, il est impensable que celle-ci, dépourvue de surcroît de réel fondement juridique, perdure en France.

M. Daniel Paul a souligné que l'arrêt Perruche pouvait s'expliquer par la nécessité de combler un vide entre le droit et l'évolution rapide des pratiques médicales ainsi que par l'intervention croissante du pouvoir de l'argent dans le domaine de la santé notamment, par exemple, en ce qui concerne le don du sang et le don d'organes qui fait que le corps humain est devenu une marchandise. On peut se demander si la Cour de cassation, en décidant que le handicap était susceptible de donner lieu à une indemnisation de l'enfant, ne s'inscrit pas dans cette évolution.

Cette jurisprudence est contestable. Dans la mesure où la relation entre le patient et le médecin est contractuelle, il n'est bien évidemment pas question de revenir sur la responsabilité et la sanction du médecin en cas de faute médicale.

Mais, au-delà des aspects juridiques, il ne faut pas négliger le volet social relatif à l'accueil des enfants handicapés. La question de l'indemnisation ne règle pas en effet celle de l'intégration des handicapés. Il apparaît que la société témoignait autrefois davantage de tolérance envers ses « fous » ; le fou du village était accepté. Il est sans doute nécessaire de développer les équipements collectifs et les capacités d'accueil des établissements spécialisés moyennant une augmentation des crédits de la solidarité nationale. Mais au-delà de l'indispensable solidarité matérielle, l'acceptation sociale du handicap doit être plus grande.

Le groupe communiste se prononcera favorablement sur un texte, qui, au-delà des clivages politiques, fait également appel à des choix d'ordre personnel. Il convient de ne pas laisser la Cour de cassation intervenir dans une telle matière à la place du législateur.

Pour autant il est souhaitable que la loi de 1975 relative aux personnes handicapées fasse l'objet d'une réforme par le Parlement, que la révision des lois sur la bioéthique soit l'occasion pour le législateur de régler un certain nombre de problèmes en suspens, et que, d'une manière générale, ce dernier examine l'ensemble des questions liées aux progrès fantastiques de la médecine afin de ne pas en perdre toute maîtrise.

M. Alfred Recours a fait observer que si la Cour de cassation n'avait pas mis en jeu la responsabilité des parents vis à vis de l'enfant, les notions dégagées laissent néanmoins penser qu'il pourrait y être fait appel ultérieurement. Des enfants élevés avec amour et éduqués par leurs parents pourraient ainsi se retourner contre ces derniers du fait d'être nés handicapés. Cette perspective est parfaitement insupportable, de même qu'il est insupportable de pouvoir désormais trancher sur la laideur de l'individu dans les attendus d'un jugement. C'est la raison pour laquelle il appartient au législateur de mettre un terme à une telle évolution jurisprudentielle en se donnant le cas échéant le temps et les moyens de réfléchir sur un certain nombre de points juridiques et moraux délicats.

Cela signifie qu'il convient naturellement d'exonérer la responsabilité des médecins échographes en matière d'aléa thérapeutique et de ne rendre responsable, à la suite d'une erreur de diagnostic, le médecin qu'en cas de faute grave. On peut ainsi qualifier de faute grave le fait, pour un médecin, de ne pas donner les informations nécessaires à la famille en raison de son opposition de principe à l'IVG. Mais, même dans un tel cas, on peut se demander s'il reviendrait réellement à l'enfant plutôt qu'à sa famille de porter plainte du fait du préjudice subi. Il semble en effet difficile d'admettre un tel droit pour l'enfant.

Par ailleurs, un enfant handicapé doit non seulement être chéri par ses parents mais également bénéficier d'un soutien adapté de la société. Une intervention au titre de la solidarité nationale est ainsi préférable à celle d'une assurance même si au bout du compte l'assurance souscrite par le corps médical s'impute globalement sur le budget de la protection sociale. En outre, l'indemnisation au titre du préjudice serait une véritable injustice puisque seules seraient indemnisées les personnes en mesure de porter plainte.

En conclusion, le présent débat qui soulève des questions d'ordre éthique, mais aussi politique au sens noble du terme et personnel traverse tous les groupes de l'Assemblée nationale, y compris le groupe socialiste. Pour autant il n'est pas certain que le législateur soit prêt à se prononcer dès demain sur un sujet aussi grave.

Il convient néanmoins d'ouvrir le débat et de ne pas donner l'impression que le législateur cherche à se désengager à ce propos. Dans l'hypothèse où le Parlement s'orienterait vers un délai de réflexion supplémentaire, ce délai devra être clairement fixé afin que les parlementaires puissent se prononcer en leur âme et conscience dans les deux prochains mois.

Mme Catherine Génisson a indiqué qu'elle était totalement solidaire des propos tenus par M. Alfred Recours.

M. Maxime Gremetz a rappelé que ce débat très sérieux pose des problèmes éthiques et sociétaux majeurs qui dépassent les clivages politiques. Il n'est pas nouveau car il a déjà été abordé par la commission immédiatement après l'arrêt Perruche qui a suscité beaucoup de troubles dans les familles et associations de familles d'enfants handicapés ainsi que chez les médecins. A l'occasion de la première lecture du projet de loi de modernisation sociale, un amendement similaire de M. Jean-François Mattei avait ainsi déjà été voté par le groupe communiste. Le Gouvernement avait alors répondu qu'il fallait attendre le débat sur la révision des lois bioéthiques. Il y a pourtant urgence à légiférer car de nouveaux arrêts de la Cour de cassation, aux mois de juillet et novembre 2001, ont confirmé l'arrêt Perruche et cette jurisprudence risque de s'imposer à défaut de loi.

S'agissant d'un débat qui concerne la place des handicapés dans la société, l'ensemble du groupe communiste a décidé après un large débat interne, de voter pour la présente proposition de loi.

M. Claude Evin a souhaité aborder ce débat difficile avec une certaine humilité compte tenu de l'émotion qu'il suscite et de son caractère complexe. Les différents arrêts rendus par la Cour de cassation en novembre 2000, juillet 2001 et novembre 2001 n'ont pas été appréhendés à leur juste valeur par le rapporteur. Contrairement à ce qui a été souvent dit, leur but premier est bien de reconnaître la dignité des personnes handicapées. Il s'agit, dans le cas d'une responsabilité médicale pour faute, d'indemniser un enfant né handicapé lorsqu'il existe une relation directe entre la faute du médecin et la décision prise par la mère de ne pas avorter.

On peut considérer a contrario que le Conseil d'Etat ne reconnaît pas pleinement la dignité de la personne handicapée en ne prévoyant d'indemnisation que pendant la durée de vie de ses parents. En tout état de cause, la proposition de loi ne répond pas à l'objectif qu'elle affiche parce que la Cour de cassation n'a nullement admis le principe de vie préjudiciable. Il s'agit d'un strict problème de responsabilité médicale pour faute. Il faut du reste insister sur la nécessité d'une faute qui ne saurait consister dans l'absence de détection d'une anomalie non évidente.

Par ailleurs la proposition risque au contraire de revenir sur le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) explicitement prévu dans ce cas en 1975. Le législateur avait alors offert à la mère la possibilité d'interrompre sa grossesse pour raison médicale, lorsqu'une affection incurable d'une particulière gravité a été diagnostiquée sur l'enfant. Cette possibilité consiste bien à reconnaître que dans certaines circonstances, la vie ne vaut pas d'être vécue. Mme Simone Veil, ministre de la santé, déclarait ainsi le 13 décembre 1974 qu'il est effectivement particulièrement douloureux et pénible pour les parents d'enfants destinés à naître handicapés de devoir envisager de telles décisions.

De faux problèmes ont été soulevés dans le débat. Il n'y a pas d'eugénisme délibéré car il s'agit seulement pour la mère de faire le choix, avec l'habilitation du législateur, lorsqu'un enfant est susceptible de présenter des malformations graves, de ne pas le laisser naître ; cela justifie en conséquence un droit à indemnisation lorsque cette décision libre n'a pas pu être prise par la faute d'un médecin. Il n'y a pas non plus de risque qu'un enfant handicapé exerce un recours contre ses parents du fait de son handicap car il n'est pas possible de considérer que les parents auraient commis une faute en ne pratiquant pas d'IVG, le Conseil constitutionnel ayant consacré le droit de la mère d'avoir recours à une IVG.

Il peut en revanche y avoir un débat sur la notion de lien de causalité. La maladie avec laquelle naît l'enfant est certes indépendante de la faute du médecin car elle résulte de causes naturelles, mais la mère peut poursuivre le médecin et demander réparation car celui-ci ne lui a pas permis d'empêcher la réalisation de la maladie, en raison d'un mauvais diagnostic. Il s'agit d'un problème classique du droit de la responsabilité dont on peut prendre un exemple dans un autre domaine : lorsqu'une coulée de boue détruit un camping, la cause du dommage est naturelle mais il est possible d'attaquer en responsabilité le gestionnaire du camping s'il n'a pas pris les précautions nécessaires. Il en est de même lorsqu'en l'absence de thérapeutique, une faute médicale au moment du diagnostic a été à l'origine d'une naissance qui n'eut pas été désirée en toute connaissance de cause. Il y a peut-être une différence sur l'objet de la réparation mais non sur le lien de causalité juridique.

Il y a effectivement une différence de traitement entre le handicap selon qu'il est d'origine accidentelle non médicale ou qu'il est la conséquence d'une erreur de diagnostic médical. Il faut toutefois accepter toutes les conséquences du droit à réparation qui découle d'une responsabilité médicale pour faute. Ce problème de responsabilité médicale est par ailleurs traité dans le cadre du titre III du projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il n'est donc pas nécessaire de légiférer sur ce point ici.

Pour conclure, la proposition de loi non seulement ne résoudrait pas le problème qu'elle entend traiter ni n'empêcherait la Cour de cassation de maintenir sa jurisprudence, mais elle risquerait aussi d'encourir la censure du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l'homme car elle aboutirait à dénier dans certains cas un droit à réparation du préjudice en cas de faute d'un tiers. Ce texte posant plus de problèmes qu'il n'en résoudrait, il ne faut donc pas poursuivre le débat et le rejeter.

M. Jean-Michel Dubernard a interrogé le rapporteur sur le cas où un médecin condamné se retournerait contre les parents de l'enfant handicapé.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a d'abord exprimé sa reconnaissance pour la qualité du débat, qui a vu s'exprimer des prises de position parfois divergentes au sein d'un même groupe et a indiqué partager certaines positions exprimées par M. Alfred Recours et M. Jean-Marie Le Guen.

Il a rappelé qu'il y a trois semaines, il avait évoqué avec le Président de l'Assemblée nationale la possibilité de la création d'une commission d'enquête relative à la situation des handicapés. M. Raymond Forni lui avait alors répondu que la législature prenant fin dans moins de six mois, l'initiative n'avait guère de sens et pouvait être considérée comme une man_uvre. Dès lors, la proposition de créer maintenant une mission d'information parlementaire sur la question de savoir s'il faut légiférer sur l'indemnisation des handicaps congénitaux devient incompréhensible. En effet, si la mission est créée avant le 21 décembre 2001, elle ne pourra commencer ses travaux qu'au début janvier au moment où débutera l'examen du projet de loi révisant les lois bioéthiques qui mobilisera les députés concernés par ces questions. Elle ne pourra vraiment travailler qu'après l'adoption de ce texte, le 19 janvier 2002. Elle ne pourra donc conclure avant la fin de la législature. En revanche, si la proposition de loi est adoptée aujourd'hui et si le Gouvernement déclare l'urgence, le texte, le cas échéant amendé, sera bien adopté avant la fin de la législature. Le Parlement doit donc se prononcer maintenant sur la question, en évitant des man_uvres dilatoires.

Le rapporteur a indiqué que dans son service de diagnostic prénatal, après des diagnostics de maladie grave ou de malformation grave, les praticiens respectent la décision d'interruption volontaire de grossesse prise par le couple. Cependant, l'interruption volontaire de grossesse doit rester une liberté sans devenir une obligation. Si certains peuvent considérer que la cause de handicap réside dans la faute du médecin, il faut leur rappeler que la pathologie trouve malheureusement son origine ailleurs.

Le président Jean Le Garrec a relevé que le problème était posé de manière binaire, certains souhaitant légiférer, d'autres pas. Il s'agit en fait d'une double question : faut-il légiférer et comment légiférer ?

Chacun s'accorde à reconnaître que la vraie question est celle de la place des handicapés dans la société française, ce qui appelle une refonte de la loi de 1975. Il ne s'agit pas uniquement de l'effort financier consenti par la Nation mais d'une attitude sociale quand on voit qu'aujourd'hui, les entreprises préfèrent payer des amendes plutôt que d'employer des handicapés et les administrations ne satisfont pas aux obligations d'emplois des handicapés prévues par la loi.

Le débat sur l'arrêt Perruche a un arrière-plan métaphysique puisqu'il met en balance la vie et la mort. A cet égard, les conceptions judéo-chrétiennes peuvent être confrontées à d'autres approches comme celle de la philosophie grecque. Cet arrière-plan philosophique n'a pas à être évoqué aujourd'hui.

La question est plus concrète : un enfant handicapé peut-il mettre en cause la responsabilité du médecin qui a commis une faute dans la surveillance de la grossesse de la mère, privant celle-ci de la possibilité d'avorter ? Cette question est d'une grande complexité juridique notamment parce qu'elle met en jeu plusieurs conceptions de la causalité en matière de responsabilité. Ainsi, dire que la rubéole de Nicolas Perruche, non détectée par le médecin, est la seule cause de son handicap fait litière d'un principe selon lequel lorsqu'un dommage trouve à la fois sa source dans un événement naturel et dans une faute, l'auteur de la faute est responsable du dommage. A en croire « Le Monde », certaines personnalités de l'opposition semblent d'ailleurs s'interroger sur le risque de remettre en cause le principe de causalité ou de priver l'enfant handicapé de la réparation. Un autre risque est d'aller à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière.

Compte tenu de la complexité des questions ainsi posées par une intervention du législateur, il paraît nécessaire de mettre en place rapidement une mission d'information commune à la commission des affaires culturelles et à la commission des lois, d'une durée réduite, comprenant quinze députés, qui se prononcerait sur deux questions : faut-il légiférer ? Si oui, comment ? La création d'une telle mission a été suggérée par le Président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni, et a recueilli l'appui du président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Cette mission devra impérativement rendre ses conclusions avant que ne s'engage l'examen en séance publique de la loi relative à la révision des lois dites de « bioéthique » à l'Assemblée nationale et de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé au Sénat.

En conclusion, le président Jean Le Garrec a proposé à la commission de ne pas engager l'examen des articles de la proposition de loi et de décider la création d'une mission d'information commune avec la commission des lois.

Le rapporteur a précisé que la proposition de loi était amendable et que son adoption par la commission marquerait la volonté des parlementaires de légiférer sur la question. La commission a déjà tenu une table ronde sur le sujet qui a rassemblé juristes, médecins et associations en mars 2001. On voit mal ce que, dans un délai aussi court, une mission d'information pourrait apporter de plus. Sa création serait donc aussi déraisonnable qu'incompréhensible.

M. Alfred Recours s'est déclaré favorable à la proposition du président en la jugeant toutefois pas nécessairement contradictoire avec l'examen du texte proposé par le rapporteur. Les déclarations de personnalités différentes parues dans la presse montrent la difficulté de parvenir immédiatement à un accord et justifient la création d'une mission d'information.

Le président Jean Le Garrec a précisé que l'adoption de sa proposition de création d'une mission d'information commune excluait l'examen du texte de la proposition de loi.

M. Maxime Gremetz a rappelé que ce texte de loi était une initiative parlementaire prise dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes. Afin de souligner le rôle du Parlement, il est indispensable de ne pas bloquer ce type d'initiative.

La commission a rejeté la proposition de loi de M. Jean Le Garrec de ne pas examiner les articles de la proposition de loi et de créer une mission d'information commune.

La commission est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi de M. Jean-François Mattei.

La commission a adopté les articles 1er et 2 sans modification, puis l'ensemble de la proposition de loi.


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