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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 7

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 18 octobre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France

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- Audition de M. Jacques Revah, chargé d'affaires à l'Ambassade d'Israël en France

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Audition de Mme Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France

M. François Loncle a souligné qu'il avait jugé indispensable, compte tenu de la gravité de la situation au Proche-Orient, d'organiser l'audition de Mme Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, et de M. Jacques Revah, chargé d'affaires à l'ambassade d'Israël en France depuis le décès de M. Ben Elissar, ambassadeur d'Israël en France.

Il s'est interrogé sur l'impact du sommet de Charm el-Cheikh : lueur d'espoir, trêve ou accord minimal, et a rappelé que l'on avait eu le sentiment d'être au bord d'une guerre.

Mme Leïla Shahid a remercié la Commission des Affaires étrangères de son invitation à un moment particulièrement grave. Elle s'est déclarée étourdie par l'ampleur et la rapidité de la dégradation du processus de paix, qui fut tant bien que mal une construction à deux, par la disproportion des instruments de confrontation militaire utilisés par les Israéliens, par la traduction sur le plan international de cette crise (montée des cours du pétrole, chute de la bourse, action terroriste anti-américaine) et par les attentats d'une jeunesse qui s'en est prise à la communauté juive française, ce que Mme Leïla Shahid a fermement condamné. Avec le basculement du processus de paix, on est entré dans une logique de guerre qui s'étend au Sud-Liban, touche les Arabes israéliens et entraîne des manifestations de protestation dans le monde arabe.

Selon elle, l'accord verbal de Charm el-Cheikh est minimal et aurait pu être signé dès le 5 octobre dernier à Paris. Il a le mérite de mettre fin à l'hécatombe - on compte jusqu'à dix morts par jour -, d'instaurer un cessez-le-feu, de permettre la levée du bouclage externe et interne des Territoires autonomes ainsi que le retrait des soldats israéliens de la zone A et de prévoir la création d'une commission internationale ou semi-internationale d'enquête présidée par le Président Bill Clinton, en collaboration avec Kofi Annan, afin de déterminer les causes de cette crise. En outre, les deux parties se sont engagées à reprendre des consultations dans deux semaines à Washington. Malheureusement cet accord n'a de valeur que s'il est véritablement appliqué. Or, signe d'escalade grave, Israël a envoyé un commando spécial de ses services secrets pour enlever huit Palestiniens dans les Territoires autonomes pour qu'ils répondent du lynchage des trois soldats israéliens à Ramallah. Cependant, ce lynchage a été perpétré par une foule déchaînée alors que la police palestinienne s'était efforcée de protéger ces soldats. De plus une commission d'enquête avait été mise en place par l'Autorité palestinienne pour trouver les responsables. En agissant ainsi, M. Ehud Barak jette de l'huile sur le feu en discréditant l'Autorité palestinienne et on peut s'interroger sur la réalité de sa volonté de faire la paix.

La disproportion des moyens militaires employés par les Israéliens pour riposter aux manifestants palestiniens a provoqué une crise de confiance. En outre, la presse israélienne s'est fait aujourd'hui même l'écho de l'intention de M. Ehud Barak de séparer unilatéralement les Territoires autonomes de la zone A de ceux des zones B et C, ce qui entraînerait à confiner les Territoires autonomes dans 11% seulement de la Cisjordanie, à isoler les villes palestiniennes les unes des autres et à mettre en état de siège l'Autorité palestinienne. Une telle décision aurait été prise en accord avec M. Ariel Sharon, qui l'a approuvée carte en main !

La raison principale de ce retournement de situation est la situation de M. Ehud Barak, qui, sans majorité depuis le 1er août, doit décider avant le 29 octobre prochain, date de la reprise des sessions parlementaires à la Knesset, avec quels partis il formera la prochaine coalition gouvernementale.

Mme Leïla Shahid a toutefois relevé une note d'espoir avec la présence à Charm el-Cheikh de M. Javier Solana, Haut Représentant de l'Union européenne pour la PESC, de M. Yves Aubin de la Messuzière, représentant de la présidence française, et de M. Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU, à la demande insistante des parties palestiniennes et égyptiennes. Elle a souhaité que l'Union européenne "s'accroche à son siège", car il est illusoire de penser que les Américains à eux seuls peuvent gérer la paix du monde.

M. François Léotard a tout d'abord souhaité connaître le sentiment de Mme Leïla Shahid sur le titre du Jérusalem Post selon lequel "Oslo is dead". Par ailleurs, si M. Ehud Barak ne peut arriver à un succès, qui d'autre peut réussir dans cette affaire ? Avant le tumulte récent, des points de désaccord demeuraient, qu'en reste-t-il ? La télévision palestinienne peut-elle faire preuve de retenue dans ses expressions publiques ? Enfin, regrettant de rappeler les massacres de Chabra et Chatilah qui ont fortement marqué Mme Leïla Shahid, qui en a été témoin, il lui a demandé qui en porte la responsabilité.

M. Pierre Brana a remercié Mme Leïla Shahid de condamner les saccages des lieux saints juifs et a fait part de ses inquiétudes face à des risques de dérapage antisémite en Europe. Il a également plaidé pour une place plus importante de l'Europe aux côtés des Etats-Unis dans un rôle de conciliation. Au fond, au-delà des volontés et analyses politiques, la cause des tensions permanentes ne peut-elle être imputée à un défaut structurel : des Territoires autonomes morcelés à l'extrême ?

M. Alain Juppé a souhaité connaître l'appréciation de Mme Leïla Shahid sur le rôle de la présidence française et s'est enquis de la capacité politique de la direction palestinienne à revenir prochainement s'asseoir à la table des négociations.

M. Etienne Pinte a demandé ce que l'Autorité palestinienne attend d'une éventuelle commission d'enquête sur la responsabilité de la situation actuelle. Une telle initiative ne risquerait-elle pas d'aggraver la tension ? M. Yasser Arafat maîtrise-t-il les mouvements extrémistes telles que le Hamas ou le Hezbollah ? Pourquoi a-t-il accepté que le contrôle du retour à une situation "normale" soit effectué par la CIA et non par l'ONU ou l'Union européenne ?

M. Claude Goasguen a fait observer que si M. Yasser Arafat ne commande pas au peuple palestinien, comme le souligne Mme Leïla Shahid, il commande à la police palestinienne, absente des manifestations à l'intérieur des Territoires autonomes. Il a souhaité connaître l'avis de Mme Leïla Shahid sur ce point. Même si la télévision palestinienne a été détruite, on a le sentiment que des démesures dans les expressions publiques ont eu lieu dans le passé. N'est-ce pas l'une des causes de la haine actuelle ?

Mme Marie-Hélène Aubert a souhaité revenir sur le rôle des acteurs intermédiaires que sont la société civile, les élus, les ONG. La situation actuelle a-t-elle coupé tous les ponts entre ces acteurs ? Comment expliquer l'absence ou à tout le moins la faiblesse des progressistes en Israël ? Comment peut-on arriver à faire cesser les violences et les fanatismes religieux en Palestine ?

Mme Leïla Shahid a souligné que l'erreur générale avait été de croire, après Camp David, que M. Ehud Barak était allé le plus loin possible, comme l'ont prétendu les Américains. En réalité, aucun dossier du statut final n'a été négocié à fond : ni Jérusalem, ni les colonies, ni les réfugiés ; c'était une erreur de focaliser sur l'esplanade des mosquées - mont du temple ; cela semblait devenir une guerre de religion. C'est la souveraineté sur Jérusalem-Est et non une autonomie telle que l'entend M. Ehud Barak, c'est-à-dire une sorte de gestion municipale, que les Palestiniens revendiquent. Les résolutions 242 et 475 du Conseil de sécurité nous reconnaissent ce droit à la souveraineté. Par ailleurs, M. Ehud Barak souhaite annexer à l'Etat d'Israël les trois énormes blocs des colonies, car c'est là que sont implantés les 400 000 colons israéliens : ceci est inacceptable car le futur Etat palestinien ne sera plus viable dans ces conditions. Pour la question des réfugiés de 1948, M. Ehud Barak a catégoriquement refusé de reconnaître le droit de retour (résolution 194 du Conseil de sécurité) et a parlé de mesures humanitaires de réunions de familles.

Il n'est pas étonnant que M. Ehud Barak se tourne vers M. Ariel Sharon et le Likoud, car n'ayant pu imposer ses conditions de paix, il doit trouver une politique de rechange.

La télévision palestinienne n'émet plus actuellement, car elle a été bombardée le lendemain des événements à Ramallah.

Il n'y a aucun doute sur la responsabilité de M. Ariel Sharon dans les massacres de Sabra et Chatilah, et ses déclarations l'ont confirmée à l'époque. Les soldats israéliens l'ont confirmée ainsi que la commission d'enquête.

Mme Leïla Shahid a partagé entièrement l'analyse de M. Pierre Brana selon laquelle ces étapes intermédiaires représentent un danger pour Israël. Elle a toujours considéré que la fondation de l'Etat palestinien permettrait à Israël d'avoir comme interlocuteur un Etat responsable et qui doit rendre compte de ses actes. La situation tragique dans laquelle se trouvent le Président Yasser Arafat et l'Autorité palestinienne est liée au fait que l'accès à une souveraineté réelle lui est dénié par Israël, mais il est en même temps considéré comme responsable personnellement et collectivement de la sécurité des Israéliens.

Il est très souhaitable que la France soit aussi présente que possible pour contribuer à faire évoluer la situation. La France, puis la présidence française de l'Union européenne ont joué un rôle très important depuis l'arrivée au pouvoir de M. Ehud Barak, qui a suscité un énorme espoir. L'Autorité palestinienne a exercé des pressions sur ses opposants afin qu'il n'y ait aucun attentat pendant la campagne électorale, et a réussi à déjouer 132 tentatives d'attentat depuis cette élection, en collaboration avec les autorités israéliennes. La France a suivi de près le processus de paix presque jour par jour, et a permis la présence de M. Javier Solana à Charm el-Cheikh. La France doit rester médiateur dans le dossier palestinien et aussi d'ailleurs dans les dossiers syrien et libanais pour la libération de quatre soldats et pour le retrait du Golan. L'attitude d'Israël est aujourd'hui purement suicidaire : Israël bombarde son partenaire de négociation, fait enlever huit personnes, parmi lesquelles se trouveraient les auteurs du lynchage des soldats israéliens, alors que même l'Autorité palestinienne a aussitôt condamné cet acte criminel et décidé la création d'une commission d'enquête et met contre elle les Etats arabes.

La presse s'interroge sur la capacité du Président Yasser Arafat à calmer son peuple. Mais le Président a essayé de convaincre que la paix lui rapporterait davantage, et ceci par consensus et pas par coercition, assertion difficile à maintenir dans la situation actuelle d'agression militaire disproportionnée conduite par Israël. La tâche est particulièrement difficile car ce peuple n'est pas un soldat obéissant aux ordres, et le système politique se veut démocratique et non pas totalitaire.

Mme Leïla Shahid a dit s'attendre à d'autres réactions violentes de la rue, et tous les efforts consisteront à empêcher une escalade de plus en plus violente. L'accord de Charm el-Cheikh est d'une extrême fragilité et dépend à présent de la façon dont M. Ehud Barak constituera son Gouvernement.

La formation d'une commission d'enquête internationale est un droit des victimes palestiniennes. Quand des massacres ont lieu dans un endroit du globe, comme au Rwanda, la communauté internationale réunit une commission. Si on veut que les Palestiniens croient au droit international, il ne faut pas pratiquer une politique de "deux poids, deux mesures" et les traiter comme de la chair à canon ; il faudra que la vérité se fasse, c'est leur droit.

M. Yasser Arafat ne contrôle ni le Hezbollah, qui est un mouvement libanais, ni le Hamas ou le Djihad islamique qui s'opposent à l'Autorité palestinienne. Il essaie de les empêcher de commettre des attentats en négociant avec eux d'une part, et en faisant des arrestations préventives d'autre part, et surtout en les isolant sur le plan politique.

La présence du directeur de la CIA dans la commission tripartite se justifie par le fait que les Etats-Unis dirigent le monde malheureusement. Mme Leïla Shahid a déclaré qu'elle aurait préféré la présence du directeur de la DGSE ou du Secrétaire général de l'ONU. Elle espère toutefois qu'on laissera M. Kofi Annan jouer un rôle important et pas seulement occuper un strapontin.

Le rôle de la police palestinienne n'est pas de manifester dans la rue. Les manifestations sont dans les trois-quarts des cas constituées par les cortèges funéraires des victimes de la répression israélienne. Lorsqu'il y a eu des confrontations entre des manifestants et l'armée israélienne, la police palestinienne a tenté d'intervenir. Mais on ne peut pas demander à un Etat qui n'est pas un Etat, à une souveraineté qui n'est pas une souveraineté, d'être en mesure de contrôler totalement une foule qui souffre de l'occupation israélienne depuis trente-trois ans. Les moyens palestiniens sont dérisoires face à des hélicoptères israéliens qui lancent des missiles Apache, ou des soldats qui tirent protégés par des bunkers militaires.

Mme Leïla Shahid a déclaré à titre personnel ne pas aimer la télévision palestinienne non pas tant en raison des messages de haine mais parce qu'elle la juge non professionnelle. Peut-on raisonnablement demander à cette télévision de tenir un discours pacifiste alors que le peuple palestinien connaît la plus terrible des répressions, subit des bombardements et voit son niveau de vie baisser de 40 % depuis Oslo ? Il est difficile d'expliquer à la population les acquis des accords de paix lorsque celle-ci n'en voit pas les applications dans sa vie quotidienne. Ce ne sont pas les religieux qui montent la population palestinienne contre la paix, c'est plus simplement un ras-le-bol général d'une population entière contre une occupation qui dure depuis trente-trois ans, et un processus de paix depuis sept ans, et contre une armée qui gère tous les aspects de la vie quotidienne. Les trois-quarts des enfants palestiniens tués par l'armée israélienne l'ont été à l'occasion d'activités quotidiennes et non parce qu'ils jetaient des pierres.

L'homme qui est considéré aujourd'hui comme "l'ennemi numéro un" par Israël, M. Barghouti, est au Conseil législatif le Président du groupe d'amitié avec la France. Il est venu à Paris et à Strasbourg avec ses collègues parlementaires israéliens défendre le projet de coexistence entre Palestiniens et Israéliens, et il a été reçu à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale.

Il faut que le gouvernement israélien en termine avec une politique qui prétend ménager la chèvre et le chou, qui refuse de choisir entre la paix et la guerre, qui tient un discours de poursuite des pourparlers de paix tout en proposant de s'allier à M. Ariel Sharon, un criminel de guerre opposé à Oslo.

La majorité de la société israélienne souhaite la paix mais elle a peur et on entretient cette peur. Il a été décidé de distribuer des masques à gaz à la population. Quels sont les motifs de cette décision ? M. Ehud Barak, par cette peur, espère provoquer un gouvernement d'union nationale afin de durer.

Au prochain sommet arabe du Caire, les Etats ayant reconnu Israël devront se déterminer, ceux qui ne l'ont pas fait aussi.

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Audition de M. Jacques Revah, chargé d'affaires à l'Ambassade d'Israël en France

Le Président François Loncle a remercié M. Jacques Revah, chargé d'affaires d'Israël en France dans l'attente de la nomination d'un nouvel Ambassadeur à Paris, d'être venu devant la Commission répondre aux nombreuses questions qui se posent.

M. Jacques Revah s'est réjoui de cette invitation qui doit lui permettre d'exposer le point de vue israélien sur la situation actuelle, que tous les Israéliens regrettent d'un bout à l'autre de l'échiquier politique et que personne n'a recherchée.

Les événements actuels se sont produits alors que nous étions à l'aboutissement du processus de paix. Chacun reconnaît que M. Ehud Barak, depuis qu'il dirige le gouvernement, a tenu ses engagements, en retirant l'armée israélienne du Sud-Liban et en relançant les négociations avec les Palestiniens. Ainsi, à Camp David, M. Ehud Barak a accepté toutes les propositions américaines. L'opinion générale est qu'il a alors fait tomber les tabous, allant jusqu'à parler d'une double souveraineté pour Jérusalem, ce que même M. Yasser Arafat ne devait pas s'attendre à entendre. Peut-être M. Yasser Arafat a-t-il choisi de ne pas privilégier l'issue qui est logiquement au bout du processus de paix, la fin du conflit, par peur de perdre sa légitimité et sa raison d'être de résistant. Il ne veut pas paraître être celui qui renonce à la lutte armée : cela pouvait se comprendre pour le chef de l'OLP, mais pas pour un responsable politique qui se veut un chef d'Etat.

A Oslo, les Palestiniens se sont engagés à renoncer à la violence et à utiliser seulement la négociation. Or, force est de constater qu'ils ont usé de la violence comme un moyen de biaiser la négociation en s'attirant la sympathie internationale.

En Israël, les opposants au processus d'Oslo ont aujourd'hui beau jeu de dire que ceux qui l'ont mis en _uvre se sont trompés. Pire encore, ses partisans même commencent à se poser des questions, notamment celle de savoir si M. Yasser Arafat était le bon interlocuteur.

M. François Léotard a rappelé que les Français gardaient vis-à-vis d'Israël un sentiment de proximité parce que c'était une véritable démocratie. Il a demandé si des réformes permettant d'endiguer le pouvoir des partis minoritaires, souvent extrémistes étaient envisagées. Il a souhaité savoir pourquoi Israël n'avait pas utilisé, de préférence à l'armée, des éléments de police spécialisés permettant de résoudre avec moins de brutalité les problèmes posés par les manifestations des Palestiniens. Il s'est interrogé sur ce que les Israéliens attendaient du sommet du Caire où ils feraient figure d'accusés.

M. François Rochebloine a demandé à M. Jacques Revah quelle était son analyse sur la question de Jérusalem. Il a également voulu savoir comment Israël peut accepter le déchaînement actuel de violence qui a causé des morts des deux côtés, mais bien davantage chez les Palestiniens, plus de cent contre deux du côté israélien.

M. Etienne Pinte s'est interrogé sur le refus d'Israël d'une commission d'enquête internationale qui peut se comprendre comme une peur de voir sa responsabilité mise en cause. En outre, il est étonnant de constater qu'Israël met toujours en avant l'utilisation d'enfants par les Palestiniens. Enfin la comparaison entre les armes à feu utilisées par les soldats israéliens et les pierres lancées par les Palestiniens donne à réfléchir.

Le Président François Loncle a fait remarquer que la disproportion entre les armements était très importante.

M. Pierre Brana a estimé que s'il y avait des armes de chaque côté, à l'évidence certaines étaient plus meurtrières que d'autres. Un tel déséquilibre risque de desservir Israël dans l'opinion internationale plus habituée à l'usage de canons à eau ou de balles en caoutchouc contre les manifestants. Il s'est demandé si l'existence d'un Etat palestinien constitué, et par conséquent plus fort, ne serait pas un pas supplémentaire vers la paix.

M. François Loncle a rappelé les propos de l'ancien Ambassadeur d'Israël en France, M. Ben-Elissar, selon lesquels "Israël ne craint pas les successeurs d'Arafat". Pourtant, compte tenu de la personnalité et de la légitimité de M. Yasser Arafat, de l'état des forces politiques palestiniennes, on peut se demander s'il ne serait pas préférable d'aboutir à la paix tant qu'il est encore là.

M. Claude Goasguen a tout d'abord fait remarquer que, hormis la sympathie éprouvée pour la démocratie israélienne, sa communication internationale est défectueuse car des questions restent en suspens. Par exemple, M. Ariel Sharon a-t-il eu l'autorisation des communautés musulmanes pour effectuer sa visite sur l'esplanade des mosquées ? M. Claude Goasguen a demandé comment interpréter le fait que les incidents actuels se soient déclenchés après que M. Ehud Barak a fait sa proposition pour Jérusalem. Est-il aujourd'hui dans les mêmes dispositions ?

M. Paul Dhaille a rappelé que la situation actuelle ne résulte pas seulement d'un problème interne à Israël mais concerne aussi la stabilité du Proche-Orient et de l'Europe. Personne ne remet en cause le fait qu'Israël est une démocratie entourée de régimes qui ne le sont pas. Cependant le fait d'être une démocratie donne des devoirs supplémentaires quant au traitement des crises. Même si les médias rapportent des images déformées, on est aujourd'hui obligé de tenir compte de la communication. M. Paul Dhaille a également fait remarquer qu'Israël sera de plus en plus isolé au sein de la communauté internationale. Comment envisage-t-il cette situation ? Il s'est demandé si les Etats-Unis étaient le meilleur médiateur dans ce conflit. Israël ne choisit-il pas l'interlocuteur le plus sensible à ses positions ?

M. Jacques Revah a répondu aux intervenants.

Israël souffre, depuis sa création, d'un excès de démocratie et du souci de protéger la liberté d'expression et de faire participer tous les citoyens. La réforme de la loi électorale est toujours d'actualité. Par l'élection directe du Premier ministre on espérait donner plus de poids à cette fonction mais cette réforme incomplète a peut-être aggravé la situation. On espère que la Knesset saura trouver des solutions. Selon lui, M. Ehud Barak a risqué son avenir politique sur le processus de paix et était prêt à proposer par référendum aux Israéliens, après d'énormes concessions, la fin du conflit contre la paix. Israël est entouré par des régimes qui ne sont pas véritablement démocratiques mais n'a jamais fait de l'instauration de la démocratie un préalable à des négociations, notamment avec les Palestiniens, ce qui constitue un risque qui n'a jamais empêché les efforts de paix.

S'agissant des émeutes au cours desquelles on brûle des drapeaux israéliens et tire à la Kalachnikov, les forces israéliennes ne réagissent que lorsqu'elles sont en confrontation directe avec les émeutiers dans des zones où elles ont le droit d'être stationnées, ce qui est le cas à Netzarim et au Tombeau de Joseph. Les soldats sont souvent peu nombreux et sont obligés de réagir ; parfois même les secours ne leur parviennent pas à temps de peur de provoquer un bain de sang. Un soldat israélien est mort lors de l'assaut du Tombeau de Joseph faute d'avoir été soigné à temps, l'armée israélienne ne pouvant le secourir sans causer des dizaines de victimes chez les Palestiniens. En outre, d'après la loi internationale, la police n'est pas autorisée à agir.

Israël attend de la France qu'elle apporte son soutien au processus de paix, comme elle a déjà su remarquablement le faire. Les relations entretenues par M. Ehud Barak avec le Président de la République et le Premier ministre français sont excellentes. La France a su à certains moments peser de tout son poids pour éviter une déclaration unilatérale d'indépendance palestinienne qui aurait été néfaste. L'incident du sommet de Paris est très regrettable. On n'a d'ailleurs pas compris pourquoi M. Yasser Arafat n'avait pas paraphé l'accord et avait brusquement changé d'avis, créant la surprise. La France a depuis ce sommet, agi de façon positive. Assumant la présidence de l'Union européenne, elle a su exprimé son soutien au processus de paix à Biarritz.

Les morts sont inacceptables quels qu'ils soient. Il y a eu neuf morts côté israélien et on ne peut reprocher à Israël d'équiper ses soldats de gilets pare-balles alors qu'on peut reprocher aux mères palestiniennes d'envoyer leurs enfants au milieu de soldats armés. Quant un soldat tire pour riposter et qu'un enfant se trouve au milieu, une balle perdue peut l'atteindre. Le problème de Jérusalem est à la fois politique, sentimental et religieux, mais sa solution, comme le souhaitait M. Ehud Barak, ne peut être que politique. Chacun dans cette région du monde est un homme ou une femme de foi et il n'y a aucune raison que M. Yasser Arafat s'arroge l'exclusivité de la gestion des lieux saints. M. Ehud Barak a proposé de confier la responsabilité de la gestion des lieux saints à chaque religion.

Israël n'a rien à cacher et demande la clarté sur l'ensemble des événements mais ne souhaite pas qu'une commission d'enquête internationale soit diligentée uniquement sur ses seuls agissements. Des vérifications doivent également être opérées sur ceux des Palestiniens. Ce n'est pas par hasard si des émeutiers ont pris position dans la rue. Cependant on peut trouver une formule adaptée pour enquêter, il y a eu suffisamment de chemin parcouru et de séries d'accords entre Israéliens et Palestiniens pour trouver une solution adéquate. L'usage systématique des enfants lors des émeutes palestiniennes a été dénoncé par les autorités israéliennes et pas seulement par M. Benjamin Netanyahou depuis le début de la crise. Ce ne sont pas des manifestations pacifiques, des émeutiers se placent derrière des enfants et utilisent des armes fournies parfois même par l'Autorité palestinienne. Les soldats israéliens tirent à balles réelles après avoir utilisé des balles en caoutchouc et quand la police palestinienne se retourne contre eux. Cet état d'esprit résulte de l'absence d'engagement de l'Autorité palestinienne à respecter l'esprit des accords de paix ; elle laisse se développer une culture qui prétend envoyer des martyrs au paradis au nom d'un idéal ; elle ne lutte pas contre des sermons appelant à faire couler du sang juif au nom de Dieu dans les mosquées ou contre les excès de ses médias ou des manuels scolaires.

M. Jacques Revah a reconnu que les images diffusées à la télévision pouvaient choquer les téléspectateurs car elles ne montrent pas les Palestiniens qui ripostent par des coups de feu et non des jets de pierre. Les enfants palestiniens se trouvent là où ils ne devraient pas être ; la police palestinienne les utilisent comme de véritables boucliers. Les soldats israéliens se retiennent de tirer jusqu'au moment où leur vie est en danger.

En pratique, le cours des choses conduisait à une reconnaissance d'un Etat palestinien d'un commun accord. Mais M. Yasser Arafat ne veut pas entrer dans l'histoire comme celui qui a fait la paix, car cela signifierait qu'il est également celui qui a fait des concessions. Il rêve plutôt de se couvrir d'héroïsme et de gloire en étant l'homme qui arrachera l'indépendance palestinienne au prix de la guerre. Il est très attiré par ce romantisme révolutionnaire. Certains établissent une comparaison avec la naissance de l'Etat d'Israël : mais c'est oublier que l'indépendance d'Israël n'a été déclarée qu'après le refus des Etats arabes de permettre la création de cet Etat.

M. Jacques Revah a estimé que si les Israéliens ne font pas la paix avec M. Yasser Arafat, ils la feront avec ses successeurs, et si cela échoue encore, avec les successeurs de ses successeurs.

Sur le rôle des Etats-Unis, il faut admettre qu'ils jouent le rôle de médiateur et qu'ils ont permis de faire avancer beaucoup de choses. En tant qu'amis d'Israël, ils peuvent se permettre de faire pression sur Israël et de formuler des remarques que d'autres ne pourraient pas faire.

Le sommet arabe qui va se tenir au Caire n'a été convoqué que pour dénoncer Israël et encenser l'attitude de M. Yasser Arafat. Au moment où tant d'efforts sont faits et où la situation commence à se calmer, les effets d'un tel sommet peuvent encore tout remettre en cause. Il y a là un rôle que la France pourrait utilement jouer, celui d'utiliser son influence pour que ce sommet n'ait pas lieu, ou en tout cas pour qu'il n'entraîne pas des conséquences trop néfastes.

Il est vrai qu'être une démocratie donne des droits et des devoirs, mais cela ne doit pas aller pour un peuple jusqu'à se suicider. De plus, Israël est victime d'une communication parfois tendancieuse, par l'utilisation facile d'images choquantes, parfois fausses, comme cette photo d'un soi-disant manifestant palestinien ensanglanté, en fait un étudiant israélien blessé par des Palestiniens, publiée dans Libération. De même l'angle de prise de vue de l'enfant palestinien tué devant une caméra de télévision ne donne pas toutes les informations sur la réalité du contexte de cette tragédie, plus complexe qu'on ne l'a dit.

Concernant l'état d'esprit de M. Ehud Barak à Camp David, et notamment Jérusalem, le Premier ministre a tenté de forcer une opinion israélienne réticente. Mais depuis les événements des trois dernières semaines, même la confiance des partisans d'Oslo a été ébranlée. Le processus de paix va redémarrer, mais il n'est pas sûr que M. Ehud Barak puisse se permettre de repartir sur la même base de négociation que les propositions de Camp David, car l'opinion publique doit être prise en compte. Il faut reconstruire une confiance mutuelle mise en place en dix ans mais détruite en trois semaines.

Le Président François Loncle a remercié M. Jacques Revah de ses réponses directes. Il a regretté que le fossé entre Israéliens et Palestiniens semble s'être élargi. Pourtant, il faut continuer à _uvrer pour la paix, la France notamment a un rôle à jouer dans ce processus.

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