Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 9 novembre 2000
(Séance de 9 heures 45)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. David Byrne, commissaire européen à la santé et à la protection des    consommateurs, sur la sécurité alimentaire
- Informations relatives à la Commission


3
8

Audition de M. David Byrne, commissaire européen à la santé et à la protection des consommateurs, sur la sécurité alimentaire

Le Président François Loncle a accueilli M. David Byrne, rappelant qu'après avoir été Procureur général en Irlande, il avait été nommé membre de la Commission européenne en 1999, chargé de la santé et de la protection des consommateurs. Dans un contexte assez difficile où la filière bovine est mise en cause, et où la crainte s'empare des esprits quant à la sécurité alimentaire, il a jugé indispensable de connaître la réflexion d'un représentant de l'Union européenne, souvent accusée d'être insuffisamment active face aux risques que le consommateur craint d'encourir.

M. David Byrne a souligné que s'exprimer devant une institution telle que l'Assemblée nationale était un grand honneur : cette audition lui permet de présenter les initiatives prises par la Commission européenne ces derniers mois, lesquelles s'insèrent dans l'ambitieux programme établi dans le Livre Blanc sur la sécurité alimentaire.

La Commission européenne a plus particulièrement annoncé le 8 novembre une proposition de règlement sur les principes et les exigences inhérents à la législation alimentaire et sur la création d'une Agence de sécurité alimentaire. Le commissaire européen a tenu à souligner que ces nouvelles propositions, de large portée, très détaillées et complètes, ont été élaborées très rapidement. La Commission continue en effet d'agir pour restaurer la confiance de l'opinion publique, qui est en droit d'attendre la plus grande sécurité alimentaire. L'établissement d'une chaîne alimentaire fiable, coordonnée et contrôlée efficacement est à ce titre indispensable pour se prévaloir de la confiance des consommateurs comme de celle des partenaires commerciaux de l'Union. Dans son Livre Blanc, la Commission a relevé que les consommateurs doutaient de la sécurité de l'alimentation, ce qui entraîne une perte de confiance dans la législation sanitaire elle-même et dans les institutions européennes et nationales.

C'est pourquoi elle a jugé nécessaire de procéder à des aménagements importants de l'organisation administrative communautaire dans ce domaine, afin de s'appuyer davantage sur l'avis de scientifiques indépendants et de haut niveau : d'où la proposition de créer une autorité européenne de la sécurité alimentaire, suggestion qui a été approuvée aussi bien par le Parlement européen que par l'ensemble des parties consultées dans le cadre de la préparation du Livre Blanc.

La proposition de règlement fixe les objectifs qui doivent être ceux de la législation alimentaire, et précise que cette dernière doit se fonder sur un avis scientifique établi dans la transparence et l'indépendance. L'Agence bénéficiera d'une large compétence pour donner des avis scientifiques sur l'ensemble de la chaîne alimentaire. La proposition fixe le principe selon lequel la traçabilité des produits alimentaires et de leurs ingrédients doit être assurée tout au long de la chaîne de production. Il appartiendra aussi à l'Agence de mettre à la disposition du public toute information utile sur la sécurité alimentaire et en particulier sur les risques graves qui peuvent apparaître. En outre, un système d'alerte rapide est prévu en cas d'apparition d'un risque grave : il sera mis en _uvre par l'Agence, qui travaillera en collaboration avec la Commission européenne pour la gestion des crises alimentaires. Au sein de l'Agence, sera instauré un conseil consultatif composé de représentants des organismes chargés de la sécurité alimentaire dans les Etats membres, et un réseau liera l'Agence à ces organismes.

Le Livre Blanc sur la sécurité alimentaire comporte par ailleurs un ambitieux programme de réformes législatives. Plusieurs propositions ont déjà été présentées, dont certaines sont soumises à la négociation du Conseil ou à l'examen du Parlement européen. Les principales concernent la restructuration de la législation en matière d'hygiène alimentaire, une décision sur le retrait des matières présentant un risque spécifique, les directives fixant une norme maximale pour les résidus de pesticides dans l'alimentation et un règlement sur les modalités de surveillance afférentes, la directive concernant la mise sur le marché des composants des produits alimentaires, les inspections officielles concernant l'alimentation animale, la directive sur les compléments alimentaires et enfin, la proposition d'amendement des directives sur les déchets animaux et leurs produits dérivés. D'autres propositions encore sont à l'étude.

En ce qui concerne l'ESB, le commissaire européen a indiqué qu'il comprenait la préoccupation de l'opinion publique et du gouvernement français face à l'extension de la maladie dans le cheptel bovin français. Il a cependant souligné que, selon les statistiques, le nombre d'animaux malades s'établit à sept par million de bovins âgés de plus de deux ans, à comparer avec les 100 cas par million de bovins reconnus dans certains Etats membres plus touchés par l'épidémie. L'augmentation des cas français provient partiellement de la surveillance accrue établie par les autorités françaises, y compris des tests. Si on cherche, on trouve. Le public français devrait être rassuré par cette approche responsable.

L'une des leçons à tirer de ces événements est qu'il faut assurer une transparence totale de l'information délivrée à l'opinion. La confiance perdue à la suite d'une dissimulation des faits est très difficile à rétablir. Des erreurs ont été commises dans le passé quant à la gestion du problème de la maladie de la "vache folle". Depuis, des mesures très complètes ont été prises au niveau communautaire, qui devraient ramener le risque à un niveau très bas. On peut citer par exemple l'interdiction de l'alimentation des ruminants avec les déchets de mammifères et les déchets osseux, les normes sévères relatives à l'utilisation des déchets animaux, la destruction des matériaux à risque, les tests de dépistage de l'ESB et les sondages effectués dans les troupeaux.

Ces contrôles ont énormément progressé depuis l'an dernier. Mais le commissaire européen a insisté sur le fait qu'ils doivent être réalisés de la façon la plus stricte dans les Etats membres sans admettre aucune complaisance ou aucun écart, ce qui relève pleinement de la responsabilité des Etats membres. Des mesures supplémentaires sont actuellement en discussion en France ; pour être crédibles, elles doivent se fonder sur des avis scientifiques transparents. Le Comité Vétérinaire Permanent européen devra évaluer toute nouvelle proposition.

Tout en soulignant l'importance de la création d'une autorité européenne de sécurité alimentaire ainsi que des contrôles engagés en la matière depuis l'an passé, Mme Martine Aurillac a néanmoins fait remarquer que les avis scientifiques exprimés sur ce sujet sont souvent contradictoires et que de nombreuses fraudes ont été décelées, créant ainsi un climat de suspicion et d'inquiétude en France notamment. Notre pays envisageant d'ailleurs de supprimer les farines animales, d'effectuer des tests systématiques de dépistage au niveau des abattages et de retirer du circuit alimentaire les animaux nés avant 1996, elle a demandé au commissaire européen son sentiment sur ces mesures.

M. Pierre Brana a souhaité savoir à quel stade en étaient la proposition de juillet 1999 qui envisageait de rendre plus efficaces les dispositions sanitaires en matière d'hygiène alimentaire, ainsi que les quatre nouveaux règlements censés simplifier les dix-sept directives existant actuellement. Concernant la question de la traçabilité, ne pourrait-on accélérer la mise en place de la procédure d'information sur le lieu de naissance et d'élevage des bovins qu'il est pour l'heure prévu de rendre obligatoire au 1er janvier 2002 ? Enfin, si les farines animales destinées aux animaux d'élevage venaient à être interdites comme cela est envisagé, l'Europe serait conduite à importer des protéines végétales produites par les Etats-Unis et le Brésil avec le risque d'introduire des OGM. Ne tomberait-on pas alors de Charybde en Scylla ? Il faut en outre rappeler que l'Union européenne a limité à 5 millions d'hectares la surface affectée à cette culture. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas modifier ce plafond ?

M. Jean Gaubert a souhaité aborder la question de l'évolution de la politique européenne. Nombreux sont les Français qui se posent la question de savoir si trop longtemps l'Union européenne n'a pas sacrifié la sécurité alimentaire à l'organisation du grand marché qu'il ne fallait pas entraver. Or, comment peut-on avancer sur des mesures sanitaires très strictes si on ne considère pas que celles-ci doivent primer avant tout ? Enfin, outre la question de la sécurité sanitaire, ne faut-il pas s'interroger sur le bien-être animal et le risque de cannibalisme parmi les animaux omnivores ?

M. David Byrne a répondu aux questions.

La fraude est un problème très sérieux. Quelles que soient la législation, les mesures de contrôle et la qualité des personnels qui les appliquent, si des individus se lancent dans des activités frauduleuses, l'ensemble du système sera mis en question. Des cas de fraude ont été relevés, y compris dans l'Ouest de la France. Il y a un système en place et il est donc essentiel de s'assurer que tous les Etats membres organisent des systèmes de lutte contre la fraude. Aussi tous les Etats membres doivent-ils s'assurer que tout sera mis en _uvre pour les combattre. Si des délits pénaux étaient constatés, il faudra immédiatement engager des poursuites et punir les coupables par des peines très lourdes afin d'éviter qu'on ne soit tenté de commettre de tels actes.

La simplification de la réglementation européenne sur l'hygiène alimentaire est en cours ; il est proposé que les dix-sept directives existantes soient en effet reprises dans quatre règlements couvrant tous les problèmes sanitaires. Le Parlement européen et le Conseil des Ministres doivent s'exprimer sur ces textes.

La question de la traçabilité des produits est essentielle. La réglementation proposée contient un article sur les règles d'étiquetage. Le lieu d'abattage et de conditionnement doit être porté sur les étiquettes mais le lieu de naissance n'y figurera qu'à partir de janvier 2002 - la date initialement prévue était janvier 2003. L'hypothèse de faire figurer le lieu de naissance dès septembre 2001 a été discutée en Conseil des Ministres mais la nécessité de constituer une base de données a empêché de réduire les délais.

Il existe une proposition de directive, introduite il y a une semaine, concernant les résidus que l'on retrouve dans les aliments pour animaux. Elle prévoit que l'on ne peut y introduire que ce qui est autorisé pour l'alimentation humaine.

En cas d'interdiction des farines animales, il sera nécessaire de les remplacer par des protéines végétales, que l'Union européenne devra importer de pays autorisant les OGM. Actuellement, il n'y a pas d'éléments scientifiques indiquant des risques pour l'alimentation provenant de produits dérivés d'OGM, contrairement au problème de l'ESB. Les options retenues par les politiques pour les OGM doivent s'appuyer sur des bases scientifiques.

Quant à l'interaction entre sécurité alimentaire et organisation du marché unique, M. David Byrne a déclaré appliquer le principe fondamental de la responsabilité de la Commission européenne en matière de sécurité alimentaire et de santé publique. Ce principe doit primer sur tous les autres. Aucun de ses collègues commissaires n'a d'ailleurs exprimé d'avis contraire sur ce point.

S'agissant des marchandises qui passent par plusieurs pays membres sans que leur origine ne soit établie, des directives ont été prises. Il en est de même du bien-être animal et des risques de cannibalisme ; le contenu de la proposition de directive sur les résidus animaux a déjà été évoqué. Les méthodes d'abattage des animaux appliquées pour l'Aïd-el-Kebir posent un problème de santé humaine et de bien-être animal, sur lequel le commissaire David Byrne a attiré l'attention.

M. Léonce Deprez a observé que la Commission européenne donne généralement le sentiment en France d'être trop interventionniste. Par contre, en ce qui concerne la sécurité alimentaire, elle est apparue trop passive, ne réagissant pas à la poursuite des exportations de farines animales britanniques, pourtant interdites au Royaume-Uni, vers la France ou d'autres pays. La FNSEA a proposé que soient abattus tous les bovins nés avant 1996, cela semble-t-il envisageable à M. David Byrne au niveau européen ?

Le Président François Loncle a précisé que cette proposition d'abattage n'a pas été reprise par le Gouvernement français.

M. Joseph Parrenin a souhaité l'accélération des efforts visant à permettre une meilleure traçabilité de la viande bovine. Le consommateur veut en effet plus de transparence car le doute s'est installé dans sa relation avec le producteur. L'effort a trop longtemps été uniquement porté sur les questions de marché, sans se préoccuper de la qualité des produits, qu'elle soit sanitaire ou gustative. Depuis vingt ou trente ans, les décisions qui ont été prises dans le cadre européen et dans les négociations internationales ont eu pour principal but de tirer les prix vers le bas, ce qui a encouragé un certain mode de production.

M. Joseph Parrenin s'est inquiété de l'indépendance technologique de l'Europe en matière agricole si elle était contrainte à procéder à des importations massives de produits protéinés pour remplacer les farines carnées.

M. Alain Barrau a remarqué que l'Union européenne avait à son actif des réalisations importantes, dans le domaine du marché unique, de la politique commerciale, des politiques communes. Sur ce modèle il est souhaitable que l'Union prenne mieux en compte les préoccupations quotidiennes des citoyens, notamment dans le domaine de la consommation, par des actions rapides. Il s'agit d'ailleurs là d'une des priorités de la présidence française. Dans ce domaine de la sécurité alimentaire, il faut changer la place concrète et l'image de l'Europe. Ainsi, comment comprendre que la Commission européenne, qui affirme la nécessité de cette évolution, condamne la France pour non-respect de la libre circulation des marchandises lorsqu'elle maintient l'embargo contre la viande britannique au nom du principe de précaution ?

Le Président François Loncle a voulu remettre en cause l'idée selon laquelle l'Europe serait responsable de tous les problèmes. Au contraire, l'organisation de l'Europe, notamment le rôle de la Commission, permet des contrôles sur les Etats et offre aux consommateurs des garanties supérieures à celles que peuvent offrir les législations nationales. Il s'est montré étonné que lorsqu'on évoque les problèmes de la filière bovine, seuls le Royaume-Uni et la France soient cités, comme si tout était parfait ailleurs.

Face à cette crise deux attitudes sont possibles. Celle qui consiste à privilégier la santé publique sur toute autre considération est la première. Malheureusement, l'autre attitude consiste, sous la pression des médias, à affoler les populations en faisant naître une véritable psychose au risque de remettre en cause sans motif scientifique pertinent l'ensemble d'une filière économique.

M. David Byrne a répondu aux intervenants.

La Commission actuelle, en choisissant de transférer certaines attributions de la direction en charge de l'agriculture à celle en charge de la protection du consommateur, a clairement donné un signal. Elle a aussi renforcé la cohérence de son action.

Il est injuste de dire que la Commission a fait trop peu et trop tard comme peut surtout en témoigner l'examen des législations adoptées depuis 1999, notamment celles relatives aux matières à risques spécifiés ou aux tests sur animaux décédés de mort suspecte. Et pourtant ces dernières législations ne faisaient pas l'unanimité parmi tous les pays de l'Union car certains d'entre eux estimaient qu'ils n'étaient pas concernés et refusaient d'en payer le coût. En particulier, la décision de retirer les matériaux à risque spécifiés est fondamentale. Il est donc faux de parler de passivité à propos de l'attitude de la Commission. Au contraire, elle a adopté de nombreuses mesures très détaillées et d'autres sont encore en discussion. Il est vrai que la procédure exige environ 18 mois pour qu'une législation soit promulguée.

La décision d'abattre les bovins nés avant 1996 devrait être examinée au regard des questions suivantes : une telle mesure améliorerait-elle le niveau de protection du public ? Des mesures mieux ciblées n'auraient-elles pas des résultats plus positifs ? Quelle est la relation entre les problèmes de mise en _uvre et le résultat ? La Commission n'a, à ce stade, pas reçu de propositions de la France. Elle devrait alors les examiner.

Il n'y a pas de corrélation entre le développement de méthodes industrielles et l'apparition de nouveaux dangers. Il s'agit alors de la recherche de la diversité et de la qualité de la viande. Les impératifs de santé publique et de sécurité alimentaire sont prioritaires. La Commission européenne y veille.

La nouvelle Agence de sécurité alimentaire européenne, composée de scientifiques travaillant de manière neutre et objective, est chargée d'analyser les risques encourus et éventuellement de lancer des mesures d'alerte directement auprès des consommateurs. C'est une autorité indépendante. Bien sûr, s'il fallait compléter la législation, cela relèverait de la responsabilité de la Commission (droit d'initiative) et du Conseil.

Il sera nécessaire de renforcer les relations entre les scientifiques de cette nouvelle autorité d'une part et ceux de la Commission européenne d'autre part, ainsi que les liens avec et entre les scientifiques nationaux. Les exemples passés montrent qu'il y a parfois divergence d'appréciations sur l'application du principe de précaution.

Aujourd'hui, ce qu'il est possible de dire, c'est que des risques existent et qu'il est nécessaire d'y faire face. Ces risques doivent être évalués par les personnes compétentes, dans le calme, afin de pouvoir mettre en place des mesures appropriées. Toute déclaration non fondée scientifiquement est une cause de panique et de perte de confiance. L'objectif de l'Union européenne est, par son attitude, de maintenir cette confiance.

*

*       *

Informations relatives à la Commission

La Commission a confié à M. François Léotard le soin de préparer, en collaboration avec un député de la majorité, membre de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées, un rapport d'information sur les événements de Srebrenica (juillet 1995).

*

*       *

Au cours de sa réunion du jeudi 9 novembre 2000, la Commission a procédé à l'élection d'un Secrétaire, en remplacement de M. René Mangin, démissionnaire.

M. Pierre Brana, unique candidat, a été nommé secrétaire.

En conséquence, le Bureau de la Commission est ainsi constitué :

Président :

M. François Loncle

Vice-présidents :

- M. Gérard Charasse

- M. Georges Hage

- M. Jean-Bernard Raimond

Secrétaires :

- M. Roland Blum

- M. Pierre Brana

- Mme Monique Collange

________


© Assemblée nationale