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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 novembre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes, sur la préparation du Conseil européen de Nice (audition commune avec la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne)



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Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes

Le Président François Loncle a souhaité la bienvenue à ses collègues, précisant que cette audition consacrée à la préparation du Conseil européen de Nice était ouverte à l'ensemble des députés. Il a souligné que, selon lui, le Parlement avait rempli sa tâche pendant le déroulement de la Conférence intergouvernementale. La Commission des Affaires étrangères notamment a procédé a de nombreuses auditions, parmi lesquelles plusieurs auditions de commissaires européens qui ont eu lieu conjointement avec la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ; des réunions ont aussi été organisées avec les parlementaires des commissions homologues des Quinze, et une rencontre a associé les parlementaires des pays candidats.

Le Président François Loncle a cité les mots du Ministre répondant à une interview récente, selon lesquels « il n'y a pas en France un appétit formidable pour de nouveaux transferts de souveraineté ». Face aux freins intérieurs et extérieurs qui s'exercent, y a-t-il encore une volonté politique de la France pour une construction européenne plus dynamique ?

M. Alain Barrau, président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, a rappelé que la Délégation avait adopté en février un rapport assorti de conclusions sur la réforme institutionnelle, lequel comportait les réflexions et les propositions de la Délégation en vue des négociations.

Il a observé que le Ministre avait assumé au cours de ce semestre la lourde responsabilité de préparer les positions de la présidence de l'Union tout en s'efforçant de défendre les positions françaises. Cette présidence est particulièrement difficile car elle revêt différents aspects.

Le premier aspect, qui suscite une forte attente, est l'aboutissement de la négociation sur les trois principaux problèmes de la réforme des institutions, à savoir la composition de la Commission européenne, l'extension du vote à la majorité qualifiée et la repondération des voix au Conseil, auxquels a été ajoutée la question d'un recours facilité aux coopérations renforcées. Un autre aspect est l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : quel sera le statut de cette Charte et de quelle façon renforcera t-elle notre acquis européen ? Le dernier aspect recouvre un ensemble de questions disparates très importantes qui relèvent de la citoyenneté européenne : la sécurité alimentaire, l'Agenda social auquel il s'agit de donner corps, l'adoption d'une réglementation européenne pour la sécurité maritime ou encore le développement de l'espace judiciaire et des affaires intérieures. Cette présidence a vu en outre de grandes avancées dans le domaine de la sécurité et de la défense européennes.

M. Alain Barrau a en conclusion demandé au Ministre si la France, favorable à un élargissement qui ne conduise pas à une vaste zone de libre-échange, sera en mesure, dès après le Conseil de Nice, d'être un acteur du processus d'élargissement.

M. Pierre Moscovici a répondu que, se trouvant à présent à trois semaines du Conseil européen de Nice qui doit clore la Présidence, il tentera de décrire ce que peut être le dessein français pour l'Europe. Il a souligné qu'il avait pu, au cours de ce semestre, constater le paradoxe existant quant à la demande d'Europe : l'Europe est critiquée si elle n'agit pas, et si elle agit elle l'est également, car il lui est alors reproché d'aller trop loin au regard des compétences des Etats-membres ; ce paradoxe donne à s'interroger sur le type d'Europe que nous voulons. En ce qui concerne l'évolution de l'Union européenne vers plus de fédéralisme ou de nouveaux transferts de souveraineté, le Ministre a indiqué que le préalable était en tout cas un fonctionnement efficace des institutions existantes. Plus tard pourrait être à son sens étudié une évolution vers une certaine forme de fédéralisme budgétaire qui permettrait à l'Union d'avoir une capacité budgétaire accrue.

Le Ministre a expliqué qu'en effet, la Présidence française a voulu faire avancer un grand nombre de dossiers de "l'Europe citoyenne". Le plus emblématique est celui de la Charte, texte percutant qui fera date, qui sera proclamée par les trois institutions européennes lors du Conseil européen de Nice, mais dont le statut juridique n'a pas encore été décidé par les Etats membres. On espère l'adoption de l'Agenda social, qui établit un plan de travail pour les cinq prochaines années, et des avancées dans le domaine de l'éducation sont attendues, avec un plan pour la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs. En ce qui concerne la sécurité du transport maritime, un premier « paquet » de textes a été adopté par le Conseil « transports » grâce aux efforts du Ministre des Transports : ces textes ne vont pas aussi loin que l'espérait la France, néanmoins l'on espère qu'ils seront complétés par l'adoption d'un deuxième ensemble de textes lors de la prochaine réunion de ce Conseil prévue les 20 et 21 décembre. Les trois éléments principaux de cette législation maritime sont : le renforcement considérable des contrôles sur les navires, le contrôle plus poussé des sociétés de classification, la fixation de dates et de modalités pour l'interdiction des navires à simple coque.

La Présidence française _uvre pour l'adoption prochaine d'une déclaration politique sur les services publics, qui marquera un meilleur équilibre entre les services économiques d'intérêt général et les règles du marché intérieur. Enfin, une déclaration sur la spécificité du sport par rapport aux mécanismes du marché devrait être adoptée.

Sur tous ces dossiers et d'autres encore, le souci de la Présidence française a été de montrer que l'Europe est un lieu de réponses pertinentes aux questions qui inquiètent nos concitoyens. Si l'on aboutit sur ces dossiers, la France présentera un bilan considérable.

La deuxième dimension de la Présidence française a concerné la défense européenne, pour lequel l'objectif est de parvenir à bâtir un système cohérent. Lundi s'est tenue à Bruxelles une réunion originale des Ministres des Affaires étrangères et de la Défense des Quinze, qui a succédé à la Conférence d'engagement des forces ; il a été ainsi possible de définir les forces susceptibles de participer à la défense européenne, qui seront plus proches des 100 000 hommes que des 60 000 initialement prévus. L'Europe veut affirmer sa capacité propre de se défendre sur son continent par ses propres moyens, que ce soit dans l'OTAN, en collaboration avec l'OTAN ou par elle-même.

Par ailleurs, ont été arrêtés les montants des programmes MEDA II à destination de la Méditerranée, soit 5,35 milliards d'euros sur sept ans, et CARDS pour les Balkans, soit 4,65 milliards d'euros également sur sept ans. Il s'agit pour ce dernier programme de participer à la reconstruction et à la démocratisation des Balkans : le premier sommet Union européenne-Balkans se tiendra prochainement à Zagreb.

Le troisième chantier a concerné l'élargissement de l'Union. Il ne peut exister d'Europe puissante sans réunification du continent européen. De plus en plus, les Français comprennent que nombre de sujets - comme la sécurité - ne peuvent être efficacement traités que dans un cadre européen. La perspective de l'élargissement comporte bien sûr des risques et des exigences mais elle constitue une chance économique, politique et culturelle et nous devons le faire savoir davantage. C'est pourquoi il convient de poursuivre cet objectif tout en prenant garde que l'adhésion des pays d'Europe centrale ne conduise à une dilution de l'Union dans une zone de libre-échange ou au démantèlement des politiques structurelles. La condition préalable en est donc la réforme des institutions.

Le quatrième enjeu tient précisément à la signature à Nice d'un traité susceptible de répondre aux questions laissées de côté à Amsterdam, questions déterminantes qui sont le fonctionnement efficace et, à terme, le plafonnement du nombre des membres de la Commission, une large extension du vote à la majorité qualifiée et la repondération des voix au sein du Conseil, auxquels il convient d'ajouter la réforme des coopérations renforcées, qui constituent un élément de flexibilité et de souplesse dans une Europe devenue plus hétérogène.

Le Ministre délégué a déclaré qu'en dépit des difficultés qu'il restait à surmonter, il demeurait confiant sur l'issue de la Conférence intergouvernementale. L'enjeu des réformes est double : améliorer le fonctionnement actuel de l'Europe et préparer l'élargissement. Le dessein poursuivi est une Europe élargie qui soit aussi une puissance et un espace de cohésion.

Souhaitant aller plus loin dans la réflexion sur les résultats du Conseil européen de Nice, M. François Léotard a regretté que M. Pierre Moscovici n'ait pas beaucoup parlé du c_ur de ce Conseil, à savoir la réforme institutionnelle. Or, les parlementaires craignent de n'être informés des résultats du Conseil européen que par la presse. A cet égard, il a souhaité savoir à quel stade on est arrivé. Depuis le début des années 1990, les Européens ont de plus en plus orienté leurs regards vers l'Est, donnant le sentiment qu'ils n'aiment pas le Sud. Or, le récent échec de la conférence euro-méditerranéenne de Marseille et la résurgence des violences au Proche-Orient nous rappellent que les déséquilibres économiques et sociaux de cette région sont des facteurs de risques beaucoup plus grands que ceux qui existent à l'est. Pourquoi les crédits du programme MEDA n'ont-ils pas été utilisés ?

M. Henri Bertholet a souhaité aborder la question brûlante de la tragédie du Proche-Orient précisant que, dans d'autres circonstances, les puissances européennes avaient su s'engager pour faire pression sur la puissance occupante et la contraindre à évacuer les territoires qu'elle occupait. A cet égard, il a rappelé que l'Union européenne était un partenaire commercial majeur d'Israël et qu'il existait un accord d'association prévoyant un dialogue politique permanent. Cet accord comporte une clause qui permet de suspendre l'accord en cas de violation des droits de l'Homme.

Au moment où la liste des victimes s'allonge et où l'engrenage des violences s'enclenche, le Conseil européen de Nice pourra-t-il se contenter d'exhorter les deux parties à cesser les violences sans mettre en garde contre une violation du droit international et utiliser des arguments plus décisifs auprès de la seule partie au conflit qui détient la clé d'une solution ?

M. René André a fait référence à l'interview accordée ce jour par M. Pierre Moscovici au journal "Le Monde" où il réinvente le "ni-ni" en parlant de "ni dérive intergouvernementale, ni dérive communautaire" avec le risque d'un statu quo. Il a demandé des précisions sur ce point. De même, il a demandé des précisions sur le "fédéralisme d'Etats-nations" évoqué par M. Pierre Moscovici. Rappelant que les partisans de l'Europe sociale sont nombreux, il a demandé à M. Pierre Moscovici s'il pouvait démentir le fait que, lorsqu'il s'agissait concrètement de convaincre les Allemands et les Anglais d'accepter une normalisation européenne, il en allait tout à fait différemment. Enfin, M. René André a demandé des précisions sur les propos récents de M. Robin Cook selon lesquels, en matière de défense européenne, l'Europe avait déjà l'OTAN et c'était suffisant.

M. Pierre Brana a souhaité savoir quelles étaient les propositions de la Présidence française les plus controversées, citant l'exemple du projet de directive sur l'information et la consultation des salariés qui provoque l'opposition des Britanniques et des réserves de la part des Allemands. Par ailleurs, il a demandé à quel stade en était le projet de procureur européen, notamment en vue d'améliorer la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de la Communauté.

Le Ministre a répondu aux intervenants.

Sur la Conférence intergouvernementale, M. Pierre Moscovici a admis que jusqu'en septembre aucun progrès n'avait été accompli. C'est après cette date que les discussions ont commencé à entrer dans le vif du sujet, notamment grâce au Conseil informel de Biarritz, qui s'est avéré très utile.

Les Quinze ont progressé sur la question des coopérations renforcées : le nombre minimal de huit pays pour entreprendre une telle coopération, devrait être admis, et l'on envisage un nombre plus faible (qui pourrait être de trois pays) pour les initiatives en matière de sécurité et de défense, mais cette question doit encore être débattue lors du prochain conclave. La clause d'appel au Conseil - en fait un véritable droit de veto - face à une initiative de coopération renforcée, devrait être abandonnée. Enfin, le champ de ces coopérations a été circonscrit, elles ne pourraient notamment pas concerner le fonctionnement du marché intérieur ou la cohésion.

Les débats sur l'extension du vote à la majorité qualifiée ont également avancé : les Quinze se sont déjà mis d'accord sur 37 à 38 domaines parmi les 45 domaines pour lesquels le passage à la majorité qualifiée était envisagé. Des difficultés demeurent, notamment pour la coordination des régimes de sécurité sociale, pour les domaines de l'asile, des visas et de l'immigration, et aussi en ce qui concerne les négociations multilatérales relatives aux services publics, en particulier l'audiovisuel, domaines pour lesquels la France est très réticente.

En ce qui concerne la structure de la Commission, nous allons vers un plafonnement par étapes ; à Nice, aucun Etat ne perdra son commissaire, mais pour plus tard, il devrait être admis qu'il n'y aura pas toujours un commissaire par Etat membre.

Il est vrai que sur la repondération, la situation reste confuse. Il y a apparemment une tendance pour écarter la mise en place d'une double majorité, mais prôner une majorité simple peut recouvrir des approches très différentes. En tout état de cause, il est indispensable que la repondération soit réelle. Cependant, sur une question aussi sensible et politique, il paraît acquis qu'aucun accord ne peut être trouvé par des diplomates, ou même des ministres ; ce problème ne peut donc trouver de réponse qu'à Nice.

Répondant à M. René André sur l'attitude de M. Robin Cook à l'égard de la politique européenne de sécurité et de défense, M. Pierre Moscovici a observé que, s'il y a certes parfois des divergences de vues entre la France et le Royaume-Uni, le Ministre britannique des Affaires étrangères s'est toujours montré particulièrement en pointe sur la mise en place d'une armée européenne, idée qui est d'ailleurs née à Saint-Malo lors d'un sommet franco-britannique.

S'agissant de la Méditerranée, M. Pierre Moscovici a indiqué que l'ouverture vers l'Est ne se fait pas au détriment du Sud. L'élargissement est une perspective historique très importante pour laquelle il faut d'ailleurs faire un important travail de pédagogie pour convaincre des opinions parfois réticentes. D'ailleurs, il concerne aussi la Méditerranée, Chypre et Malte devant faire partie de la prochaine vague d'adhésion, sans parler de la Turquie qui est aussi candidate. Le partenariat euro-méditerranéen reste une priorité. La réunion de Marseille a été difficile, notamment du fait de l'absence de la Syrie et du Liban, mais elle a été utile. Pour ce qui concerne le problème plus spécifique de la sous-consommation des crédits du programme MEDA, cela s'explique autant par les procédures internes à la Commission, problème sur lequel travaille le commissaire Chris Patten, que par la difficulté qu'ont certains pays à respecter les conditions exigées pour les aides.

Au Proche-Orient, l'Union européenne n'est pas l'acteur le plus important, mais elle joue un rôle bien plus fort qu'auparavant. Ce rôle consiste à parler aux uns et aux autres, à avoir une position équilibrée de facilitateur de paix, en n'oubliant pas qu'il y a deux parties dans ce conflit.

Concernant la critique qui lui est faite d'adopter une position de "ni, ni" sur la construction européenne - ni dérive intergouvernementale, ni dérive communautariste -, M. Pierre Moscovici a estimé que ces deux dérives existaient réellement. Ainsi, son approche est de revenir à l'esprit du triangle institutionnel en réformant chacun de ses volets dans l'esprit des pères fondateurs. Une fois que la Commission, le Parlement et le Conseil, qui ne fonctionnent pas de façon optimale, auront été réformés, il sera alors possible d'envisager dans ce cadre une certaine forme de fédéralisme, notamment en matière budgétaire. La construction européenne est d'une nature particulière, la formule lancée par Jacques Delors et reprise par Joschka Fischer d'une fédération d'Etats-Nations le résume très bien.

Sur l'Europe sociale, il demeure des blocages et les deux directives précitées n'ont pas été adoptées. Il faut que l'Europe sociale se dote d'un programme : c'est le sens de l'Agenda social.

S'agissant de la justice, l'Union européenne s'oriente vers une harmonisation et une coopération plus grandes des parquets et non vers la création d'un parquet européen.

M. Jacques Myard a observé que l'enthousiasme du premier semestre était retombé et que le Ministre avait décrit une Présidence en berne, et reconnu que Nice serait un échec. A l'évidence, on a atteint les limites de la méthode communautaire. Il est des matières pour lesquelles il est impossible de remettre en cause la souveraineté nationale par la règle de la majorité. En revanche, la méthode intergouvernementale a permis la réalisation d'Ariane, d'Airbus et permettra à l'avenir la construction de l'Europe de la défense, si les Etats, à commencer par la France, acceptent de s'en donner les moyens. C'est cette méthode intergouvernementale qui devrait prévaloir pour réunifier le continent européen.

Mme Béatrice Marre s'est fait l'écho de l'inquiétude de l'opinion publique sur la mondialisation et une trop grande perte de souveraineté et a souhaité que l'Europe soit plus efficace et plus rapide sur des sujets comme la sécurité alimentaire et la sécurité maritime. Elle a demandé où en étaient le projet de création de l'agence de sécurité alimentaire et la possibilité pour les Chefs d'Etat et de Gouvernement d'adopter une déclaration sur les services publics.

M. Paul Dhaille a souhaité des précisions sur le contenu et la place juridique exacte de la Charte européenne des droits fondamentaux. Qu'en est-il de ses références à la religion dans son préambule ? Comment s'inscrit-elle par rapport aux autres traités, notamment ceux du Conseil de l'Europe ? Constatant que, lors des crises - sécurité alimentaire, transport maritime - l'Union européenne a un temps de réaction trop long, il a fait observer que ses concitoyens voulaient des réponses plus concrètes et plus rapides et que l'Union européenne s'engage à faire respecter ses propres décisions.

M. Hervé de Charette a jugé que les décisions que le Conseil européen s'apprêtait à prendre sur la défense étaient importantes, surtout sur la définition des relations entre les forces et les instances de commandement qui seront créées par l'Union européenne avec leurs homologues de l'Alliance atlantique. Selon lui, il est inimaginable que le Conseil de Nice ne prenne pas une position forte et significative sur le Proche-Orient, car la crise actuelle menace les intérêts vitaux de l'Union européenne. A ce sujet, il a rappelé que le Conseil européen de Venise, en 1980, avait pour la première fois défini une position commune de l'Union sur le Proche-Orient, ce qui n'avait suscité aucune difficulté. Aussi est-il nécessaire d'expliquer comment l'Union souhaite réagir. Observant que sur le futur traité de Nice, le Gouvernement avait eu successivement deux attitudes : "on n'acceptera pas n'importe quoi", puis "on est près d'aboutir à un bon traité", il a souhaité savoir ce qui était considéré comme inacceptable et comme prioritaire et sur quels points il était envisagé de faire des concessions. Il a demandé si, aux termes de ce traité, l'Union européenne serait en état de rédiger une constitution européenne.

M. Jean Ueberschlag a abordé la question des travailleurs français frontaliers avec la Suisse. L'Union européenne a signé des accords bilatéraux avec ce pays qui n'ont pas encore été ratifiés par les Parlements nationaux et c'est notamment le cas de la France. Dans ces accords, l'annexe 2 permet de laisser le choix au travailleur frontalier de s'assurer socialement soit dans le pays d'emploi, soit dans le pays de résidence ; l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie ont signé cette annexe 2 mais la France, pas encore. Peut-on espérer que la France comble prochainement cette lacune ?

M. Alain Barrau, président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, a estimé que si l'extension des mécanismes de la politique commerciale commune aux services et à la propriété intellectuelle pouvait être décidée à la majorité qualifié, la société civile et les Parlements risqueraient de perdre des possibilités de contrôle sur les négociations commerciales multilatérales, ce qui sera un recul en termes de déficit démocratique. Enfin, considérant que la création d'une Agence européenne de sécurité maritime était une avancée, il a précisé que deux possibilités s'offraient : soit une position d'unanimité des Etats membres, mais pas d'instruments nouveaux, soit un système européen de garde-côtes du type des garde-côtes américains. Pourquoi ne voulons-nous pas aller plus loin ?

Le Ministre délégué a apporté les réponses suivantes.

En ce qui concerne la sécurité alimentaire, il faudra parvenir à Nice à un accord sur les grands principes de fonctionnement de la future Autorité alimentaire européenne, et notamment la transparence de ses avis. Le siège géographique de cette Autorité est encore en débat, la France ayant proposé la ville de Lille.

Le gouvernement français espère obtenir à Nice une déclaration politique sur les services publics afin de faire reconnaître qu'ils constituent une composante à part entière du modèle économique et social européen.

Le Ministre délégué a confirmé que la France s'était opposée au nom de sa Constitution et du principe de laïcité à l'introduction dans la Charte européenne des droits fondamentaux de toute référence à l'héritage religieux européen : seul le patrimoine spirituel y est évoqué. A vrai dire, les Allemands ont contourné cette opposition en employant dans la traduction allemande un mot signifiant à la fois spirituel et religieux, mais la version française constitue l'une des versions officielles du texte. Il est vrai que la Charte européenne n'a pas de statut juridique mais elle devrait constituer une source d'inspiration pour la Cour de Justice des communautés européennes.

En réponse aux critiques sur les délais de réaction de l'Union, le Ministre délégué a lancé une mise en garde contre toute tentation démagogique. Bien sûr l'Europe ne fonctionne pas comme elle le devrait : c'est justement la raison pour laquelle il est nécessaire d'entreprendre des réformes. Mais quelles que soient les améliorations qui seront apportées, il faut être conscient que l'Union est et demeurera un système complexe mettant en jeu quinze pays aujourd'hui - et demain peut-être trente - et trois institutions.

La Présidence française s'est déroulée conformément aux engagements pris. En termes de bilan, les améliorations relatives aux droits des citoyens, à la défense européenne, à l'élargissement et à la réforme des institutions permettront de conclure à un résultat satisfaisant. La France aura apporté sa pierre à la construction européenne.

Les relations entre l'Union européenne et l'OTAN sont fondamentales, mais elles sont particulièrement complexes du fait que certains pays appartiennent à l'Union mais pas à l'OTAN, ou à l'OTAN mais pas à l'Union. Pour l'heure, le dialogue engagé est plutôt positif, et il se place dans le cadre de la coopération et non de la subordination.

M. Pierre Moscovici a admis qu'il était important que le Conseil européen s'exprime à Nice sur la situation au Proche-Orient à l'occasion de l'échange sur les questions de politique étrangère qui est prévu. Il faudra développer une approche engagée et équilibrée, en sachant qu'il existe des différences d'approche et de sensibilité entre les Quinze.

Sur la question de la possibilité d'obtenir un accord à Nice, M. Pierre Moscovici a estimé que ses propos répétés sur l'éventualité que rien ne soit signé si un bon accord n'était pas trouvé avaient été utiles car ils ont rendu nécessaires des explications, préalables à un compromis qui semble aujourd'hui possible. La Présidence française n'acceptera pas pour autant n'importe quel compromis ; un traité de Nice ne pourra se faire que sur la base de progrès dans des domaines majeurs. Si aucune réforme de la Commission n'est envisagée, cela ne sera pas un progrès. Si la repondération ne permet pas l'émergence de majorités ou de minorités ayant un sens, ce ne sera pas non plus un progrès. De même, si aucune avancée n'est faite sur le vote à la majorité qualifiée ou l'assouplissement de la mise en place des coopérations renforcées, cela ne sera pas un progrès.

La question de la Constitution européenne doit être replacée dans le cadre de l'après Nice : il faudra tout d'abord donner une valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux, puis réécrire les traités devenus inintelligibles, puis revoir la répartition des compétences entre la Communauté et les Etats-membres, et enfin se posera la question de la Constitution, concept par ailleurs flou, qui recouvre des approches différentes selon les Etats membres, mais aussi en France même, si l'on se réfère aux projets déjà esquissés.

En ce qui concerne les régions transfrontalières, un rapport a été confié par le Ministre et par Mme Aubry à deux personnalités qui sont chargées d'étudier les problèmes posés afin de permettre des transitions intéressantes.

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Conseil européen de Nice

Union européenne


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