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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 janvier 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, et M. Gilles Marhic, chef du bureau du droit des conflits armés à la direction des affaires juridiques du ministère de la Défense, sur les déclarations ou réserves envisagées sur le protocole relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux




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Audition de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, et M. Gilles Marhic, chef du bureau du droit des conflits armés à la direction des affaires juridiques du ministère de la Défense, sur les déclarations et réserves envisagées sur le protocole relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux.

Le Président François Loncle a remercié MM. Ronny Abraham et Gilles Marhic, et a rappelé que lors de l'examen du Protocole relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, la Commission des Affaires étrangères, alertée par Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure, avait souhaité disposer d'informations complémentaires sur le contenu des nombreuses déclarations ou réserves envisagées par le Gouvernement. La question n'est pas bien sûr de discuter le droit pour le Gouvernement d'émettre des réserves mais d'éclairer le Parlement sur la nature effective de l'engagement international que la France s'apprête à prendre et que le Parlement doit autoriser. Ce souci d'informations a été exprimé à plusieurs reprises dans le passé par le Parlement, notamment par MM. Jean-Pierre Cot et André Chandernagor, lors des débats concernant la ratification de textes sur les droits de l'Homme.

M. Ronny Abraham s'est déclaré très honoré d'être auditionné par la Commission des Affaires étrangères sur les réserves et déclarations interprétatives que la France s'apprête à déposer lors de son adhésion au Protocole I.

Il a expliqué pourquoi le projet transmis à l'Assemblée nationale comportait dix-huit rubriques sans distinction entre réserve et déclaration interprétative. En théorie, il y a réserve lorsqu'un Etat entend limiter la portée de son engagement et déclaration interprétative lorsqu'il se borne à donner son interprétation pour éclairer l'ensemble des Etats-Parties, une telle déclaration étant purement indicative. Certains textes internationaux excluent expressément les réserves, d'autres les autorisent ou ne comportent aucune indication. Dans ce dernier cas, il est admis qu'un Etat peut faire des réserves si elles n'aboutissent pas à vider le texte de sa substance. Dans la première hypothèse, seules sont permises les déclarations interprétatives stricto senso. Dans la deuxième, la manière de qualifier a moins d'importance. Si le texte est qualifié de réserve, il est opposable aux Parties, s'il est qualifié de déclaration interprétative on peut toujours le requalifier en réserve. L'Etat qui fait une déclaration interprétative préserve ses droits et n'est tenu de l'appliquer que selon l'interprétation qu'il a donnée précédemment. La pratique française face à un traité est souvent d'utiliser la formule générale "réserves ou déclarations interprétatives" sachant que cette distinction n'a pas de portée juridique. Si la distinction existe, elle doit être relativisée.

M. Ronny Abraham a apporté des précisions sur les projets de réserves et de déclarations interprétatives ayant fait l'objet d'observations de la Commission des Affaires étrangères dans sa séance du 20 décembre 2000.

La rubrique 2 est très importante dans l'esprit du Gouvernement, puisqu'elle indique que les dispositions du Protocole I concernent exclusivement les armes classiques. Ce point, qui est bien plus une déclaration interprétative qu'une réserve, est en effet nécessaire au regard de la politique française de dissuasion nucléaire. De plus, elle est conforme aux déclarations déposées par d'autres pays. Enfin, il est important de préciser que ce texte ne porte en rien atteinte à l'application des Conventions de La Haye.

La rubrique 9 ne remet pas en cause la portée de l'article 50, à savoir que dans le doute, il faut considérer une personne comme ayant le statut de civil. Mais le doute doit s'apprécier en fonction de l'ensemble des circonstances.

La rubrique 10 définit la conception de l'expression "avantage militaire" pour le Gouvernement français. En effet les articles 52 et 57 du protocole posent la règle qu'une attaque militaire ne doit pas entraîner des pertes civiles excessives au regard de l'avantage militaire visé. La France accepte absolument cette règle de proportionnalité, elle précise seulement que cette dernière doit s'évaluer en fonction de l'ensemble des actions militaires menées dans le cadre d'une attaque, et non de tel ou tel élément isolé d'une attaque. Les opérations dans les Balkans ont montré l'importance d'une telle distinction.

La rubrique 11 ne doit pas être comprise comme s'opposant à la règle de l'interdiction des représailles sur les populations civiles.

La rubrique 16 interprète pour la France la règle de l'obligation d'annulation ou d'interruption d'une attaque dans certaines circonstances. Cette règle ne définit qu'une obligation de moyens et non de résultat. Elle doit en effet s'apprécier en fonction de l'information disponible pour le décideur au moment de l'attaque, et non en fonction d'éléments qu'il ignorait. Il faut noter que la Suisse a déposé une déclaration dans le même sens.

La rubrique 17 distingue les champs d'application respectifs du nouvel instrument et des Conventions de La Haye de 1907 qui régissent les opérations maritimes. De façon concrète, l'article 70 du protocole I, relatif aux actions de secours, ne portera pas préjudice à l'application des conventions en vigueur.

La rubrique 18 se rapporte à l'article 96 paragraphe 3 du Protocole I qui permet à un mouvement de libération nationale engagé dans une lutte contre une Partie contractante d'accéder à la qualité de Partie au protocole en déposant une déclaration, qui sera en quelque sorte l'équivalent d'une adhésion à la Convention. En vertu de cette rubrique, la France se réserve la faculté d'accepter ou non la déclaration, éventuellement faite par un mouvement armé se déclarant en lutte contre elle. La logique exige en effet que chaque Etat-Partie au Protocole I, quand il est directement concerné, puisse contester la qualification que s'est donnée à elle-même une organisation armée se dressant contre lui.

Mme Marie-Hélène Aubert a remercié M. Ronny Abraham des précisions apportées sur la méthode comme sur le fond mais s'est étonnée que certaines observations, qui relèvent du simple bon sens, figurent dans le projet de réserves ou de déclarations interprétatives. La présence de ces affirmations donne le sentiment d'une volonté d'affaiblir le Protocole I, notamment la rubrique 9, qui fait du devoir de s'informer des commandants une simple obligation de moyens, la rubrique 10 sur la globalité de l'attaque qui permet d'apprécier le nombre de victimes civiles en fonction du résultat que l'on veut obtenir, et la rubrique 18 sur la possibilité par les Etats de qualifier les belligérants. Elle a craint que ces textes ne conduisent à affaiblir la portée du Protocole I et contribuent ainsi à mettre en difficulté non seulement les militaires français engagés dans des opérations de maintien de la paix mais aussi les personnels sanitaires et les journalistes. Elle n'a pas estimé opportun que la France se distingue à ce sujet.

M. Jacques Myard a fait observer que les déclarations du Gouvernement français étaient la sagesse même. Il a rappelé que la France respectait ses engagements, à la différence de certains autres Etats. Lorsque la France appose sa signature au bas d'un texte, elle entend appliquer ce texte. Certes, la guerre est un acte d'exécution mais on ne fait pas la guerre sans casse. En conséquence, il ne faut pas pour autant condamner par avance l'ensemble des moyens pour agir. Sans ces réserves, la France risquerait d'être pénalisée et de se retrouver dans le camp des bourreaux. Il convient donc d'être extrêmement prudent.

M. Pierre Brana a souhaité des précisions sur la rubrique 2 du projet de réserves ou déclaration interprétative. Comment faut-il lire la partie pour le moins sibylline de ce texte, à savoir "ni porter préjudice aux autres règles du droit international applicables à d'autres armes, nécessaires à l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense" ?

Constatant que dans la rubrique 4, les termes employés étaient ambigus et dangereux, il s'est demandé s'il ne faudrait pas définir clairement les actes de terrorisme par rapport notamment aux régimes racistes ? En Afrique du Sud par exemple, les rébellions contre l'apartheid étaient qualifiées d'actes de terrorisme.

Evoquant dans la rubrique 6 la référence au paragraphe 3 de l'article 35, M. Pierre Brana s'est interrogé sur la pertinence d'une réserve tirée de "l'information disponible" alors que ce paragraphe 3 vise à interdire "les moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement".

Il a souhaité obtenir des éclaircissements sur la référence au paragraphe 8 de l'article 51 qui fait l'objet de la rubrique 11.

Le Président François Loncle s'est enquis du devenir de ces déclarations, réserves, protocoles et autres bonnes intentions lorsque l'intervention est effectuée par l'OTAN. Comment se noue le lien entre ceux qui s'engagent et ceux qui ne s'engagent pas ?

M. Ronny Abraham a répondu aux intervenants. L'article 1er paragraphe 4 ne se réfère pas à la notion de terrorisme, ce critère n'étant pas retenu par le nouvel instrument, aussi n'y a-t-il pas lieu de se fonder sur la distinction entre mouvement terroriste et mouvement de libération. La rubrique 18 permet à la France de ne pas être liée par la déclaration faite par un mouvement armé se prétendant en lutte armée contre les autorités françaises. Elle ne vise que ce point.

Ainsi, si un mouvement armé se prévalant d'un conflit avec la République française fait une déclaration au titre de l'article 96 et prétend entrer dans le champ de l'article 1 du Protocole, la France peut déclarer qu, selon elle, ce mouvement ne remplit pas les conditions formulées à l'article 1 paragraphe 4 du Protocole.

En ce qui concerne la rubrique 6, visant l'article 35, la mention de "l'information disponible" s'applique en réalité à la seconde hypothèse visée par le paragraphe 3 de cet article 35, celle des moyens de guerre "dont on peut attendre qu'ils causeront des dommages".

M. Gilles Marhic a expliqué que la France inscrivait d'ores et déjà les actions qu'elle entreprend et la formation de ses militaires dans le cadre des règles édictées par le Protocole I. Quel que soit le cadre, et y compris celui de l'OTAN, et que ce soit au stade de la planification ou à celui de la mise en _uvre, la France, quand elle intervient sur le terrain, a à c_ur de remplir les obligations internationales qu'elle a souscrites.

M. Ronny Abraham a fait observer que le Protocole I était un socle de principes qui engageait la majorité des Etats-membres de l'OTAN, même si certains n'y étaient pas Parties.

M. Gilles Marhic a ajouté que certaines rubriques pouvaient apparaître comme de simple bon sens, cependant quand on se plonge dans la doctrine ou que l'on observe l'attitude des autres Etats, on reste perplexe. Aussi est-il légitime pour le Gouvernement français d'expliquer quelle est sa lecture du Protocole I et de montrer son souci de transparence.

S'agissant de la rubrique 2, ceux des Etats qui ont fait une déclaration interprétative en ce sens ont visé exclusivement les armements classiques et ont exclu expressément l'arme nucléaire. Dans son avis du 8 juillet 1996 la Cour internationale de justice utilise le même langage. Il y a d'une part la catégorie des armes classiques et d'autre part les autres armes dont l'arme nucléaire.

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● Protection des victimes


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