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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 janvier 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Mark Malloch Brown, administrateur du PNUD

- Informations relatives à la Commission

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Audition de M. Mark Malloch Brown, administrateur du PNUD

Le Président François Loncle a souhaité la bienvenue à M. Mark Malloch Brown, administrateur du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et aux membres de son équipe, Mme Sorgho-Moulinier, directrice du bureau européen de Genève, M. Fabre et Mme Turkoz-Cossler.

Il a rappelé qu'après avoir été journaliste, M. Mark Malloch Brown avait travaillé à la Banque mondiale et qu'il est depuis 1999 administrateur du PNUD. Citoyen britannique, il est le premier Européen à remplir ces fonctions et il a succédé à un Américain.

Le Président François Loncle a indiqué que depuis plusieurs mois les contacts entre la Commission des Affaires étrangères et le PNUD s'étaient accrus, qu'il avait reçu Mme Sorgho-Moulinier et avait promis de se rendre au siège du PNUD à Genève.

M. Mark Malloch Brown s'est réjoui d'être auditionné par la Commission des Affaires étrangères au moment même où l'Assemblée débattait de la décentralisation qui est un aspect essentiel du développement. Il a rappelé qu'au moment du lancement du rapport 2000 du PNUD sur le développement humain il avait été amené à réfléchir sur les enjeux essentiels et sur les défis auxquels devait faire face le PNUD.

Le contexte du développement a changé en dix ans. Pendant la guerre froide il dépendait d'un système d'alliances ; maintenant il dépend de la mondialisation. La période actuelle est particulièrement significative ; on assiste à l'acceptation massive de la démocratie et de l'économie de marché. Alors que dans les années quatre-vingts, deux milliards d'individus seulement vivaient en démocratie et un milliard en économie de marché, ils sont actuellement quatre milliards à vivre en démocratie et cinq milliards en économie de marché.

Les pays en développement ont donc dû faire face à des changements massifs qui ont bénéficié à de nombreux Etats latino-américains et d'Asie, à certains pays comme l'Inde, la Corée du Sud, la Thaïlande voire l'Indonésie. Cependant ces transformations ont aussi eu un impact négatif sur certains des pays comme le Pakistan qui est redevenu non démocratique. Les populations fragiles (personnes âgées...) des pays de l'ancien bloc de l'Est ont souffert de ces évolutions malgré l'établissement de la démocratie. Des pays en croissance sensible comme le Botswana ont régressé à cause de la pandémie de sida. Actuellement le développement est moins linéaire, des régressions sont toujours possibles. Les décisions prises par les Etats ont un impact positif sur le développement si elles sont adaptées. Dans ce contexte, le rôle du PNUD est important d'autant que l'aide au développement diminue. L'aide française qui fut généreuse par le passé a diminué, le PNUD a ressenti cette baisse. Fort heureusement M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération, a récemment inversé la tendance ; il reste que la contribution française ne représente que 2 % des contributions du PNUD.

La réduction de l'aide au développement des autres bailleurs de fonds conduit le PNUD à définir une stratégie de gestion de ses ressources et à mettre l'accent sur son avantage comparatif. Le PNUD est d'abord une agence de développement des Nations Unies dont la priorité se détermine en fonction des pays en développement, ce n'est pas une agence du G7 ou de l'Union européenne.

M. Mark Malloch Brown a expliqué que l'administration du PNUD était parvenue à la définition de six priorités, considérées comme essentielles tant par l'administration de l'organisation que par les principaux pays donateurs. Ces priorités sont les suivantes :

- l'appui à la bonne gouvernance, notion anglo-saxonne qui comporte la préoccupation française relative au développement des institutions, mais qui est plus large, englobant par exemple le développement de l'éducation, des services de santé ou encore le renforcement des droits des femmes. La moitié des ressources du Programme est consacrée à cette priorité ;

- l'encouragement, au sein des pays bénéficiaires, du développement des politiques en faveur des plus pauvres, ce qui passe par exemple par une optimisation tant des ressources que des dépenses en faveur des couches les plus pauvres de la population ;

- l'environnement, domaine d'action traditionnel du PNUD, mais dans lequel son action sera dirigée vers des secteurs où les autres intervenants sont moins présents, comme les énergies propres, qui font l'objet d'une forte demande ;

- le développement de la présence du PNUD de façon plus décentralisée, laissant une large responsabilité aux représentants sur le terrain. L'organisation est présente dans 136 pays au total, et se trouve, dans beaucoup d'entre eux, au centre de l'action en faveur de la gouvernance, ainsi qu'au centre de l'action pour la résorption des crises et pour le développement après les périodes de conflits ;

- l'action contre le SIDA, dont la propagation cause une crise majeure dans beaucoup de pays, les privant de la génération active de leur population et entraînant la destruction des familles et des communautés, ainsi qu'un ralentissement de l'augmentation du PNB, déjà ressenti du fait du manque de forces vives de la population et de la diminution des personnes qualifiées ;

- les nouvelles technologies : il ne s'agit pas là de céder à une mode, mais d'utiliser l'information à distance pour, par exemple, étendre le micro-crédit en en réduisant les coûts, pallier l'absence de médecins, ou améliorer les possibilités éducatives des enfants.

De façon générale, l'action du PNUD privilégie la qualité du conseil à la dimension du projet. Elle se base aussi souvent que possible sur le partenariat avec des organisations ou des pays déjà présents (c'est souvent le cas de la France) et expérimentés dans le pays bénéficiaire. M. Mark Malloch Brown a estimé que l'objectif, cité par le Président Jacques Chirac, de réduire de moitié le nombre des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2020 est réaliste. Il reflète en tout cas l'idée nouvelle que la pauvreté n'est pas une fatalité et qu'il est possible d'augmenter la croissance économique pour parvenir à ce que, dans quelques décennies, une bonne partie de la population mondiale puisse vivre au-dessus du seuil de pauvreté et acquérir les droits de base.

A cette fin, il convient de renforcer l'aide publique au développement, travailler sur la question de l'accès au marché pour les produits des pays les plus pauvres, diminuer la dette, permettre aux pays pauvres d'accéder aux nouvelles technologies. Quant aux pays pauvres eux-mêmes, il leur faut notamment renforcer leurs institutions et augmenter leurs dépenses de santé et d'éducation.

Après avoir remercié M. Mark Malloch Brown pour la clarté de son exposé et les priorités très importantes qu'il y a définies, le Président François Loncle a déploré la faiblesse de la contribution volontaire française au programme des Nations Unies pour le développement puisque la France n'occupe que le onzième rang derrière les Etats-Unis, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suisse et le Canada. Rappelant la baisse vertigineuse et scandaleuse de la contribution française qui est passée de 311 millions de francs en 1993 à 51,6 millions de francs en 1998 puis est remontée à 100 millions de francs en 2000, ce qui ne représente toutefois qu'un tiers du chiffre de 1993, il a appelé les parlementaires à être exigeants à l'égard des gouvernements français successifs et à se mobiliser sur tous les bancs de l'Assemblée nationale en direction des gouvernements quels qu'ils soient. S'agissant de la contribution volontaire française à l'UNICEF, les conditions sont identiques puisque là aussi la France occupe le onzième rang, même si les chiffres stagnent depuis quatre ans à 48 millions de francs après la chute de 1995 où la contribution française était passée à 7 millions de francs.

Abordant la question de la sédentarisation des populations rurales, Mme Christine Taubira-Delannon a souhaité connaître la position du PNUD s'agissant de la problématique de l'aide au maintien des populations dans les zones rurales. Soulignant que l'échange était inégal dans les relations internationales, elle a demandé si le PNUD se sentait concerné par un éventuel rééquilibrage de la situation. Elle a ensuite regretté la tendance actuelle, mais déjà constatée dans les années 60-70, des pays occidentaux qui attirent de plus en plus les élites du tiers monde. Enfin, elle a demandé si des progrès avaient été constatés dans le développement humain, faisant remarquer qu'il était nécessaire d'évaluer ces politiques publiques.

Alors que depuis dix ans le rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté était souvent en opposition avec le rapport annuel sur le développement humain, M. Pierre Brana a constaté que le rapport de la Banque mondiale pour l'an 2000 intégrait la notion que le développement implique la démocratie et semblait donc se rapprocher du PNUD. Rappelant que l'indice de développement humain était constitué de différents paramètres, il a demandé à M. Mark Malloch Brown s'il estimait que l'évolution des problèmes économiques allait entraîner une modification de ces paramètres. Enfin, le PNUD s'appuyant sur un savoir-faire, des techniques et des experts occidentaux, il s'est demandé s'il ne faudrait pas rétablir l'équilibre en faisant appel à des experts originaires du tiers-monde.

Le Président François Loncle a demandé à M. Mark Malloch Brown son appréciation sur l'efficacité de l'aide européenne et la coordination de celle-ci avec les aides nationales et le PNUD. Par ailleurs des correctifs de l'action européenne en la matière sont-ils souhaitables ? Il a ensuite souhaité connaître l'approche du PNUD en matière d'aide au développement dans les pays qui posent des problèmes au regard des droits de l'Homme. Il a notamment cité le cas de la Birmanie où les droits de l'Homme sont régulièrement violés et où l'action d'organisations intègres comme le PNUD peut poser problème car l'aide peut être détournée.

M. Mark Malloch Brown a répondu aux intervenants. Il a admis que la majorité des pauvres vivaient dans les zones rurales et qu'en dépit de l'urbanisation ce phénomène allait perdurer encore longtemps. Pour autant le développement anarchique de certaines mégalopoles, sans planification de l'espace et selon un urbanisme sauvage, pose des problèmes spécifiques très graves. Il est donc indispensable de mener une double stratégie de lutte contre la pauvreté en direction des villes et des campagnes.

Le PNUD mène ainsi de nombreuses actions pour favoriser le développement. Sur la question de l'énergie, le PNUD a publié récemment un rapport sur son utilisation qui révèle que les pauvres tarissent leurs ressources déjà maigres pour produire de l'énergie, en détruisant les forêts notamment. Il faut donc inciter à un développement des énergies alternatives et renouvelables. Dans un autre domaine, il est indispensable de favoriser l'émergence du micro-crédit, surtout dans les régions où les sources de financement des investissements sont négligeables comme en Afrique. Le PNUD attache également beaucoup d'importance au thème de la bonne gouvernance et au renforcement des sociétés civiles. Pour réaliser cet objectif, il cherche à valoriser le rôle des femmes.

Le PNUD doit jouer un rôle de moteur sur la question du commerce international, afin que celui-ci soit restructuré pour apporter plus d'éléments positifs que négatifs aux pays en développement. L'organisation actuelle du commerce mondial ne permet pas à de nombreux pays de participer activement au commerce mondial. De plus, la période actuelle est très difficile pour la majorité des pays en développement qui ont dû faire face à la hausse du prix du pétrole importé et à l'effondrement du prix de leurs exportations ; par exemple les cours du café ou du cacao ont baissé de 40 % l'an dernier. De telles évolutions fragilisent encore un peu plus des pays déjà vulnérables et rendent encore un peu plus difficile leur insertion dans le commerce mondial. Il semble donc indispensable de trouver un système de stabilisation pour faire face à certaines variations trop brusques.

Le phénomène de la « fuite des cerveaux » s'est encore accru avec le développement des nouvelles technologies de l'information puisque des pays très stricts en matière d'immigration comme les Etats-Unis ou l'Allemagne cherchent à accueillir davantage de spécialistes de ces matières. Le PNUD a donc mis en _uvre des programmes d'incitation au retour des cadres et des experts dans leur pays d'origine en Algérie, au Sénégal ou en Palestine en finançant leur retour et les six premiers mois de leur installation. Ce programme a engendré de nombreuses demandes de la part des intéressés.

Il est vrai que le rapport de la Banque mondiale 2000 est différent de celui de 1999 dans le ton qu'il emploie pour parler de la pauvreté. Manifestement, la Banque mondiale évolue dans son discours et a désormais conscience que le développement doit prendre en compte la démocratisation et les droits de l'Homme. La Banque mondiale est une institution financière, qui jusqu'à présent ne s'intéressait aux droits de l'Homme que dans une approche économique, notamment au travers du droit de la propriété. Les choses évoluent dans le bon sens, même si les différences d'approche du développement subsistent entre la Banque et le PNUD. Ces deux institutions, qui n'ont pas vocation à être interchangeables, doivent travailler en commun, de manière complémentaire et non concurrente.

Bien sûr, il faut encourager l'embauche d'experts en provenance des pays en développement, car ce sont ceux qui connaissent le mieux les problèmes du sud. Le PNUD s'efforce au maximum d'éviter les relais bureaucratiques et n'hésite pas à s'adresser directement aux populations pour qu'elles se prennent elles-mêmes en charge. C'est ainsi que le PNUD a aidé directement des directeurs d'écoles ou des associations de parents d'élèves. La coopération sud-sud constitue une priorité.

L'Union européenne a accompli d'énormes efforts en matière de développement, notamment en ce qui concerne sa réactivité. Les liens entre le PNUD et l'Union sont de plus en plus nombreux.

M. Mark Malloch Brown a fait observer que lorsqu'il s'est déclaré intéressé par la fonction d'administrateur du PNUD, il estimait que le combat qui avait été le sien en faveur des droits de l'Homme au sein de diverses ONG, notamment en Birmanie, pouvait constituer un obstacle à sa candidature. Or, beaucoup de pays de l'ASEAN ont considéré ce passé comme un atout. C'est un exemple d'une évolution positive.

La Birmanie et l'Irak sont les deux seuls pays où le PNUD travaille directement avec les communautés sans passer par l'Etat. Mme Aung San Suu Kyi approuve l'action du PNUD en Birmanie. Les soutiens à l'action du PNUD sont d'ailleurs très nombreux.

Le Président François Loncle a remercié M. Mark Malloch Brown et l'a assuré de la mobilisation de la Commission des affaires étrangères en faveur du développement.

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Informations relatives à la Commission

Ont été nommés le mercredi 17 janvier 2001 :

- M. François Rochebloine, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention de sécurité sociale entre la République française et la République du Chili (n° 2812) ;

- M. Marc Reymann, rapporteur pour :

· le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du Traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis d'Amérique (ensemble deux annexes) (n° 2813) ;

· le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique (ensemble un procès-verbal d'accord sur la représentation) (n° 2814) ;

- Mme Monique Collange , rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention n° 182 de l'Organisation internationale du travail concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination (n° 2815).

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● PNUD


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