Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 23 janvier 2001
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Jean-Bernard Raimond, Vice-Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Andres Pastrana, Président de la République de Colombie

3

Audition de M. Andres Pastrana, Président de la République de Colombie

M. Jean-Bernard Raimond, Président, a souligné la joie et l'honneur que constitue pour la Commission des affaires étrangères la visite du Président Andres Pastrana, premier chef d'Etat latino-américain qu'elle reçoit. Les pays d'Amérique latine, et en premier lieu la Colombie, ont toujours montré pour l'Europe et pour la France une sympathie particulière.

Avant même son élection en 1998, le Président Andres Pastrana avait la réputation d'un homme de dialogue, qu'il a pu conforter en entamant un processus de paix avec les guérillas. Pour réussir dans cette voie, la Colombie a mis en _uvre un ambitieux programme qui reçoit le plein soutien de la France. En effet, le "plan Colombie" doit permettre de lutter contre le trafic de drogue, et la France partage le souci du Président colombien d'une co-responsabilité de ce problème.

Le Président Andres Pastrana a remercié la Commission des Affaires étrangères de cette possibilité qui lui est donnée d'exposer la situation que connaît la Colombie.

La Colombie a entamé un processus de paix après 40 ans de conflit intérieur, qui ne constitue même plus une guerre civile, mais un véritable conflit contre la société civile colombienne. Les négociations ont donc été ouvertes avec les deux principales guérillas : les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l'Armée de Libération nationale (ELN). Dans les négociations avec les FARC, qui sont un groupe d'inspiration marxiste-léniniste regroupant 15 à 20 000 hommes, la France a joué un rôle important en acceptant notamment, comme d'autres pays, de recevoir ces insurgés, qui ainsi, après 40 ans de lutte dans les montagnes, ont pu découvrir la réalité du monde et ses mutations. Un accord devrait pouvoir intervenir d'ici quelques mois avec l'ELN, des négociations sont en cours dans lesquelles la France est "facilitateur".

Le processus actuel est d'autant plus nécessaire que la Colombie dispose d'atouts importants. Malgré les conflits, la Colombie a connu un taux de croissance moyen de 3,5 % depuis 70 ans, elle a mené une politique macro-économique sérieuse, elle a par exemple toujours payé sa dette extérieure. Pendant la "décennie perdue" de l'Amérique latine des années 80, la Colombie a été le seul pays à connaître une croissance importante. Mais ces dernières années la situation s'est dégradée. Lorsque le Président Andres Pastrana est arrivé au pouvoir, les indicateurs économiques étaient très mauvais, sa priorité a donc été de remettre de l'ordre dans la situation économique, notamment par un réajustement budgétaire strict. Mais la Colombie a connu en 1999 sa première récession depuis 70 ans avec une diminution du PNB de 4,3 %, suivie heureusement par une hausse de 3 % en 2000.

La France est devenue le premier investisseur en Colombie (130 millions de dollars) notamment dans les secteurs de l'alimentation, des assurances, des biens et services. Fin 2000, deux nouveaux contrats d'exploitation pétrolière ont été signés avec TotalFina. Le Président Andres Pastrana a souligné que la question des privatisations avait été débattue avec le MEDEF, lors d'une rencontre tenue le matin même, notamment pour la concession d'une autoroute traversant la Colombie et nécessitant un investissement de 3,5 milliards de dollars.

Il s'est félicité de l'intérêt que porte la France, qui appuie les projets de paix en Colombie et partage les préoccupations de ce pays.

M. Alain Veyret, président du Groupe d'amitié France-Colombie de l'Assemblée nationale, a tout d'abord rappelé que les membres du Groupe d'amitié étaient nombreux et attachés au processus de paix en cours en Colombie, dont ils mesurent la difficulté. L'accompagnement de ce processus par des pays amis est donc justifié. A ce titre, le Groupe d'amitié a reçu une délégation du gouvernement colombien et des FARC, ce qui a permis de réunir ensemble les parties à la négociation. La diplomatie parlementaire a des souplesses dont ne dispose pas la diplomatie gouvernementale. Aussi s'est-il félicité de l'annonce par le Président Raymond Forni de l'envoi d'une délégation parlementaire en Colombie au premier semestre de cette année.

Faisant référence à différents articles de presse qui, à plusieurs reprises, ont annoncé que le "plan Colombie" signifiait certes l'éradication radicale de la coca par des épandages chimiques par hélicoptères ou la fumigation des plants mais entraînait également des pollutions du sol, une contamination de l'eau et une destruction des cultures vivrières, M. Pierre Brana a demandé au Président Andres Pastrana si ces informations étaient exactes ou exagérées. Toujours selon la presse, qui a notamment fait état d'affaires réalisées en Colombie par M. Pierre Falcone et la société Brenco, les mouvements de guérilla entraîneraient des trafics d'armes, voire même des ventes d'armes à la police de Bogota. Des affaires de ce genre ont-elles été effectivement enregistrées ?

Constatant que le continent américain est marqué du Nord au Sud par une pratique croissante de l'espagnol, M. François Léotard a souhaité savoir quel était l'état de la francophonie en Colombie et quelles mesures le Président Andres Pastrana souhaitait que la France engage pour développer cette autre langue latine qu'est le français. Plus précisément, quels pourraient être les terrains de prédilection du développement de l'enseignement du français en Colombie ? Par ailleurs, l'élection de M. George W. Bush à la présidentielle américaine peut-elle ou va-t-elle modifier les relations entre la Colombie et le puissant voisin du Nord que sont les Etats-Unis ?

Le Président Andres Pastrana a répondu aux intervenants.

Les activités de la firme Brenco International en Colombie n'ont eu aucun lien avec le trafic d'armes mais uniquement avec des investissements dans le domaine touristique. La Colombie a également procédé à des achats de systèmes de télécommunications à destination de la police nationale.

Le "plan Colombie", qui vise à mettre en place une stratégie de lutte contre la drogue, n'est pas un plan militaire mais le plan à caractère social le plus important jamais mis en _uvre en Colombie. Il comporte un volet social proprement dit, qui soutiendra la formation et la reconversion de la main-d'_uvre, le renforcement des institutions (parmi lesquelles la justice) et, enfin, l'éradication du trafic de drogue contre lequel le Gouvernement entend mener une guerre frontale. Ce plan devrait être soutenu par des investissements à hauteur de 7,5 milliards de dollars sur trois ans. Cinq milliards proviendront du budget colombien, 1,3 milliard proviendront de l'aide américaine, et la Colombie espère une aide de 700 millions de dollars de l'Union européenne.

Ces investissements devront concerner au tout premier plan (à 80%) la sphère sociale, en particulier en faveur des zones les plus pauvres et les plus marginalisées. Les 20 % restant consisteront en une aide à caractère militaire, afin de former des bataillons spécialisés chargés de seconder la police dans la lutte contre les trafiquants de drogue. Le Président Andres Pastrana a souligné que la décision d'éradiquer les cultures de coca a été prise il y a déjà quinze ans. L'éradication au moyen de la fumigation touche 50 000 à 60 000 hectares de plants chaque année.

La Colombie souhaite le soutien actif de l'Europe pour résoudre le problème de la drogue. L'Union européenne est très sensibilisée aux questions relatives à l'environnement : elle doit savoir que la culture de la coca a entraîné la disparition d'un million d'hectares de forêt tropicale humide chaque année, alors que la Colombie est le deuxième pays au monde pour la biodiversité. Il est vrai que certains dérivés des phosphates ont été utilisés pour détruire 35 000 hectares de cultures, dont 22 000 dans la région du Putumayo, laquelle fournit 30% de la cocaïne mondiale. Néanmoins il n'a été déversé que 67 000 gallons de ces phosphates, alors que 400 000 litres d'herbicides et de pesticides toxiques auraient été nécessaires selon d'autres méthodes. Il faut aussi remarquer que la culture et le processus de transformation de la coca entraînent l'utilisation de beaucoup de substances chimiques polluantes qui sont déversées dans le milieu naturel, et notamment dans les rivières.

Le programme se base davantage sur l'accompagnement social que sur la répression. Des mesures d'aide seront destinées tout particulièrement aux petits paysans qui exploitent 2 ou 3 hectares de coca ; le Gouvernement a prévu de signer des accords d'éradication de la culture de coca avec 25 000 paysans de la région du Putumayo. La Colombie va présenter des projets susceptibles de recevoir l'aide de la communauté internationale.

En ce qui concerne la francophonie, le Président Andres Pastrana a répondu que la France et la Colombie ont des racines culturelles communes qui doivent permettre des accords et des rapprochements. Par exemple, les Colombiens constituent le premier contingent d'étudiants latino-américains à Paris. De plus, la France a accueilli dans le passé de très nombreux intellectuels colombiens comme Gabriel Garcia Marquez, Fernando Botero ou Antonio Morales. L'Alliance française joue en Colombie un rôle majeur pour le rapprochement des deux cultures. Ainsi, les relations franco-colombiennes ont toujours été marquées par une forte dimension culturelle.

En ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis, le Président Andres Pastrana ne pense pas que l'arrivée au pouvoir de George W. Bush apportera des changements substantiels. Le Président Bill Clinton lui avait d'ailleurs assuré que le "plan Colombie" était approuvé par les deux principaux partis. Le Sénat a ainsi donné son accord à la participation américaine qui s'élève à 1,3 milliard de dollars. Certes, c'est le volet policier qui intéresse le plus les Américains, il constitue 69 % de leur participation. Mais les Etats-Unis participent aussi au volet social, alors que jusque là ils avaient toujours consacré les fonds qu'ils accordaient au renforcement des capacités policières et militaires.

M. Jean-Bernard Raimond a souhaité appeler l'attention du Président Andres Pastrana sur la situation de M. Ignacio de Torquemada, citoyen français membre de Médecins sans frontières retenu en otage par l'Armée révolutionnaire guevariste depuis le 25 juillet 2000, tout en précisant que la France sait les efforts que fait la Colombie pour mettre fin à cet enlèvement.

_______

● Colombie


© Assemblée nationale