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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 30

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 24 avril 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France

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Audition de M. Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France

Le Président François Loncle a souligné que la Commission des Affaires étrangères recevait le nouvel ambassadeur d'Israël à un moment dont chacun mesure la gravité : les morts quotidiennes, l'enchaînement des violences suscitent en France, comme ailleurs, une grande émotion. Les perspectives d'un accord de paix semblent, hélas, plus éloignées que jamais.

Il a précisé que M. Elie Barnavi, éminent universitaire israélien, était depuis 1998 Directeur scientifique du Musée de l'Europe à Bruxelles et qu'il avait présenté ses lettres de créance le 15 décembre dernier.

M. Elie Barnavi a remercié la Commission de l'avoir invité à s'exprimer devant elle. Il a souhaité analyser la phase ultime du processus de paix qui va de Camp David en Juillet 2000 à la rencontre de Taba en janvier 2001. Cette période a été à la fois pénible, avec déjà des violences, et prometteuse : Taba apparaissait en effet comme une perspective de paix possible, offrant aux Palestiniens tout ce qu'ils demandaient. Aussi, l'actuelle situation est-elle un mystère de la politique internationale ; on peut peut-être l'expliquer par un problème de « timing » - les propositions auraient pu être acceptées si elles avaient été présentées plus tôt - et par le refus de M. Yasser Arafat d'abandonner un rêve. Chaque partie au conflit poursuit un rêve : ceux-ci sont symétriques et ne doivent pas se transformer en exigences politiques. Le rêve des uns est le cauchemar des autres. Or, justement, après Camp David, le rêve des Palestiniens est entré dans le champ des exigences politiques. Depuis la rupture du processus de paix, Israël accepte toujours le Président Arafat comme partenaire de négociation, mais celui-ci est devenu illisible, et il est très difficile de savoir ce qu'il souhaite en ce moment.

L'explosion de violence actuelle est paradoxale : elle est intervenue au moment où un dénouement heureux était attendu. Ses causes profondes vont bien au-delà de la visite de M. Ariel Sharon sur le Mont du Temple, qui n'a été qu'un prétexte : elles sont plutôt liées à la stratégie de M. Yasser Arafat qui, ne voulant pas être l'homme qui refuse la paix, s'est sorti d'une impasse et d'un mauvais pas diplomatique grâce à la flambée de violence. Il existe aussi de la part des Palestiniens une volonté d'internationaliser le conflit.

Le choix de cette stratégie a eu des conséquences en Israël. La première en a été l'échec de M. Ehud Barak aux élections législatives et la victoire de M. Ariel Sharon, non par engouement des Israéliens, mais plutôt par rejet du gouvernement Barak. La seconde conséquence est la prise de mesures militaires et économiques pour faire face à la vague de violence, afin de tenir compte des exigences de l'opinion publique, qui refuse les attentats en pleine rue. Le gouvernement israélien s'interroge sur l'évolution de l'Autorité palestinienne et de son dirigeant : M. Yasser Arafat et son gouvernement détiennent encore une part de capital moral et de sympathie mais leur pouvoir commence à se déliter pour laisser la place à l'anarchie dans certaines villes et zones. Quelle est la réaction appropriée ? Une réaction militaire doit avoir lieu, sachant bien qu'Israël n'utilise qu'une part infime de sa puissance militaire et qu'il n'y a pas en réalité de réponse militaire à ce problème.

Israël se heurte en outre à une surenchère arabe et musulmane. Les régimes politiques des pays voisins ne disposent pas d'une stabilité parfaite, d'autres sont des régimes radicaux membres du « front du refus », opposés à tout accord de paix. Ce « front du refus » a un prolongement en Israël. Une de ses manifestations a été l'assassinat d'Yitzhak Rabin. Toutefois, la capacité de nuisance d'un tel front est moindre dans un Etat démocratique. Malgré cette situation difficile, M. Yasser Arafat a appelé à la cessation des tirs de mortier et le gouvernement israélien a levé le blocus. Cependant, même si toutes les parties comprennent qu'elles sont dans une impasse, la méfiance est profonde, le fossé psychologique s'est creusé des deux côtés, et des forces hostiles au processus de paix utilisent chaque vague de terreur.

Selon M. Elie Barnavi, il y a deux écoles en Israël : l'une considère que cette situation peut perdurer des mois, voire des années, car les Palestiniens disposent de ressources suffisantes et d'équipements militaires, et Israël est condamné à ne pas réagir trop brutalement. L'autre école estime que cela ne peut durer longtemps en raison de la lassitude des populations, d'autant que l'on est à la merci d'un incident grave : attentat palestinien sur un objectif stratégique israélien ou atteinte involontaire par Israël d'un lieu symbolique, hôpital ou école par exemple. On serait donc à la merci d'incidents dont les conséquences seraient incalculables.

Face à cette situation, l'Ambassadeur d'Israël a souligné que l'Union européenne et la France devaient s'impliquer davantage au Proche-Orient, car les Etats-Unis, acteurs majeurs dans le processus de paix, sont dans une situation problématique, la nouvelle administration semblant divisée entre, d'un côté les « modérés » incarnés par M. Colin Powell, et de l'autre les « durs » comme MM. Dick Cheney et Donald Rumfeld, le Président Bush se situant, semble-t-il, entre les deux. Il y a donc une incertitude sur la politique des Etats-Unis au Proche-Orient et sur leur volonté de s'impliquer même si à terme le Proche-Orient aspire même ceux qui ne veulent pas s'y impliquer.

L'Union européenne, et notamment la France, peut jouer un rôle important actuellement, en raison du vide laissé par les Etats-Unis. L'Europe, premier bailleur de fonds dans la région, devra toutefois tenir un langage plus ferme, plus uni et plus équilibré. A cet égard, M. Elie Barnavi s'est étonné d'entendre des propos très durs sur Israël, tenus en public, et très durs également sur l'Autorité palestinienne, mais seulement tenus en privé. Pourquoi ces critiques ne sont-elles pas formulées publiquement ? L'Union européenne et la France pourraient prendre des initiatives discrètes et secrètes pour faire avancer les choses.

M. Roland Blum a demandé à M. Elie Barnavi son opinion sur les commentaires de la presse, notamment française. Ils font état d'un problème de fond dans le processus de paix entre, d'une part, les partisans du processus d'Oslo, c'est-à-dire de deux peuples deux Etats, et, d'autre part, les adversaires, dont M. Ariel Sharon serait l'un des plus farouches, qui considèrent que le temps joue en faveur d'Israël.

M. Elie Barnavi a répondu que M. Ariel Sharon n'était pas un fervent partisan des accords d'Oslo, mais qu'il était pragmatique. Il a appliqué les accords de paix avec l'Egypte et démantelé les colonies pour faire respecter ces accords. Pendant la campagne électorale, il a su tenir compte du fait que la majorité des Israéliens sont en faveur d'une paix de compromis avec les Palestiniens. Les positions qu'il a prises publiquement concernant les Territoires palestiniens (retrait de 42 % pour une période intérimaire) sont des déclarations de pré-négociation ; or, chaque négociation dispose d'une dynamique propre. Il est certain qu'un gouvernement israélien qui tenterait d'agir comme l'a fait M. Ehud Barak aurait l'appui de l'opinion publique. Cependant, en cas d'attentat ou de violence aveugle, l'union sacrée se reforme en Israël autour du Gouvernement.

Si M. Yasser Arafat a décidé de faire élire M. Ariel Sharon, il a brillamment réussi. A ce sujet, M. Elie Barnavi a considéré que ce qui a eu lieu à Taba était hallucinant. Chacun croyait être parvenu à un accord alors que, deux jours après, à Davos, M. Yasser Arafat injuriait le gouvernement israélien. L'Ambassadeur d'Israël a estimé que, du point de vue du Président Arafat, M. Ehud Barak avait alors fait son temps, qu'il en avait obtenu ce qu'il pouvait, et qu'il fallait passer à un stade supérieur en laissant élire M. Ariel Sharon dans l'espoir d'internationaliser le conflit. Cette stratégie n'est pas absurde. Mais il semble que M. Yasser Arafat ait mal apprécié l'état de la société israélienne. Les Palestiniens ont interprété de façon erronée le retrait israélien du Sud-Liban comme une défaite militaire.

M. Pierre Brana s'est intéressé à la problématique des colonies. M. Ariel Sharon a déclaré qu'il n'était pas question de les abandonner, le Ministre du Logement a déclaré que des habitations nouvelles seraient construites et on annonce une nouvelle colonie en Cisjordanie. Ces déclarations et annonces ne risquent-elles pas de durcir les positions respectives ?

S'agissant du plan de paix jordano-égyptien qui jusqu'à présent comportait trois conditions inacceptables pour Israël et qui maintenant semble constituer une base de discussion, quelles sont les modifications qui y ont été apportées ?

M. Elie Barnavi a indiqué qu'il était clair qu'il n'y aurait pas de nouvelles colonies, comme le stipule l'accord de coalition. Il est cependant possible que certaines colonies existantes s'agrandissent. En fait, cette question est apparemment l'une des plus difficiles mais c'est pourtant une de celles qui a rencontré le plus rapidement un accord entre Camp David et Taba. D'ailleurs, il est probable qu'au final on arrivera à un accord qui passera par une annexion par Israël de zones où se trouvent de nombreuses colonies, en échange d'une contrepartie territoriale équivalente. Pour autant, on ne voit pas pourquoi des colonies israéliennes n'auraient pas le droit de continuer à vivre sous souveraineté palestinienne, même s'il serait peu probable qu'elles utilisent ce droit.

Les difficultés les plus importantes sont de l'ordre du symbole et du mythe, notamment autour de la question de Jérusalem. Les Palestiniens ont prétendu en effet qu'il était illégitime pour les Israéliens de rester à Jérusalem, et que ceux-ci n'avaient rien à faire sur le Mont du Temple. Ils ont ainsi refusé les nombreuses solutions qui leur ont été proposées. L'autre problème symbolique est la question du droit au retour des réfugiés palestiniens, qui revient en fait à transformer Israël en un pays arabe. On se braque ainsi sur des mythologies nationales, passant aussi par une invocation croissante du caractère religieux du conflit : par la substitution du mot « Juif » au mot « Israélien » par les Palestiniens, par le nom « Intifada Al Qods » donné au soulèvement palestinien...

Sur le plan égypto-jordano-palestinien, celui-ci a d'abord semblé raisonnable car il proposait un retour au statu quo ante, la cessation de la violence... En revanche, le problème est que ce plan ressemblait à un diktat, fixant des délais, imposant les pays chargés d'en assurer l'application... La nouvelle version qui a été proposée est prometteuse ; ce document a le mérite d'exister et, dans le contexte actuel, ce genre d'initiative est utile car les belligérants ne sont pas capables de régler le problème tout seuls. En outre, il faut leur permettre de ne pas perdre la face.

M. Jacques Myard a fait observer que tout visiteur des Territoires palestiniens était frappé par la longue haine parallèle de ces deux peuples qui demeure et les éloigne l'un de l'autre toujours plus, même si parfois la pression du jeu international fait que leurs dirigeants se parlent. C'est pourquoi la sortie du tunnel où se trouvent ces deux nations revendiquant le même territoire n'est pas possible.

M. Elie Barnavi a estimé que M. Jacques Myard dressait un tableau bien sombre de la situation et il s'est déclaré plus optimiste que lui. Pour avoir suivi longuement ces questions, il lui semble qu'il n'y a pas une haine profonde entre Israéliens et Palestiniens. Les choses évoluent très vite au Proche-Orient : en 1982, les soldats israéliens ont été reçus avec des fleurs par les Chiites au Sud-Liban... Si actuellement, la tension est réelle, les peuples restent attachés à la paix, les sondages sont persistants et concordants. Certes, il existe des deux côtés des groupes idéologiques qui ont besoin de la haine, mais ils sont minoritaires. Pour autant l'absence de pérennité de la haine ne signifie pas qu'il faille espérer dans l'immédiat de l'amour entre les peuples. Celui-ci est souhaitable mais il viendra plus tard. Pour le moment il vaut mieux se contenter d'aspirer à une paix froide, préférable à une guerre chaude. Avec l'Egypte par exemple, la paix reste solide alors que ce pays est globalement hostile à Israël, avec une presse déchaînée...

M. Etienne Pinte a constaté que la lecture de la réponse du gouvernement d'Israël au rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme donnait l'impression que, dans ce conflit, les Palestiniens ont tous les torts et les Israéliens n'ont aucune responsabilité. Le droit n'est-il donc que d'un côté et les fautes ne sont-elles que de l'autre ?

Si l'Ambassadeur a reconnu qu'Israël utilisait des chiffons rouges à valeur hautement symbolique comme la création de nouvelles colonies ou du moins l'extension, il ne faut pas oublier que derrière le conflit où, entre autres, des immeubles sont détruits dans la partie palestinienne, il y a un de ces chiffons rouges. Or l'atteinte au droit au sol ne risque-t-elle pas de relancer le conflit ?

S'agissant du Sud-Liban, le Hamas, le Hezbollah et M. Yasser Arafat se sont tous trompés dans l'interprétation du retrait israélien que l'Ambassadeur a qualifié d'impasse, or l'on peut se demander si l'impasse n'est pas un échec.

M. Elie Barnavi a jugé qu'il n'y avait pas d'un côté une attitude bonne et justifiée et de l'autre une attitude mauvaise, ce serait une vision fanatique. Ainsi Israël ne peut prétendre être irréprochable sur le respect des droits de l'Homme. Cependant, dans un tel contexte aucun Etat n'a pris en considération autant qu'Israël la nécessité de respecter les droits de l'Homme. De plus, la vision selon laquelle Israël est un Etat en expansion constante est erronée ; depuis vingt ans, il ne cesse de se désengager territorialement de la région et ce processus continue alors que son prix est très lourd. M. Elie Barnavi a souligné que l'Europe exigeait d'Israël une perfection morale qu'elle n'exigeait pas de ses voisins arabes ; est-ce parce que Israël est une démocratie ?

Concernant le retrait d'Israël du Sud-Liban, il a été considéré comme un échec militaire. En fait le Gouvernement aurait préféré lier ce retrait à un accord avec la Syrie, car la question du Sud-Liban est un problème israélo-syrien et non pas israélo-libanais. Devant l'échec des négociations, Israël a préféré respecter la légalité internationale et quitter le Liban. Mais depuis ce retrait, les incidents n'ont pas cessé et il était donc devenu indispensable de réagir, ce qui a été fait dans la Bekaa en visant des cibles purement militaires et syriennes. Cette réponse est normale et justifiée car un Etat ne peut pas accepter que l'on joue avec ses capacités de dissuasion. Cette situation n'est pas aussi complexe que dans les Territoires palestiniens ; elle est facilement lisible et des pays comme la France pourraient facilement expliquer que ce que fait le Hezbollah est intolérable.

M. Gérard Charasse a remercié l'Ambassadeur pour ses explications sur la signification des déclarations de M. Ariel Sharon qui matérialisent le rêve du grand Israël par opposition au rêve du retour des Palestiniens.

M. Elie Barnavi a déclaré qu'il ne faut jamais reprocher aux peuples de rêver. Les difficultés proviennent de la transformation des rêves en exigences politiques.

M. Gérard Bapt a estimé que la riposte du type de celle qui répondait à l'agression sur Shebaa et qui visait une cible militaire dans la Bekaa était plus adaptée.

Concernant l'application de la Résolution 425 qui a fait l'objet d'un long débat en Israël, les conditions du retrait d'Israël du Sud-Liban ressortaient plus de la retraite que du retrait. La situation des anciens de l'ALS en témoigne.

S'agissant de la Syrie, y a-t-il eu des contacts depuis l'installation du nouveau gouvernement israélien pour reprendre le dialogue avec le nouveau gouvernement syrien ?

M. Elie Barnavi a jugé que la meilleure façon de quitter le Liban aurait été de pouvoir passer un accord avec la Syrie, ce que M. Ehud Barak s'était efforcé de faire pendant près d'un an. Dès lors que les négociations avec la Syrie ont échoué, il lui fallait rapidement partir du Liban. L'ALS n'a pas été abandonnée par Israël. Ceux qui n'ont pas été évacués ont été jugés, mais par accord tacite, ils ne se sont pas vus infliger de lourdes peines. Néanmoins, le retrait du Liban a été mal engagé dès le début. Il y avait sûrement une autre manière de procéder, mais l'opinion publique israélienne ne supportait plus les pertes humaines occasionnées par le maintien d'Israël dans cette zone. Ce n'était donc, pas plus que l'Intifada, un problème militaire, mais une question d'opinion publique.

Quant aux contacts avec la Syrie, il furent indirects et infructueux, car le Golan n'est pas la première préoccupation de M. Bachar El Assad. Il estime d'abord devoir consolider son régime, s'occuper de la situation au Liban et moderniser son pays. Les deux premiers objectifs conditionnent la négociation sur le Golan. Malgré les mauvaises relations entre la Syrie et l'Autorité palestinienne, M. Bachar El Assad ne peut conclure un accord avec Israël sans se voir accuser de traîtrise à l'égard des Palestiniens. Cependant, Israël aboutira assez vite à un accord avec la Syrie car les paramètres sont simples même s'il est difficile de définir quel type de paix on peut établir avec un régime fondé sur le contrôle de la population par une minorité.

Le Président François Loncle a remercié M. Elie Barnavi pour son exposé dont il ressort qu'Israël en appelle à l'investissement politique de la France et de l'Union européenne pour la recherche d'une solution de paix.

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● Israël

● Sud-Liban


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