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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 26 juin 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Rapport d'information sur les sanctions internationales

- Rapport d'information sur la politique éducative extérieure de la France

- Rapport d'information sur les forces et les faiblesses du cinéma français
   sur le marché international

- Informations relatives à la Commission

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Rapport d'information sur les sanctions internationales - M. René Mangin

M. René Mangin a cité en introduction les propose de Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations unies, qui considère que « si les sanctions peuvent, dans certains cas, apparaître comme des outils performants, certains types de sanctions, notamment les sanctions économiques, sont des instruments grossiers, infligeant souvent de graves souffrances à la population civile, sans toucher les protagonistes ».

Une dizaine de régimes de sanctions multilatérales sont actuellement en vigueur. Le Rapporteur a examiné plusieurs régimes de sanctions actuels et passés afin de dresser le bilan de leur fonctionnement et, si possible, d'en évaluer l'efficacité. Les diplomates et les experts concluent à un résultat mitigé : les sanctions ont permis d'obtenir un succès partiel ou des évolutions positives dans certains pays, comme en Yougoslavie avant 1996 et après 1999, en Libye, au Cambodge. Les sanctions ont eu des effets positifs en Iraq jusqu'en 1998 ; mais l'absence d'ouverture du Conseil de sécurité a conduit à un blocage depuis cette date. Par contre, dans d'autres pays, les sanctions semblent n'avoir qu'un impact très limité : en Angola, en Sierra Leone et en Somalie.

Il a développé le cas de l'Iraq, qui a déjà fait l'objet de travaux parlementaires, et dans lequel les positions bloquées des deux parties ont engendré une catastrophe humanitaire comparable aux pires catastrophes de ces dernières décennies, si l'on considère le nombre des décès directement imputables aux sanctions. Or le seul fait qu'un régime de sanctions se traduise par des morts est inacceptable.

De plus en plus d'observateurs considèrent que le système de sanctions est touché par l'abus de droit : il n'a pas de mécanisme de contrôle ni de défense de ceux contre lesquels il est dirigé. Certains déplorent la disparition de toute doctrine cohérente des sanctions au sein des institutions internationales.

Le Rapporteur a décrit brièvement l'effet extrêmement négatif des régimes de sanctions globales et à durée indéterminée sur les pays cibles, détruisant les ferments de la démocratisation, si elle a existé, entraînant une compétition accrue pour le partage des ressources, l'accentuation des injustices sociales, et menaçant, à terme, la stabilité politique. Il a noté, dans le cas de l'Iraq, l'impossibilité de sortir du régime de sanctions alors même que les objectifs initiaux ont été atteints.

Dans certains cas, l'imposition de sanctions semble peu pertinente et à tout le moins une réponse dérisoire à la situation d'un pays : les sanctions ne font qu'occulter l'absence de stratégie de la communauté internationale. Le rapporteur a évoqué l'exemple de l'Afghanistan, où l'on persiste dans une voie inefficace qui n'apporte rien au règlement de la situation de conflit que subit le pays. Certaines des erreurs commises en Iraq se reproduisent en Afghanistan, conduisant au durcissement du régime au détriment de ses tendances plus modérées, au développement d'une propagande hostile à l'ONU et aux pays occidentaux, au désespoir de la population laissée dans l'isolement, ressentant un rejet de la part de la communauté internationale, à désintégration accrue de la société civile.

L'arme des sanctions ne peut pourtant être remise en question, constituant le seul instrument de contrainte, à part l'usage de la force, prévu par la Charte des Nations unies pour répondre aux menaces à la paix et à la sécurité internationales. L'impasse iraquienne a cependant contribué à une prise de conscience quant à la nécessité d'affiner cet instrument, à la fois pour renforcer son efficacité et pour éviter qu'il ne se retourne contre les populations civiles.

Dans la réflexion sur l'évolution des sanctions qui a pris place au Conseil de sécurité depuis l'année dernière, la France défend une nouvelle doctrine, qui veut éviter que ne se reproduisent des blocages semblables à celui du dossier iraquien : il s'agit d'un ciblage fin des sanctions, afin de ne pas pénaliser les populations, surtout lorsqu'elles sont pauvres, et de ne pas affaiblir la capacité des sociétés ainsi frappées de se transformer de l'intérieur, ce qui a été le cas malheureusement en Iraq. Cette approche s'est illustrée dans les débats sur l'Ethiopie, l'Erythrée, l'Afghanistan, et au sein de l'Union européenne sur Timor.

Le Rapporteur a formulé les principes de ce que pourraient être des « smart sanctions » ou sanctions intelligentes, ou plutôt des sanctions ciblées, terme qu'il juge préférable. Il a souligné cependant que l'avènement de cette nouvelle doctrine suppose un renversement de tendance aux Etats-Unis, et donc que la nouvelle administration puisse faire évoluer la ligne très dure qui est traditionnellement celle des Etats-Unis au Conseil de sécurité et dans les comités des sanctions pour ce qui concerne l'imposition, l'application et la levée des sanctions, de même que lorsqu'il s'agit de négocier des dérogations humanitaires aux embargos.

Un projet, sorte de « code des sanctions », a été élaboré au sein du groupe de travail du Conseil de sécurité sur les sanctions il a reçu l'appui de treize membres du Conseil de sécurité sur quinze. Les Etats-Unis sont opposés à un certain nombre de principes fondamentaux du projet, aussi son adoption est-elle peu probable.

Le Rapporteur a ensuite regretté que l'Union européenne, qui a joué un rôle actif dans la définition d'une politique de sanctions contre la Serbie, ne joue presque aucun rôle dans un dossier aux conséquences aussi tragiques sur le plan humanitaire que le dossier iraquien.

Dans le cas des sociétés à l'économie peu développée, les sanctions les plus utiles sont celles ciblées sur des personnes et des avoirs, comme les refus de visas et le gel des avoirs financiers concernant une liste de personnes.

Le cas des sociétés à économie développée est différent, a fortiori lorsque une opposition a pu naître et se structurer. Les sanctions économiques ont été efficaces en Serbie dans un contexte où était présente une opposition politique, qui a en quelque sorte servi de levier aux occidentaux. La communauté internationale doit montrer une grande détermination en ce qui concerne l'application réelle des sanctions, ce qui suppose des moyens humains et financiers pour la surveillance des embargos.

Les sanctions doivent répondre aux principes suivants : être réservées à des situations exceptionnelles, être ciblées et proportionnées, être limitées dans le temps et évolutives. La limitation dans le temps permet de garantir que le Conseil de sécurité doit procéder à leur évaluation régulière afin de décider, au regard de la situation qui les avait justifiées, s'il y a lieu de les proroger. Les sanctions doivent enfin être assorties d'une perspective de sortie clairement définie.

Le Rapporteur a conclu en précisant qu'une évolution pourrait intervenir en ce qui concerne l'Iraq, avec la levée des sanctions économiques et l'instauration d'un contrôle strict sur l'importation des biens à double usage. Les négociations entre les membres du Conseil de sécurité devraient aboutir sur ce dossier début juillet.

M. Georges Hage a dit avoir écouté avec attention l'analyse du Rapporteur sur les effets pervers des sanctions dans ce monde convenu, accepté et subi de la mondialisation, d'ailleurs perpétrée par l'impérialisme dominant, qu'il n'a pas jugé utile de nommer. En ce sens, il a estimé que le rapport d'information présenté constituait, pour les personnes partageant son propre raisonnement, un document extrêmement intéressant car critique. Le problème auquel nous sommes confrontés est de savoir quelles valeurs humanistes autorisent à sanctionner, et les questions qu'il faut se poser sont les suivantes : d'où viennent l'oppression et la violence premières ? Qui, quelle instance, peut se prévaloir de défendre une sorte d'internationalisme unitaire qui reste à inventer ? Les sanctions constituent donc le révélateur de la mondialisation.

Mme Odette Trupin a fait part de sa gêne que les dictateurs soient protégés, à l'instar de Milosevic ou de Saddam Hussein. Il existe une contradiction très forte dans le mécanisme des sanctions car ce sont les populations innocentes qui paient le prix de l'embargo en Iraq par exemple. Il convient donc de s'interroger sur ce mécanisme de la sanction internationale et trouver autre chose pour commencer par punir ceux qui provoquent ces désastres.

M. Pierre Brana a plaidé en faveur de la Cour pénale internationale pour sanctionner des dictateurs, tout en reconnaissant que sa confiance en cette institution témoignait d'un optimisme volontariste de sa part. Pour le moment, elle demeure la seule solution pour toucher l'instigateur d'actes condamnables.

M. René Mangin a constaté que ces questions ouvraient un vaste débat sur les sanctions. Lui-même a été particulièrement sensible à cette question, ayant fait partie de la mission de l'Assemblée nationale conduite en 1999 par Mme Roselyne Bachelot, et ayant constaté les dégâts humains et matériels résultant des sanctions. De plus, onze années après l'imposition des sanctions, la situation n'a pas évolué du tout.

Les sanctions sont un outil ancien du droit international, et leur emploi n'est pas un reflet de la mondialisation ; cela reste un outil nécessaire, car il évite l'emploi de la force lorsque la communauté internationale n'est pas déterminée à l'utiliser. Parfois, l'action militaire reste indispensable, comme on l'a vu pour la Serbie. Mais il est vrai que, pour beaucoup de sociétés peu développées sur le plan économique, l'effet des sanctions est dévastateur sur le plan économique, social, culturel et déstabilisateur pour la société visée.

Les sanctions internationales n'ont pas pour objectif de faire chuter un régime politique autoritaire. Dans le cas de l'Iraq, ce sont les Etats-Unis qui s'opposent depuis plusieurs années à l'aménagement des sanctions, alors que les objectifs de celles-ci ont été remplis. Dans un premier temps, les autorités iraquiennes se sont pliées aux conditions du Conseil de sécurité, par la suite, un blocage est intervenu car le Conseil de sécurité n'a pas fait évoluer la situation malgré l'attitude iraquienne, sous l'influence des Etats-Unis, attachés à obtenir la démission de Saddam Hussein. Le Tribunal pénal international est un moyen formidable pour voir condamnés certains dictateurs, mais il faut que ceux-ci soient déférés devant lui.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

Rapport d'information sur la politique éducative extérieure de la France

Mme Odette Trupin a d'abord expliqué qu'elle avait intitulé l'étude qu'elle avait menée « La France et le défi mondial de l'Education : quels enjeux pour la francophonie? ». La promotion de la langue française en effet ne se fera pas par protectionnisme, mais son développement doit passer par l'éducation. L'accélération du processus de globalisation est tel qu'il gagne des secteurs jusqu'ici amplement publics comme l'éducation. Dans le contexte actuel de « la marchandisation » galopante où la prise de conscience générale s'accorde à considérer l'homme comme la vraie richesse, de nombreux Etats, déjà largement engagés, rentabilisent au maximum la formation. L'explosion des technologies de la communication contribue fortement à cette évolution : la diffusion de « biens éducatifs » est en progression vertigineuse, (la mondialisation des marchés donne un coup de fouet à leur commercialisation à l'échelle planétaire).

L'importance croissante de la formation se traduit au niveau mondial par une place dangereusement grandissante du secteur privé, en concurrence avec le service public. Du côté de la demande, le caractère toujours plus stratégique de l'éducation fait que les entreprises et les personnes sont prêts à payer pour « acheter » de la formation. Du côté de l'offre, le secteur privé voit s'ouvrir un marché colossal, quand on sait que le nombre d'étudiants est passé, de 6,5 millions en 1950 à 51 millions en 1980 et sans doute à plus de 90 millions aujourd'hui.

Ainsi deux dangers dont les effets se conjuguent, guettent l'espace francophone : l'extinction sournoise de la langue française, comme de nombreuses autres langues, par la domination de l'anglais, devenu, quoi qu'il en soit, incontournable, et la montée internationale de la commercialisation de la formation.

Mme Odette Trupin a expliqué qu'il lui avait donc apparu indispensable d'envisager la place et le rôle de la France dans ce nouveau défi notamment pour tenter d'apprécier les enjeux de l'espace francophone. Certes, le système éducatif s'ouvre peu à peu à l'international ; cette ouverture est cependant récente et en est encore à ses prémices ; elle constitue pourtant l'élément vital de la francophonie non tant d'un point de vue institutionnel, mais plutôt au niveau de la diffusion de la langue française et des valeurs républicaines fortes qu'elle véhicule.

A partir de 1998, les ministres Claude Allègre, Hubert Védrine et Charles Josselin ont entrepris d'enrayer le retard et les faiblesses de la France dans ce domaine en procédant à la mise en place d'une véritable politique éducative extérieure. Ce qui contribue sans doute à aggraver ces faiblesses est le rôle différencié des ministères des Affaires étrangères et de l'Education nationale. La demande générale va vers plus de coordination de ces deux instances.

Celle politique éducative extérieure repose essentiellement sur quatre piliers qui sont l'amélioration de la délivrance des visas étudiants grâce à la loi du 11 mai 1998, et parallèlement celle des conditions d'accueil des étudiants étrangers, l'amélioration de la promotion des études françaises à l'étranger par la création d'Edufrance, la réforme des programmes de bourses (bourses Eiffel), et enfin une participation plus active à la mise en place d'un espace européen de l'enseignement supérieur. Cette politique a déjà obtenu des résultats très encourageants qui incitent à redoubler d'efforts. Mais, l'architecture du système français d'appui à l'internationalisation de l'enseignement supérieur est encore beaucoup trop complexe. Chaque mission (gestion des bourses, promotion des formations, suivi de l'accueil des étudiants) est exercée par différents acteurs non coordonnés qui n'ont guère de vision d'ensemble sur les missions. Il serait donc souhaitable qu'une structure de coordination fédère l'action des différents organismes.

Il est également nécessaire de favoriser la diffusion de notre système éducatif à l'étranger. A cet effet, il conviendrait de redéfinir les mission de l'A.E.F.E. (Agence pour l'enseignement français à l'étranger) qui contribue largement au rayonnement de la France (Les établissements de l'Agence scolarisent 240 000 élèves dans 125 pays !), et d'accroître les moyens de l'Agence qui, comme l'affirme son directeur Jacques Verclytte « n'a pas les moyens de ses missions ».

L'enseignement à distance doit également constituer un élément clé de la politique extérieure de la France. Il a actuellement beaucoup de retard, notamment en matière d'offre d'enseignement en ligne et de tutorat d'accompagnement. Bien qu'elle soit de qualité, l'offre française reste quelque peu vieillie.

Une de nos priorités devrait être non seulement l'amélioration de l'internationalisation des cursus de formation, notamment professionnels, mais aussi celui de l'ensemble du dispositif depuis l'école primaire et l'ouverture de l'enseignement technique à des sections européennes. Il faudrait également développer à l'étranger des filières technologiques en Français.

La France est à l'avant garde de la mise en place d'un espace européen de l'enseignement supérieur (Erasmus a permis notamment à 700 000 jeunes de suivre des études dans un autre pays de l'union mais les moyens du programme Socrates sont en diminution, ce qui est préoccupant).

Mme Odette Trupin a conclu en rappelant que la dimension internationale est présente dans la politique éducative française mais qu'elle est récente et qu'elle reste timide. Au-delà de la politique de l'Etat, qui peut être encore améliorée, l'ouverture du système éducatif dépend d'abord des acteurs de terrain eux-mêmes, d'une prise de conscience rapide de l'évolution fantastique mondiale à tous les niveaux des interventions et en premier lieu dans les universités.

Rappelant que le problème avait récemment à nouveau été évoqué par M. Yves Dauge lors de la présentation de son rapport d'information sur le réseau culturel français à l'étranger, le Président François Loncle a à nouveau regretté le manque de moyens financiers qui ressort des budgets présentés ces dernières années.

M. George Hage a félicité la Rapporteure pour sa manière de concevoir la défense et illustration de la langue française qui, avec la culture qu'elle charrie, demeure le support de l'identité et de la spécificité nationales. Il faut défendre avec patriotisme la langue du Siècle des Lumières qui a diffusé dans le monde des valeurs humanistes et révolutionnaires encore à exploiter. C'est pourquoi il a souhaité attirer l'attention sur le fait banal que la langue dominante tendait de plus en plus à être le fait de l'impérialisme dominant.

De plus, il a regretté que Mme Odette Trupin ait été désignée comme "Rapporteure", terminologie certes préférable à "Rapporteuse", plutôt que comme "Madame le Rapporteur", où l'utilisation du neutre met en évidence la fonction plutôt que le sexe. Qu'est-ce que le sexe a à voir là-dedans ? La compétence est asexuée !

Le Président François Loncle a souligné que ce débat avait été provisoirement clos par le Bureau de l'Assemblée nationale qui a décidé d'utiliser cette terminologie.

M. Jacques Myard a souhaité raconter une anecdote prouvant qu'il n'y a pas de langue incontournable. Il y a quelques années, lors d'une mission à Houston au Texas, qui est le fief du Président Bush, il a eu la surprise de découvrir que l'ensemble du personnel de maison employé au consulat général de France venait du Mexique et ne parlait pas un mot d'anglais mais uniquement l'espagnol, sans que cela l'empêche de "faire tourner" le consulat.

Mme Odette Trupin a répondu aux intervenants.

En ce qui concerne les moyens, il est indispensable de ne pas tomber dans l'angélisme. Certes, certaines mesures qui seraient très utiles auraient un coût budgétaire important. Mais d'ores et déjà il est possible d'agir par une meilleure organisation et par une prise de conscience de la nécessité de l'ouverture.

Sur le concept de langue dominante, l'anglais est manifestement devenue la langue véhiculaire dans de nombreux domaines, il est donc contre-productif d'espérer la combattre sur le même terrain, c'est pourquoi il est de notre intérêt de défendre le multilinguisme. En effet, toutes les richesses sous-tendues par l'existence des différentes langues sont utiles et doivent être défendues.

Mme Odette Trupin s'est déclarée à titre personnel réticente à l'égard du terme rapporteure, préférant le neutre « rapporteur » mais elle souhaite respecter la décision prise par le Bureau.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

Rapport d'information sur les forces et les faiblesses du cinéma français sur le marché international - M. Roland Blum

M. Roland Blum a souligné que la Commission des Affaires étrangères n'avait jamais consacré de travaux au cinéma. Cette réserve se comprend d'autant moins que le cinéma constitue un enjeu récurrent des négociations internationales, ce qui s'explique tout autant par des considérations économiques que pour des raisons politiques et symboliques. Ce qui intéressait les Etats-Unis dans les accords Blum-Byrnes de 1946 conditionnant l'octroi d'une aide économique à l'ouverture au cinéma américain des marchés européens, ce n'était pas seulement l'exportation de leurs films, mais également et surtout de leur philosophie et de leur mode de vie.

La France est le pays qui, avec les frères Lumière, a inventé le cinéma. Le cinéma français a d'ailleurs été, jusqu'en 1914, le premier cinéma au monde par l'importance de sa production et de sa distribution. On estime qu'en 1912-1913, le cinéma français occupait 85 % des écrans du monde entier.

Depuis lors, la situation a évolué. Le cinéma américain exerce un règne quasiment sans partage tant sur son marché intérieur - où il représente plus de 94 % des parts de marché - que sur le marché mondial. Le cinéma américain occupe ainsi 70 % des parts du marché italien, 83 % des parts du marché britannique, 80 % des parts du marché allemand. Dans ces trois pays, la part du cinéma national varie entre 13 et 16 %. Seul le cinéma français qui représente en moyenne entre 3 et 4 % du marché mondial et 33 % du marché national s'efforce de résister, tant bien que mal, à cette hégémonie.

Face à la suprématie américaine, le cinéma français est-il condamné à une marginalisation croissante, voire à une disparition progressive ou à un simple rôle de faire-valoir culturel d'un cinéma américain de plus en plus plébiscité par les spectateurs ?

Le premier reproche adressé au cinéma français est d'être produit d'abord pour les réalisateurs avant de l'être pour les spectateurs. Et il est vrai que le succès de la Nouvelle vague qui a mis en avant deux notions clef, celles d'auteur et de regard, a justifié par la suite toutes les dérives. Le cinéma français a failli s'enfermer dans des barrières où la haine de l'esthétisme hollywoodien justifiait toutes les digressions, toutes les variations, tous les cadrages, tous les silences, bref tous les intellectualismes et snobismes. C'est moins le cas aujourd'hui ; le cinéma français a su réagir en jouant davantage sur la diversité de sa production et en cherchant sa voie entre les grandes productions prestigieuses et le cinéma d'auteur confidentiel. Les chiffres du premier semestre 2001 - période au cours de laquelle le cinéma français a représenté 50 % des parts du marché national - sont là pour témoigner de ce renouveau potentiel.

Il n'en demeure pas moins que le cinéma français investit insuffisamment dans les dépenses d'écriture qui ne représentent que 2,2 % du total des dépenses de production d'un film. Certains comparent l'industrie cinématographique a une industrie de prototypes qui livrerait, tous les mercredis, de nouveaux objets bizarroïdes. Connaît-on beaucoup d'industries de prototypes qui ne dépensent que 2,2 % en dépenses de recherche ?

Le second reproche adressé au cinéma français est de vivre sur une logique de préfinancement et non d'amortissement. L'équilibre du secteur repose sur l'apport de financements voulu et orchestré par les pouvoirs publics à travers les aides publiques - pour l'essentiel financée par une taxe sur les billets vendus, y compris sur les films étrangers - et les obligations d'investissement qui pèsent sur les chaînes de télévision. Aujourd'hui, les producteurs français n'apportent de capitaux qu'à hauteur du quart du devis du film. Il en résulte une certaine déresponsabilisation des intervenants à l'égard de la sanction du marché. La production d'un film est d'abord vécue comme une grande aventure portée par quelques individualités. Il est difficile de nier, même s'il est de tradition de jeter un voile pudique sur ces dérives, que le système actuel a généré des situations de rentes et des effets d'aubaines, dont profitent un certain nombre de professionnels. Ce type d'effets pervers, indissociables de tout dispositif de soutien à une activité culturelle, ne doit pas pour autant nous conduire à condamner sans nuance le système d'aide publique, peu coûteux pour le contribuable et de niveau comparable à ce qui existe dans les autres pays européens, le rapport le montre. Il a en revanche développé une sécurité qui est devenue en grande partie illusoire face au défi actuel de la mondialisation.

La force des Etats-Unis réside dans l'impact des campagnes de promotion associées aux films. Ces campagnes sont intégrées dès la phase de production du film, une possibilité que permet l'existence de sociétés intégrant les fonctions de production et de distribution. Pour un film américain, les dépenses de promotion représentent en moyenne 50 % des dépenses de production. En France, elles se situent entre 8 et 10 %. Cela donne une idée du handicap de promotion dans un marché de plus en plus concurrentiel, où le spectateur a de plus en plus tendance à aller voir le film ayant obtenu le plus grand retentissement médiatique.

Face à ce risque d'américanisation totale des écrans français, le combat pour la diversité culturelle n'est pas un combat d'arrière-garde. Il a cependant été mené au cours de ces dernières années dans une optique trop exclusivement défensive, sans souci de développer une réelle politique cinématographique, en surestimant des protections juridiques en passe d'être contournées par les progrès de la technologie. Il convient aujourd'hui de développer une approche plus offensive, plus constructive, qui n'ignore ni les impératifs de compétitivité et du marketing, ni ceux de la création et de la diversité.

La survie du cinéma français dépendra de sa capacité à s'adapter à une triple évolution : la mondialisation, les mutations du marché et les innovations technologiques.

Première évolution, l'internationalisation apparaît désormais comme une stratégie obligée. Il est plus facile d'amortir un film international de 200 millions de francs sur le marché mondial qu'un film français de 50 millions de francs sur le marché national. Or aujourd'hui force est de reconnaître que l'exportation n'est pas une priorité du cinéma français. De manière globale, l'étude des statistiques montre que les exportations de films français sont concentrées sur un petit nombre de producteurs et de films, et que les résultats demeurent modestes.

Deuxième évolution, les mutations du marché. Elles  concernent la place de plus en plus grande occupée par les chaînes de télévision dans le financement du cinéma, le développement des multiplexes et les cartes à abonnement illimité.

Troisième évolution, la technologie numérique est en passe de provoquer une révolution majeure de l'industrie cinématographique. Si elle offre de nouvelles formes de création et d'expression, elle devrait également entraîner une révolution dans les secteurs de la distribution et de l'exploitation. Il est et il sera de plus en plus possible d'organiser l'envoi simultané de films à destination de multiples salles de cinéma éparpillées dans le monde ou à domicile chez les particuliers.

Pour M. Roland Blum, la France et l'Europe ne peuvent donc plus se contenter de distribuer des subventions sans se préoccuper de promouvoir une politique en faveur de l'industrie cinématographique. Préparer l'avenir, c'est développer un système de régulation intégrant une visée offensive et faisant la part belle à la dimension européenne.

Afin de permettre aux films français d'affronter dans des conditions plus équitables leurs concurrents américains, le Rapporteur a plaidé pour renforcer la production indépendante, les conditions de distribution ainsi que les coproductions. Une autre priorité consiste à dynamiser et rationaliser nos efforts à l'exportation. M. Roland Blum a souhaité notamment la mise en place d'un soutien automatique à l'exportation ; il s'agirait d'attribuer au producteur des crédits issus du compte de soutien en fonction des recettes à l'exportation du film produit. Il a également appelé de ses v_ux une sensibilisation du public au cinéma en intégrant, comme l'a suggéré Jack Lang, un apprentissage des grands classiques français et européens à l'école. Trop souvent aujourd'hui, le goût des spectateurs est déformé par les séries américaines qui envahissent les écrans de télévision.

Aujourd'hui, le seul cinéma partagé en commun par les spectateurs européens est le cinéma américain. Chaque nation européenne ignore pour l'essentiel la production de son voisin. M. Roland Blum a donc appelé à la création d'une Europe du cinéma. Le but n'est pas tant de créer un nouvel hybride, le «film européen » qui devrait à tout prix comporter des quotas de nationalités pour les comédiens, les techniciens, voire les producteurs et les distributeurs, mais bel et bien de permettre à chacun des pays européens de continuer à cultiver sa différence, en offrant à sa production cinématographique un public élargi.

C'est pourquoi M. Roland Blum a déclaré soutenir notamment des initiatives comme la création de l'Académie franco-allemande du cinéma, dès lors que celle-ci prend à son compte quelques actions concrètes, comme de soutenir la distribution de cinq films dans l'autre pays. C'est pourquoi aussi il a recommandé la création d'un « Jack Valenti » européen, chargé de défendre sur le territoire européen et à l'étranger le cinéma européen.

Aujourd'hui, le risque existe d'un système à deux vitesses : une production américaine populaire à l'échelle mondiale, une production marginale de films d'auteurs à vocation nationale. Cette tendance ne peut que conduire à terme, si l'on ne fait rien, à une disparition de la cinématographie nationale. Or le cinéma national est une composante importante de notre identité collective ; il constitue un point de repère indispensable dans un monde dominé par la circulation généralisée des signes, des sons et des images, sur un mode de plus en plus marchand. Voilà pourquoi M. Roland Blum a estimé que sa défense active et sa promotion constitue un enjeu majeur pour l'avenir. Le discours actuel sur la nécessaire défense de la diversité culturelle - qui tourne parfois au refrain - ne doit plus servir de paravent à l'inaction voire à la démission ou à l'absence de politique.

M. Jacques Myard s'est demandé en quoi cette académie franco-allemande serait de nature à faire la promotion du cinéma français car nous sommes dans un domaine où il s'agit de promouvoir des valeurs culturelles purement nationales.

Même s'il convient d'être prudent quant à l'existence d'un cinéma européen, le Président François Loncle a fait remarquer que si les cinémas allemand, italien, anglais avaient résisté comme le cinéma français, l'omniprésence américaine serait certainement moindre.

Citant la phrase de Jean Monet "Si l'Europe était à refaire, je commencerais par la culture", M. Pierre Lequiller a rappelé que l'on touchait là à un point très important. Il y a eu une culture européenne qui a existé avec Victor Hugo ou Frédéric Chopin puisqu'ils étaient connus dans toute l'Europe, dont le concept de culture est totalement différent de celui des Etats-Unis. Ainsi, ceux-ci auraient été incapables de réaliser le film de Jean-Pierre Jeunet Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ou bien encore La vie est belle de Roberto Benigni.

Le problème est économique : c'est une question de taille de marché. Ne pourrait-on voir alors dans ce projet de coopération franco-allemande un moyen d'accroître la part de marché des films nationaux qui sortent sur le territoire européen ?

M. Pierre Brana a estimé qu'il y avait à la fois un aspect économique mais également une question de différence de goût et d'approche aux Etats-Unis. En effet, certains de nos films laissent les Américains complètement froids, et ce n'est pas un hasard si les films français sont toujours déboutés des Oscars.

En outre, il convient de mentionner un point très important : les salles multiplexes représentent un danger pour les cinémas de quartier et d'art et d'essai qui souffrent, comme le commerce de proximité par rapport aux grandes surfaces. Le risque existe que les multiplexes contribuent à imposer une culture dominante.

Reconnaissant partager les opinions exprimées, M. Georges Hage a déploré que, d'une façon générale, la télévision française soit médiocre. Heureusement que l'on peut se réfugier dans Arte, chaîne qui déçoit rarement !

Le Président François Loncle a néanmoins remarqué que certaines chaînes câblées faisaient de gros efforts pour diffuser des films qui ne sont pas seulement américains.

M. Roland Blum a répondu que l'Académie franco-allemande devait développer un certain nombre d'actions concrètes tant dans le domaine de la coproduction que dans celui de l'aide à la distribution de films allemands en France et français en Allemagne. L'Europe économique s'est construite autour du couple franco-allemand ; il peut en être de même de l'Europe culturelle.

Il existe de nombreux obstacles objectifs à l'exportation du cinéma français : la barrière linguistique et le rythme des films français. Pour les Français, le cinéma est d'abord considéré comme un art alors que pour les Américains, il s'agit d'une marchandise.

Les multiplexes représentent un danger à la fois pour le réseau de salles d'art et d'essai et pour la diversité de la programmation. Il est donc essentiel d'encadrer leur développement.

Le Président François Loncle a souligné qu'il était normal que la Commission des Affaires étrangères se saisisse de ce sujet puisque le cinéma français représente un important secteur industriel et culturel, dont la deuxième position même lointaine derrière celle du cinéma américain doit être sauvegardée.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

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Informations relatives à la Commission

· M. François Léotard, rapporteur pour la Mission d'information sur les événements de Srebrenica, ayant été nommé représentant permanent de l'Union européenne à Skopje, a été remplacé au poste de co-rapporteur par M. René André.

· Ont été nommés, le mardi 26 juin 2001 :

- M. Charles Ehrmann, rapporteur pour le projet de loi autorisant la ratification des amendements à l'accord portant création de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (n° 3071).

- M. Gilbert Maurer, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du grand duché de Luxembourg portant rectification de la frontière franco-luxembourgeoise (n° 3153).

- M. Charles Ehrmann, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin de la région des Caraïbes (ensemble trois annexes) (n° 3155).

- M. Joseph Tyrode, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes, entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse concernant l'interprétation de la convention relative au service militaire des doubles nationaux du 16 novembre 1995 (n° 3156).

- M. Roland Blum, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole portant amendement à la convention européenne sur la télévision transfrontière (n° 3157).

- M. Jean-Yves Gateaud, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République dominicaine (n° 3158) et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine (n° 3159) ;

- M. Georges Hage, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Cuba (n° 3161).

- M. René Mangin, pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 3171).

- Mme Bernadette Isaac-Sibille, pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République arabe d'Egypte en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 19 juin 1980 (n° 3172).

- M. Paul Dhaille, pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (n° 3173).

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