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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 14

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 décembre 1998
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères ..........


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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

La Commission des Affaires étrangères a entendu M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a exposé que les Quinze étaient entrés dans une nouvelle phase des négociations relatives à l'Agenda 2000.

Cette évolution s'explique, en premier lieu, par un changement dans la manière dont est envisagé l'élargissement. Auparavant, ce dernier paraissait pouvoir se réaliser prochainement, ce qui inquiétait les pays du Sud. Aujourd'hui, tant les candidats que la Commission européenne ont une approche plus réaliste. Le Commissaire Van den Broek envisage désormais un élargissement en 2005-2007, ce qui réduit la pression sur les négociations de l'Agenda 2000.

D'autre part, la France a réuni une légère majorité favorable à la stabilisation des dépenses. Les pays dits "de la cohésion", quant à eux, restent favorables à une remise en cause du plafond des dépenses.

La France a également proposé un principe difficilement contestable : celui que chaque pays participe au résultat final en faisant une concession. Pour la France, cela supposera un effort sur la politique agricole commune. En revanche, la France n'acceptera pas le cofinancement préconisé par la Commission et certains pays. Cette idée d'un compromis global fait son chemin. Il serait souhaitable que les négociations aboutissent en mars, avant les élections européennes, mais il est probable que les négociations seront difficiles.

S'agissant de l'élargissement, la France continue à souligner que l'on ne peut mener à la fois l'Agenda 2000, la réforme des institutions, la création de l'euro et plaider pour un élargissement accéléré. On constate un changement de ton dans le discours allemand qui rappelle certes que l'élargissement est une tâche historique, mais se réfère davantage à la nécessité d'une négociation sérieuse, ce qui correspond à la position française.

A propos des élargissements ultérieurs, la France considère qu'il existe d'autres urgences. M. Van den Broek a présenté un rapport sur la préparation des candidats, y compris la Turquie, en dépit des protestations grecques. L'élargissement à la Lituanie, à la Slovaquie et à Malte est défendu par différents Etats membres, sensibles à leurs intérêts régionaux ou à la pression de l'opinion publique. D'autres Etats craignent, sans l'exprimer, la fuite en avant. Le dernier Conseil Affaires générales a pris note de l'analyse de la Commission mais n'a pas recommandé de transmettre au Conseil européen la proposition d'une ouverture des négociations dès 1999.

Le Conseil européen de Vienne sera un conseil d'étape. La présidence autrichienne aura été marquée par le Conseil de Pörtschach en raison des déclarations du nouveau Chancelier allemand dans le domaine de la politique économique et des ouvertures nouvelles de M. Tony Blair à propos de la politique de défense. Il paraît difficile de traiter de la nomination d'un "Monsieur PESC" indépendamment du renouvellement de la Commission. En revanche, il y aura peut-être une novation intéressante avec la définition d'une "stratégie commune" à propos de la Russie.

En acceptant de parler de la défense au sein de l’Union européenne, M. Tony Blair a rompu un tabou britannique. Ses propos étaient à la fois ouverts et peu précis. Il s'agit d'un vrai changement qui s'explique sans doute par les ambitions européennes du Premier ministre britannique, lesquelles rencontrent des limites dans d'autres domaines que la défense.

Le Royaume-Uni a rappelé son attachement à l'OTAN et son refus des doubles emplois inutiles. Mais il a admis que l’Union européenne dispose d'une "autonomie de décision". Cela supposerait que l'Union ait des moyens de renseignements, d'évaluation et de planification mais, surtout, des moyens de mise en oeuvre.

Le caractère encore ouvert de la démarche franco-britannique est délibéré. Elle doit en effet être présentée dans deux enceintes : le Conseil Affaires générales de l’Union européenne qui l'a accueillie avec sympathie et le désir de poursuivre la réflexion ; le Conseil ministériel de l'OTAN qui s'y est déclaré assez favorable, y compris Mme Albright.

Il n'est pas, à ce stade, nécessaire que le Conseil européen débatte sur le fond de la démarche esquissée à Saint Malo. Les deux partenaires doivent la préciser, progresser sur son contenu, ses moyens, et ensuite y associer ceux des pays européens qui en ont la volonté et la capacité, l'Allemagne notamment, sans exclusive bien entendu.

Au moment opportun, il conviendra de réfléchir, sur la base de cette démarche, à une initiative européenne. L'important est que se dégage une véritable volonté politique d'agir avant de songer aux modalités de mise en oeuvre.

Le Président Jack Lang a fait part au ministre des Affaires étrangères des inquiétudes de Mme Sadako Ogata au sujet de la contribution française au HCR.

M. Jacques Myard a observé, non sans malice, que sur tous ces dossiers qui piétinent, le Ministre semblait "avoir le blues". Il a émis des critiques sur la technique des coopérations renforcées telle qu'elle est prévue dans le Traité d'Amsterdam. Il a noté que ce qui était prévu en matière de PESC était grandement inadapté à la réalité de la défense européenne et a estimé que l'enceinte adéquate pour débattre de l'identité européenne de défense était l'UEO.

M. Valéry Giscard d'Estaing s'est tout d'abord inquiété des projets de retour au cofinancement en ce qui concerne la politique agricole commune et a souligné la nécessité d'afficher sur ce point la plus grande fermeté.

La communautarisation des charges de la politique agricole faisait partie du pacte initial sans lequel la France n'aurait pas adhéré au Traité de Rome. Les problèmes financiers de l'Union européenne sont à traiter globalement. Toutes les composantes doivent être impliquées, en recettes et en dépenses, et pas seulement l'une d'entre elles, en particulier en changeant son mode de financement. Nos partenaires doivent être conscients de notre détermination dans ce domaine. Si compromis il y a, il ne pourra pas prendre la forme d'une remise en cause du principe de financement commun de la PAC. Ce point est fondamental.

Il a ensuite abordé le problème des taux de conversion de l'euro en déplorant que toutes les questions à compétence partagée entre les ministères des Affaires étrangères et des Finances se trouvent dans une espèce de zone de déshérence. Les experts financiers sont d'un côté ; la présence au Conseil des Affaires générales est assurée par le Ministre des Affaires étrangères. L'euro est une affaire politique ; il ne faut pas le rendre insupportable aux Français. Le problème du taux de conversion est une question importante pour la vie quotidienne et qui ne doit pas être limitée à une approche nationale. Ces taux de conversion doivent être d'autant plus simples que, durant une période de trois ans, on utilisera les deux monnaies. Les arguments techniques des experts contre la simplicité ne sont pas recevables. Il n'existe malheureusement pas d'enceinte politique dans laquelle des personnes dotées de l'autorité et de la compétence nécessaires pourraient traiter de ce sujet. Ce problème doit être posé et sur un plan politique les directives nécessaires doivent être données. La démarche n'est pas si compliquée. Il est possible d'aboutir, pour les trois grandes monnaies, à des relations de conversion très simples. L'eurofranc se situerait entre 6,50 F et 6,60 F ; la conversion à 6,50 F qui a le mérite de la simplicité est du reste déjà utilisée dans les relevés bancaires. Faire apparaître, au 1er janvier, sur ce type de document, cinq décimales après le zéro est d'une grande absurdité psychologique et politique.

Il a pointé du doigt la lacune du système : l'absence d'une enceinte pour exposer la politique monétaire a conduit à la cacophonie des derniers mois. On ne peut avoir dix expressions de la politique monétaire. Il serait bon que la France prenne une initiative : la création d'un comité parlementaire de l'euro, sur le modèle des "joint committees" du Congrès américain, décidé par accord intergouvernemental - un traité n'est pas nécessaire - et composé à parité de parlementaires nationaux et européens. 120 membres est un ordre de grandeur raisonnable pour un comité de cette nature. La répartition par pays pourrait s'inspirer de la clef des droits de vote à l'heure actuelle, qui donnerait 24 Allemands, 11 Français, 11 Italiens, etc...

Une initiative politique de cette nature ouvrirait le débat et donnerait un caractère institutionnel classique à la démarche française. Il y a au moins autant de raisons d'avoir une institution parlementaire compétente en matière de monnaie qu'il y en avait d'en avoir une dans la CECA. L'on pourrait suggérer que cette assemblée, ne pouvant se réunir dans les locaux du Parlement européen, siège dans ceux de l'UEO. Cela donnerait à Paris, qui en a bien besoin, un petit signal d'influence dans le domaine monétaire.

Enfin, M. Valéry Giscard d'Estaing a abordé la question de l'élargissement dans laquelle les délais successivement annoncés se révèlent totalement irréalistes. On est sorti du premier schéma qui était celui d'une négociation précipitée puisque nous nous acheminons vers une échéance de 2005. Nous aurons à en débattre au moment de la ratification du Traité d'Amsterdam puisque le problème sera posé au Parlement français de savoir si les élargissements devront se faire sur la base d'institutions rénovées. Pourquoi, s'agissant des négociations qui ne sont pas encore ouvertes, la France ne demanderait-elle pas qu'elles le soient sur la base des institutions réformées ? Ainsi, on ne négocierait pas sur la base des institutions actuelles qui donneraient par exemple un commissaire à Chypre et à Malte, ce qui est tout à fait insensé, et des droits de vote très supérieurs aux nôtres en pondération. On travaillerait sur la rénovation des institutions et le mandat donné à la Commission serait d'ouvrir la négociation sur le chapitre institutionnel de l'élargissement à partir d'institutions rénovées.

M. Edouard Balladur a déclaré éprouver quelque difficulté à se retrouver dans la multiplicité des juridictions internationales existantes ou à créer. Serait-il possible de disposer d'une étude simple sur ces juridictions, leur nature, leur champ de compétences, leurs règles de procédures ?

M. Alain Juppé a demandé des précisions sur l'articulation entre les travaux menés par les Etats européens et le Sommet de l'Alliance atlantique de Washington, ainsi que sur la participation de la France à la réflexion sur le nouveau concept stratégique.

M. Pierre Brana a interrogé le Ministre sur la situation au Timor oriental, sur le report sine die du référendum prévu au Sahara occidental et sur la réouverture des consulats en Algérie.

Le Ministre a rappelé que la problématique de la contribution de la France au HCR s'inscrivait dans le contexte plus large de la baisse du niveau des contributions volontaires inscrites au budget de son département ministériel. Depuis sa prise de fonctions, il s'est efforcé de maintenir le niveau de la contribution au HCR. La progression des crédits du chapitre prévue pour l'an prochain permet d'entretenir quelque espoir.

Le Président Jack Lang a rappelé que la suggestion du Président Giscard d'Estaing relative au contrôle parlementaire de l'euro a recueilli un large assentiment de la part de ses collègues.

Le Ministre s'est ensuite exprimé sur le rythme d'avancement des dossiers européens.

S'agissant de l'Agenda 2000, les positions de départ paraissent incompatibles : pourtant il est certain que l'on parviendra à un accord, peut-être après une crise, et peut-être pas en mars prochain, ce qui serait pourtant mieux.

Pour des raisons de pure chronologie, les discussions sur les institutions n'ont pas encore débuté. Toutefois, le nombre des pays sensibles à la nécessité d'une réforme institutionnelle ne cesse de croître. Il ne faut pas, par ailleurs, négliger les améliorations susceptibles d'être apportées à leur fonctionnement sans réforme des traités.

La vision de l'élargissement est désormais claire et nette : il est appréhendé avec réalisme, même si quelques Etats-membres font du "lobbying" en faveur de certains candidats et que d'autres ne semblent pas mesurer toutes les conséquences d'une accélération de l'élargissement. Une réforme institutionnelle est indispensable avant la conclusion des négociations, mais il faut veiller à ne pas donner à penser que la France cherche simplement à retarder le processus.

Par ailleurs, la réflexion évolue dans les PECO eux-mêmes : le Président tchèque ne vient-il pas d'évoquer publiquement les progrès que doit encore accomplir son pays ? De même, aucun des Etats membres ne voit comment on négocierait un Agenda 2015 dans une Union élargie sans réforme institutionnelle. Il n'est donc pas opportun de cristalliser les oppositions alors que la situation évolue d'elle-même.

En ce qui concerne les coopérations renforcées, le système est imparfait et devra évoluer, mais tout progrès est bon à saisir.

Le Ministre a confirmé la totale opposition de la France au cofinancement de la PAC, qui conduirait à sa destruction progressive, contagieuse pour l'ensemble des politiques communes. Cette position française est peu à peu enregistrée par les autres Etats-membres. Elle n'est pas synonyme de fermeture puisque la France concède que des économies devront être réalisées dans toutes les politiques, y compris dans le domaine de la PAC.

Il a ensuite déclaré adhérer, à titre personnel, à la proposition d'un taux de conversion simple et a confirmé son accord sur l'opportunité d'un contrôle parlementaire de l'euro.

Il s'est par ailleurs engagé à fournir une note sur les juridictions internationales et a proposé de venir en débattre avec les membres de la Commission.

Le changement de position du Royaume-Uni sur les questions de défense intervient quelques mois avant le sommet de Washington, qui est pour les Américains l'occasion de relégitimer l'Alliance atlantique.

Le Ministre a émis le souhait que, dans la réflexion sur le nouveau concept stratégique, l'idée d'une identité européenne de défense progresse. Il faudra négocier et franchir plusieurs étapes : le Sommet de Washington devra reconnaître cet apport à la sécurité européenne et confirmer qu'elle contribue au bon fonctionnement de l'Alliance. Ce concept devra ensuite être approfondi lors d'un sommet européen.

Nous sommes attachés au cadre du Traité de Washington.

Un autre sujet important du Sommet de Washington sera celui du mandat de l'OTAN. Peut-elle s'autosaisir ou doit-elle agir dans le cadre fixé au recours à la force par le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies ? La France ne demande aucun changement et souhaite le respect des textes existants ; aucun changement ne lui paraît nécessaire. Les Etats-Unis invoquent le risque d'une paralysie du Conseil de sécurité pour accréditer l'idée que l'OTAN pourrait agir sans mandat. La crise kosovare alimente la discussion sur cette question.

L'UEO ne doit pas être l'objet d'un débat institutionnel, mais d'une dynamique politique. La réflexion sur l'avenir de l'UEO est ouverte, en particulier quant aux modalités de son intégration dans l’Union européenne. La réalité, le pragmatisme sont seuls intéressants.

La situation au Timor donne lieu à des condamnations régulières dans le cadre de l'Union européenne. La France soutient la négociation tripartite sous l'égide de l'ONU. Le changement de pouvoir en Indonésie peut être un élément positif jusqu'à un certain point.

La réouverture des consulats en Algérie est à l'étude. En attendant, les demandes de visas sont traitées à Nantes, où les moyens ont été renforcés. La décision de réouverture interviendra lorsqu'il apparaîtra que les risques sont réduits au minimum.

Au Sahara occidental, le référendum n'aura pas lieu à la date prévue. La contestation demeure sur la question de l'identification des tribus. L'Algérie, puis le Maroc, en ont contesté les préparatifs. Kofi Annan a effectué des déplacements dans la région afin de maintenir le principe du référendum. Les discussions promettent d'être encore longues et difficiles.

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