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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 1er février 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

Accueillant M. Hubert Védrine, le Président Jack Lang a félicité les autorités françaises pour avoir pris l'initiative de suggérer la rupture des contacts politiques officiels avec un gouvernement autrichien qui comprendrait des ministres d'extrême-droite. Cette réaction a été suivie par l'ensemble des pays de l'Union européenne qui se sont déclarés résolus à isoler diplomatiquement l'Autriche dans cette hypothèse. On ne peut que ressentir un sentiment de fierté et de contentement à voir l'Union réagir ainsi avec force et être fidèle au principe de liberté.

Concernant la Tchétchénie, il a demandé s'il existait encore l'espoir d'une solution politique.

M. Pierre Brana a souhaité obtenir des précisions sur les relations entre le Monténégro et la Serbie dans la mesure où le Président du Monténégro, Milo Djukanovic, a proposé à la Serbie de redéfinir les liens de son pays avec la République fédérale de Yougoslavie. En cas de refus de Slobodan Milosevic, une déclaration d'indépendance du Monténégro serait même envisagée. Ne risquerait-on pas dans ces conditions de déclencher un nouveau conflit ? Quels sont les contacts de la France à ce sujet avec M. Djukanovic ?

Il a ensuite évoqué le cas du Congo-Kinshasa où, dans le Nord-Est, différentes ethnies s'entre-tuent. Or les accords de Lusaka avaient prévu la création d'une force internationale pour le maintien de la paix. Les contacts de la France avec l'ONU laissent-ils espérer une intervention rapide de cette force ?

En Côte-d'Ivoire, où 40 % de l'aide européenne auraient été détournés, la France a-t-elle suivi de près l'utilisation des fonds accordés dans le cadre de son aide publique au développement ?

Se référant à un article du journal Le Monde, Mme Martine Aurillac a demandé au Ministre des Affaires étrangères de faire le point sur les difficultés croissantes rencontrées par les consulats français à l'étranger dans la délivrance de visas.

M. Charles Ehrmann a informé la Commission qu'il avait protesté contre l'initiative prise par le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, un Autrichien, rompant ainsi avec un état d'esprit vieux de cinquante ans qui se manifestait jusque-là par un discours du doyen.

Le Président Jack Lang a rappelé que les événements de politique intérieure en Autriche ne justifiaient pas que l'on attaque l'ensemble des Autrichiens.

Se référant à plusieurs interventions du Ministre des Affaires étrangères selon lesquelles la France n'appuierait pas la présence d'Autrichiens dans les instances internationales, M. Paul Dhaille a fait état de la nomination très prochaine d'un ex-vice Chancelier autrichien conservateur à la présidence de l'une des tables rondes du Conseil de l'Europe sur le pacte de stabilité en Europe. La France devrait s'opposer à cette nomination.

Faisant le lien entre le dossier autrichien et les futures candidatures à l'élargissement, M. François Léotard a demandé au Ministre des Affaires étrangères de rappeler la position française à l'égard de la Turquie. Les déclarations sont nombreuses quant à la vigilance à adopter s'agissant de l'élargissement de l'Europe, tant du point de vue des frontières géographiques que culturelles et morales. Un guide de conduite apparaît indispensable.

M. Pierre Lequiller a renouvelé sa demande d'organiser un débat en séance publique sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

M. Valéry Giscard d'Estaing a demandé quelle était la position de la France sur l'ordre du jour de la première réunion de la Conférence intergouvernementale européenne, quel sera le calendrier de la présidence française au second semestre 2000, et de quelle manière le Parlement y sera associé. La France a-t-elle réagi officiellement au rapport de la Commission européenne sur la Conférence intergouvernementale ?

Il s'est également interrogé sur le remplacement du système de vote à la majorité qualifiée par celui à la double majorité (Etats et population), ce qui constituerait un changement majeur. Dans cette optique, pourrait-on disposer de projections quant à l'incidence de ce système de vote sur un certain nombre de grands dossiers.

S'agissant du Kosovo, le Président Jack Lang a fait état des déclarations de M. Bernard Kouchner selon lesquelles certaines promesses ne seraient pas respectées de la part de l'Union européenne concernant une aide financière et de la part de la France concernant l'envoi de policiers.

M. Hubert Védrine a répondu aux commissaires.

Concernant la Tchétchénie, les troupes russes rencontrent de sérieuses difficultés tant pour contrôler Grozny que les autres parties du territoire, notamment les pistes à la frontière avec la Géorgie par lesquelles sont acheminées des armes. Une solution purement militaire est illusoire car aucun contrôle total n'est possible et les Russes devront faire face à une guérilla. Les derniers visiteurs à Moscou - comme M. Kofi Annan - confirment que M. Vladimir Poutine insiste toujours sur la nécessité de se débarrasser totalement de ceux qu'il appelle les bandits tchétchènes. Sa politique rencontre au demeurant l'unanimité dans tous les milieux influents russes qui accusent l'Occident d'avoir une vue faussée de la situation. La France et la Grande-Bretagne sont, parmi les Occidentaux, les deux pays qui dénoncent le plus clairement les exactions à l'encontre des populations. L'Allemagne, soucieuse d'éviter toute réaction nationaliste russe, tient un discours plus mesuré, de même que les Etats-Unis qui voient dans la Tchétchénie un point d'ancrage du terrorisme. Cette attitude de fermeté de la part de la France n'est pas contradictoire avec sa volonté de coopération pour promouvoir un Etat russe moderne. Malheureusement, les appels répétés de la France en faveur d'une solution politique au conflit ne sont pas entendus à Moscou où M. Hubert Védrine se rendra prochainement. Il a rappelé qu'un otage français, M. Fleutiaux, était toujours en détention mais que le gouvernement français multipliait les interventions, notamment auprès des Russes, pour obtenir sa libération.

S'agissant du Monténégro, le discours sur l'indépendance de M. Milo Djukanovic n'est pas nouveau et ne doit pas être obligatoirement considéré comme une nouvelle provocation à l'égard de M.  Slobodan Milosevic. D'autres interprétations sont possibles.

En ce qui concerne la RDC, la création d'une force des Nations Unies de maintien de la paix de 5 000 hommes est soumise à un accord préalable entre les belligérants. Cet accord apparaît d'autant plus difficile à obtenir que les armées étrangères vivent aujourd'hui sur les ressources du Congo, et qu'elles ne semblent pas décidées à se retirer. La France a fait savoir qu'elle était prête à soutenir cette opération onusienne en fournissant de la logistique.

S'agissant de la Côte d'Ivoire, M. Hubert Védrine a estimé que rien ne laisse soupçonner un détournement de l'aide française, dont les conditions d'affectation sont précises et contrôlées. La France a obtenu satisfaction concernant l'annonce d'un calendrier électoral pour un retour à des institutions démocratiques. Le général Gueï a affirmé qu'un référendum se tiendrait avant l'été et que des élections présidentielle et législatives seraient organisées avant octobre ; il n'a pas précisé s'il serait lui-même candidat.

En réponse aux interrogations de M. Valéry Giscard d'Estaing sur l'Europe, le Ministre des Affaires étrangères a indiqué qu'il fournirait en temps utile à la Commission des Affaires étrangères un calendrier du déroulement de la présidence française de l'Union européenne. Il a convenu avec M. Pierre Moscovici du principe d'une information régulière de la Commission.

Il a ensuite expliqué qu'il existait deux conceptions de l'ordre du jour de la CIG : soit centrée sur le "reliquat" d'Amsterdam (extension du vote à la majorité qualifiée, repondération des voix et nombre des commissaires), soit ouverte à tous les sujets. La tendance actuelle est de donner la priorité aux trois premiers thèmes sans exclure certaines autres questions. A partir du 14 février, date d'ouverture de la CIG, jusqu'au Conseil de Porto en juin, les discussions seront focalisées sur les trois thèmes en discussion. Après avoir fait le point sur ces questions, il sera alors possible de se prononcer sur le contenu de ce que la présidence portugaise appelle la "boîte", qui comprend des sujets comme les coopérations renforcées.

Concernant les propositions de la Commission européenne, le travail qui a été réalisé semble plutôt utile en tant que contribution à la discussion même si ce débat est d'abord du ressort des gouvernements. Les autorités françaises attendent l'ouverture de la CIG pour donner leur position officielle.

Pour le gouvernement français, la clef réside dans le lien entre repondération des voix et extension du vote à la majorité qualifiée. Tous les schémas sont envisageables ; il est important de voir jusqu'où il est possible d'aller dans la voie de la repondération. L'hypothèse de la double majorité avait été écartée à Amsterdam ; il est prématuré, pour le moins, d'y revenir.

La question institutionnelle sera traitée par la Conférence intergouvernementale, qui d'ailleurs ne l'épuisera pas. Comment agir à trente ou à quarante ? Selon M. Jacques Delors, approfondissement et élargissement de l'Union européenne sont incompatibles ; il convient de reconstituer un noyau de pays moteurs. Mais qui en fera partie ? Les pays utilisant l'euro ? Ont-ils une cohésion politique suffisante ? Comment imposer la résurgence d'un tel noyau aux autres pays ? Ce problème n'est pas tranché. Mieux vaut privilégier un système à "géométrie variable" regroupant différents pays selon les projets, afin de n'exclure a priori aucun pays.

Concernant la délimitation des frontières de l'Europe, à Helsinki, le Conseil a seulement pris acte de la candidature de la Turquie, aucune négociation d'adhésion n'a été ouverte. Aucune négociation n'est d'ailleurs possible avec un pays qui ne respecterait pas les principes démocratiques énoncés à Copenhague en 1993. Quand la Turquie satisfera à ces critères, il faudra décider de l'ouverture ou non de négociations, et c'est seulement à ce moment là qu'il y aura véritablement une décision difficile à prendre.

La situation de la Turquie brouille la question des frontières de l'Union européenne. Les déclarations de M. Helmut Kohl affirmant que l'Europe est un "club chrétien" ont accru la difficulté, d'autant qu'on peut au contraire considérer qu'elle est un club laïque. Les engagements pris vis-à-vis de la Turquie lors du sommet d'Helsinki posent la question de la définition de l'Union européenne : est-elle définie sur des valeurs culturelles et démocratiques ou sur des critères géographiques ? Le fait d'accepter la candidature de la Turquie pourrait être un levier pour une démocratisation de ce pays. Dans la région des Balkans, certains pays ont, à terme, vocation à rejoindre l'Union européenne : la Bulgarie, la Roumanie, mais aussi la Croatie et un jour peut-être, la Bosnie, la Macédoine, voire la Serbie et l'Albanie où la majorité de la population est musulmane. La question de la frontière de l'Union européenne se pose de manière ambiguë à propos de l'Ukraine, de la Moldavie, de la Biélorussie, mais pas de la Russie car aucun Russe ne l'évoque. En définitive, les frontières de l'Union européenne seront celles qu'elle se fixera elle-même.

S'agissant des visas, il y a certaines difficultés mais la situation s'est améliorée. L'article du "Monde" à ce sujet n'en tient pas compte : dès 1997, le ministère des Affaires étrangères, en coordination avec celui de l'Intérieur, a libéralisé les procédures trop restrictives d'attribution des visas mises en place par les gouvernements précédents, qui affectaient nos relations avec des pays amis.

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial du budget des Affaires étrangères, a fait état de difficultés déjà connues du ministère dans un rapport d'information de la Commission des Finances sur la politique des visas de la France. Un programme de rénovation des consulats et de simplification des demandes a été mis en _uvre ; six postes consulaires ont été rénovés ; vingt devraient l'être prochainement, et le ministère ferait encore davantage avec un budget accru. Pour adapter le système de délivrance des visas à la demande, le ministère des Affaires étrangères longtemps victime d'une politique de réduction de ses effectifs a fait appel à du personnel recruté sur place, ce qui n'est pas sans poser certains problèmes ; il serait préférable de disposer des moyens budgétaires suffisants pour recruter du personnel français. Une politique volontariste est menée en coordination avec le ministère de l'Education nationale et le ministère de l'Intérieur pour attirer les étudiants étrangers dans les écoles et universités françaises ; l'action de l'agence "Edufrance" a rencontré un succès considérable.

En ce qui concerne l'aide au Kosovo, la France ne fait nullement preuve de mauvaise volonté ; elle a versé 241 millions de francs en 1999 à la MINUK et contribue à hauteur de 17,5 %, soit 40 millions de francs, à l'aide fournie par l'Union européenne directement à la MINUK. Il est exact que la MINUK a des difficultés liées à un problème de bureaucratie comptable. Sur tous ces sujets, le Ministre a demandé à notre représentant à Bruxelles d'accélérer les procédures afin de résoudre au mieux ces problèmes de trésorerie. La France soutient donc les demandes de M. Bernard Kouchner. La France a envoyé sur place 80 gendarmes et 20 policiers formateurs. Elle ne dispose cependant pas d'un nombre suffisant de policiers parlant les langues utilisées au Kosovo. On doit observer que tous les Etats contributeurs sont en retard et ont des difficultés à souscrire aux critères des Nations Unies, ce qui explique la décision de demander à la KFOR d'assurer des fonctions de police. Par ailleurs, le Ministre a rappelé que la France a dépensé environ deux milliards de francs en 1999 sur l'ensemble de la zone en aide bilatérale et 1,7 milliard en aide multilatérale.

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