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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 février 2000
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hans-Ulrich Klose, président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag

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Audition de M. Hans-Ulrich Klose, président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag

Le Président Jack Lang a accueilli M. Hans-Ulrich Klose, rappelant que la Commission avait déjà rencontré cette personnalité, notamment à l'occasion de la dernière réunion "trilatérale" avec la Commission des Affaires étrangères de Pologne. Il a souligné que M. Hans-Ulrich Klose a occupé des fonctions éminentes et parfois délicates dans son pays, ayant été successivement maire de Hambourg, trésorier de son parti politique le SPD et Président de son groupe politique au Bundestag. C'est en outre une personnalité à la fois solidaire de son mouvement politique et humaniste, apportant de plus un éclairage stimulant et original sur les problèmes.

Après avoir remercié la Commission pour son invitation, M. Hans-Ulrich Klose a souhaité formuler deux observations. Début février s'est déroulée à Munich la 36ème conférence annuelle à haut niveau sur la sécurité et la défense. La présence des Etats-Unis y a été très forte, mais celle de la France beaucoup moins. L'identité européenne de sécurité et de défense a fait l'objet d'un échange révélateur : une réserve, une défiance, a été exprimée du côté américain à l'égard du projet, qui a été partagée par certains pays candidats à l'Union européenne comme la Pologne, la Bulgarie et les Pays Baltes, plus proches des Etats-Unis et de l'OTAN que des aspirations à l'indépendance de l'Europe. La critique la plus forte a émané de la Turquie, nouveau pays candidat.

La seconde observation concerne l'initiative ABM-NMD. Les membres du Congrès américain présents à la conférence ont indiqué que l'initiative faisait l'objet d'un large consensus au sein des deux partis américains et le Ministre américain de la Défense n'a pas caché que le système sera testé et installé, précisant que les Etats-Unis s'efforceront de trouver un accord avec la Russie. M. Hans-Ulrich Klose a dit sa crainte de voir ici s'amorcer un nouveau sujet de conflit avec la Russie et la Chine, et a jugé important que la France et l'Allemagne aient un échange à ce sujet, adoptent des positions communes et intensifient le dialogue avec les Etats-Unis, sinon le risque est grand d'un hiatus entre Européens et Américains et de la crispation des Etats-Unis, ce qui les conduirait à imposer leurs vues d'une façon plus autoritaire.

Le Président Jack Lang a, d'une part, souhaité connaître l'appréciation de M. Hans-Ulrich Klose sur la situation au Kosovo. D'autre part, que pense-t-il de l'invitation en Allemagne de M. Rauf Denktash, le chef de l'entité chypriote turque, invitation émanant du gouvernement de M. Gerhard Schröder ? Plus précisément, quel est son sentiment sur la candidature de la Turquie à l'Union européenne ?

Rappelant que l'Union européenne existait grâce à l'entente franco-allemande et à l'existence d'institutions conçues pour six Etats, M. Charles Ehrmann a émis la crainte que l'optique allemande soit différente de celle de la France, l'Allemagne privilégiant l'élargissement par rapport à la réforme des institutions.

Précisant que les opinions divergeaient également parmi les Français, le Président Jack Lang a demandé si l'Allemagne était favorable à une réforme minimale telle que programmée à Helsinki ou plus ambitieuse et plus large telle que beaucoup l'entendent au sein de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale.

Rappelant que l'Allemagne a toujours été attachée à une monnaie forte, M. François Guillaume a demandé comment était apprécié l'euro aujourd'hui.

Abordant la question de l'OTAN qui est totalement contrôlée par les Etats-Unis, il a précisé que, depuis l'éclatement de l'ex-URSS, la volonté d'une défense commune dans l'Union européenne signifiait une entrée dans l'OTAN comme deuxième pilier, à égalité avec le premier pilier nord-américain. Or, l'Allemagne a favorisé l'entrée dans l'OTAN de tous les pays de la CEI, renforçant ainsi l'autorité des Etats-Unis, alors que ces pays avaient accepté d'entrer dans un système à organiser où l'équilibre Etats-Unis/Union européenne aurait été respecté. L'OTAN doit-elle alors rester sous l'autorité des Etats-Unis qui se serviront des Européens comme de supplétifs ?

M. Hans-Ulrich Klose a répondu aux intervenants.

Il a indiqué qu'en sa qualité de député il a approuvé, comme 95 % de ses collègues, l'envoi de la Bundeswehr au Kosovo, même si, à titre personnel, sa position était beaucoup plus mitigée. Mais il ne faut pas oublier qu'avec cette participation militaire, l'Allemagne a modifié les critères de sa politique étrangère, plaçant à un niveau égal la souveraineté nationale et le respect des droits de l'Homme. Cependant, la réponse à la question de la légitimité de l'intervention au Kosovo est controversée, la Russie et la Chine ayant une position divergente. M. Hans-Ulrich Klose a estimé que l'instauration d'une paix durable est impossible hors l'intégration des pays des Balkans dans la dimension européenne, même si le processus est très long.

En ce qui concerne l'invitation faite à M. Rauf Denktash par le Gouvernement allemand, M. Hans-Ulrich Klose a estimé qu'il relève du ministère des Affaires étrangères de s'entretenir avec celui-ci des possibilités de réaliser l'unité chypriote. Néanmoins la Commission des Affaires étrangères du Bundestag ne pourra pas donner suite à une demande d'entretien officiel. M. Hans-Ulrich Klose pourrait, le cas échéant, s'entretenir officieusement avec M. Rauf Denktash. Les modalités de la visite de ce dernier en Allemagne ne sont pas arrêtées, ainsi l'on ne sait s'il rencontrera-t-il M. Joschka Fischer ou non.

La décision d'Helsinki d'accepter la candidature de la Turquie à l'Union européenne a été inspirée par l'Allemagne sous l'influence des Etats-Unis qui la préconisaient pour des raisons géostratégiques. En tant que membre de la coalition, il en est solidaire tout en s'interrogeant sur son opportunité car lui-même ne l'aurait pas prise.

S'agissant de la question de la réforme des institutions européennes débattue au sein de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag comme au sein du SPD, il s'est déclaré favorable à un processus intensif d'approfondissement immédiat. Selon lui, à quinze, il est difficile d'arriver à une position commune ; à vingt-sept ou vingt-huit, ce sera pire, d'autant que les motivations psychologiques des pays candidats sont différentes de celles des initiateurs de la construction européenne. Ceux-ci, après la guerre et dans un élan pacifique, voulaient bâtir une Europe politique ; or, la plupart des pays candidats qui viennent seulement de retrouver leur souveraineté ont des difficultés à transposer dans leur législation l'acquis communautaire et souhaitent surtout bénéficier d'une zone de libre-échange. L'identité européenne sera plus difficile à cerner après l'acceptation de la candidature de la Turquie. Aussi faut-il dès maintenant, avant l'élargissement, effectuer les réformes nécessaires, car elles seront impossibles à réaliser après celui-ci.

Il a estimé que les évolutions de l'euro par rapport au dollar et au yen laissaient les Allemands sereins et que les effets bénéfiques de la stabilité devaient surtout s'apprécier dans la zone euro. Si les prix européens à l'exportation sont trop élevés, ils freineront le développement économique. Certes, actuellement, on constate un afflux de capitaux vers les Etats-Unis où les rendements sont plus attractifs. Toutefois il appartient aux gouvernements européens d'effectuer les réformes nécessaires pour modifier les structures freinant le développement de l'Union européenne dont la situation est plus enviable à long terme que celle des Etats-Unis. Il convient de s'adapter à un euro faible par rapport au dollar.

L'alliance militaire Allemagne OTAN est un succès qui a assuré la paix et a permis d'une certaine manière la réunification de l'Allemagne. Aussi faut-il réfléchir avant de réformer l'OTAN qui fonctionne bien. Même si elle renforce la position des Etats-Unis en Europe, l'Allemagne se félicite de l'élargissement de l'OTAN à la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, car elle appartient désormais à la même alliance stratégique que ses voisins. Certes, l'Allemagne est consciente que les pays candidats à l'Union européenne sont très sensibles aux garanties de sécurité américaines, mais elle estime qu'il appartiendra à l'Union européenne de faire évoluer leur attitude à long terme.

Pour M. Hans-Ulrich Klose, l'Europe n'a pas actuellement la capacité matérielle de mener des actions autonomes. Il faudrait par exemple en Allemagne une augmentation de 20 % du budget de la défense, que celle-ci n'est pas prête à engager suite aux charges induites par la réunification. Des capacités d'action autonomes ne pourront être mises en place avant huit ans, dans le meilleur des cas, voire douze ans. En tout état de cause, il faut poursuivre dans la voie de la construction d'une Europe de la défense, mission qui a été confiée à M. Javier Solana à l'horizon 2003.

M. Pierre Brana s'est inquiété de savoir s'il n'existait pas deux poids deux mesures dans la façon dont on avait traité la guerre du Kosovo et dont on traitait le conflit en Tchétchénie. A cet égard, la communauté internationale n'aurait-elle pas dû réagir plus énergiquement ?

En Croatie, après l'affaiblissement de Milosevic, l'élection à la présidence de M. Stipe Mesic offrira-t-elle davantage de chances à la Bosnie de devenir un véritable pays ?

Enfin à l'égard de l'Autriche, quelle a été la réaction du Parlement et de la Commission des Affaires étrangères allemands ?

M. Paul Dhaille s'est demandé si tous avaient, dans l'Union européenne, la même conscience d'avoir adhéré à la même structure. Pour la France, il s'agit d'une structure politique. Pour les nouveaux venus, il s'agit souvent d'une structure économique totalement indépendante de la politique intérieure. La question est de savoir si l'on a bien fait sentir la nature de l'Union européenne aux candidats, c'est-à-dire la présence de valeurs politiques communes. L'Autriche n'est-elle pas alors le révélateur d'un malentendu sur les institutions européennes ? Quelle est la structure politique qui permet de faire fonctionner l'Union européenne à quinze et plus ? La France a la conception d'un noyau politique qui est celui des fondateurs. Ne faut-il pas rétablir ce noyau moteur pour lui redonner une dimension politique ?

Mme Marie-Hélène Aubert s'est interrogée sur la capacité de la France et de l'Allemagne à promouvoir une politique européenne commune en deux domaines : les ventes d'armes et la sécurité des transports maritimes.

En matière de ventes d'armes, la concurrence acharnée que se livrent les entreprises européennes paraît bien éloignée des déclarations politiques sur les contrôles nécessaires en ce domaine. Les marchés turcs, grecs ou d'autres pays qui ne partagent pas notre philosophie des droits de l'Homme attisent bien des convoitises. Est-il possible de concilier les impératifs d'une politique industrielle et les objectifs politiques de respect des droits de l'Homme ?

Le naufrage de l'Erika a provoqué beaucoup d'émotion en France. Quelles initiatives l'Union européenne pourrait-elle prendre pour renforcer la sécurité des transports maritimes ?

M. Jean-Bernard Raimond a rappelé que la politique de sécurité et de défense commune a fait des progrès considérables en 1999. De nouveaux problèmes se posent en raison de l'évolution des missions de l'Alliance Atlantique sur laquelle les Européens doivent avoir leur mot à dire.

En matière d'institutions européennes, M. Jean-Bernard Raimond a souhaité des réformes allant dans le sens de la simplicité - concernant l'extension de la majorité, la repondération des voix, la taille et le fonctionnement de la Commission - afin de favoriser un fonctionnement harmonieux.

Il a estimé que la vocation européenne de la Turquie était née en 1947 avec la doctrine Truman qui a étendu sur ce pays la protection américaine contre l'Union soviétique.

M. François Loncle a demandé à M. Hans-Ulrich Klose son sentiment sur l'évolution de la Russie.

M. Lionnel Luca a souhaité connaître le jugement de M. Hans-Ulrich Klose sur la situation au Kosovo.

En ce qui concerne le parallèle entre la Tchétchénie et le Kosovo, M. Hans-Ulrich Klose a souligné que pour toutes les questions importantes il est possible de parler de "deux poids, deux mesures". En effet, si nous avons tous des valeurs morales très fortes, il est exceptionnel de pouvoir les appliquer dans les relations internationales. D'ailleurs, certains ont pu avancer des positions morales contre l'intervention au Kosovo. Cette dernière a pourtant obtenu des résultats, comme le retour d'un million de réfugiés ou la fin de la politique d'expansion de Milosevic. Mais des interrogations demeurent : le retour à une coexistence entre les différents peuples n'est pas assuré, et on ne saura que plus tard si l'intervention de l'OTAN n'a pas d'abord été un appui à l'UCK.

La situation de la Tchétchénie soulève des interrogations semblables. Si nous ne pouvons pas accepter qu'un peuple soit pris en otage sous prétexte de lutter contre le terrorisme, clamer la nécessité d'une solution politique ne suffit pas : quelle est cette solution ? Avec qui peut-elle être négociée ? Les représentants officiels de la Tchétchénie n'apparaissent pas comme des interlocuteurs convaincants, et l'on peut douter du fait que les commandants militaires, tels que Bassaïev, soient des interlocuteurs fiables. Aussi, la situation est-elle très complexe. M. Hans-Ulrich Klose a déclaré partager l'immense souffrance de la population, mais comprendre les raisons qui ont poussé M. Vladimir Poutine à intervenir militairement. Toutes les interventions des dirigeants russes, et notamment du Président par intérim, montrent leur volonté de rétablir une Russie forte et de ne pas être considérés comme quantité négligeable sur la scène internationale.

A propos de la situation politique en Autriche, M. Hans-Ulrich Klose a fait part de ses interrogations sur la portée des mesures prises par les Quatorze. Il espère qu'elles auront pour conséquence de prévenir d'autres coalitions de ce genre ailleurs en Europe. Mais il est également possible que les réactions européennes soient contre-productives : s'il y avait des élections en Autriche aujourd'hui, le FPO de M. Jörg Haider recueillerait 40 % des voix. De plus, M. Jörg Haider est devenu une personnalité très célèbre en Europe et l'on peut craindre que son influence n'augmente ainsi, notamment dans les pays où des mouvements partagent ses idées. Enfin, l'existence d'une morale européenne reste très incertaine : la coalition au pouvoir en Autriche a certes été condamnée, mais l'Europe n'ose pas intervenir en Tchétchénie ; par ailleurs, cette condamnation est un peu surprenante, au moment où l'on accorde à la Turquie un statut de pays candidat alors que les droits de l'Homme n'y sont absolument pas respectés.

De grands progrès ont été réalisés ces trois dernières années en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Il convient de continuer dans cette voie et d'_uvrer pour plus d'harmonisation. Il est douteux toutefois que cette coopération débouche concrètement sur une politique étrangère unique entièrement confiée à M. Javier Solana, car les Etats n'accepteront pas d'abandonner leur spécificité nationale. Il revient pour cette raison à la France et à l'Allemagne, une fois de plus, de resserrer leurs liens afin de renforcer leur politique commune.

La question des ventes d'armes est une compétence gouvernementale en Allemagne. Le débat aujourd'hui manque de clarté. Certains affirment qu'il faut refuser de vendre des armes à la Turquie tant que ce pays n'aura pas aboli la peine de mort, mais on continue d'en vendre aux Etats-Unis, dont de nombreux Etats ont légalisé la peine de mort. La position passée qui voulait qu'on ne vende pas d'armes en cas de conflit ou de tensions était plus claire. L'Europe a intérêt à conserver une industrie de l'armement efficace, ce qui contribue à renforcer son rôle sur le plan international.

M. Hans-Ulrich Klose a confié avoir une vision très romantique de l'identité européenne. Cette identité ne prendra forme que lorsque les Européens seront formés sur les bancs de l'école sur un même schéma et partageront la même éducation et la même culture. En Allemagne, malheureusement, le "Gymnasium" ne joue plus son rôle à cet égard. Il est significatif par ailleurs que le nombre de traductions de français en allemand et d'allemand en français soit en baisse au profit des traductions en provenance des Etats-Unis.

M. Hans-Ulrich Klose a fait part de son étonnement d'entendre sur Air France, entre Paris et Berlin, utiliser l'anglais et le français pour les annonces alors que la Lufthansa utilise le français et l'allemand.

Il s'est déclaré favorable à l'instauration d'une mesure obligeant tout lycéen européen à séjourner six mois dans un pays étranger avant de passer son baccalauréat.

Le Président Jack Lang a apporté son soutien aux derniers propos de M. Hans-Ulrich Klose et regretté l'absence de volonté des gouvernements sur la question de l'apprentissage des langues. Tout le monde se dit d'accord mais aucune action concrète n'est menée.

Il a enfin remercié M. Hans-Ulrich Klose pour le talent, la culture et la densité de réflexion dont il a fait preuve au cours de cet échange.

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