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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 avril 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Georges Hage, vice-président

puis de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

page


- Election du Président de la Commission des Affaires étrangères et d'un vice-président


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- Audition de Son Excellence M. Nikolaï Afanassievsky, ambassadeur de Russie en France


5

Election du Président

Au nom des groupes de la majorité, M. Michel Vauzelle a présenté la candidature de M. François Loncle. Au nom des groupes de l'opposition, M. Dominique Baudis a présenté la candidature de Mme Bernadette Isaac-Sibille.

L'élection a donné lieu à un seul tour de scrutin :

Nombre de votants : 41

Bulletins blancs : 4

Suffrages exprimés : 37

Majorité absolue : 19

Ont obtenu :

M. François Loncle : 29 voix

Mme Bernadette Isaac-Sibille : 6 voix

M. René André : 2 voix

M. François Loncle, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, a été proclamé président.

Le Président François Loncle a déclaré que son élection était un moment très fort de sa carrière politique. Il a eu une pensée émue pour trois personnes qui auraient aimé le voir à cette place : pour ses parents, qui étaient des "justes", au sens du projet de loi qui vient d'être voté, et pour son ami tragiquement disparu, Pierre Bérégovoy. Il a adressé des remerciements sincères et chaleureux aux membres du Groupe socialiste et de l'ensemble de la majorité, notamment à MM. Michel Vauzelle et Jean-Louis Bianco, ainsi qu'à tous ses collègues. Il a expliqué que sa passion pour la politique étrangère lui venait de l'un de ses professeurs d'histoire-géographie, Julien Gracq, et de l'écrivain sicilien Leonardo Sciascia.

Saluant les membres de l'opposition, et parmi eux les hommes politiques éminents membres de la Commission : le Président Valéry Giscard d'Estaing, M. Alain Juppé, M. Raymond Barre, M. Edouard Balladur et M. François Léotard, il a rendu hommage à tous ses prédécesseurs à la présidence de la Commission des Affaires étrangères , notamment ceux qu'il a connus depuis 1984.

Evoquant la présidence de M. Jack Lang, il a souligné sa courtoisie, son sens républicain des droits de l'opposition, son engagement en faveur des droits de l'Homme ; à cet égard, il a indiqué qu'il s'inscrirait dans cette ligne politique.

Il a formé des v_ux pour que la Commission effectue un excellent travail au service de l'Assemblée nationale et de la France.

Election d'un vice-président

M. Yves Dauge a présenté, au nom des groupes de la majorité, la candidature de M. Gérard Charasse au siège de vice-président.

En application de l'article 39 du Règlement, le nombre de candidats n'étant pas supérieur au nombre de sièges à pourvoir, il n'a pas été procédé au scrutin.

M. Gérard Charasse a été proclamé vice-président.

En conséquence, le Bureau de la Commission est ainsi constitué :

Président :

M. François Loncle

Vice-présidents :

M. Gérard Charasse

M. Georges Hage

M. Jean-Bernard Raimond

Secrétaires :

M. Roland Blum

Mme Monique Collange

N..

*

*       *

Audition de l'Ambassadeur de Russie en France

La Commission a entendu M. Nikolaï Afanassievsky, ambassadeur de Russie en France.

Le Président François Loncle a salué en M. Nikolaï Afanassievsky un diplomate de très grande expérience, qui a longtemps été en poste en France avant d'être vice-ministre des Affaires étrangères dans son pays. Il est Ambassadeur à Paris depuis janvier 1999.

M. Nikolaï Afanassievsky a félicité M. François Loncle pour son élection et s'est déclaré très honoré d'être la première personne auditionnée sous sa présidence. Il a souligné le rôle très utile des contacts parlementaires, notamment entre les Commissions des Affaires étrangères de la Douma et de l'Assemblée nationale, qui ont su nouer entre elles un dialogue franc et amical.

L'Ambassadeur de Russie a présenté le futur calendrier institutionnel de la Russie. Aujourd'hui même, la Commission électorale centrale doit proclamer les résultats officiels des élections présidentielles du 26 mars dernier. Puis dans les trente jours qui suivront - ce qui devrait nous conduire vers les 6 et 7 mai - M. Vladimir Poutine sera installé officiellement. Le gouvernement présentera alors sa démission conformément à la Constitution, et le Président proposera à la Douma un nouveau chef de gouvernement. Contrairement à ce qu'on a pu connaître par le passé, le vote de la Douma ne devrait pas poser de problèmes. C'est un acquis irréversible de la Présidence Eltsine, parfois controversée : le respect par tous les acteurs institutionnels, y compris l'opposition, des règles essentielles de la démocratie.

L'une des leçons des dernières élections est l'isolement des extrémismes de tous bords, de gauche ou de droite. Le score de M. Vladimir Jirinovski, qui est passé de 20% à moins de 2,8%, en est l'illustration. M. Vladimir Poutine peut être considéré comme l'image d'un centrisme réaliste, ou pour reprendre l'expression d'un Français, d'un "centrisme musclé". M. Guennadi Ziouganov, qui a réuni près de 30 % des voix, incarne le vote protestataire. Certes, ce vote est en déclin par rapport à 1996, mais il n'en demeure pas moins important.

Le système politique russe devient de plus en plus stable ; le Parlement y joue un rôle constructif. La campagne électorale a dégagé les priorités économiques : combiner poursuite des réformes dans le cadre de l'économie de marché et maintien d'un rôle de l'Etat, par exemple pour le contrôle des changes ; combiner efficacité économique et progrès sociaux accrus - les 30 % de vote protestataire expriment un certain malaise social - ; combiner protection de la production nationale et ouverture des marchés vers nos partenaires, et tout particulièrement l'Europe et les Etats-Unis.

Nous en saurons plus au début du mois de mai, après la formation du gouvernement. Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que l'économie russe ira de l'avant et qu'elle aura besoin des investissements étrangers.

En ce qui concerne la politique extérieure, M. Nikolaï Afanassievsky a indiqué que les impératifs économiques détermineront en grande partie l'orientation de l'activité internationale de la Russie ; des corrections, des révisions seront apportées dans le sens d'une attitude plus concrète, plus pragmatique et plus exigeante avec nos partenaires.

Ainsi, la Russie n'aura plus une attitude de confiance aveugle envers les conseillers ultra-libéraux du FMI, institution dont le comportement à l'égard de la Russie a déjà changé. La Russie a une expérience concrète de cette politique économique, qu'elle utilisera dans ses discussions, tant politiques qu'économiques, avec l'extérieur. L'intérêt de la Russie devra primer dans tous les cas. L'Union européenne est devenue le premier partenaire économique de la Russie, les échanges avec elle étant deux fois supérieurs à ceux réalisés avec les anciens partenaires de l'URSS. La Russie est donc prête à un échange d'expérience avec l'Union européenne, mais pas à sens unique ; les échanges doivent comporter des avantages réciproques. Les moyens conflictuels sont exclus, car la Russie n'imagine pas son développement sans le monde extérieur, notamment l'Europe, le Japon, la Chine.

La conclusion d'un accord acceptable avec le Club de Paris devra intervenir afin de renégocier la dette russe : les intérêts de celle-ci s'élèvent à 9 milliards de dollars pour l'année 2000, ce qui représente un fardeau très lourd. L'économie russe manifeste des signes de reprise très encourageants : le PNB a augmenté de 2% l'année dernière et la production industrielle de 8%. Les rentrées budgétaires et en devises ont augmenté, ce qui correspond à la hausse des prix du pétrole. La question de la dette doit être résolue afin de stabiliser cette tendance. Le coût de la guerre en Tchétchénie en termes d'effort militaire, de reconstruction, de paiement des retraites et des pensions, est également un problème important.

Le Président François Loncle a remercié M. Nikolaï Afanassievsky pour son exposé en langue française. Il a demandé, au nom de tous ses collègues, des informations sur le sort du photographe français Brice Fleutiaux, détenu en otage depuis déjà six mois.

M. Pierre Brana a observé qu'il est question en Tchétchénie de massacres de civils, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, voire de génocide. La Douma d'Etat s'apprête-t-elle à ratifier le traité portant création de la Cour pénale internationale ?

Par ailleurs, les liens entre l'URSS et un certain nombre de pays d'Afrique ont été très étroits. Comment expliquer la perte d'influence de la Russie sur ce continent, qui semble s'apparenter à une véritable rupture ?

Enfin, l'environnement est-il un thème important de politique intérieure ? On sait que des usines polluantes sont en activité en Russie, et que la sécurité des centrales nucléaires suscite des inquiétudes. Quelle est l'attitude du gouvernement dans ce domaine ?

M. Valéry Giscard d'Estaing a rappelé que le processus démocratique qui se déroule en Fédération de Russie est suivi avec intérêt en France, et l'on constate que le peuple russe et ses dirigeants semblent trouver un chemin vers une société démocratique, évolution qui est à mettre à leur crédit. Il a interrogé l'Ambassadeur de Russie sur l'attitude du nouveau Président de la Fédération vis-à-vis de l'élargissement de l'Union européenne (qui aura pour effet de la rapprocher des frontières russes) et de l'élargissement de l'OTAN. Comment peut-on, par ailleurs, imaginer l'avenir des rapports entre Russie et Biélorussie ? M. Valéry Giscard d'Estaing a demandé si on avait mesuré l'incidence de la hausse considérable des cours du pétrole sur la situation économique russe ?

M. Guy-Michel Chauveau a évoqué les aspects de sécurité de la politique extérieure russe : quels sont les futurs partenaires privilégiés par le nouveau Président dans le domaine de la défense et du désarmement ?

M. Nikolaï Afanassievsky a répondu à ces questions.

Sur la situation en Tchétchénie, il a demandé que la plus grande attention soit apportée à l'utilisation de certains termes particulièrement forts, juridiquement et symboliquement, comme ceux de génocide ou de crimes contre l'humanité, qu'il récuse absolument. Des distorsions extraordinaires de la vérité, qui s'apparentent à de la propagande, peuvent être constatées. Pourtant des députés russes ont rédigé des documents pour répondre à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe de janvier dernier. L'accusation de génocide n'est pas sérieuse, même les dirigeants tchétchènes ne citent que des chiffres symboliques de pertes civiles. Certes, il y a bien eu des destructions, qui ont été très douloureuses, mais personne n'évoque les 500 000 non-Tchétchènes qui ont été expulsés de Tchétchénie. Ce pays a été de facto indépendant pendant trois ans et on découvre aujourd'hui des charniers de Russes massacrés pendant cette période.

Il existe malheureusement en France un courant, représenté par certains intellectuels systématiquement défavorables à la position des autorités russes. Ils ne prennent en compte que le point de vue tchétchène. De nombreux hommes politiques français sont influencés par ces opinions. Dans d'autres pays occidentaux, le traitement de cette question est beaucoup plus équilibré. La position majoritaire en France est étonnante et inquiétante.

Il y a un véritable conflit en Tchétchénie, mais son origine est due à l'existence de camps de terroristes bien payés, souvent islamistes, qui pratiquent le trafic d'armes ou de drogue et qui déstabilisent la région, comme l'a montré l'attaque contre le Daghestan. La majorité de la population locale refusait l'utilisation des villes et villages comme boucliers par ces terroristes, ce qui aurait évité des destructions. Pour autant, il y a eu effectivement quelques cas de violences par les troupes fédérales russes : tous les cas concrets ont fait l'objet de poursuites, 40 dossiers sont actuellement en instance contre des militaires.

Après sa visite en Tchétchénie, Mme Mary Robinson, Haut commissaire de l'ONU pour les droits de l'Homme, a tenu des propos étonnants. Pourquoi n'est-elle pas allée voir aussi les réfugiés non-Tchétchènes ? De plus, le refus prêté aux Russes de laisser les ONG travailler dans la région est faux. La Croix Rouge est allée en Tchétchénie, mais n'a rien trouvé à redire, et du coup sa présence est passée inaperçue. L'Union européenne a communiqué une liste de douze ONG ayant émis des plaintes : six d'entre elles n'existent pas et seulement deux ont souhaité se rendre en Tchétchénie. Les jugements du Haut commissariat aux réfugiés ne sont pas entendus. Celui-ci estime que la situation est difficile mais qu'elle ne s'apparente pas à une catastrophe humanitaire ; il reconnaît que les autorités russes font ce qu'elles peuvent. Quant aux députés de la Douma, ils sont très attentifs à la situation et très exigeants. Ils ont ainsi crée une commission spéciale qui s'est rendue à plusieurs reprises dans la région. Il faut espérer que des décisions irréparables ne seront pas prises au Conseil de l'Europe.

Abordant le cas de Brice Fleutiaux, M. Nikolaï Afanassievsky a indiqué que les prises d'otages était une véritable plaie dans la région. Elles se sont développées ces dernières années et sont devenues un phénomène quotidien, un véritable trafic ; plus de 100 Russes sont retenus en otage. Pour M. Brice Fleutiaux, les autorités russes sont en contact avec les autorités françaises depuis le premier jour. M. Vladimir Poutine suit d'ailleurs personnellement cette affaire. Tous les détails ne peuvent être révélés, mais l'espoir est grand qu'il soit encore vivant et puisse être libéré. On estime qu'il a déjà été revendu à deux ou trois reprises.

La procédure de ratification du traité instaurant la Cour pénale internationale est en cours, car, contrairement à d'autres grands pays, la Russie a signé ce traité. Cependant, elle s'informe de l'attitude des autres Etats et considère que l'expérience du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie n'est pas convaincante. Il est trop politisé, le fort jugeant le faible.

Les relations de la Russie et de l'Afrique étaient fondées sur l'aide au développement, ce qui les rend actuellement moins denses ; toutefois, la Russie s'intéresse toujours à ce continent, y suit toutes les situations conflictuelles et reste très présente en Afrique du Nord, au Mozambique, en Angola et en Afrique du Sud. En politique extérieure, le ton de la Russie sera plus équilibré et plus national, sans être nationaliste. Elle se montre plus favorable à l'élargissement de l'Union européenne qu'à celui de l'Alliance atlantique, qui, s'ajoutant aux bombardements de la Yougoslavie, est vécu comme une menace. La Russie se pose des questions sur l'Union européenne car ses intérêts économiques et commerciaux pourraient pâtir d'une politique assez protectionniste de l'Union. Elle en perçoit déjà les effets sur certains des candidats en raison du passage à des normes techniques différentes. La Lituanie, qui effectue 60% de ses échanges avec la Russie, en fait d'ailleurs les frais. M. Nikolaï Afanassievsky a formé des v_ux pour que la présidence française se penche sur ce problème en utilisant les mécanismes de l'accord de partenariat Union européenne-Russie. La Russie n'est pas candidate à l'Union, et estime que cet accord devrait permettre de pallier ces difficultés.

Le processus de rapprochement avec la Biélorussie continuera, car il est commandé par les intérêts économiques et les opinions publiques des deux pays. Son coût et l'attitude des dirigeants biélorusses demeurent problématiques.

L'augmentation du prix du pétrole a contribué à améliorer la situation budgétaire, mais les décisions prises pour faire rentrer les devises ont pris un retard de quatre à cinq mois. Aussi, les sociétés pétrolières, plus que le budget de l'Etat, ont-elles profité de cette hausse,.

M. Henri Bertholet a demandé comment les responsables russes percevaient l'avenir des Balkans, la situation au Kosovo et en Serbie.

M. Jacques Myard a observé que, même si la Russie n'était pas candidate à l'entrée dans l'Union européenne, elle faisait partie du système européen. Il a souhaité qu'elle en fasse encore plus partie, et que l'on crée un conseil de sécurité européen. Il s'est informé sur la manière dont la Russie envisageait l'avenir du continent européen en matière de sécurité.

M. Nikolaï Afanassievsky a répondu que la situation actuelle au Kosovo donnait raison à la Russie : la violence n'a rien résolu ; la presse exprime plus de doutes que de certitudes, un an après les frappes.

Il a fait état de la première réunion, depuis un an, du Groupe de contact, et des divergences qui y sont apparues entre la Russie et certains de ses partenaires occidentaux. Celle-ci s'inquiète de l'évolution de la situation. On assiste, impuissant voire complaisant, à un mouvement vers l'indépendance du Kosovo, contraire à la résolution des Nations Unies, dangereux pour la région, car susceptible d'entraîner l'éclatement de la Macédoine et la constitution d'une grande Albanie sous la coupe de l'UCK. M. Ibrahim Rugova n'est pas en mesure de l'emporter ; les élections locales risquent d'être gagnées par l'UCK. Il convient d'agir pour isoler les dirigeants séparatistes et les extrémistes et maintenir l'ambiguïté constructive de la résolution. A cet égard, l'attitude américaine est peu claire et dangereuse. Il faudra discuter du statut final avec la partie serbe et se libérer du réflexe qui consiste à faire porter systématiquement la responsabilité sur le Président Milosevic, faute de quoi on répétera les mêmes erreurs.

L'idée d'Europe est conçue de manière plus ou moins extensive. Pour la Russie, la signification la plus large s'impose et la question de son appartenance à l'Europe ne se pose même pas : elle est évidente. Ainsi, la Russie a beaucoup fait pour assurer l'enracinement de cette appartenance, et il n'est pas certain qu'un tel effort ait été conduit en France dans l'autre sens. Pour permettre la mise en place de cette Europe de l'Atlantique à l'Oural, voire à l'extrême Orient russe, la Russie est prête à participer à une coopération pour assurer la stabilité et la sécurité en Europe.

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