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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 3 mai 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

page


- Election d'un Secrétaire de la Commission des Affaires étrangères


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- Audition de M. Ahmed Qurie dit Abou Ala, président du Conseil législatif palestinien


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- Informations relatives à la Commission


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Election d'un Secrétaire

M. François Loncle a indiqué que le Groupe socialiste lui avait présenté la candidature de M. Pierre Brana au siège de secrétaire.

En application de l'article 39 du Règlement, le nombre de candidats n'étant pas supérieur au nombre de sièges à pourvoir, il n'a pas été procédé au scrutin.

M. Pierre Brana a été proclamé secrétaire.

En conséquence, le Bureau de la Commission est ainsi constitué :

Président :

M. François Loncle

Vice-présidents :

M. Gérard Charasse

M. Georges Hage

M. Jean-Bernard Raimond

Secrétaires :

M. Roland Blum

Mme Monique Collange

M. Pierre Brana

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Audition du Président du Conseil législatif palestinien

La Commission a entendu M. Ahmed Qurie, président du Conseil législatif palestinien.

Remerciant M. Ahmed Qurie de sa présence devant la Commission, le Président François Loncle a rappelé que celui-ci était un compagnon de longue date du Président Yasser Arafat et l'un des négociateurs des accords d'Oslo. La délégation qu'il conduit est en visite officielle en France, à l'invitation du Président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni. Au cours de ce séjour, elle s'est entretenue avec le Président de la République, le Ministre des Affaires étrangères et sera reçue par le Président de l'Assemblée nationale.

Le Président François Loncle a expliqué que la Commission se posait de nombreuses questions sur la situation au Proche Orient, aussi les explications du Président du Conseil législatif palestinien seront-elles précieuses. Il s'est interrogé sur l'avenir du processus de paix, les négociations bilatérales commencées à Eilat, la situation politique au sein de l'Autorité palestinienne, l'état des libertés publiques et des droits de l'Homme.

M. Ahmed Qurie a présenté les membres de sa délégation : M. Jhazi Hanania, vice-président du Conseil législatif palestinien, M. Ziad Abu Amr, Président de la Commission politique, M. Marwan Barghouti, Président du groupe d'amitié Palestine-France, M. Mahmoud Labadi, directeur général du Conseil législatif palestinien, Mme Nadia Sartawi, directrice des Relations internationales et du Protocole du Conseil législatif palestinien ainsi que Mme Leïla Shahid, représentante en France de l'Autorité palestinienne, qui est extrêmement active et soucieuse de renforcer les relations entre la France et les Territoires autonomes palestiniens. Il a exprimé son plaisir de se trouver devant la Commission des Affaires étrangères au sein d'un des plus anciens parlements du monde, dans un pays qui a lancé l'idée de la démocratie, et dont l'Autorité palestinienne a beaucoup à apprendre. La Délégation qu'il conduit a été longuement reçue par le Président de la République, le Ministre des Affaires étrangères et les représentants des différents groupes politiques. Ces rencontres ont été amicales et fructueuses.

Depuis sa création en 1996, le Conseil législatif palestinien a été en relation avec l'Assemblée nationale, a largement bénéficié de son expérience et a reçu plusieurs délégations parlementaires françaises. M. Ahmed Qurie est particulièrement fier de cette relation privilégiée avec l'Assemblée nationale.

Le processus de paix est une question complexe à la fois difficile et facile, dont la solution dépend de la foi de chacun des partenaires dans l'égalité des pays du monde. Il existe une réelle possibilité de paix durable entre Palestiniens et Israéliens. Leur accord est au c_ur du processus de paix dans la région. Cette paix aura un impact non seulement sur l'ensemble des pays de la région - Egypte, Jordanie, Syrie, Liban -, mais également sur l'Union européenne et sur la France. Chacun y a intérêt. Trois principaux points restent en négociation ; s'ils trouvent une solution, Israéliens et Palestiniens parviendront à un accord durable.

Le premier point est capital et concerne le tracé des frontières. Les divergences sont importantes. Les Palestiniens ont fait des concessions considérables. L'accord d'Oslo met en _uvre deux résolutions (242 et 338) des Nations Unies ; il est fondé sur les frontières de 1967. Les Palestiniens ne peuvent pas être plus souples qu'à Oslo sur cette question ; or, les Israéliens se montrent toujours expansionnistes et continuent de vouloir annexer une partie des Territoires. A Oslo, les Palestiniens ont accepté que soit réduite à 22% du territoire la part qui leur serait restituée, alors que la résolution 181 des Nations Unies de 1947 leur en conférait 50% ; ils ne peuvent aller au-delà. Les Territoires ne se marchandent pas ; ils sont la terre des Palestiniens et ont été annexés en 1967.

Le deuxième point traite du droit au retour des Palestiniens sur leur territoire : il est primordial, car il touche à la liberté et aux droits de l'Homme. Il y a 7,5 millions de Palestiniens dans le monde, dont 4 millions en dehors des Territoires. Un accord qui ne concernerait que 50% des Palestiniens n'est pas acceptable et ne peut être signé. Il faut absolument résoudre le problème des réfugiés. Le Président Qurie a rappelé à cet égard que l'OLP à son origine était un mouvement de réfugiés ; de même le Fatah est né dans les camps et s'y est développé. Les Palestiniens ont pour eux la légalité internationale. La question des réfugiés est examinée tous les ans par les Nations Unies sur le fondement de la résolution 194. Or, les Israéliens sont très réticents sur cette question, alors qu'ils ont favorisé le droit au retour d'un million de Russes dont la moitié sont des Chrétiens. Cette problématique du retour est extrêmement importante.

Le troisième problème, qui intéresse tout le monde, est le statut de Jérusalem. Le caractère fermé, unifié de l'Etat d'Israël, ne permet pas l'internationalisation de la ville de Jérusalem, que les Palestiniens accepteraient selon les principes contenus dans la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations Unies. Une autre solution serait de faire de Jérusalem la capitale de deux Etats, Jérusalem-Est étant capitale palestinienne et Jérusalem-Ouest, capitale d'Israël. La ville ne comporterait pas de frontière et serait ouverte à la libre circulation pour toutes les communautés et les visiteurs, principe à partir duquel tout peut être imaginé dans les domaines de la sécurité, des transports ou de la liberté d'accès aux cultes. Malheureusement, les positions des deux parties sont très éloignées sur ces trois « problèmes-clefs ».

Le respect du délai imposé pour parvenir à un accord-cadre fait problème. M. Ehoud Barak a déjà demandé à plusieurs reprises un report. M. Ahmed Qurie a annoncé que si aucun accord définitif n'est obtenu en septembre, les Palestiniens n'auront d'autre solution que de proclamer unilatéralement l'Etat palestinien, en traçant ses frontières avec objectivité selon les résolutions précitées des Nations Unies, et en proclamant Jérusalem capitale de cet Etat. Chaque pays aura alors le droit de reconnaître le nouvel Etat, d'aider les Palestiniens à récupérer leurs territoires. L'entrée aux Nations Unies sera demandée. En l'absence d'accord, cette conduite sera la plus fidèle aux souhaits du peuple palestinien, même si l'Autorité palestinienne demande l'aide de la communauté internationale dans chacune de ces hypothèses.

L'Autorité palestinienne a commencé à mettre en place des institutions démocratiques sur ses territoires ; des erreurs ont été commises, mais il faut considérer que ce processus a débuté il y a cinq ans seulement. Des droits ont été instaurés au profit du Parlement qui exerce un réel contrôle sur l'exécutif, et 52 lois ont été adoptées. L'Autorité palestinienne souhaite renforcer ses bonnes relations avec la France.

Le Président François Loncle a remercié M. Ahmed Qurie pour la clarté et la précision de son exposé.

M. François Léotard a noté la franchise des propos tenus par le Président du Conseil législatif palestinien. Il s'est informé sur le problème de l'eau dans les Territoires, sur le chiffre exact et le statut des prisonniers palestiniens, et sur l'avancement des réflexions sur les questions constitutionnelles, en particulier sur la nature du futur régime politique.

M. Pierre Brana a considéré que les Palestiniens étaient en droit de proclamer leur Etat, et la France a toujours soutenu cette position. Mais une telle initiative, en cas d'échec de la négociation, ne comporte-t-elle pas le risque de geler les frontières actuelles ?

M. Paul Dhaille a demandé si la situation économique des Territoires s'était améliorée, et si elle souffrait toujours des fermetures inopinées de la frontière ? Comment progresse le projet de construction du port de Gaza, financièrement soutenu par l'Union européenne ? Rappelant que la campagne électorale battrait son plein aux Etats-Unis au mois de septembre, il s'est demandé si ce facteur ne serait pas défavorable à l'entreprise des Palestiniens. Il s'est interrogé sur les attentes des Palestiniens à l'égard de l'Union européenne et de la Présidence française en particulier.

Après avoir évoqué l'excellent accueil reçu lors de la visite d'une délégation de la Commission effectuée l'an dernier dans les Territoires palestiniens, Mme Bernadette Isaac-Sibille a demandé si l'aéroport et le port fonctionnaient à présent, permettant ainsi à l'entité palestinienne de bénéficier de liaisons directes avec l'extérieur ?

M. Henri Bertholet a approuvé les objectifs et les conditions de la proclamation de l'Etat palestinien, les jugeant légitimes. Conscient que de nombreux obstacles s'y opposent, telle l'existence des colonies israéliennes, il a demandé quelles étaient les propositions palestiniennes à ce sujet ?

M. Ahmed Qurie a répondu aux intervenants.

S'agissant des frontières, les seules questions qui devraient se poser concerneront la procédure et les modalités à partir du moment où les Parties se seront mises d'accord sur les principes.

M. Ahmed Qurie a confirmé que la question de l'eau était un sujet vital pour les Palestiniens comme pour les Israéliens. C'est l'un des principaux sujets de négociations ayant abouti aux accords de Tabaa, dits aussi d'Oslo II, qui ont reconnu les droits sur l'eau de la Palestine. Le négociateur américain Dennis Ross était venu spécialement pour aider à régler cette question. Pour autant, l'eau est acheminée avec parcimonie : la Palestine ne consomme que 7 à 8 % de ce qui lui revient ; sa consommation représente celle des piscines des colonies israéliennes.

Le danger le plus grave qui pèse sur le processus de paix tient au développement des colonies israéliennes dans les Territoires palestiniens. Sur ce point, M. Barak n'a en rien changé la politique de son prédécesseur, il a déjà décidé l'implantation de 7200 logements depuis son arrivée au pouvoir. Les Palestiniens considèrent la colonisation comme un acte d'agression illégale : ils sont prêts à accueillir des Israéliens qui voudraient s'installer à l'intérieur des frontières palestiniennes, dans le respect de la souveraineté palestinienne. La colonisation actuelle revient au contraire à une forme d'annexion de territoires palestiniens. Il s'agit d'une contradiction incompréhensible avec le processus de paix ; il est indispensable que le sort futur de ces colonies soit décidé conjointement par les deux Parties.

M. Ahmed Qurie a estimé le nombre de prisonniers palestiniens en Israël à 2100. La plupart sont des militants palestiniens, majoritairement issus du Fatah. Ils ont été emprisonnés pour des actions que les chefs palestiniens leur ont demandé de mener. Le peuple palestinien ne peut donc pas comprendre qu'ils restent en détention : il faudrait au moins que soient libérés les prisonniers qui ont été mis en détention avant Oslo. Les Palestiniens ont besoin de l'appui de la France et de l'Europe pour régler cette question qui est d'abord humanitaire. Quel intérêt peut avoir Israël à conserver ces prisonniers ?

Les institutions palestiniennes ont été déterminées par la loi fondamentale palestinienne qui a mis en place un statut provisoire. Le régime actuel est à dominante présidentielle mais où le Conseil législatif palestinien joue aussi un grand rôle. Ce dernier exerce des activités parlementaires classiques, législatives, budgétaires et de contrôle. Il est très attentif au respect des libertés publiques, par les services de sécurité notamment. Du fait de la situation particulière, notamment des engagements pris à l'égard d'Israël, certaines arrestations sont indispensables, mais globalement la situation des libertés publiques est satisfaisante, concernant par exemple les libertés d'opinion ou d'expression : peu de pays arabes connaissent des médias aussi libres que la Palestine.

S'agissant des conséquences d'une éventuelle proclamation de l'Etat palestinien à l'automne prochain, le risque de confrontation existe, mais il ne viendra pas des Palestiniens. La balle est ainsi dans le camp des Israéliens : pourquoi ne pas espérer qu'Israël puisse être le premier Etat à reconnaître l'Etat palestinien ?

Sur le statut final de Jérusalem, l'Autorité palestinienne n'a pas de plan prédéfini, elle est prête à accepter l'internationalisation de la ville, tout comme une solution faisant de la ville la capitale de deux Etats différents.

La situation économique des Territoires palestiniens a connu une amélioration sensible depuis Oslo. En 1993-94, le PIB atteignait 1,4 milliard de dollars, contre 5 milliards aujourd'hui. En outre, alors qu'il n'y avait qu'une seule banque, de dépôt uniquement, il y a plus de 60 banques différentes aujourd'hui qui détiennent 3,2 milliards de dollars d'avoirs. Il faut également souligner le dynamisme du secteur du bâtiment et des infrastructures, qui étaient presque entièrement détruites. Ainsi, l'industrie qui ne contribuait en 1993 que pour 8 % du PIB a vu sa part augmenter à 17 %. Le tourisme est également devenu une activité économique importante : les festivités de Bethléem 2000 ont bénéficié du succès de la visite du Pape, un véritable afflux de pèlerins est aujourd'hui constaté.

L'aéroport fonctionne malgré les entraves imposées par l'attitude des Israéliens. Des compagnies étrangères notamment arabes y sont présentes, on attend Air France. Certaines délégations officielles souhaitent l'utiliser. Le port de Gaza a été longtemps paralysé, l'Union européenne a été le premier contributeur financier et la France, les Pays-Bas et l'Allemagne concourent par leur aide à sa réalisation ; le Président Jacques Chirac est très satisfait que les travaux aient commencé car ce port constitue un lien avec le monde extérieur.

Rappelant que la France était un soutien solide aux aspirations nationales palestiniennes, le Président François Loncle a demandé si l'Union européenne était plus efficace actuellement après la nomination d'un haut représentant à la politique étrangère et de sécurité commune et si la future présidence française constituait un signe positif pour l'évolution de la situation au Proche-Orient.

M. Gérard Charasse a observé que trois questions étaient essentielles à l'instauration d'une paix durable au Moyen-Orient et à un accord israélo-palestinien : le tracé des frontières, le droit au retour et le statut de Jérusalem. Constatant qu'Israël s'est toujours opposé à un retour massif des réfugiés, il a souhaité savoir si des progrès avaient été accomplis à ce sujet et quelle avait été la réaction palestinienne à la proposition canadienne d'accueillir 15 000 réfugiés.

M. André Borel a fait savoir qu'il avait la chance de se rendre dans les Territoires autonomes palestiniens la semaine prochaine et que grâce à l'exposé clair et précis du Président Ahmed Qurie il avait déjà le sentiment de s'y trouver.

Le Président Ahmed Qurie a souhaité la bienvenue à M. André Borel qui est attendu avec impatience dans son pays.

Il a expliqué que les Palestiniens fondaient de grands espoirs sur le rôle de l'Union européenne dans le processus de paix et que le Président Yasser Arafat n'avait cessé de revendiquer un accroissement de ce rôle. L'expérience et la compréhension des membres de l'Union européenne est précieuse, leur connaissance de la région utile. Le représentant de l'Union européenne M. Moratinos assiste aux négociations israélo-palestiniennes qui se déroulent à Eilat. Les Palestiniens fondent de grands espoirs sur la Présidence française de l'Union européenne afin de les soutenir en septembre, date à laquelle ils déclareront unilatéralement leur Etat s'ils ne parviennent pas à un accord avec les Israéliens. La France jouant un rôle pionnier dans le processus de paix, M. Ahmed Qurie a considéré qu'elle devrait soutenir cette décision.

Le principe fondamental est de proclamer un droit au retour pour les réfugiés ; les modalités, la mise en _uvre sont un problème secondaire. Le futur Etat palestinien ne pourrait d'ailleurs pas les absorber en une seule fois, et leur accueil représenterait une tâche importante en termes de logement, d'emploi, de scolarisation, notamment. La proposition canadienne d'accueil n'a pas été présentée à l'Autorité palestinienne.

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Informations relatives à la Commission

A été nommée, le mercredi 3 mai 2000, Mme Bernadette Isaac-Sibille, rapportrice pour le projet de loi autorisant l'approbation de la Convention franco-vietnamienne relative à l'adoption internationale.

La Commission a décidé de créer deux groupes de travail, sur la réforme des Nations Unies et les conflits en Afrique, destinés à préparer un colloque qu'elle organisera, conjointement avec la Commission de la Défense, à la fin de l'année sur la prévention des conflits et le maintien de la paix.

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· Bureau de la Commission

· Israël

· Palestine

· Union européenne


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