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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 mai 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères


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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

La Commission a entendu M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères.

Le Président François Loncle a donné quelques informations sur l'ordre du jour de la Commission, insistant notamment sur l'audition de M. Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal, qui effectue en France l'une de ses premières visites officielles. Il a remercié M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, de sa présence. Outre les grands sujets d'actualité, il s'est enquis de l'action menée par la France pour libérer M. Brice Fleutiaux et les otages français aux Philippines. Il a par ailleurs demandé des précisions sur l'initiative de M. Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, et sur l'état des relations franco-allemandes.

M. Charles Ehrmann a demandé quels étaient les éléments novateurs du discours de M. Joschka Fischer.

M. Alain Juppé a souhaité savoir si les déclarations de M. Joschka Fischer avaient été préparées en concertation avec la diplomatie française.

M. René Mangin a fait part des interrogations d'une parlementaire européenne sur la manière dont l'opinion publique française perçoit les discussions sur le partenariat, la fédération, la confédération, les coopérations renforcées... Selon lui, on constate une grande incompréhension à ce sujet. Les débats peuvent brouiller les esprits car ils sont présentés de manière trop technocratique, sans que les avantages et les inconvénients de chaque solution ne soient mis en exergue aux yeux de l'opinion publique.

M. Valéry Giscard d'Estaing s'est interrogé sur la préparation de la Conférence intergouvernementale. Il a évoqué la perspective d'une éventuelle position commune franco-allemande. Le risque existe que celle-ci ne soit interprétée comme un point d'arrivée, ce qui réduirait alors notre marge de man_uvre dans la négociation. Sur la question du nombre des commissaires par exemple, la suppression du deuxième commissaire des cinq plus grands pays pour les remplacer par des commissaires issus des nouveaux Etats membres serait une erreur. On perdrait l'expérience des premiers et on sacrifierait un élément représentatif de notre pays sans obtenir d'accord global. Accepter au préalable la suppression de notre deuxième commissaire dans le cadre d'une proposition commune avec l'Allemagne réduirait les possibilités d'obtenir une réforme satisfaisante de la Commission, qui devrait comprendre un nombre de commissaires inférieur à celui des Etats.

S'agissant des débats sur la majorité qualifiée, les propositions qui sont faites d'une double majorité qualifiée sont intéressantes. Une telle solution passerait par l'institution d'une majorité dite démographique, mais celle-ci devrait rester une majorité qualifiée, et non une simple majorité simple de 51 % de la population de l'Union. En effet, il serait impossible d'obtenir la mise en _uvre d'une mesure par un vote de justesse, auquel s'opposeraient des Etats représentant presque la moitié de la population de l'Union. Les Parlements nationaux ou les populations s'y opposeraient.

Le Ministre a répondu aux différents intervenants.

La prise de conscience des conséquences du grand élargissement de l'Union européenne fut lente ; cette question a longtemps été occultée. Lorsque, en 1997, au Conseil "Affaires générales", la France défendait l'idée d'un élargissement maîtrisé, elle s'est heurtée à l'hostilité ou à l'incompréhension de ses partenaires, et notamment du Chancelier Kohl. L'approche du Chancelier Schroeder est différente. A partir de la déclaration du Conseil européen d'Helsinki, qui a ouvert la négociation avec six nouveaux candidats, et a affirmé la vocation de la Turquie à être membre de l'Union, le débat sur l'élargissement a commencé à se développer en Allemagne comme en France. A l'exception de ceux qui défendent une Europe réduite à un marché, personne ne croit que les institutions européennes fonctionneront correctement à trente Etats membres.

Des propositions aux formulations parfois embrouillées et mal définies surgissent. Il est donc nécessaire de clarifier ce débat. Certains mettent en avant des solutions pragmatiques. Elles visent à améliorer les institutions sans modifier les traités. L'utilisation de coopérations renforcées réunissant certains Etats membres pour mener à bien une politique commune sera à l'ordre du jour de la prochaine Conférence intergouvernementale.

D'autres formules se rapprochent davantage des idées fédéralistes : elles tendent à créer un "noyau dur" comme le propose M. Joschka Fischer. On part du principe qu'il sera impossible de faire fonctionner l'Union européenne élargie, qu'il convient donc d'élaborer un traité dans le traité. M. Jacques Delors s'inscrit dans cette optique quand il suggère la création d'une fédération d'Etats-nations regroupant par exemple les six fondateurs de l'Union européenne, pour autant que ceux-ci l'acceptent d'ailleurs.

Selon M. Hubert Védrine, M. Joschka Fischer élabore une architecture, idéale selon lui, qui s'inscrit dans un très long terme, mais qui entraîne la formation d'une Europe à deux vitesses, contrairement aux coopérations renforcées qui sont à géométrie variable, et qui ne figent pas les rôles, les Etats membres pouvant être "à l'intérieur" ou "à l'extérieur" suivant les domaines en question. Il est cependant utile que ce débat ait lieu, et le Ministre a salué ceux qui contribuent à l'alimenter : MM. Joschka Fischer, Jacques Delors ainsi que MM. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt pour leur récente proposition consistant à faire coïncider le noyau dur avec l'Europe de l'Euro. Le contexte actuel fait bien apparaître que le bon pilotage de l'euro exigera d'autres évolutions sur le plan politique. La sensibilité et le parcours politique de Joschka Fischer expliquent en partie son engagement en faveur d'une Europe fédérale englobant l'Allemagne dans un ensemble plus vaste.

Il a précisé qu'il s'entretenait régulièrement avec M. Joschka Fischer, mais que ces propositions ne constituaient pas un document commun et n'engageaient pas la France. Il ne s'y serait d'ailleurs pas associé ; ce document de réflexion risque de provoquer brusquement une division, car s'il y a une avant-garde, il y a aussi une arrière-garde, ce qui explique la réaction défavorable de certains gouvernements. La réflexion pose une question existentielle très lourde : qui pense qu'un jour les vieilles nations d'Europe se fondront dans une Europe unifiée ?

La priorité, du côté français, est d'abord de parvenir à conclure la CIG dans de bonnes conditions. Le Ministre a fait connaître à son collègue allemand que la France ne pourrait mettre sur la table des négociations un document de cette nature. Notre objectif est d'obtenir la meilleure solution sur la Commission, la prise de décision à la majorité qualifiée dans des domaines aussi nombreux que possible, la repondération des voix. M. Joschka Fischer a rejoint la position française sur les coopérations renforcées, qui doivent permettre des coopérations pratiques, et plus tard, éventuellement, à quelques pays, d'avancer vers une intégration politique. Pour M. Joschka Fischer, cette idée représente une première étape dans l'architecture qu'il a imaginée. Certains Etats y demeurent encore très hostiles, craignant justement qu'elle ne soit le point de passage vers un Etat fédéral en ne divisant l'Union.

Le Ministre des Affaires étrangères s'est déclaré favorable à la plus large ouverture possible du débat, mais n'a pas souhaité qu'il engendre des antagonismes forts dans lesquels les fédéralistes et les antifédéralistes s'organiseraient en deux camps.

M. Hubert Védrine a déclaré partager la vigilance de M. Valéry Giscard d'Estaing. Les réunions bilatérales franco-allemandes au plus haut niveau ne doivent pas déboucher sur une proposition commune mais permettre d'aller vers des positions communes. D'ailleurs, aucun document énonçant une proposition franco-allemande n'existe à l'heure actuelle. En outre, les initiatives franco-allemandes sont plus difficiles à gérer que par le passé car il faut veiller aux risques d'interprétations négatives de la part de nos autres partenaires.

A ce stade de la négociation, la France maintient tous ses objectifs. Elle souhaite en effet obtenir un résultat d'ensemble, comprenant non seulement les trois « reliquats » d'Amsterdam mais aussi les coopérations renforcées. Les points soulevés par M. Giscard d'Estaing sont absolument justes ; ainsi, si les résultats obtenus à Nice ne sont pas satisfaisants, il faudra accepter que la négociation puisse ne pas aboutir sous la présidence française.

M. Hubert Védrine a ensuite évoqué les débats sur une éventuelle Constitution européenne. Il s'agit d'un débat intéressant, mais qui n'est pas de nature à régler les problèmes qui se posent actuellement. Une telle constitution sera finalement assez facile à rédiger à partir du moment où on saura quelles sont les finalités de la construction européenne : aller vers une fédération ou vers une construction sui generis. Dans l'immédiat un tel document pourrait être utile pour régler les problèmes de répartition de pouvoirs entre les différents niveaux de compétence, mais il faudrait alors la modifier sans cesse dans l'attente des évolutions de la construction européenne.

Observant que les événements en Cisjordanie font craindre l'enlisement du processus de paix au Proche Orient, M. Roland Blum a demandé quelles pourraient être les initiatives de la France.

M. Pierre Brana s'est interrogé sur la situation du Congo-Brazzaville : les institutions internationales ont dit pouvoir prêter de l'argent à ce pays, mais seulement après la tenue des élections. Quelle est la position de la France ? Quelle peut être son influence pour améliorer la situation en Sierra Leone, en tentant d'agir auprès de certaines forces politiques du Liberia ou du Burkina Faso, qui ont leur part de responsabilité dans le conflit, dans la mesure où celui-ci est alimenté par l'argent issu du trafic de diamants ? M. Kofi Annan a dénoncé l'équipement insuffisant et le mauvais entraînement de la MINUSIL. Notre pays est-il intervenu, au moins pour ce qui concerne cet équipement ?

La situation se dégrade en Serbie, où toutes les formes de contestation sont réprimées. Le journaliste Miroslav Filipovic a été accusé d'espionnage et incarcéré. L'Union européenne est intervenue : la France s'est-elle exprimée, et sur le cas de ce journaliste en particulier ? Quelles pourraient être les initiatives pour voir réaffirmer les droits de l'Homme en Serbie ?

A l'occasion de la signature d'un accord inter-universitaire avec l'Université d'Erevan, M. Charles Ehrmann rencontré l'ancien Président M. Petrossian. Ce dernier s'est montré très étonné des querelles sur le génocide arménien en France, thème qui ne fait pas du tout débat chez les Arméniens d'Arménie.

M. Hubert Védrine a confirmé que la question du génocide arménien n'était pas évoquée lors des contacts qu'il peut avoir avec les autorités arméniennes. Au contraire, l'Arménie attend de la France qu'elle maintienne d'excellents rapports avec la Turquie ou l'Azerbaïdjan afin de jouer un rôle utile pour résoudre les problèmes qui se posent aujourd'hui.

Au Proche-Orient, la situation est bloquée entre Israël et la Syrie. Du côté palestinien, les négociations sont difficiles et les accrochages reprennent, ce qui est inquiétant.

En Afrique, la situation en Sierra Leone s'améliore, grâce notamment à la présence Britannique. Ce conflit illustre bien le fait que les pays développés ont beaucoup de difficultés à fournir suffisamment d'hommes au regard des besoins de sécurité du monde. Le problème de fond néanmoins demeure : comment mettre en _uvre un accord politique signé par des parties qui ne souhaitent pas l'appliquer ? Il convient d'essayer de consolider cet accord et d'impliquer davantage dans la recherche de solutions les puissances régionales, notamment le Nigeria.

Dans les Balkans, l'action de la France est toujours d'encourager les forces démocratiques, et de soutenir la presse libre.

En ce qui concerne les otages français, M. Hubert Védrine a souligné à quel point l'ensemble de l'administration du Quai d'Orsay - ambassades, direction des Français de l'étranger, direction d'Asie, cabinet - était mobilisé pour trouver une issue rapide et heureuse. De gros efforts d'information sont accomplis à l'intention de nos compatriotes, à travers notamment le site du ministère, «conseils aux voyageurs », qui est chaque jour de plus en plus visité. Les efforts du Quai d'Orsay sont reconnus par les familles, qui vivent elles aussi un calvaire, rongées par l'impuissance et l'angoisse.

Pour M. Brice Fleutiaux, les interventions sont constantes auprès des autorités Russes qui semblent la seule filière fiable et les contacts entre les services sont permanents. Il n'existe aucune négociation secrète entre la France et les ravisseurs et ces derniers ne se sont jamais adressés directement à nous.

En ce qui concerne les otages aux Philippines, l'objectif prioritaire a été d'abord d'éviter toute action dangereuse de la part de l'armée. Aujourd'hui on est entré dans une phase de négociations assez difficiles menées directement par le gouvernement philippin. Le Ministre a regretté certains comportements de correspondants de presse qui, à la recherche du scoop, n'ont pas toujours une attitude responsable. L'Allemagne et la France ont publié sur ce point un communiqué commun.

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