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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 31 mai 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. François Loncle, président

puis de M. Georges Hage, vice-président

SOMMAIRE

 

page

- Présentation du rapport d'information sur la réforme des institutions européennes

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- Compte rendu d'une mission au Kosovo

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- Compte rendu d'une mission au Timor

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- Conventions de coopération douanière au sein de l'Union européenne
(nos 2160, 2161, 2162, 2163 et 2164) - rapport


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- Convention portant création d'Eutelsat

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Rapport d'information sur la réforme des institutions européennes

M. Jean-Louis Bianco a indiqué que le rapport qui lui avait été confié par la Commission devait examiner trois ensembles de questions. Le premier touche les réformes indispensables en vue de l'élargissement : il s'agit des réformes institutionnelles que l'on a appelées le « reliquat d'Amsterdam ». Le deuxième comporte des éléments ou réflexions dont l'objectif, au delà du simple bon fonctionnement des institutions, est de faire grandir le projet politique européen. Le troisième ensemble comprend des propositions visant à donner à l'Union européenne de nouveaux fondements, par des accélérations dans certains domaines ou en engageant une véritable refonte du système européen. Tout en comprenant que la Présidence française ait fait le choix raisonnable d'un ordre du jour restreint pour la Conférence intergouvernementale, le Rapporteur a estimé qu'il ne fallait pas s'arrêter là mais prendre en compte les questions inévitables que posent les difficultés de fonctionnement des institutions et la perspective de l'élargissement.

Le Rapporteur a rappelé que la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne avait adopté le 9 mars 2000 un rapport consacré à la réforme des institutions présenté par M. Gérard Fuchs, et a souligné qu'il se trouvait en accord avec la plupart des conclusions de ce rapport.

Abordant le chapitre des réformes les plus indispensables, M. Jean-Louis Bianco s'est dit très pessimiste sur la capacité à fonctionner d'une Commission européenne nombreuse, lourde, et bureaucratique. Les mesures de « restructuration » proposées, qui pourraient être qualifiées de « réformettes », ne remédieront pas aux dysfonctionnements actuels, aggravés après l'élargissement par le nombre accru de commissaires. La seule solution serait à son sens la réduction drastique du nombre de commissaires à 10 ou 12, comme l'avait proposé la France en 1997.

Rappelant que la pondération des voix entre les Etats membres au sein du Conseil traduit une sur-représentation des petits pays, laquelle s'accroîtra avec l'élargissement, le Rapporteur a indiqué la position du Gouvernement favorable à une repondération qui rétablirait l'équilibre originel du début de la construction européenne entre grands et petits Etats membres. Il a quant à lui soutenu l'idée de double majorité simple, une décision étant adoptée si elle réunit la majorité des Etats et la majorité de la population totale de l'Union. Ce système reflète bien la double nature de l'Union, à la fois Union des peuples et des Etats.

En ce qui concerne l'extension du vote à la majorité qualifiée à de nouveaux domaines, le Rapporteur a souligné que la contribution de la Commission européenne traduit la volonté de délimiter la notion d'acte législatif, et donc d'amorcer une distinction loi/règlement qui lui paraît indispensable à ce stade de la construction européenne. Parmi les propositions existantes, il a préféré celle de M. Gérard Fuchs, qui consiste à diviser les dispositions du traité en trois catégories : celles restant à l'unanimité, celles relevant d'une décision à la majorité « superqualifiée », et celles soumises à la majorité qualifiée.

Au titre des réformes indispensables encore, le Rapporteur a évoqué la réforme des méthodes de travail du Conseil de l'Union (pour laquelle des mesures de bon sens ont été proposées dont on s'étonne qu'elles ne soient pas encore appliquées), la dissociation des deux fonctions, législative et de coordination, du Conseil, et, enfin, le dédoublement du Conseil « Affaires générales » en deux formations.

Enfin, M. Jean-Louis Bianco a évoqué le caractère insatisfaisant de la présidence semestrielle tournante de l'Union, qui ne reviendrait plus que tous les 13 ans et demi dans une Union à 27. Sans se prononcer pour sa suppression, il a estimé qu'il faut engager une réflexion, même si elle sera longue et complexe, sur l'hypothèse d'une Présidence de l'Union européenne, installée dans la durée et plus visible pour les citoyens et les Etats tiers.

Il a ensuite abordé la deuxième partie du rapport, consacrée aux avancées souhaitables pour faire grandir le projet politique européen.

En ce qui concerne les coopérations renforcées au sein de l'Union, il a estimé que le projet de la Commission était trop timoré, et proposé un système plus ouvert. Il a notamment proposé qu'une coopération puisse être engagée par un tiers des Etats membres ou un nombre d'Etats représentant un tiers de la population. Considérant que, même amélioré, ce mécanisme ne sera pas suffisant, il a estimé que les réflexions sur « l'avant-garde » ou le « noyau dur » devaient aboutir, l'une des difficultés étant que personne ne voudra rester en dehors. La proposition fondant ce « noyau dur » sur les pays qui ont fait le choix de l'euro est intéressante. Le Rapporteur a suggéré que la France et l'Allemagne mènent ensemble une réflexion pour déterminer dans quels domaines l'on pourrait aller plus vite ou plus loin.

L'élection au Parlement européen d'un quota de députés sur des listes européennes, proposée par le Commissaire européen Michel Barnier, est séduisante, mais elle ne peut être acceptée que si au préalable, ou en même temps, on instaure un scrutin uninominal dans le cadre de circonscriptions territoriales pour établir un lien plus direct entre le citoyen européen et son député. Rappelant que le Parlement examine environ 500 textes par an, le Rapporteur a souhaité une redéfinition du rôle législatif de cet organe, au moyen d'une distinction entre loi et règlement.

L'instauration dans le traité d'un mécanisme de surveillance en cas de menace aux principes démocratiques est utile ; par ailleurs le Rapporteur a estimé que la Charte des droits fondamentaux actuellement en cours de rédaction devrait revêtir un caractère contraignant, soulignant qu'il s'agit d'un sujet plus mobilisateur pour les citoyens que le nombre de commissaires, par exemple.

Abordant la troisième partie de son exposé consacrée aux réflexions destinées à conférer à l'Union de nouveaux fondements, M. Jean-Louis Bianco a évoqué la nécessité pour les Quinze de fixer, pour l'avenir prévisible, les frontières ultimes de l'Union. Treize candidatures ont été enregistrées, et les pays de l'ex-Yougoslavie présenteront un jour la leur, signe positif de l'apaisement des tensions. Dans ce contexte, il faut parer au risque d'une dilution très grave de l'Union, décrit par Jacques Attali, et considérer que, comme l'a souligné le Commissaire Chris Patten, l'on peut être membre de la famille européenne sans appartenir à l'Union.

Le Rapporteur a ensuite estimé que l'étape actuelle de la construction européenne appelait la rédaction d'une constitution selon la méthode du traité de Rome. Il conviendrait donc de nommer un comité (tel le « Comité Spaak » de 1956), dont la présidence pourrait être confiée à Jacques Delors, par exemple. La constitution permettrait de clarifier les domaines de compétence de chaque niveau, européen et national, et de formuler le contenu de la notion de subsidiarité.

En conclusion, le Rapporteur a énuméré quelques domaines dans lesquels la Présidence française pourrait donner des impulsions ou faire aboutir les dossiers : l'unité de coopération judiciaire Eurojust, le procureur européen chargé de la lutte contre la fraude, et le statut de société européenne, véritable serpent de mer du droit communautaire.

M. François Loncle a remercié M. Jean-Louis Bianco pour la qualité de son rapport, en précisant qu'il s'agissait d'un travail très important pour la Commission des Affaires étrangères.

M. Alain Juppé a jugé tout à fait remarquable le travail effectué par le Rapporteur, tant par les questions qu'il pose que par les éléments de réponse qu'il apporte.

S'agissant des frontières ultimes de l'Union, ne serait-il pas possible d'envisager, entre l'adhésion stricto sensu et l'association telle qu'elle existe aujourd'hui, un nouveau statut de partenariat rapproché soit individuel, entre tel Etat et l'Union, soit collectif, entre un regroupement d'Etats et l'Union ? Cela pourrait constituer une réponse aux attentes de certains pays, sans diluer l'Union.

L'idée de formuler précisément le partage des compétences entre l'Union et les Etats-membres afin de rendre plus opérationnel le principe de subsidiarité est souvent considérée comme irréaliste. Une telle entreprise est-elle trop compliquée ou doit-on la tenter ?

Le système de double majorité pour les votes au Conseil ne peut être considéré comme une majorité qualifiée. N'y a t-il pas lieu de conserver une vraie majorité qualifiée dans certains cas, majorité qui exige un engagement plus fort que les simples 51 % de la population des Etats membres ?

M. Pierre Brana s'est déclaré en complet accord avec les orientations du rapport. Il a demandé quel était l'état de la réflexion de nos partenaires sur les frontières ultimes de l'Union.

Une proposition d'instituer un parquet européen a été faite par le professeur Mireille Delmas-Marty. Quel est l'avis du Rapporteur sur cette question ?

M. Charles Ehrmann a indiqué qu'il craint à chaque élargissement que l'Union ne se transforme en une simple zone commerciale. En ce qui concerne le nombre de commissaires, une solution pourrait être que les pays du Bénélux acceptent de partager un commissaire. Cependant, ces débats sont très techniques, et il s'est demandé comment les Français pourraient saisir les enjeux en discussion.

Les statistiques économiques montrent que le niveau de vie moyen des pays candidats n'atteint que le quart de celui des Quinze, ce qui entraînera différentes conséquences pour l'avenir de la construction européenne et être source de difficultés. C'est pourquoi la position de l'Allemagne a varié quant à la nécessité d'approfondir l'Union avant de l'élargir.

M. Pierre Lequiller a félicité M. Bianco pour la qualité de son rapport. Il s'est déclaré plutôt inquiet de ce revirement de l'Allemagne dans le débat entre approfondissement et élargissement. En effet, ce changement tient plus à des raisons de fond liées à la peur de l'immigration, qu'à des exigences de forme comme en France.

Il a souligné qu'il y avait une contradiction à vouloir orienter la constitution d'un noyau dur autour de l'Euro et se féliciter du développement d'une coopération renforcée dans le domaine de la défense, qui a eu lieu avant tout grâce aux avancées britanniques. Si l'on s'en tient à cette hypothèse, la Grande-Bretagne serait exclue du noyau dur, sauf à revoir sa participation à l'euro. On risque alors de créer de nouveaux verrous à l'accès aux coopérations renforcées. Il faudrait privilégier une stratégie de mise en place de cercles différents (autour du thème de la défense ou de la justice, par exemple), avec éventuellement entre ces cercles, un noyau dur, qui serait certainement franco-allemand.

Pour appliquer réellement le principe de subsidiarité, il est indispensable de faire une compilation des compétences existantes et de leur répartition, mais aussi de confier à une Cour le contrôle de leur respect. Cette Cour devrait aussi pouvoir être saisie directement par les citoyens, ce qui poserait la question de la coexistence entre la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'Homme.

M. Paul Dhaille a estimé que le rapport de M. Bianco était remarquable et qu'il honorait la Commission des Affaires étrangères. Il a distingué deux conceptions de la réforme des institutions : soit considérer que l'on est arrivé à un point de blocage et qu'il convient de « bricoler » des mécanismes pour que les institutions fonctionnent plus ou moins bien, pour éviter de tout remettre en chantier, soit repenser l'ensemble de la construction européenne, démarche suivie par M. Fischer qui estime que l'on doit envisager ce bouleversement. Il faut donc passer à une nouvelle étape, et l'adoption d'une constitution européenne ou d'un nouveau traité fondateur est indispensable.

Par ailleurs, il existe de multiples assemblées et institutions sur le continent européen - le Conseil de l'Europe, l'UEO, l'OSCE - : ne faut-il pas redéfinir le rôle respectif de toutes ces instances ?

M. René André a demandé au Rapporteur s'il envisageait l'éventualité de la création d'une seconde chambre parlementaire représentant les Etats.

M. Jean-Louis Bianco a ensuite répondu aux intervenants.

Il a indiqué qu'à sa connaissance, il n'y a pas de projet formulant des modalités pour un partenariat rapproché à instaurer avec certains pays européens ou autres, et a souligné que l'idée de confédération européenne avancée il y a quelques années par François Mitterrand, et qui s'était heurtée à un scepticisme total à l'époque, pourrait être creusée, en l'adaptant évidemment à la situation actuelle. Par ailleurs, des formes de dialogue politique au sein de « sommets politiques européens » seraient intéressants. On pourrait y aborder par exemple les grandes questions économiques, qui intéressent tous les Européens. On pourrait aussi avancer dans différents domaines culturel, universitaire ou autres.

La rédaction d'un document compréhensible donnant corps au principe de subsidiarité doit être tentée, et ne paraît pas infaisable. Mais, il faut confier cet exercice à des personnalités politiques qui ont la pratique parlementaire, gouvernementale, nationale ou européenne, et non seulement à des juristes. L'exercice est difficile, et le système allemand est un exemple éclairant à cet égard : la répartition des compétences entre les différents niveaux s'étant complexifiée avec le temps, il en est résulté une situation inextricable où l'on ne sait plus qui fait quoi. Ce problème sera l'un des grands débats à l'avenir en Allemagne.

Le Rapporteur est sensible à la question de la légitimité des décisions prises par le Conseil de l'Union. C'est pourquoi il soutient la proposition de Gérard Fuchs consistant à diviser en trois catégories les dispositions du traité, et de prévoir pour une liste de décisions (notamment pour des décisions qui présentent un caractère intergouvernemental) une adoption à la majorité « superqualifiée ».

Des réflexions allemandes existent sur l'étendue de l'élargissement, et des échanges ont eu lieu par le passé entre les experts français et allemands au sein du centre d'analyse et de prévision de notre Ministère des Affaires étrangères et de son équivalent allemand. Le Rapporteur, par les débats qu'il a pu avoir avec ses collègues allemands, a senti une attitude plus prudente face à cette question, peut-être car l'on mesure mieux à présent toutes les difficultés de l'élargissement déjà planifié.

L'idée d'un parquet européen pour lutter contre la fraude au budget communautaire est en train d'aboutir, et le consensus semble se faire sur cette avancée. L'idée novatrice d'un parquet à caractère plus « fédéral » rencontre l'intérêt de principe du Rapporteur, car à défaut, il craint que l'on n'avancera pas assez vite. Néanmoins, il faut en mesurer toutes les conséquences.

Le Rapporteur a estimé que diminuer le nombre de commissaires au Bénélux ne résoudrait pas les problèmes de la Commission, qui sont de plusieurs natures. Il a ajouté une autre proposition, provocatrice, qui se pose à son esprit : à terme, ne faut-il pas supprimer la Commission ?

La compréhension par les peuples sur les questions difficiles débattues aujourd'hui est importante. Il faut trouver comment y associer les Français avant de leur présenter un traité « tout ficelé » et incompréhensible comme celui de Maastricht. C'est pourquoi le Rapporteur souhaite que les réformes qu'ils a proposées, parmi lesquelles la constitution, soient l'objet de débats pendant deux, voire trois ou quatre ans, dans les Parlements nationaux, dans les formations politiques, au Parlement européen. Il faudra trouver des formes de publicité pour le comité « Delors » ou autre qui sera constitué, afin qu'il ne travaille en chambre mais fasse des auditions et des débats à travers l'Europe, pour prendre à témoin les opinions nationales et faire en sorte que les citoyens s'intéressent aux enjeux européens.

L'évolution de la position allemande quant à l'élargissement et à l'approfondissement n'est pas uniquement attribuée à la crainte de la libre circulation des travailleurs ou de l'immigration. Ce n'est pas la raison dominante, et elle figure parmi d'autres interrogations.

L'argument de M. Pierre Lequiller est tout à fait pertinent, et il faut en effet un noyau dur pour donner un signal fort, mais prévoir aussi la formation de « cercles concentriques » pour des domaines d'action particuliers. Comme l'a souligné M. Paul Dhaille, la construction européenne semble être dans une phase de « bricolage » et si l'on s'y tient on ne fera que retarder l'échéance de l'enlisement. Le Rapporteur a ajouté qu'autant il est favorable et souhaite que l'on fasse preuve d'ambition pour le développement de coopérations renforcées, pour que l'on aille plus loin dans les domaines de la justice, de la police, la défense, la monnaie par exemple, autant il est défenseur du « souverainisme » pour certains domaines en particulier l'éducation et la protection sociale. Il faudrait que ceux qui pensent que l'on ne peut régler les problèmes au niveau national ou local en apportent la preuve.

Le Rapporteur s'est enfin déclaré favorable à la création d'une deuxième chambre des représentants des nations.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

Compte rendu d'une mission au Kosovo

Mme Yvette Roudy a rappelé que, comme en 1992 et 1998 la Commission des Affaires étrangères avait décidé d'envoyer une délégation au Kosovo, du 25 au 28 avril dernier, délégation composée de MM. René André, René Mangin et elle-même, pour informer sur l'évolution de la situation un an après les frappes de l'OTAN et le vote de la résolution 1244. La mission s'est rendue à Pristina, Mitrovica, Gracanica, Pec, Prizren et Skopje et a rencontré les dirigeants de la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) et de la force militaire internationale (KFOR), des représentants de la communauté serbe, des forces politiques albanophones et de la société civile.

Mme Yvette Roudy a évoqué l'enchaînement de la violence qui conduisit à la suppression de l'autonomie du Kosovo en 1989 et les circonstances de l'échec de la négociation de Rambouillet en mars 1999, qui entraîna la guerre et les frappes de l'OTAN. Elle a décrit la situation après le retrait de l'armée yougoslave et des forces de sécurité serbes, en juin 1999 : sur une population estimée en 1998 à 1,7 million d'habitants, en 1999, 800 000 étaient réfugiés dans les Etats voisins. Le nombre de personnes déplacées avait atteint 500 000 à l'intérieur du Kosovo. Selon les statistiques en cours d'élaboration, en 1999 59 % de la population a bougé. Le taux de mortalité infantile est passé de 25 pour 1000 en 1998 à 35 pour 1000. La guerre serait responsable d'au moins 9000 décès. Nombre de viols de femmes, utilisés comme arme de guerre, ont été commis et les victimes se taisent de peur d'être rejetées par leur famille voire d'être victimes de représailles.

Quand la MINUK commence à opérer, en juillet 1999, elle constate que la plupart des services publics du Kosovo sont hors d'état de fonctionner. A la fin de la guerre le 9 juin 1999 le retrait rapide des forces militaires ou paramilitaires yougoslaves et serbes du Kosovo, à la demande de l'OTAN, a créé un vide en termes de maintien de l'ordre public qui a été exploité par des éléments de l'UCK pour asseoir leur pouvoir localement et par une partie considérable de la population albanophone pour se venger sur les Serbes restants et aussi sur d'autres minorités (Roms, Turcs, Bosniaques etc.).

Un an après l'opération "forces alliées", l'ambiguïté du rôle de la KFOR est perceptible notamment à Mitrovica où les missions de sécurité actuelles couvrent le maintien de l'ordre et de la sécurité publique, y compris le contrôle de manifestations de foules hostiles, fonction assez neuve pour des militaires. Faut-il confier aux militaires la responsabilité du maintien de l'ordre au cours d'opérations de maintien de la paix ? Au Kosovo le choix s'est opéré par défaut en l'absence de la moitié du nombre de policiers prévus. On ne peut que saluer la manière dont la KFOR pallie les carences en policiers et le rôle des contingents français en son sein est remarquable.

Cependant, les Serbes restés sur place ne peuvent se déplacer sans escorte hors des enclaves où ils résident et vivent dans une atmosphère de forteresse assiégée. L'ouverture prochaine des fosses communes, comme la question des disparus et des prisonniers en Serbie risquent d'aggraver les tensions. Les ONG albanaises estiment que nombre de massacres sont le fait de Serbes du Kosovo. Le nombre de disparus, difficile à évaluer, varie selon les estimations entre 3000 et 7000 personnes. La situation des prisonniers kosovars albanais en Serbie hante la population, qui manifeste régulièrement à ce sujet.

L'absence de réglementation fiscale, douanière, de droit de propriété, la disparition de l'état-civil et des pièces d'identité, comme de plaques d'immatriculation de véhicules ont fait du Kosovo un lieu propice aux activités criminelles et au développement de réseaux mafieux. 25 % seulement des véhicules ont une plaque d'immatriculation actuellement au Kosovo. Cette criminalité est difficilement quantifiable. Sur l'existence de trafic de drogue ou de trafic d'êtres humains, de filières de prostitution, les responsables rencontrés comme les ONG sont restés silencieux, mais ont reconnu que la perméabilité des frontières, en particulier avec l'Albanie facilitait la contrebande.

Sur le plan politique, la société civile et les dirigeants politiques kosovars albanais sont tous favorables à l'indépendance du Kosovo, comme l'a montré l'audition par la Commission de M. Rugova. Le statut d'autonomie substantielle accordé à la province par la résolution 1244 leur semble dépassé ; la guerre a, selon eux, changé la donne. Les raisons qui s'opposent à l'indépendance du Kosovo sont connues. Mais le statu quo pourrait conduire à la manipulation par M. Milosevic des points de tension. Force est de reconnaître quand on est sur place que faire vivre les Kosovars albanophones au sein d'une République fédérale de Yougoslavie dirigée par M. Milosevic semble relever de l'utopie. La séparation entre les populations a eu lieu dans les faits et avant même l'installation de la MINUK.

Un système de co-administration comportant vingt départements et associant à parité fonctionnaires internationaux et Kosovars - dont un Serbe - a été mis en place ; mais ces derniers, à ce stade, n'ont pas accepté de participer ce qui est un succès pour M. Kouchner car les Serbes, qui boycottaient les institutions conjointes depuis plusieurs mois, ont pour certains décidé le 2 avril dernier de désigner des représentants ayant le statut d' "observateurs" dans les structures de la co-administration.

En vue de préparer les élections municipales qui devraient avoir lieu le 8 octobre, les opérations d'enregistrement de la population ont commencé sous l'égide de l'OSCE. Pour permettre l'enregistrement des réfugiés, des bureaux seront ouverts à cet effet en Albanie, Macédoine, Hongrie, etc. mais pas en Serbie, les autorités de Belgrade refusant pour l'instant de coopérer. Mais les Serbes refusent de s'enregistrer.

Sur le plan économique, les efforts de reconstruction sont très visibles, ce qui est surprenant au regard de l'ampleur des destructions (70 % des entreprises auraient subi des dommages). Cependant le chômage frappe environ 50 % de la population active et l'économie kosovare est largement sous perfusion, dépendante de l'aide de la communauté internationale et des Kosovars travaillant à l'étranger. L'état des routes est déplorable, le trafic ferroviaire n'a pas repris. Le problème du ramassage et du traitement des déchets n'est pas encore résolu. La relance des grands complexes industriels, notamment celui de Trepca est problématique faute de réglementation.

Des progrès ont été réalisés par la MINUK : monnaie et budget sont en place, mais l'absence de système bancaire constitue un réel handicap à tout investissement. Un effort de réglementation, notamment en matière de droits de propriété, est nécessaire car pour l'instant les bases du fonctionnement de certaines activités sont pour le moins étranges.

L'action de la France au Kosovo est très visible. Elle détient des responsabilités très importantes tant au sein de la MINUK que de la KFOR. De plus avec le commandement de la brigade multinationale Nord de la KFOR, les Français opèrent non sans succès dans une des régions où la situation est la plus tendue et le système d'actions civilo-militaires qu'ils ont mis en _uvre s'est révélé très performant pour la remise en état des infrastructures, notamment les routes et les ponts.

L'action internationale au Kosovo est donc entrée dans une nouvelle phase. Il a été pourvu à l'urgence humanitaire. La vie a repris. Les magasins semblent approvisionnés ; les Albanophones circulent (il n'y a plus de couvre-feu). La dynamique de reconstruction est partout visible ; on ne peut que s'en féliciter, mais pour résoudre les tensions entre Kosovars, la communauté internationale devra sans doute rester longtemps au Kosovo.

Le Président François Loncle a remercié Mme Yvette Roudy pour la clarté de ses explications.

Approuvant la teneur de l'exposé, M. René André a déploré que les dossiers fournis aux députés par le ministère des Affaires étrangères ne soient pas à la hauteur de ceux transmis par le ministère de la Défense. Il a tenu à souligner que la Délégation avait pu rencontrer tous les responsables des grandes organisations opérant sur place, à l'exception des représentants de l'Union européenne.

M. Pierre Brana a souhaité connaître le nombre de Kosovars emprisonnés en Serbie. Il a demandé des précisions sur la nature et l'origine des destructions.

Mme Bernadette Isaac-Sibille s'est enquise de l'ampleur des destructions commises par l'OTAN.

Mme Yvette Roudy a précisé qu'il y avait des incertitudes sur le nombre de prisonniers en Serbie, qui s'élèverait à 4000 personnes, dont 1400 répertoriées par le CICR.

S'agissant des destructions, des villages entiers ont été incendiés et détruits, provoquant l'exode des populations vers les villes, et une surpopulation urbaine. Les destructions provoquées par les bombardements sont plus réduites et touchent des infrastructures routières ou des équipements militaires.

La reconstruction a partout largement commencé. D'après M. Le Roy, administrateur régional de la MINUK à Pec, cette ville offrait un spectacle de désolation à son arrivée en juillet 1999. Actuellement, les destructions y sont moins visibles.

M. René André a expliqué que Serbes et Albanais s'étaient tour à tour livrés à des destructions dont l'ampleur, notamment à Pristina, a été exagérée par la presse, les régions de Pec et Prizren ayant davantage souffert.

Le Président François Loncle, évoquant la remarque de M. René André sur les dossiers fournis aux députés, a indiqué qu'il en sera fait état au ministère des Affaires étrangères.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

Compte rendu d'une mission au Timor

M. Pierre Brana a tout d'abord retracé l'histoire du Timor oriental, ancienne colonie portugaise, envahie militairement par l'Indonésie en 1975, au moment même où ce territoire aurait dû accéder à l'indépendance. Après 25 années d'occupation, l'Indonésie a finalement accepté d'organiser un référendum d'autodétermination qui fut l'objet d'une forte et courageuse participation en dépit des pressions exercées, et qui donna la victoire aux indépendantistes. Il s'en suivit une vague de massacres, de déportations et de destructions organisés par les milices pro-intégrationnistes avec l'aide de l'armée indonésienne. L'intervention d'une force multilatérale sous mandat onusien fut nécessaire pour rétablir l'ordre.

La tâche de reconstruction du Timor est immense. 60 à 80% des habitations ont été détruites ; l'état de santé de la population est préoccupant et le Timor manque cruellement de médecins et d'infirmières. Le taux de chômage atteint 80% de la population, ce qui nourrit la criminalité.

L'administration provisoire des Nations Unies associe très étroitement les Timorais à toutes les décisions, par l'intermédiaire d'un Conseil consultatif national du Timor oriental regroupant les représentants des principaux partis politiques. Certaines critiques se font entendre sur la lourdeur de l'organisation de l'ONU et la lenteur du déblocage des fonds promis.

M. Pierre Brana a souhaité en conclusion que la France accorde une aide au Timor, qui pourrait se décliner en trois composantes : une aide bilatérale pour un projet d'équipement clairement identifié, une école par exemple ; l'envoi d'experts pour la mise en place d'institutions démocratiques, comme le parlement ; l'octroi de bourses à de jeunes étudiants timorais.

M. Roland Blum a développé les leçons que l'on pouvait tirer selon lui de l'expérience du Timor. Soulignant qu'il a fallu vingt-cinq ans pour mettre fin à l'occupation illégale du Timor par l'Indonésie, il a estimé que la communauté internationale n'existait en tant que telle que lorsque quelques Etats étaient disposés à agir. Il a appelé de ses v_ux une réflexion sur une doctrine des interventions humanitaires qui répondrait aux craintes exprimées par certains pays redoutant les effets d'un unilatéralisme américain. Il a fait état du sentiment parfois exprimé par les Timorais face à l'administration de l'ONU de subir une nouvelle forme d'occupation ; cela doit inciter l'ONU à maintenir dans ses missions des liens importants avec la population et agir avec efficacité.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

Conventions de coopération douanière au sein de l'Union européenne

La Commission a examiné, sur le rapport de M. René André, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relatif au champ d'application du blanchiment de revenus dans la convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes et à l'inclusion du numéro d'immatriculation du moyen de transport dans la convention (n°2160), le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relatif au champ d'application du blanchiment de revenus dans la convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes et à l'inclusion du numéro d'immatriculation du moyen de transport dans la convention (n°2160), le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes (n° 2162), le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention, établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes (n° 2163) et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord relatif à l'application provisoire entre certains Etats membres de l'Union européenne de la convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes (n° 2164).

M. Pierre Brana a tout d'abord indiqué que la coopération douanière relève pour certains de ses aspects de la compétence des communautés européennes, c'est-à-dire le « premier pilier » de l'Union européenne et pour d'autres de la coopération intergouvernementale en matière de justice et d'affaires intérieures, le « troisième pilier ».

La coopération entre les douanes des Etats-membres de l'Union européenne reste organisée par une convention signée le 7 septembre 1967, dite « convention de Naples I ». Cette dernière est aujourd'hui inadaptée au regard des évolutions intervenues depuis lors : l'Union européenne constitue aujourd'hui un grand marché unique, les pays de l'Union européenne ont connu une accélération de leur degré d'intégration économique, la notion de frontière s'efface, le phénomène de l'internationalisation des fraudes et de la criminalité transnationale se développe.

Une part importante de la réglementation communautaire est définie par les institutions communautaires et fait donc partie du « premier pilier » En revanche, la répression pénale des infractions douanières, la lutte contre les trafics de marchandises soumises à restriction de circulation (stupéfiants, contrefaçons, matériels de guerre...) restent de la compétence exclusive des Etats.

La convention relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières signée le 18 décembre 1997 vise donc à renforcer la coopération douanière mise en place par la convention de 1967 au moment de l'achèvement de l'Union douanière, pour les matières qui ne relèvent pas d'une législation communautaire. Le point le plus spectaculaire est que le texte permettra à des agents des douanes de procéder, en cas de flagrant délit, à des poursuites au-delà des frontières. Une originalité importante de la convention réside dans son article 32, alinéa 4, lequel stipule que la convention peut s'appliquer de façon anticipée entre les Etats qui l'auront approuvée et qui auront déposé en même temps que leur instrument de ratification une déclaration au titre de cet article.

La convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes signé le 26 juillet 1995 a pour but de créer un système d'information des douanes, le SID. Le SID sera constitué par une base de données centrale accessible en temps réel par les administrations douanières des quinze. la Loi informatique et liberté du 16 janvier 1978 s'appliquera en ce qui concerne la France.

La convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes a été complétée par un accord supplémentaire, signé le même jour, et par deux protocoles. L'accord relatif à l'application provisoire de la convention vise à permettre, dès sa ratification par huit Etats membres, son entrée en vigueur entre les pays qui l'auront ratifié, afin d'éviter que le retard pris par certains Etats pour ratifier la convention ne bloque la mise en _uvre de celle-ci. Par ailleurs, un protocole additionnel a été signé le 29 novembre 1996 afin de permettre l'interprétation à titre préjudiciel de la convention SID par la Cour de justice des communautés européennes, alors qu'il s'agit d'une matière ne relevant pas de la compétence communautaire. Un deuxième protocole a été signé le 12 mars 1999 afin notamment de prendre en compte la signature en 1997 de la convention de Naples II. En effet, cette dernière a retenu une définition relativement large pour le blanchiment

La France qui va exercer la présidence de l'Union européenne à partir du mois de juillet se doit de donner l'exemple et de ratifier la première ces cinq conventions. Le Rapporteur a donc recommandé l'adoption des cinq projets de loi.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 2160, 2161, 2162, 2163 et 2164).

Convention portant création d'Eutelsat

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Roland Blum, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention du 15 juillet 1982 portant création de l'Organisation européenne de télécommunications par satellite (EUTELSAT), telle qu'elle résulte des amendements adoptés à Cardiff le 20 mai 1999 (n° 2173).

M. Roland Blum a dressé un bilan industriel très satisfaisant de l'Organisation européenne de télécommunications par satellite Eutelsat, qui a été créée en 1977 et dont les activités sont de plus en plus majoritairement tournées vers l'audiovisuel. Aujourd'hui toutefois, l'organisation doit revoir son mode de fonctionnement afin de s'adapter à la concurrence et être notamment en mesure de proposer des offres commerciales plus complexes.

Les modifications de structure proposées par la présente convention tendent à substituer à une organisation internationale classique deux structures séparées : l'une assumant uniquement un rôle de surveillance des principes initiaux ; l'autre prenant la forme d'une société commerciale de droit français dont l'objet sera la fourniture de capacités satellitaires et de systèmes de services de communications par satellites.

Suivant l'avis du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2173).

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