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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 49

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 21 juin 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Thierry Desmarest, Président-Directeur général de TotalFina-Elf

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- Informations relatives à la Commission

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Audition de M. Thierry Desmarest

Le Président François Loncle a remercié le Président Thierry Desmarest d'avoir accepté d'être auditionné par la Commission des Affaires étrangères après l'avoir été par la Commission des Finances, celle de la Production et par la mission d'information sur le rôle des compagnies pétrolières dans la politique internationale. Il a souhaité que le Président Thierry Desmarest analyse l'action de la nouvelle société qu'il préside et son implication au niveau international.

M. Thierry Desmarest a souligné la dimension internationale du groupe TotalFina-Elf notamment dans le domaine de l'exploration-production le plus important en termes d'investissement, où il réalise plus de trois quarts des résultats hors de France. Le Groupe TotalFina-Elf est donc très déployé internationalement et impliqué au-delà de ses souhaits dans les problèmes internationaux posés par les régions dans lesquelles il exerce ses activités. Les ressources d'hydrocarbures sont situées le plus souvent dans les zones à risques.

Il a mis en exergue le changement de taille du groupe à l'issue des fusions intervenues l'an dernier avec Petrofina puis Elf. Passé du 7ème rang au 4ème rang mondial, TotalFina-Elf dispose de la moitié de la capacité de raffinage du premier groupe mondial. Il est donc en position compétitive sans handicap de taille avec de fortes perspectives de croissance. Il est passé d'une capitalisation boursière de 20 milliards de francs en 1990 à 700 milliards en 1999, et ne subit plus qu'une faible décote boursière par rapport aux compagnies anglo-saxonnes. Le groupe est classé quatrième dans l'exploration production comme le raffinage et au cinquième rang dans la chimie ; sa position est donc solide.

L'actionnariat de TotalFina-Elf en fait un groupe européen : 75 % dont 35 % de Français, 15 % de Belges, 15 % de Britanniques. L'actionnariat de la zone euro s'accroît, les fonds collectifs se plaçant désormais volontiers dans cette zone. Les effectifs du groupe - 135 000 personnes - sont concentrés dans la chimie - 55 % des personnels (20 % d'investissements) - et seulement 11 % dans l'exploration production qui représente deux tiers des investissements. La compagnie emploie 74 % d'européens dont 42 % de Français.

Dans l'exploration production à forte implication internationale, TotalFina-Elf se situe au 1er rang en Afrique, 2ème au Moyen-Orient et 4ème en Europe, en Asie du Sud-Est et en Amérique Latine, sa première zone de production étant l'Europe, sa deuxième l'Afrique. La société a des objectifs de développement ambitieux et souhaite accroître de 40 % sa production d'hydrocarbures entre 1999 et 2005 en la développant surtout en Afrique, notamment en Algérie, Libye, Angola, au Nigeria, en Asie du Sud-Est (Indonésie), en Amérique Latine, - notamment en Argentine, Bolivie et Venezuela -, au Moyen Orient notamment en Iran, sa production en Europe demeurant stable. Le groupe est présent au Moyen Orient, notamment dans les Emirats Arabes Unis, au Qatar, et se développe à Oman, au Yémen et en Syrie. Total a été la première compagnie à revenir en Iran, en dépit de la volonté américaine de l'en dissuader et des négociations sont en cours pour accroître sa présence au Koweït, en Arabie Saoudite et en Irak, si les sanctions de l'ONU sont aménagées de manière à permettre une reprise des investissements étrangers. TotalFina-Elf est devenue un acteur mondial dans l'exploitation du gaz notamment au Nigeria, en Indonésie et au Moyen-Orient.

Dans le raffinage distribution, le groupe est un acteur régional : il est très présent en Europe (1er raffineur et distributeur européen) et se partage le 1er rang avec la Shell en Afrique. Les activités chimiques sont fortement concentrées en Europe, qui représente les deux tiers de l'activité et en Amérique du Nord pour un quart. En Europe, les activités chimiques sont très variées (pétrochimie, peinture, etc.).

Selon M. Thierry Desmarest, TotalFina-Elf espère doubler son résultat net de 1999 en 2003, avec une progression de plus de 20% par an, grâce aux synergies que permettent les rapprochements entre les différentes branches du groupe.

Le secteur du pétrole connaît actuellement une réorganisation intense : les deux tiers des 15 premières entreprises mondiales ont été concernés récemment par une opération de fusion. On a fait le nécessaire pour constituer un groupe pétrolier français puissant, à même de faire face à ses grands concurrents anglo-saxons. Par ailleurs le rapprochement des équipes de TotalFina et d'Elf s'est déroulé dans le meilleur climat possible, entre égaux et sans désignation de vainqueurs et de vaincus. Les activités d'exploration et de production se situent souvent dans des régions compliquées où le jeu d'influence des grandes puissances peut interférer avec les choix des pays hôtes. Comme ses principaux concurrents, TotalFina-Elf peut compter sur le soutien de son gouvernement : elle a ainsi été soutenue par les autorités françaises et communautaires lorsqu'elle a voulu revenir dans certains pays difficiles, contre l'avis des Etats-Unis.

Mme Marie-Hélène Aubert s'est interrogée sur le soutien apporté par les pouvoirs publics à TotalFina-Elf qui n'est peut être pas toujours justifié. Elle a abordé la question des implantations dans des pays qui ne respectent pas les droits de l'homme ou l'environnement. M. Hubert Védrine a envoyé à M. Desmarest un courrier sur la situation en Birmanie pour savoir ce que TotalFina-Elf compte faire pour que la population birmane puisse réellement profiter de son implantation. Dans sa stratégie future, M. Desmarest compte-t-il prendre en compte ce genre d'éléments ? Regrette-t-il l'implantation de son groupe en Birmanie ?

L'Assemblée nationale a adopté le 20 juin le projet de loi de lutte contre la corruption afin de mettre en _uvre la convention de l'OCDE. Que va faire TotalFina-Elf pour s'adapter à ce nouveau contexte juridique ?

Le Président François Loncle a souligné que le dossier birman soulève en France de très fortes interrogations, et que la présence de TotalFina-Elf porte atteinte à son image, voire à celle de la France.

M. Thierry Desmarest a précisé qu'il fallait distinguer ce qui relève des pouvoirs publics et des décisions des acteurs industriels. A ce titre le groupe TotalFina-Elf respecte scrupuleusement les décisions des autorités politiques, le régime des investissements par exemple. Ainsi, TotalFina-Elf entend bien sûr respecter la loi de transposition de la directive de l'OCDE, même si les entreprises issues de pays hors OCDE ne seront malheureusement pas concernées par ce renforcement des mesures contre la corruption. Quant au soutien que peuvent apporter les pouvoirs publics, il n'est pas souhaitable de se priver d'atouts qu'utilisent tous les concurrents de TotalFina-Elf ; mais ce soutien est ponctuel.

En ce qui concerne la Birmanie, il n'appartient pas aux entreprises privées de décerner des brevets d'Etat de droit ou de non-droit, à supposer même qu'un tel jugement puisse être porté sans tenir compte des diverses gradations de situation. Lorsqu'il existe des doutes sur un pays, les principaux critères d'implantation sont les suivants : liberté d'emploi des personnels, respect de normes sociales minimales et respect de l'environnement. Il est paradoxal de demander en même temps à TotalFina-Elf de ne pas se mêler de politique et de lui donner mandat de faire évoluer un régime. La préoccupation du groupe est d'apporter une contribution positive au développement économique et social du pays dans lequel il investit. En Birmanie par exemple, en accord avec ses partenaires internationaux, TotalFina-Elf, qui emploie du personnel local, finance des programmes de construction de cliniques et d'écoles ainsi que de développement d'entreprises artisanales.

Il est exact que le Ministre des Affaires étrangères a demandé à la compagnie d'apporter sa contribution à l'amélioration des conditions de vie de la Birmanie. C'est ce qu'elle s'efforce de faire en travaillant avec des organisations non gouvernementales pour mettre au point des programmes qu'elle contribue ensuite à financer. Il ne serait pas raisonnable en revanche de vouloir faire peser sur le groupe l'intégralité du développement d'un pays de 40 millions d'habitants.

Les politiques d'embargo n'ont jamais donné de résultats probants comme l'illustrent les exemples de Cuba et de l'Irak qui subissent des embargos respectivement depuis plus de 35 et 10 ans. Il faut lui préférer une politique d'engagement constructif, une voie plus difficile certes mais plus porteuse d'espoir.

M. Thierry Desmarest a déclaré ne pas regretter la décision d'investir en Birmanie. La population birmane en profitera directement. Il faut maintenir et poursuivre les efforts afin que, selon les propos mêmes de Mme Aung San Suu Kyi, les éléments positifs l'emportent sur les souffrances de la population.

M. François Guillaume s'est déclaré très impressionné par l'habileté avec laquelle M. Thierry Desmarest a conduit le regroupement des trois sociétés pétrolières afin de constituer le quatrième groupe mondial. Il a demandé quels étaient les engagements qui avaient été pris, lors des fusions, à l'égard de Bruxelles.

Il a souhaité connaître les dernières estimations sur la durée des réserves pétrolières et a fait état d'un récent rapport sur les biocarburants de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, qui préconise l'utilisation - comme c'est le cas aux Etats-Unis - de l'éthanol et du diester dans les carburants. M. Thierry Desmarest est-il favorable à cette idée ?

Le Président François Loncle a précisé que M. François Guillaume était l'auteur dudit rapport.

M. Thierry Desmarest a précisé que les engagements pris par le nouveau groupe vis à vis de Bruxelles concernaient exclusivement le secteur de la distribution en France. Ces engagements touchent trois domaines : la vente du tiers des stations services sur les autoroutes à péage, la cession du réseau de distribution GPL d'Elf et une obligation limitée de désinvestissement en transports de produits pétroliers.

La durée d'exploitation des réserves mondiales pétrolières est estimée à 40 ans contre 60 ans pour les réserves gazières. Cette durée a augmenté ces dernières années grâce aux progrès technologiques qui ont permis d'exploiter des gisements jusqu'alors inexploitables, notamment dans le offshore et pour le pétrole lourd. Pétrole et gaz couvrent aujourd'hui respectivement 40% et 22% des besoins énergétiques mondiaux, le reste étant assuré par le nucléaire et les énergies nouvelles. L'abondance des réserves pétrolières ne suscite donc pas de préoccupation.

Les bio-carburants ne se développeront en France que s'ils font l'objet d'un traitement fiscal privilégié, le coût de la matière première agricole étant supérieur à celui de la matière première minérale. La compagnie a entrepris des études pour la production du bio-carburant TBE, et est prête à examiner d'autres projets si les pouvoirs publics mettent en place un système de détaxation partielle. Le groupe TotalFina-Elf n'est pas favorable à des mesures pour l'utilisation des bio-carburants car cela ajouterait une contrainte à un secteur qui en connaît déjà d'importantes du fait de la modification très fréquente des spécifications relatives aux carburants. Ainsi un durcissement de la réglementation interviendra en 2005, mais les exigences ne sont pas encore connues : la mise en place dans les prochaines années de nouveaux pots catalytiques par les constructeurs automobiles obligera à produire une nouvelle génération de carburants.

Rappelant que l'entreprise Elf était partie prenante du consortium de compagnies pétrolières constitué pour entreprendre la construction de l'oléoduc Tchad-Cameroun. M. Pierre Brana a demandé pourquoi celles-ci s'étaient brutalement retirées. Il a voulu savoir si la compagnie avait renforcé ses exigences quant au transport pétrolier maritime après la catastrophe de l'Erika et si le projet de construction d'un terminal méthanier au Verdon, à l'embouchure de la Gironde était toujours d'actualité.

Soulignant que M. Thierry Desmarest a parlé de groupe français et d'entreprise française pour caractériser TotalFina-Elf, M. Jacques Myard s'est demandé si cela correspond encore à la réalité, d'autant plus que le groupe peut être soumis à une OPA. Le Gouvernement français pourrait-il admettre une telle éventualité et quelles sont aujourd'hui les relations du groupe avec les pouvoirs publics ?

M. François Rochebloine a demandé si la signature d'un contrat avec l'Azerbaïdjan était toujours envisagée.

M. Thierry Desmarest a expliqué que la compagnie Elf, avant même la fusion, préparait son retrait du projet tchadien pour des raisons techniques et économiques tenant à la difficulté d'extraire ce pétrole et à la nécessité d'un long acheminement par pipeline, ces deux éléments faisant craindre une rentabilité insuffisante de l'investissement. D'autres intervenants du consortium ont eu une vue plus optimiste, heureusement pour le Gouvernement tchadien qui compte beaucoup sur ce projet.

Avant même la catastrophe de l'Erika, la compagnie a eu le souci d'améliorer la sécurité du transport, en renouvelant la flotte affrétée de sorte que celle-ci n'ait pas plus de sept ans d'âge et que les bateaux soient tous à double coque, ce qui est le cas actuellement : ce renouvellement a été possible car les constructions de navires ont été importantes. Le renouvellement est plus difficile pour le transport des produits raffinés faute de construction en nombre suffisant, aussi la flotte reste-t-elle plus âgée. La demande est en outre plus volatile dans ce secteur ce qui rend complexe les conditions d'affrètement sur le long terme. Si la compagnie est obligée de recourir à des navires plus vieux, elle demande le dossier technique du navire à l'armateur, qui peut refuser de le transmettre. Si c'est le cas, la compagnie renonce à recourir à cette société afin de ne pas prendre de risques. Cependant, une responsabilisation accrue de tous les acteurs serait souhaitable, notamment celle de l'armateur, car les assureurs seraient alors plus exigeants vis-à-vis d'eux. Une augmentation du plafond d'indemnisation du FIPOL est aussi souhaitable. Une mise en _uvre plus systématique des moyens existants dans le domaine de l'assurance qualité serait aussi nécessaire pour contrôler les sociétés de classification telles la Rina.

Le projet de terminal méthanier au Verdon n'est pas remis en cause et est en cours d'étude.

Le groupe a incontestablement une activité au plan mondial. La composante actionnariale française est néanmoins la plus importante, huit membres du comité exécutif sur neuf sont français, et le conseil d'administration est aux trois-quarts français. Le centre de décision est en France. On ne peut que constater qu'il s'agit d'un groupe européen et, particulièrement, français. Ses risques de subir une OPA sont faibles, car le groupe, avec une capitalisation boursière de 700 milliards de francs, n'est pas à la portée du premier venu. Il pourrait être à la portée des trois premières compagnies pétrolières mondiales, mais l'analyse de ce risque conduit à considérer qu'un regroupement de l'une de ces compagnies et de TotalFina-Elf susciterait une très forte réaction des autorités de contrôle des concentrations, qui feraient procéder à des désinvestissements très importants, si l'on considère l'expérience des dernières années. L'existence d'une action spécifique ou "golden share" rend nécessaire l'accord du Gouvernement français en cas de reprise, qui reste d'ailleurs le seul domaine d'intervention de l'Etat.

En Azerbaïdjan, Elf avait pris une participation et il s'avère qu'une découverte de gaz importante a été faite, confirmée par des explorations supplémentaires. L'étape suivante est de trouver des débouchés : la Turquie pourrait être intéressée. Globalement, la mer Caspienne est une région prometteuse, comme l'a montré récemment une très grosse découverte de pétrole.

S'agissant du prix des carburants, il est vrai que les opinions publiques sont très sensibles à cette question, mais il ne faut pas oublier que les taxes constituaient 80 % du prix de l'essence l'an dernier, et encore plus de 70 % aujourd'hui. Actuellement, la répercussion de la hausse du prix du pétrole est inévitable. Ainsi, la convocation des pétroliers par M. Laurent Fabius alors que le baril venait de passer de 23 à 30 dollars n'est pas arrivée au bon moment. Bien que le prix des carburants dans l'absolu soit élevé, TotalFina-Elf ne fait quasiment pas de marges sur leur vente, qui se fait presque à prix coûtant.

Le Président François Loncle s'est enquis de la politique de TotalFina-Elf en Algérie. Le groupe souffre-t-il de l'interruption des vols d'Air France vers ce pays ?

M. Thierry Desmarest a souligné que Total n'avait quitté jamais l'Algérie depuis les années 50, y compris au lendemain des nationalisations de 1971. Des accords ont été passés avec la société nationale en charge des hydrocarbures pour exploiter en association des champs de gaz. TotalFina-Elf est disposé à continuer à investir en Algérie et regrette l'interruption des vols d'Air France, comme la réduction de leur fréquence vers d'autres pays du Moyen Orient.

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Informations relatives à la Commission

Rapporteurs pour avis pour le projet de loi de finances pour 2001 :

· Première partie du projet de loi de finances (article relatif à l'évaluation du prélèvement communautaire)

- Affaires européennes Mme Marie-Hélène Aubert

· Deuxième partie du projet de loi de finances

A. Dépenses civiles

Affaires étrangères :

- Affaires étrangères M. Pierre Brana

- Coopération et développement M. Jean-Yves Gateaud

- Relations culturelles internationales

et Francophonie M. Georges Hage

Commerce extérieur :

- Commerce extérieur M. Marc Reymann

B. Dépenses militaires

Défense :

- Défense M. Jean-Bernard Raimond

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· Pétrole


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