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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 5 décembre 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition du Contrôleur général Yvon Jouan, Chef du contrôle général des Armées

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La Commission a entendu le Contrôleur général Yvon Jouan, Chef du contrôle général des Armées.

Le Président Paul Quilès a relevé que la Commission avait, sur la proposition de M. Didier Boulaud, décidé pour la première fois d'entendre le Chef du contrôle général des Armées. Il a rappelé que le contrôle général des Armées, placé sous l'autorité directe du Ministre de la Défense, vérifiait pour son compte, dans tous les organismes soumis à son autorité ou sa tutelle, le respect de la réglementation ainsi que l'opportunité des décisions et l'efficacité des résultats. Faisant valoir que le contrôle disposait ainsi d'une connaissance intime de tous les rouages de la défense dont il a pour mission de suivre en permanence le fonctionnement, le Président Paul Quilès a souligné l'intérêt que présentait pour la Commission l'audition de son principal responsable.

Le Contrôleur général Yvon Jouan, Chef du contrôle général des Armées, a tout d'abord fait observer que sa position de subordonné direct du Ministre de la Défense lui imposait une obligation particulière de réserve.

Soulignant que le contrôle général des armées avait à connaître de l'ensemble de la gestion du ministère de la Défense, il a précisé que son activité consistait à s'assurer, pour le compte du ministre, du respect des lois et des règlements mais aussi de l'efficience dans l'utilisation des moyens. Il a indiqué qu'entraient également dans ses compétences la réglementation des marchés propres à la Défense ainsi que la coordination de celle relative aux matériels de guerre. L'inspection générale du travail dans les armées ainsi que le contrôle des installations classées de la défense relèvent de même du contrôle des Armées. Enfin, statutairement, le contrôle est chargé de la sauvegarde des droits des personnes.

Le Contrôleur général Yvon Jouan a ensuite apporté des précisions sur les particularités du recrutement des membres du contrôle général : les officiers et les administrateurs civils qui sont admis dans ce corps doivent avoir au préalable exercé leurs fonctions pendant au moins huit années au sein du ministère de la Défense, de manière à bien connaître les sujétions de l'action militaire et à les prendre en compte : le contrôle est ainsi en position de formuler des propositions réalistes.

Portant une appréciation générale sur la situation du ministère, le Chef du contrôle des Armées a insisté sur les profonds bouleversements qui l'ont affecté au cours de la période récente : forte diminution du nombre d'appelés, réduction du format, modernisation de la gestion, intégration de la coopération européenne. Il a ajouté que ces transformations s'opéraient dans un contexte de contrainte budgétaire, de multiplication des opérations extérieures et de contribution importante des armées aux missions de service public.

Il a tenu à souligner le travail exemplaire et difficile des états-majors pour réussir le passage d'une armée de conscription à un nouveau « système d'hommes » constitué de professionnels. Non seulement les effectifs font l'objet d'une réduction globale de 23 % en 6 ans mais leur répartition entre les diverses catégories est fortement modifiée alors que la disparition des appelés prive les armées d'une ressource à laquelle elles avaient largement recours depuis plus d'un siècle. Dans ce contexte, il appartient au contrôle des Armées de vérifier que la mutation de la professionnalisation se déroule dans de bonnes conditions, conformément aux prévisions.

Le Chef du contrôle des Armées a alors dressé cinq constats relatifs aux conséquences de la professionnalisation :

1) Le ministère de la Défense connaît actuellement un sous-effectif en personnel civil d'environ 6 000 postes, notamment dans les forces, en raison d'une faible mobilité volontaire du personnel de DCN, de l'interdiction mise au recrutement d'ouvriers d'Etat, sauf dérogations mesurées et de difficultés de recrutement d'ouvriers fonctionnaires. Des militaires engagés comme combattants sont affectés en conséquence à des tâches de soutien qui devraient être assurées par des civils.

2) S'agissant des candidats à l'engagement, leur nombre tend à se réduire, en partie en raison de l'amélioration de la situation économique mais aussi parce que la condition militaire soutient de plus en plus difficilement la comparaison avec celle des civils. La diversité des filières de recrutement nécessitera par ailleurs une clarification.

3) Sans préjudice de l'effort important consenti sur le plan de la reconversion, il importe d'accorder une grande attention aux mesures de nature à mieux fidéliser la ressource en personnels militaires dont les deux tiers sont en situation contractuelle.

4) La professionnalisation a modifié la structure du budget de la Défense, augmentant la part du titre III et, à l'intérieur de ce titre, celle des rémunérations et charges sociales qui en représente désormais plus de 80 %. Cette tendance pourrait conduire à une situation où le poids relatif du titre III dans l'ensemble des crédits militaires approcherait les 60 % constatés dans une armée professionnelle telle que celle de la Grande-Bretagne.

5) De lourdes sujétions financières pèsent sur l'actuelle période de transition, notamment les dépenses du fonds d'accompagnement de la professionnalisation (917 millions de francs d'aides au départ en 2001, par exemple). L'ensemble des aides d'accompagnement de la professionnalisation et de soutien à l'adaptation de l'outil industriel représente 2,3 milliards de francs.

Présentant la modernisation de la gestion du ministère de la Défense, le Contrôleur général Yvon Jouan, a mis l'accent sur le développement des structures interarmées et jugé qu'il importait de trouver un point d'équilibre entre la nécessaire mise en commun de certaines ressources et le maintien des organisations et responsabilités de chaque armée et de la Gendarmerie.

Il a à cet égard estimé qu'il convenait de poursuivre les efforts de rapprochement des services de soutien ayant des finalités identiques ou similaires afin d'améliorer leur efficacité, de consacrer le maximum de ressources au dispositif opérationnel et d'atteindre le meilleur ratio entre moyens d'environnement et moyens opérationnels. Il a alors évoqué les efforts accomplis pour la création ou le renforcement d'instances de coordination interarmées, dans le domaine de la formation du personnel militaire, dans celui de l'infrastructure ou encore dans celui des commissariats.

Rappelant que la constitution d'un seul ministère chargé des armées datait de 1961, le Chef du contrôle général des Armées a souligné que le développement des structures interarmées supposait un changement culturel qui se heurtait à des logiques institutionnelles fortement ancrées. Puis, évoquant les importants progrès accomplis en une décennie dans la modernisation du ministère de la Défense, il a fait état des évolutions suscitées par les principes qui avaient sous-tendu la réforme « armées 2000 » en 1991 : nécessité de l'interarmées, différenciation entre commandement organique et commandement opérationnel, priorité à l'opérationnel, plus grande autonomie de gestion technique des services pour une meilleure satisfaction des besoins des forces, coopération civilo-militaire mieux structurée et réactive pour la défense du territoire. Le Contrôleur général Yvon Jouan, a alors observé que la professionnalisation rendait encore plus nécessaire de continuer résolument dans cette voie.

Evoquant notamment des réflexions formulées par les Chefs d'état-major devant la Commission, le Chef du contrôle général des Armées a ensuite insisté sur l'importance des problèmes liés au soutien logistique des armées et plus particulièrement, au maintien en condition opérationnelle des matériels. A ce propos, il s'est félicité des innovations représentées par la création de la structure intégrée de maintenance des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) et du service de soutien de la flotte (SSF), indiquant qu'elles avaient été prônées depuis plusieurs années par le contrôle général des Armées. Il a alors souligné que ces structures nouvelles permettaient d'envisager à terme le remplacement des systèmes traditionnels de soutien à la condition toutefois d'éradiquer les phénomènes de doublon et de chevauchement.

Puis, à propos de la situation de DCN, il a rappelé que le contrôle général des Armées conduisait depuis longtemps des travaux mettant en évidence les difficultés de fonctionnement de ce service pris en tenaille entre une finalité industrielle et des méthodes ou moyens d'action de nature administrative. Il a appelé de ses v_ux la poursuite d'évolutions déjà positives bien qu'encore insuffisantes, toute question de statut mise à part.

Il a ensuite abordé les questions relatives aux moyens budgétaires à la disposition de la défense en constatant qu'il s'agissait d'un thème récurrent des débats et auditions de la Commission. Sans porter un jugement sur le niveau des dotations budgétaires dévolues à la défense qui pourrait être considéré comme raisonnable, le Chef du contrôle général des Armées a émis les observations suivantes sur la gestion des crédits :

- il existe une sorte de loi naturelle selon laquelle l'application des lois de programmation militaire dans le cadre de l'annualité budgétaire entraîne, de manière quasi systématique, des freintes de route qui imposent leurs contraintes à la mise en _uvre de la politique d'investissement ;

- l'effet de ces contraintes trouble la cohérence de la gestion des programmes d'armements : la durée inévitable des développements et de la fabrication des matériels représente en effet une contrainte naturelle qui ne peut se concilier de manière satisfaisante avec une insuffisante maîtrise des moyens financiers alloués aux programmes. Les arbitrages qui s'avèrent dès lors indispensables pour assurer une cohérence entre les objectifs et les moyens conduisent à une gestion heurtée de nombreux programmes, dont le développement est mis en veille puis repris en fonction des disponibilités financières. Le Contrôleur général Yvon Jouan, a précisé que telles situations provoquaient des surcoûts qui stérilisaient en valeur et en volume une part non négligeable des moyens ;

- cette situation peut être aggravée par certains dysfonctionnements dans la gestion des crédits malgré les efforts actuellement consentis par le Secrétariat général pour l'Administration et la Délégation générale pour l'Armement pour y remédier : apurement de stocks importants d'autorisations de programme inutiles, suivi, sous forme de tableaux de bord, de la gestion et de la consommation des crédits et généralisation des dispositifs de contrôle de gestion.

Puis, après avoir noté qu'à l'occasion de son examen pour avis du projet de loi de finances rectificative pour 2000, la Commission s'était interrogée sur la sous-consommation des crédits d'équipement, il a recensé cinq causes potentielles de cette situation :

- la première réside dans la pratique récurrente des annulations de crédits de paiement et quelquefois d'autorisations de programme, qui révèlent que les dotations d'équipement de la défense sont en situation naturelle de levier de maîtrise conjoncturelle des dépenses de l'Etat. Il n'est toutefois pas possible de discerner si ces annulations sont motivées par le constat que les crédits ne peuvent pas être consommés avant le terme de l'exercice ou si elles procèdent d'une décision d'autorité qui empêche une correcte exécution des capacités d'investissement. En réalité cette alternative relèverait plutôt de l'interrogation classique sur l'origine respective de « la poule et de l'_uf », bien que le jeu des pesanteurs administratives aboutisse effectivement à certaines situations de disponibilité de crédits en fin d'année. Le Contrôleur général Yvon Jouan a, à ce propos, souligné que le manque de crédits de paiement pouvait provoquer une contraction des engagements qui, à son tour avait pour effet de diminuer les besoins en crédits de paiement. Il a considéré par ailleurs que fixer au même niveau les montants d'autorisations de programme et de crédits de paiement dans chaque loi de finances initiale, sous un affichage de sagesse, constituait en fait une approche théorique des besoins financiers du ministère. En effet, à certaines périodes de fort engagement les besoins en autorisations de programme peuvent être substantiellement plus élevés que les crédits de paiement de l'année considérée, les autorisations de programme du présent appelant automatiquement les crédits de paiement du futur ;

- une deuxième cause de sous-consommation tient au développement au cours des dernières années, d'exigences de procédures imposées par le ministère des Finances : la nouvelle nomenclature budgétaire, le développement de la comptabilité spéciale des investissements, les opérations budgétaires d'investissement et la généralisation du contrôle financier déconcentré constituent autant d'obligations nouvelles qui contraignent les processus d'engagement et de mandatement. L'instauration envisagée, à compter du 1er janvier 2001, du visa du contrôleur financier sur les arrêtés de sous-répartition qui permettent des transferts au niveau des articles budgétaires, s'ajouterait à cet ensemble de contraintes ;

- une autre cause de sous-consommation est à rechercher dans la modernisation des grands systèmes comptables par la mise en _uvre de procédures informatiques complexes dont il est possible d'attendre des effets bénéfiques à terme, mais qui, au moins dans leur période de mise en place, peuvent contribuer à perturber la gestion ;

- la lourdeur et la complexité des procédures de préparation des marchés et les positions de plus en plus exigeantes de certaines commissions spécialisées génèrent également, dans un souci de maîtrise et de sécurisation de l'achat public, autant de sujétions, pour certaines pertinentes, mais pour d'autres inutilement contraignantes ;

- les difficultés d'ordre technique, mais également d'ordre politique, subies par certains programmes développés en coopération, constituent une dernière source de dysharmonie dans la gestion des crédits.

Le Chef du contrôle général des Armées a alors souhaité que les travaux actuellement conduits pour adapter l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances permettent de mieux responsabiliser une gestion actuellement corsetée par des contraintes administratives. Il a noté à ce propos que la procédure des commandes globales représentait à la fois un retour à l'esprit des dispositions de l'ordonnance de 1959 relatives aux autorisations de programme et un premier pas important dans la modernisation budgétaire, source d'économies inéluctables ; mais il est toutefois trop tôt pour en donner l'évaluation précise.

Au titre du desserrement des contraintes administratives, le Contrôleur général Yvon Jouan a également évoqué les évolutions attendues des dispositions du Code des marchés publics applicables à la défense. Il a mentionné à cet égard le recours plus systématique, pour les marchés d'armement, à la procédure des marchés négociés avec mise en concurrence ou encore la notification de marchés sur des prix provisoires dans le cas d'éléments sous-traités pour lesquels une mise en concurrence des sous-traitants est prescrite. Il a néanmoins souligné que ces évolutions ne pourraient produire leurs effets bénéfiques que si elles s'accompagnaient d'une vigilance accrue sur la place accordée aux PME-PMI dans le dispositif.

Il a enfin souligné l'importance de la dimension européenne en matière de conduite et de réalisation des programmes d'armement : 25 % des programmes de la France sont déjà conduits en coopération dans ce cadre. Convenant que ces coopérations présentaient des avantages de principe en matière d'interopérabilité et de communalité des matériels ainsi que de coût de programmes, il a signalé que le mouvement en faveur du développement de la production d'armement dans un cadre européen, manifesté par la création de l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR) devait également s'accompagner d'une grande vigilance. En effet, l'expérience de trois décennies de coopérations européennes n'a pas produit tous les effets d'économie auxquels par principe on pouvait s'attendre. Jugeant qu'une véritable agence européenne des armements constituera par nature un élément centrifuge et observant que l'OCCAR, qui sera doté de la personnalité juridique au début de l'année 2001, en constitue la préfiguration concrète, il a plaidé pour une adaptation des moyens de contrôle et de gestion à cette nouvelle situation.

Après avoir insisté sur l'importance de la spécification commune du besoin militaire, il a noté que la conduite des programmes restait tributaire de la volonté de chaque Etat coopérant d'éviter toute solution de continuité dans sa contribution financière, l'expérience fournissant à cet égard suffisamment d'exemples d'irrésolution. Le Contrôleur général Yvon Jouan a également souligné que les crédits mis à disposition d'une organisation supranationale nécessitaient des moyens de contrôle nouveaux sur les conditions de leur consommation. Il a alors précisé qu'à la demande du Ministre de la Défense, le contrôle général des Armées menait actuellement une réflexion afin de lui soumettre des propositions sur ce point dans les prochains mois.

Enfin, il a tenu à faire remarquer que l'évolution considérable du panorama industriel avait conduit à un entrelacs de structures transnationales remplaçant des structures nationales à forte dominante publique, tant sur le plan capitalistique que sur celui de la tutelle traditionnellement exercée par l'Etat. Il a alors indiqué qu'un travail de réflexion était conduit pour définir les conditions et méthodes permettant de sauvegarder au mieux les intérêts régaliens afin d'éviter que l'Etat client se trouve en position d'otage de forteresses industrielles privées.

En conclusion, le Chef du contrôle général des Armées a rappelé l'importance et la qualité des efforts consentis par les différents responsables du ministère de la Défense pour assurer la transformation rapide et radicale de l'institution militaire. En quelques années, les armées sont devenues profondément différentes de ce quelles étaient dans le passé. Dans cette transition difficile voire périlleuse, la capacité d'adaptation de nos forces dans toutes les configurations d'interventions extérieures n'a eu d'égal que leur aptitude à se transformer. Le Contrôleur général Yvon Jouan a néanmoins ajouté que cette appréciation globale ne devait pas occulter les différents problèmes posés par la professionnalisation et par le contexte international dans lequel s'inscrit désormais l'outil de défense. Il a observé qu'un corps de contrôle comme le contrôle général des Armées était par nature critique, comme le montrait le nombre des dysfonctionnements de gestion mis en évidence par ses différentes missions. Il lui revient en outre d'apporter sa contribution à la résolution de problèmes nouveaux à résoudre au plus vite : adaptation du dialogue social, amélioration des conditions de travail au regard de la spécificité de la condition militaire, adaptation du statut des militaires aux nécessités de la professionnalisation et aux impératifs du professionnalisme, relation entre personnel militaire et personnel civil, politique d'externalisation de certaines activités et recherche des dispositifs permettant un meilleur maintien en condition opérationnelle des matériels. Après avoir énoncé ces tâches dont il a estimé qu'elles conditionneraient, parmi d'autres, la pleine réussite de la professionnalisation, il a jugé que le virage de la transformation des armées était bien négocié mais que les conditions de bonne sortie restaient à maîtriser.

Le Président Paul Quilès a demandé des indications sur les prévisions qui pouvaient être faites, à partir de l'expérience acquise, sur le coût de la professionnalisation, une fois achevée la phase actuelle de transition. Il a estimé qu'une armée entièrement composée de professionnels risquait de faire apparaître de nouvelles sources de dépenses, au demeurant inévitables si l'on souhaitait un flux de recrutement adéquat, un niveau d'entraînement suffisant et des conditions de vie et de travail comparables à celles offertes par les activités civiles. Evoquant la situation actuelle qui fait du Chef d'état-major de chaque armée le gouverneur des crédits de cette armée, le président Paul Quilès a jugé qu'il pouvait en résulter des difficultés d'arbitrage entre les besoins réels des forces. Il s'est alors demandé s'il pouvait être envisagé de remédier aux inconvénients de cette situation en concentrant davantage les pouvoirs de gouverneur de crédits à un niveau interarmées.

Remerciant le Chef du contrôle général des Armées pour la précision de son propos, M. Robert Poujade lui a demandé comment il envisageait le renforcement des moyens de soutien de la Gendarmerie nationale. Il l'a également interrogé sur les économies nouvelles susceptibles d'être dégagées grâce au développement des structures interarmées au sein du ministère de la Défense. Il a enfin souhaité connaître le sentiment du Contrôleur général Yvon Jouan, sur la réalité des réductions de coûts des programmes, sur l'état de la disponibilité opérationnelle des matériels et sur les insuffisances de capacités qui pouvaient être constatées en matière de guerre électromagnétique.

M. Robert Gaïa s'est interrogé sur les pratiques de DCN tendant à sous-traiter un volume croissant d'activités à des groupements d'entreprises extérieures. Il s'est également demandé si le dédoublement de certaines fonctions au sein du ministère de la Défense était justifié, observant notamment que la direction des ressources humaines et la direction de la fonction militaire et du personnel civil remplissent des tâches similaires. Après avoir fait valoir que les programmes d'armement bénéficiaient désormais souvent d'une complémentarité technologique étroite avec les activités civiles, il a souhaité des précisions sur la politique suivie par le ministère de la Défense à l'égard des stratégies duales mises en _uvre par les industriels. Il s'est à ce propos interrogé sur la répartition de l'effort budgétaire de soutien aux études entre la défense et les ministères civils dans les domaines susceptibles d'applications duales. Il a enfin appelé l'attention de la Commission sur l'insuffisance du nombre de personnels disposant d'une formation commerciale ou de gestion des ressources humaines parmi les cadres supérieurs de la défense, notamment à la DGA.

Après avoir remercié le Président Paul Quilès d'avoir donné suite à sa proposition d'organiser une audition du Chef du contrôle général des Armées, M. Didier Boulaud a souhaité que la Commission puisse à l'avenir recueillir son point de vue lors de l'examen des projets de loi de finances initiale. Il s'est par ailleurs interrogé sur la réalité des moyens du contrôle général des Armées et demandé dans quelle mesure il était associé aux grandes décisions concernant la défense, telles que l'élaboration de la loi de programmation militaire. Il a enfin souhaité savoir s'il relevait des missions du contrôle général des Armées d'émettre un avis sur les projets d'acquisition d'armements des différents états-majors, notamment au regard de l'évolution prévisible du contexte stratégique.

Observant que la plupart des sous-traitants de capacité de DCN dépendaient totalement du niveau de son plan de charge, M. Jean-Noël Kerdraon s'est demandé comment remédier à cette situation qui pèse sur plusieurs bassins d'emplois. Il a également remarqué que ce constat était aggravé par la régularité des retards de paiement de DCN vis-à-vis de ses fournisseurs depuis quatre à cinq ans, situation dont il a souhaité connaître les causes.

Evoquant les travaux de la Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi organique portant réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, M. Arthur Paecht a demandé si le budget du ministère de la Défense se prêtait bien à un changement de nomenclature à titre expérimental, la réforme de la procédure budgétaire ne devant pas être applicable intégralement avant 2003. Il s'est interrogé sur la portée de la nouvelle procédure envisagée s'agissant de la gestion des crédits et sur ses effets pour le contrôle interne et externe de l'exécution du budget du ministère de la Défense. Après avoir considéré qu'il convenait de dépasser une vision rigide du gouvernorat des crédits, il a demandé quel était le cadre de gestion budgétaire le plus adapté pour les programmes interarmées ou de nature duale.

M. Charles Cova a interrogé le Contrôleur général Yvon Jouan, sur l'opportunité d'une refonte à brefs délais de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires. Rappelant que le rapport d'information « sur les actions destinées à renforcer le lien entre la nation et son armée », que lui-même et M. Bernard Grasset avaient présenté à la Commission, préconisait la création d'un médiateur des personnels de la défense, il lui a demandé s'il estimait préférable de le rattacher aux inspecteurs généraux ou au contrôle général des Armées. Après avoir souligné qu'une dotation budgétaire significative était destinée à favoriser le départ de militaires dans le cadre de la professionnalisation des Armées, il a suggéré que des primes à la mobilité soient de même instituées pour favoriser l'affectation d'ouvriers d'Etat dans les forces. Il a également formulé l'idée d'un recrutement d'anciens militaires sous-officiers sur des postes civils. Il a enfin fait valoir que le meilleur moyen d'assurer la fidélisation des personnels était de leur accorder une rémunération plus attractive.

Le Contrôleur général Yvon Jouan, Chef du contrôle général des Armées, a apporté les éléments de réponse suivants :

- il est difficile d'évaluer par anticipation le coût de la professionnalisation des armées. Cependant, certaines tendances fortes sont observées : ainsi eu égard à l'exemple des armées professionnelles étrangères, il apparaît incontestable que la professionnalisation entraîne des sujétions financières supplémentaires par rapport à la conscription, notamment au titre des rémunérations. Ce surcoût est constaté dans la période intérimaire actuelle. La consolidation de la professionnalisation engendre donc un surcoût qui pourra néanmoins être stabilisé à terme. L'évolution du titre III du budget du ministère de la Défense de 1996 à 1999 illustre la tendance à l'alourdissement de ce titre, due au passage à l'armée professionnelle ;

- la notion de « gouverneur de crédits », que certains considèrent comme superflue, n'est pas réglementaire. Elle présente toutefois l'intérêt de permettre, au sein du ministère de la Défense, une conciliation entre l'interarmisation croissante des fonctions dans le cadre des systèmes de forces et la permanence forte d'identités propres aux armées et aux différents services. Les crédits dont le Chef d'état-major des Armées est gouverneur atteignent d'ores et déjà un montant non négligeable puisqu'ils financent les dépenses relatives à l'espace, aux armements nucléaires et au renseignement. Il paraît en tout état de cause difficile de faire évoluer la notion de gouverneur de crédits dès lors que les éléments des systèmes de forces relèvent spécifiquement d'une armée. Surtout, les Chefs d'état-major étant responsables de la disponibilité et du maintien en condition opérationnelle de leurs forces, ils doivent disposer des moyens, notamment budgétaires de cette responsabilité. Enfin, même si des assouplissements sont souhaitables, il est logique que les Chefs d'état-major soient, grâce à leurs pouvoirs de gouverneur de crédits, dans une situation de clients vis-à-vis des industriels et qu'ils puissent contrôler la gestion des ressources par la DGA ;

- le système des gouverneurs de crédits présente toutefois l'inconvénient de mettre en quelque sorte en concurrence les trois armées au regard de l'attribution des crédits d'équipement. La notion de système de forces permet d'atténuer cette situation au profit d'une meilleure mise en cohérence, assurée notamment à la DGA par les architectes de système de force et dans les armées par les officiers de cohérence opérationnelle. L'organisation idéale serait sans doute celle où une maquette de systèmes de forces serait déclinée jusqu'aux capacités de base dont la gestion serait répartie entre les armées en fonction de leur nature. Elle serait cependant difficilement compatible avec la limitation des ressources financières disponibles pour l'équipement des armées. Il n'en reste pas moins qu'un travail approfondi de mise en cohérence des capacités a pu être réalisé, dans le cadre de l'actuelle organisation, sous l'autorité du Chef d'état-major des Armées ;

- les moyens de soutien de la Gendarmerie appartiennent en partie à l'armée de Terre. Leur renforcement nécessaire doit cependant éviter la création d'un service de soutien spécifique à la Gendarmerie. C'est du rapprochement des services de soutien, incluant les nouveaux corps de soutien de la Gendarmerie, qu'il faut attendre le progrès souhaité ;

- l'amélioration de la maîtrise des grands programmes est patente. Les économies faites par la DGA sont réelles, même si leur échelonnement au fur et à mesure de la réalisation des programmes ne les rend ni immédiatement perceptibles, ni précisément quantifiables aujourd'hui. Il convient donc de prolonger la démarche ;

- le taux actuel de disponibilité opérationnelle des matériels est lié à leur âge. Le vieillissement des matériels entraîne en même temps la hausse de leur coût d'entretien et la baisse de leur disponibilité. Néanmoins, la dispersion des stocks de rechange dans de nombreux établissements alourdit les coûts de maintien en condition opérationnelle. La meilleure définition des besoins en rechange dans les nouveaux programmes devrait être source d'économies significatives ;

- la quasi-totalité des crédits d'entretien programmé du matériel figure désormais au titre V ;

- il n'est pas exclu qu'une partie des limites de capacités dans le domaine de la guerre électronique comme aussi dans celui des moyens d'information et commandement soit en partie liée à des questions de culture : au contraire des vecteurs de puissance, les équipements électroniques tels que les systèmes d'information et de commandement ne se voient pas. Or, la performance dans ce domaine est très coûteuse ;

- la DCN est confrontée à la nécessité de changer sa culture qui est ancienne. L'excellence de ses ingénieurs n'a pas été dans le passé mise à profit pour les besoins d'une gestion de type commercial. Sans doute pourrait-elle d'ores et déjà mieux utiliser les instruments existants, notamment pour la passation des marchés, dans le cadre de la réglementation actuelle ;

- l'attitude de la défense envers la notion d'équipements duaux est sans doute également une question de culture. La contribution de la défense au budget civil de recherche et de développement est ressentie comme une charge indue, alors que la DGA pourrait sans doute bénéficier, pour certains de ses programmes essentiels, des dotations ainsi affectées si elle avait la possibilité d'exercer à leur égard une démarche de gouverneur des crédits ;

- le contrôle général des Armées est associé aux grandes décisions. Mais sa fonction critique n'en fait pas toujours un interlocuteur recherché ;

- le phénomène des retards de paiement résulte notamment de la mise en place de la nouvelle dépense locale et du contrôle financier déconcentré. Il est aussi la conséquence temporaire des restructurations des implantations et des réorganisations de services ;

- la réflexion menée sur la modification de l'ordonnance de 1959 portant loi organique relative aux lois de finances peut être utile à condition qu'elle ne débouche pas sur un simple toilettage des procédures mais permette de desserrer les contraintes que le ministère des Finances fait peser sur la gestion quotidienne des services de la Défense en lui refusant toute souplesse ;

- le statut général des militaires doit nécessairement évoluer, notamment de manière à rationaliser la gestion du personnel et à permettre de valoriser les carrières de spécialiste. La suppression de la gestion par arme du personnel de l'armée de Terre constitue à cet égard un progrès. La proposition d'instituer un médiateur n'est pas à l'ordre du jour. En revanche, une décision importante a été prise pour améliorer la condition militaire, celle de la création d'une commission ouvrant largement les possibilités de recours. Elle fera l'objet d'un décret qui sera prochainement publié ;

- s'agissant de la faible mobilité géographique du personnel civil, des incitations financières supplémentaires ne paraissent pas de nature à y remédier de manière significative.

M. Jean Briane a alors émis le v_u de relations plus étroites entre le contrôle général des armées et la Commission pour le suivi de la gestion du ministère de la Défense et en particulier des programmes d'armement.

Le Président Paul Quilès, après s'être félicité de cette première audition, a regretté que sa durée nécessairement limitée n'ait pas permis au Contrôleur général Yvon Jouan d'approfondir les réponses données aux nombreuses questions qui lui ont été posées et a estimé nécessaire de poursuivre à l'avenir cet échange.

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