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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 décembre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur les études en amont des programmes d'armement (Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure)

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La Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Martine Lignières-Cassou sur les études en amont des programmes d'armement.

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure, a tout d'abord rappelé que les études-amont avaient pour objet de permettre des choix pertinents en matière d'équipements et de technologies dans la préparation du système de défense de l'avenir, pour préserver à la fois l'efficacité des systèmes d'armes et leur cohérence. Elles visent également à donner à l'industrie les moyens d'acquérir les technologies indispensables aux programmes futurs.

Mme Martine Lignières-Cassou a indiqué qu'elle s'était d'abord interrogée sur les caractéristiques majeures des équipements à finalité militaire intégrant les technologies les plus récentes. Parce que leur mise au point requiert à la fois de longs délais et d'importants investissements financiers, la recherche de défense suppose non seulement des moyens puissants mais aussi la pérennité des installations et surtout des équipes. La rapporteure a également signalé qu'à l'heure où se développe la coopération entre pays européens en matière d'armement et où l'incorporation de technologies sophistiquées renchérit le coût des programmes de recherche, elle s'était interrogée sur la place en Europe de la recherche de défense française et sur les choix stratégiques qui en découlent quant aux compétences à conserver ou à partager.

Elle a souligné que la baisse rapide des crédits de recherche de défense suscitait une vive inquiétude du secteur industriel mais qu'elle ne semblait pas pleinement prise en compte par les états-majors en raison de la nature différente de leurs préoccupations immédiates. Or, au moment où se prépare la prochaine loi de programmation militaire pour les années 2003-2008, il est indispensable de vérifier l'articulation entre, d'une part, le plan prospectif à 30 ans établi par la DGA pour orienter la recherche et, d'autre part, l'effort financier prévu à moyen terme en ce domaine.

La rapporteure a alors précisé qu'elle s'était attachée à dresser un constat de la situation de la recherche de défense en analysant les financements et les procédures qui lui sont applicables, tant en France qu'au niveau européen, puis qu'elle avait cherché à dessiner des perspectives ou des scénarios d'évolution en formulant quelques propositions. Elle a alors fait part des principales conclusions auxquelles elle était parvenue :

- il existe un problème de définition pour la partie dite amont de la recherche de défense. La définition actuelle, imprécise et peu cohérente, n'est pas partagée par l'ensemble des acteurs (DGA, industriels, états-majors, bailleurs civils de fonds, ...). Ces différences d'approche empêchent toute analyse du niveau de l'effort de recherche et de son évolution dans le temps et ne permettent pas de comparaisons internationales pertinentes ;

- l'existence de sources de financement civiles pour la recherche de défense pose la question de la notion de dualité ou de concepts dits de spin-in (application de technologies civiles dans le militaire) ou de spin-off. L'échec de la procédure d'intervention dite SYRECIDE commune aux ministères de la Défense et de la Recherche illustre à cet égard la régression dans les faits du principe de dualité ;

- l'effort actuel de recherche de défense est triplement inadapté, du fait de l'érosion forte des dotations publiques, d'une allocation des ressources inadéquate entre groupes industriels et PME-PMI qui pénalise ces dernières et du manque de pertinence de certains domaines d'allocation des crédits de recherche.

La réduction du montant des crédits consacrés aux études amont en matière de défense a été particulièrement sensible au long des années 90. Dans le meilleur des cas, pour l'agrégat le plus étroit des études amont, elle a atteint 50 % sur dix ans ou 30 % pour les cinq derniers exercices budgétaires. Or, d'un coût relatif peu élevé au sein du budget de la défense (3,68 milliards de francs en loi de finances initiale pour 2000), les études amont ont un impact déterminant sur la maîtrise des coûts des équipements et la limitation des risques technologiques dans les programmes d'armement.

Aucune des raisons avancées pour justifier la diminution des crédits consacrés aux études amont (réduction du format des armées, appel à des technologies civiles ou à des technologies duales, resserrement des domaines technologiques concernés, constitution de groupes industriels européens,...) ne résiste à une analyse poussée. Ainsi, les restructurations industrielles ne sauraient avoir aucune conséquence sur les engagements en matière de recherche sous peine de nuire aux chances des nouvelles entités européennes face à leurs concurrents nord-américains. C'est un leurre de croire que le développement des coopérations en matière de recherche permettra à la France de se décharger de l'effort financier sur ses partenaires ;

- l'analyse des procédures et des mécanismes encadrant le lancement et la régulation des études amont révèle leur complexité. La multiplicité des instruments européens, dans le cadre ou en dehors de l'Union européenne, est trompeuse : loin d'être efficace, cette multiplicité donne l'impression que des structures extérieures prennent le relais des politiques nationales alors que le financement de la recherche de défense provient avant tout de chaque Etat.

Mme Martine Lignières-Cassou a alors rappelé que la DGA avait entrepris depuis 1997 à la suite de la suppression de la DRET une réforme des études amont qui donne un rôle fondamental à son service de la recherche et des études amont, le SREA. La rapporteure a toutefois estimé que cette réforme n'avait pas produit tous les résultats escomptés et que, si des progrès ont été enregistrés à court terme dans l'identification des programmes, la vision à long terme de la DGA a disparu. La réforme qui reste mal perçue par le monde industriel n'a pas permis de remettre en cause le défaut de synergie civilo-militaire. Mme Martine Lignières-Cassou a alors précisé que son examen du fonctionnement de deux organismes de recherche sous tutelle du ministère de la Défense, d'un côté l'ONERA, de l'autre, l'Institut franco-allemand Saint-Louis, avait confirmé ce défaut de stratégie en matière de recherche.

La rapporteure a fait également observer que, s'il se maintenait, le trop faible niveau des crédits consacrés à la recherche et à la technologie ne permettrait plus à la France de détenir les capacités technologiques indispensables à sa politique de défense. Elle a souligné que cette même faiblesse de l'effort au niveau européen expliquait que, dans certains domaines, un fossé technologique se creuse entre l'Europe et les Etats-Unis même s'il n'est pas général. A cet égard, elle a considéré que la position de l'Europe dans les secteurs où elle pouvait concurrencer les Etats-Unis restait fragile et que le décrochement de compétitivité pouvait être rapide même là où des avancées étaient réelles.

Devant ces perspectives, Mme Martine Lignières-Cassou a présenté plusieurs propositions pour développer la recherche de défense en général et les études amont en particulier selon quatre axes : l'amélioration du processus méthodologique ; l'augmentation de l'effort de recherche et technologie (R&T) ; la mise en _uvre d'une véritable politique de recherche amont en France et la réforme des procédures et des structures.

L'amélioration du processus méthodologique aurait pour but d'établir un concept commun de RT&D qui distinguerait trois phases, les études ou recherches fondamentales (R), les technologies (T) et les développements (D) et traduirait ces nouveaux concepts en termes budgétaires, correspondant notamment à des capacités technologiques. Mme Martine Lignières-Cassou a ainsi jugé nécessaire de présenter chaque année l'effort de recherche de défense en regroupant ce qui relève des différents titres (III, V et VI), les subventions à des organismes publics et les transferts à d'autres structures à partir du budget du ministère de la Défense. Par ailleurs, elle a également proposé d'identifier dans les budgets des ministères civils (Industrie et Recherche) la part de recherche qui peut être considérée comme duale.

Faisant référence au niveau de l'effort public en France, il y a encore dix ans, et à la situation des budgets de recherche de défense aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, la rapporteure a estimé souhaitable que le volume des crédits de recherche amont (hors transferts et subventions) progresse d'au moins un tiers à court terme. Elle a ajouté que cette progression de 33 % permettrait aux études-amont de retrouver le niveau atteint au milieu de la décennie 90 sans toutefois rattraper le retard accumulé depuis cinq ans. Les dotations initiales pour les études-amont au sens strict augmenteraient dans cette hypothèse de 3 à 4 milliards de francs, dans les trois ou quatre prochaines années, et l'ensemble des dotations en faveur de la R&T, y compris les subventions et les transferts (à leur niveau actuel) passeraient de près de 8 milliards de francs en 2000 à 10 milliards de francs au cours de la prochaine programmation. La rapporteure a par ailleurs préconisé un réexamen des crédits relevant du BCRD, estimant que leur inscription au budget de la défense ne pouvait se justifier que si elle constituait un apport complémentaire à la politique spatiale de la France sans diminution des dotations du budget du CNES à due concurrence.

Pour faciliter l'accès à l'effort européen en matière de recherche, elle a plaidé pour que la part de crédits duaux soit au moins maintenue à son niveau actuel (estimé à 25 % soit environ 20 milliards de francs) dans le prochain programme cadre européen (PCRD) exprimant le v_u que l'effort en faveur de l'aéronautique et du spatial soit préservé.

Demandant la mise en _uvre d'une véritable politique à long terme de recherche amont de défense, elle a souhaité que le ministère de la Défense revalorise une démarche stratégique en ce domaine. Elle a également plaidé pour une approche interministérielle qui dépasse les intérêts catégoriels des différentes structures publiques et permette d'identifier des projets de recherche duale en organisant leur cofinancement.

Mme Martine Lignières-Cassou a proposé dans cette perspective la création d'un organisme interministériel pour la recherche de défense. Cette instance aurait pour but de favoriser la coopération interministérielle en développant l'information réciproque et l'articulation des actions au niveau le plus amont, de suivre l'ensemble des crédits de RT&D en matière de défense et d'aéronautique, de promouvoir la recherche duale et d'assurer la tutelle conjointe des organismes publics de recherche comme le CNES, l'ONERA ou l'Institut Saint-Louis. S'interrogeant sur la place d'une telle instance dans l'organisation administrative, elle a jugé que, parmi les solutions envisageables, il paraissait possible de la rattacher aux services du Premier ministre, éventuellement sous l'autorité du Secrétaire général de la Défense nationale.

Abordant la politique européenne de la recherche, la rapporteure a souligné que le rôle du Gouvernement français était déterminant pour engager un dialogue entre les Etats membres sur les technologies que l'Union européenne souhaite conserver. Ce dialogue aurait notamment pour objet de persuader les pays de l'Union et plus particulièrement ceux qui ne sont pas des acteurs majeurs de l'industrie d'armement, que l'accès de la recherche de défense aux crédits européens répond à l'intérêt commun. Il permettrait également de s'assurer de la cohérence des politiques de R&T chez les principaux acteurs européens.

La rapporteure a ensuite abordé la réforme des procédures et des structures soulignant qu'elle mériterait à elle seule une étude à part entière. Elle a suggéré à cet égard la simplification des procédures nationales, le raccourcissement des délais et l'accélération des programmes d'études voire l'aménagement des règles des marchés publics afin de prendre en compte la spécificité du secteur de la recherche. Elle a également insisté sur la nécessité d'intégrer les technologies modernes d'information et de communication dans les procédures et d'accorder une attention particulière aux PME-PMI afin de maintenir leur potentiel d'innovation. Pour éviter que les difficultés conjoncturelles provoquent une raréfaction du tissu des PME-PMI, elle a demandé la prolongation des dispositifs mis en place par la DGA pour repérer les innovations technologiques (appels à projets et guichet des propositions non sollicitées). Elle a également plaidé, dans cette perspective, pour l'affectation d'un minimum de crédits de recherche amont et de contrats aux PME-PMI indépendantes, l'objectif affiché étant de l'ordre de 10 %.

Enfin, elle a estimé qu'un effort d'harmonisation s'imposait au niveau européen, en vue notamment de rationaliser les procédures et d'ouvrir les crédits de l'Union à la recherche duale et de défense. Elle a considéré qu'à cet égard, les progrès dans la mise en _uvre des décisions de la L.o.I (Letter of Intent) étaient essentiels et que l'OCCAR pourrait se voir confier un rôle majeur à condition que soient maintenus ses principes fondateurs de flexibilité et de modularité.

Soulignant que les travaux de la rapporteure sur la recherche amont étaient très attendus et exprimant le v_u que ses propositions soient mises en application, le Président Paul Quilès a proposé que la Commission soit attentive aux suites qui leur seraient données. Il a par ailleurs rappelé que, conscient de la dimension désormais européenne de cette question, il avait lui-même proposé avec le Président de la Commission de la Défense du Bundestag allemand, M. Helmut Wieczorek, la création d'un fonds européen de soutien à la recherche-technologie en amont des développements, géré par l'OCCAR.

Mme Martine Lignières-Cassou a fait valoir que, même si la recherche militaire ne relevait pas des compétences des institutions communautaires, elle était partiellement prise en considération dans sa dimension duale par le 5ème programme cadre de recherche et développement (PCRD). Elle a remarqué à cet égard que 25 % des crédits du 5ème PCRD étaient consacrés à des actions duales intéressant en particulier le secteur de l'aéronautique.

Regrettant que les projets de recherche proprement militaires traités au niveau européen, notamment par l'intermédiaire des multiples procédures du Groupement armement de l'Europe occidentale (GAEO) et de l'Organisation de l'armement de l'Europe occidentale (OAEO) ne soient ni structurants, ni réellement significatifs, la rapporteure s'est prononcée en faveur d'une véritable prise en charge de la recherche de défense dans le cadre de l'Union européenne. Elle a jugé à ce propos que l'actuelle concertation entre la Commission européenne, gestionnaire du 5ème PCRD, le GAEO et l'OCCAR n'engendrait pas l'harmonisation nécessaire des procédures et que les mesures prises en application de la L.o.I n'avaient jusqu'à présent qu'une portée limitée.

Après avoir marqué son vif intérêt pour le travail présenté par la rapporteure, M. Jean-Yves Le Drian s'est interrogé sur la possibilité de relancer l'effort de recherche de défense dans le cadre de l'OCCAR en associant notamment d'autres pays à cet organisme. Constatant par ailleurs l'étroite corrélation entre l'effort de recherche civile et militaire et la mobilisation autour de grands projets technologiques, tels que le Concorde en France dans les années 60 et l'initiative de défense stratégique aux Etats-Unis au début des années 80, il a demandé si le secteur spatial ne pouvait pas jouer un rôle analogue pour l'Union européenne.

Mme Martine Lignières-Cassou a rappelé qu'il existait plusieurs organismes européens porteurs de projets menés en coopération. Elle a cité à cet égard l'OAEO, dont les critères de participation facilitent la coopération du plus grand nombre même si, en revanche, des procédures lourdes et une difficile mobilisation des financements nuisent à son efficacité. Elle a estimé que l'OCCAR présentait l'inconvénient contraire d'être restreint à quelques pays, ajoutant que l'allégement en son sein des contraintes de juste retour industriel ainsi que ses modes de décision plus efficaces étaient le gage d'une plus grande efficacité.

La rapporteure a observé que l'absence actuelle de grands projets technologiques mobilisateurs en France malgré une tradition de volonté politique et de vision stratégique dans le domaine de la recherche industrielle contrastait avec la situation des Etats-Unis. A l'appui de cette observation, elle a mis en exergue la place accordée à la recherche outre-atlantique, relevant que plusieurs organismes exerçant d'importantes missions en ce domaine se trouvaient placés auprès du Président des Etats-Unis, comme l'Office of Science and Technology Policy (OSTP) en charge des choix stratégiques et le Conseil national de la Science et de la Technologie qui veille à leur mise en _uvre. Elle a néanmoins fait valoir que la Commission européenne s'attachait actuellement à rassembler des financements européens en faveur de deux grands projets spatiaux : le système de navigation par satellite Galileo et le système d'observation pour l'environnement et la sécurité GMES. Elle a précisé que seuls le Commissaire européen chargé des Transports et les Ministres des Transports des différents Etats de l'Union européenne traitaient de ces projets qui intéressent pourtant aussi la défense.

Après avoir félicité Mme Martine Lignières-Cassou d'avoir abordé un vrai et difficile sujet politique au sens noble du terme, M. Arthur Paecht a souligné les difficultés relatives à l'attribution des crédits consacrés à la recherche, regrettant que certains fonds soient davantage utilisés au coup par coup pour renforcer des entreprises ou des organismes déficitaires que de manière concertée pour mener à bien des programmes cohérents.

Il a également déploré qu'aucun document ne retrace l'effort budgétaire global consacré à la recherche de défense. Préalablement à une augmentation des crédits de recherche de défense qu'il a jugé indispensable, il a également préconisé un travail d'identification et de redéploiement.

Concernant les propositions énoncées par la rapporteure, et notamment celle consistant à « aider les entreprises françaises à avoir accès aux crédits d'origine européenne selon les procédures en vigueur », il s'est interrogé sur les critères d'intervention de la Commission européenne tout en regrettant l'absence de financement européen significatif dans le domaine de la recherche de défense et en particulier de la recherche amont.

Il a également montré une certaine réticence à l'égard de la proposition « d'installer une cellule dédiée à la DGA en faveur des PME-PMI », soulignant les difficultés d'attribution rigoureuse des crédits dans ce cadre.

Considérant que l'OCCAR ne pouvait fonctionner efficacement sans abandonner véritablement la pratique du « juste retour », M. Arthur Paecht a par ailleurs insisté sur la nécessité de confier de nouveaux grands programmes à cet organisme.

Il a enfin cité pour exemple le domaine spatial où ont été menées au niveau européen des recherches duales très significatives dans le cadre de projets clairement identifiés, selon des méthodes qui doivent être étendues aux autres secteurs de la recherche.

Soulignant l'intérêt du travail de Mme Martine Lignières-Cassou, M. Aloyse Warhouver a demandé si un rapport entre les sommes investies et les résultats obtenus pouvait être établi pour les différents laboratoires de recherche relevant du ministère de la Défense ou d'industriels du secteur de la défense. Il s'est également interrogé sur les possibilités d'ouverture aux stagiaires ou aux universitaires des laboratoires de recherche intervenant dans le domaine de la défense.

M. Robert Gaïa s'est demandé si on pouvait encore parler d'une recherche spécifique dans le domaine de la défense ou si la dualité n'allait pas s'imposer à une grande échelle. Il s'est alors prononcé en faveur d'une action interministérielle déterminée en faveur de la recherche à vocation duale, évoquant la possibilité de la mettre en _uvre sous l'autorité d'un conseil stratégique auprès du Premier ministre.

M. Guy-Michel Chauveau s'est demandé à quel niveau les grandes décisions politiques en matière de recherche militaire devraient être prises pour garantir leur indépendance notamment à l'égard des pressions des armées et des industriels. Il s'est également interrogé sur la possibilité d'établir un mécanisme d'aide à ces décisions reposant sur une expertise indépendante.

Mme Martine Lignières-Cassou a apporté les éléments de réponse suivants :

- les crédits de recherche inscrits au budget du ministère de la Défense ont souvent joué le rôle de variable d'ajustement. En conséquence, les processus de décision en matière de grands projets technologiques conduisent davantage à procéder à des arbitrages budgétaires entre états-majors et industriels qu'à préparer l'avenir en fonction d'une stratégie de long terme. Si de nombreux comités consultatifs, tels que le Conseil économique de la défense et le Conseil scientifique de la défense, éclairent utilement les décisions du Ministre de la Défense, les choix de ce dernier ne résultent pas pour autant d'un débat public sur la politique de recherche ;

- l'un des obstacles à une gestion interministérielle des projets de recherche à caractère dual tient à la difficulté de concilier les logiques civile et militaire. La recherche militaire procède en effet d'une stratégie de « top down » fondée sur les programmes retenus par l'Etat client, alors que la recherche civile répond à un processus de « bottom up » dans lequel les industriels définissent eux-mêmes leurs orientations. Bien que mieux organisée, la recherche civile est confrontée aux mêmes questionnements que la recherche militaire quant à ses orientations stratégiques et à l'allocation des crédits publics ;

- l'augmentation des crédits de recherche amont est nécessaire pour explorer suffisamment de pistes de réflexion avant le lancement des programmes et réduire ainsi les surcoûts liés aux difficultés techniques rencontrées au cours des développements. Cette nécessité s'impose d'autant plus dans un contexte de diminution des crédits d'équipement du ministère de la Défense ;

- la transparence des processus de décision et du contenu des contrats en matière de recherche est de nature à accroître la marge de man_uvre des autorités politiques face au lobbying des états-majors et des industriels. Elle aurait également pour effet de protéger les crédits de recherche contre des redéploiements à leur détriment ;

- la proposition de créer une cellule dédiée au soutien des projets de recherche des PME-PMI au sein de la DGA vise à permettre à ces entreprises de maîtriser plus facilement les procédures d'accès aux fonds publics, tels que les PCRD communautaires. Par ailleurs, les mesures fiscales destinées à faciliter l'autofinancement de la recherche des PME-PMI sont de nature à favoriser l'accroissement de leurs capacités d'innovation dans le domaine des hautes technologies.

Remerciant Mme Martine Lignières-Cassou pour la qualité de son travail, le Président Paul Quilès a indiqué que si elles étaient traduites en actes, les conclusions de son rapport utile et novateur pourraient modifier bien des attitudes dans le domaine de la politique d'équipement militaire.

La Commission a alors autorisé à l'unanimité la publication du rapport d'information sur les études en amont des programmes d'armement conformément à l'article 145 du Règlement.

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