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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 7 mars 2000

(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures (M. François Lamy, rapporteur)


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M. François Lamy, rapporteur, a présenté à la Commission de la Défense son rapport d'information sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures.

Après avoir souligné que l'amélioration du contrôle parlementaire des opérations militaires extérieures faisait partie, depuis le début de la législature, des préoccupations essentielles de la Commission, le Président Paul Quilès a rappelé, qu'à la suite d'une première communication qu'il lui avait soumise en décembre 1997, elle avait décidé de constituer, sur ce sujet, un groupe de travail où étaient représentés les différents groupes politiques et dont M. François Lamy avait assuré la coordination des travaux.

Il a également rappelé que M. François Lamy avait présenté à la Commission, en mars 1998, un compte rendu des activités de ce groupe de travail où il formulait différentes propositions, dont certaines ont été accueillies favorablement par le Gouvernement et mises en pratique, concernant en particulier l'amélioration du dialogue avec le ministre de la Défense sur les opérations extérieures dans le cadre du débat sur la loi de finances rectificative de fin d'année.

Il a enfin souligné que M. François Lamy, nommé le 7 avril 1999 rapporteur d'information sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures, avait accumulé sur ce sujet une longue expérience, comme rapporteur pour avis des projets de loi de finances rectificative de fin d'année, mais aussi à la suite des missions qu'il avait réalisées auprès des forces, par exemple auprès du détachement français au sein de la SFOR, et comme rapporteur de la mission d'information sur le conflit du Kosovo.

Se référant à la décision de participer aux bombardements contre la République fédérale de Yougoslavie, prise sans consultation de la représentation nationale, il y a presque un an jour pour jour, M. François Lamy, rapporteur, a relevé que le contrôle du Parlement français sur les opérations extérieures demeurait aujourd'hui insuffisant.

Il a reconnu que quelques propositions élaborées en 1998 au sein du groupe de travail de la Commission sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures avaient reçu un bon accueil de la part du Gouvernement. Il a cité, à titre d'exemple, l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1999 qui a donné lieu à une description détaillée des opérations extérieures par le Ministre de la Défense, présent au banc du Gouvernement pendant une partie du débat en séance publique.

Après avoir estimé que ces progrès limités de la pratique n'entraînaient pas de changement fondamental dans les relations entre le Parlement et l'exécutif, M. François Lamy a indiqué que son rapport explorait différentes voies de réformes plus ambitieuses dans le domaine budgétaire, dans celui du fonctionnement des assemblées parlementaires et qu'il envisageait même des adaptations constitutionnelles, dans le cadre d'une réflexion plus générale sur l'équilibre des institutions.

Il a souligné l'importance de l'emploi des forces en dehors du territoire national en rappelant, à la suite de son avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 1999, que les armées françaises prenaient part actuellement à une trentaine d'opérations extérieures découlant d'engagements bilatéraux de défense, d'opérations de maintien de la paix directement mises en _uvre par les Nations Unies, ou encore d'opérations de coercition exécutées par l'OTAN ou par des coalitions ad hoc sur mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il a ensuite souhaité illustrer les difficultés actuelles du contrôle parlementaire des opérations extérieures. En premier lieu, il a remarqué que l'engagement des forces françaises hors du territoire national s'effectue le plus souvent sans consultation des assemblées, le Gouvernement n'ayant sollicité un vote d'approbation de l'Assemblée nationale qu'à l'occasion de la Guerre du Golfe, le 16 janvier 1991, ce qui constituait une exception. En second lieu, il a indiqué que le Parlement n'a pas toujours connaissance des accords et traités en vertu desquels ces opérations sont menées, alors que la presse bénéficie parfois d'informations plus précises. En troisième lieu, il a souligné que le statut des opérations extérieures n'apparaît pas toujours limpide, les militaires relevant du ministère des Affaires étrangères au titre de la coopération et ceux des forces prépositionnées pouvant parfois y participer, ce qui brouille la compréhension d'interventions au financement desquelles la représentation nationale est pourtant amenée à donner son consentement. Il a ajouté, à ce propos, que les règles budgétaires limitent les moyens de contrôle du Parlement sur les opérations extérieures, les surcoûts qu'elles occasionnent étant principalement financés par des annulations de crédits sur le Titre V du budget initial du ministère de la Défense dans le cadre de mouvements avalisés au moment de l'adoption du collectif budgétaire de fin d'année. Enfin, il a estimé que les mécanismes découlant de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale ne favorisent pas un contrôle affiné des opérations extérieures, le Parlement ne pouvant pas, par ce biais, participer à la définition du cadre d'intervention des forces, comme cela peut être le cas en Grande-Bretagne par exemple.

M. François Lamy s'est appuyé sur ce constat pour mettre en relief la nécessité de définir de nouveaux mécanismes permettant au Parlement de mieux exercer sa mission fondamentale de contrôle dans le domaine de l'emploi des forces en dehors du territoire national. Conscient des objections qu'un tel débat peut susciter, il a souligné le caractère objectif des constatations sur lesquelles il fondait ses propositions.

Il a tout d'abord observé qu'en élaborant l'article 35 de la Constitution, le constituant de 1958 avait voulu marquer son attachement au principe de la consultation du Parlement préalablement à l'engagement des forces françaises dans un conflit armé. Sans méconnaître l'interprétation selon laquelle le constituant aurait entendu borner les pouvoirs du Parlement en matière d'autorisation des opérations militaires en les limitant aux seules déclarations de guerre, il a fait valoir qu'une lecture moins restrictive était plus convaincante, dans la mesure où l'on ne peut envisager sérieusement que le constituant ait délibérément inscrit dans le texte constitutionnel une disposition n'ayant aucune signification pratique. En effet, l'initiative de la guerre n'est, aujourd'hui, plus annoncée au préalable et se trouve en tout état de cause proscrite par le droit international positif, exception faite du cas de légitime défense.

Il a ensuite précisé que le souci de rétablir le Parlement dans sa fonction de contrôle ne devait pas être interprété comme une contestation des pouvoirs propres de l'exécutif. Néanmoins, la représentation nationale exprimant la souveraineté du peuple, comme le Président de la République et le Gouvernement, elle est fondée à être consultée sur les interventions des armées.

De même, il a estimé que, s'il n'est pas totalement infondé de soutenir que les procédures parlementaires sont parfois lentes, il serait hâtif d'en conclure qu'une consultation des assemblées serait nécessairement préjudiciable à la célérité bien souvent nécessaire en cas de déclenchement d'opérations extérieures.

Il a enfin ajouté que l'enquête d'opinion réalisée par la SOFRES entre le 27 et le 30 décembre 1999, à la demande de la Commission, auprès d'un échantillon de 1 000 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus, faisait apparaître l'existence d'une majorité significative en faveur de l'information, l'expression et même l'autorisation préalables du Parlement pour tout engagement d'opérations militaires extérieures. Cette aspiration des citoyens à un contrôle parlementaire plus poussé sur la décision d'engager les armées dans le cadre d'opérations extérieures apparaît, selon l'étude de la SOFRES, d'autant plus forte qu'aucun clivage politique partisan n'en relativise la portée.

Considérant que la représentation nationale ne pouvait rester indifférente à cette attente, le rapporteur a détaillé plusieurs propositions visant à approfondir le contrôle budgétaire du Parlement ; à établir une information complète des parlementaires sur les traités et accords de défense et de coopération militaire ; à instaurer un mécanisme de consultation du Parlement sur l'engagement des opérations extérieures ; et à assurer un suivi parlementaire plus efficace des interventions militaires hors du territoire national.

Se référant aux expériences des parlements britannique, allemand, italien et américain, toutes riches en enseignements, il a énuméré un certain nombre de mécanismes susceptibles d'améliorer, de manière significative, l'association du Parlement aux décisions concernant les opérations extérieures, sans pour autant remettre en cause la prééminence de l'exécutif en ce qui concerne la politique étrangère et de défense du pays.

Il a ainsi proposé d'inscrire à l'article 35 de la Constitution l'obligation pour le Gouvernement de consulter le Parlement avant le déclenchement de toute opération extérieure, à l'exception des opérations d'évacuation de ressortissants. Il a précisé que, lorsque l'opération extérieure envisagée par le Gouvernement ne s'inscrivait ni dans le cadre d'un mandat explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies, ni dans le cadre de l'application d'un accord de défense, l'autorisation préalable du Parlement devait être requise.

De même, il s'est prononcé en faveur d'une individualisation partielle, en loi de finances initiale, des crédits destinés au financement des opérations extérieures durables, tout en proposant de limiter cette inscription budgétaire spécifique aux seules rémunérations et charges sociales en raison des difficultés de chiffrage des surcoûts relevant d'autres postes de dépenses.

Il a enfin souhaité que soit transmis au Parlement, en préalable à l'examen du collectif budgétaire de fin d'année, un document récapitulatif des crédits et des moyens engagés pour chaque opération extérieure de l'année. Il a souligné que cette dernière mesure relevait d'une disposition législative, éventuellement d'initiative parlementaire, dont il a recommandé la rapide adoption.

Le rapporteur a formulé, en complément, des suggestions relatives au contrôle des engagements de défense.

Il a envisagé à cet effet la création de deux délégations parlementaires pour les opérations extérieures comportant dix membres au sein de chaque assemblée. Ces délégations se verraient communiquer les accords de défense et de coopération militaire, même secrets ; émettraient un avis sur leur approbation ; se prononceraient sur l'engagement des forces en application de leurs dispositions et assureraient un suivi des opérations en cours par des déplacements auprès des troupes sur les différents théâtres. Soucieux d'éviter une multiplication des structures parlementaires spécialisées, en marge des Commissions en charge des questions de défense, M. François Lamy a estimé que ces compétences pourraient être conférées aux deux délégations parlementaires chargées du suivi des questions de renseignement, dont la création est prévue par une proposition de loi adoptée par la Commission de la Défense nationale et des Forces armées.

Il a par ailleurs souligné l'intérêt d'une audition systématique du Ministre de la Défense et, éventuellement, du Chef d'état-major des Armées par les Commissions de la Défense des deux assemblées, dès lors qu'une nouvelle opération extérieure serait engagée. Il a précisé toutefois que pour être véritablement utile, cette procédure devrait être limitée aux opérations extérieures les plus importantes et intervenir dans un délai relativement bref après leur déclenchement.

En conclusion, il a estimé que ces propositions, qu'elles s'inspirent de mécanismes en vigueur dans les grandes démocraties modernes ou bien qu'elles s'inscrivent de manière plus spécifique dans le cadre institutionnel français, constituaient autant de réponses aux carences actuelles du contrôle parlementaire.

Intervenant au nom du groupe RPR, M. René Galy-Dejean a estimé que, sous couvert de revalorisation du rôle du Parlement, les propositions du rapporteur d'information participaient d'une démarche globale, suivie avec persévérance, en particulier par le Président de la Commission, qui tendait à contester dans ses éléments fondamentaux, relatifs à la défense et aux affaires étrangères, le dispositif institutionnel de la Vème République et le rôle du Chef de l'Etat. Il a indiqué que le groupe RPR apporterait une contribution au document publié par la Commission, dont la teneur serait fondamentalement différente de celle des conclusions, qu'il a jugées excessivement politiques, du rapporteur d'information.

Le Président Paul Quilès a rappelé qu'il soulignait depuis deux ans la nécessité d'une réforme de l'article 35 de la Constitution. Il a considéré qu'il importait aujourd'hui d'adapter à la situation nouvelle des relations internationales un dispositif constitutionnel qui ne fonctionnait pas bien, soulignant qu'il s'agissait là d'une question relevant de façon éminente du débat politique que l'Assemblée nationale se devait de mener.

Après avoir indiqué que les conclusions de son rapport d'information étaient issues des réflexions conduites depuis 1997 au sein de la Commission, notamment dans le cadre de son groupe de travail sur les opérations extérieures, M. François Lamy a souligné que les propositions qu'il présentait tenaient compte de la nécessité de ne pas affaiblir les prérogatives de l'exécutif, ni de fragiliser les processus de décision associant les différentes autorités qui le constituent. Il a également fait valoir qu'elles avaient été élaborées dans le souci de garantir l'efficacité des opérations extérieures. Il a par ailleurs fait observer qu'il serait intéressant de s'interroger sur les raisons qui avaient amené le constituant à confier au Parlement la compétence d'autoriser la déclaration de guerre.

M. René Galy-Dejean a alors rappelé qu'il considérait que la Constitution était adaptée dans le domaine de l'emploi des forces armées et observé que la question de sa modification sur ce point constituait un réel sujet de divergences.

M. Arthur Paecht a tout d'abord exprimé son accord de principe avec les mesures de revalorisation du rôle du Parlement tendant à lui permettre de reconquérir l'ensemble de ses pouvoirs dans tous les domaines touchant à la sécurité de la Nation. Après avoir souligné la nécessité de trouver une solution au problème du financement des opérations extérieures, il a jugé que la procédure budgétaire devait offrir davantage de souplesse, en permettant notamment l'inscription de provisions au titre III ainsi qu'au titre V, notamment pour l'entretien programmé des matériels ou l'acquisition des munitions, même s'il convenait de s'assurer de l'orthodoxie de la démarche. Il a ensuite considéré qu'il n'était pas satisfaisant que le Parlement ne soit ni informé, ni consulté sur les opérations extérieures. Tout en admettant qu'il n'était peut-être pas souhaitable d'établir une procédure de vote solennel préalable à tout engagement des forces, il a regretté que le débat au Parlement qui avait eu lieu en 1991, au moment de la guerre du Golfe, n'ait pas servi de précédent. Il s'est en tout état de cause prononcé pour une amélioration du suivi parlementaire des opérations en cours.

Il a alors relevé que la proposition de création de délégations parlementaires chargées du contrôle des engagements de défense, qui rencontrait son accord, posait néanmoins la question de l'habilitation des députés et des sénateurs au secret de la défense nationale. A une remarque de M. René Galy-Dejean sur l'impossibilité d'opérer une distinction entre les parlementaires, M. Arthur Paecht a rappelé qu'une habilitation ès qualités avait déjà été prévue pour permettre à des représentants du Sénat et de l'Assemblée nationale de siéger à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) ou dans d'autres organismes, comme le Comité des prix de revient des fabrications d'armement. Enfin, il a souligné qu'il n'était pas possible de se satisfaire de la rédaction actuelle de l'article 35 de la Constitution, inapplicable et inappliqué, eu égard, en particulier, à la situation internationale actuelle.

Après que M. Arthur Paecht eut évoqué les débats au sein des parlements d'autres pays européens sur les interventions extérieures des forces armées et la meilleure association de ces parlements aux actions de l'exécutif en matière de défense et de renseignement, M. René Galy-Dejean a observé que les parlementaires habilités à siéger dans l'instance britannique de contrôle des activités de l'exécutif en matière de renseignement étaient en fait nommés par le Premier ministre. Le Président Paul Quilès a alors remarqué que le Premier ministre britannique était membre de la Chambre des communes et chef de la majorité parlementaire, M. Arthur Paecht soulignant que les nominations au sein de cet organisme résultaient d'un accord avec l'opposition, ce qui renforçait la crédibilité et l'efficacité du contrôle parlementaire.

Le Président Paul Quilès se référant à la tradition de recherche du consensus au sein de la Commission de la Défense, a fait valoir la nécessité de vérifier la réalité de ce consensus par le débat public et contradictoire dont le Parlement constituait le seul cadre institutionnel légitime.

M. Robert Gaïa a considéré que le rapporteur avait su trouver un point d'équilibre raisonnable entre les exigences d'une situation où les forces étaient de plus en plus appelées à être projetées dans un cadre multinational, l'organisation générale des pouvoirs publics voulue par la Constitution et la demande constatée dans l'opinion d'un accroissement du rôle du Parlement en matière d'engagement militaire extérieur. Considérant que l'article 35 de la Constitution était obsolète et que son application était même interdite par la Charte des Nations Unies, il a approuvé la proposition du rapporteur tendant à instituer un mécanisme permettant à la fois de renforcer le contrôle du pouvoir législatif sur l'emploi des forces et de reconnaître la légitimité inhérente aux mandats d'intervention du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il a par ailleurs estimé que le suivi des opérations extérieures répondait à une demande réelle des militaires concernés qui, face aux tâches complexes qu'ils ont à assumer, éprouvent le besoin d'une plus grande implication de la représentation nationale, et, à travers elle, de la Nation.

Il s'est enfin demandé si la notion de surcoût des opérations extérieures était toujours pertinente pour une armée désormais organisée très largement en fonction d'un concept de projection.

Partageant les réflexions de M. Arthur Paecht, M. Jean Briane a regretté que le Parlement n'exerce pas davantage ses pouvoirs, qu'il s'agisse du suivi des textes législatifs qu'il adopte, du budget ou du contrôle de l'emploi des forces. Constatant que les débats relatifs à la défense du pays aboutissaient généralement à un consensus, il a souhaité que ce consensus puisse être préservé dans le nouveau contexte d'emploi des forces.

Le Président Paul Quilès a fait observer que les consensus obtenus par le débat se révélaient toujours, à terme, plus solides que ceux résultant du silence.

Soulignant que la valorisation du rôle du Parlement représentait en elle-même un progrès de la démocratie, M. Jean-Claude Sandrier a exprimé son accord sur les conclusions du rapport qu'il a jugé excellent.

Estimant que le fonctionnement des institutions se révélait imparfait et qu'il n'était satisfaisant en matière de défense que de temps en temps, lorsque la Constitution n'était pas appliquée strictement, il s'est interrogé sur la réalité du « domaine réservé » du Chef d'Etat. Il a, par ailleurs, souligné que l'article 35 de la Constitution était suffisamment clair, mais que c'était le refus de qualifier de « guerre » l'usage des armes dans un conflit qui en faisait oublier le sens. Il s'est enfin déclaré favorable à l'autorisation par le Parlement de toutes les opérations extérieures, qu'elles soient ou non menées dans le cadre d'un mandat de l'ONU.

M. François Lamy, rapporteur, a fait remarquer que la France étant membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, une divergence entre le Parlement et l'exécutif à propos d'une question traitée dans cette enceinte, voire un refus d'autoriser un emploi des forces dans le cadre d'un mandat de l'ONU, auraient pour conséquence de fragiliser la position de notre pays sur le plan international. Le rapporteur a par ailleurs souligné que ses propositions se situaient dans le cadre d'une évolution, et non d'un changement, de la Constitution.

Le Président Paul Quilès a rappelé que l'article 2 de la Charte des Nations Unies prévoit que les pays membres sont tenus de remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assumées à l'égard de cette organisation.

M. Jean-Claude Sandrier a répondu qu'en cas de désaccord avec une décision prise par l'ONU, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, pouvait toujours, aux termes de la rédaction actuelle de la Charte, user de son droit de veto, quelles que soient les réserves qui pouvaient être faites sur cette prérogative reconnue à quelques Etats.

Insistant sur le fait que la guerre ne se déclarait plus, M. Arthur Paecht a estimé que l'article 35 de la Constitution était bien en cause. Il a, par ailleurs, observé qu'en cas de désaccord avec un projet de résolution, l'abstention était d'un usage plus courant que l'utilisation du droit de veto au sein du Conseil de sécurité.

Exprimant son accord avec les propositions de M. François Lamy, M. Bernard Cazeneuve a fait valoir que leur principal mérite n'était pas de préconiser une revalorisation du rôle du Parlement, qui ne pouvait pas être considérée comme une fin en elle-même, mais de proposer des mesures politiquement légitimes et institutionnellement nécessaires.

Sur le plan politique, il a considéré que la Constitution de 1958 supposait à l'origine une conformité de vues entre l'exécutif et le législatif, qui n'est désormais plus la règle, ce qui impose de redéfinir les équilibres institutionnels en tenant compte de la légitimité que la majorité de l'Assemblée nationale tire de l'élection législative, notamment lorsqu'elle est postérieure à l'élection présidentielle.

Sur le plan institutionnel, il a rappelé que le caractère secret de certains accords de coopération militaire et de défense signés avec des pays étrangers, en particulier africains, empêchait les parlementaires, et notamment les rapporteurs budgétaires, d'exercer leur mission, par exemple lorsqu'ils examinent les crédits consacrés à la coopération. Il a évoqué à ce propos l'incapacité où s'est trouvé le Parlement de jouer son rôle dans le contrôle de l'action gouvernementale au Rwanda, étant donné son absence d'informations sur la nature des engagements militaires qui liaient la France à ce pays entre 1990 et 1994.

Exprimant son désaccord avec la thèse d'une hiérarchie entre les légitimités du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement, M. Robert Poujade a estimé que, si les rapports de force entre les différents pouvoirs pouvaient changer, la légitimité de chacun d'eux ne saurait varier selon les circonstances. Quant à la notion de « domaine réservé », il a souligné qu'elle n'avait jamais été pertinente et qu'elle était dépourvue de fondement constitutionnel, même s'il existait en revanche des « domaines partagés ». S'agissant de l'habilitation d'un nombre restreint de parlementaires au secret de la défense nationale, il s'y est déclaré opposé, jugeant cette proposition outrageante pour le Parlement, tout parlementaire devant être considéré capable de respecter ce secret et aucune distinction comportant des prérogatives particulières ne pouvant être établie entre les mandats des membres des assemblées.

M. François Lamy, observant que, dans le dispositif qu'il proposait, les parlementaires membres des délégations appelées à connaître notamment des accords de défense à caractère secret seraient habilités ès qualités, a souligné que cette règle d'habilitation représenterait une garantie supplémentaire aux yeux de l'exécutif, de nature à instaurer la relation de confiance nécessaire à la communication d'informations classifiées.

M. Robert Poujade a considéré que, s'il devait y avoir une habilitation ès qualités des parlementaires, elle devrait s'étendre à tous, sans être restreinte à quelques uns.

Convenant que tout parlementaire devait être considéré comme capable de respecter le secret de la défense nationale M. Arthur Paecht a souligné le caractère impraticable et contraire à la séparation des pouvoirs d'une disposition instituant une procédure d'habilitation des parlementaires par l'exécutif. Il a en outre observé que la différence des fonctions exercées par les parlementaires pouvait avoir comme conséquence de permettre à certains d'entre eux d'accéder à des informations non communiquées à la plupart de leurs collègues, tout en leur interdisant de les leur transmettre. Il a cité à ce propos l'exemple des rapporteurs spéciaux, qui disposent d'un droit de contrôle sur pièce et sur place ainsi que celui des parlementaires membres d'organismes tels que la CNCIS.

M. Robert Poujade a réaffirmé que le principe de la souveraineté populaire interdisait de créer des catégories différentes de députés, même si, dans la pratique, certains parlementaires ont, en raison de leurs fonctions, un accès privilégié à tel ou tel type d'informations.

Le Président Paul Quilès a fait remarquer qu'il en était de même au sein du Gouvernement, où la spécialisation des fonctions entraîne une différenciation dans l'accès aux informations.

M. Bernard Cazeneuve a considéré qu'il n'existait pas de catégories distinctes de parlementaires, mais que, en raison des fonctions qui leur étaient confiées, certains responsables pouvaient disposer de pouvoirs particuliers, tout en restant dépositaires d'une souveraineté nationale considérée comme indivisible.

Le Président Paul Quilès a remarqué à ce propos que les parlementaires qui siégeaient ès qualités dans certaines instances extraparlementaires étaient effectivement perçus par les autres membres de ces instances comme représentants du Parlement tout entier.

Après avoir approuvé les propositions du rapporteur d'information concernant en particulier la présence plus fréquente des parlementaires auprès des unités déployées à l'étranger, M. Bernard Grasset a émis des réserves sur une éventuelle multiplication des habilitations ès qualités des parlementaires.

Le Président Paul Quilès a rappelé que les rapporteurs des missions d'information sur les événements au Rwanda ou sur le conflit du Kosovo avaient eu connaissance de documents qu'ils s'étaient engagés à ne pas à communiquer à l'ensemble de la Commission. L'accès à de tels documents résulte d'une relation de confiance avec l'exécutif qu'il est nécessaire d'institutionnaliser et aussi, parfois, d'un équilibre des pouvoirs qui doit être organisé.

Il a fait par ailleurs observer que le Parlement manifestait parfois des réticences à exercer l'ensemble des pouvoirs qui lui étaient conférés et qu'il pouvait, dans certains cas, donner le sentiment de ne pas être efficace dans sa mission de contrôle. Il a émis la crainte que des accords aux clauses potentiellement dangereuses soient encore en vigueur et souligné que, devant les risques d'aventures que de tels accords recelaient, le Parlement ne pouvait se contenter d'un rôle de spectateur.

M. Robert Gaïa a convenu que les rapports de confiance entre les parlementaires et l'exécutif facilitaient la communication d'informations sensibles. Il a cependant regretté que ces relations de confiance reposent trop souvent sur des engagements personnels sans fondement institutionnel.

M. Robert Poujade a indiqué qu'il n'était pas opposé à ce que certaines normes, fixant les devoirs des parlementaires, soient inscrites dans les textes, une législation n'établissant que des droits pouvant, dans certains cas, être préjudiciable au bon fonctionnement des institutions.

M. Bernard Cazeneuve a observé que les nécessités de la pratique ne pouvaient appeler une évolution de la Constitution que si celle-ci n'était pas « sacralisée ». Il a jugé essentiel que la possibilité de sa modification sur des points importants soit acceptée et s'est inquiété du caractère fermé que pouvait revêtir le texte constitutionnel actuel sur de nombreux points. Evoquant le précédent des débuts de la IIIème République, il a fait observer que des actes politiques pouvaient, au-delà de la lettre d'un texte constitutionnel, modifier considérablement l'équilibre des institutions.


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