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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 19 décembre 2001
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Jean-Jacques Jégou, Secrétaire

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur le FMI et la Banque mondiale (M. Yves Tavernier, rapporteur pour avis)

- Information relative à la Commission

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La commission a examiné le rapport d'information de M. Yves Tavernier, Rapporteur d'information, sur les activités et le contrôle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

M. Yves Tavernier, Rapporteur, a tout d'abord indiqué qu'à l'occasion d'une réunion tenue ce jour, autour du Président de l'Assemblée nationale, sur le thème de la gouvernance mondiale, il avait été surpris de constater que le rapport, à venir, du Conseil d'analyse économique relatif à ce sujet comportait un seul absent : le Parlement. Le sommet de Gênes a montré que les débats sur la mondialisation, le commerce international, les institutions financières internationales se tenaient entre quelques organismes, les grands groupes et les organisations non gouvernementales. La démocratie représentative a disparu de la réflexion. De nombreux rapports parlementaires ont pourtant été rédigés sur cette question.

Les enjeux financiers, géostratégiques, mais surtout politiques de ces thèmes, sont pourtant évidents. Le FMI et les banques de développement décaissent environ 47 milliards de dollars par an, alors que les fonds des Nations Unies, tous confondus, ne dépassent pas 5 milliards de dollars. L'Union européenne et ses États membres représentent 27 milliards de dollars d'aide extérieure. L'effort des Etats-Unis représente le quart des contributions européennes, avec 7 milliards de dollars. Pourtant ce pays dispose d'un réel pouvoir d'influence - voire de veto - dans les institutions de Bretton-Woods. La France est le quatrième bailleur de fonds des deux institutions. En 2001, sa quote-part au FMI atteint 103 milliards de francs et sa part du capital de la Banque mondiale 63 milliards de francs. Notre participation aux instruments de lutte contre la pauvreté s'élève à 28 milliards de francs et notre participation cumulée aux diverses reconstitutions de l'Association internationale de développement représente 54 milliards de francs.

À l'occasion du débat sur le projet de collectif pour 1998, le Parlement avait exigé du Gouvernement qu'il remette, chaque année, un rapport sur les activités du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le contenu du premier rapport gouvernemental, publié en 1999, apparaissait sans conteste insuffisant. Celui de l'an 2000 marquait un net progrès dans l'information fournie. Le rapport de cette année apparaît plus complet, mais surtout s'avère plus explicite sur les positions défendues par la France. Néanmoins, il se présente plutôt comme une simple juxtaposition de notes thématiques et comme un rapport technique de la direction du Trésor du ministère des finances que comme un rapport politique du Gouvernement au Parlement. Il faut regretter que ce soit une administration qui définisse seule la position de la France dans ces enceintes. Il faut souhaiter qu'à l'avenir, le rapport du Gouvernement soit moins discret et moins prudent sur les questions fondamentales qui portent sur la légitimité des deux institutions, sur leurs champs de compétence, sur leur vision du monde et sur les présupposés idéologiques qui innervent leurs politiques financières, économiques et sociales. Le rapport que le Rapporteur propose d'adopter s'intitulera :« Fonds monétaire international et banque mondiale : Pour faire plaisir à Wall Street ? ». Cette formule est reprise à Joseph Stiglitz, dernier Prix Nobel d'économie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui estime que les institutions de Bretton-Woods ont pour objectif de complaire aux marchés financiers internationaux.

Depuis le début des années 1980, le FMI et la Banque mondiale ont construit un modèle de développement imprégné du monétarisme, alors triomphant. Théorisant les expériences du Sud-Est asiatique et du Chili, ils ont préconisé l'ajustement des économies de tous les pays au marché mondial. Le développement économique exige que la régulation soit faite par les marchés et que le rôle des États soit réduit. Ils accordent la priorité aux exportations, à l'exploitation effrénée des ressources, à la libéralisation des échanges, à l'investissement international et aux privatisations. Parallèlement, est mise en place une politique de réduction des systèmes publics de protection sociale et de diminution des dépenses budgétaires considérées comme improductives, en matière de santé et d'éducation notamment. Les salaires des fonctionnaires du FMI ont progressé de 4,5 % alors même que le fonds préconise la diminution des salaires des fonctionnaires. Pour réduire le déficit commercial, l'ajustement préconise le développement accéléré des exportations. Il s'en est suivi une exploitation dramatique des ressources naturelles, de forts déséquilibres écologiques et une aggravation de la corruption. L'option libérale met l'accent prioritaire sur l'investissement privé. Les conséquences sociales de ces politiques ont été désastreuses.

C'est pourquoi, depuis le milieu des années 1990, avec notamment l'arrivée de M. James Wolfensohn à la tête de la Banque mondiale, les institutions financières découvrent la pauvreté et s'engagent à l'éradiquer dans les meilleurs délais. Les institutions de Bretton-Woods ont été incapables de prévenir les crises russes et asiatiques. Les conséquences de la dérégulation systématique ont mis en évidence la fragilité du système. Le « consensus de Washington » fondé sur la primauté des marchés financiers et l'acceptation de la direction déterminante des États-Unis a alors été remis en cause, dans un débat qui oppose les néo-keynésiens aux ultra-libéraux. Il porte sur la nature de la régulation et sur le rôle de l'État. Les uns, avec Milton Friedman, estiment que les institutions financières sont responsables de la crise et qu'il vaudrait mieux les supprimer en faisant confiance au seul marché pour réguler l'économie, conclusion reprise par le rapport « Meltzer ». D'autres, avec Joseph Stiglitz, insistent au contraire sur les dysfonctionnements du marché, sur le rôle de l'État, et sur les politiques sociales.

Dans cette bataille idéologique, quelle est la voix de l'Europe, quelle est la voix de la France ? Le rapport du Gouvernement faisait preuve l'an dernier d'une très grande déférence à l'égard des institutions internationales. Si le rapport de 2001 précise fort bien les positions défendues par l'administrateur français, il aurait été souhaitable de connaître de manière plus approfondie la position du Gouvernement français sur la crise de légitimité qui secoue les grandes institutions financières et bancaires internationales. Le débat entre « un dollar, une voix », credo des pays riches, et « un pays, une voix », complainte des pays pauvres, est esquissé. Il n'est pas traité dans toute son ampleur. Il est bien de souligner l'effort d'évaluation sur la pertinence des politiques conduites et sur l'efficacité des résultats. Il serait utile de s'interroger sur la valeur des audits réalisés par un organisme appartenant à l'institution. Il faut plaider pour que la voix de la France ne se réduise pas à une approche technocratique et conformiste. Ainsi, le discours sur le développement durable rencontre un assentiment général, mais chaque institution en donne une définition différente. Comment mettre en _uvre un développement économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié ?

Le rapport de la Commission de l'an passé soumettait à la sagacité du ministère de l'économie et des finances vingt propositions. Elles portaient sur les missions du FMI et de la Banque mondiale, sur la démocratisation de leur fonctionnement, sur la nécessité de créer une coordination européenne et sur le perfectionnement du processus de détermination des positions françaises. Une seule de ces propositions a retenu l'attention du Gouvernement. Elle suggérait que soit mis fin au monopole du Trésor en exigeant de l'administrateur français qu'il rende des comptes non seulement au Trésor, mais également au ministère des affaires étrangères et en nommant un deuxième administrateur auprès de la Banque mondiale placé sous tutelle principale du ministère des affaires étrangères. Ce thème, et lui seul, a fait l'objet d'une lettre du ministre de l'économie et des finances.

Le débat démocratique est une nécessité dans le cadre d'un bon fonctionnement des institutions de la République. C'est pourquoi les questions restées sans réponse sont reprises dans le présent rapport, avec l'espoir qu'elles suscitent intérêt et réflexion. Il convient de rappeler que les institutions financières internationales ont largement recours aux contribuables des pays membres, soit qu'ils fournissent directement une partie des ressources, soit qu'ils garantissent le remboursement de celles qu'elles mobilisent sur les marchés financiers internationaux.

Par ailleurs, deux propositions complémentaires sont destinées à améliorer l'information des parlementaires : la première consisterait à exiger du Gouvernement un rapport annuel sur l'état des créances de la France à l'égard des pays pauvres, question fondamentale dans le cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, menée, conjointement, par l'ensemble des bailleurs de fonds publics, au premier rang desquels se trouvent le FMI et la Banque mondiale ; la seconde proposition reviendrait à demander, sur le modèle de ce qu'ont fait les membres de la Chambre des Communes britannique, que soient rendus publics les comptes-rendus des conseils d'administration, ainsi que les votes de chaque administrateur.

Pour la première fois, l'administrateur français auprès des institutions de Bretton-Woods a été auditionné dans le cadre d'une réunion conjointe de la commission des Finances et du Haut Conseil de la coopération internationale, le 8 novembre 2001. Le Président de l'Assemblée nationale a confié au Rapporteur la réalisation d'une étude de faisabilité sur les mesures à prendre et les moyens à mettre en _uvre pour permettre un meilleur contrôle parlementaire des institutions financières internationales, étude qui a été remise le 27 novembre 2001.

Elle conclut à la nécessité que soit mise en place, dans un bref délai une solution sui generis souple, consistant à créer une mission permanente d'information et de contrôle de l'Assemblée nationale, dotée de moyens administratifs et financiers propres. Elle assurerait le suivi des activités des institutions économiques et financières internationales. Elle permettrait ainsi aux députés d'être informés sur les grands débats qui traversent ces institutions. Elle apporterait sa contribution au travail de réflexion nécessaire sur leurs missions, leurs objectifs et leurs moyens. L'activité de contrôle donnerait lieu à des rapports et alimenterait les débats parlementaires.

M. Alain Rodet a souligné qu'il était important de rappeler le rôle historique que les États-Unis ont toujours joué au sein des institutions de Bretton-Woods. Ainsi, les tentatives de réforme de ces institutions menées par de nombreux Européens, à l'exemple du Français Bernard Clapier, se sont souvent heurtées au veto américain. Il s'est interrogé sur les risques d'amalgames qui pourraient se produire entre la référence à Wall Street, retenue dans le titre du rapport et les événements du 11 septembre. Puis, il s'est demandé si, par exemple, l'entrée dans l'Organisation mondiale du commerce de la Chine, à laquelle le FMI hésitera à faire des recommandations de politiques économiques, ne constituait pas un enjeu plus fondamental que des questions relatives au seul fonctionnement du Fonds monétaire et de la Banque mondiale. Enfin, il a demandé au Rapporteur si l'expression d'« institutions financières internationales » recouvrait l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sur l'utilité de laquelle il convient de s'interroger.

M. Alain Barrau, apportant son soutien au Rapporteur, a estimé qu'il convenait de prendre la mesure de la menace que le mode actuel d'organisation du débat sur la mondialisation, parfois monopolisé par des manifestations sectorielles, fait planer sur la démocratie représentative, telle qu'incarnée par les Parlements, qui doivent devenir le lieu privilégié, mais pas exclusif, des discussions sur ce phénomène. Le rapport déposé par le Gouvernement y contribue, de la même façon qu'y contribue l'examen régulier de ce rapport par la commission des Finances. Les sommes très importantes déboursées par le contribuable français, constituent, à elles seules, une motivation suffisante pour que s'exerce sur l'activité des institutions financières internationales un contrôle démocratique, sur le plan français et sur le plan européen.

Il faut déplorer que les réponses aux propositions faites l'an passé par la Commission soient si faibles et ne portent véritablement que sur une question purement institutionnelle. Quelle que soit la prochaine majorité, il est indispensable que ce travail soit poursuivi de manière déterminée. Il existe un manque dans ce domaine. Au sein de la délégation pour l'Union européenne, un important effort a été conduit sur l'Organisation mondiale du commerce, ce qui a requis une volonté politique très forte et l'accord des présidents successifs de l'Assemblée. Soit l'espace est occupé par les organisations non gouvernementales, et alors le Parlement ne pourra plus revendiquer son rôle de lieu de débat politique, soit un rapport de forces est établi non seulement avec le Gouvernement, mais également avec les administrations, et des progrès considérables seront accomplis. Pour obtenir des réponses aux propositions faites par la Commission, un titre de rapport un peu fort mérite d'être utilisé. Il faut espérer que le contrôle parlementaire sur l'ensemble du volet international de l'action publique, contrôle fondé sur la vision française de la mondialisation et sur une écoute, non exclusive, des organisations non gouvernementales, soit renforcé avant la fin de la législature.

M. Jean-Jacques Jégou, Président, a souligné la complexité du sujet. Étant présent à Doha, il a relevé que la montée des ONG s'expliquait, en partie, par l'absence des Parlements. Quelle que soit la majorité à venir, le Parlement devra s'intéresser au contrôle des organisations internationales de manière plus attentive encore.

En réponse aux différents intervenants, M. Yves Tavernier, Rapporteur, a rappelé que ce rapport était le deuxième présenté par la Commission, réponse régulière à un rapport annuel du Gouvernement. Le rapport réserve une part importante à certaines politiques passées et met en relief le jeu joué par les États-Unis. Dans les propositions faites au Président de l'Assemblée, l'OCDE est incluse dans le champ du contrôle qu'il est nécessaire de mettre en place.

Les organisations non gouvernementales sont à la mode, les Parlements semblent, en effet, avoir disparu du débat sur ces questions. L'Assemblée nationale a pourtant fait un important travail ; il faut lui donner plus de publicité.

Puis, la Commission a autorisé, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport sur l'activité et le contrôle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

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Information relative à la Commission

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a nommé M. Yves Tavernier, rapporteur pour avis sur le projet de loi portant réforme de la politique de l'eau (n° 3205).

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