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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 48

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 31 mars 1999

(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente,

puis de M. Richard Cazenave, secrétaire.

SOMMAIRE

 

pages

– Projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale (n° 1462) (rapport)

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Alain Vidalies, le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale (n° 1462).

M. Alain Vidalies, rapporteur, a indiqué que le projet de loi constitutionnelle, qui insère dans le titre VI de la Constitution un article 53-2 relatif à la Cour pénale internationale prévoyant que : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 », faisait suite à la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel, saisi conformément à l’article 54, qui a déclaré contraire à la Constitution plusieurs dispositions du statut de cette Cour.

Il a rappelé que ce statut avait été adopté par 120 pays sur les 160 Etats représentés à la Conférence de Rome et repoussé par 7 Etats, dont les Etats-Unis, la Chine, Israël et l’Inde. Soulignant qu’il marquait l’aboutissement d’un long cheminement, il a mentionné l’expérience manquée du tribunal international prévu par le Traité de Versailles, qui devait juger l’empereur Guillaume II, ainsi que les multiples projets élaborés au cours de l’entre-deux guerres. Après avoir évoqué plus particulièrement les tribunaux militaires internationaux de Tokyo et de Nuremberg qui ont condamné des criminels de guerre, il a précisé que le projet de création d’une Cour pénale internationale avait été relancé au lendemain de la seconde guerre mondiale, sans aboutir pour autant à l’institutionnalisation d’une juridiction permanente, bien qu’elle ait été prévue par la Convention du 9 décembre 1948 réprimant le crime de génocide. Remarquant que la fin de la guerre froide avait donné un nouvel élan à ce projet, il a souligné que la mise en place des tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et le Rwanda en 1994 avait constitué une avancée décisive pour le jugement des criminels puisque ces tribunaux, institués sur la base du chapitre VII de la charte des Nations Unies, fonctionnaient sans le consentement des Etats grâce à un mécanisme d’autosaisine.

Rappelant que le statut de la Cour était le résultat d’une négociation diplomatique, le rapporteur a constaté que le Traité de Rome répondait de façon pragmatique à un vœu ancien, mais n’instaurait pas cependant une juridiction permanente indépendante. Après avoir indiqué que le statut de la Cour établissait une liste de crimes, reprenant ainsi les principes fondamentaux du droit pénal national en ce qui concerne la légalité des délits et des peines, il a précisé que le crime d’agression serait défini au moment de la conférence de révision qui aura lieu sept ans après l’entrée en vigueur du statut, les Etats, pendant cette même période, ayant la possibilité de ne pas reconnaître la compétence de la Cour pour les crimes de guerre, ce qui démontre le caractère politique du texte adopté à Rome. Il a ensuite spécifié que la Cour se composait de trois sections et d’un bureau du procureur, que ses membres étaient élus par l’Assemblée des Etats parties au statut et que le règlement de procédure devrait être adopté à la majorité des deux tiers de cette Assemblée. Puis il a indiqué que la Cour pourrait être saisie par un Etat partie, par le procureur, après accord de la section préliminaire jouant ainsi un rôle semblable à celui du juge d’instruction français, et par le conseil de sécurité. Soulignant que la souveraineté judiciaire des Etats parties était protégée par le principe de complémentarité qui confère aux juridictions nationales une compétence prioritaire pour juger les suspects, il a cependant précisé que la Cour ne serait pas tenue de le respecter lorsqu’elle serait saisie par le conseil de sécurité, ajoutant que, dans ce cas, elle pourrait exercer sa juridiction à l’égard de tout Etat, même non partie au Traité, ce qui la rapprocherait des tribunaux ad hoc.

Abordant ensuite le texte du projet de loi constitutionnelle, le rapporteur a examiné sa teneur au regard de la décision du Conseil constitutionnel. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel, après avoir reconnu que les obligations naissant du statut s’imposaient sans condition de réciprocité en raison de la mission exceptionnelle confiée à cette juridiction, avait déclaré contraires aux articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution les dispositions du statut écartant toute immunité, quelles que soient les fonctions exercées par les auteurs des crimes poursuivis, et considéré que les articles proscrivant l’application des règles d’amnistie et de prescription aux personnes jugées coupables par la Cour ainsi que ceux permettant au procureur de procéder à certains actes d’enquête sur le territoire français, en dehors des autorités judiciaires nationales, étaient susceptibles de porter atteinte aux conditions essentielles de l’exercice de la souveraineté. M. Alain Vidalies a considéré que le choix d’une formulation générale retenue pour le projet de loi constitutionnelle résultait de la difficulté qu’il y aurait eu à lever point par point les motifs d’inconstitutionnalité relevés par la décision du Conseil constitutionnel, notamment en ce qui concerne les atteintes aux conditions essentielles de la souveraineté. Il a précisé que la formule retenue n’aboutissait pas cependant à inscrire dans la Constitution un article avalisant toutes les modifications ultérieures qui seraient apportées au traité par la procédure d’amendement, observant par ailleurs que ces amendements devraient être ratifiés par les Etats parties. Il a ajouté que la formule potestative du projet de loi constitutionnelle respectait les prérogatives constitutionnelles du Parlement et du Président de la République en matière de ratification.

Considérant que l’efficacité réelle de la Cour dépendrait en définitive de l’adhésion d’Etats importants qui ont jusqu’alors refusé d’adopter le statut de la Cour, ainsi que de la volonté politique de procéder à l’arrestation des coupables de crimes internationaux, le rapporteur a insisté sur la portée historique d’un traité qui dépasse le cadre étroitement réactif dans lequel ont été institués le tribunal de Nuremberg et les tribunaux ad hoc. Il a conclu en indiquant que l’attitude du conseil de sécurité et des Etats serait déterminante pour confirmer les espoirs placés dans une juridiction si longuement attendue.

M. Louis Mermaz a, en préambule, insisté sur le fait que la mise en place d’une Cour internationale permanente représentait un grand progrès par rapport à la pratique des tribunaux ad hoc, notamment en raison de son caractère dissuasif. Après avoir rappelé que 120 pays avaient approuvé la convention de Rome, il s’est ensuite interrogé sur les raisons pour lesquelles l’Inde, Israël et surtout les Etats-Unis avaient refusé d’y adhérer, évoquant, à cet égard, le précédent que constituent les dispositions permettant à ce même pays de s’abstraire des règles fixées dans le cadre de l’organisation mondiale du commerce.

Evoquant le cas du Rwanda, M. Richard Cazenave a justifié la création d’une Cour pénale internationale permanente en soulignant qu’un trop grand décalage entre le moment où des crimes de guerre ont été commis et celui où ils sont déférés devant un tribunal ad hoc compromettrait le rétablissement de la démocratie dans les pays concernés. Après s’être interrogé sur l’opportunité de cantonner le champ de compétence territorial de la nouvelle juridiction internationale aux Etats parties à la convention de Rome, il s’est demandé s’il ne serait pas préférable de déterminer la compétence rationae loci de la Cour par des décisions du conseil de sécurité, prises sur la base du chapitre VII de la Charte de l’O.N.U. Observant que la formule de révision constitutionnelle proposée était imparfaite parce qu’elle renvoyait à un texte extérieur à l’ordre constitutionnel interne, il a, en outre, souligné qu’il ne faudrait pas qu’elle soit interprétée comme une approbation anticipée implicite de toutes les annexes ou protocoles additionnels postérieurs à la convention.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes.

Sur la formulation générale retenue par le projet de loi constitutionnelle :

—  Ce n’est pas la première fois qu’un projet de loi constitutionnelle fait référence à un traité, puisque les articles 88-2 et 88-3 de la Constitution renvoient d’ores et déjà au Traité sur l’Union européenne.

—  Il est légitime de s’interroger sur la formulation proposée ; il était cependant difficile de prendre en compte les observations du Conseil constitutionnel relatives à l’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, qui ne visent pas d’articles précis de la Constitution, autrement que par une formule globale.

Sur le Traité signé à Rome le 18 juillet 1998 :

—  La procédure du traité, avec les négociations préalables qu’elle implique, a été choisie de préférence à une redéfinition du rôle du conseil de sécurité donnant à ce dernier compétence pour saisir la juridiction internationale, car il était indispensable de parvenir à un accord sur la définition des crimes et des peines relevant de la Cour pénale internationale.

—  Une juridiction permanente est effectivement plus à même que les tribunaux ad hoc de juger rapidement les crimes les plus atroces.

—  Même si certains Etats n’ont pas voté, une majorité de pays, dont les Etats africains, ont approuvé la création de la Cour pénale internationale ; en tout état de cause, la compétence de la Cour s’exercera également vis-à-vis des Etats qui ne sont pas partie au traité, sur saisine du conseil de sécurité.

—  Il est difficile d’indiquer avec précision les raisons pour lesquelles les Etats-Unis n’ont pas voulu signer le traité : l’impossibilité de faire des réserves, sauf pour ce qui concerne les crimes de guerre, et la possibilité de faire juger les militaires américains intervenant dans le cadre d’une mission de maintien de la paix par une juridiction étrangère expliquent en partie l’attitude américaine.

La Commission a ensuite adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

——fpfp——


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