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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 avril 2001
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. André Lajoinie, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. René BOUÉ, rapporteur du Conseil économique et social sur la réforme de la politique de l'eau


2

- Informations relatives à la commission

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La commission a procédé à l'audition de M. René Boué, rapporteur du Conseil économique et social sur la réforme de la politique de l'eau.

M. René Boué, rapporteur du Conseil économique et social, a rappelé que le Conseil avait été saisi par le Premier Ministre sur le sujet de la politique de l'eau, que Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, jugeait prioritaire. La section du cadre de vie du Conseil économique et social ayant été saisie à titre principal, deux autres sections intéressées ont apporté leur contribution : la section des activités productives et celle de l'agriculture. M. René Boué a souligné que, dans ce cadre, deux co-rapporteurs avaient été désignés, MM. Claude Miqueu et Francis Vandeweeghe.

Les conditions de l'exercice étaient difficiles. S'il est intéressant d'être saisi en amont d'un projet de loi, dans le cadre du projet de loi sur l'eau, aucun texte n'était arrêté officiellement. Le Conseil a ainsi travaillé sur différentes versions du projet.

Soulignant que, dès le départ, sans souhaiter être exhaustif, il ne s'était pas enfermé dans les limites de l'avant-projet de loi, M. René Boué a précisé qu'il avait tenté de repérer les principes de base et les logiques d'une matière complexe, à l'origine de débats souvent houleux. De ces réflexions ont émergé environ 150 propositions contenues dans l'avis dont il était le rapporteur, regroupées par grands thèmes.

M. René Boué a rappelé qu'il n'évoquerait que quelques aspects du sujet, notamment ceux qui font débat ou ceux sur lesquels les sections étaient en désaccord avec l'avant-projet de loi sur l'eau.

Estimant que celui-ci était globalement de bonne qualité et constituait un progrès au regard de l'existant, M. René Boué a indiqué que certains points en avaient été omis et que d'autres n'avaient pas reçu l'accord du Conseil.

Il convient tout d'abord de noter que l'eau a plusieurs usages : la satisfaction des besoins des ménages, l'économie (notamment l'agriculture et l'industrie) et l'environnement. Elle a donc différents usagers. Il faut également opérer une distinction entre l'eau « subie » et l'eau « choisie » : l'eau utilisée est celle dont on a choisi l'usage, contrairement aux eaux pluviales qui provoquent parfois des inondations et que l'on subit. Il convient donc de distinguer les modes de financement de la collecte et du traitement des eaux selon leur nature. A cet égard, le Conseil économique et social est défavorable à la création d'une redevance municipale pour la collecte et le financement du traitement des eaux pluviales, redevance qui ne verra d'ailleurs pas le jour puisque la ministre chargée de l'environnement a annoncé son retrait de l'avant-projet de loi à la tribune du Conseil économique et social.

Par ailleurs, il est nécessaire que les intervenants dans le domaine de l'eau affirment une volonté politique forte, les lois n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution et n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau n'ayant pas encore produit tous leurs effets. C'est à cette seule condition que l'on constatera des évolutions dans des domaines qui, aujourd'hui, présentent certaines déficiences.

C'est le cas de la prospective : les analyses portant sur les besoins en eau et en investissements, en matière d'irrigation par exemple, sont aujourd'hui insuffisantes.

De même, le fait que la recherche-développement soit, à l'heure actuelle, assurée majoritairement par le secteur privé et non les collectivités locales, va à l'encontre de la réversibilité des modes de gestion proposée par le Conseil économique et social, les collectivités souffrant d'un manque d'expertise et donc d'autonomie lorsqu'elles ont délégué leur service public de l'eau.

Enfin, la collecte des données est lacunaire, même si elle existe partiellement au niveau des bassins, des agences de l'eau et à la Direction de l'eau. La directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau devrait conduire à renforcer nos efforts en la matière.

L'ensemble de l'Union Européenne adoptera bientôt le système de gestion de l'eau « à la française ». Il convient donc, non pas de le remettre en cause, mais de le renforcer dans ces différents domaines. Le rôle important des comités de bassin mérite d'être conforté car une gestion décentralisée et partenariale implique une gestion commune et une concertation accrue avec les différents usagers. Si la concertation est fondamentale, la contractualisation l'est autant et les accords de dépollution de l'eau conclus entre différentes branches industrielles et les gestionnaires de l'eau doivent faire école. Enfin, le système repose également sur des incitations combinées (incitation économique, redevances et aides financières) qu'il convient de préserver.

Jugeant que ce système multi-variables est efficace, M. René Boué a réaffirmé que l'on ne peut mettre en place une politique globale sans utiliser ces trois leviers et sans conforter le rôle des bassins et des agences de l'eau.

Il convient d'abord de renforcer le rôle des comités de bassin : la représentation des usagers domestiques au sein de leur conseil d'administration a certes été récemment augmentée, mais ils demeurent minoritaires. De plus, le Conseil économique et social souhaiterait que chaque président de comité dispose d'une équipe restreinte lui fournissant une expertise indépendante de la direction des agences de l'eau. Enfin, les comités de bassin devraient être consultés lors de la désignation des présidents des conseils d'administration d'agences de l'eau, cette consultation n'étant, à l'heure actuelle, que facultative.

Le Conseil économique et social recommande par ailleurs un renforcement de l'expertise économique des agences de l'eau et une meilleure coordination de ces dernières au plan national, notamment en matière d'études et de recherche. La directive-cadre du 23 octobre 2000 devrait d'ailleurs nous y conduire, et son non-respect, au niveau national, entraînera des sanctions.

Il convient, par ailleurs, de faire le point sur trois débats importants récurrents quand on évoque la gestion de l'eau.

Le premier concerne le principe selon lequel « l'eau paie l'eau », en application de l'instruction comptable M 49 qui contraint les services publics de l'eau à l'autonomie financière. Ce principe est tout à fait logique mais l'eau « subie » devrait disposer d'un financement et d'une prise en compte spécifiques. En particulier, les usagers de l'eau ne doivent pas payer directement pour la collecte et le traitement des eaux pluviales, qui doivent être pris en charge par la collectivité.

L'application du principe « pollueur-payeur » pose également problème, en raison des différences d'appréciation qu'il suscite entre ceux qui souhaitent le voir limité aux comportements répréhensibles et ceux qui voudraient le voir appliqué dès lors que l'état naturel de l'eau se trouve modifié. Bien que de nombreux rapports aient été présentés sur ce mécanisme et qu'une faible mobilisation des agences de l'eau à l'appliquer y ait été dénoncée, le Conseil économique et social estime que les agences doivent voir leur rôle de structures de mutualisation et de financement conforté. Le Conseil regrette par ailleurs que la taxe générale sur les activités polluantes alimente le budget de l'État, alors que la stricte application du principe « pollueur-payeur » devrait aboutir à faire supporter les coûts par celui qui en est à l'origine et à faire bénéficier des aides la victime de la pollution.

Enfin, la question de la péréquation entre bassins hydrographiques est une question délicate. Sur les six bassins existants, cinq se sont déclarés défavorables à ce principe. Le Conseil économique et social estime que cet instrument de solidarité supplémentaire doit demeurer temporaire et être conditionné par les efforts réalisés par les intéressés. Il ne souhaite donc pas que soit mise en place une péréquation pérenne et automatique.

Le Conseil économique et social regrette en outre l'éclatement de la police de l'eau entre différents ministères, qui occasionne des difficultés structurelles et une dispersion des moyens humains et financiers. Une réforme de cette police apparaît souhaitable, de même que la formation d'un corps spécialisé en matière d'environnement, destiné à animer les missions inter-services de l'eau. De ce point de vue, il faut déplorer qu'une fraction des redevances versées serve à financer, à hauteur de 500 millions de francs, la police de l'eau, qui devrait être à la charge de l'Etat et non de catégories d'usagers.

M. René Boué a rappelé que l'avant-projet de loi se donne pour objectif de moderniser les redevances actuelles, grâce à un encadrement de ces dernières par le Parlement, ainsi que de les rééquilibrer entre les différentes catégories d'usagers, sans que les ménages aient à supporter une hausse du prix de l'eau.

La réforme de la redevance pour pollution constitue une initiative positive, notamment en raison de la suppression du coefficient de collecte, supporté par les usagers domestiques. Ce dernier devrait être remplacé par une nouvelle redevance pour sujétion de collecte. Le Conseil économique et social est également favorable à un transfert de la redevance pour pollution des usagers directs vers le service public d'assainissement. En revanche, la fusion des redevances pour pollution et pour sujétion de collecte ne lui apparaît pas souhaitable : la première doit en effet pouvoir évoluer en fonction des efforts de dépollution réalisés, alors que la seconde vise à financer les circuits de collecte et de distribution - c'est-à-dire des coûts fixes qui doivent être assumés en toute hypothèse. Le dernier avant-projet de loi sur l'eau communiqué au Conseil économique et social prévoyait d'ailleurs une redevance pour sujétion de collecte à vocation pérenne, à partir de 2008.

En toute hypothèse, les modifications proposées appellent une mise en place progressive et le Conseil estime souhaitable qu'elles soient l'occasion de négociations approfondies entre les différents partenaires intéressés.

La redevance due pour la consommation d'eau, qui devrait remplacer l'actuelle redevance pour prélèvement, ainsi que l'harmonisation des zones déterminées selon la sensibilité du milieu, constituent des avancées réelles. Le Conseil économique et social regrette néanmoins la suppression du coefficient d'usage. Certes, son application majore le prélèvement opéré sur les ménages, mais il serait préférable de simplement réduire les écarts observés d'un bassin à l'autre. En outre, l'article 9 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau permet aux États membres de tenir compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de la récupération des coûts des services liés à l'utilisation de l'eau.

La redevance pour pollution par excédents d'azote devrait se substituer au dispositif contenu dans le Plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole. Le Conseil économique et social préconise que le mécanisme s'applique à toutes les entreprises agricoles, alors que l'avant-projet de loi retient un seuil de déclenchement à 300 000 francs de chiffre d'affaires - qui correspond au seuil de paiement de la TVA et de tenue obligatoire d'une comptabilité.

Le Conseil partage les orientations proposées pour le service public de l'eau. Il estime cependant opportun de donner au régulateur des compétences plus affirmées que celles d'un simple « Haut Conseil », qui ne sauraient néanmoins aller jusqu'à l'octroi d'un pouvoir d'injonction de ce dernier à l'encontre des collectivités territoriales.

Les propositions visant à renforcer la participation et la consultation des usagers ne peuvent être qu'approuvées. Le Conseil économique et social rappelle à ce propos son opposition à l'établissement d'un prix unique de l'eau, même s'il estime qu'une réduction des écarts de prix constatés et une meilleure information du consommateur seraient opportunes.

En ce qui concerne les modes de gestion, le Conseil estime que le système actuel - qui laisse aux collectivités locales le choix de la délégation de service public ou de la régie directe - a fait ses preuves et doit être conservé. Toutefois, certains progrès en matière de transparence pourraient être bienvenus. En outre, le problème du statut du personnel, lorsqu'une collectivité locale passe d'un mode de gestion à un autre, doit être traité ; il convient également d'encourager une organisation en réseau des régies existantes afin de permettre à celles-ci de mener des efforts en matière de recherche.

Par ailleurs, le Conseil économique et social n'est pas convaincu de l'opportunité d'un alignement à douze ans de la durée des contrats de délégation ou de concession du service public de l'eau : cette durée semble trop longue si la gestion s'effectue dans le cadre d'un affermage qui ne nécessite pas d'investissement de la part du fermier, alors qu'elle paraîtra trop courte au concessionnaire confronté à la nécessité d'amortir ses installations.

En conclusion, M. René Boué a attiré l'attention de la commission sur la nécessité de mieux prendre en compte les spécificités de l'outre-mer que ne le fait l'avant-projet de loi. Il a rappelé que certains départements comme la Guadeloupe connaissent ainsi une situation de grande vulnérabilité en matière d'approvisionnement en eau. Par ailleurs, les discussions actuelles au sein de l'Union européenne concernant les services publics pourraient aboutir à imposer l'irréversibilité des choix de gestion opérés, ce qui ne manquerait pas d'avoir des conséquences lourdes pour les collectivités locales.

M. Pierre Ducout, après avoir souligné l'intérêt de l'exposé de M. René Boué, a rappelé que la situation était cette année particulière puisque le niveau des nappes est dans de nombreux endroits le plus haut constaté depuis des décennies alors que la sécheresse avait menacé à plusieurs reprises dans un passé récent.

Il a ensuite noté la différence des situations existant au regard des eaux, pluriel qu'il a d'ailleurs jugé significatif, tant quant à la dichotomie eaux subies/eaux choisies, qu'en raison des conditions climatiques, qui permettent de distinguer une France du sud et une France du nord dans le domaine de l'eau.

Il est important de rappeler que même si elle est gérée à de multiples échelons, l'eau est un service public. Cela implique notamment de progresser en matière de service aux plus démunis, comme cela a été fait pour l'électricité.

Puis, M. Pierre Ducout a rappelé qu'il convenait de ne pas remettre en cause ce qui fonctionne bien et estimé qu'il ne fallait pas, pour ce qui concerne l'eau, adopter un rythme de réforme trop rapide.

Estimant que l'avancement des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), institués par la loi du 3 janvier 1992, était relativement correct au regard de la charge de travail que leur élaboration représente, il a souhaité connaître l'analyse de M. René Boué sur ces instruments.

Il a ensuite interrogé celui-ci sur la réalité du progrès des connaissances sur les quantités d'eau utilisées, notamment pour l'irrigation.

En ce qui concerne la recherche, il a sollicité l'opinion du rapporteur du Conseil économique et social sur le dispositif public existant en matière de recherche, notamment sur le système de financement et sur le rôle d'organismes comme le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Indiquant qu'il soutenait la démarche visant à renforcer le contrôle et la transparence des contrats de délégation et de concession, voire à organiser leur réversibilité, il s'est interrogé sur la possibilité pour des audits officiels réalisés sous l'égide du futur Haut Conseil du service public de l'eau et de l'assainissement, de permettre la rupture automatique d'éventuels contrats léonins.

S'agissant des redevances, il a noté qu'il fallait tenir compte du coefficient d'usage et ne pas enfermer leur fixation dans un système trop rigide qui ne permettrait pas de refléter la diversité des situations locales. Il a, à cet égard, évoqué la situation particulière des Landes où le problème est plutôt l'utilisation de nappes d'eau excédentaires qui ne peut donc être facturée dans les mêmes conditions que dans les lieux tels que la Beauce où la ressource est plus rare.

En ce qui concerne la redevance pour pollution par excédents d'azote, il s'est interrogé sur les possibilités pratiques de contrôle de la pollution pour les petites exploitations agricoles et a attiré l'attention sur le risque de créer une « usine à gaz » dont le coût serait bien supérieur au produit qui en résulterait.

M. Robert Galley s'est déclaré enthousiasmé par l'ampleur du travail réalisé par le Conseil économique et social compte tenu du caractère lacunaire de la documentation disponible.

Il a relevé que l'une des grandes innovations de la réforme envisagée serait d'instituer une discussion périodique par le Parlement de l'encadrement des redevances. L'idée d'une prise en compte nationale de cette question, afin d'éviter de trop grandes disparités de prix lésant certains consommateurs, a suscité son approbation.

Toutefois, une telle démarche lui est apparu comme susceptible de réduire considérablement la dimension mutualiste du système, acquis important et à préserver. Une opposition risque en effet d'apparaître entre le Parlement, dont le souci sera l'harmonisation, et la nécessaire prise en compte, par des niveaux de redevances différenciés, de la diversité des situations locales.

M. Robert Galley a ensuite souhaité que des précisions soient apportées sur la question fondamentale du financement des canalisations souterraines et notamment sur l'idée évoquée d'une redevance pour sujétion de collecte, dont il a jugé qu'elle était au c_ur de l'avant-projet de loi.

Enfin, évoquant la mission de réflexion qui lui a été confiée par Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur le thème des interventions des agences de l'eau dans le domaine des crues et des inondations, il a rappelé que l'imperméabilisation des sols aggravait les risques d'inondations et qu'il convenait donc de s'interroger sur le financement de travaux visant à compenser cette imperméabilisation, en particulier lorsqu'elle résulte de grands projets, comme cela pourrait être le cas si un troisième aéroport était construit pour desservir la région parisienne.

M. Claude Gaillard, après avoir noté qu'aujourd'hui, l'essentiel de la recherche était mené par de grands groupes privés, a indiqué que le Centre international de l'eau Nancie avait permis à des collectivités territoriales de mener des activités de recherche en partenariat avec le secteur privé sur le bassin Rhin-Meuse. Il a estimé qu'un tel dispositif pourrait être utilement repris au niveau national.

Il a également souligné qu'en raison d'un recours massif à une gestion déléguée du service public de l'eau, les collectivités locales étaient pour la plupart dépourvues d'un personnel compétent en la matière, ce qui rendait illusoire le principe d'une réversibilité du mode de gestion. En conséquence, il a jugé indispensable de mener une réflexion approfondie sur la question des compétences locales et a estimé souhaitable la création d'un corps de l'environnement chargé de la police de l'eau qui permettrait de maintenir une compétence publique dans ce secteur. M. Claude Gaillard a estimé que ce dernier pourrait être formé d'agents issus des directions départementales de l'équipement ou de l'agriculture et de la forêt. Il a indiqué qu'en tout état de cause, cette compétence ne pouvait être exercée que par la puissance publique.

Puis, évoquant le nouveau rôle qui serait dévolu au Parlement en matière de politique de l'eau, il a souligné que de nombreux présidents de comités de bassins craignaient un transfert excessif de compétences du niveau local vers le niveau national qui serait contraire à la politique de décentralisation. En effet, un tel transfert ne permettrait pas de prendre suffisamment en compte les spécificités locales, notamment en matière d'investissement ; il a donc appelé à être vigilant sur ce point et a estimé qu'il pourrait être nécessaire d'encadrer l'action du Parlement. Il a par ailleurs demandé si selon l'avant-projet de loi sur l'eau, il reviendrait au Parlement de se prononcer sur les redevances annuellement ou seulement en début de programme d'intervention des agences de l'eau et s'est interrogé sur ce que serait, sur ce point, la répartition des compétences entre l'échelon local et l'échelon national.

Il a en outre regretté que le produit de la taxe générale sur les activités polluantes ait été affecté au financement du dispositif de réduction du temps de travail à 35 heures, selon le principe contestable du double-dividende. Il a jugé qu'il convenait donc de revenir au principe simple « l'eau paie l'eau ». Enfin, s'agissant de la création d'une redevance pour pollution par excédents d'azote, il a émis la crainte qu'un tel dispositif pénalise les plus petites exploitations et se révèle trop complexe et d'un rendement écologique faible.

M. Léonce Deprez s'est déclaré préoccupé par l'affectation du produit de la taxe générale sur les activités polluantes au budget de l'Etat. Il a souhaité savoir comment cette taxe pouvait être réformée afin que la ressource bénéficie directement aux actions en faveur de l'environnement.

En réponse aux différents intervenants, M. René Boué, rapporteur du Conseil économique et social, a donné les éléments d'information suivants :

- l'élaboration des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux est achevée, celle des schémas d'aménagement et de gestion des eaux est plus laborieuse. Il conviendrait de faciliter l'intervention des commissions locales de l'eau et de mieux prendre en compte les établissements publics territoriaux de bassins ;

- si les acteurs du secteur de l'eau disposent d'une meilleure connaissance de la situation grâce à de nouveaux outils, un manque de prospective se fait ressentir. Certes les efforts de recherche ne sont pas nuls ; les entreprises privées consultées par le Conseil économique et social se sont d'ailleurs déclarées favorables au développement de la recherche publique. Cette recherche publique ne devrait pas viser à créer des centres de recherche mais à améliorer la synergie des acteurs du secteur, renforcer la cohérence des efforts de recherche et mettre en place un pôle permettant de proposer des priorités en matière de recherche ;

- en matière de cessation des délégations et concessions, le Conseil économique et social s'est interrogé sur la possibilité de réexaminer les contrats à chaque renouvellement des municipalités. Il a conclu qu'il serait préférable de ne pas toucher à la durée des contrats et de prévoir une clause de « rendez-vous » pour leur réexamen ;

- en matière de contrôle des délégations et concessions, le Conseil économique et social n'a pas jugé opportun d'ajouter au contrôle de légalité exercé par les préfets et les tribunaux administratifs et au contrôle des chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes un contrôle des contrats par le futur Haut Conseil du service public de l'eau et de l'assainissement. En revanche, ce dernier devrait pouvoir saisir ces instances chargées du contrôle. Les syndicats auditionnés ont exprimé le souhait de pouvoir examiner les comptes des entreprises concessionnaires. Or, le concessionnaire est soumis à une obligation de résultat et non à une obligation de moyens et, dans ce cadre, toute personne intéressée, y compris les syndicats, peut s'adresser au maire pour obtenir des informations sur le fonctionnement de la délégation. Le contrôle des entreprises concessionnaires et de la transparence des tarifs relève d'ailleurs de la responsabilité des collectivités locales et des élus. Cela exclut un droit de regard sur les moyens mis en _uvre par le concessionnaire pour réaliser les objectifs assignés par la collectivité concédante ;

- la rupture unilatérale des contrats de délégation ou de concession ne peut pas être envisagée sans le versement de dommages et intérêts très substantiels. Une résiliation unilatérale va donc très rarement dans le sens de l'intérêt des usagers qui sont également des contribuables ;

- le Conseil économique et social a pris le parti de défendre la mise en place de la redevance pour pollution par excédents d'azote, même si elle est coûteuse. En effet, il s'agit d'une mesure de protection de la santé publique et la France a déjà été condamnée par la Communauté européenne. Cependant, le système retenu est compliqué ; les agriculteurs ne pourront y faire face isolément. Il convient donc de favoriser les systèmes coopératifs. Par ailleurs, il faut rappeler que les agriculteurs payent l'eau comme tout le monde et qu'ils ont cependant le sentiment d'être désignés comme étant coupables des problèmes actuels ;

- la modification du régime des eaux est réelle en raison du bétonnage d'étendues importantes comme les aérodromes. Le Conseil économique et social s'est interrogé sur la création d'une redevance pour modification du régime des eaux à l'image de la taxe locale d'équipement au profit des équipements urbains. En tout état de cause, la création d'un nouvel impôt communal n'est pas opportune car la gestion de l'eau dépasse les frontières et structures administratives territoriales à partir desquelles sont décidées et collectées les taxes locales ;

- le Conseil économique et social s'est inquiété du risque de recentralisation de la gestion de l'eau en cas d'intervention du Parlement dans la fixation des redevances. Il convient de veiller à ne pas diminuer les pouvoirs et la place des comités de bassin ainsi que les moyens financiers des agences de l'eau. Deux politiques sont envisageables en matière de financement de la politique de l'eau : ou bien l'augmentation continue des redevances, ou bien la fixation d'une enveloppe globale intangible. Cette dernière politique avait été celle du gouvernement de M. Alain Juppé. Le Conseil économique et social propose que les besoins soient évalués en amont ; à cette fin, les moyens d'expertise doivent être renforcés car à l'heure actuelle les responsables politiques ne disposent que des experts des agences de l'eau. Il convient de ne pas réduire les crédits alloués à la politique de l'eau et de laisser une marge de man_uvre suffisante aux instances de bassin. Le Parlement appréciera cette marge de man_uvre en fixant la fourchette des taux des redevances ;

- s'agissant de la redevance pour pollution, elle est actuellement affectée d'un coefficient de collecte qui pèse sur les ménages mais pas sur les entreprises. L'avant-projet de loi sur l'eau vise à réformer ce dispositif, d'une part en transférant le paiement de la taxe de l'habitant vers le service chargé de l'assainissement, d'autre part en supprimant le coefficient de collecte, ce qui est un point positif. Celui-ci serait remplacé par une nouvelle redevance pour sujétion de collecte, qui serait due par toutes les catégories d'usagers, sans être affectée de coefficient. Assise sur les quantités de pollution collectées, elle permettrait de financer les travaux et investissements en canalisations souterraines ;

- la création d'un corps de l'environnement chargé de la police de l'eau serait, semble-t-il, accueillie favorablement par les intervenants du secteur privé. Il semblerait que le ministère chargé de l'équipement envisage de reclasser certains de ses agents, ce qui pourrait être une bonne solution ;

- il est regrettable que le système français n'ait pas encouragé la mise en réseau des compétences développées par les régies locales. Cet état de fait est d'autant plus préjudiciable qu'il met en cause le principe de réversibilité du mode de gestion des services publics locaux de l'eau : certaines collectivités ayant eu recours à la concession se trouvent aujourd'hui dépourvues d'agents compétents en la matière, ce qui rend en pratique très difficile le passage à une gestion en régie directe ;

- la mise en _uvre de clauses contractuelles visant à transférer le personnel d'une entreprise anciennement concessionnaire à une nouvelle entreprise bénéficiant de la concession se révèle délicate ;

- la taxe générale sur les activités polluantes pèse désormais sur les produits phytosanitaires. Le Conseil économique et social ne s'est pas penché sur le sujet particulier de l'affectation de cette taxe, car ce point n'entrait pas dans le champ de sa saisine ;

- enfin, il semblerait que l'avant-projet de loi sur l'eau ait prévu qu'il reviendra au Parlement de se prononcer sur les redevances uniquement en début de programme d'intervention des Agences de l'eau.

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Informations relatives à la Commission

_  La commission a procédé à la désignation de MM. Jean-Claude Bois, Eric Doligé et Philippe Duron comme candidats pour siéger au Comité interministériel de prévention des risques naturels majeurs.

_  Elle a ensuite nommé M. Yves Cochet rapporteur pour la proposition de loi de M. Yves Cochet tendant à interdire aux aéronefs de décoller et d'atterrir la nuit de tous les aéroports français (n° 2946).

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