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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1997-1998 - 114ème jour de séance, 257ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 23 JUIN 1998

PRÉSIDENCE DE M. Jean GLAVANY

vice-président

SOMMAIRE :

ÉLECTIONS DES CONSEILS RÉGIONAUX (suite) 1

    ARTICLE PREMIER 8

    ART. 3 10

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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ÉLECTIONS DES CONSEILS RÉGIONAUX (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux.

M. Christian Estrosi - Vous l'avez dit tout à l'heure, Monsieur le ministre, ce texte a un double objet : modifier le mode de scrutin des élections régionales et modifier le fonctionnement des assemblées régionales. Je ne sais pas pourquoi vous avez choisi cette double finalité : alors que nous sommes tous d'accord sur la nécessité de moderniser notre vie publique, ce texte risque d'enlever à cette volonté de modernisation beaucoup de sa lisibilité. Il risque d'en résulter des conséquences en cascade, et sur le calendrier électoral, et sur la répartition des rôles dans l'amélioration des conditions de la décentralisation.

Vous réduisez à cinq ans la durée de vie des conseils régionaux. Si j'ai bonne mémoire, un gouvernement dont vous étiez membre proposait de prolonger jusqu'en mars 1992 les conseils régionaux qui devaient déchoir en mars 1991, afin que l'élection régionale coïncide avec une élection cantonale. Le but visé était d'obtenir, par la coïncidence des élections, une plus forte mobilisation des électeurs. Quelle est votre logique aujourd'hui ? Les échéances locales surviennent tous les trois ans : 1992, 1995, 1998, donc 2001. En réduisant à cinq ans le mandat régional, vous allez de nouveau faire en sorte que, dans les dix ans qui viennent, les Français soient appelés aux urnes deux ans sur trois.

Je suis plutôt favorable au scrutin à deux tours, qui est dans la tradition française. Nos concitoyens y sont si habitués qu'ils ne s'y retrouvent plus quand on mélange des scrutins à un et deux tours, comme dans les circonscriptions où l'élection régionale coïncidait avec une élection cantonale. Nombre d'électeurs, venus pour élire au deuxième tour leurs conseillers généraux, se sont étonnés de ne plus trouver les urnes du scrutin régional... Avec deux scrutins, tous les deux à deux tours, par exemple en 2001, on évitera donc la déperdition de voix qui affecte aujourd'hui l'unique tour du scrutin régional.

Mais je ne vous suis plus quand, pour créer des majorités stables, vous voulez vous inspirer du scrutin municipal. Dans le périmètre restreint de la commune, les candidats sont parfaitement identifiés. En outre, à l'échelle de la commune, la proportionnelle permet d'avoir une liste d'hommes et de femmes en nombre beaucoup plus important par rapport à la population que dans une région. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, une liste régionale comporte cent vingt-trois candidats : presque le même nombre qu'une liste municipale à Marseille. C'est donc une liste disproportionnée et difficile à identifier. Si vous aviez voulu une meilleure lisibilité, il fallait réfléchir à des solutions du type scrutin uninominal à deux tours, permettant à chaque électeur de désigner son conseiller régional comme on désigne son conseiller général et son député, et assurant un juste équilibre entre la représentation des territoires et celle des populations. En effet, une liste régionale favorise les zones urbaines denses, le scrutin uninominal permet de représenter toutes les zones.

M. René Dosière, rapporteur de la commission des lois - Vous avez changé d'avis depuis le dépôt de votre proposition de loi.

M. Christian Estrosi - Pas du tout. J'ai toujours été très favorable au scrutin uninominal.

M. le Rapporteur - Cette proposition comportait le scrutin à deux tours.

M. Christian Estrosi - Vous modifiez le mode de scrutin en début de mandat régional, alors que vous aviez tout le temps d'organiser la concertation pour parvenir au plus large consensus. En réalité, ce titre I sert de prétexte, de camouflage à la modification du mode de fonctionnement des assemblées régionales.

M. le Rapporteur - Comme camouflage, on fait mieux.

M. Christian Estrosi - Malgré la modification déjà opérée il y a quelques mois et à laquelle nous avions souscrit, les deux présidents de région socialistes en Ile-de-France et en PACA sont en situation délicate. Vous proposez donc un texte de circonstance pour les aider. Cette modification ne vaut d'ailleurs que jusqu'en 2004 puisqu'après le changement de mode de scrutin réglera le problème de majorité. Changer les règles du jeu trois mois après une élection et au début d'un mandat de six ans, c'est difficilement acceptable.

Vous bafouez un certain nombre de principes républicains avec le vote bloqué et l'extension du 49-3 à la fixation des taux -ce qui permettra d'augmenter la fiscalité locale de façon antidémocratique.

En outre, pour conforter les présidents de région socialistes, vous vous faites complices des présidents de région élus avec les voix du Front national, puisque vous permettez à M. Millon dont vous exigez bruyamment la démission, à M. Baur, M. Blanc, de se maintenir six ans sans difficulté.

M. Gérard Gouzes - Spécieux !

M. Christian Estrosi - Quelques questions techniques, enfin, sur la parité. Comment allez-vous l'assurer puisqu'il y a un nombre impair de conseillers dans chaque région ?

Mme Véronique Neiertz - Petit malin !

M. Christian Estrosi - Qui, un homme ou une femme, occupera la tête de liste ? Et si une liste ne trouve pas assez de candidats d'un sexe,...

Mme Véronique Neiertz - Ça fait 40 ans qu'on nous sort cet argument !

M. Christian Estrosi - ...le préfet refusera d'enregistrer cette liste.

Mme Véronique Neiertz - Ça vous pose problème, mais pas à nous.

M. Christian Estrosi - Vous avez du pain sur la planche pour résoudre ces problèmes. Je vous souhaite du courage !

M. Alain Ferry - Une fois de plus, une fois de trop, notre assemblée est appelée à légiférer dans l'urgence. L'instabilité politique et institutionnelle née des récentes élections était pourtant prévisible.

Depuis 1992, le mode de scrutin régional rend de plus en plus difficile la constitution d'une majorité. Aujourd'hui le fonctionnement des conseils régionaux, et à terme, l'idée régionale, sont en péril.

Avec un certain nombre de collègues, nous avons formulé des propositions de loi pour réformer ce mode d'élection. En vain.

Je regrette que la proposition que j'avais déposée dès décembre 1995, pratiquement identique au texte que vous nous proposez, n'ait pas été inscrite plus tôt à l'ordre du jour.

Le Gouvernement n'a pris aucune initiative dans les dix mois qui ont précédé l'élection régionale. Il est donc aussi responsable que d'autres de la paralysie des régions. Je souhaite qu'aujourd'hui les clivages politiques s'effacent pour permettre le fonctionnement des conseils régionaux.

M. Gérard Gouzes - C'est ce que nous faisons.

M. Alain Ferry - J'en conviens. Le scrutin actuel empêche de former une majorité cohérente. Il a trop souvent conduit à des majorités de situation ou au blocage des décisions. Les difficultés de gestion de certaines régions montrent la nécessité d'un nouveau mode de scrutin.

Les régions n'existent que depuis quelques années, contrairement aux départements. Il faut leur permettre d'affirmer leur identité...

M. Michel Bouvard - Il faut qu'elles en aient une.

M. Alain Ferry - ...pour devenir un interlocuteur fort de l'Etat centralisateur. Certains s'interrogent sur la suppression d'un échelon du pouvoir local car parfois les compétences des régions et des départements se croisent. Il faut donc, par un mode de scrutin national, permettre aux régions d'assumer leur tâche qui est de dynamiser le tissu économique.

La circonscription régionale unique favorisera la formation d'une conscience régionale. La prime à la liste arrivée en tête donnera une majorité stable en assurant une représentation convenable aux minorités.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Alain Ferry - Je me réjouis que les propositions que nous avions faites il y a trois ans inspirent nos travaux. Prenons garde, d'ici les prochaines échéances, que les intérêts de nos concitoyens l'emportent sur les rancoeurs et les ambitions personnelles, et comportons-nous dans ces assemblées conformément à la sagesse qui nous rassemble aujourd'hui.

M. le Président - Je vous remercie d'avoir bien respecté votre temps de parole.

M. Alfred Marie-Jeanne - Après la modification substantielle intervenue dans le mode d'élection des conseillers municipaux, voici venu le tour des régionaux. Aussi, de proche en proche, on porte allègrement la main sur la règle de la proportionnelle.

Sous prétexte de rechercher une majorité homogène, on donne une prime indue à la liste arrivée en tête quel que soit son score. C'est faire passer la rentabilité avant la démocratie.

Ce qui étonne, c'est qu'une telle initiative émane de la majorité plurielle.

Certes la loi doit s'adapter. Mais à trop vouloir réformer, surtout en matière électorale, on finit par excommunier.

Cette logique de la prime, qui va créer artificiellement des majorités, pourrait bien un jour, à la manière d'un boomerang, frapper ceux qui la préconisent aujourd'hui.

Permettez à l'indépendantiste, anti-raciste, anti-fasciste, anti-colonialiste que je suis, de rester perplexe devant une mesure qui risque d'atteindre le mouvement qu'il représente.

Il y a seulement un siège d'écart entre ma liste arrivée deuxième et celle qui me précède. Dans l'hypothèse retenue, l'écart serait multipliée par onze.

Avec le suffrage universel, la représentation proportionnelle est garante de la démocratie qui nécessite, selon la formule de Sieyès, "de ne reconnaître la volonté commune que dans l'avis de la pluralité".

Ce bonus majoritaire est inutile lorsqu'une liste a déjà une majorité absolue. Sinon, l'enrichir au prix d'une déperdition intolérable pour les autres serait du flagrant délit discriminatoire.

En outre, la loi du 7 mars 1998 prévoit une procédure dérogatoire d'adoption sans vote du budget des régions. Dès lors, il faut laisser libre cours au jeu démocratique.

Ce n'est pas en changeant le mode de scrutin qu'on permettra aux régions de s'affirmer, mais en leur transférant plus de ces pouvoirs réels que le conseil régional de Martinique ne possède pas.

Par ailleurs, l'exposé des motifs et certains articles du projet affirment de façon expresse que les conseillers régionaux ne sauraient être élus dans le cadre strict du département. Or la Martinique est pour l'instant un département région. Cela rend encore plus nécessaire une assemblée régionale unifiée de transition. Il ne me reste donc plus qu'à espérer que d'autres voix se joignent à la mienne pour faire résonner le concert de la revendication.

M. Gérard Gouzes - Pourquoi le Gouvernement souhaite-t-il modifier le scrutin régional ?

M. le Rapporteur - Pour respecter ses promesses.

M. Gérard Gouzes - Est-ce pour des raisons de circonstance tenant à la montée de l'extrême-droite ? Je ne le crois pas. En vérité, beaucoup, et de tous bords, souhaitaient depuis longtemps le changement, comme en témoignent diverses propositions de loi sur le sujet. Tous nous avons pu mesurer les inconvénients du système actuel, qui ne permet pas de dégager des majorités suffisamment stables ; qui prédispose aux alliances conclues non devant les électeurs mais dans les couloirs, après élections ; qui privilégie le département sur la région et fait de cette dernière l'addition des particularismes locaux ; qui donne la direction d'un exécutif à la minorité qui "fera" la majorité.

Cela étant, les systèmes de représentation ne sont jamais choisis sans arrière-pensées. Ce n'est pas un hasard si, jusqu'en 1986, la nomination des conseillers régionaux découlait d'une autre élection et si ensuite on a eu recours à l'élection à la proportionelle intégrale sur des listes départementales... Ce système donnait satisfaction à tous ceux qui, dans des petites formations, voulaient d'abord exister ainsi qu'à ceux qui identifient "le bon gouvernement" à celui qui reflète le mieux le corps social.

Le problème est qu'il ne suffit pas d'assurer une juste représentation, il faut aussi que l'institution soit gouvernable. Et de ce point de vue, force est de constater l'échec de la proportionnelle intégrale, et donc de chercher une bonne synthèse entre celle-ci et le soutien majoritaire.

Celle que vous proposez, Monsieur le ministre, est-elle, comme le prétend M. Giscard d'Estaing une "recette de cuisine", une "manoeuvre tacticienne" qui fera bénéficier d'une prime de 25 % et de la présidence de la région des listes qui n'auront pas forcément été en tête au premier tour ni même majoritaires au second. Et M. Giscard d'Estaing de prétendre qu'une telle disposition profitera aux seules listes d'union de la gauche. On ne voit pas pourquoi la droite républicaine n'en profiterait pas elle aussi...

M. Jacques Floch - Parce qu'elle est incapable de s'unir.

M. Gérard Gouzes - Ma conviction se renforce quand je me reporte à la proposition de loi du même Valéry Giscard d'Estaing, déposée le 11 janvier 1996. Partant du constat que le mode de désignation des conseillers régionaux risquait de compromettre la stabilité et la continuité des actions régionales, il concluait à la nécessité de modifier le code électoral et fixait quatre objectifs : affiner l'identité de la région par le choix d'une circonscription régionale ; appuyer l'exécutif sur une majorité stable et claire ; assurer la représentation des minorités ; assurer la représentation de tous les départements, y compris les moins peuplés. Les trois premiers me semblent être atteints par le présent projet mais j'observe que sur le dernier, le Gouvernement reste un peu silencieux, comme en attente. J'avais pour ma part imaginé le vote sur une liste régionale composée de sections départementales ; j'y ai renoncé pour ne pas bouleverser, en première lecture, l'équilibre du projet (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), mais je souhaite au moins, Monsieur le ministre, que sur chaque liste, les candidats mentionnent leur rattachement à tel ou tel département.

M. Pierre Albertini - Ça ne mange pas de pain !

M. Gérard Gouzes - Cela contraindrait, moralement, à une représentation juste de tous les territoires.

M. Yves Nicolin - Avec vous, les obligations morales...

M. Gérard Gouzes - Cela résoudrait ainsi le délicat problème posé par le scrutin sénatorial dans chaque département, étant entendu que je doute de la constitutionnalité de ce qui est proposé à ce sujet dans le présent projet.

Evitons en tout cas de reproduire à l'échelle régionale le modèle jacobin dont nous avons tant de mal à nous départir ailleurs. Et permettez-moi, Monsieur le ministre, de tenter de vous convaincre, au moment où reprennent les négociations des contrats de plan Etat-région.

Une réforme du mode de scrutin était nécessaire. Elle est souhaitée par tous les Français las des combinaisons "à la Millon" et des mésalliances politiciennes.

J'emprunterai ma conclusion à celle de M. Giscard d'Estaing en 1996 : "Le mode de scrutin proposé est inspiré de celui en vigueur depuis 1982 pour les élections municipales, dont il reprend les lignes directrices en alternant la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête (...), pour permettre une réelle représentation des diverses minorités qui auront sollicité les suffrages (...) Le présent texte devrait permettre de dégager, dans la plupart des cas, une majorité stable, claire, désignée par les électeurs lors du scrutin. La région y gagnera en efficacité, en transparence et en démocratie". Merci, mes chers collègues, d'accorder vos propos et vos votes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Bouvard - L'option retenue par le Gouvernement consiste à faire élire les conseillers régionaux dans le cadre d'une circonscription régionale unique et à instituer une prime pour la liste ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages. Si l'on peut approuver une disposition qui confortera l'institution régionale et assurera aux exécutifs une majorité constituée devant les électeurs, il convient aussi de mesurer les inconvénients d'un mode de scrutin, qui privilégie le choix des partis sur celui des électeurs.

De surcroît, la mise en place d'une circonscription unique renforcera la représentation des parties les plus peuplées du territoire régional au détriment des moins peuplées, dans la mesure où les candidats seront prioritairement ceux des zones où se trouvent le plus grand nombre d'électeurs.

Le débat sur le mode de scrutin ne peut donc avoir lieu sans que l'on évoque aussi les problèmes de périmètre.

S'agissant de la région Rhône-Alpes, composée de 8 départements et grande comme la Hollande, cela m'amène à poser à nouveau la question de la Savoie.

En 1972, les départements savoyards ont décidé, à une voix près, de s'intégrer dans la région Rhône-Alpes. Mais depuis, l'aspiration à une région Savoie est restée entière pour nombre de Savoyards qui considèrent que la région Rhône-Alpes, de Chamonix à Montélimar et de Saint-Etienne à Modane, ne répond qu'imparfaitement à leurs préoccupations. Cette revendication a été portée par le mouvement "région Savoie", qui a toujours inscrit sa démarche dans le cadre de la République, mais aussi par des élus de toutes sensibilités politiques, qui pensent que la possibilité ouverte dans la loi de 1972 de modifier les limites des régions en fonction des expériences vécues ne doit pas rester lettre morte.

On nous objectera que la France a besoin de régions de taille européenne. A cela je réponds qu'avec plus d'un million d'habitants et deux départements, la Savoie constitue une entité comparable à bien des régions françaises. Et cette région serait plus peuplée que les Länder de Sarre ou de Brême en Allemagne, les régions du Val-d'Aoste, du Trentin-Haut-Adige ou du Frioul en Italie.

L'histoire particulière de la Savoie, qui a choisi volontairement la France en 1860, mais plus encore sa géographie de montagne nécessitent un cadre commun pour les grands choix en matière d'aménagement du territoire et de formation, compétences majeures des régions.

La création d'une telle région permettrait le renforcement de la coopération avec les régions voisines de Suisse et d'Italie, souvent placées au second rang dans les relations de l'actuelle région Rhône-Alpes. Elle n'interdirait pas des coopérations avec l'autre partie de Rhône-Alpes, puisque la loi de 1972 prévoit la possibilité d'ententes interrégionales, pouvant même contractualiser avec l'Etat.

On s'interroge de plus en plus sur le devenir de la collectivité départementale. Je suis de ceux qui pensent que cette collectivité garde sa valeur par sa proximité des citoyens par l'ancrage territorial de ses élus ; mais nous ne pouvons ignorer que les marges de manoeuvre budgétaires des départements se réduisent, que leur capacité d'investissement est souvent rognée par la progression des dépenses de fonctionnement. Sur les choix stratégiques, le pouvoir des régions se renforcera dès lors qu'elles ne seront plus engluées dans l'instabilité politique et les alliances de circonstance.

Je souhaite, puisque la loi de 1972 l'a prévu, que celles-ci ne soient pas enfermées dans un périmètre défini une fois pour toutes.

Dans l'esprit de la proposition de loi qu'avec Bernard Bosson, député-maire d'Annecy, j'ai déposé aujourd'hui à titre conservatoire, nous proposerons un amendement portant création d'une région Savoie soit au Sénat, soit en deuxième lecture. Nous nous conformerons ainsi à la délibération de l'entente régionale de Savoie, syndicat interdépartemental regroupant les deux conseils généraux qui, le 23 juin 1997, avait considéré que l'élection des conseils régionaux dans le cadre d'une circonscription régionale unique justifierait la création de la région Savoie.

M. Gérard Lindeperg - Ce n'est jamais le bon moment pour changer un mode de scrutin. Dans l'année qui précède les élections, c'est trop tard ; dans l'année qui suit, ce n'est pas urgent ; entre temps, l'embouteillage parlementaire ajourne le dossier...

En ce qui concerne les élections régionales, tous les gouvernements, de Michel Rocard à Alain Juppé, ont souhaité changer la loi, sans jamais aboutir. C'est pourquoi je me félicite que Lionel Jospin ait pris l'initiative sur un sujet très important à la fois eu égard à la décentralisation et en raison du contexte politique créé par l'alliance d'une partie de la droite avec le Front national.

Loi de circonstance ? En vérité, la question s'est posée dès la première phase de la décentralisation : les arbitrages effectués au plus haut niveau ont produit un système bâtard. Tous ceux qui, comme moi, siègent depuis 1986 dans un conseil régional l'ont constaté : ce mode de scrutin constitue un boulet qui tire la région vers le bas. La situation créée par le Front national a certes constitué un accélérateur, mais depuis 1986, la région peine à jouer son rôle, handicapée par sa taille insuffisante, la faiblesse de son budget et la difficulté de s'affirmer face au département bicentenaire ; le scrutin avec listes départementales a encore renforcé ce handicap.

Le projet met fin à cette situation en instituant une circonscription régionale. Il est préférable que les électeurs connaissent à l'avance les candidats à la présidence plutôt que d'être témoins de tractations de couloirs. Je sais que certains redoutent l'émergence de puissants présidents de région susceptibles de s'opposer au pouvoir central. Mais il suffit de regarder les autres pays européens pour constater que nous sommes les seuls à être aussi frileux face au fait régional. Dès lors que le principe de subsidiarité est clairement assumé ("Il ne l'est pas !" sur les bancs du groupe du RPR) et les compétences bien définies, la démocratie ne peut qu'y gagner. Refuser de donner à nos régions les moyens de leur plein essor serait hypothéquer gravement la modernisation de notre pays.

Les effets pervers de la proportionnelle intégrale sont bien connus et on a pu en mesurer toute la nocivité. De 1992 à 1998, faute de majorité, les présidents de région ont dû négocier l'appui de petits groupes et on a vu refleurir les pratiques de la IVème République. En mars 1998 se sont concrétisées les alliances avec le Front national, qu'on avait déjà connues dans plusieurs régions de 1986 à 1992. Les tentations d'alliance de la droite avec le Front national ne datent pas d'aujourd'hui (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) -je rappelle les municipales de Dreux en 1983- et la porosité idéologique n'a cessé de se manifester, depuis le club de l'Horloge jusqu'à la proposition de M. Balladur de créer une commission pour débattre de la préférence nationale. (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) Les régions constituent aujourd'hui un révélateur et un accélérateur d'un processus qui risque de remettre en cause les valeurs sur lesquelles repose la République.

C'est pourquoi la prime à la liste arrivée en tête doit permettre aux partis républicains de constituer des majorités stables qui éviteront de placer l'extrême-droite en position d'arbitre.

Je me félicite également que le projet introduise un deuxième tour de scrutin conforme à nos traditions. Je m'étonne que M. Mariani et d'autres élus de droite y voient un système propice aux combinaisons politiques. (Rires sur les bancs du groupe du RPR) C'est tout le contraire ! M. Millon n'avait pas annoncé, pendant sa campagne, qu'il était prêt à gouverner avec l'extrême-droite. (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) Avec cette loi, les alliances se feront devant les électeurs et le deuxième tour permettra une transparence qui renforcera la démocratie.

Quant à l'article 22 concernant le budget régional, je le trouve totalement justifié. En effet, la loi du 7 mars 1998 s'est arrêtée à mi-chemin. Il convient d'aller jusqu'au bout de la logique liant le vote du budget et l'exécutif chargé de le mettre en oeuvre. Je ne vois pas en quoi ce dispositif inciterait à des alliances condamnables. Même si la droite s'allie avec l'extrême-droite pour voter un budget alternatif,...

M. Christian Estrosi - On peut aussi s'allier avec les communistes !

M. Gérard Lindeperg - ...je vois mal un président de gauche rester en place pour appliquer un budget fondé sur la préférence nationale et le racisme. A l'inverse, une majorité républicaine peut se constituer pour faire barrage au Front national, alors que la loi du 7 mars dernier empêche les républicains de s'opposer à ce que la deuxième région de France constitue un laboratoire pour la banalisation du Front national...

M. Michel Bouvard - Si on crée deux régions, il n'y aura plus de problème.

M. Gérard Lindeperg - Le vote de l'article 22 peut constituer un électrochoc permettant à une partie de la droite de retrouver ses valeurs et de sortir les régions de la paralysie et de la confusion.

Je demande à l'opposition de ne pas renouveler l'erreur qu'elle a faite jadis en refusant la loi municipale. Celle-ci est aujourd'hui acceptée par tous et réalise un bon équilibre. Le projet repose sur la même philosophie. Au-delà du débat sur les avantages et inconvénients des différents modes de scrutin, nous avons le devoir d'agir pour que les régions ne deviennent pas le banc d'essai d'alliances honteuses. Aujourd'hui, des régions gérées sous la tutelle cynique du Front national, demain, des commissions sur la préférence nationale, pourquoi pas, après-demain, les amis de M. Le Pen au Gouvernement ? Il est temps de marquer un coup d'arrêt à cette escalade dangereuse et le rassemblement républicain autour de cette loi de clarification peut y contribuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Première constatation, personne n'a contesté la nécessité de chercher à améliorer le fonctionnement des conseils régionaux élus en mars dernier.

M. Christian Estrosi - C'est vrai !

M. le Ministre - Ce consensus me paraît significatif.

La discussion se concentre sur le mode de scrutin. Je tiens à le souligner, le Gouvernement n'a pas d'arrière-pensées.

En ce qui concerne le Front national, il n'est pas vrai que la gauche l'ait inventé. Aux élections européennes de 1979, le Front national n'avait fait que 1,33 % des voix. C'est après 1981 que dans une explosion de démagogie, la droite a fantasmé sur une arrivée des chars soviétiques sur les Champs-Elysées, sur l'invasion des immigrés...

M. Gérard Gouzes - Sur la peine de mort !

M. le Ministre - Tout cela a abouti à l'alliance que l'on sait aux élections municipales de Dreux, à l'automne 1983. ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste) Vous avez été victimes de votre propre démagogie, en conduisant une fraction de vos électeurs à se tourner vers le Front national.

M. Pierre Albertini - Qui était Président de la République, qui avait les responsabilités gouvernementales ?

M. Christian Estrosi - C'est vous qui avez enfanté le Front national !

M. le Ministre - C'est à contre-coeur que je rappelle tout cela. Si je le fais, c'est parce que M. Goasguen et d'autres ont adopté le ton du procureur, et avec quelle insolence...

La volonté du Gouvernement de donner plus de cohérence à l'oeuvre de décentralisation a suscité d'autres procès d'intention. J'ai cru parfois entendre l'éloge des libertés des anciennes provinces, thème cher à la droite traditionnelle et à l'Action française.

L'actuel mode de scrutin régional n'est pas très performant, c'est clair. Mais on ne combat pas le Front national par un changement de mode de scrutin, pas plus que par des anathèmes. On le combat par les idées et par l'action politique concrète.

Il n'est pas question pour le Gouvernement, comme je l'ai entendu sur certains bancs, de cadenasser la démocratie. Je reconnais volontiers que le mode de scrutin municipal aboutit à des majorités parfois excessives. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement préfère limiter à 25 % la prime majoritaire.

Mme Alliot-Marie a déclaré que la démocratie n'était que le contrôle des élus. Je lui conseille de relire Rousseau : la démocratie est d'abord l'expression de la volonté générale. Or ce mode de scrutin permet l'expression de cette volonté : c'est son grand avantage. Reste qu'il faut trouver un juste équilibre entre la pluralité de la représentation et la constitution d'une majorité ; de même, il faut placer le curseur au bon endroit pour ouvrir aux listes la possibilité de fusionner. Nous reparlerons de tout cela dans la discussion des articles.

Enfin, il ne s'agit nullement de déséquilibrer le paysage institutionnel français, comme l'ont affirmé M. Sandrier et M. Saumade. A ce dernier, qui est apparenté au Mouvement des citoyens, je veux préciser que je ne parle pas comme président de ce mouvement, mais comme ministre de l'intérieur, s'exprimant au nom du Gouvernement.

Cette réforme ouvre la voie à une autre, plus vaste, touchant à l'ensemble de nos modes de scrutin. L'élection de nos conseillers généraux dans le cadre des cantons, par exemple, est un peu obsolète, si l'on en juge par le taux d'abstention ; il me semble, à titre personnel, que le maintien des cantons peut se justifier dans l'espace rural, mais que des changements sont sans doute nécessaires pour les agglomérations.

Monsieur Saumade, je ne crois pas que la République soit mise en danger par les régions. Je comprends votre vigilance, mais je n'ai pas le sentiment d'un engrenage mortel. Vous avez évoqué le président de la région Ile-de-France ; j'ai peine à croire que le sire de Coucy prendra bientôt sa revanche sur les successeurs de Louis VI le Gros...

En vérité, le Gouvernement veut rénover la vie politique française, comme l'a observé M. Christian Paul, que je remercie ainsi que MM. Dosière, Peillon, Lindeperg et Gouzes, qui ont apporté leur soutien au Gouvernement.

J'ai noté, Monsieur Gouzes, que vous aviez évoqué le même problème que M. Saumade et Mme Alliot-Marie.

M. Gérard Gouzes - J'ai été beaucoup plus nuancé.

M. le Ministre - Certes, mais vous vous êtes référé à la proposition de loi de M. Giscard d'Estaing, pour évoquer l'idée de sections départementales, évitant le laminage des petits départements -que M. Sandrier lui aussi craint de voir s'opérer. Vous avez également envisagé la possibilité d'indiquer l'origine départementale des candidats.

Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de préserver l'équilibre des territoires. Cela dit, je rappelle que les budgets des départements atteignent 200 milliards, ceux des régions 60, et que les départements ont 200 ans : on ne va pas les détruire comme cela... En revanche, peut-être appartient-il aux élus départementaux de réfléchir à leur mode d'élection.

J'observe que la droite a moins d'allant quand elle a la majorité que lorsqu'elle est dans l'opposition : elle n'avait pas osé faire ce que nous faisons aujourd'hui.

M. Pierre Albertini - Hélas...

M. le Ministre - Pourtant, les propositions ne manquaient pas : M. Albertini en avait déposé avec M. Michel Noir ; M. le Président Giscard d'Estaing en avait déposé une autre.

M. Valéry Giscard d'Estaing - Deux.

M. le Ministre - En ce qui concerne la parité, Madame Alliot-Marie, il n'est pas sérieux d'évoquer la décision du Conseil constitutionnel de 1982, rejetant le principe des quotas : il ne s'agit pas, en l'occurrence de communautés, les hommes et les femmes n'étant pas faits pour vivre séparés... Et la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est pas, pour reprendre les mots de Sartre à propos du marxisme, "l'horizon indépassable de notre temps"...

Les élections régionales de mars 1998 ont marqué un tournant. Cependant il me semble qu'en 1986, trois présidents de région avaient été élus avec les voix du Front national : cela avait fait à l'époque moins de bruit.

M. François Sauvadet - Ces procès permanents sont scandaleux !

M. le Ministre - Ce sont les faits : il s'agissait du Languedoc-Roussillon, de la Franche-Comté et de la région PACA.

M. Yves Nicolin - Et Roland Dumas, ce n'était pas scandaleux ?

M. le Ministre - Il faut bien prendre le problème par un bout. Ainsi avons-nous fait avec la limitation du cumul des mandats, qui induira d'autres changements. Il en ira de même avec la modification du mode de scrutin régional. Un chantier nouveau s'ouvre. Le Gouvernement n'entend pas rester inactif, ni céder à la petite hypocrisie selon laquelle ce qui était souhaitable il y a encore 18 mois serait devenu l'Apocalypse. Soyons sérieux ! Au reste, ce projet n'est pas à prendre ou à laisser, et le Gouvernement écoutera attentivement toutes les propositions sensées. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles du projet dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. le Président - La parole est à M. Sandrier, pour présenter l'amendement 48 de suppression.

M. Jean-Claude Sandrier - Je demande une suspension de séance de 30 minutes.

M. le Président - C'est bien long ! Disons une dizaine de minutes...

La séance, suspendue à 22 heures 15, est reprise à 22 heures 50.

Mme Michèle Alliot-Marie - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58. Même si nous sommes dans une soirée fooballistique, il me paraît regrettable qu'une suspension annoncée pour dix minutes en dure trente-cinq

M. le Président - Je vous en donne acte, d'autant qu'au football jamais une mi-temps ne dure trente-cinq minutes, sauf si l'arbitre a oublié son sifflet...

M. Pierre Albertini - Rappel au Règlement. Qu'il s'agisse de football ou du labyrinthe de nos couloirs, où vous vous seriez perdu, Monsieur le Président, nous étions très inquiets... Il ne faudrait pas que l'élasticité des suspensions aille jusqu'à les faire passer de dix à trente-cinq minutes.

M. Jean-Claude Sandrier - Notre amendement 48 tend à supprimer cet article. Réduire de six à cinq ans le mandat des conseillers régionaux ne nous semble pas de bonne méthode. Modifier, une assemblée après l'autre, la durée des différents mandats, c'est empêcher une vision cohérente du problème. Certains prônent une uniformisation de ces durées à cinq ans ; pour eux, c'est le quinquennat présidentiel qui est décisif. Les députés communistes sont défavorables à tout ce qui va dans le sens d'une présidentialisation accrue, et d'un alignement automatique de la majorité parlementaire sur la majorité présidentielle. Le septennat a l'avantage de la souplesse, et la capacité de prendre en compte la complexité de la vie politique. Patrick Weil écrivait récemment que, dans l'attachement des Français à la cohabitation, entrait pour une part la satisfaction devant la réduction du pouvoir présidentiel et de ses débordements. Pour les collectivités territoriales, une durée de six ans est logique, à l'instar des conseils municipaux. C'est le mandat sénatorial qui pourrait être ramené à six ans, l'élection du Sénat à la proportionnelle suivant celle des conseils généraux et régionaux. En 1996, la droite a abrogé une loi du précédent gouvernement destinée à coupler les élections régionales et cantonales. Dissocier le problème de la durée du mandat et celui du mode de scrutin serait de meilleure méthode. Nous proposons donc la suppression de cet article, et l'examen dans un projet de loi ultérieur de la durée des mandats des assemblées territoriales.

M. Christian Estrosi - Notre amendement 68 tend également à supprimer l'article premier. J'ai beaucoup de mal à comprendre qu'on puisse proposer de la sorte, à l'occasion d'une réforme du mode de scrutin, de réduire la durée du mandat à cinq ans. Toute lisibilité disparaît. Et si on suit votre raisonnement, nous aurons en 2001, municipales et cantonales ; en 2002, législatives et présidentielles ; en 2004, régionales, cantonales et européennes ; en 2007, municipales et cantonales, puis législatives ; et en 2009, régionales, présidentielles et européennes... Autrement dit, en neuf ans, les Français se rendront dix fois aux urnes, pour treize scrutins différents. Oui, il faut moderniser la vie politique, mais en envisageant tout l'éventail des modes de scrutin, et en uniformisant les règles. Vos propos à peine déguisés, Monsieur le ministre, laissent déjà entrevoir une réforme du mode de scrutin des cantonales, pour les amener vers la proportionnelle. Tout cela ne peut que nous inquiéter.

J'ai du mal à vous suivre, vous qui aviez en 1991 prolongé de six à sept ans le mandat des conseils généraux pour que les élections cantonales coïncident avec les régionales : quelques années plus tard, vous proposez de décaler les régionales... Les Français ne s'y retrouvent plus. Ce n'est pas ainsi que vous combattrez leur démobilisation face au suffrage universel.

M. le Rapporteur - La modernisation de la vie publique implique notamment une réduction de la durée des mandats, qui permet d'ailleurs de retourner plus souvent devant les électeurs. (Murmures sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) Bien sûr, dès qu'une modification de ce type est proposée, on objecte la globalité des problèmes. Mais nous savons tous dans cette assemblée que la globalisation des problèmes n'est qu'une manière de dire non... Au contraire, le plus simple est de procéder étape par étape en commençant par la région puis en passant à d'autre niveaux.

M. Michel Bouvard - Lesquels ?

M. le Rapporteur - Quant au mandat présidentiel de cinq ans, il faudrait une réforme constitutionnelle pour y parvenir.

La commission a repoussé ces amendements.

M. le Ministre - Je partage l'avis du rapporteur. La réduction du mandat de conseiller régional à cinq ans relève du souci de donner à la démocratie une respiration plus normale. Six ans, c'est long. Cinq ans, c'est plus proche de ce que pratiquent d'autres pays démocratiques.

Mme Michèle Alliot-Marie - Vous allez le faire pour les conseillers municipaux ?

M. le Ministre - Monsieur Estrosi, je n'ai pas évoqué l'élection des conseillers généraux à la proportionnelle.

M. Christian Estrosi - Deux fois.

M. le Ministre - J'ai dit que cette modification du mode de scrutin ne manquerait pas de retentir sur la désignation des conseillers généraux, mais je ne me suis pas prononcé sur les formes que cela prendrait.

M. Michel Bouvard - On a un peu de mal à s'y retrouver. Le ministre dit que le mode de scrutin cantonal n'est pas concerné, mais qu'il y aura des répercussions. Selon le rapporteur, après cette réforme il y aura celles d'autres modes de scrutin. Il faut nous dire lesquelles pour que nous puissions nous prononcer en toute clarté.

Les amendements de suppression 48 et 68, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. Maurice Adevah-Poeuf - A mes yeux, cet article est le plus important. Il institue la circonscription régionale et la prime à la majorité.

En formant une circonscription, la région trouvera l'identité et la légitimité qui lui font défaut. La montée des régions, reconnues comme échelons pertinents d'aménagement du territoire et d'intervention économique, provoque une inquiétude -plus ou moins exprimée pour les départements. Il faut la prendre en compte. La commission a examiné des amendements créant des circonscriptions départementales, afin que les départements peu peuplés soient représentés. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution, mais il faut continuer à en chercher une pour la deuxième lecture. Je suis sûr que c'est possible sur le plan technique sans mettre en cause l'équilibre du texte.

La prime majoritaire doit-elle être de 25 % ou de 33 % ? Nous allons en décider. La nouvelle loi donne aux conseils régionaux une majorité stable de façon quasi automatique. Y ajouter par l'article 21 une disposition qui est une sorte de troisième alinéa de l'article 49 risque d'inciter les exécutifs à des abus de pouvoir. ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR) Cette situation ne saurait être que transitoire sinon nous nous interrogerions sur l'opportunité de maintenir l'article 21.

M. Claude Goasguen - L'amendement 46 est défendu.

M. Christian Estrosi - Cet article va créer un déséquilibre entre les différentes zones d'une région, au détriment des zones rurales. Nous sommes profondément attachés à l'équilibre dans l'aménagement du territoire. La discussion des prochains contrats de plan devrait conduire les assemblées régionales à aller dans ce sens. Par l'amendement 67, je propose de recourir au scrutin uninominal à deux tours qui permettrait de représenter des territoires aussi bien que des populations. Dans ces circonscriptions, les électeurs pourront identifier celui qui les représente et les défend. Un tel scrutin permettrait lui aussi de dégager des majorités stables.

M. Gérard Saumade - Mon amendement 2 instaure un scrutin de type municipal, avec prime du quart des sièges, en conservant le cadre départemental. On peut se poser des questions devant l'élection du président de région -la tête de liste- au suffrage universel direct. C'est un changement considérable dans la conception même de la République. Nous ne sommes pas des nostalgiques du département. Ils devront être modifiés. Mais, pour le moment, ce sont les lieux où l'on trouve à la fois une administration locale importante pour l'action sociale et une administration déconcentrée de l'Etat qui n'existe pas au niveau régional. Faute de ce contrepoids, le président de région avait un pouvoir et une légitimité politique considérables, et ce sera vrai des présidents de grandes régions face aux petites. Nous allons vers une déstabilisation de la France. La République unitaire est notre héritage, notre richesse. Dans la concurrence internationale ne désarmons pas la France en faisant une série de baronnies. Pour construire, il faut s'appuyer sur des fondations. On nous parle de spécificité française. Mais si elle assure un équilibre, maintenons-là. Sans doute le département n'est-il pas éternel. Pour l'heure, n'affaiblissons pas l'unité nationale.

M. Claude Goasguen - On pose comme postulat que le scrutin proportionnel est forcément à deux tours. Mais pourquoi faudrait-il suivre le modèle municipal ? Le scrutin municipal préfigure la nécessaire entente de personnes qui n'ont pas toujours une appartenance politique et vont gérer ensemble de façon pragmatique. La logique régionale est différente : les partis priment et l'on n'a pas d'exemples, depuis la création des régions, de liste d'intérêts locaux ayant remporté un succès électoral.

Je propose donc, dans l'amendement 47 rectifié, de clarifier les choses en optant pour un scrutin proportionnel à un tour, avec correctif majoritaire. On m'a objecté en commission qu'un tel scrutin n'est pas dans la tradition française. J'observe cependant que le scrutin régional actuel est bien à un tour ; que la région n'est pas une collectivité territoriale traditionnelle ; que vous n'hésitez pas, Monsieur le ministre, à braver la tradition en introduisant au titre III, transitoire, des modifications fondamentales du fonctionnement des conseils régionaux.

Le système que je propose est de nature à dissuader toute manoeuvre d'entre deux tours ou d'après élections ; il ne se prête à aucune manipulation. Mais êtes-vous vraiment désireux, Monsieur le ministre, d'empêcher les manipulations ? Vos propos ondoyants n'ont pas suffi à nous en convaincre.

Mme Michèle Alliot-Marie - Nous poursuivons deux objectifs : améliorer le fonctionnement de l'institution régionale en favorisant l'émergence d'une majorité nette ; répondre à la demande de clarification et de moralisation exprimée par nos concitoyens. De ce double point de vue, la proportionnelle à deux tours ne s'impose pas. En effet, un scrutin proportionnel à un tour suffit à dégager une majorité, grâce à la prime accordée à la liste arrivée en tête ; et, par définition, il empêche ces combinaisons qui, faites entre les deux tours, apparaissent aux Français comme des opérations politiciennes. Tel est le sens de mon amendement 63 rectifié.

M. le Rapporteur - L'amendement de M. Clément a été repoussé, car il s'éloigne complètement de la solution retenue dans le projet. Celui de M. Saumade l'a été également, car entre la volonté qu'aucun département ne soit négligé et le maintien d'un scrutin s'opérant dans le cadre départemental, il y a plus qu'une nuance.

La commission a repoussé aussi l'amendement de M. Goasguen -ainsi que celui de Mme Alliot-Marie- car les scrutins à un tour ne sont pas dans la tradition française. Le deuxième tour permet au vainqueur -candidat ou liste- de dépasser ou du moins d'approcher la majorité absolue. Et je ne suis pas sûr que les Français soient prêts à accorder à un candidat ou une liste élus au premier tour à la majorité relative la même légitimité qu'aux vainqueurs des seconds tours. Si par exemple l'élection présidentielle n'était qu'à un tour,...

M. Gérard Gouzes - C'est Jospin qui serait président !

M. le Rapporteur - ...le président ne serait élu qu'à la majorité relative et les Français n'auraient peut-être pas le même sentiment de légitimité.

La référence de M. Goasguen au scrutin municipal est curieuse car je ne connais pas de ville un tant soit peu importante où l'élection n'ait pas une connotation politique forte. Les listes municipales font, certes, souvent appel à des personnalités locales, mais il pourra en être de même pour les listes régionales.

M. le Ministre - Le Gouvernement rejoint le point de vue de la commission. Les amendements dont il est question consistent soit à instaurer pour les élections régionales une circonscription de type législatif ou cantonal, ce qui serait une réforme brutale, soit un scrutin à un tour, ce qui empêcherait injustement certaines petites listes de représenter des minorités au conseil régional. L'amendement de M. Goasguen, en particulier, réduirait cette représentation à la portion congrue, du fait de l'importance de la prime majoritaire. Et l'on ne peut pas transposer à l'échelle régionale des mécanismes valables à l'échelon municipal.

Quant à l'amendement de M. Saumade, il n'est pas dépourvu d'avantages mais souffre d'une certaine complexité...

M. Gérard Saumade - Il simplifie les choses pour le collège sénatorial !

M. le Ministre - Oui, mais l'objet du présent projet est d'abord l'élection de conseillers régionaux. Or le système que vous proposez fait qu'une liste minoritaire dans un département pourrait cependant s'y voir attribuer la majorité des sièges, conformément au sens du résultat régional mais en opposition avec les résultats comptabilisés dans ledit département. De telles distorsions pourraient être mal perçues par l'opinion. Je vous conseille donc d'orienter vos recherches sur une autre voie, par exemple vers une liste complémentaire au niveau régional. Je ne puis en tout cas, malgré la pertinence de certains de vos arguments, me rallier à votre amendement.

M. Claude Goasguen - Je veux simplement faire remarquer à M. le ministre que le correctif majoritaire que je propose dans le cadre d'un scrutin à un tour avoisine les 15 % -si l'on prend l'hypothèse d'une liste qui arrive en tête avec 35 % des suffrages- alors que celui proposé dans le cadre du scrutin à deux tours varie, selon les écoles, entre 25 et 33 %. C'est donc plutôt vous, Monsieur le ministre, qui attentez à la représentation des minorités ! La différence entre les deux systèmes, c'est que le vôtre favorise les compromis alors que le mien les évacue. C'est une question politique, ne vous cachez pas derrière des considérations techniques.

M. Christian Paul - L'article 3 est la clef de voûte du texte.

Certains amendements sont inspirés par l'inquiétude que provoque la circonscription unique : mais nous pensons, pour notre part, qu'elle seule peut avoir une réelle lisibilité pour le citoyen.

D'autres amendements tendent à revenir au scrutin à un tour. Notre objectif est de donner une véritable transparence au scrutin régional. Qu'il y ait des alliances -je récuse le texte de combinaison-, c'est un élément normal de la vie politique. Ce qui est choquant, ce sont les alliances après les élections. Le mode de scrutin proposé permet à chacun d'aller devant les électeurs, puis de conclure des alliances en toute transparence pour le second tour.

Les amendements 46, 67, 2, 47 rectifié et 63 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Michèle Alliot-Marie - Mes amendements 64 et 65 visent à garantir un minimum de représentation aux petits départements.

Je ne comprends pas la position du ministre et du rapporteur : ils affirment qu'il faut innover, mais dès que nous proposons des innovations, on nous oppose la tradition !

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements parce qu'elle est favorable à l'esprit du projet, qui est, d'une part, de faire de la région la circonscription électorale, d'autre part, de dégager des majorités. Décompter les suffrages par département serait contraire à ces objectifs.

Mon amendement 18 est purement rédactionnel.

M. le Ministre - Avis défavorable aux amendements 64 et 65, favorable à l'amendement 18.

L'amendement 64, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 18, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 65, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alfred Marie-Jeanne - En Martinique, il n'y a pas de syndrome du Front national. Quand, le 6 décembre 1987, M. Le Pen a affrété un Boeing pour atterrir en Martinique, c'est moi qui l'ai empêché de débarquer. A l'époque, le ministre avait menacé de me traduire devant les tribunaux pour acte illicite.

Compte tenu de cette spécificité, je ne comprends pas qu'on donne une prime à une liste qui a déjà obtenu la majorité absolue. Mon amendement 13 tend à rétablir une répartition plus équitable.

M. Jean-Claude Sandrier - Le mode de scrutin proposé par le Gouvernement part du constat exact que l'absence de majorité stable a fragilisé certaines régions. Mais, à notre avis, il va trop loin en attribuant à la liste élue dès le premier tour une prime qui lui assure 75 % des sièges. Par l'amendement 49, nous proposons que la liste arrivée en tête dispose de la majorité des sièges plus trois.

M. Christian Paul - Je retire les amendements 19 et 41 corrigé.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé les amendements 13 et 49.

M. le Ministre - Avis défavorable. Il serait illogique, et sans doute anticonstitutionnel, que le principe de la représentation proportionnelle cesse de s'appliquer dès lors qu'une liste a la majorité absolue.

Les amendements 13 et 49, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu demain, mercredi 24 juin, à 15 heures.

La séance est levée à 23 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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