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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 11ème jour de séance, 42ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 27 OCTOBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    ACCORD DE WYE PLANTATION 1

    RAPATRIÉS RÉINSTALLÉS DANS DES PROFESSIONS NON SALARIÉES ET HARKIS 2

    SOMMET DE PÖRTSCHACH 2

    CHANTIERS NAVALS DU HAVRE 3

    POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE 4

    IMPOSITION DES REVENUS DE PLACEMENTS DES CONTRIBUABLES NON REDEVABLES DE L'IMPÔT SUR LE REVENU 5

    MANIFESTATION ORGANISÉE LE 16 OCTOBRE PAR LE CENTRE CULTUREL ALGÉRIEN 6

    POLITIQUE AGRICOLE 6

DÉMISSION D'UN VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE 7

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite) 7

    DEMANDE D'EXTRADITION DU GÉNÉRAL PINOCHET 7

    FONDS STRUCTURELS EUROPÉENS 8

    ACCIDENTS DU TRAVAIL ET MALADIES PROFESSIONNELLES 8

LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999 (suite) 9

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 9

    QUESTION PRÉALABLE 16

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

ACCORD DE WYE PLANTATION

Mme Monique Collange - A Wye Plantation, vendredi dernier, la détermination du Président des Etats-Unis et l'engagement du roi de Jordanie ont réussi à débloquer le processus de paix au Proche-Orient. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, ont signé un accord intérimaire. La France et l'Union européenne, qui ont beaucoup travaillé -ainsi que l'Egypte- ces derniers mois pour préserver l'espoir de paix, ne peuvent que s'en réjouir mais, Monsieur le ministre des affaires étrangères, les échéances fixées par les accords d'Oslo seront-elles respectées ? La paix a deux ans et demi de retard sur le calendrier prévu... Dans ces conditions, quel sens et quelle suite donner à l'accord du 23 octobre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Après plus d'un an et demi de blocage et après des mois d'efforts diplomatiques, l'accord de Wye Plantation relance le processus de paix et a donc été salué comme une bonne nouvelle par les autorités françaises, qui ont souligné l'opiniâtreté du secrétaire d'Etat américain, l'engagement personnel du Président Clinton et du roi Hussein de Jordanie, le courage politique et le sens des responsabilités de Yasser Arafat et de Benyamin Nétanyahou. L'accord s'est fait sur des propositions qui avaient été transmises il y a sept mois et que l'Autorité palestinienne avait immédiatement acceptées. Marque-t-il un aboutissement ? Non, car il ne porte que sur 13 % du territoire, mais il relance le raisonnement d'Oslo, que l'actuel gouvernement israélien contestait dans son principe même. Reste à régler ce qu'on appelle le statut final, avec des questions complexes comme celle de Jérusalem, des réfugiés ou de l'Etat palestinien -que nous considérons comme la seule solution. Par ses propositions et ses contacts bilatéraux, la France continuera d'accompagner de toutes ses forces ce mouvement vers la paix, étant entendu que le récent accord n'est qu'une étape, heureuse certes, mais une étape seulement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

RAPATRIÉS RÉINSTALLÉS DANS DES PROFESSIONS NON SALARIÉES ET HARKIS

M. Georges Frêche - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, lors de la discussion de la loi de finances pour 1998, vous aviez fait état -à juste titre- d'une iniquité résultant de la superposition de textes législatifs et tenant à une inégalité de traitement entre rapatriés réinstallés dans une profession non salariée : ceux d'entre eux qui n'étaient pas propriétaires de biens indemnisables ont en effet bénéficié, au titre de l'article 44 de la loi du 30 décembre 1986 et de l'article 12 de la loi du 16 juillet 1987, d'une remise totale des prêts de réinstallation, tandis que ceux qui étaient indemnisables ont vu leurs prêts soldés par prélèvement direct sur le montant de leur indemnisation, au titre de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970. Que compte faire le Gouvernement pour remédier à cette iniquité ?

Je profite de cette question pour vous demander ce que vous comptez faire pour les harkis. Des événements récents ont montré l'urgence d'agir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous avons trouvé en juin 1997 une situation qui se caractérisait par un malaise très fort de la communauté harkie (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), confrontée à un chômage de l'ordre de 30 % et à des problèmes d'endettement. Quant aux rapatriés réinstallés dans des professions non salariées -agriculteurs, artisans...-, ils étaient pour beaucoup en butte à des poursuites de leurs créanciers qui les exposaient à mettre aux enchères leur entreprise ou leur logement. Nous avons donc aussitôt réagi, notamment en disant aux directeurs départementaux du travail et de l'emploi que les enfants de harkis étaient prioritaires. C'est ainsi qu'en 1998, 1 500 emplois dans le secteur marchand et 500 emplois-jeunes -nous en sommes actuellement à 350- leur ont été réservés. Et depuis le début de l'année, plus de 12 millions ont été attribués aux anciens supplétifs confrontés à des problèmes d'endettement immobilier -contre seulement 745 000 F en 1996 (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Quant à l'iniquité dont vous parlez, le Gouvernement y est très sensible et a donc pris des mesures, intervenant d'abord en faveur des plus fragiles. L'article 100 de la loi de finances pour 1998 a ainsi prononcé la suspension des poursuites à l'encontre des rapatriés réinstallés. Par ailleurs, nous mettons en place de nouvelles commissions de surendettement, la Cour des comptes ayant avec raison critiqué l'iniquité des décisions prises par ces comités départementaux. Enfin, nous travaillons à une révision de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970, sujet sur lequel vous avez fait preuve de la plus grande vigilance (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Dans quelques jours, le Gouvernement annoncera un plan général pour les harkis (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

SOMMET DE PÖRTSCHACH

M. François Loncle - Le sommet européen de Pörtschach était certes informel mais par les convergences qui s'y sont exprimées et les impulsions politiques qui y ont été décidées, il marque une nouvelle étape pour la construction européenne. Vous y représentiez la France, Monsieur le Premier ministre, aux côtés du Président de la République et vous avez donc pu accueillir les nouveaux venus : Gerhard Schröder et Massimo d'Alema. Que peut-on attendre, dans les prochains mois, de la nouvelle tonalité, progressiste et volontariste, qui s'est manifestée lors de ce sommet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je suis heureux que cette question me permette (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) d'informer l'ensemble de l'Assemblée sur ce sommet qui s'est déroulé sous présidence autrichienne et auquel j'ai participé aux côtés du Président de la République.

A Birmingham, nous avions souhaité un sommet informel qui permette aux chefs d'Etat et de gouvernement de discuter, de façon simple et directe, sans la pression de l'urgence, des grands objectifs de l'Union européenne bientôt confrontée à des rendez-vous essentiels tels que l'Agenda 2000, l'élargissement, la mise en place de l'euro, et de réfléchir aux moyens de les atteindre ainsi que d'améliorer le fonctionnement de l'Union. De ce point de vue, ni le Président de la République ni moi n'avons été déçus, car ce sommet a bel et bien permis la liberté de ton et l'approfondissement que nous souhaitions. Le premier après-midi et la soirée ont été centrés sur les grands objectifs, avec comme dominante les questions économiques et sociales. Le lendemain matin a été consacré aux problèmes institutionnels et surtout fonctionnels. Nous nous sommes interrogés sur les façons pratiques de faire marcher plus efficacement la mécanique de l'Union plus que nous n'avons réfléchi à des modifications institutionnelles, qui restent devant nous. Un mot pourrait servir de trait d'union entre ces différentes discussions : la volonté d'une plus grande cohésion de l'Union européenne autour de son identité et de son modèle.

Dans le domaine économique et social, nous nous trouvions au carrefour de deux réalités : le mouvement de la construction de l'euro, décision structurelle, et le mouvement de la crise financière, conjoncture qui a accéléré la maturation de certaines idées. On a senti dans cette rencontre informelle des évolutions notables. Des thèmes que la France, que le nouveau gouvernement français avaient tâché de faire passer dans l'Union européenne, tels que la croissance, l'emploi, l'harmonisation fiscale, le refus du dumping social, sont tout d'un coup apparus comme des accents dominants de l'Union européenne. Nous pouvons être contents du travail accompli (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La crise internationale a-t-elle fait mûrir les esprits et provoqué des réflexions en rupture avec une sorte d'euphorie libérale qui n'est plus de mise ? (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste) Peut-être aussi avons-nous conscience de nous trouver dans une nouvelle période historique : l'inflation a été vaincue, le chômage reste dominant, et il faut réorienter les hiérarchies de notre politique économique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste). Sans doute enfin, y sont pour quelque chose les changements politiques voulus par les peuples depuis un an et demi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Reste à traduire cela concrètement. Mais si ces thèmes sont mis au premier rang des préoccupations de l'Europe, celle-ci peut devenir plus proche de nos peuples.

Les questions de justice, d'insécurité, de lutte contre la criminalité organisée, ont été abordées, et devraient faire l'objet d'une autre rencontre informelle sans doute sous présidence finlandaise au deuxième semestre de 1999. Quant aux problèmes de défense, sur lesquels le Président de la République s'est naturellement tout particulièrement exprimé, il nous a semblé que s'amorçait une approche nouvelle par les Britanniques de la question de la sécurité européenne. Cela reste à décoder. Le Gouvernement y travaillera avec le Président de la République.

Au total, si ce sommet de Pörtschach pouvait être celui de la volonté réaffirmée des politiques et celui de la cohésion retrouvée d'un modèle européen, nous aurions lieu de nous réjouir. Je m'efforcerai, à ma place, d'en faire fructifier le message (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

CHANTIERS NAVALS DU HAVRE

M. Jean-Yves Besselat - Par un communiqué brutal en date du 22 octobre vous avez, Monsieur le ministre de l'industrie, mis un terme aux conversations engagées avec les éventuels repreneurs des Chantiers et Ateliers du Havre, gravement perturbés par la réalisation d'une commande de trois navires chimiquiers. D'autres chantiers navals réputés, au Danemark et en Italie, avaient été eux aussi gravement lésés par la construction de navires de ce type. La qualité des ACH n'est donc pas en cause.

Le texte du 22 octobre est brutal parce qu'il est intervenu alors qu'une discussion sérieuse était entamée avec un grand groupe repreneur potentiel, et parce que tous les élus de la région du Havre unanimes ont appris la décision du Gouvernement par une dépêche de l'AFP (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), sans aucune concertation. Ce communiqué a plongé le chantier naval et la ville du Havre dans une profonde consternation. Le maire Antoine Rufenacht a essuyé une agression injustifiée.

Avec le ministre des finances, vous avez organisé ce matin une réunion de travail. Nous nous sommes quittés sur un constat de désaccord. Nous avons refusé de parler de reconversion et de plan social, et nous avons indiqué clairement qu'il fallait donner du temps au temps. 2 500 emplois sont en jeu, et non pas 800 comme vous l'affirmez. Au nom de toute la communauté havraise je vous demande de nous dire qu'il existe un avenir pour ce chantier comme pour la construction navale en France. Il serait intelligent de changer d'avis aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - La décision prise jeudi est grave et difficile. Le Gouvernement mesure pleinement le désarroi des salariés et de leurs familles. Cette situation est l'aboutissement de la décision catastrophique, prise en 1995 à l'incitation du gouvernement de l'époque (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), d'accepter la commande de navires pour lesquels les ACH n'étaient pas conçus. Dominique Strauss-Kahn et moi avons traité le dossier en toute transparence, et avec un souci constant de dialogue. L'expertise de l'ingénieur général Piketty a conclu à l'impossibilité de poursuivre l'activité du chantier sans adossement à un repreneur professionnel de la construction navale. Fin août, un délai d'un mois, avec votre accord et celui des élus qui vous accompagnaient, a été accordé pour rechercher ce repreneur. 19 chantiers navals ont été contactés, 3 se sont déclarés en mesure de déposer une offre. Fin septembre, nous avons prolongé le délai de trois semaines. A l'issue de ce délai, il est malheureusement apparu qu'aucune offre crédible ne serait remise, et qu'aucune discussion pouvant conduire à une offre n'était en cours. Le refus il y a quelques minutes du chantier naval Kvaerner de faire une offre confirme hélas, que telle était bien la situation.

En juin 1997, les pertes de l'entreprise sur le contrat des chimiquiers s'élevaient à un milliard. Malgré des subventions mensuelles moyennes de 100 millions, l'entreprise n'a pas pu maîtriser la réalisation de cette commande, et les pertes totales se montent aujourd'hui 1,87 milliard. L'Etat ne peut pas financer indéfiniment les fonds de roulement d'une entreprise privée à hauteur de 100 millions par mois. Le Gouvernement assume donc sa responsabilité. Il est disposé à examiner l'offre d'un hypothétique repreneur. Mais on ne conduit pas une politique dans l'attente d'un miracle. La seule attitude responsable consiste, hélas, à prendre acte, et à préparer le site à la réindustrialisation. Ne pas le faire conduirait les salariés et la ville du Havre à une catastrophe plus grave encore.

Nous souhaitons y travailler ensemble dans le dialogue, auquel je vous invite à participer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

M. Dominique Perben - Monsieur le Premier ministre, je vous interroge une nouvelle fois sur la politique énergétique, et donc industrielle, du Gouvernement. Je l'avais fait le 17 juin, et M. Pierret m'avait apporté alors une réponse plutôt rassurante pour tous ceux qui travaillent dans le nucléaire civil, et en particulier le personnel de Framatome.

La semaine dernière, répondant à nouveau à deux questions, les ministres se sont voulus rassurants. Malheureusement, deux jours plus tard, Mme Voynet annonçait dans un journal du matin le remplacement progressif des centrales nucléaires par d'autres moyens de production énergétique, sans dire lesquels, la remise en cause pour la France du réacteur du futur EPR, et elle confirmait le changement d'orientation de notre pays. Cette contradiction entre vos ministres, Monsieur le Premier ministre, est trop grave.

Les industries concernées se sont mises en capacité de conserver leur savoir-faire. Elles se battent sur le plan international en comptant des perspectives françaises à long terme. Par ailleurs, j'observe l'absence de vraie décision du Gouvernement sur la question cruciale des déchets.

Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez pas laisser planer l'ambiguïté sur l'orientation de la politique énergétique française. En ce domaine, les délais entre décisions et réalisations sont très longs ; tous les acteurs de la filière ont besoin de savoir où ils vont. Les enjeux en termes d'emploi et de compétitivité de notre économie sont considérables, et les salariés sont inquiets.

Nous avons demandé à plusieurs reprises l'organisation ici même d'un grand débat sur la politique énergétique française (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : acceptez-le. En attendant, dites-nous enfin quelle est la politique nucléaire civile de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le Gouvernement a déjà répondu à cette question la semaine dernière. Votre inquiétude est telle que je vais le faire plus précisément encore...

La politique énergétique du Gouvernement est claire. 75 % de notre électricité est d'origine nucléaire et pendant longtemps encore, cette part restera prédominante. Cela n'empêche pas d'exploiter d'autres sources d'énergie, en tenant compte des progrès de la science ; mais nous disposons d'un parc nucléaire qui nous a coûté beaucoup d'investissements et qui nous permet d'avoir une électricité peu chère, laquelle est un élément de la compétitivité de notre économie, et nul n'a l'intention d'y renoncer. (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Le problème des déchets est particulièrement difficile. Nous y réfléchissons, comme nos prédécesseurs avant nous ; la loi de 1991 donne plusieurs pistes de recherche et dans un délai très bref, une décision sera prise concernant les laboratoires souterrains.

Que nos voisins allemands prennent une orientation assez différente ne remet pas en cause l'engagement de la France dans le domaine nucléaire. Bien sûr, on peut s'interroger sur l'avenir de la coopération engagée avec des entreprises allemandes, et notamment entre Framatome et Siemens pour le réacteur du futur. Aucun élément ne me fait penser aujourd'hui que notre partenaire allemand veuille renoncer ; mais c'est à cette entreprise privée de décider, compte tenu de son contexte national. Pour ma part, je trouverais extrêmement dommage qu'elle abandonne le travail engagé, qui ouvre une piste particulièrement intéressante. Nous, nous voulons continuer : nous n'avons pas encore besoin de ce réacteur du futur, mais nous en aurons besoin un jour.

Pour que vous n'ayez pas à poser une nouvelle question, je vais être extrêmement clair (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : la France est depuis des décennies engagée dans l'exploitation de l'énergie nucléaire et entend continuer ; cela ne lui interdit nullement d'aller dans d'autres directions et Mme Voynet est l'instigatrice d'intéressantes pistes de recherche (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

IMPOSITION DES REVENUS DE PLACEMENTS DES CONTRIBUABLES
NON REDEVABLES DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

M. Charles de Courson - Il était une fois une veuve qui n'avait pour seuls revenus qu'une pension de réversion de 3 500 F par mois et des revenus de placements de 1 000 F par mois, fruits d'une vie de travail et d'épargne qui avait permis à son couple de mettre de côté 300 000 F. Elle vient de recevoir un avis d'imposition de 1 200 F, soit 10 % de ses revenus de placements, au titre de la CSG, de la CRDS et du prélèvement social, alors qu'elle est exonérée d'impôt sur le revenu.

S'agit-il d'un cauchemar ? Non, mais d'une tragique réalité qui frappe des millions de familles non imposables à l'impôt sur le revenu.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, trouvez-vous que cette situation est conforme au principe selon lequel les impôts doivent tenir compte des facultés contributives des citoyens ? Trouvez-vous qu'elle est juste ? Envisagez-vous, dans la discussion de la loi de financement de la Sécurité sociale, d'appuyer l'amendement du groupe UDF que vous avez repoussé l'année dernière, visant à exonérer de CSG, de CRDS et de prélèvement social tous les revenus de placements des contribuables non imposables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les avis d'imposition que vous évoquez concernent le patrimoine, et plus précisément les revenus tirés de sommes qui ont été placées.

M. Charles de Courson - Epargnées !

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Oui, épargnées.

Certains contribuables voient leur prélèvement augmenter par rapport à l'année dernière ; en effet, nous avons souhaité répartir différemment les prélèvements entre revenus du travail et revenus du capital (Interruptions sur les bancs du groupe UDF). Certains retraités sont très riches, parce qu'en sus de leur petite pension de retraite, ils ont un très gros patrimoine (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Vous, vous avez augmenté les prélèvements sur tous les retraités : vous avez augmenté la CSG en 1993 de 1,3 %, vous avez augmenté leurs cotisations maladie de 1,2 % en 1996 et de 1,2 % en 1997, sans parler des deux points de hausse de la TVA. Nous, nous touchons ceux qui ont un patrimoine élevé (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Les 10 % de foyers qui ont les revenus les plus élevés perçoivent 51 % des revenus fonciers, 57 % des revenus des capitaux mobiliers et 90 % des plus-values déclarées à l'impôt sur le revenu ; nous voulons donc procéder à un rééquilibrage entre la taxation de l'épargne et celle des revenus du travail. Bien sûr, l'épargne populaire est exonérée de ces prélèvements.

Au lieu de défendre certains, vous auriez mieux fait de défendre, comme nous, l'ensemble des retraités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

MANIFESTATION ORGANISÉE LE 16 OCTOBRE PAR LE CENTRE CULTUREL ALGÉRIEN

M. François Rochebloine - Notre collègue parlait des personnes non imposables (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)...

Monsieur le Premier ministre, vendredi dernier un hommage indécent a été rendu à Paris au Centre culturel algérien, aux porteurs de valises et au soutien de la rébellion algérienne sur le sol français.

M. Charles Cova - C'est une honte !

M. François Rochebloine - Une telle manifestation n'a pas manqué de susciter une vague d'indignation à travers tout le pays. Alors que les plaies ne sont pas encore totalement refermées, peut-on rester sans réagir à ce qui s'apparente réellement à une provocation ?

Etiez-vous informé de cette manifestation ? L'approuviez-vous ? Avez-vous réagi auprès des autorités algériennes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants - Le Gouvernement n'a pas été avisé de cette initiative, prise par un centre culturel qui bénéficie du statut diplomatique. Hubert Védrine et moi-même avons fait savoir à l'ambassade d'Algérie que nous la désapprouvions ; elle s'assimile en effet à une provocation, surtout un 16 octobre, la France ayant inhumé le soldat inconnu de la guerre d'Algérie le 16 octobre 1977 à Notre-Dame de Lorette.

L'hommage que nous rendons aux anciens combattants d'Algérie consiste d'abord pour nous à parler de guerre d'Algérie, ce qui ne s'était jamais fait auparavant (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF). Ensuite, nous inaugurons des stèles et des rues à leur mémoire.

M. Laurent Dominati - Très bien !

M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants - Enfin, nous prenons l'initiative d'édifier un mémorial national -j'espère que ce sera à Paris. Telle est la manière dont nous entendons agir dans cette affaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV, sur quelques bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe DL).

POLITIQUE AGRICOLE

M. Philippe Vasseur - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous prenez vos fonctions dans des circonstances qui ne sont pas faciles. La crise que connaissent les producteurs de porc est sans précédent, même si elle était prévisible depuis des mois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mes chers collègues, sachez que depuis quinze mois, le cours du porc a été divisé par deux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Prévisible aussi était la négociation sur la réforme de la PAC, si mal préparée par la loi d'orientation, dont un élément, confirmé par M. Le Pensec, ne doit pas être passé sous silence : l'imputation des aides à l'installation sur le financement des contrats territoriaux d'exploitation. Or, la situation de l'installation est dramatique.

Un député socialiste - A cause de vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Philippe Vasseur - Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Entre 1994 et 1997, grâce à la charte de novembre 1995, le nombre des installations a augmenté de 25 % (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF), mais il a baissé de 10 % depuis le début de l'année ! (Huées sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Comment l'expliquez-vous ? Que comptez-vous faire pour redresser cette situation dramatique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)


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DÉMISSION D'UN VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. le Président - J'informe l'Assemblée qu'il y a lieu de procéder à la nomination d'un vice-président de l'Assemblée nationale en remplacement de M. Jean Glavany, qui m'a fait connaître qu'il démissionnait de cette fonction... (Sourires) Cette nomination aura lieu, conformément à l'article 10 du Règlement, au début de la deuxième séance du mercredi 28 octobre.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Je vous remercie, Monsieur Vasseur, de ce bizutage, qui me vaut de vous répondre en quelques minutes sur le porc, la loi d'orientation, la PAC et la DJA... Je vous ferai une réponse, qui ne sera pas forcément celle que vous souhaitiez : je m'en tiendrai à la crise porcine (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Vous êtes assez expérimenté, je le crois, pour savoir que ce n'est pas le Gouvernement qui fixe le prix du porc sur le marché, et je suis toujours étonné, ahuri même, d'entendre les libéraux crier "plus de marché, moins d'Etat" pour en appeler néanmoins à ce dernier lorsque les cours s'effondrent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Pour autant, le Gouvernement ne reste pas inerte face à la crise ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : la cellule de crise mise en place par mon prédécesseur se réunira après-demain, des mesures d'aide à la trésorerie seront prises, nous demanderons la constitution d'un groupe de travail au niveau européen (Mêmes mouvements) et l'octroi de restitutions aux exportations vers la Russie. Je recevrai dans quelques jours les représentants de la filière porcine. Il doit être clair, cependant, que les aides accordées seront des aides à l'exploitation et non des aides à la production (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV), car dans cette crise, comme dans les autres, certains perdent mais d'autres gagnent !

Cette crise était prévisible, non pas depuis des mois comme vous l'avez dit, mais depuis des années, et il est temps de se demander la raison de son caractère cyclique et de se poser la double question de sa maîtrise et de la répartition des productions sur le territoire. La loi d'orientation vient à point nommé pour y répondre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

DEMANDE D'EXTRADITION DU GÉNÉRAL PINOCHET

M. Jean-Claude Lefort - De très nombreux Chiliens, anciens prisonniers, parents de militants disparus ou assassinés, espèrent, depuis l'arrestation de Pinochet le 16 octobre, que la justice britannique fera droit à la demande d'extradition présentée par deux juges espagnols. Le parquet d'Espagne et certains magistrats britanniques contestent cependant cette demande, et le risque existe de voir Pinochet bénéficier de l'impunité : un avion est déjà prêt, en bout de piste, pour le ramener dans son pays.

Madame la Garde des Sceaux, vous vous êtes prononcée de longue date pour la constitution d'un espace judiciaire européen, qui suppose une entraide renforcée en matière d'extradition. Le droit pénal international pose le principe de la compétence universelle, qui fait obligation aux Etats de rechercher et de poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves. Or, des ressortissants français ont été assassinés sur ordre de Pinochet. Ne conviendrait-il pas de demander aux autorités judiciaires et politiques britanniques, dans l'hypothèse où elles ne donneraient pas suite à la requête des juges espagnols, d'extrader Pinochet en France ?

M. Charles Cova - Et Castro ?

M. Jean-Claude Lefort - Une telle démarche honorerait notre pays et répondrait aux attentes des démocrates du monde entier, qui n'acceptent pas qu'un criminel comme Pinochet bénéficie de l'impunité. Ce serait le signe qu'il n'y a plus place pour l'impunité à la veille du troisième millénaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, ministre de la Justice - Nous avons tous en mémoire les terribles événements de septembre 173, la fureur sanguinaire, la chute du palais de la Moneda, la mort du président Allende et les milliers de militants parqués dans des stades, promis à la disparition ou à la mort.

Un député DL - En Sibérie ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme la garde des Sceaux - Hier, l'avocat des familles de trois victimes françaises a saisi la justice française - à bon droit, s'agissant de ressortissants français. Il appartient aux magistrats du siège de décider si, au regard du droit pénal français, un mandat d'arrêt peut être lancé et une demande d'extradition présentée. Si la réponse est positive, il va de soi que je transmettrai celle-ci immédiatement aux autorités britanniques ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Je rappelle que l'extradition entre pays européens est régie par la convention de 1957 et que les autorités britanniques, saisies de demandes provenant d'Espagne et de Suisse, ont la responsabilité de dire si, au regard de leur propre droit interne, il peut y avoir extradition et, si oui, vers quel pays. Cette affaire plaide pour la mise en place rapide d'un tribunal pénal international, compétent pour juger ces crimes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

FONDS STRUCTURELS EUROPÉENS

M. Jacques Rebillard - Les fonds structurels européens, du fait de la rigidité des règlements et des procédures, ne sont utilisés qu'à 60 %, et le programme en cours s'achève à la fin de l'année prochaine. Cette sous-consommation risque d'être un handicap pour notre pays dans la négociation sur les futurs fonds structurels dans le cadre de l'Agenda 2000. Quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour obtenir l'affectation des reliquats au financement d'infrastructures dans les zones rurales fragiles et dans les zone touchées par des reconversions industrielles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Vous posez l'important problème de la sous-exécution des fonds structurels, qui est bien réelle pour l'UE et plus encore pour la France, même si les responsabilités sont partagées entre l'Europe, l'Etat et les collectivités locales. D'ailleurs 40 % de cette sous-exécution portent sur des programmes dont la mise en oeuvre dépend entièrement de la Commission. Le Conseil des ministres du budget a décidé que les engagements de la programmation d'Edinburgh seraient tenus pour 1999. Il appartient maintenant aux différents responsables locaux de tout faire pour que, dans les quatorze mois qui viennent, les besoins dont vous faites état trouvent une réponse, notamment dans les zones rurales fragiles et les zones industrielles.

Pour ce qui est de l'Agenda 2000, les propositions de la Commission sont globalement généreuses, voire un peu trop, mais la France n'a pas à s'en plaindre. En particulier le nouvel objectif II -qui concerne ces zones rurales ou industrielles- devrait permettre la réalisation de nombreux projets en France. Le Gouvernement plaidera pour l'extension de la couverture démographique des 18 % prévus par la Commission à 25 %, ce qui devrait permettre de répondre aux besoins des populations françaises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

ACCIDENTS DU TRAVAIL ET MALADIES PROFESSIONNELLES

Mme Marie-Hélène Aubert - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. En matière de santé comme en d'autres domaines, mieux vaut éviter les dépenses par la prévention, plutôt que tenter de les réduire en restant dans une logique uniquement curative, de plus en plus coûteuse au fil des ans. Aujourd'hui des milliers de personnes sont malades, parfois mortellement, du fait de leur environnement au travail et des substances toxiques avec lesquelles elles sont en contact. Le scandale de l'amiante est toujours là, mais on pourrait citer de nombreux autres produits, comme les éthers de glycol. Le rapport Deniel a mis en lumière une forte sous-évaluation, qu'il évalue à près d'un milliard, dans la prise en compte des maladies professionnelles. Les industries doivent concourir au financement à hauteur des risques qu'elles font courir aux salariés : ainsi seulement les incitera-t-on à prendre les précautions nécessaires. Plutôt que de proposer, comme vous le faites, de réduire les cotisations patronales sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il faudrait refuser que la branche maladie prenne en charge des coûts qui relèvent de la responsabilité des entreprises.

Qu'entendez-vous faire pour qu'enfin le principe de précaution soit mis en oeuvre dans le domaine des risques professionnels, et que les industriels assument toutes leurs obligations dans ce domaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les maladies professionnelles ont doublé entre 1990 et 1996, et je crois qu'elles sont encore sous-estimées. C'est pourquoi le projet de loi de financement propose de rouvrir les délais pour rediscuter les demandes dans ce domaine ; il rouvre tous les dispositifs, par exemple concernant l'amiante ; il accélère les procédures de reconnaissance de ces maladies et améliore leur réparation. Par ailleurs le rapport Deniel a estimé que 900 millions de charges indues pesaient sur la branche maladie du fait des accidents du travail. Aussi, dès cette année, nous avons transféré 900 millions sur la branche maladies professionnelles. Si nous en avons réduit les cotisations, c'est que les accidents du travail ont diminué en 1995 et 1996, ce qui laisse encore 1,3 milliard en excédent pour cette branche. Nous souhaitons en effet poursuivre les études, et pouvoir transférer des moyens si elles en montrent la nécessité.

Le projet de loi de financement permettra d'aller plus loin pour ce qui concerne les maladies professionnelles, et leur reconnaissance, et même d'en compléter les tableaux. J'espère que nous ferons de grands progrès dans les mois qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. d'Aubert.

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président


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LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999..

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. Yves Bur - C'est la troisième fois que nous discutons d'un projet de loi de financement de la Sécurité sociale depuis la révision constitutionnelle du 22 février 1996 voulue par Alain Juppé et par votre prédécesseur Jacques Barrot afin que le Parlement puisse s'exprimer sur les conditions de mise en oeuvre des masses financières très importantes engagées par notre protection sociale. Vous n'avez d'ailleurs pas remis en cause cette réforme courageuse, malgré des déclarations sévères qui ne cachaient en fait que l'absence d'une véritable politique alternative.

M. Bernard Accoyer - C'est très juste.

M. Yves Bur - Tous les Français sont attachés à la Sécurité sociale qui est leur patrimoine commun. Cet attachement ne suffit toutefois pas à assurer sa pérennité. Celle-ci passe par la responsabilisation de chacun visée par la réforme Juppé qui affirmait la responsabilité du politique définissant les grandes orientations de la Sécurité sociale dans la loi de financement, la responsabilité des partenaires sociaux au rôle renforcé, la responsabilité des professionnels de santé pour maîtriser les dépenses sans renoncer à garantir des soins de qualité pour tous, et enfin la responsabilité de tous les Français, informés afin qu'ils se comportent en citoyens responsables et non en consommateurs d'une solidarité considérée comme définitivement acquise. Nous pensons que ces principes de responsabilité sont toujours d'actualité et qu'ils conditionnent le succès de la réforme engagée depuis trois ans.

Lors de la discussion du précédent projet de loi de financement de la Sécurité sociale, vous nous annonciez des réformes rapides modifiant structurellement les conditions de l'équilibre toujours incertain des comptes sociaux. Nous savons à présent que vos annonces mettent du temps à se concrétiser et 1998 aura été, de ce point de vue, une année perdue. Les Français ont également appris que vos réformes ne sont pas aussi indolores que vous l'affirmez. Ainsi, si le basculement des cotisations maladie des salariés vers la CSG engagé par le précédent gouvernement a été achevé par vos soins en 1998, l'extension de la CSG à l'ensemble des revenus du travail et du capital se traduit par un prélèvement accru sur les revenus de l'épargne. Les contribuables qui sont en train de recevoir les avis de recouvrement du Trésor public se rendent compte une fois de plus que votre politique si elle n'avance guère au niveau des réformes relatives à la protection sociale reste toujours aussi gourmande en impôts.

Le taux de CSG a en effet fortement augmenté pour les revenus de l'épargne passant de 3,4 à 7,5 %. Il faut de plus lui ajouter la CRDS à 0,5 % et un prélèvement social supplémentaire de 2 %.

M. Jean-Luc Préel - Les retraités sont lésés !

M. Yves Bur - Tout à fait, des millions de retraités ont pourtant besoin des revenus d'une épargne patiemment accumulée au cours d'une vie de travail, qui représentent un quart du total de leurs revenus, pour compléter leurs pensions.

Ainsi, quand vous affirmiez, Madame la ministre, que ce choix politique permettrait d'abonder le budget de la Sécurité sociale de 25 milliards de francs supplémentaires, bien peu de Français imaginaient qu'ils seraient personnellement concernés.

Aujourd'hui, avec l'arrivée des feuilles d'impôt pour la CSG, ils commencent à comprendre comment la méthode Jospin si "soft" en apparence se traduit finalement comme d'habitude en impôts supplémentaires.

Les autres réformes annoncées l'an dernier sont mises en oeuvre moins rapidement que vos augmentations d'impôts.

Ainsi, la réforme de l'assiette des cotisations employeurs n'a pas avancé malgré l'annonce fait l'an dernier que sa première étape serait intégrée dans la présente loi. Il s'agit là à n'en pas douter d'une réforme structurelle importante pour le financement de la Sécurité sociale mais aussi pour l'emploi qui doit rester la priorité nationale. Nous regrettons pour notre part que la politique que vous mettez en oeuvre privilégie toujours l'emploi public au détriment de l'emploi dans le secteur privé qui doit se contenter des seuls effets de la croissance, pourtant insuffisante pour diminuer de façon importante le chômage comme les statistiques des derniers mois en témoignent et qui reste en outre fragile compte tenu de l'environnement international.

Vous n'avez pas profité de la reprise de la croissance pour engager les réformes structurelles nécessaires pour l'emploi particulièrement en matière de charges sociales. Pourtant une réduction des charges sociales représenterait un réel soutien à l'embauche salariale et l'opposition vous a souvent demandé de poursuivre la baisse des charges patronales que le précédent gouvernement avait fortement diminuées jusqu'à 1,33 fois le SMIC. Or, vous avez fait le contraire en réduisant cet avantage favorable à l'emploi notamment le moins qualifié. Pourtant dans son rapport, Monsieur Malinvaud a réaffirmé que seule une baisse du coût du travail pour les salariés non qualifiés permettrait de faire reculer le chômage dans cette catégorie. Pour le moment, les signaux que votre Gouvernement adresse aux responsables d'entreprises restent néanmoins incohérents.

Ainsi l'article 4 de ce projet permet de proroger pour trois ans l'exonération des cotisations patronales pour l'embauche d'un premier salarié, mais plafonne l'exonération à la fraction de la rémunération égale au SMIC. Pourtant, ce dispositif avait contribué depuis 1989 à la création de 70 000 embauches par an. Le plafonnement n'encourage ni la création d'entreprises, ni l'embauche. D'une manière générale, Madame la ministre, vous ne semblez compter, pour aider l'emploi, que sur la réduction du temps de travail dont les effets restent pourtant très incertains.

Et alors que vous aviez annoncé l'an dernier votre volonté de consolider le régime de retraite par répartition pour se préparer au choc démographique de 2005, l'année 1998 aura été marquée par une grande prudence du Gouvernement, compréhensible compte tenu de l'ampleur du problème et de la résistance de nos concitoyens au changement, mais néanmoins regrettable. Sur la place qu'il convient de faire à la capitalisation, nous constatons cependant une notable évolution du parti dominant de la majorité plurielle qui, à l'instar de M. Charpin, commissaire au Plan, semble enfin convaincu que la capitalisation peut fournir un complément efficace. Mais pour faire face aux défis à venir, il ne suffira pas d'introduire un peu de capitalisation, il faudra aussi avoir le courage de parler des taux de cotisation, de la durée d'activité, de l'âge de la retraite et du montant des pensions. Dans un souci de transparence et d'équité, il conviendra aussi d'aborder la délicate question des régimes spéciaux. Oui, il faudra du courage, comme il en a fallu en 1993 pour prendre les mesures concernant la durée d'activité et de cotisation des salariés du secteur privé. A défaut, nos régimes de retraite risquent d'exploser. Et l'actuel Gouvernement en porterait l'entière responsabilité.

M. Jean-Luc Préel - Une très lourde responsabilité !

M. Yves Bur - Dans le domaine de l'assurance maladie, la loi de financement de la Sécurité sociale prévoyait un objectif national de dépenses de 613 milliards, en évolution de 2,29 %. Ce cadre a été respecté pour l'hôpital public mais pas pour la médecine de ville, ce qui vous a amenée, Madame la ministre, à prendre au début de l'été des mesures brutales de rétorsion, alors que vous aviez auparavant fait preuve d'une inaction regrettable et critiqué le plan que MM. Alain Juppé et Jacques Barrot avaient élaboré dans un contexte difficile (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) et qui devait permettre un retour durable à l'équilibre sans porter atteinte à la qualité des soins. A force de ne rien décider, Madame la ministre, le système s'est à nouveau emballé, comme à chaque fois que la volonté politique faiblit. Votre laxisme du premier semestre est donc largement responsable de la dérive des dépenses.

Vous disiez l'an dernier que vous ne considériez pas "notre système de santé comme une machine à dépenser qu'il faudrait brider de manière autoritaire et centralisée". Vous proposiez donc comme méthode la concertation avec les professionnels.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles - Vous n'êtes pas pour ?

M. Yves Bur - Si, mais en fait de concertation, ils ont eu droit à un dialogue plutôt musclé !

Malgré nos nombreuses mises en garde, vous n'avez réagi que tardivement à la dérive des dépenses en sanctionnant de nombreuses professions, ce qui a porté un rude coup à la confiance qui doit présider aux relations conventionnelles entre les professions de santé et la CNAM.

Les partenaires sociaux en charge de l'assurance maladie ont eux aussi dû constater que leur autonomie était plus que limitée. L'interventionnisme gouvernemental a en effet singulièrement rétréci leur marge de manoeuvre. C'est ainsi que les accords négociés entre la CNAM et la profession dentaire pour maîtriser les dépassements tarifaires sur les actes prothétiques ont été mis à mal par les mesures de blocage que vous avez imposées cet été. Ne vous étonnez donc pas, Madame la ministre, qu'après avoir ironisé sur la mauvaise qualité des relations du précédent gouvernement avec les professions de santé, vous vous retrouviez 17 mois plus tard face à la méfiance de nombreuses organisations professionnelles...

C'est donc dans un contexte incertain que s'engage aujourd'hui la discussion de ce projet. Impatients de découvrir quelles impulsions décisives il allait donner à l'ensemble de la protection sociale, nous constatons que les effets d'annonce contenus dans le rapport annexé cachent mal la pauvreté du projet lui-même, qui est vraiment a minima. Au demeurant, on peut douter de la sincérité de l'équilibre proposé, compte tenu de l'incertitude du niveau de la croissance pour 1999.

Face au défi du vieillissement de la population française, vous vous contentez d'une mesure symbolique : la création d'un fonds de réserve, doté de deux milliards bien dérisoires par rapport aux 300 milliards nécessaires à partir de 2005 pour répondre au besoin de financement des régimes de retraite.

Est-il raisonnable, Madame la ministre, de proposer dès maintenant la création de ce fonds dont personne ne sait comment il sera alimenté et géré ? N'aurait-il pas été plus judicieux d'attendre le compte rendu des travaux demandés au Commissariat au Plan, d'inclure cette création dans un plan global ?

Nous craignons que sa création ne soit en fait que l'amorce d'un choix stratégique que les conclusions du rapport du Commissaire au Plan n'influenceront plus et que votre décision de l'alimenter par un prélèvement de 2 milliards sur la CSSS ne soit que le préalable à des surcotisations, pour les salariés comme pour les entreprises.

Quoi qu'il en soit, les Français devront encore attendre pour être fixés sur les efforts qu'ils auront à accomplir afin de se garantir une retraite décente. Pourtant, 2005, Madame la ministre, c'est déjà demain et rien ne serait plus dangereux que de leur laisser croire que nous avons encore du temps ("Très bien" sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Autre urgence : la mise en oeuvre d'une politique familiale. A nos yeux, en effet, la famille reste au coeur du projet de société et constitue le lieu où l'enfant peut s'épanouir et la solidarité s'exercer. Or votre politique familiale se caractérise par une valse hésitation (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

L'an dernier, vous avez pénalisé de nombreuses familles en soumettant le versement des allocations familiales à condition de ressources. Malgré les interventions des associations familiales, cette décision a touché plus de 8 % des familles en dérogeant au principe fondateur de la politique familiale qui fait de l'enfant -et non du revenu des parents- le fait générateur des allocations familiales. Depuis vous avez dû en revenir au principe fondateur d'universalité des allocations familiales. Votre revirement révèle votre absence de projet véritable. De même vous soumettez les allocations familiales à une inégalité de traitement, puisqu'elles n'augmentent que de 0,7 %, alors que les avantages accordés au titre de la vieillesse et de la solidarité sont en hausse de 1,2 %. Après avoir réformé l'AGED, vous ne proposez rien de nouveau pour la garde des enfants. Les Français ont compris que vous préfériez vous mobiliser en faveur du PACS plutôt que de soutenir une politique familiale ambitieuse, et propice à l'épanouissement de l'enfant. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

L'évolution de l'assurance maladie reste incertaine, tant il paraît assuré que les prévisions de dépense pour la médecine de ville seront dépassées. Cette année a été marquée par la brutalité de vos interventions, au mépris de l'autonomie de la CNAM. Les Français ont cru assister au enième remake de la sécu en crise.

Dans son rapport, la Cour des comptes relève que la mise en oeuvre d'outils de prévision et de gestion performants accuse un retard considérable. Ne nous étonnons donc pas de l'accroissement excessif des dépenses de santé. Les RMO ne rencontrent pas le développement attendu. La nomenclature des actes professionnels n'a jamais été globalement refondue. Or il est impossible d'avoir une connaissance en profondeur des pratiques médicales et de l'économie de santé sans un progrès rapide du codage des actes. L'informatisation des relations entre les caisses et les professions de santé et la diffusion de carte Sésame Vitale sont loin d'atteindre les objectifs espérés. Enfin la formation médicale continue et la réforme des études médicales sont au point mort. Pourtant seuls ces outils permettent de parvenir à une maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

L'attitude du Gouvernement, qui pratique une gestion au coup par coup, a entraîné une détérioration des relations de l'Etat avec la CNAM et les professionnels de santé. Les partenaires sociaux ont subi les diktats du Gouvernement.

La présence dans votre projet de loi d'un mécanisme de sanctions, sous la forme d'un reversement à double détente, ne contribuera pas à apaiser la crise qui vous oppose à tant de professions de santé. La dérive prévisible des dépenses de 1998, et le niveau de dépenses fixé pour 1999, donnent à penser que ce dispositif de sanction sera mis en oeuvre dès l'an prochain. Cette véritable provocation ne favorisera pas l'engagement conventionnel, même si un début d'accord vient d'être annoncé avec un seul syndicat de médecins.

M. Pascal Terrasse - Pas le moindre !

M. Yves Bur - N'aurait-il pas mieux valu faire confiance à la CNAM et aux partenaires conventionnels pour arrêter les conditions d'une vraie maîtrise des dépenses de santé ?

Il est grand temps de clarifier, comme le souligne la Cour des comptes, le partage des responsabilités entre l'Etat et les organismes de sécurité sociale, et de veiller à mieux articuler les objectifs de santé publique et la maîtrise des dépenses. C'est sur la base de cette indispensable confiance, et avec des outils de maîtrise performants et fiables, que les acteurs de la santé pourront prouver leur capacité à assumer la responsabilité que la réforme Juppé a placée au coeur du dispositif.

L'application de la loi sur la réduction du temps de travail aura de lourdes conséquences dans les établissements sanitaires et médico-sociaux privés. Comment dégager des gains supplémentaires de productivité dans un secteur où l'activité est centrée sur le malade, la personne âgée ou handicapée ? De plus, les personnels ne sont pas interchangeables et certaines catégories, comme les anesthésistes, subissent une véritable pénurie. Ces personnels comprennent mal les contraintes résultant de cette loi, d'autant qu'elle ne s'applique qu'au secteur privé, et y entraînera un gel, voire une diminution des salaires.

M. Pascal Terrasse - Ils augmentent de 3,75 % cette année !

M. Yves Bur - Il manquera la cinquième année 3,28 % de la masse salariale, même compte tenu des aides de l'Etat. Les 160 000 salariés de ce secteur attendent des moyens supplémentaires pour passer ce cap difficile.

J'en viens aux motifs qui justifient cette exception d'irrecevabilité ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste). D'abord, nous pouvons nous interroger sur la sincérité et la véracité des comptes de la Sécurité sociale que vous nous présentez. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Vous prévoyez pour 1999 un excédent de 352 millions pour le régime général. Les dérapages de cette année font planer le doute sur cette évaluation, d'autant que vos hypothèses reposent sur une hausse de 2,7 % des recettes et de 1,6 % des dépenses du régime général. Or ces prévisions de recettes reposent sur un taux de croissance bien trop optimiste. La plupart des instituts de prospective tablent sur 2,4 % bien plutôt que sur 2,8 %. De plus, la compensation par l'Etat des exonérations de cotisations sociales n'est que partielle, ce qui entraîne pour la Sécurité sociale un manque à gagner évalué par la Cour des comptes à 16,8 milliards en 1997.

Le remboursement destiné à compenser le coût des 35 heures ne sera assuré en moyenne qu'à 60 %. Pourquoi l'Etat ne respecte-t-il pas l'article L. 131-7 du code de la Sécurité sociale ?

De même, l'évolution attendue de l'ONDAM s'élève à 2,6 %. Or, en raison de la dérive des dépenses constatée au premier semestre, cet objectif, en particulier pour la médecine de ville et les cliniques privées, paraît inaccessible.

Ces remarques fournissent à elles seules un premier moyen d'irrecevabilité.

En deuxième lieu, votre projet de loi est irrecevable pour cause de rupture d'égalité, notamment à l'article 22. En effet, vous souhaitez mettre en place, à l'encontre des professionnels de santé, des sanctions individuelles, mais déclenchées collectivement. Elles sont totalement contraires au principe de l'individualisation établie par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme. Vous méconnaissez aussi l'article 14 de celle-ci, selon lequel "Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée". En outre, il semble que vous confondiez les notions de contribution et de sanction : les professionnels de santé sont déjà appelés à participer à la maîtrise des dépenses de santé à travers le "juste soin" ; mais le reversement collectif frapperait aussi bien les médecins vertueux, alors qu'il faudrait plutôt sanctionner les mauvaises pratiques médicales.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé - Comment ?

M. Yves Bur - Enfin, depuis la réforme de 1996, le Parlement doit se prononcer sur l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale et sur ses objectifs généraux. L'article L.O. 111-6 du code de la Sécurité sociale dispose que "Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale de l'année, y compris les rapports et les annexes mentionnés aux I et II de l'article L.O. 111-4, est déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, au plus tard le 15 octobre ou, si cette date est un jour férié, le premier jour ouvrable qui suit". Le respect de ces délais est indispensable, comme Bruno Bourg-Broc l'avait déjà rappelé l'an dernier.

D'une façon générale, tous les rapports doivent être transmis à temps au Parlement ; or nous n'avons eu connaissance de celui de la Cour des comptes qu'après la presse... D'autre part, il est écrit à l'article 6 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1998 : "Le Gouvernement déposera sur le bureau des Assemblées, avant le 1er août 1998, un rapport analysant les conséquences sur le financement de la Sécurité sociale et sur la situation des entreprises d'une modification de l'assiette des cotisations sociales à la charge des employeurs, notamment appuyée sur la valeur ajoutée. Ce rapport décrira également les incidences d'une telle réforme sur l'emploi". Or nous n'avons pas connaissance de ce document. Une fois de plus, vous avez négligé le droit à l'information du Parlement.

Ce projet est donc contraire à la Constitution et c'est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean le Garrec, président de la commission des affaires sociales - Vous aviez vous-même conscience, Monsieur Bur, que votre argumentation était faible. Je ne vous en ferai pas reproche : nous avons tous utilisé les motions de procédure pour disposer d'un temps de parole...

Vous avez eu raison de parler de l'application des 35 heures dans le secteur médico-social : c'est l'objet d'un véritable débat entre le Gouvernement et les professionnels, que nous suivons attentivement. De même, vous n'avez pas tort en évoquant les retards pris en matière de références médicales opposables, de codification et d'informatisation. La commission des affaires sociales a d'ailleurs mis en place un groupe de travail ; mais ces blocages ne viennent ni du Gouvernement, ni du Parlement.

En ce qui concerne la formation continue, le dispositif de M. Juppé n'a jamais pu être mis en oeuvre : les syndicats médicaux ne se sont pas mis d'accord sur le financement, et la loi ne prévoit ni dispositions transitoires, ni pouvoir réglementaire de substitution... En outre, ce dispositif souffre d'insuffisances qui ont été sanctionnées par le Conseil d'Etat ; il faudra donc modifier la loi, après concertation, dans le cadre du prochain DMOS. Ne nous faites pas de mauvais procès...

Sur la famille : aucun d'entre nous n'est propriétaire des valeurs familiales ; nous les défendons comme vous.

Le succès de la Conférence de la famille de juin a montré que c'était là un cadre de négociation qui permettait de grandes avancées ; ce fut le cas pour l'allocation de rentrée scolaire. Mme Gillot a posé très clairement les problèmes dont nous devrons débattre pour préparer la prochaine conférence.

En ce qui concerne les retraites, un débat important est engagé. Le commissaire au Plan rendra son rapport début 1999. La création d'un fonds de réserve n'est pas un acte symbolique, mais témoigne de la volonté du Gouvernement de prendre en compte l'évolution démographique.

S'agissant de la maîtrise des dépenses, nous mettons en place des mécanismes qui ne s'appliqueront que si les acteurs du système ne se montrent pas capables de le protéger. Nous ne faisons que prolonger un débat initié par M. Evin et poursuivi par M. Teulade, dont je pense que M. Juppé avait tiré quelques leçons. La maîtrise des dépenses n'est pas en contradiction avec la qualité des soins, bien au contraire.

Dans votre for intérieur, vous êtes d'accord avec nous... Ne nous reprochez pas tantôt d'être trop laxistes, tantôt d'en faire trop : nous faisons tout simplement le nécessaire pour pérenniser notre système de protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Bardet - Yves Bur a parfaitement énoncé les quatre points forts de l'exception d'irrecevabilité : un équilibre artificiel, car fondé sur des recettes surestimées et sur des objectifs de dépenses déjà dépassés ; des sanctions collectives inadmissibles car injustes ; la pénalisation des familles (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), à qui vous retirez 6 milliards...

Mme Dominique Gillot, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour la famille - Non : 3,9 !

M. Jean Bardet - ...et n'en restituez que 4,9 ; un fonds de réserve très insuffisant, enfin, au regard de l'ampleur du problème des retraites. Pour toutes ces raisons et pour bien d'autres, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Claude Boulard - J'ai eu le sentiment, en écoutant M. Bur, qu'il manquait singulièrement de mémoire (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ; sans doute est-ce la loi de l'alternance et n'en a-t-il pas le monopole, mais ce n'est pas une raison pour en abuser...

Il paraîtrait, à l'entendre, que nous porterions atteinte au pouvoir d'achat des retraités, mais qui, s'il vous plaît, a soumis les pensions à 1,3 % de CSG en 1993 et à 1,2 % de plus en 1996 ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Qui a assujetti au RDS toutes les retraites, même celles non imposables à l'impôt sur le revenu ? (Mêmes mouvements)

M. Charles de Courson - Il y avait des déficits à combler !

M. Jean-Claude Boulard - L'an dernier, en revanche, lorsque nous avons étendu la CSG, nous avons supprimé la cotisation de maladie des retraités.

M. Charles de Courson - C'est sans doute pour cela qu'ils défilent dans la rue !

M. Jean-Claude Boulard - Quant aux déficits, parlons-en ! Qui diable était au Gouvernement en 1995, lorsque le déficit de la sécurité sociale atteignait 67 milliards ? Et en 1996, lorsqu'il était de 51 milliards ? Et en 1997 - -au premier semestre seulement, j'en conviens, mais assez longtemps pour assurer un déficit de 33 milliards ? Cette année, en revanche, le déficit aura été ramené à 13 milliards, et la simple comparaison des chiffres permettra à nos concitoyens, j'en suis sûr, de constater de quel côté se trouvent la dérive et le déficit, et de quel côté la recherche de l'équilibre ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Sur l'avenir des régimes de retraite, les choses sont claires : nous entendons préserver le régime par répartition, et c'est pourquoi nous remettons en cause la loi Thomas qui les fragilise (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais nous créons un fonds de réserve qui constitue un outil collectif de capitalisation...

M. Charles de Courson - 2 milliards seulement !

M. Jean-Claude Boulard - ...et n'écartons pas la perspective de fonds collectifs à gestion paritaire. Concernant la régulation des dépenses de santé, nous savons qu'il ne faut pas confondre le chiffre d'affaires des professions de santé et la santé des Français (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), dans un pays où, chacun l'admet, il y a plus de 100 milliards de dépenses de santé inutiles (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - Votre temps de parole est écoulé.

M. Jean-Claude Boulard - Si je n'avais été interrompu, j'en aurais déjà terminé. La maîtrise médicalisée des dépenses, l'idée qu'il faut dépenser mieux pour soigner mieux, est au coeur de notre démarche.

M. le Président - Je suis obligé de vous interrompre. Vous n'avez plus la parole (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Boulard - D'une phrase je conclus : parce que le projet recherche l'équilibre, préalable nécessaire aux réformes de demain, le groupe socialiste vote contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - Le groupe UDF votera l'exception d'irrecevabilité, et ce pour trois raisons.

La première est que les recettes, tout comme celles de la loi de finances, sont surestimées. Soyons sérieux : comment l'inflation pourrait-elle atteindre 1,3 % à la fin de l'année, alors qu'elle ne dépasse pas 0,5 % sur les douze derniers mois ? Comment peut-on encore croire que la croissance sera de 2,7 % Quant à la masse salariale, elle subira l'influence de la loi sur les 35 heures, qui est en train de bloquer toute négociation salariale dans de très nombreuses entreprises ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Les objectifs de dépenses sont tout aussi peu réalistes : compte tenu du dérapage de l'assurance-maladie en 1998, l'objectif fixé pour 1999 constitue une baisse ! De deux choses l'une : ou bien vous devrez prendre des mesures d'économie, ou votre texte ne tient pas debout !

Mais le plus grave, c'est l'absence de toute réforme des retraites. Point n'est besoin de commander un nouveau rapport au commissaire au Plan : il y avait déjà l'excellent Livre Blanc de 1990. Le problème, c'est que vous avez défilé avec ceux qui ont empêché M. Juppé de réformer les régimes spéciaux ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Je crains que vous ne deviez manger votre chapeau ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Et quant à la dérive des dépenses de santé, ce ne sont pas les modalités de régulation que vous avez choisies qui vous aideront à y faire face...

Vous avez fait deux grands zigzags : le premier sur les allocations familiales, sur lesquelles vous avez fini par nous donner raison ("Non !" sur les bancs du groupe socialiste), tout en persévérant dans l'erreur, à vouloir récupérer les sommes en question sur les familles à un seul enfant ; le second sur la baisse des charges sociales sur les bas salaires, que M. Strauss-Kahn défendait l'an dernier mais que Mme Aubry refusait, et à laquelle elle s'est heureusement convertie cette année, mais à laquelle M. Strauss-Kahn préfère désormais la baisse de la taxe professionnelle !

Pour toutes ces raisons, nous voterons l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme Muguette Jacquaint - Vous tentez de nous faire croire que le projet serait contraire au préambule de la Constitution. Celui-ci dispose pourtant que la Nation "assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" et "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs". Serait-il contraire à la Constitution de reconduire à 1 600 F l'allocation de rentrée scolaire, de reconnaître le caractère universel des allocations familiales, d'organiser le dépistage des maladies chez l'enfant ou de vouloir réduire l'incidence des pathologies mortelles ?

Ce qui est irrecevable, à mes yeux, c'est votre attitude. Sans doute jugez-vous recevables les mesures du précédent gouvernement tendant à démanteler ce qui fait l'originalité de notre protection sociale, de même que la réforme hospitalière, la hausse de la CSG, la création du CRDS, et j'en passe. Ce qui est recevable, pour vous, c'est de ne pas se préoccuper de la situation des millions de gens qui ne peuvent se soigner correctement. C'est de négliger ceux qui vivent sans couverture sociale. C'est de prendre des mesures de régression sociale ! Vous êtes mal placés pour dire que le gouvernement actuel n'est pas à la hauteur ! Certes il reste des efforts considérables à faire. Mais il est indécent de prétendre que ce projet est irrecevable. Il n'y a pas si longtemps que vous avez essayé de "réformer" la protection sociale : deux millions de personnes sont descendues dans la rue pour vous dire ce qu'elles en pensaient... Vos propos viennent trop tard. Il est temps de débattre de l'avenir de la Sécurité sociale. Nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

M. François Goulard - Je salue nos collègues de gauche qui sont venus nombreux pour le vote sur cette motion : manifestement la leçon du 9 octobre a porté ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Et précisément mon argumentation repose sur le vote de ce jour-là. Nous avons alors adopté l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Mattei. Celui-ci avait démontré que le texte alors en débat portait atteinte à un principe figurant dans le Préambule de 1946, de sorte qu'il fallait le tenir pour irrecevable. Or nous sommes aujourd'hui dans la même situation : le Préambule de 1946 fait obligation au législateur d'assurer à tous les Français une protection sociale -assurance maladie, retraite, allocations familiales. Or le présent projet souffre de lacunes si graves qu'on peut à bon droit considérer qu'il porte atteinte à ce principe constitutionnel. Certes pas immédiatement : demain les retraites continueront d'être payées, les soins d'être remboursés... Mais à terme, par son inaction, son refus de voir la réalité, le Gouvernement menace gravement tout l'édifice de la Sécurité sociale. Nous reviendrons sur ces lacunes dans le débat. Elles sont la raison principale qui nous convainc de voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Réglement.

M. Jean Bardet - Depuis 1996 le Parlement est appelé à voter sur une loi de financement de la Sécurité sociale, et je vois avec plaisir que cette réforme, tant décriée alors par l'actuelle majorité, n'est plus remise en question. Qui plus est, je constate qu'au fil des ans le vote de cette loi revêt une importance croissante, et qu'il constitue désormais un temps fort du travail parlementaire. Il faut rendre hommage à Alain Juppé pour avoir engagé cette réforme, que nul ne conteste plus aujourd'hui. Elle est venue corriger une anomalie fondamentale : un budget au moins égal à celui de l'Etat échappait à tout contrôle parlementaire.

Mais, pour ce troisième projet de loi de financement, le Gouvernement s'est surpassé dans l'absence de projet d'idées fortes, manifestant son immobilisme. D'où notre question préalable. A celle-ci, qui a pour objet de démontrer qu'il n'y a pas lieu de délibérer, on objectera que cette délibération est obligatoire en vertu de la Constitution. J'espère vous convaincre du contraire, et montrer que cette loi n'a pas d'objectifs et ne fait aucune proposition originale : elle se contente d'établir une balance entre recettes et dépenses, sur la base de données économiques d'ailleurs discutables, qui retiennent les seuls fonctionnaires de Bercy alors que tous les organismes d'études les ont revues à la baisse.

Pour la plupart des dispositions de ce projet, un DMOS aurait suffi. Un DMOS socialiste, c'est-à-dire empreint d'irresponsabilité, de sectarisme et d'idéologie (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Exemple d'irresponsabilité : l'absence de mesures pour faire face en 2010-2015 au difficile problème des retraites. Exemple de sectarisme : la taxation, encore et toujours, des industries pharmaceutiques, comme si cette vache à lait était inépuisable. Exemple d'idéologie : le plafonnement de l'avantage fiscal lié au quotient familial, sous couvert du rétablissement des allocations pour tous. Vous contribuez ainsi à la destruction de la famille, que vous voulez entériner par l'institution du PACS.

M. Jean Delobel - Hé, hé, hé !

M. Jean Bardet - Il n'y a pas lieu de délibérer sur ce projet  il faut nous en présenter un autre. Considérons ses différents titres. Le premier concerne les "orientations et objectifs de la politique de santé et de Sécurité sociale" et nous demande d'approuver le rapport annexe. Or celui-ci n'est qu'un catalogue de voeux pieux et de propos lénifiants. Je cite au hasard : "accroître les efforts de prévention des causes de morbidité et de mortalité évitables", "améliorer la sécurité au travail", "moderniser notre système de soins avec les professionnels de santé", "favoriser l'insertion des handicapés"... Qui peut s'opposer à ces bonnes intentions ? Mais aucune proposition n'est chiffrée ! Combien coûtera la prise en charge des centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie ? Le plan de lutte contre l'hépatite C ? L'adaptation du tableau des maladies professionnelles ? Les programmes de dépistage du cancer ? En soi, ce sont de bonnes mesures ; le médecin que je suis les approuve. Mais je suis aussi législateur, et je me demande quel est leur coût, et comment elles s'intégreront dans votre équilibre recettes-dépenses.

Avant d'élaborer ce projet, vous auriez dû relire les bons auteurs. Celui dont j'ai les propos sous les yeux explique que, pour que le Parlement contrôle dans de bonnes conditions les comptes sociaux, il faut une préparation comportant certaines étapes, et notamment la tenue rapide de la Conférence nationale de santé, qui doit aider les pouvoirs publics à fixer les priorités de santé publique et à prendre en compte les évolutions nécessaires du système de soins. Faute d'avoir constitué les conférences régionales, poursuit-il, la conférence nationale n'aura été qu'une grand-messe qui s'est bornée à esquisser des priorités...

L'auteur dont je rappelle ici l'analyse est M. Bartolone, soutenant une question préalable en octobre 1996 contre le projet du gouvernement Juppé. Celui-ci se livrait pour la première fois à l'exercice, qui depuis lors aurait dû être perfectionné. La Conférence nationale de santé se réunit aujourd'hui dans de bonnes conditions. En l'ouvrant au mois de juin, Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez rendu hommage au professeur Ménard, qui a su conduire la démarche de la conférence avec enthousiasme et compétence. Les conférences régionales se sont réunies. Le Haut comité de la santé publique a remis son rapport. Celui-ci, qui ne vous a pas été distribué, identifie trois priorités de santé publique : les inégalités interrégionales, les maladies iatrogènes et le diabète. Aucune n'est mentionnée dans votre projet ni même dans ces annexes.

M. Jean-Michel Dubernard - Rien n'est fait pour réduire les inégalités géographiques !

M. Jean Bardet - Votre projet ne semble gouverné que par des préoccupations comptables. Comme le disait excellemment Claude Bartolone en son temps, vous faites les choses à l'envers en commençant par fixer une enveloppe financière. Il faudrait au contraire d'abord identifier les besoins des Français, ensuite identifier des priorités de santé publique et enfin les financer.

Les dispositions du titre II relatives aux ressources justifient à elles seules le vote de la question préalable si l'on a un minimum d'objectivité.

Vous fixez un objectif de déficit de 13,3 milliards pour cette année et envisagez le retour à l'équilibre pour l'année prochaine. Vous estimez que les excédents atteindront 20,9 milliards en 2001 dont 12,7 pour la branche maladie.

Je suis étonné de tant d'irresponsabilité : comment pouvez-vous faire des prévisions pour 2001 alors que nous ne savons pas quelles seront les situations économique et sanitaire à cette période ? Vous n'êtes pourtant même pas capables de chiffrer les besoins identifiés par le comité national de la santé publique pour 1999 !

Il se peut pourtant qu'en 2001 un vaccin pour le sida ait été découvert. Imaginons qu'il coûte par exemple 1 000 F, ce qui n'est pas déraisonnable, et voilà pour vacciner tous les Français un surcoût de 60 milliards !

M. le Président de la commission des affaires sociales - Vous raisonnez par l'absurde !

M. Jean Bardet - Le renouvellement annuel de ce vaccin pourrait même être nécessaire comme c'est le cas pour celui de la grippe, virus dont la variabilité est comparable à celle du sida. D'autres découvertes sont également envisageables par exemple un vaccin contre le cancer, contre l'ulcère d'estomac dont l'origine infectieuse ne fait plus de doute ou même contre l'infarctus du myocarde.

Comment les financeriez-vous ? Allez-vous comme vous le faites déjà pour la Viagra ou pour le Xenical refuser de rembourser ces médicaments parce qu'ils sont trop coûteux ?

M. le Président de la commission des affaires sociales - Ce n'est pas sérieux !

M. Jean Bardet - Je reviendrai sur ce point. Il est en tout cas clair qu'il n'y a aucune corrélation entre les progrès de la médecine et la croissance du PIB.

Vouloir fixer les dépenses de santé en pourcentage du PIB comme vous le faites ne peut donc aboutir qu'à une maîtrise comptable des dépenses de santé.

Pourquoi parler toujours de déficit de la Sécurité sociale ? Parle-t-on de déficit de l'éducation nationale ?

Le droit à la santé, inventé par la gauche, est une notion que je réprouve. La santé est un état dont on n'est pas responsable. Je préfère donc parler de droit aux soins.

Le projet instaurant une couverture d'assurance maladie universelle est encore dans les cartons. Cela fait pourtant 18 mois que vous êtes revenus au pouvoir, vous auriez donc pu tenir votre promesse électorale qui reprenait d'ailleurs un projet d'Alain Juppé. Il est précisé dans le texte soumis à notre examen que ce projet sera déposé à l'automne mais nous ne savons toujours pas quand ce texte viendra en séance.

Vous manquez d'ambition dans la recherche de l'équilibre financier de la Sécurité sociale. Un livre récent intitulé Sécurité sociale : l'échec et le défi estime pourtant 100 milliards d'économies possibles d'ici janvier 2004. Cet ouvrage n'a pas été écrit par n'importe qui puisque son auteur Gilles Johannet, membre de la Cour des comptes et expert sur les questions de protection sociale du parti socialiste, a été directeur de la CNAM de 1989-1993.

M. Charles de Courson - Hélas !

M. Jean Bardet - La compétence de ce spécialiste ne vous a pourtant pas échappée, Mme le ministre, puisque vous l'avez nommé récemment à nouveau directeur de la CNAM. Cela signifie-t-il que vous entendez mettre en oeuvre son plan qui prévoit notamment le conventionnement sélectif ? Je ne sais s'il permettrait 100 milliards d'économies, mais il aurait au moins le mérite de vous aliéner tout le corps médical, y compris MG France qui a signé cette nuit un accord avec la CNAM 

Le déficit du régime général pour 1998 est contenu à 13,3 milliards grâce à la progression des recettes permise par la croissance et au transfert des cotisations sociales sur la CSG. Il n'y a pas en revanche de véritable maîtrise des dépenses dont la croissance est au contraire inquiétante. Elle s'est en effet élevée à 6,6 % pour les six premiers mois de l'année, ce qui correspond aux hausses que nous avions connues entre 1988 et 1993 et que nous avions ramenées à 2 %.

Le retour à l'équilibre des comptes que vous annoncez pour 1999 repose de plus sur des hypothèses économiques irréalistes puisque votre hypothèse de croissance reste de 2,7 % alors que la plupart des économistes ne s'attendent plus qu'à une croissance de 2,4 %. En outre, vos prévisions ne tiennent pas compte des conséquences de la réduction du temps de travail qui implique pourtant des exonérations de charges, dont un tiers environ ne seront pas compensées par l'Etat, en totale contradiction avec le principe posé par la loi Veil de 1994.

Le titre III porte sur "les dispositions relatives aux dépenses et à la trésorerie" et sa section I sur la famille. Celle-ci est décidément la mal aimée des socialistes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Après la suppression l'année dernière des allocations familiales pour une certaine catégorie d'allocataires, vous les rétablissez, mais en abaissant le quotient familial. Et vous voulez faire croire aux familles que vous avez fait un effort de 780 millions de francs en leur faveur.

Certes, l'abaissement du quotient familial fait réaliser une économie de 3,9 milliards et la suppression de la condition de ressources fait faire une dépense supplémentaire de 4,680 milliards. La différence est donc bien de 780 millions. Mais en 1998 ce sont 6 milliards qui ont été soustraits aux familles.

Imaginez que l'année dernière je vous ai pris 100 francs, et que cette année, en changeant les règles, je vous en rende 80, pourrais-je dire que j'ai fait un effort pour vous ?

Un député socialiste - C'est le système Balladur !

M. Jean Bardet - Par ailleurs le Gouvernement ne revient pas sur les mesures restrictives en matière de garde d'enfant, et de la réduction fiscale pour les emplois à domicile.

Il s'agit bien d'une politique délibérée de destruction de la famille qui, pourtant, reste la cellule fondamentale pour l'épanouissement de nos enfants.

Et, pendant ce temps, vous trouvez 6 milliards pour le PACS.

M. Bernard Accoyer - 8 milliards d'après Bercy !

M. Jean Bardet - Les familles françaises apprécieront.

La section 2, consacrée à la branche maladie, commence plutôt bien puisque l'article 15 tend à faire prendre en charge par l'assurance maladie des actes de dépistage en particulier dans le domaine du cancer. Je ne peux que souscrire à cette volonté !

Cependant, je m'inquiète du fait que les dépenses liées à ces actes n'aient pas été chiffrées. En commission, le rapporteur nous a donné un chiffre, mais je ne sais pas sur quoi il repose. Je m'inquiète aussi qu'à terme l'exécution de certains examens et de tests de dépistage ne puissent plus être réalisés que par certains professionnels et structures conventionnés. Est-ce à dire que, par exemple, le dosage des PSA ou des ACE pourtant prévu dans les RMO ne pourra plus être prescrit par les médecins généralistes ?

En tout cas, après cet article 15 rien ne va plus.

L'article 18 donne une nouvelle mission à l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé consistant à habiliter des médecins évaluateurs en matière de médecine libérale. Cette mission de l'ANAES, créée par l'ordonnance de 1996 relative à l'hôpital, semble sortir de son cadre, d'autant qu'aucune précision n'est donnée quant aux moyens supplémentaires dont disposera l'ANAES. Sans compter qu'à un amendement de l'opposition étendant son rôle aux établissements médico-sociaux, le rapporteur avait opposé la surcharge de travail de l'ANAES.

A l'article 19, le mécanisme d'incitation à la cessation d'activité des médecins (MICA) mis en place par le gouvernement précédent, et qui a rencontré un certain succès, est remis en question à partir du 1er juillet 1999, créant mécontentement et inquiétude parmi les médecins qui avaient l'intention de profiter de cette possibilité.

En effet, déjà par décret le 5 septembre 1998, vous aviez diminué l'allocation du quart de son montant. Maintenant, vous changez carrément la règle du jeu mettant certains médecins qui se sont engagés dans cette voie dans une situation difficile.

En même temps que le Gouvernement impose des restrictions au mécanisme du MICA, il augmente le numerus clausus, alors que le directeur de la CNAM Gilles Johanet déclare qu'il faut le renforcer. Où est la cohérence ?

J'en viens maintenant aux articles qui traitent directement de la régulation des dépenses de santé.

Le Gouvernement utilise les artifices habituels à savoir taxer les médecins, l'industrie pharmaceutique et les usagers en créant une médecine à deux vitesses.

Vous taxez les médecins puisqu'en cas de dérapage en cours d'année, le Gouvernement pourra décider autoritairement d'une baisse du tarif des actes médicaux. C'est la pratique de la lettre-clé flottante, appliquée cet été aux radiologues.

Si malgré cette régulation en cours d'année l'objectif annuel est dépassé de 10 %, une contribution exceptionnelle, proportionnelle au revenu de chaque praticien, sera exigée. Si les dépenses demeurent au-dessous de l'objectif, les excédents alimenteront un fonds de régulation. Ce mécanisme qui tient les médecins pour seuls responsables des dérapages éventuels a le défaut d'être purement comptable. L'opposition doit donc avoir le courage de dire que la "responsabilité collective" ne fait pas partie de ses références et que le système de reversement d'honoraires n'a pas démontré son efficacité.

Si l'ONDAM est dépassé, vous prévoyez aussi, Madame la ministre, de taxer à nouveau l'industrie pharmaceutique, qui a déjà contribué en juillet à hauteur de 1,8 milliard. Si les grandes firmes internationales ont un volant de bénéfices qui leur permet de faire face, il n'en va pas de même de l'industrie française et je crains qu'à trop la saigner, on la tue ou on ne l'incite à se délocaliser. La France dépendrait alors complètement de médicaments importés, aux prix imposés.

Par ailleurs, le projet de loi de financement veut encourager l'utilisation des génériques et à cette fin confère au pharmacien le droit de délivrer un autre produit que celui prescrit par le médecin, à condition qu'il soit identique et moins cher. L'effet escompté est évidemment une baisse de dépenses en médicaments et le concept peut donc à première vue paraître séduisant, mais cette évolution ne se fera-t-elle pas au détriment des laboratoires qui investissent dans la recherche et dans l'innovation ?

D'autres questions se posent : l'usager, qui doit être prévenu de la substitution, aura-t-il le droit de refuser un générique ? Qui alors, du médecin, du pharmacien ou du malade, sera considéré comme responsable d'un éventuel dépassement ? Dans un souci de pharmacovigilance, un amendement de la commission oblige le pharmacien à écrire sur l'ordonnance, en cas de substitution, le nom du médicament délivré. Mais en cas de problème, qui tiendra-t-on pour responsable, le médecin ou le pharmacien ?

Il y avait d'autres solutions, par exemple un système dégressif tenant compte des frais de recherche et faisant qu'au bout de dix ans le prix d'un médicament soit le même que celui d'un générique.

Vous prévoyez aussi, Madame la ministre, de taxer le malade, quoique vous vous vantiez de ne pas faire appel aux vieilles recettes, à savoir augmenter les prélèvements et diminuer les remboursements. Mais n'est-ce pas diminuer les remboursements que de prévoir le non-remboursement de médicaments efficaces et délivrés uniquement sur prescription médicale ? Je pense au Viagra et au Xenical, destinés l'un à lutter contre l'impuissance masculine, l'autre contre l'obésité, qui sont toutes deux des maladies. On ne voit donc pas pourquoi les patients concernés ne seraient pas eux aussi pris en charge, sauf à accepter de s'orienter vers une médecine à deux vitesses.

Ces deux médicaments auront cependant, du fait des consultations induites, un coût indirect sur la Sécurité sociale, que le Secrétaire d'Etat à la santé estime à 500 millions pour le Viagra et qui me paraît de même ordre pour le Xenical, soit donc un total d'un milliard. Or la hausse prévue est pour 1999 de 2,6 %, ce qui, rapporté à l'ONDAM 1998 concernant la médecine de ville -soit 267,5 milliards-, fait 6,955 milliards. Si cette somme est dépassée de 10 %, c'est-à-dire de 699,5 millions, les médecins seront taxés. On voit donc qu'à elle seule, la mise sur le marché de ces deux nouvelles molécules va entraîner automatiquement un dépassement de l'enveloppe.

Alors que l'hospitalisation représente en gros la moitié des dépenses de santé, rien n'est dit sur l'hôpital dans cette loi de financement. Ce vide se comprendrait si aucun problème ne se posait, mais mon expérience ainsi que l'actualité me portent à croire le contraire. Voyez par exemple la grève des anesthésistes, des internes ou des urgences, voyez les différents mouvements de revendication du personnel hospitalier, la lamentable affaire de l'infirmière de Mantes, le scandale de la panne d'électricité de l'hôpital de Lyon.

Les hôpitaux constituent certes une source importante de dépenses, mais il me paraît pour le moins un peu rapide de déclarer comme Gilles Johannet qu'une économie de 45 milliards pourrait être faite sur leur budget, alors qu'ils assurent à la fois une mission de lieu de recours et, à l'enseignement et la recherche, une fonction de pôle d'excellence, alors aussi que 70 % de leurs dépenses relèvent de la masse salariale et sont donc difficilement compressibles.

J'observe d'autre part que la restructuration hospitalière est en panne. Vous avez certes fermé 2 900 lits d'hôpital soit 30 par département, mais il faudrait en fermer 60 000 sur toute la France, c'est-à-dire environ 600 par département.

La seule façon de juger objectivement un hôpital, et donc de décider de son maintien ou de sa fermeture, est de mettre en oeuvre le processus d'évaluation-accréditation qu'avait initié Alain Juppé dans les ordonnances de 1996 sur l'hôpital. Seule manière de rendre transparente l'activité hospitalière, ce processus fournirait une information éclairée aux patients. Or il est resté en sommeil, même si vous venez d'arrêter une liste de 40 établissements à tester d'ici la fin de l'année.

Monsieur le Secrétaire d'Etat, vous déclariez le 29 juin 1997, à propos de l'hôpital de Bitche : "Moins de 200 accouchements par an, ce n'est pas sérieux en termes de sécurité sanitaire et de performances". Mais le 20 novembre suivant vous écriviez : "La directive recommandant de fermer les services dont le taux d'occupation est inférieur à 60 % n'a aucun sens dans l'absolu". Une autre fois, vous avez dit : "300 ? Pourquoi pas 301 ou 299 ?"

M. le Secrétaire d'Etat - C'est donc que j'ai raison !

M. Jean Bardet - Maintenant, vous revenez au seuil de 300 accouchements pour une maternité. Où est la cohérence ?

Les personnels infirmiers et administratifs subissent des conditions de travail de plus en plus pénibles. Alors que le ministre déclare que les restructurations dans les hôpitaux auront lieu à effectifs constants, les incitations au départ volontaire ne sont pas de nature à rassurer. Les grèves des secrétaires médicales, des aides-soignantes et des cadres infirmiers sont éloquentes.

Je me réjouis que vous ayez décidé de revaloriser les traitements des agents hospitaliers passant aux échelles 4 et 5 et de majorer aussi leurs retraites. Mais ces dépenses supplémentaires seront-elles prélevées sur l'enveloppe globale, au détriment d'autres actions.

Les jeunes internes ne comprennent pas qu'un numerus clausus soit imposé à l'entrée en faculté, que l'on incite les médecins de plus de 56 ans à partir en retraite, mais que vous vouliez titulariser 8 000 médecins à diplômes étrangers hors CEE. Les médecins sous-formés et sous-payés mettent gravement en jeu la sécurité des patients.

M. le Secrétaire d'Etat - Ils sont à l'hôpital toutes les nuits !

M. Jean Bardet - C'est vrai ! Il y a un problème humain qui ne doit pas être réglé au prix de la sécurité des patients.

Où en est le statut des praticiens hospitaliers que vous promettiez le 15 mai au Sénat ? Je suis étonné que ni vous, Monsieur le secrétaire d'Etat, ni vous, Monsieur le rapporteur Evin, n'ayez participé au dernier congrès des internes de villes de faculté, les 2 et 3 octobre. Ces internes auraient eu beaucoup de questions à vous poser. Les urgentistes et les anesthésistes attendent eux aussi leur statut.

M. Jean-Michel Dubernard - Les praticiens hospitaliers seront en grève le 2 décembre !

M. Jean Bardet - Le problème douloureux de l'euthanasie ne se pose que par le manque d'éducation des médecins dans ce domaine et par le manque de soins palliatifs. Il s'agit donc d'un problème d'argent et de volonté politique qui n'a pas besoin de loi pour être réglé. Vouloir doubler le nombre de centres de soins palliatifs ne veut rien dire lorsque l'on part de presque rien. Le carnet douleurs pour tous les hospitalisés est un gadget. Donner le droit aux infirmiers de prescrire des antalgiques les investit d'une lourde responsabilité, alors qu'il faudrait étendre les systèmes de délivrance à la demande d'antalgiques pour les opérés et les patients en phase terminale. Qu'avez-vous fait dans ce domaine jusqu'au drame de Mantes-la-Jolie ?

Je suis surpris que vous ayez rejeté les alternatives provisoires et expérimentales à la Sécurité sociale, qui sont autorisées par les ordonnances. Il ne s'agit pas de détruire le système de santé à la française, mais de voir s'il n'est pas possible de faire autrement.

La section 3 porte sur la branche vieillesse. L'incapacité à maîtriser le problème des retraites mettrait en péril, à terme, le mécanisme de répartition et la solvabilité de l'Etat à travers les régimes spéciaux. Le besoin de financement des différents régimes de retraite avoisinerait les 300 milliards en 2015. Cette charge, insupportable budgétairement, risque d'entraîner des anticipations négatives de la part des ménages concernés. La décision du Gouvernement d'indexer les pensions sur les prix fait douter de la viabilité du système de retraites. L'OCDE évalue à 200 % du PIB le montant actualisé des pensions dû par le système de retraites français, au titre des cotisations encaissées, contre 100 % en Allemagne, 100 % en Grande-Bretagne et 43 % aux Etats-Unis. Ces différences s'expliquent par l'absence totale en France de capitalisation ou de réserves, et par des régimes spéciaux offrant des taux de réversion incompatibles avec leur mode de financement. Le Gouvernement élude le grave problème des retraites. La création d'un fonds de réserve sera une mesure virtuelle, puisqu'il sera abondé, à la hauteur insignifiante de 2 milliards, par des excédents hypothétiques.

La section 4 comporte un seul article, qui a trait aux dates de prescription de la déclaration de maladie professionnelle. Il devrait en coûter 150 millions supplémentaires. Bien qu'une baisse de 2,21 % des cotisations d'accidents du travail soit prévue, cette branche sera en augmentation de 2,1 milliards, si bien que la baisse de cotisations aurait pu être plus forte. La section 5 porte sur les objectifs de dépense par branche. Or, pour les dépenses de maladie, maternité, invalidité et décès, le chiffre est totalement arbitraire, faute d'études précises.

A la section 6, l'ONDAM est fixé à 2,6 %. mais ce taux s'applique au montant voté pour 1998, et non pas à celui constaté en fin d'année, de sorte que la hausse prévue en 1999 est déjà en partie absorbée par le dérapage de cette année. S'y ajouteront les dépenses occasionnées par la mise sur le marché de nouvelles molécules non remboursées, par le financement à 100 % du dépistage de maladies mortelles, et par la prise en charge des centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie.

Ce projet reposant sur des recettes surestimées, sur des dépenses non évaluées, sur une logique comptable, sur une pénalisation des familles et sur l'absence coupable de prise en compte du problème des retraites, je vous demande de voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Secrétaire d'Etat - Que de propos contradictoires ! En faisons-nous trop, ou pas assez ?

M. Jean Bardet - Vous ne chiffrez pas !

M. le Secrétaire d'Etat - Vous avez commencé par dire que nous continuions la réforme, et que nous étions dans la bonne voie. C'était sympathique ! Mais vous avez continué en nous accusant d'être sectaires, idéologues et irresponsables.

Les charges des centres d'alcoologie coûtent 120 millions, et figurent dans l'ONDAM. C'est un progrès que vous auriez dû saluer, docteur Bardet ! Le dépistage du cancer, qui a si mal marché, selon que les femmes pouvaient se payer ou non l'examen, coûte 250 millions. Nous allons le mettre en place au bénéfice de tous, pour les femmes qui y avaient accès, mais aussi pour celles qui n'y avaient pas accès.

M. Jean-Luc Préel - Comment y viendront-elles ?

M. le Secrétaire d'Etat - Vous n'avez donc pas lu le projet ? Aucune des deux voies de dépistage ne fonctionnent.

M. Jean-Luc Préel - Ce n'est pas exact !

M. le Secrétaire d'Etat - Cela ne marchait pas, c'est évident, et surtout pour les femmes !

Je reconnais, Monsieur Bardet, à votre décharge, que c'était pour vous un exercice difficile de dire le contraire de ce que vous pensez, d'expliquer pourquoi cela ne va pas marcher alors que vous savez pertinemment que cela va marcher...

Le dépistage des deux cancers féminins n'a jamais été pris en charge de façon satisfaisante dans notre pays. Nous, nous allons assurer un remboursement à 100 %.

L'hépatite C ? 100 millions.

Les lombalgies ? 100 millions.

Vous me dites que je ne tiens pas compte de la conférence de santé ; mais n'avait-elle pas, justement, demandé la prise en charge de l'hépatite C et du cancer ?

M. Jean Bardet - Et le diabète ?

M. le Secrétaire d'Etat - Pour le diabète, nous n'allons pas fonctionner à l'acte : nous allons faire un forfait, ce qui est un meilleur système ! Ne levez pas les yeux au ciel, il ne vous répondra pas ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Quant aux maladies iatrogènes, nous en avons parlé toute l'année.

M. Jean Bardet - Vous parlez tout le temps, mais ce qui compte, c'est la loi !

M. le Secrétaire d'Etat - Essayez donc de lire le projet, avant de le critiquer ! La prise en charge des pathologies que vous évoquez va être assurée à l'intérieur des réseaux.

En ce qui concerne le sida, vous avez demandé comment nous pourrions financer un vaccin. Eh bien, à Abidjan, avec le Président de la République, nous avons pris l'initiative du fonds de solidarité thérapeutique : il s'agit de prendre en charge la trithérapie et de continuer à financer les recherches sur le vaccin.

M. Jean Bardet - Comment financer ?

M. le Secrétaire d'Etat - C'est prévu ! L'Europe elle-même va financer, après que jeudi dernier, ce fonds de solidarité a reçu l'approbation des députés européens. Il faut vraiment tout vous dire ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

En ce qui concerne le Viagra, vous parlez de gâchis. Quelque chose ne vous aura sans doute pas échappé : le remboursement n'était pas demandé. Il reste que ce médicament, qui a été lancé comme on lance une voiture, va entraîner des dépenses de consultation et d'examens complémentaires. En outre, il faut se demander ce que nous ferons si on nous demande le remboursement de médicaments de confort.

On peut faire des économies sur notre consommation médicamenteuse, que le monde entier regarde avec effarement : nous avons défendu à tort pendant des années de petits laboratoires qui fabriquaient des produits inutiles. Il faut demander au comité économique du médicament de déterminer quels sont les médicaments utiles. Monsieur Bardet, vous n'êtes pas sans savoir que la liste de l'OMS en contient 200, alors que nous en avons 9 000...

Sur la croissance : et si vous vous trompiez ? Et si les pays européens ne se trompaient pas ? Nous verrons...

Sur le MICA : le système de préretraite des médecins libéraux défini par le plan Juppé a eu du succès, mais n'avait pas de financement... Le dispositif a donc été abondé. Par ailleurs, nous avons décidé de raisonner en fonction des spécialistes et des répartitions géographiques.

Le Xénical : il fait partie de ces médicaments caractéristiques d'une médecine moderne, pour lesquels il n'y a pas pour le moment de demande de remboursement -mais ce sera peut-être le cas un jour, comme pour la pilule- et qui vont néanmoins coûter cher.

Le projet ne comporterait ni idées fortes, ni objectifs ? Il comporte d'abord de formidables outils ! Un conseil de transparence des statistiques, un fonds d'amélioration de la qualité de la médecine de ville -qui sera certainement aussi utile que le fonds de modernisation de la médecine hospitalière, que vous aviez également critiqué... Vous réclamez un programme de dépistage systématique : c'est exactement ce que nous faisons. Nous proposons un fonds de réserve pour les retraites, nous garantissons le pouvoir d'achat des pensions, nous étendons les allocations familiales aux familles d'un enfant : ce sont des mesures fortes.

Par ailleurs, il est inexact de prétendre que les généralistes ne pourront plus faire de frottis vaginaux. Les frottis réalisés sur toutes les femmes dans le cadre du programme de dépistage seront remboursés à 100 % ; si d'autres frottis apparaissent nécessaires en raison de signes cliniques, ils seront bien entendu remboursés !

Certains de vos propos m'ont irrité, en particulier en ce qui concerne les médecins à diplôme étranger. Dans les hôpitaux périphériques, les hôpitaux des grandes villes, ce sont souvent les médecins étrangers qui sont de garde... Heureusement qu'ils sont là !

M. Jean Bardet - Revalorisez les PH !

M. le Secrétaire d'Etat - Il faut, d'une part, ne pas sous-payer ces étrangers qui tiennent nos hôpitaux, d'autre part leur permettre d'accéder aux postes de praticien hospitalier.

Certains médecins viennent se former en France, d'autres souhaitent s'installer dans notre pays. Il faut, bien sûr, ne pas transiger sur la compétence ; mais ne disons pas qu'ils ne sont pas compétents alors que nous leur confions nos femmes et nos enfants dans nos hôpitaux !
Ces médecins étrangers sont là parce qu'il y avait des postes vacants.

M. Jean Bardet - Revalorisez les PH !

M. le Secrétaire d'Etat - Il ne faut pas les maintenir dans des statuts précaires. Une fois leurs compétences reconnues par leurs pairs, il faut leur permettre l'intégration.

M. Jean Bardet - Je comprends pourquoi vous n'êtes pas allé au congrès des internes...

M. le Secrétaire d'Etat - Enfin, il faut pour l'avenir que la France se dote d'un procédé transparent. Oui aux échanges scientifiques, oui à la venue des médecins.

Quant aux praticiens hospitaliers, nous avons négocié plus de six mois avec eux, urgenciers y compris, une revalorisation de leur statut, afin que les hôpitaux puissent disposer des spécialistes dont ils ont besoin. Nous faisons tout cela et bien d'autres choses encore... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Michel Dubernard - Vous ne serez pas surpris que le groupe RPR vote la question préalable qu'a excellemment défendue M. Bardet... (Sourires) Aux critiques portant sur l'imprécision des prévisions, aucune réponse convaincante n'a été apportée. Quant à l'abaissement du plafond du quotient familial, il revient à reprendre d'une main ce qu'on redonne de l'autre.

En matière d'assurance-maladie, la médecine de ville fait l'objet d'un véritable acharnement - baisse autoritaire des tarifs, modification du mécanisme d'incitation à la cessation d'activité, mode de calcul de l'objectif national de dépenses - tandis que les restructurations hospitalières sont trop timorées pour être source d'économies et de réduction des gaspillages. Parmi les contractuels non européens, il faut distinguer entre ceux qui sont vraiment compétents et ceux qui ne servent qu'à maintenir l'existence d'un petit hôpital local afin de faire plaisir au député-maire ou même à un directeur qui préfère être le premier dans une petite ville que le vingt-septième dans une grande ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

Sur le Viagra, vous n'avez pas compris ce que nous voulions dire : seuls 40 % des cas correspondent à une impuissance guérissable par ce moyen, et il n'y a pas lieu de rembourser ceux qui cherchent simplement à "améliorer leurs performances"...

L'insuffisance du fonds de réserve pour les retraites a été soulignée, et les cotisations d'accidents du travail devraient être abaissées pour soulager les entreprises.

Au total, ce projet manque du souffle qui avait inspiré la réforme Juppé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), que vous ne faites qu'imiter, et ce sans souci de l'humain (Mêmes mouvements), car le mot "malade" n'apparaît nulle part dans le texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Luc Préel - Bien entendu, le groupe UDF votera également la question préalable ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste), qui ne méritait pas une réponse si agressive du secrétaire d'Etat, lequel nous avait habitués à plus de sérénité...

Les prévisions de recettes pèchent par optimisme : 2,7 % de croissance du PIB, voilà qui était plus vraisemblable avant l'été, et 3 % de croissance de la masse salariale, voilà qui risque fort d'être compromis par les 35 heures - merci, madame Aubry ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Les prévisions de dépenses ne sont guère plus réalistes : 2,6 % par rapport aux prévisions, d'ores et déjà dépassées, pour 1998. Quant aux exonérations de charges, elles ne seront compensées, semble-t-il, qu'à 60 %.

M. le Président de la commission - J'ai démontré tout à l'heure que c'était faux !

M. Jean-Luc Préel - Puisse la compensation être intégrale ! L'exemple du RMI n'incite pas à l'optimisme, car l'Etat verse son dû avec retard, et ce sont les organismes qui paient les intérêts !

Le Gouvernement ne prépare ni l'avenir des familles -rien n'est fait pour la garde des enfants ni pour la simplification des 23 prestations existantes- ni celui des retraites (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), alors que le "papy-boom" approche et qu'il faut trouver 150 milliards d'ici à 2005 - sans parler des régimes spéciaux, pour lesquels vous ne proposez rien.

Un député socialiste - Et vous, que proposez-vous ?

M. Jean-Luc Préel - Une caisse de retraite pour les fonctionnaires.

Quant aux médecins, vous leur aviez écrit qu'il n'y aurait pas de sanctions...

Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Jamais de la vie !

M. Jean-Luc Préel - ...après quoi vous avez pris, autoritairement et sans concertation, au mépris de l'autonomie des caisses, des mesures de sanction collective qui constituent un véritable impôt social sur le revenu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Nous sommes pour la responsabilisation, mais par l'incitation à faire usage des bonnes pratiques médicales. Pour toute ces raisons, nous voterons avec plaisir et enthousiasme (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste) la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

M. Gérard Terrier - Affirmer est une chose, convaincre en est une autre. Comme l'a très bien dit le président Le Garrec (Sourires), ces motions de procédure n'ont en fait d'autre objet que d'augmenter le temps de parole de l'opposition : M. Préel nous en a fourni la preuve en s'écartant complètement de la question pour placer les arguments qu'il n'aura pas le temps de défendre dans la discussion générale.

Quant au propos de M. Bardet, il était d'autant plus désobligeant qu'il ne comportait aucune contre-proposition (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il s'est enlisé dans des allégations aussi confuses que contradictoires, reprochant au Gouvernement, tantôt de faire des prévisions pluriannuelles, tantôt de n'en point faire ! Gouverner, c'est prévoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements ironiques sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL), Et prévoir sans prévisions est un exercice qu'il faudra nous expliquer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations et rires sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Le temps me fait défaut pour répondre point par point ; le ministre l'a fait avec la passion et le talent qu'on lui connaît. Mais je ne peux m'expliquer le manque d'objectivité de l'opposition que par ce fait : nous réussissons où elle a échoué ! (Mêmes mouvements) Bien sûr, tout n'est pas réglé, mais les orientations sont saines et propres à garantir la pérennité de notre protection sociale. Débattons, pour enrichir ce bon projet, et rejetons donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Jacqueline Fraysse - Selon nos collègues de droite, il n'y a pas lieu de débattre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale... sauf quand la droite est majoritaire. Et quand elle légifère sur la protection sociale, c'est plus volontiers par ordonnances...

M. Didier Boulaud - Ou avec le 49-3 !

M. Robert Pandraud - Ne vous inquiétez pas, cela va revenir (Sourires)...

Mme Jacqueline Fraysse - Pour nous, ce projet est loin d'être parfait, et c'est justement pourquoi il faut débattre, pour l'améliorer et poser les questions de fond. C'est le rôle de notre Assemblée et le principe de la démocratie. Ce débat doit avoir lieu, car il nous appartient de mettre en oeuvre les changements qu'appelle notre protection sociale, non seulement pour la sauvegarder mais pour la moderniser. Cela implique de trouver de nouveaux financements, pour rééquilibrer les comptes, assurer la qualité des soins pour tous, avancer sur les domaines insuffisamment couverts comme la lunetterie, les soins dentaires ou la prévention. Nos collègues de droite sont-ils gênés par le débat sur les choix financiers nécessaires pour répondre aux besoins de millions de Français ? Il y a trop de problèmes pour ne pas débattre. Notre groupe votera contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Marc Laffineur - Le groupe DL votera la question préalable. Votre projet ne réglera rien. On ne peut faire de réformes sans la participation des professionnels de la santé. Or vous obtiendrez le résultat contraire en adoptant un système de sanctions aveugles (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)... Depuis le début de l'après-midi, la majorité fait de l'obstruction (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF ; exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste) pour que nous ne puissions nous exprimer tranquillement ! Vos sanctions sont aveugles, dis-je : en cas de dépassement de dépenses, tous les médecins seront sanctionnés, même ceux qui auront respecté les objectifs. Vous réduirez aussi les lettres-clés : vous pouvez ainsi changer la règle du jeu tous les six mois. Ne vous attendez donc pas à une participation des médecins à votre réforme.

Sur les retraites, rien de nouveau. On ne réglera jamais ce problème si l'on n'institue pas les fonds de pension. On ne sait d'ailleurs plus très bien ce qu'en pense le Gouvernement, entre le ministre de l'économie qui est plutôt pour, Mme le ministre qui est contre, et le Premier ministre qui ne sait trop que décider. Mais tout le monde sait qu'il faudra le faire un jour. Pour toutes ces raisons, nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-François Mattei - Je concentrerai mon propos sur l'assurance maladie et la question du rôle de l'Etat. Que nous enseigne le passé ? Depuis plus de vingt ans, les difficultés chroniques du budget de l'assurance maladie ont suscité d'innombrables plans dits de sauvetage, presque toujours de nature conjoncturelle. En effet, face à un déficit chronique, il y a classiquement trois solutions possibles. On peut accroître les recettes, en augmentant les cotisations, ou en taxant telle catégorie professionnelle ou telle industrie du secteur de la santé. On peut réduire les dépenses, en accroissant la part du ticket modérateur, ou en déremboursant tels médicaments ou telles thérapeutiques. On peut enfin exercer un strict contrôle sur les dépenses en les enfermant dans un budget contraignant, et appliquer ainsi, quoi qu'on dise, des critères comptables, même si l'on se réfère plus ou moins à des critères dits médicalisés. Politiquement, la maîtrise médicalisée des dépenses est plus facile à faire accepter qu'une maîtrise comptable, mais il faut reconnaître que les résultats en sont peu différents...

L'expérience le montre, nous avons atteint les limites de ces trois méthodes. Notre taux de prélèvements est un des plus élevés du monde industriel -sans que les résultats soient proportionnels- et notre taux de remboursement un des plus faibles. Les divers types de maîtrise n'ont pas donné les résultats espérés. Il est temps de poser de nouvelles questions, au lieu de jouer toujours sur le même registre.

Et la première question à poser est celle du rôle de l'Etat, qui a fait depuis des années la preuve de son inefficacité. Nul ne conteste le progrès formidable, objet de fierté pour notre pays, qu'a constitué il y a un demi-siècle l'invention de la Sécurité sociale. Pourtant ce système semble dépassé, et il est urgent de lui assurer une suite plus adaptée, car les règles du jeu ont changé. Au-delà des seuls travailleurs, ce sont tous les Français qui doivent désormais être couverts face à la maladie et aux aléas de la vie : on ne saurait transiger avec cette impérieuse obligation. Au-delà du monde classique de la maladie, le champ à couvrir s'étend au vieillissement, à la prévention, à la réduction des risques, à l'information et à l'éducation pour la santé... Ainsi s'ajoute au coût des soins classiques tout ce qui concourt au mieux-être, et surtout ce qui relève de la santé publique. Enfin, troisième changement : les nouvelles formes de la concurrence internationale bouleversent le rôle de l'Etat.

A mes yeux, les responsabilités de l'Etat doivent être les suivantes. Tout d'abord, définir les besoins sanitaires de la population. Ensuite, mettre en place une vraie politique de santé publique, en allant beaucoup plus loin qu'aujourd'hui : le rapport du Haut Comité signale, à côté de réelles avancées, de nombreuses zones d'ombre. Troisième mission de l'Etat : définir les budgets nécessaires pour assurer la solidarité nationale envers chaque Français face à la maladie. Quatrième mission, définir les règles de l'assurance maladie : assurance obligatoire pour chaque citoyen, remboursement au premier franc des dépenses engagées, non-sélection des patients, non-discrimination des risques, égalité face aux soins. Cinquième mission : vérifier que ce cadre soit respecté. La dernière enfin est de s'assurer que les professionnels de santé reçoivent une formation adaptée. En bref : définir des objectifs, fixer des règles, s'assurer des résultats.

En revanche l'Etat ne doit plus, comme aujourd'hui, intervenir dans la gestion de l'assurance maladie en situation de quasi-monopole. Il ne s'agit pas là d'une lubie libérale inspirée par quelque mode ! J'ai beaucoup réfléchi à ce problème, en acceptant de me remettre en question au vu des échecs persistants du passé.

A quoi bon s'obstiner dans une voie sans issue ? Pour votre part, vous avez évolué par rapport à vos positions de 1981 et vous admettez désormais qu'il n'est pas du rôle de l'Etat de gérer en situation de monopole les transports aériens ou les télécommunications.

Ecoutez maintenant la Cour des comptes qui dans son dernier rapport au Parlement dénonce l'omniprésence de l'Etat dans la gestion de la protection sociale : en alourdissant les procédures de décision, on retarde la mise en oeuvre des mesures de maîtrise des dépenses. La Cour recommande donc de redéfinir le rôle de la tutelle et de clarifier la répartition des compétences.

Je crois d'ailleurs que nous sommes d'accord là-dessus. Puisque tout le reste a déjà été essayé, pourquoi ne pas introduire, comme d'autres pays l'ont fait, sans s'aligner sur le système américain que je refuse absolument, de la concurrence dans la gestion de l'assurance-maladie ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Les caisses publiques sont en concurrence en Allemagne. Il est parfaitement possible de préserver la solidarité en supprimant le monopole. Ce sont d'ailleurs des pays qui ne sont pas particulièrement libéraux, la Suisse et surtout les Pays-Bas, qui ont mis en place de tels dispositifs.

Le système proposé par Axa...

M. Alain Clary - Nous y voilà !

M. Jean-François Mattei - ...repose sur la fourniture des soins par le payeur. Groupama, qui est un groupe mutualiste, souhaite mettre en place dans cinq départements des réseaux de généralistes organisés dans des groupes de progrès et s'engageant à dépenser moins en échange d'une rémunération supplémentaire.

Pourquoi ne pas conduire une telle expérimentation sans a priori ?

M. Alain Clary - Cela fait penser au conte du Petit chaperon rouge !

M. Jean-François Mattei - Le système actuel n'est pas satisfaisant, il faut le réformer car on ne peut gérer efficacement un budget de 630 milliards.

Il faut de nouvelles règles responsabilisant les acteurs. Je crois d'ailleurs que vous le savez, Madame le ministre, puisque vous avez demandé à ce sujet un rapport au CREPES qui, avec certaines réserves, recommande un fonctionnement plus proche du marché inspiré du système allemand, offrant une alternative crédible à la concurrence entre assureurs privés.

Le plan Juppé a permis des avancées notables comme par exemple le principe du débat annuel au Parlement qui nous réunit aujourd'hui, l'idée de l'assurance-maladie universelle que vous avez reprise à votre compte ou le développement des outils d'évaluation. Il s'est toutefois heurté à l'obstacle majeur que constitue l'opposition des professionnels de la santé. Or aucune réforme de la protection sociale ne peut réussir si elle ne rencontre pas leur adhésion totale (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Depuis 1981, les médecins ont voté systématiquement contre les gouvernements qui leur imposaient des règles contraignantes. Je pourrais vous recommander de poursuivre une politique qui nous promet des lendemains heureux... Mais il serait préférable pour le pays que vous en changiez.

L'Etat ne doit pas négocier les conventions avec les professionnels. Laissons-leur une pleine liberté et la possibilité de choisir les caisses avec lesquelles ils souhaitent travailler.

M. Jean-Marie Le Guen - Et réciproquement !

M. Jean-François Mattei - Ils accepteront ainsi de subir telle ou telle contrainte et seront en outre incités à améliorer leur situation, par exemple par un effort de formation.

Un tel système me paraît la seule alternative viable à une médecine d'Etat encadrant de manière rigide les professionnels. Or notre système de soins doit au contraire gagner en souplesse, et c'est d'ailleurs ce que vous souhaitez par exemple pour le partage des équipements. Il deviendrait ainsi possible de faire tomber les barrières, en particulier entre spécialités, dans le cadre d'une nouvelle organisation plus concurrentielle.

M. Alain Clary - Et les recettes ?

M. Jean-François Mattei - Cela n'implique pas d'aller vers des assurances sociales sélectives : je crois au contraire que l'amélioration de l'efficacité et de l'équité iront de pair.

Je vous rappelle en outre que le Préambule de 1946 qui dispose que la nation garantit à tous la protection de la santé n'impose pas la gestion monopolistique du système de santé mais l'égal accès aux soins, indépendamment des ressources financières, auquel nous sommes tous attachés. C'est en tant qu'opposant responsable que je vous présente une méthode plus efficace pour le garantir (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 25.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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