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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 109ème jour de séance, 279ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 17 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE Mme Nicole CATALA

vice-présidente

          SOMMAIRE :

EPARGNE ET SÉCURITÉ FINANCIÈRE -lecture définitive- 1

DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE 9

La séance est ouverte à quinze heures.


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EPARGNE ET SÉCURITÉ FINANCIÈRE -lecture définitive-

M. le Président - Le Premier ministre demande à l'Assemblée de statuer définitivement, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, sur le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière.

En conséquence l'ordre du jour appelle la discussion de ce projet de loi en lecture définitive.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Ce texte fait partie d'un ensemble destiné à renforcer notre secteur financier. Le Gouvernement a vendu une stratégie à certaines entreprises et privatisé celles qui devaient l'être car des engagements avaient été pris. A ce propos, je remercie M. Balladur d'avoir démontré dans Le Figaro qu'il avait beaucoup plus privatisé que ce gouvernement. Il a ainsi rétabli une vérité souvent malmenée par les journalistes.

Le Gouvernement a aussi, depuis deux ans, le souci de protéger les épargnants. Il a agi pour la réforme des taux réglementés, les PAP, le droit au compte, le surendettement. Ce texte complète cet ensemble de mesures.

En seconde lecture des divergences se sont exprimées à propos notamment de la première partie du texte, sur le versement du produit de cession des parts coopératives au fonds de réserve des retraites, la spécificité des caisses d'épargne, le livret A. La CMP a donc échoué et je vous propose d'adopter le texte voté en seconde lecture par votre Assemblée.

Un excellent travail a été accompli sur les deux parties du texte. S'agissant des caisses d'épargne, les missions d'intérêt général ont été définies plus largement, un tarif préférentiel a été introduit pour l'achat de la première part coopérative, les droits individuels des salariés des caisses d'épargne pour la retraite ont été mieux affirmés. Globalement, on a donné un contenu au pôle financier public.

Le Parlement a non seulement amélioré le texte, il a innové. Ainsi, grâce au sénateur Marini suivi par l'Assemblée, un progrès considérable a été fait en faveur des personnes surendettées. Une autre avancée est la création du fonds de garantie des cautions obligatoires. Conformément au voeu de toute l'Assemblée, à titre exceptionnel le fonds jouera de façon rétroactive sans franchise pour Mutuelle Equipement.

De la même manière, le Gouvernement est prêt à écouter nos observations et suggestions lors du débat d'orientation budgétaire qui va s'ouvrir.

Je remercie enfin les deux rapporteurs, Raymond Douyère et Dominique Baert, grâce auxquels nous avons travaillé dans de bonnes conditions. S'ils le souhaitent ils seront associés à la rédaction des décrets d'application. Pendant cette rédaction je suis tout disposé à entendre vos craintes ou vos suggestions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Raymond Douyère, rapporteur de la commission des finances pour la réforme des caisses d'épargne - La CMP du 26 mai avait échoué.

Le 9 juin le Sénat a rétabli le texte qu'il avait voté en première lecture.

A ce stade de la procédure, l'Assemblée nationale doit se prononcer sur le texte qu'elle a adopté en nouvelle lecture le 1er juin, modifié, le cas échéant, par un ou plusieurs amendements adoptés par le Sénat.

En ce qui concerne la réforme des caisses d'épargne, le Sénat n'a voté que trois articles conformes, sur les 24 qui restaient en discussion. Il a adopté 25 amendements.

Les deux assemblées sont parvenues à un accord sur l'article 6, en ce qui concerne la part du résultat des caisses d'épargne dévolue au "dividende social", l'Assemblée ayant accepté le plafonnement au niveau de la rémunération des sociétaires et investisseurs et le Sénat s'étant rallié au plancher égal au tiers des sommes disponibles, après mise en réserve.

De la même manière, le consensus s'est fait sur la place des caisses d'épargne au sein du capital de la Caisse nationale et les modalités de dévolution des fonds centraux.

Le Sénat n'a introduit qu'une disposition nouvelle, à l'article 4 : la possibilité pour les caisses d'épargne de détenir elles-mêmes jusqu'à 10 % de leur capital sous forme de parts sociales qui ne confèrent aucun droit.

Il a supprimé les sociétés locales d'épargne -SOLE-, l'affectation au fonds de réserve des retraites du produit de la mutualisation des caisses d'épargne, la référence à la spécificité du livret A, l'agrément du président de la Caisse nationale par le ministre chargé de l'économie et les modalités spécifiques d'exercice par les syndicats du droit d'opposition aux accords collectifs.

Il a, en revanche, réintroduit une fixation semestrielle automatique du taux du livret A ainsi que la fixation du capital initial des caisses d'épargne par référence à la moyenne des banques coopératives ou mutualistes, le placement de ces parts sur une période de huit ans et l'interdiction de composer le capital initial de certificats coopératifs d'investissement.

Il y a donc incompatibilité fondamentale entre la volonté du Sénat de banaliser les caisses d'épargne et le souhait de l'Assemblée d'en garantir la spécificité en tant qu'établissements de crédit à but non lucratif au service de l'intérêt général, d'une clientèle familiale et populaire et de l'économie régionale.

Dès lors, la commission des Finances vous propose, en ce qui concerne la première partie, d'adopter définitivement le texte adopté par l'Assemblée en nouvelle lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Dominique Baert, rapporteur de la commission des finances pour le renforcement de la sécurité financière - La sécurité et le renom de la place financière de Paris revêtent, depuis l'entrée en vigueur de la monnaie unique, une importance considérable puisque s'enclenche, sur l'ensemble des places boursières de la Communauté européenne, un mouvement mêlant à la fois la coopération -système de paiement- et la compétition pour attirer les capitaux.

C'est dire l'importance de ce texte sur la sécurité financière, qui a deux objectifs principaux : améliorer le dispositif de protection des consommateurs et assurer une sécurité financière maximale pour les opérateurs sur le territoire français. Pour ce faire, il renforce la surveillance des établissements de crédit, des entreprises d'investissement et des entreprises d'assurance ; met en place un triple mécanisme de garantie afin de protéger les intérêts des clients des établissements de crédit, des entreprises d'assurance et des entreprises d'investissement ; accroît le rôle des autorités administratives de contrôle dans les procédures collectives pour ces entreprises ; réforme profondément les sociétés de crédit foncier.

Au cours de la navette, le Parlement a bien travaillé. Ainsi, le Sénat a inscrit dans notre droit la directive européenne dite "post BCCI" et a contribué à la modernisation de notre marché financier, via par exemple la création de fonds communs de créances à compartiment. Il a aussi jeté les bases d'un progrès significatif en ce qui concerne l'indemnité de remboursement anticipé.

De son côté, l'Assemblée s'est attachée à renforcer les mécanismes de contrôle garantissant la sécurité de notre système financier. Pour les cotisations des adhérents au mécanisme de garantie, elle a cherché l'équité à travers la notion de "risques objectifs". S'agissant des sociétés de crédit foncier, elle a veillé à mieux assurer la sécurité de leur actif. Les conditions de la poursuite de l'activité de la Caisse de refinancement hypothécaire ont été clarifiées.

Mais j'insisterai surtout sur certaines avancées par rapport au projet initial. Nous avons ainsi mis en place un mécanisme de garantie des cautions, de nature d'une part à régler dans les meilleures conditions de justice le drame vécu par les victimes de la faillite de Mutua-Equipement, d'autre part, à combler un vide juridique très dommageable.

Par ailleurs, la création d'un Haut Conseil du secteur financier public et semi-public et la reconnaissance à l'AFECEI de la possibilité d'engager le dialogue social sur toutes questions d'intérêt général intéressant l'ensemble du secteur financier favoriseront la concertation.

Enfin, nous avons fait ensemble un progrès considérable en exonérant d'indemnité de remboursement anticipé les ménages qui doivent rembourser un prêt pour une cause de force majeure, un "accident de la vie". En votant cet article, notre assemblée a su montrer combien elle sait être attentive aux difficultés de vie dans notre société. D'ailleurs, le Sénat n'est pas revenu, en nouvelle lecture, sur ce point.

Le texte que nous avons voté en nouvelle lecture était équilibré. Nous y revenons donc. A ce stade de la procédure, l'Assemblée ne peut apporter au texte qu'elle a voté précédemment que des modifications adoptées par le Sénat. Or, sur les treize articles encore en discussion dans cette seconde partie, beaucoup sont marqués par de vraies divergences politiques avec le Sénat.

C'est pourquoi, en application du troisième alinéa de l'article 114 du Règlement, votre commission vous propose, sur cette seconde partie, d'adopter définitivement le texte adopté par l'Assemblée le 1er juin, en ne retenant que quatre amendements votés par le Sénat. Outre une modification rédactionnelle à l'article 79, deux amendements étendent aux territoires d'outre-mer le cadre géographique autorisé pour la détention de créances par les sociétés de crédit foncier ou le refinancement sur le marché hypothécaire. Et un article additionnel précise que l'établissement de crédit chargé de la gestion des prêts est habilité à agir en justice tant en demande qu'en défense et à exercer toutes voies d'exécution au nom et pour le compte de la société de crédit foncier.

Je vous remercie par avance de votre large approbation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Gilbert Gantier - Au fil des différentes lectures, ce texte révèle enfin son vrai visage. Lors de la présentation de votre projet en première lecture, Monsieur le ministre, vous aviez surtout insisté sur le caractère pragmatique et consensuel que devait revêtir la réforme des caisses d'épargne. Le combat idéologique et politicien n'avait pas sa place, selon vous, s'agissant de la transformation de l'Ecureuil. Manque de chance, vos alliés communistes ne vous ont pas entendu. Ils ont fait de cette réforme une question de principe, demandé que la cohésion idéologique de la majorité se prouve par un peu plus de centralisme, un peu plus d'économie administrée. Etant donné les remous observés au cours des mois et le départ fracassant des députés communistes en pleine commission des finances, il a donc fallu faire des concessions, et de taille, à savoir l'alourdissement des missions d'intérêt général, le plafonnement de l'intérêt servi aux sociétaires, la création du Haut conseil du secteur public... Le débat s'est ainsi progressivement déplacé sur le terrain idéologique. Le Gouvernement n'a plus parlé que pour sa majorité. Le dialogue constructif s'est alors transformé en dialogue de sourds.

Le résultat est un texte en parfaite contradiction avec l'intention initiale qui était de rendre le réseau capable d'attirer des partenaires étrangers et de jouer sur l'effet de taille. L'alignement sur le droit coopératif était censé sortir les caisses d'épargne de leur isolement statutaire et leur permettre des rapprochements. Déjà, le texte initial comportait, par rapport à cet objectif, de nombreuses lacunes, que le groupe DL avait soulignées. Le texte était mal ficelé, trop soucieux de préserver les intérêts de l'Etat, peu soucieux en revanche de ceux des caisses. Et au fil des lectures, les choses se sont aggravées, de sorte qu'on ne sait plus, Monsieur le ministre, quelle réforme vous nous proposez en fait. La vôtre ? Celle de votre majorité plurielle ? Celle réclamée à cor et à cri par le CENCEP ?

On ne sait plus trop bien de quoi l'on parle et le texte multiplie les contradictions à force de compromis.

L'alignement du réseau de l'Ecureuil sur celui du Crédit agricole était censé donner une forme reconnaissable aux éventuels futurs partenaires des caisses. Forme reconnaissable signifie un langage clair : établissement de crédit à caractère lucratif.

Les caisses d'épargne disposaient d'un statut sui generis, parce qu'elles appartenaient à la nation. Désormais, elles appartiendront à des coopérateurs, sous forme de parts sociales. Mais il faudra bien accorder à ces coopérateurs une juste rémunération.

Les caisses vont bel et bien devenir des établissements à but lucratif. Mais surtout, il convient de ne pas en faire état car les profits sont une notion politiquement incorrecte pour la majorité plurielle.

Le texte qui nous arrive en lecture définitive repose donc sur trois contradictions majeures.

La première consiste à adapter les caisses à la concurrence tout en en faisant la banque de l'économie sociale. La pesanteur de leurs missions sociales générait déjà une mauvaise rentabilité des fonds propres anormale étant donné l'étendue du réseau. Désormais, la redéfinition de leurs missions et la façon dont sont répartis les bénéfices constitueront carrément un obstacle. Si les caisses sont des établissements de crédit à but lucratif, pourquoi leur interdire de faire des bénéfices ? Car c'est bien ce qui se passera si on les oblige à financer des projets à caractère environnemental ou à consacrer un tiers de leur résultat au logement social. Jusqu'ici, jamais les caisses n'avaient manqué à leur obligation sociale, qui n'était pourtant pas inscrite dans la loi.

La deuxième contradiction consiste à organiser un sociétariat non rémunérateur tout en espérant attirer des souscripteurs. Que la revente des parts sociales ne donne lieu à aucune spéculation et que la rémunération de sociétaires ne mette en péril la sécurité financière des caisses, nous sommes d'accord, mais refuser aux souscripteurs une rémunération raisonnable de leur apport est contreproductif.

La troisième contradiction consiste à aligner le réseau des caisses d'épargne sur le Crédit agricole tout en voulant les faire entrer dans la mosaïque publique d'un secteur financier résiduel, chapeauté par une énième structure bureaucratique. A quoi sert l'alignement sur le secteur coopératif si l'intervention de souscripteurs ne permet pas de rompre avec la tutelle de l'Etat ? L'agrément du ministre de l'économie, la minorité de blocage de la CDC, la création d'un pôle financier public sont les éléments tangibles de l'omniprésence de l'Etat dans le futur réseau. M. Balligand faisait valoir que la présence de la CDC dans le capital de la future caisse nationale apporterait la garantie d'une banque marquée du triple A. Mais celle-ci pourrait tout à fait se concevoir sans minorité de blocage ! Quant à la création du Haut conseil du secteur public, structure aussi pesante qu'inutile, elle montre bien l'orientation définitive du projet. On ne savait plus trop si la réforme qui nous était proposée était une privatisation déguisée ou une nationalisation rampante. L'idée d'un pôle financier public nous donne la réponse.

Le maintien de sa tutelle n'empêchera pas l'Etat de se servir au passage, puisqu'il compte empocher entre 16 et 18,8 milliards.

En parfaite opposition avec les idées libérales, comme avec l'intention de départ, ce projet comporte par ailleurs de gros handicaps techniques.

Le premier tient à la part du capital mise en souscription. Parce que le ministre entend retirer un peu plus de 18 milliards de l'opération, afin d'abonder le fonds de réserve pour les retraites, les caisses devront, au risque de compromettre leur sécurité financière, placer ces parts en quatre ans seulement. Tout cela s'apparente un peu à un hold-up car, quel que soit le résultat au terme du délai, l'Etat récupérera la somme prévue. Et si des parts restent à souscrire, les caisses payeront la différence...

La contrainte a été allégée en nouvelle lecture par l'adoption d'une clause de rendez-vous, mais je doute que celle-ci soit efficace. La méthode retenue par le Sénat avait le mérite de ne pas être arbitraire, tout en assurant la sécurité financière des caisses.

Deuxième gros handicap technique : les GLE, rebaptisés SOLE. Le rajout de cet interface entre les caisses et les coopérateurs rend le dispositif encore plus complexe, quoique dise le ministre.

Le Sénat avait imaginé ces SOLE, non pour se livrer à un tour de passe-passe, mais pour que les souscripteurs détiennent des parts de caisses d'épargne. Le rapporteur a repris l'expression sans retenir le dispositif et le ministre a alors pu soutenir que la discussion nous aurait permis de reconnaître l'utilité de ces GLE accommodés à la SOLE Douyère, pour oser un mauvais jeu de mots !

M. Jean-Pierre Balligand - Il a déjà été déposé !

M. Gilbert Gantier - Au terme de ce débat, je regrette vivement que le Sénat n'ait pas été entendu. L'échec de la CMP résulte en fait d'un chantage idéologique, exercé par une des composantes de la majorité plurielle. Les caisses d'épargne resteront donc hybrides, écartelées entre l'impératif de rentabilité et l'obligation d'assurer des charges nouvelles. Le Gouvernement a réussi là une belle opération : il va récupérer 18 milliards tout en maintenant les caisses d'épargne dans le giron public. Le ministre a donc bien raison d'affirmer qu'il ne s'agit pas d'une privatisation, mais voilà qui s'appelle un coup de maître. Félicitations ! Reste que les caisses ne sortiront pas indemnes de l'affaire.

Ce texte court et obscur va, à force de sous-entendus, entraîner bon nombre de malentendus. Les communistes et les Verts ont joué aux apprentis sorciers et toutes les attentes vont être déçues par cette réforme pour rien. C'est pourquoi le groupe Démocratie libérale ne votera pas ce projet.

M. Jean-Pierre Balligand - Monsieur Gantier, vous avez commencé en traitant le ministre de représentant du parti bolchevik -quelle réhabilitation pour lui, après les propos tenus à son égard par certains membres de la gauche !- et vous avez conclu en l'assimilant pratiquement à un gentleman-cambrioleur organisant une OPA astucieuse sur les caisses d'épargne. Tout cela n'est guère sérieux, même si c'est plaisant !

Les rapporteurs ont fait de l'excellent travail, la discussion a été approfondie, de sorte que nous avons pu approfondir notre connaissance du dossier et de la situation. Il est clair que l'environnement bancaire français est de plus en plus perturbé et instable. Cela justifiait qu'on privilégie la prudence plutôt que l'aventurisme en ce qui concerne les caisses d'épargne et, s'agissant de l'organisation du système financier, la sécurité plutôt que le seul recours au marché, l'autodiscipline plutôt que l'irresponsabilité.

La concurrence entre les banques ira croissante, comme le prouve l'actualité. Certains s'en réjouissent, d'autres le déplorent mais je note par exemple qu'en Allemagne, les caisses d'épargne sont déjà concurrencées, dans leur secteur d'activité traditionnel, par les banques d'affaires anglo-saxonnes. Il est donc impératif d'assurer au réseau de nos caisses d'épargne une viabilité à long terme compatible avec leur identité.

Cela a été possible pour au moins trois raisons. En premier lieu, tout le monde a admis qu'il fallait conférer aux caisses, un statut juridique de banques coopératives. Cette mutualisation contribuera à leur assurer le rôle de banques de proximité, en faveur des exclus aussi bien que des projets locaux créateurs d'emplois. Nous disposerons ainsi d'un capital-risque de proximité.

Deuxièmement, il était devenu indispensable de réformer le gouvernement d'entreprise des caisses d'épargne en confiant à un chef de réseau, la Caisse nationale, la responsabilité d'arrêter les orientations stratégiques et de veiller à la sécurité financière par un contrôle interne renforcé.

Enfin, on a su trouver un équilibre harmonieux ente le respect de l'identité des caisses, l'efficacité financière et la mutualisation progressive.

Il aurait été très imprudent de priver les caisses d'épargne du livret A : elles en ont besoin pour remplir leurs missions d'intérêt général, mais aussi pour assurer leur équilibre financier pendant la période où elles placeront les parts sociales. Dès lors, il aurait été malvenu d'indexer le taux du livret A sur les taux du marché, sans expertise ni concertation préalable.

Si la mutualisation a été imposée par l'intensification de la concurrence, on n'a pas fait le choix de laisser au marché le soin de fixer les règles du jeu. Bien au contraire, le volet "sécurité financière" du projet hisse notre système au plus haut niveau international pour ce qui est de la prévention, de la coopération entre les régulateurs et de l'autodiscipline de l'ensemble des acteurs financiers. La réforme des sociétés de crédit foncier et la création d'un marché des obligations foncières donneront en outre à nos banques la possibilité d'abaisser leurs coûts de refinancement.

Cette réforme montre donc qu'il est possible de renforcer la banque de proximité tout en respectant les contraintes d'efficacité.

S'agissant du volet "sécurité financière", le projet permet de combler le retard pris par la France en matière de protection des épargnants. La création de fonds de garantie permettra, elle, d'associer l'ensemble des acteurs à la prévention des crises. La socialisation automatique des pertes des banques et des sociétés d'assurances ne sera plus la règle.

Vous ne serez pas surpris que le groupe socialiste vote ce projet, qui démontre qu'on peut emprunter une voie médiane entre le tout-marché et l'économie administrée. Cette loi s'inscrira dans la continuité de la loi de 1984 et des efforts faits pour moderniser et conforter notre système financier. Elle contribuera à coup sûr à soutenir l'action de nos banques et compagnies d'assurances dans un environnement de plus en plus concurrentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Cabal - La seconde lecture a permis quelques avancées, la majorité a pris en compte certaines propositions et le Sénat a lui aussi apporté sa contribution, en particulier au volet "sécurité financière". Nolens volens, un certain consensus s'est dégagé, au moins sur les objectifs -mais moins sur les moyens et sur les textes, ce qui est peut-être regrettable. On peut donc avoir le sentiment que la messe est dite. Votre prêche, Monsieur le ministre, a remis sur le bon chemin des brebis enclines à s'égarer, les unes trouvant l'herbe de votre pâture trop peu rouge, d'autres la souhaitant plus verte... (Sourires) Leurs avis ont été pris en compte, au prix de quelques acrobaties sémantiques plus que de changements de fond. En effet, la constitution d'un grand pôle financier publique peut être acceptée par tous : l'équilibre de notre société suppose un équilibre entre des banques aux statuts divers et il est dès lors légitime que ce pôle, correspondant à certaines missions régaliennes de l'Etat, coexiste avec un secteur totalement ouvert. La question essentielle concerne la place des caisses d'épargne dans ce paysage ; nous regrettons qu'on leur impose des contraintes inutiles, qui vont gêner leur fonctionnement.

Sur la partie concernant la sécurité financière, la discussion parlementaire a abouti à un texte satisfaisant ; il est dommage qu'il ne soit pas dissocié des dispositions relatives aux caisses d'épargne car nous aurions pu le voter.

S'agissant des caisses d'épargne, un service bancaire de qualité suppose l'indépendance des gestionnaires ; or ceux-ci n'auront malheureusement pas la liberté de manoeuvre nécessaire. Par ailleurs, il est indispensable de maintenir le maillage du réseau pour assurer la vocation sociale des caisses d'épargne ; or, sur ce point également, nous avons quelques soucis.

Le personnel des caisses fait souvent l'objet de critiques, qui relèvent pour une part du fantasme et pour une autre d'une hostilité ancienne de Bercy à l'égard des dirigeants des caisses. J'aimerais qu'il n'en soit plus ainsi et que l'on reconnaisse la haute qualité de l'ensemble des personnels.

Enfin, les caisses doivent s'inscrire dans le paysage national et international. Or trois problèmes essentiels demeurent.

Le premier concerne les conditions du dividende social. Nous avons, au cours des navettes, beaucoup discuté pour fixer des normes, des plafonds, des planchers... Laissons donc les caisses d'épargne vivre ! Faisons en sorte qu'elles puissent se gérer de façon indépendante ! Le dirigisme n'est plus de mise.

Le deuxième tient à la complexité des SOLE. Je crains que le système retenu ne serve pas la démocratie locale, mais plutôt des volontés de pouvoir.

Le troisième concerne le partenariat. Je comprends que dans une phase initiale, le seul partenaire soit la Caisse des dépôts ; mais il aurait été préférable d'ouvrir le capital à des partenaires nationaux ou internationaux ; pourquoi différer cette évolution ?

Dans ces conditions, nous maintiendrons notre position antérieure. Cela ne nous empêche pas de souhaiter vivement la réussite de la réforme ; nous y concourrons activement.

M. Jean-Pierre Balligand - Vous êtes pour mais vous votez contre !

M. Christian Cabal - Nous comptons sur le président du directoire et sur le président du conseil de surveillance pour mener cette réforme à bien, dans l'intérêt des déposants comme des personnels (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. Yves Cochet - Assistons-nous à la transformation du capitalisme français traditionnel en capitalisme anglo-saxon ? Oui et non.

Mme Nicole Bricq - Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée !

M. Yves Cochet - C'est plus compliqué que cela...

L'étape actuelle consiste à faire passer l'épargne publique vers le privé, mais un privé sous surveillance publique. Déjà, diverses privatisations partielles ou totales ont eu lieu dans le secteur bancaire ; aujourd'hui, on nous demande de transformer les caisses d'épargne en coopératives. Figurez-vous, Monsieur le ministre, que nous y sommes favorables...

Votre projet sort grandement amélioré des navettes parlementaires.

On peut comprendre qu'il faille fixer un objectif de rentabilité à l'ensemble du réseau, par la "mise en cohérence" des différentes caisses régionales. On peut comprendre aussi qu'il faille améliorer le retour sur fonds propres ; cependant, comme l'avait souligné M. Balligand en deuxième lecture, il ne faudrait pas viser 16 % comme la BNP...

Je veux saluer les ajouts qui ont été opérés, et notamment la reconnaissance de la protection de l'environnement parmi les missions d'intérêt général. Cependant, à l'article 6, j'aurais été partisan du système des trois tiers : un tiers pour la réserve, un tiers pour les sociétaires, un tiers pour le financement des projets locaux. Je me félicite également qu'on ait mentionné le rôle des caisses d'épargne en matière de lutte contre l'exclusion bancaire.

Néanmoins, je regrette que certaines dispositions sociales manquent encore à ce texte. En particulier, ne pas avoir intégré les associations relevant de l'économie locale, sociale ou de la protection de l'environnement et du développement durable me paraît être une erreur.

Cela n'empêchera pas les députés Verts de voter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Vila - Le groupe communiste s'est dit, dès le début de cette discussion, inquiet des conséquences d'un projet qui, sous couvert de modernisation des caisses d'épargne, pourrait conduire à leur démantèlement.

Le réseau des caisses d'épargne à but non lucratif sera-t-il remis en cause, ou sa spécificité sera-t-elle préservée ? Allons-nous abandonner ses missions d'utilité publique ou les affirmer ? Ne va-t-on pas porter atteinte aux acquis des personnels, à leurs compétences au service des clients les plus modestes et du logement social ?

L'adoption d'amendements que nous avions déposés a permis d'avancer sur ces différents points, notamment avec la création d'un Haut conseil du secteur financier public et semi-public.

Il faut réorienter le crédit vers l'emploi, la formation et la valeur ajoutée sociale.

Nos amendements auront permis de confirmer la spécificité des caisses d'épargne et du livret A, instrument essentiel du financement du logement social et de la protection de l'épargne populaire, d'instaurer le principe "un sociétaire égale une voix", de préciser et d'étendre les missions d'intérêt général des caisses d'épargne.

Il nous reste cependant quelques inquiétudes concernant les suppressions de succursales, notamment en Rhône-Alpes, en zone urbaine sensible et en zone rurale, ou encore la préservation des droits sociaux acquis. A la réflexion, nous nous interrogeons sur la rédaction de l'article 17 adoptée par l'Assemblée. Les droits à la retraite des salariés ne risquent-ils pas de perdre leur spécificité ? L'ensemble des syndicats des caisses d'épargne ont fait valoir que ces dispositions affaibliraient considérablement leurs capacité de négociation. Nous souhaiterions, Monsieur le ministre, des précisions à ce sujet.

Comme les salariés, nous resterons vigilants. L'application de ce texte doit permettre de prendre en compte les aspirations des petits épargnants et des salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Jegou - Au terme de cette troisième lecture, on pouvait penser que les discussions étaient terminées et que ce texte ne changerait plus. Or l'intervention de l'orateur précédent peut faire craindre le contraire. En tout état de cause, nous souhaitons le statu quo : il ne faut pas aggraver un texte déjà perverti par une part de la majorité plurielle...

M. Jean Vila - Amélioré !

M. Jean-Jacques Jegou - Nous approuvons la transformation des caisses d'épargne en société coopérative. Cependant, quoi qu'en pensent les communistes, il ne s'agit ni de créer une grande banque du coeur, ni de créer un grand pôle public bancaire -tout cela est d'un autre âge (Protestations sur les bancs du groupe communiste). Il s'agit de faire entrer cette vieille institution dans le monde bancaire ouvert de demain.

Cela étant, si quelques erreurs ont été corrigées lors de notre dernière lecture, un oubli de taille subsiste. Il ne tient aujourd'hui qu'au Gouvernement de le réparer et d'en revenir à votre idée de départ, Monsieur le ministre, à laquelle vous avez renoncé pour des questions de majorité. Je parle de l'article 37.

L'article premier n'a en soi plus beaucoup d'utilité, se limitant à un chapelet de bonnes intentions en dehors de réelles contraintes. Le reste du texte rééquilibre heureusement cet article.

Sans rouvrir le débat sur les SOLE, je regretterai une dernière fois la création de ces structures lourdes et inutiles, contrevenant aux dispositions des lois de 1947 et de 1966, contraires aussi à l'intérêt des coopérateurs. J'espère néanmoins que sera maintenu le régime fiscal entre les SOLE et les caisses d'épargne adopté la dernière fois à l'Assemblée.

Les sénateurs ont tenté de rétablir le dispositif concernant les taux administrés, et je le ferai aussi. Le mécanisme actuel est en effet inadapté. Il ne s'agit pas de banaliser le livret A, qui doit conserver ses spécificités, l'article premier le rappellera. Le mécanisme prévu par le Sénat permettrait d'adapter les taux à la conjoncture, tout en évitant au Gouvernement, quel qu'il soit, d'être tenté de politiser la gestion de cette épargne.

Un problème subsiste : le financement des projets d'économie locale et sociale. Celui-ci videra lentement mais sûrement les caisses de l'Ecureuil. Malheureusement, là encore, l'idéologie l'a emporté sur l'intérêt général, au détriment même des caisses d'épargne qui doivent être des banques de proximité, notamment pour les PME.

Le dispositif proposé eût pu être mieux préparé, mieux adapté à la concurrence actuelle dans le monde bancaire. Ce texte constitue cependant un premier pas.

Sa seconde partie, relative à la sécurité financière, n'est pas moins importante que la première. Elle prépare, de façon satisfaisante, l'avenir de notre système bancaire et financier, et de la place de Paris.

En seconde lecture, j'avais pointé deux défauts essentiels. L'un avait trait aux indemnités de remboursements anticipés, l'autre à la rémunération des coopérateurs. Le premier a été réparé par l'adoption de mon amendement réduisant le champ d'application de l'article 64 bis introduit par le Sénat.

Reste la question de l'article 37, que l'Assemblée n'avait pas voulu rétablir, d'ailleurs suivie par le Sénat. J'insiste sur ce point.

Il faut permettre au mouvement coopératif d'évoluer. Je sais que vous le souhaitez mais que là encore, des questions de majorité ont joué. J'espère que nous aurons bientôt l'occasion de revoir ce texte.

M. Jean Vila - Il faudra changer de majorité !

M. Jean-Jacques Jegou - Le débat sur la contribution des institutions financières n'est toujours pas à l'ordre du jour, ce que je regrette. Mais l'heure de l'Europe sonnera bientôt et nous obligera à évoluer (Interruptions sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

La question du Crédit foncier va enfin pouvoir être réglée, cela n'avait que trop tardé. J'en suis soulagé.

Au total, ce texte, très attendu, ne sera ni aussi bon que nous le souhaitions ni aussi mauvais que nous le redoutions. Il permettra aux 40 000 salariés d'évoluer dans le sens de l'avenir -que nous leur devons. N'oublions pas non plus que le Crédit foncier a failli être liquidé !

Cela dit, le dispositif mis en place n'est pas réellement gérable, certains objectifs étant contradictoires. Cette réforme des caisses d'épargne laisse penser qu'il y en aura une autre, sûrement plus rapidement que prévu...

Celle-ci sauvegarde cependant au minimum les caisses et permettra au monde bancaire d'évoluer, même si c'est de façon incomplète. C'est pourquoi le groupe UDF s'abstiendra sur ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

La discussion générale est close.

M. le Ministre - M. Vila a exprimé des craintes sur l'amendement à l'article 17 voté à l'initiative de son groupe. Je tiens à le rassurer. Il n'y a aucun recul en matière sociale, sinon le Gouvernement s'y serait opposé. Il faut au contraire espérer que, contrairement à ce qui s'est passé ces six dernières années, des accords pourront être signés. La négociation en cours sur les retraites ne sera en rien modifiée et les droits individuels acquis seront intégralement maintenus. Il s'agit simplement, conformément au souhait de tous les partenaires, de faciliter l'entrée du régime de retraite des caisses d'épargne dans l'ARCCO et l'AGIRC. Il appartiendra aux partenaires sociaux d'en débattre. L'Etat ni le législateur n'ont a priori à intervenir mais je suis convaincu que cette entrée se fera dans de bonnes conditions.

Mme la Présidente - La commission mixte paritaire n'étant pas parvenue à l'adoption d'un texte commun, l'Assemblée est appelée à se prononcer sur le dernier texte voté par elle.

J'appelle l'Assemblée à statuer d'abord sur les amendements dont je suis saisie. Ceux-ci, conformément aux articles 45, alinéa 4, de la Constitution, et 114, alinéa 3, du Règlement reprennent des amendements adoptés par le Sénat au cours de la nouvelle lecture à laquelle il a procédé.

M. Jean-Jacques Jegou - Mon amendement 1 corrigé tend à rétablir le dispositif proposé par le Sénat s'agissant des taux administrés. Le mécanisme actuel n'est pas satisfaisant. Il s'agit de le rendre plus souple et de l'éloigner des considérations politiques.

M. Raymond Douyère, rapporteur - La commission a rejeté cet amendement, estimant que le dispositif du Sénat introduirait des rigidités et limiterait la marge de manoeuvre du ministre, qui doit être libre de modifier ou non ces taux, au moment qu'il juge opportun.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Raymond Douyère, rapporteur - L'amendement 3 de la commission vise à reprendre une disposition présentée par le groupe socialiste du Sénat et adoptée par la Haute Assemblée.

Dans le projet initial, la Fédération nationale des caisses d'épargne et de prévoyance était dirigée par deux membres du COS, dont le président de ce conseil, et par le président du directoire. L'Assemblée nationale avait préféré une composition paritaire, ne retenant que le président du COS et celui du directoire. Après mûre réflexion, nous souhaitons comme le Sénat en revenir au dispositif originel, de manière à renforcer le poids des sociétaires.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - Mon amendement 2 vise à remplacer, à l'article 31 de la loi du 24 janvier 1984, le mot "délibérative" par le mot "consultative", cet adjectif s'appliquant à la voix dont disposent les organisations professionnelles et les organismes centraux au sein du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement.

M. Dominique Baert, rapporteur - Avis défavorable. M. Jegou reprend une disposition du Sénat contraire à la rédaction que l'Assemblée avait adoptée en première lecture et que les sénateurs avaient d'abord approuvée, avant de changer d'avis en deuxième lecture.

Le président du directoire siégera au CECEI. Voulez-vous que la profession lui donne un commissaire politique ? Nous préférons quant à nous le responsabiliser.

L'amendement 2, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Dominique Baert, rapporteur - L'amendement 4 de la commission vise à étendre aux TOM le dispositif de l'article 62. Pour des raisons de procédure, cette mesure, suggérée par un collègue des TOM, n'a pu être défendue plus tôt à l'Assemblée.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Dominique Baert, rapporteur - L'amendement 5 de la commission vise à donner à l'établissement de crédit chargé de la gestion des prêts la capacité d'ester en justice. Il faut maintenir cet ajout du Sénat.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Dominique Baert, rapporteur - L'amendement 6 de la commission est semblable à l'amendement 4, relatif aux TOM.

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Dominique Baert, rapporteur - L'amendement 7 de la commission est rédactionnel. Il reprend une modification du Sénat, qui a préféré le mot "révision" à celui de "révisabilité".

Plusieurs députés - Il a eu raison !

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - Conformément à l'article 114 du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet résultant du texte voté par l'Assemblée en nouvelle lecture et modifié par les amendements qui viennent d'être adoptés.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - Je suspends la séance à la demande du Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures 20, est reprise à 16 heures 40.


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DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement et le débat d'orientation budgétaire.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Ce débat, dont je me réjouis, porte bien sur des orientations. Qu'on ne s'attende donc pas à je ne sais quels "scoops" alors que les arbitrages ne font que commencer. Le Gouvernement fait une déclaration, mais c'est aussi pour lui l'occasion d'écouter ce que majorité et opposition souhaitent lui dire.

Notre stratégie économique poursuit trois priorités : la croissance, la croissance et la croissance ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement et la majorité sont attachés sinon à une tradition productiviste, du moins à fonder l'avenir sur le secteur productif. Nous sommes convaincus qu'elle est la condition d'une politique d'emploi et de pouvoir d'achat. Sans croissance, on ne peut réaliser un ensemble de réformes -les 35 heures ou la baisse des charges sociales sur le travail non qualifié- pour lutter contre le chômage.

Pour certains, la croissance est une donnée, à laquelle on ne peut pas grand chose. La France serait ballottée sur la vague de la mondialisation. C'est là une vision réductrice. La croissance doit être un objectif. Certes, l'environnement international joue. Mais notre devoir est d'orienter les politiques européennes vers la croissance, et d'agir pour que notre croissance soit meilleure que dans le passé et supérieure à celle de nos voisins.

Justement, depuis l'été 1997, la croissance française est plus forte qu'avant et plus forte d'un point que celle du Royaume-Uni et de l'Allemagne, plus forte de deux points que celle de l'Italie. Certes, l'Espagne et l'Irlande font mieux. Mais ces pays partaient de plus bas et devaient rattraper leur retard. Mais si l'on s'en tient aux quatre pays qui assurent 75 % du PIB de l'Union européenne, la France se détache en 1998. Ce sera encore le cas en 1999. Nous verrons en 2000.

S'il est satisfaisant d'être en tête, je préférerais pourtant que la croissance de nos grands voisins soit plus forte car elle soutiendrait la nôtre et nous permettrait de créer des emplois. On ne peut se réjouir d'une perspective de croissance de 1 % ou 1,5 % au Royaume-Uni ou en Allemagne.

Ce bon résultat français, nous le devons à une politique économique adaptée à nos besoins et à la confiance que le Premier ministre a su rétablir, tant chez les consommateurs que chez les chefs d'entreprise. Car en dépit de certains mouvements dans les organismes qui les représentent, les enquêtes effectuées mois après mois montrent, en particulier chez les PME, un niveau de confiance inégalé depuis une dizaine d'années. Fondée sur la demande interne, la croissance est désormais plus à l'abri des aléas internationaux.

Le triangle d'or des finances publiques sur lequel elle repose peut se résumer ainsi : veiller à la stabilité en francs constants des dépenses de l'Etat, tout en finançant nos priorités ; réformer la fiscalité sans augmenter les prélèvements obligatoires ; réduire graduellement le déficit sans nuire à la croissance, de façon à inverser la spirale de la dette -ce sera le cas en 2000.

Je voudrais maintenant insister sur un point de méthode. Nous expérimentons pour la deuxième fois la procédure du débat d'orientation budgétaire. Nouvelle, cette procédure est donc perfectible. Et je pense qu'elle s'est déjà améliorée depuis l'an dernier. Les béotiens penseront peut-être que les documents distribués sont simplement allégés mais les spécialistes que vous êtes ne manqueront pas de remarquer que les informations qu'ils contiennent sont plus lisibles, en particulier s'agissant des relations entre l'Etat, les collectivités locales, l'Union européenne, la Sécurité sociale.

Jusqu'à présent, le débat d'orientation budgétaire servait plutôt au Gouvernement à dire comment il voyait la loi de finances à venir. Mais à ce stade de la procédure, les arbitrages ne sont pas rendus et on ne peut en réalité pas dire grand-chose. M. Sautter et moi avons donc choisi de parler aussi des gestions écoulées, afin d'en tirer les enseignements. Nous disposons pour ce faire de la loi de règlement pour 1997, dont nous allons débattre tout à l'heure, du rapport de la Cour des comptes sur 1998, du programme pluriannuel des finances publiques que le Gouvernement a déposé à la fin de l'an dernier auprès des Communautés, bref de tout un ensemble à la fois rétrospectif et prospectif.

Le contexte aussi a changé car depuis le début de l'année, l'euro est notre monnaie et cela change la façon dont se prépare un budget. La coordination des politiques budgétaires constitue en effet un élément important de la gestion de la monnaie commune.

Malgré toutes ces nouveautés, ce débat d'orientation budgétaire est marqué par une assez grande continuité. Celle-ci tient à une fidélité à la parole donnée dont je prendrai trois exemples.

Quand nous avons présenté la loi de finances pour 1998, nous avons annoncé un objectif de 200 000 créations d'emplois et de 1,2 % de pouvoir d'achat. Le résultat a été 300 000 emplois créés et 2,5 % de pouvoir d'achat supplémentaire par tête. L'accroissement du pouvoir d'achat individuel combiné à celui du nombre de salariés fait que le pouvoir d'achat de la masse salariale a en réalité progressé de 3,4 %, soit, à un dixième près, autant que la somme des gains de pouvoir d'achat entre 1993 et 1997 !

J'ajoute qu'en 1998 comme en 1999, la dégradation du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits s'est arrêtée, ce qui est fondamental pour retrouver une croissance forte.

Deuxième exemple de fidélité à la parole donnée : nous avons respecté en 1997, 1998 et 1999 l'objectif que nous nous étions fixés concernant la réduction des déficits. En 1999, c'est même la France qui a fait le mieux, sur les onze pays de l'euro. Vous me direz : elle partait de plus haut. C'est vrai dans une certaine mesure, encore qu'une telle remarque revient pour nos prédécesseurs à s'accuser de leurs propres turpitudes, mais pas tant que cela car en 1999, le niveau de départ du déficit était très voisin pour l'Allemagne et pour la France. Et nous l'avons ensuite beaucoup plus réduit qu'elle.

Certains diront aussi que c'est bien, certes, mais que si la croissance disparaît, le retournement de conjoncture n'en sera que plus douloureux. Outre qu'il ne faut pas parier sur un tel retournement de conjoncture -c'est même toute la différence entre une politique volontariste et une politique au fil de l'eau-, je dirai à ces détracteurs potentiels -puisqu'ils ne se sont pas encore exprimés- de se référer alors à ce que l'on appelle le déficit structurel, c'est-à-dire débarrassé des effets de la croissance et de la conjoncture. Or le FMI, qui n'est en général pas tendre envers nous, note qu'en 1999, le déficit structurel de la France a baissé de 0,5 point, ce qui est la plus forte baisse de la zone euro. Que l'on considère donc le déficit absolu ou structurel, la France a bien été en 1999 le meilleur élève de la classe européenne. J'aimerais que chacun s'en réjouisse, car cela n'arrive pas si souvent.

Nous nous étions fixés des objectifs ambitieux et nous les avons respectés. Objectif pour 1997 : 3 % de déficit. Résultat : 3 %, alors même que l'audit des comptes publics réalisé en juillet 1997 les situait sur une pente comprise entre 3,5 % et 3,7 %. Contre toute attente, nous avons donc atteint l'objectif voté par la précédente majorité.

Objectif pour 1998 : 3 %, et ce sans la soulte de France Télécom. Résultat : 2,9 %, et même 2,7 %, selon la nouvelle base. Objectif pour 1999 : 2,3 %. Je vous confirme qu'il sera tenu, voire dépassé.

Voilà donc trois budgets dont l'exécution aura été conforme aux objectifs annoncés.

Troisième exemple de fidélité à la parole donnée : nous avions dit que nous voulions rééquilibrer fiscalité du travail et du capital, et nous l'avons fait. En effet, le rapport du Conseil des impôts montre que le total du prélèvement social sur les revenus du capital -à l'exception de l'épargne populaire- a été porté de 3,9 % à 10 %. La fiscalité de l'assurance vie a été durcie puisque ce produit n'est plus totalement exonéré d'impôt sur le revenu et de droits de succession -sauf quand il sert à financer l'innovation. Le seuil d'exonération des plus-values boursières a été ramené en 1998 de 100 000 F à 50 000 F -rappelons qu'il se situait à 350 000 F il y a trois ans. En outre, le taux afférent à ces plus-values boursières est passé de 20,9 à 26 % et toutes les plus-values des entreprises sont imposées désormais au taux normal de l'impôt sur les sociétés, hormis les seuls brevets et titres de participation. Entre 1997 et 1998, le prélèvement sur les revenus du capital a ainsi crû de 20 milliards.

Avons-nous, dans le même temps, allégé les prélèvements sur les salaires ? La réponse est à nouveau affirmative. Le transfert de CSG, en supprimant des cotisations d'assurance-maladie a entraîné une augmentation de 1,1 % du pouvoir d'achat des salariés.

Le Conseil des impôts a jugé cette évolution justifiée, et a estimé que la fiscalité sur les revenus du capital avait été portée à un niveau souhaitable, appelant simplement à la stabiliser. C'est aussi l'avis du Gouvernement : ayant fait ce qu'il avait dit, il n'a pas l'intention d'aller plus loin.

Nous avions également annoncé que nous allégerions l'impôt des ménages modestes et moyens : nous avons commencé de le faire. En deux ans, la TVA a été abaissée de 13 milliards et nous avons rétabli le dégrèvement sur la taxe d'habitation supprimé en 1996 par le gouvernement Juppé -ce dont 800 000 familles ont bénénéficié en 1998. Au total, l'impôt payé par les 10 % des ménages le plus fortunés -le dixième décile- a augmenté de 12 milliards tandis que celui de tous les autres diminuait de 7 milliards. Ce mouvement doit certes être poursuivi, mais le rééquilibrage est incontestablement en cours.

Notre programme mentionnait également une réforme de l'assiette de la taxe professionnelle : en cinq ans, la part de cet impôt pesant sur le travail sera totalement supprimée ! Dès cette année, ce sont plus de 800 000 entreprises qui bénéficieront de la mesure dans son intégralité, soit les trois quarts des entreprises redevables de la taxe professionnelle. En 2000, 200 000 autres seront concernées et, au bout de cinq ans, toutes le seront. Mais la mesure, appliquée en totalité ou en partie, est d'ores et déjà sensible pour environ 1 million d'entreprises puisque le versement de cette taxe professionnelle allégée était dû pour le 15 juin ! La virtualité est devenue réalité pour les entreprises petites et moyennes...

Nous avions promis de réduire les droits de mutation -les "frais de notaire"- pour rendre le marché immobilier plus dynamique : ces droits ont été baissés de 20 % dès le 1er septembre dernier et, selon les professionnels, cela aurait concouru pour moitié à l'augmentation de 3,5 % du nombre de transactions enregistrées en 1998. Avec le crédit d'impôt pour travaux d'entretien, la mesure est certainement pour beaucoup dans le redémarrage de l'artisanat du bâtiment, dont le chiffre d'affaires a crû de 2,5 % pendant le premier trimestre. Dix mille emplois pourraient ainsi être créés cette année.

Nous avions enfin fait de la simplification une priorité de notre politique fiscale. La loi de finances que vous avez adoptée à l'automne a supprimé 15 millions de formulaires et dix impôts. En 1998, 2 millions de personnes ont bénéficié de la gratuité de la carte d'identité -elles seront probablement trois millions en 1999. Avec la prochaine loi de finances, nous poursuivrons la tâche puisque nous proposerons l'envoi à tous les salariés d'une déclaration de revenus pré-remplie.

Pardonnez-moi d'avoir été un peu long, mais il m'a paru que ce bilan de nos engagements s'imposait, deux ans après l'arrivée au pouvoir de la nouvelle majorité.

Qu'en sera-t-il, dans chacun de ces domaines, l'an prochain ?

S'agissant de l'emploi, vous comprendrez que je ne puisse fixer un objectif quantifié, nos prévisions de croissance ne devant être arrêtées qu'en août. Cependant, si nous nous en tenons à l'hypothèse "basse" -2,5 % de croissance-, l'emploi devrait continuer de progresser au rythme de 2 %. A l'échéance du plan pluriannuel, c'est-à-dire en 2002, nous aurions créé environ 1,5 million d'emplois -à opposer aux 20 000 de la précédente législature !

Mme Nicole Bricq - Il n'y a pas photo !

M. le Ministre - Pour ce qui est de la fiscalité, il est difficile de déterminer notre marge de manoeuvre tant que les recettes ne sont pas arrêtées, mais il est d'ores et déjà certain que les impôts vont décroître en 2000 en raison des décisions que vous avez bien voulu prendre.

Ainsi la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés votée en 1997 afin de nous qualifier pour l'euro disparaîtra ; la réduction de la taxe professionnelle se poursuivra et le crédit d'impôt-entretien allégera l'impôt des ménages de 4 milliards. D'autres décisions produiront leurs premiers effets : le retour sur l'abattement de 10 % sur les pensions décidé par le précédent gouvernement allégera d'un milliard la cotisation des retraités ; l'abattement sur les droits de succession dont bénéficient les conjoints survivants croîtra de quelque 200 millions.

Le Gouvernement n'a cependant pas l'intention de s'arrêter là : nous en reparlerons lorsque la prévision de croissance aura été arrêtée. Notre priorité sera en faveur des ménages et des familles et, avec la majorité et, pourquoi pas, l'opposition, nous entendons bien poursuivre la réflexion sur la TVA, sur la taxe d'habitation et sur les droits de mutation, étant entendu que, pour les entreprises, nous avons mené notre programme à bien.

Si notre croissance n'est que de 2,5 % l'an prochain, notre déficit sera ramené à 2 % ; si elle est de 3 %, il sera d'environ 1,7 %. Mais, de toute façon, pour la première fois depuis le début des années 1990, nous allons nous retrouver en 2000 avec un excédent primaire -c'est-à-dire un excédent avant paiement des charges de la dette. Jusqu'ici, avant même que ce service soit acquitté, nous étions en déficit...

Deuxième certitude : pour la première fois en vingt ans, le ratio dette/PIB va décroître. Comme je l'ai annoncé il y a deux ans, nous allons atteindre un sommet puis viendra une décroissance durable à partir de 2000.

Un des axes de notre politique budgétaire consiste à fixer des objectifs de dépense en volume car c'est la seule façon d'échapper aux aléas conjoncturels. Beaucoup d'autres pays autour de nous font cela depuis longtemps. Il ne faut pas jouer au yoyo avec les objectifs de dépenses publiques.

Je voudrais purger une querelle récurrente et un peu ridicule sur les évolutions nominales. Dire que la dépense publique augmente de tant de milliards n'a pas beaucoup de sens. Mieux vaut examiner la croissance des dépenses en volume : en 1993 et 1994, l'évolution cumulée des dépenses de l'Etat aura été de 2 %, en 1995 et 1996 de 1,8 %, en 1997 et 1998 de 0 %.

Une autre solution, encore meilleure parce qu'elle élimine l'effet de prix, est de rapporter la dépense publique au PIB ; l'ensemble des dépenses publiques a augmenté de 1,2 point de PIB en 1993-1994, de 0,4 point de PIB en 1995-1996 et diminué de 1,4 point en 1997-1998. Il s'agit bien là de l'indicateur qu'il faut examiner, faute de quoi on en viendrait à regretter la croissance, dans la mesure où elle fait automatiquement augmenter la dépense publique -sous l'effet de l'augmentation des salaires des fonctionnaires, de la réalisation de routes, du financement d'hôpitaux, d'écoles...

M. Jean-Jacques Jegou - Pourquoi ?

M. le Ministre - Ce qu'il faut, c'est améliorer la gestion publique, afin de rendre le même service en prélevant moins sur la richesse nationale.

Cela dit, même en milliards, l'augmentation des dépenses de l'Etat suit une tendance à la baisse : 131 milliards en 1993 et 1994, 69 milliards en 1995 et 1996, 49 milliards en 1997 et 1998.

Il y a d'autres points de controverse. Peut-être Philippe Douste-Blazy m'autorisera-t-il à évoquer une intéressante interview parue ce matin dans Le Parisien ; je lui propose qu'au cours de ce débat nous en reparlions, en jouant au jeu des sept erreurs -les sept que j'y ai relevées.

Après ces considérations générales, je vais laisser Christian Sautter vous parler de la dépense publique, avant d'avoir le plaisir d'écouter vos interventions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - La dépense publique est un thème qui prête facilement à la caricature. La droite y serait, par principe, défavorable ; la gauche y serait, par réflexe, favorable. Le débat d'orientation budgétaire nous offre l'occasion de préciser notre doctrine et de comparer nos pratiques.

Je ne reviens pas sur ce que la dépense publique peut apporter sur le plan social et culturel ou pour l'aménagement du territoire. Je m'en tiendrai à la seule dimension économique pour défendre deux convictions : il faut améliorer l'efficacité de la dépense publique et respecter une norme d'évolution.

La dépense publique, comme les services publics, n'est pas en elle-même une entrave à la compétitivité. Au contraire, elle peut en constituer une dimension essentielle.

Le niveau de la dépense publique est élevé en France parce que nos services publics sont de qualité. La concurrence fiscale exerce une pression à la baisse et en ce domaine il faut se battre, au niveau communautaire notamment, contre le dumping. L'important est de distinguer la bonne dépense publique de la mauvaise, comme on peut le faire pour la dépense privée. Un investisseur ne va pas seulement examiner le niveau des impôts qu'il aura à payer ; il va aussi évaluer les prestations fournies en échange, la qualité des réseaux routier et ferré, la formation de la main-d'oeuvre, la densité de laboratoires... Il faut avoir de la dépense publique une vision qui ne soit ni idyllique ni satanique.

En second lieu, nous souhaitons passer d'un objectif en terme de solde -qui était nécessaire pour l'euro- à un objectif en terme de progression des dépenses.

Notre approche repose sur la définition d'un objectif pluriannuel de dépenses, qui évite une gestion trop heurtée des finances publiques et qui confère à celles-ci un rôle de stabilisation de la conjoncture par le soutien de la croissance quand l'activité se ralentit.

Nos engagements ont été tenus : nous avons stabilisé la dépense en 1997. En 1998, elle a été maintenue en volume. En 1999, pour tenir compte d'une inflation plus faible que prévu, nous avons passé avec l'ensemble des ministères des contrats de gestion.

Notre objectif est d'améliorer la qualité de la dépense publique. A cet égard, l'Assemblée nationale, sous l'impulsion de son président et de la commission des finances, a souhaité renforcer son rôle d'évaluation et de contrôle ; c'est une bonne chose pour la démocratie et pour l'efficacité des dépenses.

Depuis 1997, quelque 30 milliards ont été redéployés chaque année au profit de nos priorités.

Inlassablement nous réorienterons d'année en année les crédits publics en faveur de l'emploi, de la justice sociale, de l'éducation, de la recherche, de la justice, de la sécurité, de la culture et de l'environnement. Nous avons dégagé en deux ans 50 milliards supplémentaires au profit des actions prioritaires.

Les crédits de l'emploi et de la solidarité ont progressé de 8,2 % de 1998 à 1999, soit beaucoup plus que la moyenne générale du budget, atteignant 238 milliards. C'est ainsi que nous avons pu financer les emplois jeunes, la réduction du temps de travail et la lutte contre les exclusions.

Le budget de l'éducation nationale, quelque peu négligé entre 1993 et 1997, a lui aussi progressé de 8 %, ce qui l'a porté à 350 milliards. Cela nous a permis d'améliorer la qualité de l'enseignement, de lutter contre l'échec scolaire, de renforcer l'égalité des chances, de mettre en place le plan social étudiant.

M. Jean-Jacques Jegou - Un bon budget n'est pas nécessairement un budget qui augmente !

M. le Secrétaire d'Etat - Les crédits de la justice ont été majorés de 10 % en deux ans afin d'accélérer les procédures, de moderniser l'administration pénitentiaire, d'améliorer la prise en charge par le système judiciaire des jeunes en difficulté.

Les moyens alloués à la culture ont progressé de 4 %, ceux de la sécurité de 5 %, ceux de l'environnement de 17 %.

Nous avons également mis un terme à la diminution des investissements civils, qui avait été très marquée de 1993 à 1997. Entre 1997 et 1999, ces dépenses ont augmenté de 10 %. A cet égard, je me permettrai d'adresser une remarque, naturellement courtoise, à la Cour des comptes. Elle évoque dans son rapport préliminaire à l'exécution 1998 une baisse des dépenses en capital pour cette année-là mais elle ne prend en compte que les dépenses du budget général. Or, il conviendrait d'intégrer également les dépenses issues des comptes spéciaux du Trésor qui ont fortement augmenté en 1997 et surtout en 1998...

M. Philippe Auberger - Non, c'est idiot !

M. le Secrétaire d'Etat - Je vous répondrai ultérieurement. Ce qui compte, ce n'est pas l'origine des crédits mais les réalisations concrètes.

Dans le même temps, nous avons maîtrisé les frais de fonctionnement de l'Etat qui ont été réduits de 3 % par an en termes réels.

Nous avons aussi respecté l'objectif qu'avait fixé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, à savoir stabiliser les effectifs de fonctionnaires civils de l'Etat -ce qui contrastait singulièrement avec les réductions pratiquées antérieurement.

Nous souhaitons continuer de dégager toutes les marges de manoeuvre possibles pour financer nos priorités. Pour la première fois depuis longtemps, Dominique Strauss-Kahn l'a souligné, le service de la dette diminuera en 2000. Je rappelle que cette dépense passive s'élève tout de même à 240 milliards, soit l'équivalent du budget de l'emploi et de la solidarité. Notre objectif est clair : dépenser moins pour la dette et davantage pour une croissance solidaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Après les précédents de 1996 et de 1998, la tenue d'un débat d'orientation budgétaire à la fin du printemps devient la coutume. Ce débat ne remet pas en question les prérogatives que confèrent au Gouvernement la Constitution et l'ordonnance organique de 1959 pour la préparation des lois de finances. Mais ce rendez-vous annuel, qui donne l'occasion au Gouvernement et à l'Assemblée de dialoguer représente un progrès incontestable.

Il s'agit bien, en effet, d'associer le Parlement à la préparation du budget en l'informant assez tôt des principaux choix envisagés par le Gouvernement et en lui permettant de faire valoir, le cas échéant, ceux qui auraient sa préférence.

Nous avons disposé, pour préparer ce débat, de trois documents, le rapport préliminaire de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour 1998 qui nous a été transmis le 17 mai -il faut d'ailleurs féliciter la Cour pour l'accélération du délai de transmission ; deux rapports du Gouvernement, l'un sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques, conformément à l'article 38 de l'ordonnance organique, l'autre plus particulièrement préparé en vue de ce débat.

L'exercice est sans doute tardif car la presse a fait état dès le 20 avril, des lettres de cadrage adressées par le Premier ministre et la première phase des conférences budgétaires, au cours desquelles chaque ministère dépensier soumet ses propositions à la direction du budget, a commencé il y a plusieurs semaines, les premiers arbitrages étant d'ailleurs en cours. Mais l'exercice obéit désormais à des obligations communautaires nouvelles. Un programme pluriannuel a été transmis à la Commission et à nos partenaires fin 1998. Si les commissions des finances des deux assemblées ont été informées à l'occasion de ce premier programme, il serait possible d'associer encore davantage la représentation nationale à la phase de prospective budgétaire.

A cet égard, le groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, mis en place en octobre 1998 à l'initiative du président de l'Assemblée, a présenté, en janvier dernier, plusieurs propositions destinées à rénover l'exercice du pouvoir financier. Il a notamment préconisé de rendre les documents budgétaires plus lisibles et de renforcer la discussion des grandes orientations économiques et financières. Il s'est demandé si le débat d'orientation budgétaire ne pourrait pas être conclu par le vote d'une loi d'orientation triennale des finances publiques. Le nouveau calendrier communautaire, les projections pluriannuelles devant désormais être présentées à la fin mars de chaque année, permettrait de prévoir une intervention parlementaire en mars.

Le débat d'orientation budgétaire permet de faire le point sur les résultats définitifs de l'année précédente, d'examiner les premières tendances de l'exercice en cours et d'apprécier les marges de manoeuvre avant de déterminer l'utilisation qui peut en être faite.

Aussi bien en matière de recettes que de dépenses et de déficits, l'année 1998 a constitué un bon cru, malgré ce que certains ont prétendu, tandis que l'exercice en cours s'engage conformément aux prévisions initiales corrigées et même un peu mieux.

Les recettes nettes totales du budget général ont augmenté de 2,6 % en 1998, progression à rapprocher de la croissance de 4 % du PIB en valeur. Les recettes fiscales nettes ont augmenté, elles, de 2,5 %. Dans l'ensemble, ces résultats sont compris dans la "fourchette" des prévisions initiales et du collectif. Si les remboursements et les dégrèvements ont beaucoup varié au cours de l'exercice, les recettes nettes finales n'en ont pas été trop affectées.

Les prélèvements sur recettes et les recettes non fiscales se sont globalement stabilisées et les comptes spéciaux du Trésor ont été très largement excédentaires, ce qui explique en grande partie l'amélioration du déficit en cours d'exercice.

Mais plus que les résultats passés, c'est l'exécution en cours qui détermine les futures marges de manoeuvre.

Même si la prudence est de mise, tant les évolutions d'un mois sur l'autre peuvent varier, la dernière situation disponible du budget de l'Etat, arrêtée au 30 avril dernier, indique un dynamisme certain des recettes du budget général. Les recette nettes, hors fonds de concours, progressent de 11,4 % par rapport à la fin avril 1998, contre 6,7 % prévu. Elles dépasseront de près de 50 milliards leur niveau d'il y a un an.

L'essentiel de cette évolution tient à celle des recettes fiscales nettes, en particulier de l'impôt sur les sociétés net. Celui-ci a augmenté de 37,6 % par rapport à fin avril dernier, à cause, entre autres, du taux de croissance, 3,2 %, soit le plus élevé depuis 1988 et davantage que les 3 % retenus initialement par le Gouvernement. On se souvient pourtant des propos de Cassandre tenus par certains dans cet hémicycle qui jugeaient cette performance hors d'atteinte.

Quant aux dépenses du budget général, elles progressent de 2,6 %. Certains crédits ayant été, semble-t-il, mis en réserve, moins brutalement que par la régulation pratiquée naguère, l'exécution apparaît maîtrisée. Cela nous change des exercices précédents.

M. Jean-Jacques Jegou - Surtout de 1982 et 1983.

M. le Rapporteur général - 1999 s'engage donc sous des auspices favorables. Le Gouvernement poursuivra ses priorités, au premier rang desquelles la lutte contre le chômage et l'exclusion, l'enseignement, la sécurité et la justice. Il privilégiera, comme les deux années précédentes, les investissements.

Aussi faudra-t-il que le Gouvernement réexamine avec sa majorité le financement des contrats de plan.

M. Gérard Bapt - Très bien !

M. le Rapporteur général - S'agissant du besoin de financement des administrations publiques, les comparaisons doivent être effectuées avec prudence, l'INSEE venant de modifier ses conventions comptables afin de se conformer aux prescriptions du système européen de comptabilité.

Selon l'ancienne base de calcul, le besoin de financement des administrations publiques s'est élevé à 2,9 % du PIB en 1998, soit une réduction d'un dixième de point par rapport aux prévisions initiales.

Avec l'adoption de la nouvelle base, qui relève le niveau du PIB, il ne s'élèverait qu'à 2,7 %.

Par ailleurs, on ne saurait examiner les déficits publics sans faire référence au programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002, prévu par le pacte européen de stabilité et de croissance. Je rappelle donc qu'en matière de déficits publics, l'objectif affiché est de passer des 2,3 % du PIB prévus pour 1999 à un niveau compris entre 1,2 % et 0,8 % du PIB en 2002. Cette réduction progressive est indispensable pour dégager les marges de manoeuvre dont nous aurons besoin en cas de dégradation de la conjoncture.

Pour 1999, les prévisions ont donc été fixées à 2,3 % du PIB. S'agissant de l'exécution du budget, les derniers résultats disponibles qui décrivent la situation au 30 avril dernier, sont encourageants, même s'ils doivent être interprétés avec prudence.... ces données ne portent que sur quatre mois et ni le profil mensuel des dépenses, ni celui des recettes, ne présentent une régularité parfaite, bien au contraire.

Le solde général d'exécution est de 27 milliards inférieur aux résultats observés au 30 avril 1998. Cette amélioration est presque intégralement imputable au budget général, dont les dépenses augmentent de 2,6 % par rapport au niveau enregistré en avril 1998, tandis que les recettes progressent de 9,7 %.

S'agissant des autres sous-secteurs des administrations publiques, les seuls résultats partiels disponibles concernent les administrations de Sécurité sociale. Lors de sa dernière réunion, la Commission des comptes de la Sécurité sociale a modifié les prévisions initiales. Alors que le régime général devait revenir à l'équilibre en 1999, son déficit s'établirait, selon les dernières estimations, à plus de 5 milliards, en raison d'un déficit persistant de la branche maladie. En 1995 cependant, il manquait 52 milliards au régime général, et son déficit s'élevait encore à 40 milliards en 1996. On mesure le chemin parcouru, grâce à la politique du Gouvernement.

En matière de prélèvements obligatoires, l'adoption de nouvelles méthodes de comptabilité par l'INSEE a eu des effets encore plus spectaculaires, ramenant à 44,9 % leur niveau de 1998, contre 46,1 % avec l'ancienne base. Afin de pouvoir procéder à des comparaisons, je n'utiliserai que les chiffres calculés sur l'ancienne base.

L'exercice 1998 s'est finalement conclu par une stabilisation des prélèvements obligatoires au même niveau qu'en 1997, soit 46,1 %. Ce résultat est sans doute en-deçà de nos attentes, mais il faut tenir compte de l'évolution des prélèvements obligatoires au cours des années précédentes : de 1993 à 1995 en effet, ceux-ci ont progressé de 0,6 point et cette augmentation a atteint 1,2 point entre 1995 et 1996, sous l'effet de la majoration du taux normal de la TVA, porté à 20,6 %.

Dans ce contexte, la stabilisation observée constitue la première étape d'une décrue, prévue d'ailleurs dans le programme pluriannuel notifié à la Commission européenne en janvier dernier. Le taux de prélèvements obligatoires devrait ainsi être ramené de 45,7 % du PIB en 1999 à un niveau compris entre 44,9 % et 45,2 %.

L'augmentation des prélèvements obligatoires entre 1993 et 1997 a accentué le poids des prélèvements sur les ménages et, tout particulièrement, de la fiscalité indirecte, en raison de la forte hausse de la TVA.

Le Gouvernement et sa majorité ont clairement affirmé que la réduction et le rééquilibrage des prélèvements obligatoires étaient indispensables pour soutenir la consommation et la croissance. C'est pourquoi les budgets pour 1998 et 1999 se sont traduits par 16 milliards d'allégements fiscaux, dont 10,3 au profit des ménages.

M. d'Aubert remplace Mme Catala au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

M. le Rapporteur général - Le cap doit être maintenu : je pense à l'extinction de la surtaxe temporaire d'impôt sur les sociétés ou à la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle.

En outre, le Gouvernement a fait part de ses premières réflexions sur le plan d'allégement de charges sur les bas salaires pour les entreprises qui passent aux 35 heures.

Toutefois, des allégements plus conséquents doivent être consentis au profit des ménages.

Dans cette perspective, il importe de réduire la TVA. Cet impôt indirect étant dégressif, c'est un choix d'équité, mais aussi d'efficacité, les gains de pouvoir d'achat qui en résultent étant de nature à soutenir l'activité. C'est depuis que la consommation a été relancée que la croissance est repartie.

Une telle mesure, qui aurait des effets significatifs sur l'activité et l'emploi, aurait aussi un coût mais qui resterait en rapport avec nos marges de manoeuvre budgétaires.

D'autres pistes doivent être explorées : je pense à la poursuite de la baisse des droits de mutation et à l'allégement, pour les contribuables les plus modestes, de la CSG pesant sur les revenus du patrimoine et les produits de placement.

M. Gérard Bapt - Très bien !

M. le Rapporteur général - Il faut aussi engager une réflexion sur la taxe générale sur les activités polluantes.

Vos suggestions à propos de l'impôt sur le revenu sont pertinentes, Monsieur le ministre : s'il s'agit de l'impôt le plus juste, ses modalités de recouvrement ne sont guère équitables.

L'exécution budgétaire comme l'élaboration du projet de loi de finances pour 2000 s'inscrivent dans la continuité d'une politique définie il y a maintenant deux ans et qui porte ses fruits. Mais continuité n'est pas conservatisme et des approfondissements sont nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - Le débat d'orientation budgétaire n'est pas seulement l'occasion de faire le point sur l'exécution de la loi de finances ou de formuler des voeux. Il répond à la volonté de l'Assemblée, notamment de la commission des finances, d'agir avec le Gouvernement en amont des choix budgétaires.

La majorité doit donc en profiter pour proposer, préconiser, débattre et, s'il le faut, soulever quelques points délicats. Cette année, le débat devrait être facilité par des marges de manoeuvre supplémentaires.

Les perspectives budgétaires d'ensemble, en effet, sont favorables. Premier motif de satisfaction, la croissance est passée de 1,6 % en 1996 à 2,3 % en 1997 et à 3,2 % en 1998, ce qui est le meilleur résultat des dix dernières années. Les résultats de la politique économique du Gouvernement sont donc incontestables. Ils permettent de tabler sur une croissance d'environ 2,5 % en 1999 et de 3 % pour 2000. Ces prévisions sont d'ailleurs inférieures à celles que l'OFCE vient de publier : 2,6 % pour 1999 et 3,2 % pour 2000. Ces chiffres, en tout cas, sont nettement supérieurs à ceux des pays de la zone euro. Seules l'Espagne et l'Irlande affichent des résultats supérieurs aux nôtres. Les choix économiques du Gouvernement sont bons.

Le deuxième motif de satisfaction, c'est la situation de l'emploi. En un an, la progression de l'emploi salarié est de 2,1 %. Près de 400 000 emplois ont été créés, ce qui n'est pas pour rien dans le dynamisme de la consommation et la confiance que nos concitoyens viennent de témoigner à la majorité. De plus, la politique du Gouvernement a permis d'enrichir le contenu en emplois de la croissance, grâce à la création des emplois jeunes et à la réduction du temps de travail. Cette tendance devrait se poursuivre avec la montée en charge progressive des trente-cinq heures. Ainsi, l'OFCE retient, pour 2000, la création de 125 000 emplois supplémentaires et le rapport que vous nous présentez prévoit 135 000 créations d'emplois. Le coût du mécanisme a été critiqué, mais ce procès est injuste, parce que le coût est évidemment proportionnel au succès de la première loi. On ne peut pas à la fois dire que cela ne marche pas et que cela coûte cher !

En outre, n'oublions pas de prendre en compte les gains sur l'indemnisation du chômage, que le Gouvernement évalue à 20 milliards pour l'an 2000. On le sait, il existe toujours un décalage dans le temps entre les mesures prises et leurs effets.

Le troisième motif de satisfaction, c'est la traduction budgétaire de cette amélioration économique. Elle tiendra à plusieurs données significatives, dont la stabilisation des dépenses publiques : les choix européens de la France y conduisent naturellement, mais je veux souligner le volontarisme du Gouvernement, qui tiendra cette année l'objectif de croissance des dépenses de 1 %, ce qui permettra de ramener les dépenses publiques au-dessous de 54 % du PIB.

La majorité ne peut que vous approuver lorsque vous vous fixez pour objectif une stabilisation en volume pour l'an 2000. Cela nécessitera un effort de redéploiement important en faveur des secteurs prioritaires : la lutte contre le chômage, l'enseignement, la sécurité, la formation professionnelle. La mission d'évaluation et de contrôle, qui fonctionne de manière satisfaisante, vous proposera au début du mois prochain des mesures concrètes en matière d'aides à l'emploi et de formation professionnelle.

Autre résultat de cette politique budgétaire, les déficits publics seront réduits en 1999 à 0,6 % du PIB. Il est réaliste de prévoir pour 2000 un excédent primaire du budget. Pour la première fois le poids de la dette dans le PIB diminuera et la charge de la dette sera réduite de deux milliards. C'est une inversion historique. Dans les hypothèses de croissance les plus pessimistes, la réduction du déficit restera de 0,4 % du PIB.

La croissance retrouvée valide la politique économique du Gouvernement. Cette croissance est notre priorité. Pour l'assurer, il est essentiel de soutenir l'investissement et la consommation des ménages.

Les investissements routiers et ferroviaires sont déterminants. Aussi faut-il les soutenir de façon vigoureuse dans les contrats de plan, qui impliquent les collectivités locales. Or le niveau annoncé me paraît nettement insuffisant, d'autant que les fonds européens seront moins importants.

Il faut soutenir la consommation en diminuant la fiscalité. Ainsi, on réduira également le niveau de prélèvement obligatoire qui, à 45,9 % du PIB en 1998, reste encore trop élevé. De 1993 à 1997, la TVA et la TIPP, c'est-à-dire les impôts indirects les plus injustes, ont beaucoup augmenté alors que la progressivité de l'impôt sur le revenu était réduite. Pour corriger ce déséquilibre, il faut une baisse significative de TVA. Pour l'année 2000, nous souhaitons qu'elle concerne le bâtiment, ce qui aura un effet sur le coût des travaux et sur l'emploi. D'autres secteurs comme la restauration souhaiteraient en bénéficier ; mais ni le budget de l'Etat, ni la Commission européenne ne permettront de tout faire dès l'an 2000.

Il nous faut aussi réformer les cotisations patronales par transfert vers la fiscalité pour favoriser l'emploi sans accroître les prélèvements obligatoires. Le débat devrait nous éclairer à ce sujet. Il me paraît également indispensable que nous sachions au plus tôt où en sont les réflexions du Gouvernement sur la TGAP.

Cette fusion des anciennes taxes pose cette année quelques problèmes à l'ADEME pour financer les actions de tri sélectif des collectivités locales. Pour 2000, on envisage d'élargir l'assiette de la TGAP pour financer la baisse des cotisations patronales. Nous souhaitons que les consommateurs n'en soient pas les victimes. L'ADEME retrouvera-t-elle son niveau d'intervention de 1998 ? Par ailleurs, quelle pourrait être l'assiette de la taxe sur l'énergie envisagée en 2002 et ses conséquences sur la compétitivité de l'industrie lourde ?

Les élus s'inquiètent aussi de l'avenir du FNDAE. La commission des finances a chargé M. Yves Tavernier d'une réflexion sur ce sujet. Depuis 1996 on prélève sur le fonds 150 millions par an, au profit du programme de maîtrise de la pollution d'origine animale. Quel est le coût de ce programme ? Ce prélèvement s'arrête cette année. Les consommateurs n'ont pas à payer la dépollution des élevages extensifs ; je souhaite que ce financement ne soit pas reconduit. Surtout, il me paraît totalement irréaliste que la tutelle du FNDAE échappe au ministère de l'agriculture.

Les collectivités locales investissent beaucoup. En raison de la régulation de la DGF, celle-ci pourrait augmenter moins que l'inflation l'an prochain. Ce serait en contradiction avec le pacte de croissance. La seule solution pour le respecter est de supprimer la régulation, instaurée par l'actuelle opposition.

M. Philippe Auberger - Vous l'avez maintenue !

M. le Président de la commission - Cette année les communes éligibles à la DSU et à la DSR ne devaient pas subir la baisse de la DCTP. Quelle compensation percevront-elles à l'avenir ?

M. Migaud et moi-même nous préoccupons de l'assujettissement de France Télécom à une fiscalité locale de droit commun. Un groupe de travail doit nous remettre ses conclusions. Il faut, cet été, trouver une solution équitable et mettre en place une péréquation. Le Parlement doit être associé à cette réflexion. Enfin, la diminution de la base salariale de taxe professionnelle concourt à la croissance. Nous aimerions avoir un rapport sur ses effets sur les collectivités et les entreprises pendant la première année d'application, afin d'opérer éventuellement des corrections.

Je vous remercie par avance des réponses que vous nous apporterez. La commission des finances travaille également à améliorer le suivi de l'utilisation des crédits. La mission d'évaluation et de contrôle fonctionne à la satisfaction générale. Il faut mener de façon dynamique les réformes de procédure.

Dans un contexte budgétaire très favorable, il faut tout mettre en oeuvre pour soutenir l'équipement, le développement et l'emploi par une fiscalité plus simple et plus juste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Philippe Auberger - Je vous remercie d'avoir organisé ce débat. Il est sain que le Gouvernement dispose de l'avis éclairé du Parlement avant les arbitrages budgétaires définitifs. Je regrette cependant qu'il n'ait pas publié les comptes de la nation pour 1998 avant le débat. Comme ils reposent sur une nouvelle base, nous aurions évité des querelles de chiffres inutiles.

Pour 1999 le Gouvernement a eu la sagesse, après six mois de réflexion de rectifier ses prévisions. La croissance atteindra, en volume, 2,2 % à 2,5 % et non 2,7 %. La hausse des prix étant ramenée de 1,3 % à 0,5 %, la croissance en valeur passerait de 4 % à 2,7 %. Je ne me souviens pas d'une révision d'une telle ampleur depuis sept ans.

C'est plus que l'Italie, l'Allemagne, la Grande-Bretagne nous dit-on. Pas d'autosatisfaction béate (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Selon Bruxelles, le taux de croissance sera de 2,3 % dans l'Union européenne. Nous ne ferons donc ni mieux ni plus mal que la moyenne des Quinze.

M. le Rapporteur général - Avant, on faisait beaucoup moins bien.

M. Philippe Auberger - Il n'y a donc pas lieu de pavoiser.

D'autant qu'il suffit de regarder le rythme des créations et disparitions d'entreprises pour constater que le tissu économique s'appauvrit. Certes il y a les discours officiels sur les nouvelles technologies, les voyages de personnalités dans le Silicon Valley et même des pédants qui parlent de "nouvelle ère Schumpéterienne". Mais concrètement que fait-on vraiment pour encourager la création d'entreprises ?

Mme Nicole Bricq - Des tas de choses !

M. Philippe Auberger - Que fait-on vraiment pour le développement et la diffusion des nouvelles technologies ?

Plusieurs députés socialistes - Des tas de choses !

M. Philippe Auberger - L'indigence du projet sur l'innovation et la recherche qui nous a été récemment soumis fait peine à voir. N'est-ce pas pourtant quand la croissance reprend qu'il faudrait vigoureusement accompagner les forces innovantes ?

Le Gouvernement se réjouit par ailleurs du rythme de création d'emplois depuis deux ans. D'après lui, près de 500 000 emplois auraient été créés dans cette période. Je m'en réjouis mais nous avons encore un des taux de chômage les plus élevés d'Europe : 11,8 %, contre 9,6 % en moyenne européenne.

M. le Ministre - C'est l'héritage !

M. Philippe Auberger - Et là, le Gouvernement ne fait pas de comparaison avec les 11,2 % de l'Allemagne, les 6,5 % de la Grande-Bretagne, les 3,4 % des Pays-Bas ou les 4,3 % du Portugal. En matière d'emploi, la France n'est vraiment pas un modèle. Il apparaît par ailleurs que plus de 200 000 des emplois créés l'ont été dans des agences d'intérim. C'est mieux que rien mais cela reste des emplois très précaires.

Et si la situation des chômeurs de 30 à 50 ans s'est nettement améliorée, celle des chômeurs de plus de 50 ans continue de se détériorer. L'exclusion ne fait donc que croître. Pourquoi alors avoir quasiment tué le contrat initiative emploi ?

M. le Ministre - Inefficace.

M. Philippe Auberger - Parce qu'un autre Gouvernement que le vôtre l'avait mis en place ?

M. le Ministre - Non, nous avons gardé la ristourne Juppé.

M. Philippe Auberger - Quoi qu'il en soit, beaucoup reste à faire dans le domaine de l'emploi et je doute que les 35 heures constituent la recette idéale.

Le Gouvernement se targue par ailleurs d'avoir diminué les déficits publics.

Conformément au pacte de stabilité, ils sont certes ramenés de 3,1 % du PIB pour 1997 à 2,3 % en 1999, soit une diminution de 0,4 % par an, ce qui n'est pas si mal, mais assurément moins bien que les gouvernements précédents, qui étaient partis à la fin du premier trimestre 1993 de 5,9 % de déficit par rapport au PIB pour arriver à 3,1 % de déficit à la fin du premier trimestre 1997, soit une baisse moyenne de 0,7 % par an, presque le double ! Quant au résultat obtenu pour 1999, il n'est pas extraordinaire.

En gage de bonne volonté, le Gouvernement nous annonce qu'il y aura une stabilisation des dépenses publiques en francs constants en l'an 2000, mais que toutes les priorités budgétaires pourront être financées. Si cela est possible pour l'an 2000, pourquoi cela n'a-t-il pas été fait pour 1999 ?

Est-il sain de pratiquer ainsi des coups d'accordéon dans l'évolution des dépenses publiques ? Avait-on besoin de soutenir à ce point la croissance en 1999 alors que le Gouvernement la prévoyait assez forte ? Pourquoi avait-on retenu une prévision aussi irréaliste d'inflation, ce qui a conduit ensuite le Gouvernement à geler 0,8 % des dépenses, au mépris du vote du Parlement et en dépit de tous les engagements pris par le secrétaire d'Etat au budget. Le moins qu'on puisse dire est que cette gestion de la dépense publique manque de continuité et de cohérence.

Par ailleurs, le Gouvernement nous promet pour la troisième fois une baisse des prélèvements obligatoires. Cette promesse a-t-elle plus de chance d'être tenue que les précédentes ? Assurément non. En 1997, ils ont augmenté de 0,4 % du PIB. En 1998, il y a eu plus de 60 milliards de francs de prélèvements supplémentaires et, bien que la croissance ait été exceptionnellement forte, ils sont restés à 46,1 %. En 1999, le Gouvernement a avoué qu'ils ne baisseraient toujours pas. Qui peut croire dans ces conditions qu'ils baisseront en 2000 ? Or certes, on nous annonce la deuxième tranche de la réforme de la taxe professionnelle. Gain pour les entreprises : 2 milliards. On nous dit que l'Etat va respecter ses engagements et supprimer la surtaxe temporaire sur les bénéfices des entreprises instituée en 1997. Est-ce vraiment une grande victoire que de respecter ses engagements ?

M. le Président de la commission des finances - Oui, car vous ne le faisiez pas !

M. Philippe Auberger - Et d'ailleurs, cette surtaxe va être rapidement remplacée par une autre taxe sur les bénéfices des entreprises, pour financer la ristourne Aubry et les 35 heures. On parle pour cette ristourne de 110 milliards, dont 43 proviendraient de la ristourne Balladur-Juppé. Quel bel hommage rendu soudain à celle-ci, que vous avez si longtemps vilipendée et que vous jugiez d'autant plus nuisible qu'elle avait été financée par une augmentation de la TVA, sur laquelle vous vous êtes pourtant bien gardés de revenir. 25 milliards proviendraient de recettes fiscales supplémentaires et une quarantaine du "recyclage" d'économies obtenues par ailleurs. Tout cela paraît très nébuleux et pas de nature à concourir à un allégement global des prélèvements obligatoires. On a tout lieu de penser le contraire, pour peu que telle ou telle source d'économies soit défaillante. On sait seulement qu'il y aura de forts déplacements de charges entre les entreprises, ne serait-ce que parce que celles qui ont beaucoup de salaires inférieurs à 1,8 fois le SMIC ne sont pas celles qui supporteront l'écotaxe ou paieront la surtaxe sur l'IS.

Bref, il ne faut pas s'attendre à de grands miracles en matière d'allégements d'impôts. Le Gouvernement nous dit s'être fixé trois priorités de réforme : la taxe d'habitation, l'impôt sur le revenu et la TVA. Mais c'est l'essentiel des impôts sur les ménages qui figurent dans ces priorités ! Tout cela est extravagant. Une réforme fiscale coûte toujours cher : où prendra-t-on l'argent pour mener toutes celles qui sont prévues ? Et voilà de plus qu'on apprend qu'un certain François Bourguignon a été chargé par le Premier ministre de faire une étude et une "nouvelle architecture du système fiscal". Ce titre rappelle furieusement le thème de nombreuses discussions de l'hiver dernier sur une nouvelle architecture du système monétaire international, lesquelles ont débouché sur d'aimables causettes et d'innombrables colloques mais pas sur la moindre décision concrète.

M. le Ministre - Vous critiquez le Président de la République ?

M. Philippe Auberger - A-t-on vraiment besoin d'un docte rapport supplémentaire sur le sujet ? Selon les premières indiscrétions, ce rapport confidentiel conclurait à la nécessité de mener en priorité une réforme de l'impôt sur le revenu, qui pourrait consister en la suppression pure et simple de la décote du barème de l'impôt. C'était précisément l'objet de la réforme de l'impôt sur le revenu d'Alain Juppé en 1996 !

Mme Nicole Bricq - Il n'y a pas que cela dans ce rapport.

M. Philippe Auberger - Pour ma part, comme j'ai toujours approuvé cette réforme, je me réjouirais de pouvoir la voter et de la voir enfin appliquée !

Un débat d'orientation budgétaire se doit de comporter certaines propositions précises. Je n'ai pas manqué d'en faire, dans le cadre du groupe de travail présidé par le Président de notre Assemblée Laurent Fabius, mais malheureusement aucune n'a encore abouti.

Pour que la discussion budgétaire ait un sens, il faudrait revoir sur certains points l'ordonnance du 2 janvier 1959, par exemple, supprimer la distinction surannée entre les services votés et les mesures nouvelles et procéder au vote des crédits sans enfreindre l'article 40 ; faire voter chaque année les effectifs de personnels à recruter afin de se prononcer sur les flux et non sur les variations de stocks, présenter un budget distinguant bien le fonctionnement et l'investissement, introduire dans le fonctionnement l'amortissement des investissements et exiger que le budget de fonctionnement soit à l'équilibre, seul le budget d'investissement pouvant faire l'objet d'emprunts. A ce sujet, Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous dire que lorsque vous donnez 13 milliards à RFF, ce n'est pas de l'investissement. Je vous renvoie sur ce point à la jurisprudence de la Cour des comptes.

De nos travaux pratiques de cet hiver, il n'est ressorti pour l'instant qu'une chose positive : la constitution de la mission d'évaluation et de contrôle. Elle a beaucoup travaillé depuis cinq mois. Certains de ses membres ont été remarquablement assidus et je souhaite donc que les arbitrages budgétaires pour 2000 tiennent compte de ces travaux. Il conviendrait en particulier de renoncer à demander aux sociétés d'autoroutes de financer, via le FITTVN, le chemin de fer et les voies navigables, de dégager les policiers de tâches purement administratives, de réformer la formation professionnelle en renforçant la coordination entre l'ANPE et l'AFPA et en évaluant le congé individuel de formation, de supprimer les crédits de préretraite qui sont une fausse aide à l'emploi, sans justification après les recommandations du rapport Charpin...

M. Yves Cochet - M. Charpin avait de mauvaises bases de calcul !

M. Philippe Auberger - L'opposition ne pourra continuer de participer à ces travaux que si, dès cette année, le constat est suivi de mesures très concrètes.

M. Jean-Jacques Jegou - Très bien !

M. Philippe Auberger - Depuis deux ans, la gestion de nos finances publiques met l'accent sur la dépense publique, qui a beaucoup augmenté. L'essentiel des marges dégagées par la croissance a été consacré à la diminution des déficits publics et rien n'a été fait pour réduire les prélèvements obligatoires qui sont parmi les plus élevés d'Europe.

Notre souhait est simple : il faut changer de politique. Le manifeste qu'ont publié MM. Blair et Schröder nous conviendrait parfaitement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) : "La justice sociale ne se mesure pas à la hauteur des dépenses publiques" ; "l'Etat doit soutenir les entreprises mais ne pas se substituer à elles" ; "un emploi pour une vie entière est une notion dépassée" ; "le sens de l'effort personnel et de la responsabilité n'a pas été récompensé" ; "un système de sécurité sociale qui entrave la recherche de l'emploi doit être réformé"...

Malheureusement, il semble que le Premier ministre ne soit pas disposé à suivre la voie tracée par ses collègues socio-démocrates ! C'est pourquoi nous ne pouvons approuver ces orientations budgétaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Ministre - Si nous suivions cette voie, nous aurions les mêmes résultats électoraux que vous !

M. François Huwart - Même dans le cadre d'une économie de marché mondialisée, où les marges de manoeuvre budgétaire sont forcément réduites, le budget reste un moyen puissant de solidarité et de transfert de richesses, alors même que les principes de libéralisme suscitent inégalités sociales et territoriales. Nos concitoyens ont donc raison de considérer que les politiques budgétaires doivent contribuer à la croissance et à une meilleure répartition de ses fruits.

C'est parce qu'on a ignoré ces deux objectifs entre 1993 à 1997, qu'ils ont renvoyé dans l'opposition l'ancienne majorité qui, comme vient d'ailleurs de le souligner M. Bayrou, avait augmenté les impôts de 140 milliards. Rarement les prélèvements obligatoires avaient crû autant, aussi vite !

Alors qu'on leur avait promis la réduction de ce que l'on avait appelé, dans un langage imagé et ambigu mais sans doute efficace, la "fracture sociale", ils constataient que l'on privilégiait une politique de classe.

Trompés, ils ont souhaité une autre politique : c'est celle que vous menez, Monsieur le ministre, depuis deux ans, en faisant preuve d'infiniment de plus de clairvoyance, de réalisme et de souci de la justice sociale.

De clairvoyance : alors que depuis des années on partait du principe que la demande intérieure ne pouvait plus jouer le moindre rôle dans la croissance, vous avez redonné aux ménages les moyens de recommencer à consommer. Les résultats sont là : une hausse cumulée du pouvoir d'achat des ménages de 5,2 % pour 1997-1998 et une croissance prévisible de la consommation de 2,7 % en 1999 et 3 % en 2000. Voilà qui met à mal la thèse désespérante selon laquelle justice sociale et efficacité économique seraient inconciliables !

Pour les radicaux de gauche, c'est la preuve qu'une politique différente du tout-libéralisme peut être conduite avec succès, mais aussi un signe que l'action politique peut retrouver de sa crédibilité et par conséquent, un encouragement pour nos concitoyens à reprendre confiance dans leur avenir.

Cette confiance, indispensable à la reprise, est aujourd'hui au rendez-vous, essentiellement parce que la création d'emplois a été votre priorité.

Il est clair que nos concitoyens aspirant à une meilleure répartition des fruits de la croissance, acceptent aussi de ne pas l'obtenir en un jour, dès lors qu'on y travaille patiemment. Mais c'est aussi qu'ils sentent que le réalisme est indispensable.

Nos concitoyens savent également que les marges de manoeuvre ne sont pas si grandes, que le dosage est nécessairement délicat. C'est d'ailleurs le manque de lisibilité, l'action par à-coups de nos prédécesseurs qui avaient désorienté les acteurs économiques, entrepreneurs ou salariés. Tel n'est plus le cas aujourd'hui.

Malgré un environnement international perturbé, les chiffres du commerce extérieur continuent d'être bons, l'investissement dans l'industrie et le BTP est bien orienté : signe que les responsables économiques ont eux aussi confiance dans votre politique.

Votre volonté de poursuivre dans la voie d'une réduction des déficits et de la dette ne peut que susciter notre adhésion. Depuis maintenant deux ans, vous avez en outre procédé à un rééquilibrage de la fiscalité entre revenus du capital et revenus du travail, notamment par le basculement des cotisations maladie sur la CSG -et les mesures relatives à l'ISF- ont entraîné une baisse de 20 milliards des prélèvements sur les revenus de l'activité. Nous approuvons ce choix de taxer "l'argent qui dort", au bénéfice des revenus du travail, parce que cela ne peut que favoriser l'activité et l'emploi.

Le budget de 2000 sera le premier à être élaboré sur les bases de l'euro. Cela suppose une relation étroite, à défaut de symbiose, entre la politique de la Banque centrale européenne et les politiques budgétaires des Etats membres. La France, en pointe sur les questions de la croissance et de la relance de la demande intérieure, se doit d'être l'avocate d'une croissance européenne tournée vers la création d'emplois. C'est dans cet esprit qu'il faut poursuivre la consolidation budgétaire au niveau européen.

L'harmonisation, en cours, est loin d'être achevée. Les déficits et la dette doivent être réduits. C'est à quoi vous vous employez afin de restaurer les marges de manoeuvre qui permettront de faire éventuellement face à un ralentissement de l'activité et d'adapter les finances publiques au vieillissement de la population.

De ce point de vue, la maîtrise des dépenses publiques est évidemment décisive. Encoure faut-il s'entendre sur le terme "maîtrise". Aux effets d'annonce de vos prédécesseurs, vous avez préféré la pédagogie et les réalisations concrètes.

Nous approuvons vos choix et nous nous félicitons de la bonne gestion de la fonction publique par votre collègue Zuccarelli. Il a su renouer un dialogue interrompu pendant quatre années au cours desquelles les fonctionnaires ont été montrés du doigt, voire agressés. Pour nous, les services publics doivent trouver toute leur place dans la société et la maîtrise des dépenses ne devrait en aucun cas se traduire par une baisse des services rendus.

Il est trop facile de dénoncer des effectifs trop importants sans avoir le courage de dire quel service public on souhaite voir disparaître.

A la maîtrise des dépenses, vous ajoutez celle des prélèvements. Nous nous en félicitons. Toutefois, il est un point sur lequel nous attendons des engagements à court et moyen terme : je veux parler des prélèvements frappant les classes moyennes, qui ont le sentiment d'être parfois mis à contribution plus que les autres. De nouvelles initiatives doivent par exemple être prises pour favoriser leur accession à la propriété et des possibilités doivent leur être offertes d'investir lorsqu'ils le souhaitent -par exemple pour leur retraite.

Nous savons que de gros efforts ont déjà été entrepris : couverture maladie universelle, emplois-jeunes, réduction du temps de travail... Néanmoins, il convient de s'adresser maintenant à ceux qui ne sont pas exclus et qui nous font confiance.

Quant aux collectivités locales, elles attendent de l'Etat la pérennisation du pacte de croissance. De même que l'Etat doit garder toute sa place dans la politique d'aménagement du territoire, il doit assurer la solidarité entre les territoires. C'est un élément essentiel du pacte républicain et des moyens financiers suffisants doivent aller aux projets d'initiative locale.

Les radicaux de gauche sont parfaitement conscients des contraintes qui sont les vôtres et très sensibles au dialogue que vous entretenez avec les différentes composantes de la majorité. Ils entendent participer pleinement au débat budgétaire. La sagesse qui caractérise votre action nous incite à considérer que vous saurez entendre nos arguments, dans le respect des équilibres nécessaires au maintien de la confiance que les Français vous accordent avec raison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Pierre Méhaignerie - En vous écoutant, Monsieur le ministre, j'ai eu comme une intuition : vous n'avez pas la majorité pour la politique que, dans votre for intérieur, vous souhaiteriez conduire !

"Il faut bien voir que la rigidité de la dépense publique ne fait que traduire l'insertion de l'action de l'Etat dans un faisceau de relations de nature quasi contractuelle, qui n'est autre que la traduction d'une certaine modernité de l'action publique. L'Etat, qui ne peut ni ne doit désormais décider seul, se "lie les mains" pour mieux parvenir à ses fins", a écrit le rapporteur général dans son rapport, et je ne puis considérer ces propos sans circonspection ni inquiétude !

Vous avez émis l'idée, que nous partageons, selon laquelle la priorité devrait aller à la recherche de la croissance maximale. Soit, mais je vous donne rendez-vous en 2002, Monsieur le secrétaire d'Etat, car vous nous avez laissé en 1992-1993 une situation difficile à redresser. Pourtant, M. Rocard avait bénéficié en 1988-1989 de recettes exceptionnelles ! Les dépenses que vous consacrez à des réformes de structure peuvent nous placer dans deux ou trois ans dans la même situation qu'en 1992-1993...

Vous profitez de la croissance des recettes pour financer des dépenses. Bien sûr, ceux qui en profitent les trouvent agréables, mais elles coûtent cher à terme... On observe parfois, je le reconnais, le même phénomène au niveau des collectivités locales.

Vous hypothéquez l'avenir, alors qu'il faudrait saisir les opportunités qui se présentent à nous d'engendrer une croissance forte dans les prochaines années. Sur le plan extérieur, le grand marché et l'euro peuvent constituer un facteur de dynamisme, comme la mutation technologique ; sur le plan intérieur, la mesure qui aurait le plus d'impact serait l'allégement des charges sociales pesant sur les salaires -sans accroissement de la fiscalité. Elle devrait s'accompagner de la maîtrise des dépenses publiques : vous avez dit vous-même, Monsieur le ministre, que le retour à la sphère privée d'une partie des fruits de la croissance est le meilleur moyen d'alimenter celle-ci. Enfin, il est possible d'améliorer la gestion de l'Etat.

Le taux de la dépense publique est de 54 % en France contre 49 % dans la zone euro ; le taux de prélèvements obligatoires est de 46 % en France contre 42,4 % dans la zone euro. La priorité majeure aurait donc été, selon nous, de rapprocher notre situation de celle de nos partenaires européens.

M. Trichet a affirmé que la réduction drastique de la dépense publique est la condition vitale de la croissance et de la compétitivité. La Commission européenne note pour sa part que la France a connu un déficit trop proche de 3 %. Quant à l'OCDE, elle a déclaré que "la pression fiscale au sens large demeure excessive en France".

En outre, ces deux dernières années, la structure des dépenses a évolué au profit des dépenses de fonctionnement. A cet égard, Monsieur le secrétaire d'Etat, il n'est pas très honnête de placer dans les dépenses d'investissement les dépenses relatives à Réseau ferré de France ou à l'établissement public.

La Cour des comptes a d'ailleurs souligné la rigidité croissante des dépenses, au sein desquelles la part des investissements ne cesse de se réduire tandis que celle des dépenses de personnel progresse, ce qui, disait-elle, "rend le budget de l'Etat plus vulnérable à un retournement de la conjoncture économique".

Pour notre part, nous proposons de s'en tenir à une croissance zéro de la dépense publique pendant trois à cinq ans, de modifier l'ordonnance de 1959 en prohibant le déficit de fonctionnement, et de faire porter les réductions de crédits sur le fonctionnement plutôt que sur l'investissement.

A l'échéance de 2002, plusieurs risques se cumulent. Ils concernent les dépenses de sécurité sociale, les régimes de retraite, l'application des 35 heures, les 350 000 emplois-jeunes -100 000 auraient été utiles mais à 350 000, le risque pour la fonction publique est lourd-, la gestion défectueuse de l'Etat.

A propos des 35 heures, M. Fabius a déclaré qu'il fallait éviter de surcharger les entreprises, ce qui serait contre-productif. Sur ce sujet, nous ne serons totalement rassurés que si les dépenses nouvelles sont pour l'essentiel gagées par des économies, et surtout si l'on ne s'engage pas dans une extension au secteur public.

S'agissant de la gestion de l'Etat, celui-ci donne des leçons aux entreprises mais il est incapable de bien se gérer lui-même... Quelles conclusions pratiques va-t-on tirer des travaux de la mission de la commission des finances ? Quelles sont les réformes engagées ? Un exemple concret : la fabrication des billets par la Banque de France coûte deux à deux fois et demie plus cher que si elle était réalisée par des entreprises privées...

Considérant, donc, que les réformes de structure souhaitées par le Gouvernement représentent davantage un frein qu'un moteur pour la croissance, nous n'approuverons pas ses orientations budgétaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Christian Cuvilliez - Les statistiques officielles de l'ANPE font apparaître une diminution du nombre de demandeurs d'emplois. Cependant cette évolution masque le changement de classification de certains d'entre eux et le développement de la précarité et du temps partiel non choisi.

Nous nous réjouissons que dans le document du Gouvernement, l'objectif principal soit "le progrès solidaire, pour une croissance partagée" que je résumerai dans une formule : "croissance solidaire".

M. Cochet remplace M. d'Aubert au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

M. Christian Cuvilliez - Depuis 1993, l'économie européenne est caractérisée par une croissance faible et une montée en puissance du chômage. Pour respecter les critères de convergence de Maastricht, les pays européens ont engagé des politiques d'austérité, aux coûts économiques et sociaux considérables.

Le coût du passage à la monnaie unique, notamment en termes d'emplois, est tel qu'il faut pratiquer une politique économique monétaire et budgétaire de relance durable et concertée.

D'après le rapport de la Banque de France, l'accélération de la croissance économique observée en 1997 et au premier semestre 1998 a fait place à une décélération à partir de l'été, essentiellement en raison des crises asiatique et sud-américaine. L'activité a été soutenue grâce au dynamisme de la demande intérieure.

Mais des risques de freinage se font jour. La pression de la croissance financière contre la croissance réelle se développe ; l'Europe que l'on prétendait immunisée contre la conjoncture mondiale par la monnaie unique, est confrontée aux mêmes contradictions. Les hypothèses de croissance élaborées par vos services sont donc optimistes.

Vous affirmez que la stabilisation des charges de l'Etat en francs constants est compatible avec le financement des priorités budgétaires. Or, qu'il s'agisse de l'enseignement, de la santé ou du logement, l'on se heurte aux contraintes de gestion financière.

L'an dernier, sur un budget total d'environ 1 600 milliards, l'évolution était limitée à 75 milliards, dont un tiers pour la résorption du déficit, un tiers pour la réduction des prélèvements et un tiers pour des budgets d'activités. Or, c'est bien sur une politique de l'emploi efficace et une politique sociale renforcée que notre majorité plurielle a une obligation de résultats.

Le gouvernement français plaide, avec nombre de ses partenaires européens, pour que la combinaison -le "policy-mix"- entre la politique monétaire de la Banque centrale européenne et les politiques de finances publiques conduites dans les Etats membres favorise une expansion durable.

Ce que nous souhaitons, c'est un "policy mix" maîtrisé au service de l'emploi, de la formation et d'une croissance soutenue. Sur tous ces points, les élus de la majorité plurielle doivent passer des déclarations d'intention aux actes.

Le crédit doit servir l'emploi et la formation plutôt qu'accélérer les mouvements de capitaux. Il existe dans notre pays d'importantes liquidités qui pourraient être utilement injectées dans l'économie, afin que la richesse créée par le travail le soutienne en retour.

Le pôle financier public que nous appelons de nos voeux, associant, autour de Caisse des dépôts, les caisses d'épargne, la CNP, La Poste, la BD-PME, a vocation à orienter l'épargne et le crédit vers l'emploi et la formation. Ce gouvernement de gauche plurielle doit opposer à la logique libérale un pôle public stable lui permettant d'atteindre les objectifs en matière d'emploi, de logement ou d'aménagement du territoire. Nos concitoyens souhaitent une telle inflexion.

J'en viens à la fiscalité. Le Gouvernement souhaite réduire le poids des prélèvements obligatoires à partir de 2000, conformément à la programmation pluriannuelle établie. Ses objectifs sont clairs en matière fiscale : favoriser l'emploi et la croissance, rechercher une plus grande justice fiscale en limitant la taxation des ménages les plus modestes, promouvoir la défense de l'environnement. A cet égard, je précise que nous acceptons sans réserve le principe d'une fiscalité spécifique si elle doit servir les objectifs d'emploi, de qualité de vie et de développement durable.

Certaines propositions du groupe communiste en matière de recettes avaient été retenues l'an passé : baisse du plafond du quotient familial en contrepartie du rétablissement de l'universalité des allocations familiales ; baisse de 20,6 % à 5,5 % de la TVA sur les abonnements de gaz et d'électricité ; réduction de l'avoir fiscal des entreprises ; surtaxation de la détention de bons anonymes ; baisse de la TVA sur l'achat par les particuliers de terrains destinés à accueillir une résidence principale ; aménagement de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Il faut aller encore plus loin. Pourquoi ne pas diminuer la TVA sur les produits alimentaires de consommation courante, et pas seulement la sucrerie et la confiserie ; sur la restauration et d'autres activités de main d'oeuvre, sur les services de traitement et de collecte des ordures ménagères dans l'ensemble de la filière, sur les services funéraires ? Pourquoi ne pas réduire à 5,5 % la TVA sur les bicyclettes ?

Nous proposons de financer ces mesures grâce à l'impôt sur les sociétés, l'impôt de solidarité sur la fortune, ou encore la taxation des mouvements spéculatifs.

La politique budgétaire doit servir l'emploi et la justice fiscale.

La politique économique doit rompre avec la logique ultralibérale. Il faut tarir les flux financiers qui alimentent la spéculation, au risque de fragiliser notre économie.

Les revenus financiers ont d'ores et déjà été mis davantage à contribution. De même, un certain rééquilibrage s'est opéré, en particulier par le biais de la CSG, impôt proportionnel qui garantit un financement pérenne de la protection sociale. Cependant, cette contribution réduit paradoxalement le poids de l'impôt sur le revenu et limite donc la progressivité de notre système fiscal. Je n'aborderai pas les questions de fiscalité locale, les réservant à notre collègue Daniel Feurtet.

La réduction du temps de travail à 35 heures peut constituer une véritable avancée de civilisation. Nous nous interrogeons toutefois sur les effets pervers du financement retenu dans la deuxième loi pour l'aide incitative accordée aux entreprises, qui renoue avec les exonérations stériles pratiquées par le passé.

Les biens professionnels et les oeuvres d'art devraient entrer dans le champ de l'assiette de l'ISF.

La croissance dépend étroitement de la demande intérieure. C'est pourquoi le prochain budget doit créer des emplois, notamment publics (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et abonder de manière significative les budgets sociaux.

Limiter la progression de la dépense publique à 0,3 % cette année, alors même que le contexte conjoncturel est fragile, risque d'avoir des effets contre-productifs.

Le rapport préliminaire de la Cour des comptes sur la période 1994-1998 démontre dans quelle impasse nous enferme la recherche obsessionnelle de la réduction des dépenses, au nom du désendettement.

Cette politique est censée stopper l'effet "boule de neige" de la dette publique. En fait, l'effort a été facilité ces deux dernières années par la baisse des taux d'intérêts à long terme et une croissance du PIB moins atone. Cependant, le ratio dette/PIB continue d'augmenter. L'encours de la dette, qui atteignait fin 1997, 3 933 milliards est passé à 4 252 milliards en 1998.

Stopper "l'effet boule de neige" de la dette exigerait une expansion budgétaire favorable à l'emploi et au développement des ressources humaines.

En un mot comme en cent, les fruits de la croissance doivent nourrir la croissance et la solidarité. Il ne s'agit pas seulement pour nous d'une exigence de justice sociale. Il s'agit d'adopter une autre logique d'efficacité sociale tendant à une croissance réelle et à la relance grâce à des emplois qualifiés, correctement rémunérés. Les sommes considérables qui sont déposées dans les banques devraient contribuer à servir les ambitions d'une politique de gauche.

Notre proposition d'un crédit à long terme à taux abaissé pour les projets d'entreprise fondés sur l'investissement productif mérite d'être examinée.

Les députés communistes forment une composante incontournable de la majorité plurielle. Cela les oblige à exercer en tous domaines, en particulier en matière budgétaire, une co-responsabilité, ce qu'ils assument pleinement. Cela suppose également un travail commun au sein de la majorité parlementaire.

Nous traduisons les aspirations légitimes et quelquefois impatientes de beaucoup de nos concitoyens. C'est leur voix que nous entendons faire entendre par la nôtre (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. François d'Aubert - Ce débat d'orientation budgétaire est un exercice utile. Il le sera tout particulièrement pour le Gouvernement et sa majorité. En effet, les fruits, virtuels, de la croissance semblent avoir ouvert les appétits. Quel foisonnement, quelque peu anarchique, de demandes ! Monsieur le ministre, vous souhaitiez en profiter pour diminuer les impôts et abaisser les droits de mutation ; M. Cuvilliez souhaiterait que l'on augmente les dépenses ; la commission des finances donnerait la préférence à une -ou des, c'est selon !- réduction ciblée de TVA. Ce grand marché,...

Un député socialiste - C'est le débat.

M. François d'Aubert - ...promet pour les deux mois à venir, au terme desquels devront être rendus les derniers arbitrages ! Il ne faut d'ailleurs pas oublier qu'une grande part des fruits de la croissance est déjà hypothéquée ! D'une part, M. Strauss-Kahn a promis l'an dernier de réduire les impôts. D'autre part, les 35 heures vont coûter cher. Les déçus risquent donc d'être nombreux.

J'en viens au fond. Le déficit budgétaire tout d'abord. On a l'impression que sa réduction n'est pas une priorité pour tous dans la majorité plurielle...

Plusieurs députés communistes - C'est vrai.

M. François d'Aubert - Le Gouvernement a rabaissé ses ambitions par rapport au gouvernement précédent.

M. le Rapporteur général - C'est osé !

M. François d'Aubert - A combien allez-vous fixer la réduction supplémentaire escomptée en 2000 ? 15, 20 milliards seulement ou serez-vous plus ambitieux, sachant que la France est en ce domaine la plus mauvaise de la classe en Europe ?

Autre question : quelle sera la place de la dépense publique ? M. le secrétaire d'Etat a plaidé votre vertu en ce domaine. Mais nous n'avons pas oublié que de 1988 à 1993, un gouvernement de même couleur a réussi l'exploit d'arriver à un déficit final deux fois supérieur à celui initialement prévu.

Nous avons le niveau de dépense publique le plus élevé d'Europe. La dépense publique n'est pas mauvaise en soi, mais son excès est dangereux. L'Allemagne, qui dépense 500 milliards de moins que nous, n'a pas un service public ou une protection sociale de moindre qualité.

Vous prétendez avoir été vertueux. Or, sur les dix agrégats de dépenses, un seul évolue à un rythme modéré, et vous n'y êtes pour rien : l'allégement de la charge de la dette, amorcé par le précédent gouvernement, est lié à la baisse des taux d'intérêt.

En revanche, je m'inquiète des dérapages observés sur d'autres postes : ainsi, le poste "fonction publique" s'est accru de 3 %.

Quels sont vraiment les effectifs de la fonction publique ? Les 20 000 emplois-jeunes du ministère de l'intérieur, par exemple, sont-ils comptabilisés ?

La baisse des taux d'intérêt vous donne une marge de manoeuvre supplémentaire de deux milliards. Il faudrait en profiter pour réduire les déficits publics, de manière à ralentir la croissance de la dette : notre endettement vient de dépasser le seuil de 60 %, au sens des critères de convergence, ce qui n'est pas sain.

Le passage aux 35 heures m'inquiète pour l'avenir. En l'an 2000, les entreprises devront surmonter trois épreuves : l'euro, le bogue et les 35 heures ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

La semaine des 35 heures est un échec et le bilan de Mme Aubry n'est guère glorieux. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que vous l'assumiez. Peu d'emplois ont été créés. Un nombre infime d'entreprises ont appliqué la loi. On est loin des prévisions.

Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de subventionner les 35 heures, au prix d'une petite manipulation, puisque vous avez mélangé l'aide de l'Etat avec l'allégement des charges sur les bas salaires.

A cet égard, est-il normal que l'Etat continue de supporter seul le coût de tels allégements, dont les premiers ont été décidés -voyez comme je suis honnête- par une loi de 1994 ? La Sécurité sociale et l'Unedic doivent aussi contribuer à les financer.

Se pose par ailleurs le problème de l'aide pérenne, dont vous ne nous avez pas dit, en commission, comment elle sera financée.

Sans doute estimez-vous qu'elle s'autofinancera. Personne n'y croit. On nous avait déjà expliqué que les 35 heures, parce qu'elles allaient créer des emplois, ne coûteraient rien à l'Etat. Or 7 milliards sont déjà inscrits au budget pour les financer.

Vous avez chuchoté tout à l'heure que l'application des 35 heures dans les hôpitaux et les administrations n'était pas urgente. C'est aussi notre avis, mais pouvez-vous le confirmer ? La mise en oeuvre de cette réforme dans le secteur public aurait un coût prohibitif.

C'est dans les pays européens où le niveau des prélèvements obligatoires est bas que le chômage est le moins élevé. Pourquoi, malgré une conjoncture aussi favorable, le chômage a-t-il si peu diminué en France, si ce n'est à cause du poids de l'intervention publique ?

Vous vous étiez engagé, Monsieur le ministre, à ne pas augmenter le niveau des prélèvements obligatoires, et même à la réduire. Or il demeure stable.

L'évolution de la réglementation européenne fait qu'on a modifié la définition des "prélèvements" : contrairement à ce que pensent nos concitoyens, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'est plus considérée comme un prélèvement obligatoire, ce qui vous permet de soustraire 12 milliards de la somme des impositions.

Nous avons besoin d'un peu de doctrine, Monsieur le ministre : il faudrait que vous nous expliquiez comment est calculé le montant des prélèvements obligatoires.

Vous qui reprochez souvent au précédent gouvernement d'avoir augmenté la TVA, n'oubliez pas que, depuis 1997, la facture fiscale s'est alourdie de 60 milliards : les épargnants, les détenteurs de patrimoine, mais aussi les familles et les entreprises s'en sont rendu compte.

Je tenais à faire ces précisions, après cet exercice d'autosatisfaction auquel vous-même, le secrétaire d'Etat et les orateurs de la majorité viennent de se livrer.

Nous souhaitons tous, pour l'avenir, une croissance forte et durable. Il faut pour cela que nous restions en harmonie avec nos partenaires européens. Vous prétendez mener une politique volontariste (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous avons entendu André Gauron, qui est en train de devenir l'oracle de la commission des finances.

M. le Rapporteur général - Pas du tout !

M. François d'Aubert - J'ai une grande estime pour André Gauron, qui fut le conseiller de Pierre Bérégovoy quand celui-ci était ministre des finances. C'est un expert. Or que nous a-t-il déclaré ? "L'amélioration fragile des finances publiques est davantage due à la conjoncture qu'au volontarisme politique." C'est la négation même de votre discours.

Préparer l'avenir, c'est aussi miser sur les nouvelles technologies. A cet égard, je me félicite qu'ait été adoptée la loi sur l'innovation. Il lui manque cependant un volet fiscal : je pense en particulier à la reconstitution des stocks-options. Mais je ne suis pas certain que vous trouviez un grand soutien dans votre majorité pour favoriser la mobilité du capital et la prise de risque.

Cela fait sans doute plaisir à la gauche de votre majorité quand vous expliquez que vous allez augmenter la fiscalité sur les entreprises. Mais taxer les actions, c'est-à-dire le risque pris par ceux qui créent des entreprises, cela est contraire aux objectifs que vous affichez.

Finalement, l'avenir vous préoccupe un peu. Au-delà de l'an 2000, c'est le trou noir (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Par exemple sur les retraites, vous proposez un petit fonds de répartition. Mais vous n'avez pas abordé les fonds de pension.

Le groupe DL ne peut approuver ces orientations budgétaires (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Jean-Louis Idiart - Après ce discours visionnaire, revenons à la réalité.

Ce débat d'orientation budgétaire se tient au lendemain d'une consultation électorale qui a validé l'action de la majorité plurielle et du gouvernement conduit par Lionel Jospin.

Ce gouvernement travaille avec méthode à construire un nouveau pays pour une Europe nouvelle. Il y réussit. Sur le chômage, les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail, il tient ses engagements. De même le combat contre les exclusions est engagé : avec la loi du 29 juillet 1998 et la création de la couverture maladie universelle.

Le Premier ministre a proposé un pacte de développement et de solidarité, pour retrouver une croissance durable.

Les résultats économiques et budgétaires de 1997 et surtout de 1998 et 1999 témoignent du respect de ces engagements.

M. d'Aubert remplace M. Cochet au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

M. Jean-Louis Idiart - Dans sa lettre à son successeur, M. Juppé prenait date. Nouvelle erreur pour la droite, nouvelle chance pour la France !

M. le Rapporteur général - Belle formule.

M. Jean-Louis Idiart - En 1998 et 1999 les dépenses de l'Etat ont été maîtrisées. Economies et redéploiements ont financé les actions prioritaires pour l'emploi et la solidarité, le logement, la culture, l'éducation et l'environnement.

En 1998, les déficits publics ont atteint 2,7 % du PIB contre 3 % en 1997.

Le déficit du budget de l'Etat a été réduit à 247,5 milliards, soit 20 milliards de moins qu'en 1997. Pour 1999, le niveau prévu de 2,3 % du PIB pour les déficits publics se confirme.

Ainsi fin avril 1999, le déficit du budget de l'Etat atteint 169,8 milliards contre 197 milliards fin avril 1998. La loi de finances initiale pour 1999 avait prévu un déficit de 236,6 milliards sur l'ensemble de l'année.

Pourtant la hausse des prélèvements obligatoires a été enrayée, après une augmentation de deux points de 1993 à 1997.

De nombreuses réformes fiscales ont été engagées.

En 1988, c'est la substitution de la CSG à la cotisation maladie et l'imposition plus forte des revenus du patrimoine, les premières baisses ciblées de TVA, la suppression de la réforme Juppé de l'impôt sur le revenu et la mise en oeuvre de réductions d'impôt justes et efficaces.

En 1999, la réforme de la taxe professionnelle, de nouvelles baisses ciblées de TVA (abonnement EDF-GDF), le durcissement de l'ISF, des mesures en faveur d'une fiscalité écologique.

Devant ces résultats, la droite est incapable d'avancer une critique réelle et les élections européennes la privent de tout soutien dans le pays.

Le budget 2000 doit poursuivre l'effort pour la croissance et la solidarité. Il est le premier à s'inscrire dans le cadre de la coordination des politiques économiques et budgétaires des pays européens.

Ses objectifs sont de financer nos priorités, et de réduire les prélèvements obligatoires, la dette publique et les déficits.

D'autre part, il est nécessaire de moderniser l'Etat et ses services. Ils ne peuvent prendre de retard sur l'évolution de la société. Or ce qu'on reproche avant tout à l'Etat, c'est sa lourdeur. Pour que nos décisions prennent toute leur efficacité, il faut en particulier moderniser les administrations financières et leur appliquer la méthode Jospin.

Pour le groupe socialiste la réduction de la TVA est un objectif essentiel. Or nous avons l'impression que le rythme n'est pas assez soutenu et les déclarations du ministre du budget dans un quotidien du matin me semblent bien timides (Ah ! sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). J'espère que notre détermination lui insufflera l'enthousiasme nécessaire pour mener à bonne fin notre engagement commun.

D'autre part, il faudrait modifier la réforme de la CSG en faveur des retraités modestes.

La lutte contre le chômage passe aussi par l'investissement et les grands travaux. Dans ce domaine, l'Etat ne joue pas tout son rôle et s'appuie sur les collectivités locales. Il envisage de consacrer 90 à 105 milliards aux contrats de plan Etat-région. C'est insuffisant étant donné le retard accumulé.

Enfin, il est souhaitable de poursuivre les efforts en faveur des retraités agricoles et des anciens combattants d'Algérie.

Le budget 2000 est élaboré dans ce contexte favorable. La confiance est revenue. Profitons-en pour conforter notre économie et conjuguer dynamisme et solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Yves Cochet - Croissance, croissance, croissance, avez-vous proclamé d'emblée, Monsieur le ministre... Oui, mais pour quel contenu et avec quelle redistribution ?

Dira-t-on oui à une croissance polluante ? Aujourd'hui à Londres, se réunissent les ministres de l'environnement de 70 pays. Selon un rapport alarmant de l'OMS, plus de 17 000 Français meurent chaque année de pollution automobile. Et bien sûr, on peut toujours faire de la croissance avec une agriculture intensive et productiviste. Mais les dégâts semblent aujourd'hui l'emporter sur les bénéfices.

C'est donc sur le contenu de la croissance qu'il faut s'interroger. La priorité est de favoriser la consommation des ménages les moins favorisés.

Globalement, je soutiens vos orientations budgétaires. Mais je souhaite présenter quelques propositions avant les derniers arbitrages.

D'abord, sur la réforme des cotisations patronales. Son objectif est de réduire le coût du travail non qualifié et de rééquilibrer les prélèvements sociaux sur les entreprises. Son coût pour l'Etat ? 25 milliards, contrebalancés pour moitié par le produit d'une écotaxe, que je préfère appeler "pollutaxe", pour moitié par une contribution assise sur les bénéfices des sociétés. Cette contribution sur les bénéfices ne concernera que les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions. Mais cette dernière mesure est critiquable parce qu'elle ne distingue pas entre les entreprises capitalistiques et celles de main-d'oeuvre. Il faut plutôt organiser un déversement, via la taxation de la valeur ajoutée ou, si vous préférez, une contribution sur la valeur ajoutée, des premières vers les secondes.

Par contre, l'élargissement de la TGAP et la création d'une "pollutaxe" sont de bonnes mesures. Il y aura avec cette dernière un double dividende : taxer la fiscalité écologique et financer les 35 heures. Tant mieux, mais le deuxième ne doit pas tuer le premier.

Il faudra veiller à ce que la dimension du développement durable soit bien soulignée dans les contrats de plan et les budgets les plus porteurs -environnement, aménagement du territoire, culture. Il faudrait davantage mettre en oeuvre le principe pollueur-payeur dans le domaine agro-alimentaire. Un franc par kilo d'azote, par exemple. Je vous renvoie sur ces points au rapport de Mme Bricq.

Le budget de la défense me pose encore quelques problèmes, car certaines dépenses restent trop élevées.

De nombreux citoyens et plus de 60 parlementaires pensent qu'il est temps d'instaurer la taxe Tobin. L'idéal serait de le faire au niveau européen. Puisqu'à la fin de la semaine doit se tenir un sommet à Cologne, la France pourrait proposer que le sujet soit discuté au sein du G8. On devrait faire de la taxe Tobin une condition d'éligibilité au FMI.

Vous m'avez répondu, Monsieur le ministre, que la taxe Tobin ferait s'effondrer la Bourse de Paris, que les capitaux allaient fuir. Vieil argument libéral. Mais s'il était vrai, il vaudrait pour tous les impôts, et les gros salaires et les capitaux partiraient tous vers la Grande-Bretagne. En fait, la pénalisation que représenterait la taxe Tobin est tellement légère qu'on peut penser qu'une large part de l'argent spéculatif resterait dans les banques françaises. Le même phénomène d'inertie fait que les transferts à l'étranger, pour défiscalisation, restent faibles. Quant aux possibilités de fraude des banques françaises, elles sont quasiment inexistantes car il est très facile de repérer ce genre de mouvements. J'ajoute, Monsieur le ministre, que la Bourse sait très bien s'effondrer toute seule, sans taxe Tobin.

J'ai une autre taxe Tobin à vous proposer, Monsieur le ministre, mais celle-là sur les mouvements de salariés. M. Auberger a souligné que 200 000 des emplois créés l'étaient dans des agences d'intérim, des emplois précaires donc. Pour lutter contre cette précarité, il faudrait instituer un timbre fiscal de 10 000 F par contrat d'intérim signé (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Mais ce à fiscalité constante, bien sûr.

Ma dernière proposition concerne les minima sociaux. Elargir le RMI aux jeunes de 18 à 25 ans constituerait, nous dit-on, un mauvais signal envers les jeunes et un glissement vers une société d'assistance. Au lieu de chercher un emploi, les jeunes se sentiraient pris en charge par la société. Pris en charge, ils le sont de toute façon, mais par leur famille. Quant à chercher un emploi, ce n'est guère facile quand le moindre déplacement coûte cher. Ces jeunes auraient plus d'autonomie et seraient moins stressés.

En conclusion, je dirai : la croissance sans doute, mais quel contenu, quelle redistribution ?

M. Philippe Auberger - Vous vous rendez compte que vous risquez de siéger à ses côtés au Gouvernement, Monsieur le ministre ?

M. le Ministre - M. Migaud et M. Bonrepaux ont bien voulu considérer 1999 comme un bon cru, je les en remercie. Ils ont tous deux évoqué l'enveloppe des contrats de plan, dont le Gouvernement a arrêté le montant à 105 milliards. J'ai bien compris que les parlementaires le trouvaient insuffisant mais comme j'avais fait au départ une proposition sensiblement inférieure, j'en reste là.

M. Migaud a beaucoup insisté sur le fait que les marges fiscales, s'il s'en dégage, devaient servir à baisser la TVA. J'ai bien entendu le message. M. Bonrepaux a fait état de propositions de la "MEC" concernant l'emploi et la formation professionnelle. J'attends d'autres propositions d'économies concernant d'autres ministères. Croyez que l'écoute du Gouvernement sera totale sur ces sujets...

M. Bonrepaux a particulièrement insisté sur l'intérêt de baisser la TVA dans le secteur du bâtiment. S'il y a des marges de manoeuvre, c'est en effet une piste à explorer en priorité.

L'ADEME est financée aujourd'hui sur moyens budgétaires. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir. Nous verrons comment fonctionne le TGAP.

J'ai bien noté ce qui a été dit à propos du FNDAE. Dès l'instant où c'est une préoccupation du président de la commission des finances, cela devient une préoccupation du Gouvernement et nous verrons donc comment avancer.

Sur la taxe professionnelle et sa conception, le Gouvernement avait promis un rapport annuel : il viendra en temps utile, n'en doutez pas.

M. Auberger a évoqué les emplois temporaires. Il a raison de dire que la qualité d'un emploi n'est pas neutre. Un contrat à court terme, ce n'est pas la même chose qu'un contrat à durée indéterminée. Par contre, je ne le suis pas quand il calcule la réduction du déficit. D'abord, il ne faut pas partir de 3 %, mais, compte tenu de France Télécom, de 3,5 % réels, qui ont été ramenés à 2,9 % en 1998 et qui le seront à 2,3 % en 1999, soit 0,6 point de baisse par an. De toute façon, cette baisse du déficit est reconnue par tous les observateurs internationaux comme la plus importante de tous les pays de l'Union, et ce qu'il s'agisse du déficit absolu ou du déficit structurel...

M. Charles de Courson - C'est nouveau.

M. le Ministre - M. de Courson me souffle que c'est nouveau et il a raison car nous étions auparavant les plus mauvais de la classe. Je salue donc son honnêteté. Et j'observe que l'honnêteté est une valeur de mieux en mieux portée, ces derniers temps. M. Bayrou n'a-t-il pas tout récemment reconnu que la précédente majorité avait augmenté la fiscalité de 140 milliards ! Bref, la vertu vient à l'opposition.

M. Charles de Courson - Vous oubliez les 6,3 % de déficit en 1993 ! Il s'agissait bien alors de vos amis. Vous avez la mémoire courte.

M. le Ministre - Vous placez donc MM. Bérégovoy et Balladur au même niveau pour le déficit !

M. Charles de Courson - Vous avez la mémoire courte !

M. le Ministre - Non ! A preuve : je me souviens du ton de Cassandre adopté par M. Auberger il n'y a pas si longtemps. Heureusement, la réalité lui donne toujours tort. Ainsi, lorsque nous préparions la loi de finances pour 1998, il proclamait : "Je n'aperçois pas une amélioration de la conjoncture", ajoutant : "Peut-on faire confiance au Gouvernement ?" - Non, pas toujours, mais peut-on faire confiance à M. Auberger ? J'hésite ! (Sourires) Il est constant dans ses prévisions, mais surtout dans l'erreur...

M. Philippe Auberger - Vous-même vous êtes trompé lourdement pour 1999 !

M. le Ministre - Les prévisions faites avant la crise russe se sont révélées erronées mais le propre des prévisions est d'évoluer avec le temps. En l'occurrence, nous les avons corrigées.

Vous nous reprochez, non pas d'avoir supprimé la surtaxe, mais de nous en vanter. Que n'avez-vous incité M. Juppé à faire de même avec la sienne ?

M. Philippe Auberger - Il n'a pas eu le temps ! (Sourires)

M. le Ministre - Conservateurs et gauche se partageraient donc le travail : les premiers instituent des impôts, la seconde les supprime !

Vous avez fait, Monsieur Auberger, une comparaison perfide entre le rapport de M. Bourguignon sur l'architecture de la fiscalité et le rapport sur l'architecture du système monétaire international, qui seraient également vides, mais, en l'occurrence, je ne puis me sentir visé : n'est-ce pas le Président de la République qui, dans quelques jours, doit défendre à Cologne la position de la France sur le système monétaire international ?

A la suite de la Cour des comptes, vous critiquez l'affectation à RFF des crédits du compte d'approbation spéciale, sous prétexte qu'il s'agirait de dépenses récurrentes...

M. Charles de Courson - De dépenses de fonctionnement !

M. le Ministre - Le principe arrêté par le Gouvernement est que ces crédits ne devaient pas aller aux dépenses budgétaires courantes, mais aux entreprises publiques. C'est le cas en l'occurrence et cela tranche avec 1994, année où 50 des 63 millions de recettes de privatisation ont été directement affectées au budget général. Notre décision apparaît d'autant moins illégitime que RFF est une entreprise qui fonctionne.

Comme les vieux manuels, vous voulez que seules les dépenses d'investissement puissent être financées par l'emprunt. Soit, mais considérez-vous les dépenses d'éducation comme des dépenses d'investissement ? Si vous répondez oui, le précepte perd de sa force. Si vous répondez non, vous allez contre toute la littérature moderne sur le capital humain. En réalité, il est si difficile de distinguer entre investissement et fonctionnement que presque tous y ont renoncé.

Je passe sur la réforme Juppé, car la décote n'était qu'un alibi.

Comme vous, je pense que les prélèvements obligatoires sont à un niveau trop élevé et c'est bien pourquoi nous essayons de les réduire. Pour le moment, nous les avons stabilisés, ce qui n'est pas si mal.

M. Charles de Courson - Vous les avez accrus de 21 milliards !

M. le Ministre - Non ! Nous les avons stabilisés, ce qui est tout de même beaucoup mieux que de les augmenter, comme vous l'avez fait. Je n'insisterai pas car il préside et ne peut donc me répondre, mais je me souviens qu'ici même, le 14 octobre 1995, M. d'Aubert était en train de relever la TVA de deux points, ce qui est la plus forte hausse que nous ayons connue !

M. Philippe Auberger - Inexact : la hausse figurait dans le collectif de 1995.

M. le Ministre - Interpellant M. d'Aubert sur le sujet il y a quelques jours, j'attendais qu'il me fasse cette réponse, mais lui avait oublié. En revanche, Monsieur Auberger, vous qui êtes taraudé par cette hausse, vous vous souvenez du jour précis ! Je souhaite que vous vous libériez rapidement de cette angoisse (Sourires).

M. Philippe Auberger - Ce sera fait le jour où vous baisserez la TVA !

M. le Ministre - Monsieur Huwart, vous êtes le seul à avoir souligné la nécessité de coordonner les politiques économiques mais il est effectivement exclu que nous puissions nous désintéresser de la politique budgétaire de nos partenaires. Vous avez raison aussi de noter que la croissance économique est aujourd'hui tournée vers la création d'emplois -ce n'est pas sans lien avec ce que la France a obtenu au sommet de Luxembourg- et de rendre hommage à M. Zuccarelli pour avoir renoué le dialogue avec les fonctionnaires. Il est vrai aussi que nous n'avons pas assez avancé pour ce qui est des classes moyennes et des mesures propres à leur faciliter l'accession à la propriété.

Monsieur Méhaignerie, vous avez tenu un discours frappé au coin du bon sens, comme on n'en entend que trop rarement venant de l'opposition. Cependant, votre intuition est fausse : jamais la majorité n'a fait défaut au Gouvernement en deux ans !

Selon vous, la croissance des recettes aurait servi essentiellement à financer la dépense publique. L'antienne est connue mais la thèse est fausse, à moins que vous ne vouliez dire qu'il faut laisser la plus grande part de l'accroissement de richesse à la sphère privée, pour que l'économie puisse se développer. Mais nous avons largement changé la situation à cet égard : en 1993-1994, 54 % de l'accroissement du PIB ont été pompés par la sphère publique. En 1995-1996, la proportion est montée à 70 % -grâce, notamment aux deux points de TVA de M. d'Aubert-, et même à 90 % en 1996. En 1997-1998, ce taux est revenu à 45 % et il sera du même ordre ou inférieur en 1999. Et les résultats sont là : nous avons une croissance plus forte que nos voisins !

Faut-il ramener la dépense publique au même niveau que chez nos partenaires ? L'objectif n'a guère de sens car on ne comptabilise par de la même manière en Europe. Ainsi, si la dépense publique est plus faible en Allemagne qu'en France, les régimes de retraite complémentaires y sont rangés non parmi les administrations publiques, mais parmi les entreprises. On ne peut comparer que ce qui est comparable -et je ne parle pas ici des dépenses militaires, évidemment moindres en Allemagne.

Ce qui a du sens en revanche, c'est le ratio dépense publique -PIB. Or ce pourcentage a décru depuis deux ans, ce qui tranche avec le passé.

M. Charles de Courson - Inexact : la croissance du budget de l'Etat a été de 0,3 % en 1997.

M. le Ministre - En loi de finances initiale, mais de 0 % en exécution. M. Sautter qui est facétieux (Sourires sur les bancs du groupe communiste) aurait même fait en sorte qu'on soit un milliard en dessous de ce que vous aviez voté.

M. Charles de Courson - Inexact.

M. Philippe Auberger - Vous avez coupé ce que nous avions gelé ! (Sourires)

M. le Ministre - Je sais gré à M. Méhaignerie de considérer que 100 000 emplois-jeunes, du moins, seraient utiles. J'y vois un progrès de l'opposition.

Je suis d'accord pour qu'on se réfère aux travaux de la commission des finances sur l'efficacité de l'Etat. Même, je ne vois aucun inconvénient à ce que M. Méhaignerie demande au président de cette commission de convoquer le gouverneur de la Banque de France pour le sommer de s'expliquer sur le coût de fabrication des billets -je serais intéressé par le compte rendu (Sourires).

Monsieur Cuvilliez, je vous suis reconnaissant d'avoir repris la formule de la croissance solidaire, qui m'est chère. Les deux termes sont importants en l'occurrence : aucun ne doit être subordonné à l'autre.

Vous avez prôné un "policy-mix" maîtrisé en faveur de la croissance et de l'emploi : mais n'est-ce pas ce que nous faisons, c'est-à-dire une baisse du déficit suffisante pour avoir des taux d'intérêt bas ? Si le déficit explosait, l'Etat verrait ses besoins de financement croître et les taux augmenteraient...

En matière de fiscalité, nous sommes d'accord avec vous sur les orientations ; il nous faudra voir avec l'ensemble de la majorité comment, dans l'hypothèse où des marges de manoeuvre seraient disponibles, nous pouvons donner suite à vos propositions. Je veux d'ailleurs saluer la contribution de votre groupe aux dispositions fiscales adoptées dans la loi de finances pour 1999.

Permettez-moi maintenant, Monsieur le Président, de me tourner vers vous.

Le déficit a été diminué beaucoup plus que vous ne le disiez puisqu'il faut, je l'ai dit, tenir compte de la soulte de France Télécom. En outre, nous avons rebudgétisé 45 milliards. En réalité, donc, le déficit a diminué de 30 milliards entre 1993 et 1997 et de 60 milliards entre 1997 et 1999.

Les emplois-jeunes, rassurez-vous, ne sont pas sous statut de la fonction publique ; ils n'ont donc pas à être comptés dans les emplois publics : s'il suffisait pour cela d'être payé avec de l'argent public, il faudrait aussi compter les députés.

S'agissant de la dette, je confirme que le ratio dette-PIB baissera à partir de l'an 2000 ; cette évolution n'est pas contrariée par la modification de calcul que l'Union européenne nous impose.

Vous avez, dans une trilogie admirable, considéré que l'an 2000 serait pour les entreprises l'année de l'euro, du bogue et des 35 heures. Je n'ai pas compris, de l'euro ou du bogue, lequel vous vouliez supprimer pour alléger la charge ; en tout cas, on ne supprimera pas les 35 heures, qui font partie intégrante de la politique conduite par le Gouvernement depuis deux ans, à laquelle, certes, vous ne croyez pas, mais qui a donné les résultats que l'on sait et que les Français ont approuvée.

M. Charles de Courson - A 42 %...

M. le Ministre - Vous dites que les pays où les prélèvements obligatoires sont les plus bas sont aussi ceux où le chômage est le plus bas. La corrélation ne me paraissait pas évidente mais à la réflexion, il semble que vous ayez raison : entre 1993 et 1995, les prélèvements obligatoires ont augmenté, et le nombre de chômeurs a augmenté de 78 000 ; entre 1995 et 1997, ils ont encore augmenté, et le nombre de chômeurs a augmenté de 118 000 ; depuis juin 1997, les prélèvements obligatoires sont stabilisés, et le nombre de chômeurs a diminué de 262 000...

Vous avez beau répéter que les fruits de la croissance ont servi à la dépense, cela reste une erreur : ils ont été partagés, par tiers, entre dépenses, baisse du déficit et baisse d'impôts.

J'ai constaté que vous aviez un nouveau gourou, M. André Gauron, devenu pour l'opposition la référence naturelle...

M. Charles de Courson - Hélas...

M. le Ministre - Monsieur de Courson, vous reconnaissez là l'un de vos camarades de la Cour des comptes ! Quoi qu'il en soit, les avis d'experts sont intéressants mais ne fondent pas une politique.

Par ailleurs, Monsieur le Président, vous vous êtes félicité de la loi sur l'innovation ; pourtant, vous n'y êtes pour rien car c'est la majorité qui l'a votée !

Enfin, en vous disant que notre horizon ne dépassait pas l'an 2000, vous nous avez fait injure : je vous assure que 2001 et 2002 nous intéressent ! (Rires)

Monsieur Idiart, je vous remercie d'avoir insisté sur les réformes de structure. Vous m'avez donné l'idée d'aller relire la lettre que M. Juppé avait transmise à l'actuel Premier ministre, pour voir comment les prévisions qu'elle contenait se sont ou non réalisées...

Vous avez eu raison de parler de la fraude à la TVA ; c'est un sujet très compliqué, mais nous nous en occuperons. Nous reparlerons également ensemble dans le débat sur la loi de finances des divers cas particuliers que vous avez évoqués -retraites à faibles revenus, retraites agricoles, anciens combattants d'AFN.

"La croissance, la croissance, la croissance", ai-je dit, Monsieur Cochet ? Je complète : "durable, durable, durable" ! (Rires)

Je vous suis sur la "pollutaxe". Vous avez insisté sur les budgets de la culture, de l'environnement et de l'aménagement du territoire ; pourquoi la culture, pourrais-je vous dire, ayant compris pour le reste ! (Sourires) S'agissant de la défense, nous sommes tenus par la loi de programmation militaire.

En ce qui concerne les mouvements de capitaux, le Gouvernement consacre depuis deux ans beaucoup d'énergie, dans les enceintes internationales à trouver des moyens de régulation. Nous obtenons des résultats et j'en suis heureux.

Faut-il instituer une taxe Tobin ? C'est un sujet passionnant et compliqué. En la matière, nous ne pouvons agir tout seuls, non pas parce que la Bourse s'écroulerait, mais parce que les capitaux continueront à circuler, en évitant la France... Observons au passage que James Tobin ne comprend pas que son idée de taxe soit reprise en France par des personnes qui se classent à gauche.

Quant à la taxe "Tobin sociale", avec laquelle Tobin n'a plus rien à voir et que j'appellerais donc volontiers "taxe Cochet sociale" (Rires), elle mérite analyse. Si vous avez des documents démontrant qu'on peut améliorer le fonctionnement du marché du travail en taxant les salariés pour qu'ils restent sur place, transmettez-les moi ! (Rires)

Les minima sociaux, enfin, Ils ont été fortement relevés au 1er janvier 1999. Néanmoins nous devrons en reparler dans le cadre de la prochaine loi de finances.

Après ce tour d'horizon rapide, je veux remercier tous les orateurs d'avoir été aussi directs et francs. Je constate la modération de l'opposition : même ses chevaliers les plus véhéments ont parlé de beaucoup d'autres choses que des orientations budgétaires, tant il est vrai que la critique est difficile. Je salue cette attitude, dont les Français vous seront reconnaissants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 22 heures.

La séance est levée à 20 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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