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Congrès du Parlement

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

LUNDI 28 JUIN 1999

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

MODIFICATION DU RÈGLEMENT DU CONGRÈS 1

PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE 1

1ère SÉANCE

La séance est ouverte à neuf heures trente.


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CONSTITUTION DU PARLEMENT EN CONGRÈS

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président de la République une lettre m'informant que le projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 relatif à la Cour pénale internationale et le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les hommes et les femmes ayant été votés en termes identiques par l'Assemblée nationale le 10 mars 1999 et le 6 avril 1999 et par le Sénat le 4 mars 1999 et le 29 avril 1999, il a décidé de les soumettre au Congrès en vue de leur approbation définitive dans les conditions prévues par l'article 89 de la Constitution.

Par ailleurs, dès lors que le Congrès envisage de modifier son règlement, il a paru souhaitable, conformément au précédent du décret du 18 décembre 1963, d'ajouter à son ordre du jour la modification de ce règlement.

Le décret de convocation du Congrès a été publié au Journal officiel du 24 juin 1999.

Je constate que le Parlement est constitué en Congrès.


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MODIFICATION DU RÈGLEMENT DU CONGRÈS

L'ordre du jour appelle le vote de la proposition de résolution adoptée par le Bureau du Congrès tendant à modifier les articles 16 et 17 du Règlement du Congrès.

M. le Président - Cette proposition de résolution a pour objet de rendre possible l'organisation des votes par scrutin public dans les salles situées à proximité de l'hémicycle.

La proposition de résolution, mise aux voix, est adoptée.

M. le Président - Conformément à l'article 61 de la Constitution, cette résolution du Congrès va être immédiatement soumise au Conseil constitutionnel.

Si elle est déclarée conforme à la Constitution, il en sera fait application pour le vote sur le projet de loi constitutionnelle inscrit à l'ordre du jour de la présente séance.

Compte tenu des nouvelles modalités d'organisation qui en découlent, les délégations de vote cesseront d'être enregistrées à 10 heures 30.


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PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À
LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 relatif à la Cour pénale internationale.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - En vertu des pouvoirs que lui confère notre loi fondamentale, le Président de la République vous a réunis en Congrès afin de vous soumettre le projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2, relatif à la Cour pénale internationale. Cette révision de la Constitution permettra à la France de ratifier le traité adopté à Rome le 18 juillet 1998, lequel marque un progrès essentiel vers l'instauration d'une justice pénale internationale.

Sur le long chemin de la lutte contre l'impunité, nous abordons aujourd'hui une étape décisive.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale qui avait connu des sommets dans l'horreur et dans la barbarie, la communauté internationale a voulu que les responsables des pires atrocités ne restent pas impunis. Des tribunaux ont alors été créés pour juger les auteurs des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Le procès de Nuremberg a marqué la naissance d'un nouveau droit, posant les fondations d'un ordre juridique international dont les normes s'imposeraient à tous les Etats et à leurs citoyens. Mais la cour criminelle internationale permanente, envisagée dès 1948 dans la Convention des Nations Unies sur la répression et la prévention des crimes de génocide, n'a pu voir le jour dans un monde alors divisé en deux blocs adverses.

La conviction qu'il était nécessaire de poursuivre et de sanctionner les auteurs de tels crimes n'a néanmoins pas cessé de s'exprimer. Elle a connu, tardivement, un premier succès avec l'institution, par le Conseil de sécurité des Nations Unies, de deux tribunaux ad hoc : le premier, en 1993, pour juger les crimes perpétrés dans l'ex-Yougoslavie ; le second, en 1994, pour juger ceux commis au Rwanda. Aujourd'hui, au Kosovo, la force de paix internationale prête son concours au tribunal de La Haye dans la recherche des responsabilités suprêmes des déportations, des viols et des massacres qui y ont été planifiés puis perpétrés.

Cinquante ans après la Déclaration universelle des droits de l'homme, le temps est donc venu, pour la communauté internationale, de se donner le bras juridique, permanent et universel dont elle a besoin.

Le 18 juillet 1998, 120 pays ont adopté, à Rome, l'acte final de la conférence diplomatique des Nations Unies sur la création d'une Cour pénale internationale. Dans le préambule du statut de cette Cour, les signataires déclarant avoir à l'esprit "qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine", manifestent leur volonté de voir cette juridiction, grâce à son caractère permanent et à sa compétence universelle, "mettre un terme à l'impunité des auteurs des crimes les plus graves et concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes".

La Cour pénale internationale sera compétente pour juger des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Elle pourra être saisie soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité des Nations Unies, soit par son procureur qui, sur la plainte des victimes, pourra être autorisé par les juges de la chambre préliminaire de la Cour à diligenter une enquête.

La Cour n'a cependant pas pour objet de décharger les Etats de leurs propres responsabilités : le principe de complémentarité qui régit sa compétence aura pour effet non de la substituer aux systèmes nationaux de justice pénale, mais de suppléer ceux-ci lorsqu'ils n'auront pas pu -ou pas voulu- connaître eux-mêmes des crimes relevant de leur compétence. Le dispositif prévu suppose d'autre part le consentement de l'Etat sur le territoire duquel les crimes ont été commis ou dont l'auteur présumé est ressortissant. Mais ce consentement résulte de la ratification même du traité par cet Etat.

La Cour s'intègre pleinement dans l'ordre juridique mondial. Le Conseil de sécurité dispose du pouvoir d'engager des poursuites mais aussi de les interrompre. Par une résolution prise sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, il peut en effet saisir la Cour d'une demande de sursis qui suspend l'engagement des enquêtes ou des poursuites pendant un délai de douze mois renouvelable. Cette possibilité laisse toute leur place aux efforts diplomatiques en vue d'un règlement politique en cas de menace pour la paix.

Dans ce progrès historique du droit, la France, des Français, ont joué un rôle considérable.

Dès 1928, l'Association internationale de droit pénal, fondée à Paris quatre ans plus tôt, sur les rapports des juristes Donnedieu de Vabres et Pella, présentait à la Société des nations un projet tendant à créer une chambre criminelle au sein de la Cour permanente internationale de justice de La Haye. C'est encore à l'initiative de la France, en particulier de M. Badinter, que le comité de juristes français, comprenant notamment le premier président de la Cour de cassation, M. Truche, a fait adopter en 1993 par le Conseil de sécurité des Nations Unies la création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

Tout au long de la conférence de Rome, la France a joué un rôle éminent dans l'élaboration du statut de la Cour, en recherchant un compromis de nature à emporter l'adhésion du plus grand nombre d'Etats. Elle a formulé des propositions concrètes, inspirées de notre tradition juridique, pour améliorer les règles de procédure de la Cour. C'est ainsi qu'a été créée une chambre préliminaire assurant un contrôle juridictionnel de l'activité du procureur. Ce contrôle permettra de vérifier le caractère sérieux des charges avant toute mise en accusation et d'assurer un équilibre dans la phase préalable au procès. Notre pays a également veillé à ce que les droits des victimes, jusqu'ici ignorés au cours du procès pénal, soient pleinement reconnus.

Enfin, la France a soutenu l'adoption d'un régime spécial pour le jugement des crimes de guerre, qui, à la différence des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité, peuvent recouvrir des actes isolés. Nous souhaitions, en effet, éviter des plaintes abusives, dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. Cette disposition, qui a facilité un accord général sur le statut de la Cour, permet à un Etat partie de décliner la compétence de la Cour pendant sept ans. La France a annoncé qu'elle ferait jouer cette clause. Cette position a été critiquée, mais il doit être clair que les auteurs de ces crimes ne resteraient pas impunis, puisqu'ils seraient évidemment traduits devant nos juridictions.

Notre pays doit continuer à montrer l'exemple en oeuvrant pour que la Cour pénale internationale voie le jour le plus tôt possible.

C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité que la ratification intervienne dans les meilleurs délais, sachant que la convention entrera en vigueur lorsque soixante Etats l'auront ratifiée. Vous êtes aujourd'hui réunis en Congrès pour autoriser cette ratification.

Saisi conjointement par le Président de la République et par moi-même, en décembre dernier, le Conseil constitutionnel a estimé, le 22 janvier dernier, que le statut de cette Cour était en contradiction, sur trois points, avec notre loi fondamentale.

Son article 27, qui permet à la Cour d'exercer sa compétence sur toute personne investie de fonctions officielles, a été jugé contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués pour le chef de l'Etat et les membres du Gouvernement par les articles 26, 68 et 68, alinéa 1, de la Constitution.

Le traité est, en outre, susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans la mesure où il pourrait contraindre un Etat à remettre à la Cour des personnes ayant bénéficié d'une loi d'amnistie ou des règles de prescription prévues en droit interne. Cette seconde incompatibilité reste toutefois théorique, les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité étant déjà imprescriptibles en droit français.

Pour le même motif, le Conseil constitutionnel a estimé contraire à la Constitution l'article 99 du statut, qui autorise le procureur près la Cour pénale internationale à recueillir des dépositions de témoins et à inspecter des sites ou lieux publics sur le territoire d'un Etat, hors la présence des autorités judiciaires de ce pays.

Vous le voyez, ces obstacles de nature constitutionnelle demeurent limités. De plus, le Conseil constitutionnel a affirmé que le respect de la souveraineté nationale ne faisait pas obstacle à ce que la France puisse, sur le fondement du Préambule de la Constitution de 1946, conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international.

Néanmoins, compte tenu de la décision du Conseil, et pour que le Parlement puisse autoriser la ratification et le Président de la République déposer les instruments de cette ratification, il vous est proposé de compléter le titre VI de la Constitution, par un article 53-2 disposant que "la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998". A l'Assemblée nationale, le 6 avril, puis au Sénat, le 29 avril, vous avez adopté en termes identiques et à une quasi-unanimité ce projet de loi constitutionnelle.

Par votre vote solennel, vous allez ouvrir la voie au processus de ratification et permettrez ainsi à la France de continuer à contribuer au parachèvement du droit international. C'est à l'avènement d'un nouvel ordre juridique international que vous contribuerez : pour que prenne corps l'espoir de mieux protéger partout les droits fondamentaux de la personne humaine, pour qu'aucun maître d'oeuvre de nouveaux massacres ne puisse compter sur l'impunité, pour que l'outrage à la conscience humaine reçoive sa sanction (Applaudissements).

M. le Président - La parole est maintenant aux représentants des groupes de chaque assemblée, pour les explications de vote. L'ordre de passage a été déterminé par tirage au sort. Chaque orateur disposera de dix minutes mais, bien évidemment, nul ne sera sanctionné s'il n'utilise pas la totalité de ce temps ! (Sourires)

M. Pierre-André Wiltzer - Ce projet revêt une importance exceptionnelle : la création d'une Cour pénale internationale chargée de rechercher et de punir les auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre ou d'agressions marquera, en effet, l'histoire du droit et des relations internationales. Ce sera un progrès décisif dans l'affirmation d'une conscience morale universelle et dans le respect effectif des droits de l'homme à l'échelle de la planète. Le groupe UDF de l'Assemblée nationale est donc heureux d'apporter sa contribution à cette entreprise en votant ce projet de révision constitutionnelle.

Nous nous réjouissons tout particulièrement du rôle très actif qu'a joué la France dans la préparation de la conférence de Rome, dans l'élaboration du statut de la Cour et dans les négociations qui ont conduit, le 18 juillet 1998, à l'acceptation de principe de ce traité, par 120 Etats sur 160.

Nous espérons que les 60 ratifications exigées pour que ce traité entre en vigueur pourront être réunies rapidement et je me permettrai une suggestion personnelle à cet effet : ne pourrait-on mettre à profit le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de la francophonie, qui se réunira en septembre à Moncton, au Canada, et, dès la semaine prochaine, la réunion de l'Assemblée parlementaire de la francophonie à Ottawa, pour susciter des ratifications nombreuses ? L'organisation de la francophonie, forte d'une cinquantaine d'Etats, trouverait là une occasion de manifester sa volonté collective.

Quoi qu'il en soit, le fait que la France, patrie des droits de l'homme, entende être aussi l'un des premiers Etats à ratifier ce traité est pour nous un motif de fierté.

En effet, qu'il puisse enfin exister un tribunal international chargé de poursuivre les auteurs de crimes collectifs et de massacres atroces ne peut être tenu pour un événement secondaire, quand on a à l'esprit les tragédies de la seconde guerre mondiale ou celles, plus proches, de l'ex-Yougoslavie ou de plusieurs pays du continent africain. Dans une histoire certes toujours ponctuée de violences, de persécutions, de déportations ou de massacres organisés, il s'est trop souvent trouvé des hommes pour attiser haines et passions au service de leur volonté de puissance. Détournant à des fins ignobles les progrès techniques ou recourant au conditionnement des esprits, le XXe siècle a donné à ces crimes une ampleur sans précédent.

Mais c'est aussi le même siècle qui a fait apparaître les éléments d'une conscience universelle et où se sont conjugués les efforts pour affirmer les droits essentiels de l'humanité.

La construction, lente et entrecoupée de reculs, d'une véritable communauté internationale, soucieuse de prévenir les conflits, témoigne de cette volonté. La création d'une Cour pénale internationale viendra la conforter. A la différence des tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo et des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda, cette Cour sera une juridiction permanente. Ainsi aboutissent enfin les longs efforts des juristes, des politiques et des diplomates ; ainsi se dessine le droit international public qu'appelait de ses voeux Henri Donnedieu de Vabres : un droit qui "se superposerait à celui des Etats et aurait pour sujet actif la communauté universelle".

Tel est bien, en effet, l'apport essentiel de la convention de Rome : on ne se contente plus de déclarer que les crimes sont contraires aux droits des gens, on crée la juridiction qui va poursuivre effectivement et personnellement leurs auteurs. Et les crimes de cette nature commis à l'intérieur d'un Etat à l'occasion de conflits internes seront traités d'identique façon. Les Milosevic présents et futurs, leurs émules et complices ne seront plus à l'abri des poursuites ! C'en est fini de la sinistre théorie professée par tous les dictateurs de la terre, selon laquelle "charbonnier est maître chez soi" et peut massacrer impunément une partie de la population. La création de la CPI marquera un progrès historique pour la morale et le droit dans le monde. Il faut croire à la force des idées et des principes, ils finissent toujours par s'imposer.

Bien sûr, la convention de Rome n'est pas parfaite : elle porte la marque de divers compromis, et les débats qui ont eu lieu devant nos deux assemblées ont permis de mettre en évidence certains défauts. La définition des crimes d'agression est renvoyée à une conférence de révision, sept ans après l'entrée en vigueur du Traité. L'article 124 permet aux Etats signataires de récuser pendant sept ans la compétence de la nouvelle juridiction pour les crimes de guerre. Les membres permanents du Conseil de sécurité peuvent suspendre l'enquête pendant douze mois renouvelables. Et surtout, on relève parmi les pays qui ont voté contre le traité, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, Israël, le Viet-Nam : j'espère que le mouvement favorable à la ratification sera assez fort, dans le monde, pour entraîner ces pays.

Que de progrès, néanmoins : le caractère imprescriptible des crimes, la compétence de la Cour pour engager des poursuites, sans exception aucune ; la place faite pour la première fois aux victimes ; la complémentarité entre la CPI et les juridictions pénales nationales, qui permet un équilibre entre l'affirmation d'une justice internationale et le respect de la souveraineté des Etats, la Cour n'intervenant qu'à défaut de ceux-ci. Cette nouvelle juridiction est une étape importante, et réaliste, vers la construction d'un nouvel ordre international fondé sur le droit.

Certaines dispositions du Traité ayant été jugées par le Conseil constitutionnel incompatibles avec notre loi fondamentale, une révision était nécessaire. Nous la voterons, avec la conviction de faire accomplir un progrès au droit et à la civilisation, et la volonté de faire reculer la barbarie (Applaudissements).

M. Robert Badinter - Cette révision constitutionnelle revêt une importance exceptionnelle, non pour l'article lui-même, mais par l'objet même du traité de Rome dont cette révision permettra la ratification, et qui crée la Cour pénale internationale, chargée de juger les responsables de génocide, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre. C'est l'aboutissement d'une longue marche. A l'orée du XXe siècle, les voix autorisées proclamaient qu'il serait celui de la paix, de la justice, du progrès universel. Nous avons eu le génocide arménien, les génocides juif, tzigane, cambodgien, rwandais et pour couronner le siècle les massacres et les viols collectifs dans l'ex-Yougoslavie. Je suis convaincu, hélas, qu'Auschwitz restera à jamais le tragique symbole de ce siècle.

Une prise de conscience internationale s'est tout de même fait jour. Elle s'énonce en termes simples, comme toute exigence éthique essentielle : il n'est pas admissible que les grands responsables des crimes contre l'humanité échappent au châtiment. Il n'y a pas, et il ne peut y avoir, de paix durable sans justice. La paix, c'est d'abord dans les coeurs et les âmes, qu'il faut l'enraciner. La justice peut y contribuer car le châtiment des grands criminels apaise chez les victimes une tension qui resterait, sinon, insupportable, et libère aussi les peuples d'une culpabilité collective. Le procès de Nuremberg, en dépit des critiques, a répondu à cette double exigence et a favorisé, sans doute, la naissance d'une nouvelle Europe depuis 1948. Mais la leçon avait été oubliée ensuite et la guerre froide interdisait tout progrès vers la Cour pénale internationale envisagée dès 1948.

L'effondrement de l'empire soviétique et la tragédie de l'ex-Yougoslavie ont changé les choses. Lors de la conférence sur la paix dans l'ex-Yougoslavie, en 1992-1993, nous étions quelques uns à soutenir fermement qu'il était insupportable qu'un demi-siècle après Nuremberg, des crimes contre l'humanité commis au vu et au su de l'opinion mondiale, puissent demeurer impunis. En dépit des "réalistes", l'exigence que justice soit faite contre les criminels, si puissante dans l'opinion publique internationale, l'a emporté. Le TPI pour l'ex-Yougoslavie fut créé, en 1993, et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, en 1995. Grâce à l'énergie des magistrats et à l'appui de l'opinion publique, des poursuites ont été ouvertes, des criminels arrêtés, des condamnations prononcées. Et sans l'existence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, les crimes contre l'humanité commis au Kosovo ne seraient pas aujourd'hui poursuivis, Milosevic et quatre autres responsables serbes ne seraient pas inculpés de crimes contre l'humanité. Milosevic et les siens peuvent se croire aujourd'hui à l'abri, en Serbie, et assurés de l'impunité. Mais les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, la fortune politique changeante et les appuis internationaux inconstants. Le jour viendra, j'en suis convaincu, où les principaux responsables des crimes contre l'humanité seront traduits devant leurs juges, à La Haye. Encore faut-il, pour réaliser cette oeuvre de justice, une fermeté sans défaillance de tous les Etats de l'Alliance.

La justice contre les criminels contre l'humanité ne peut cependant se satisfaire de la création de tribunaux ad hoc par le Conseil de sécurité. D'une part, parce que cette création est toujours soumise à des considérations de politique internationale. Croit-on qu'aujourd'hui, la résolution créant le TPI pour l'ex-Yougoslavie serait votée par la Russie et la Chine ?

D'autre part, seule une juridiction permanente peut dissuader certains criminels en puissance de réaliser leurs projets. C'est pourquoi la création de la Cour pénale internationale représente une avancée considérable par rapport au TPI de La Haye. La communauté internationale a eu conscience de ce progrès, puisque cent vingt Etats ont voté le traité de Rome. Sept ont cependant voté contre, parmi lesquels deux grandes puissances, les Etats-Unis et la Chine.

Nous nous réjouissons que la France ait joué un rôle important à Rome pour l'amélioration de la procédure, les droits des victimes. Nous souhaitons cependant qu'elle ne se prévale pas des dispositions de l'article 124 du Traité, qui permet aux Etats signataires de refuser la compétence de la Cour pour juger les crimes de guerre. En effet, c'est aux Etats eux-mêmes qu'il appartient d'abord de poursuivre et de juger ceux que le Procureur indépendant aura dénoncés comme susceptibles d'avoir commis de tels crimes. C'est donc la justice française qui aurait à juger ses ressortissants dans cette plus qu'improbable hypothèse. La France, Etat de droit, n'a rien à redouter de la Cour pénale internationale et son autorité morale ne sortirait pas grandie d'une telle réserve.

Ce que nous attendons, en revanche, du Président de la République et du Gouvernement, c'est qu'ils mettent l'autorité internationale de la France au service de la Cour. D'abord, en incitant les autres Etats à ratifier le traité de Rome sans tarder, car la Cour ne sera effectivement créée que lorsque soixante ratifications seront intervenues, et elle ne pourra connaître que des crimes commis après. Si, demain, des crimes contre l'humanité sont commis ailleurs que dans l'ex-Yougoslavie, comment accepter une impunité qui ne serait due qu'à l'indifférence ou à la négligence des Etats qui ont voté la création de la Cour ? Félicitons-nous que la France soit, avec l'Italie, au premier rang.

Lorsque les ratifications nécessaires auront été obtenues, nous souhaitons que la France s'assure que la Cour disposera des moyens nécessaires pour agir, car son efficacité sera à la mesure du concours que les Etats lui assureront. La carence des grandes puissances à se saisir de criminels contre l'humanité tels Mladic ou Karadjic, quels qu'en soient les motifs, s'est révélée désastreuse ; s'ils avaient été arrêtés et remis au tribunal de La Haye pour y répondre de leurs crimes, alors, en Serbie, les responsables politiques et militaires auraient mieux mesuré les risques personnels que la criminelle purification ethnique leur faisait encourir.

Retenons la leçon. Que soit créée sans délai la Cour pénale internationale. Que les auteurs de génocide, de massacres, de viols mesurent que le temps de l'impunité s'achève. Que les victimes sachent que leur attente de justice ne sera plus déçue. Que le siècle qui va naître voie poindre enfin l'aurore d'une véritable justice internationale contre ceux qui outragent les droits de l'homme. Telle est la véritable portée du vote que nous allons émettre. Aucune voix du groupe socialiste du Sénat, et nous l'espérons, aucune voix au Congrès, ne fera défaut en ce moment historique, (Applaudissements).

M. Georges Othily - Le XXe siècle a débuté avec la guerre dans les Balkans et s'achève avec la guerre dans les Balkans. Entre ces deux extrémités, il aura été traversé par des bouleversements d'une rare intensité, qu'il se soit agi, pour certains, de provoquer le déracinement de l'humanité ou, pour d'autres, de lutter, parfois au péril de leur vie, pour l'avènement d'un monde meilleur. A ce paradoxe d'un siècle belliqueux, confus, désordonné et pourtant brillant, s'en ajoute un autre qui nous fait entrer dans le champ de la philosophie : n'est-ce pas la vilenie des uns qui donne naissance à la grandeur des autres ? N'est-ce pas l'infamie d'un Klaus Barbie qui révèle la dimension d'un Jean Moulin ?

Doit-on considérer la création de la Cour pénale internationale comme une avancée autonome ou comme la réponse à des dysfonctionnements inacceptables ? N'est-il pas illusoire de penser que les générations futures puissent connaître une paix universelle, stable et durable ?

Cette révision constitutionnelle s'inscrit dans ce paradoxe : la création d'une Cour pénale internationale constitue un formidable progrès mais en donnant naissance à cette nouvelle juridiction, nous prenons acte de notre impuissance à empêcher la commission des crimes qui entraîneront sa saisine, laquelle entérinera l'échec de la prévention diplomatique.

Cela étant, il est indispensable que la communauté internationale se dote des outils qui lui permettront d'assurer au mieux la défense des plus faibles. Du reste, pour tardives que seront les interventions de cette juridiction, elles n'en seront pas moins dissuasives : il est permis de penser que ceux qui seraient tentés de s'engager dans des voies désormais périlleuses renonceront à leurs desseins.

La force de la Cour pénale internationale réside également dans son caractère permanent, dont ne disposaient pas les tribunaux constitués en vue de juger les tragédies de la seconde guerre mondiale ou, plus récemment, du Rwanda : l'expérience du tribunal pénal international chargé de l'instruction des crimes commis en ex-Yougoslavie l'atteste. Chacun ignorait, lors de la constitution de celui-ci que Milosevic sévirait au Kosovo : c'est bien parce que la compétence du tribunal n'a pas été limitée dans le temps que ce dictateur est aujourd'hui poursuivi ; si cette juridiction n'avait été saisie que des crimes commis en Bosnie avant sa création, une nouvelle intervention de la communauté internationale aurait été nécessaire.

La Cour pénale internationale constitue donc la première juridiction pénale universellement compétente, échappant de surcroît aux règles de prescription, qui porteraient atteinte à la mémoire des victimes. Quels que soient la date et le lieu des exactions commises, aucun criminel ne pourra chercher refuge afin de faire échec aux poursuites ; quels que soient la date et le lieu de son arrestation, aucun criminel ne pourra désormais échapper à sa traduction devant la justice internationale.

C'est un formidable message d'espoir que les sociétés démocratiques adressent aux populations victimes de despotes.

Les droits de l'homme avancent à grand pas. Cependant il est permis de formuler certaines réserves.

La quasi-totalité des démocraties anciennes, à l'exception notable des Etats-Unis, a souscrit à ce projet de Cour pénale internationale. Réjouissons-nous de l'adhésion des nombreux Etats dont l'histoire récente est pleine d'hésitations et dont certains ont connu des troubles qui auraient justifié la saisine de la Cour pénale internationale si elle avait existé à l'époque.

A l'inverse, il est à déplorer que la Chine n'ait pas souhaité s'associer à ce mouvement en faveur des droits de l'homme, lesquels ne rencontrent que peu d'écho dans cette région du globe.

Le refus sino-américain est une marque de faiblesse du dispositif auquel 120 nations ont choisi d'adhérer. N'oublions pas que le fonctionnement de la Cour pénale internationale s'inscrit dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont les Etats-Unis et la Chine sont membres permanents, ce qui leur confère un droit de veto, lequel s'accommode mal des objectifs d'universalité poursuivis par cette juridiction.

Vous me permettrez, Monsieur le Premier ministre, de vous faire connaître mon sentiment quant à la fréquence des révisions constitutionnelles auxquelles nous procédons. En 1958, la France ne prenait pas une part aussi active à l'élaboration des normes multilatérales, qu'elles soient européennes ou internationales. Les engagements pris par notre pays dans de nombreux domaines nous conduisent trop souvent à revoir notre loi fondamentale. Le moment n'est-il pas venu d'envisager l'adoption d'une nouvelle Constitution, mieux adaptée aux exigences du prochain siècle ? Cette réflexion n'altère pas la valeur de l'engagement auquel nous nous apprêtons à souscrire, et tous les sénateurs membres du Rassemblement démocratique et social européen soutiendront cette révision (Applaudissements).

M. François Goulard - On peut sans doute, à propos du traité instituant une Cour pénale internationale, regretter les limites de sa compétence, les imperfections de sa constitution, les absences notables dans la liste de ses signataires. On peut, en insistant sur ses lacunes, minimiser son importance, banaliser l'événement qu'a constitué sa signature et que constituera son entrée en vigueur quand soixante Etats, à l'instar de notre pays, l'auront ratifié.

Ce serait un formidable contre-sens. Ce traité est une étape majeure dans l'élaboration d'un droit pénal international. Il réalise une avancée de principe considérable. Il peut avoir, demain, une extraordinaire portée, car sa force et sa nouveauté résident dans l'affirmation de la supériorité du droit.

L'idée d'une justice pénale internationale est aussi ancienne que l'idée même de justice. Mais pratiquement jamais, jusqu'à une période récente, elle n'était sortie des limbes de la théorie. Le droit pénal international est resté essentiellement un droit des vainqueurs, y compris à Nuremberg et à Tokyo. Plus récemment, le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et celui pour le Rwanda, résultant de décisions unilatérales du Conseil de sécurité de l'ONU, présentent la triple caractéristique d'avoir été créés postérieurement aux faits incriminés et de n'être ni permanents ni universels.

Pour la première fois dans l'histoire, un traité signé par 120 nations, dont les 15 Etats de l'Union européenne, institue un tribunal international permanent, doté d'une compétence en principe universelle et chargé de sanctionner les auteurs des crimes constitutifs des plus graves atteintes aux droits de l'homme que sont les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes d'agression.

Malgré ses imperfections, malgré la complexité de son application, malgré les restrictions de compétences qu'il comporte et les échappatoires qu'il autorise, ce traité pose néanmoins le principe de la supériorité du droit sur la force. Il proclame que les droits de l'homme l'emportent en définitive sur le pouvoir souverain des Etats.

Nous ne pouvons, nous libéraux, qu'applaudir à cette traduction de notre philosophie politique. Mais ce progrès moral ne serait guère satisfaisant s'il ne s'inscrivait dans une période de l'histoire où il peut trouver une portée bien réelle. C'est d'ailleurs la conjonction, qui n'est bien sûr pas due au hasard, entre un traité inspiré par une conception nouvelle de la supériorité des droits de l'homme sur la souveraineté des Etats et une scène internationale marquée par la primauté d'Etats eux-mêmes respectueux des droits de l'homme, qui confère à cette ratification toute son importance.

Jusqu'à l'effondrement du totalitarisme soviétique, tout progrès du droit international était interdit par la menace que constituait cette puissance. Toute volonté de servir la cause de la justice pénale internationale se heurtait à la bipolarisation du monde, dans laquelle les alliés du monde libre étaient inattaquables quoi qu'ils fissent, tant on craignait de les voir changer de camp, tandis que, bien entendu, les satellites de l'empire soviétique se moquaient comme d'une guigne des droits de l'homme, à l'imitation de leurs maîtres.

Depuis l'effondrement du mur de Berlin, le monde a changé de visage. Sans doute faut-il se garder de tout angélisme, lorsqu'on considère les rapports entre les Etats. Sans doute serait-ce manquer de réalisme que d'exclure toute considération de puissance, de recherche d'intérêt, voire d'envie de domination dans les facteurs qui régissent le comportement des Etats les uns à l'égard des autres. Mais il est incontestable qu'il est infiniment plus facile aujourd'hui d'obtenir une action concertée des nations au service du respect du droit. La justice est devenue un objectif partagé, une police internationale à son service est maintenant envisageable.

L'intervention des alliés au Kosovo en est le premier exemple. Pour la première fois, les démocraties se sont unies pour conduire une opération militaire qui n'était motivée ni par des intérêts stratégiques, ni par des intérêts économiques, mais par le seul but de mettre fin au règne de la barbarie. Les démocrates ont agi pour faire respecter les droits de l'homme, pour faire cesser les crimes qui relèvent aujourd'hui du tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie et relèveront demain de la compétence de la Cour pénale internationale, sans s'arrêter aux vieux principes de non-ingérence et de souveraineté des Etats. Ce progrès considérable est à l'honneur de ceux qui ont permis qu'il s'accomplisse.

Du reste, je relève que cette intervention exemplaire s'est faite en marge de l'ONU, qui est pourtant, depuis la fin de la dernière guerre mondiale, le grand ordonnateur du droit international. J'y vois le signe de l'affaiblissement de cette institution, adaptée aux réalités de l'après-guerre, mais moins en phase avec le monde d'aujourd'hui. La composition du Conseil de sécurité, organe central de l'ONU, fait problème. Datant d'une époque où le réalisme commandait d'y réunir toutes les puissances sans le consentement desquelles il eut été inconcevable d'entreprendre quoi que ce fût, le Conseil de sécurité apparaît aujourd'hui mal placé pour faire respecter les droits de l'homme, tant qu'y siège, avec le droit de veto, un Etat totalitaire qui viole les droits les plus élémentaires avec le plus grand cynisme.

C'est d'ailleurs l'une des faiblesses majeures du traité du 17 juillet 1998 que de donner des pouvoirs très étendus au Conseil de sécurité de l'ONU. En particulier, l'extension de compétence de la Cour à des ressortissants de pays non signataires du traité est laissée au bon vouloir du Conseil. C'est avec l'article 124, qui permet à un Etat signataire de ne pas reconnaître la compétence de la Cour en matière de crime de guerre -condition, semble-t-il, de l'adoption du traité pour beaucoup d'Etats-, le point le plus contestable de ce traité.

M. Emmanuel Hamel - Hypocrisie !

M. François Goulard - Mais comme je le disais, la signification politique l'emporte de beaucoup sur des inconvénients que le temps viendra sans doute corriger. Le groupe Démocratie libérale a souhaité, dès l'origine, une ratification rapide, exemplaire du traité du 17 juillet 1998. C'était le sens de la proposition de loi déposée symboliquement l'année dernière par Alain Madelin et les membres de notre groupe.

Le préalable à cette ratification est la révision constitutionnelle qui nous réunit ce matin. La formule retenue par le Gouvernement n'appelle pas d'observations particulières. Elle est incontestablement la plus simple et la plus rapide. Elle vise à corriger des incompatibilités, somme toute secondaires, avec notre loi fondamentale. Cependant, dans la décision qu'il a rendue sur la saisine du Président de la République et du Premier ministre, le Conseil constitutionnel a énoncé des principes importants : il a estimé, en se fondant tant sur le préambule de la Constitution de 1958 que sur le préambule de la Constitution de 1946, que "le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que... la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale que, eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties, indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties ; qu'ainsi la réserve de réciprocité prévue à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer".

Ce dernier considérant revêt une importance exceptionnelle, puisqu'il est la reconnaissance par le Conseil constitutionnel qu'il existe une loi morale supérieure à la loi des Etats, une loi qui transcende les règles habituelles des relations internationales, telle la réserve de réciprocité.

Voilà, à notre avis, le sens qu'il faut donner à la ratification de ce traité instituant une Cour pénale internationale ; voilà les raisons qui nous font lui donner une importance particulière. Ce traité est à nos yeux révélateur d'un nouvel état du monde, dans lequel, nous l'espérons, la suprématie du droit sera rendue effective. C'est un changement considérable qui s'accomplit sous nos yeux en cette fin du XXe siècle. Nous n'avons pas la naïveté de croire que l'avènement du règne du droit est universellement, totalement et définitivement acquis. Sans doute, l'histoire de l'humanité connaîtra-t-elle de nouveaux siècles de fureur et de sang. Mais est-ce une raison pour refuser ce formidable espoir que le siècle prochain s'annonce comme étant, enfin, celui des droits de l'homme ? (Applaudissements)

M. Alain Vidalies - "Qui se souvient des Arméniens ?" C'est en ces termes que Hitler s'adressait à ses généraux en 1939 pour leur promettre l'impunité.

"Jamais plus !" : c'était le cri de la communauté internationale, après la fin de la seconde guerre mondiale. Et pourtant depuis 1945, on a recensé dans le monde 250 conflits, ayant causé 70 à 100 millions de morts, et les auteurs de ces crimes ont presque toujours bénéficié de l'impunité. Jusqu'à ce jour, en effet, le principe du réalisme et l'évolution de la situation politique internationale ont justifié des amnésies collectives, voire des réhabilitations surprenantes : ainsi, deux des condamnés par le tribunal international de Tokyo devenaient membres du gouvernement japonais en 1954. Machiavel enseignait aux princes que la fin justifie les moyens : mais des juristes éminents, relayés par des organisations non gouvernementales, ont pu convaincre, ces dernières années, les responsables politiques de la nécessité d'organiser une juridiction pénale internationale pour juger les crimes les plus graves, ceux qui heurtent la conscience universelle.

L'idée de créer une Cour pénale internationale permanente apparaît dans l'article 10 de la convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, qui évoque la possibilité de traduire les personnes accusées de ce crime devant une cour criminelle internationale.

Mais, pour cause de guerre froide et de prééminence du principe de réalité, ce n'est que le 4 décembre 1989 que l'Assemblée générale des Nations Unies demandait à sa commission du droit international d'étudier à nouveau l'institution d'une telle juridiction.

Si la fin de la division du monde en deux blocs antagonistes a ouvert de nouvelles perspectives à l'organisation de la société internationale, la naissance d'une opinion publique mondiale crédibilise cette démarche. Chaque jour, chacun d'entre nous devient témoin des événements du monde.

C'est cette idée d'une conscience du monde qui émerge du préambule du traité signé à Rome le 18 juillet 1998. Le statut arrêté à Rome pose le principe fondamental de la complémentarité de la compétence de la Cour internationale par rapport à celle des juridictions pénales nationales. Si les Etats conservent la responsabilité principale dans les jugements des personnes, la Cour aura la capacité de pallier leurs carences. Mais ce système, respectueux du consentement des Etats, disparaît lorsque la Cour est saisie par le Conseil de sécurité, au titre du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ainsi, le Conseil de sécurité pourra imposer à un Etat non membre la juridiction de la Cour.

L'objectif du traité portant création de la Cour pénale internationale est de surmonter les obstacles que le principe même de la souveraineté nationale opposait à la répression des crimes les plus atroces. Il est donc naturel que le Conseil constitutionnel ait constaté qu'il portait atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté : c'est bien le but poursuivi.

M. Emmanuel Hamel - Ce traité est malfaisant !

M. Alain Vidalies - Dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel constate que le traité signé à Rome le 18 juillet 1998 est contraire à la Constitution sur trois points.

Le projet de loi constitutionnelle adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées ne répond pas point par point aux objections du Conseil constitutionnel, mais tend à inscrire dans notre acte fondamental une formule générale : "La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998".

Il était en effet impossible de répondre point par point aux cas d'inconstitutionnalité. Toutefois, cette formule générale, en faisant référence au traité signé le 18 juillet 1998, ne couvre que les inconstitutionnalités soulevées dans la décision du 22 janvier 1999. On ne peut en déduire la constitutionnalité des futurs amendements au traité, y compris ceux dont le principe est déjà arrêté, comme la définition du crime d'agression.

Au moment où la France s'apprête à inscrire la reconnaissance de la Cour pénale internationale dans sa Constitution, l'acte final de Rome n'est toujours pas signé par les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et Israël. Comment ne pas relever l'absence de deux membres permanents du Conseil de sécurité, pourtant compétents pour saisir la Cour ? Les Etats-Unis n'auraient accepté de signer que si la Cour dépendait du Conseil de sécurité, ce qui les mettait à l'abri grâce à leur droit de veto.

Or, l'idée même d'une Cour pénale internationale permanente impose qu'on n'institue pas la justice des vainqueurs contre les vaincus ou la justice des forts contre les faibles.

Si le traité de Rome s'inscrit dans le long cheminement marqué par la création des tribunaux de Nuremberg, de Tokyo et, plus récemment, des tribunaux ad hoc pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie, la nouvelle Cour est en réalité d'une tout autre nature. La création des tribunaux ad hoc fut certes un progrès, mais elle relevait de l'opportunité politique. Pourquoi le Rwanda et l'ex-Yougoslavie et pourquoi le silence sur les massacres du Sierra Leone et du Soudan ?

Au contraire, en reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale, chaque pays s'engage à accepter que ses propres ressortissants soient jugés. La Cour ne jugera pas des pays, mais des individus. Dans ces conditions, comment comprendre que ceux qui affirment leur volonté de peser sur l'ordre public international s'exonèrent d'avoir un jour à rendre des comptes ?

Alors que l'inculpation de Milosevic a révélé la force de dissuasion que constitue la perspective d'un jugement par une juridiction internationale, certains pays devraient donner l'exemple.

Les plus pessimistes rappelleront que le traité de Versailles avait prévu le jugement de Guillaume II par un tribunal spécial, pour offense suprême contre la morale internationale. En fait, l'intéressé a fini paisiblement ses jours aux Pays-Bas, qui refusèrent de l'extrader.

D'autres citeront les déclarations de l'ambassadeur américain, David Scheffer, pour qui "sans le soutien des Etats-Unis, l'efficacité de la Cour pénale internationale sera très amoindrie".

A ceux pour qui la souveraineté nationale reste un horizon indépassable, je dis : pensez aux victimes, blessées, massacrées, humiliées en raison de leur race, de leur religion ou de leurs idées. Pensez aux victimes qui, pour une fois, pourront se faire entendre. Elles attendent de nous un message d'espoir. Il nous faut mettre fin à l'impunité des bourreaux, en promettant à tous les dictateurs un rendez-vous avec leur juge.

En étant l'un des premiers pays à mettre en oeuvre la procédure de ratification du traité de Rome, la France entend se placer au premier rang des pays porteurs de cette exigence universelle de justice. Le Conseil constitutionnel a lui-même relevé la force de cet engagement, qui exclut la référence à l'article 55 de la Constitution, c'est-à-dire au principe de réciprocité : la France s'engage sans préalable ni contrepartie.

Nous sommes en cela fidèles à notre histoire et aux valeurs de notre République. Oui, la patrie des droits de l'homme doit être au premier rang de ceux qui aspirent à la reconnaissance d'une conscience universelle.

C'est pourquoi le groupe socialiste de l'Assemblée nationale votera cette révision constitutionnelle (Applaudissements).

M. Guy Fischer - La réunion du Parlement en Congrès montre la volonté de notre pays de favoriser l'avènement d'une justice sans frontières. Le conflit qui s'achève en Yougoslavie et les découvertes macabres qui accompagnent le retour à la paix montrent le décalage qui existe entre les espoirs exprimés pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et la réalité. Je le déclare avec force : les auteurs de ces actes barbares devront être jugés et condamnés. L'Europe et le monde ne peuvent plus tolérer l'ignominie.

Les droits de l'homme, la dignité humaine, à quelques mois du nouveau siècle, sont encore bafoués en de nombreux points de notre planète.

Cependant, les peuples du monde aspirent de plus en plus au respect des droits de l'homme, à l'arrêt de la violence, à la lutte contre le racisme et la xénophobie, ce qui implique des sanctions à l'égard des criminels.

Nous approuvons donc pleinement la création d'une Cour pénale internationale et nous comprenons les impatiences qui se manifestent : je pense en particulier aux organisations non gouvernementales.

La lenteur des procédures, la gravité des crimes rendent ce sentiment légitime.

Le concept même d'une justice internationale n'était pourtant pas acquis. Il est le résultat d'un cheminement d'un siècle. D'ailleurs, l'existence même de la Cour pénale internationale n'est pas acquise à ce jour. Trop peu d'Etats ont, en effet, adhéré au statut de Rome. Si elle n'est soutenue que par une minorité d'Etats, la Cour ne pourra acquérir la légitimité nécessaire. Il faut rechercher l'universalité, principe fondateur des Nations Unies. Les ONG joueront un rôle important d'alerte et d'intervention. Cependant, la responsabilité des Etats doit demeurer entière dans le fonctionnement de la Cour. La ratification du statut de Rome par le plus grand nombre de pays est donc indispensable. Or le bilan n'est guère satisfaisant à ce jour. A Rome, 120 Etats ont approuvé la création de la Cour. Toutefois, sept ont voté contre et ce ne sont pas n'importe lesquels : les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, Israël, la Turquie, l'Irak et l'Iran. En outre les vingt et un Etats du monde arabe se sont abstenus. Seulement 79 Etats sont passés à l'étape suivante, celle de la signature, mais ni la Russie, ni la Grande-Bretagne ne l'ont fait. La quasi-totalité des Etats asiatiques ne sont pas signataires, ce qui me paraît inquiétant.

C'est dans ce contexte que l'action de la France doit être considérée. Il est nécessaire d'admettre que le processus sera long car il est impératif de recueillir le plus large assentiment au sein de la communauté.

L'expérience des tribunaux internationaux confirme la nécessité d'une Cour pénale internationale. La création du TPI pour l'ex-Yougoslavie en 1993, celle du TPI pour le Rwanda ont constitué des progrès indéniables. En ce qui concerne le tribunal d'Arusha pour le Rwanda, cependant, le manque de moyens est frappant. Quant à la constitution du tribunal pour l'ex-Yougoslavie, n'est-ce pas l'absence d'un règlement politique qui a fait mettre en avant la solution judiciaire ?

Mon ami Michel Duffour, au Sénat, affirmait fort justement que, s'il ne faut pas opposer la paix à la justice, car la justice consolide la paix en créant les conditions de la réconciliation, en revanche, la justice internationale doit compléter les solutions politiques et non se substituer à elles.

Il ne faut pas déroger à ce principe, sans quoi la justice internationale sera instrumentalisée au gré des rapports de force.

S'agissant du champ de compétences de la Cour, les deux premières catégories de crimes sont clairement définies : il s'agit du crime contre l'humanité et du génocide. En revanche, la mise en cause des crimes de guerre inquiète nombre de pays. En ce domaine, la saisine de la Cour pourra être différée de sept ans. La France est à l'origine de cette disposition, qui vise à rendre possible la ratification du traité par le plus grand nombre des Etats. Nous estimons cependant que toute armée doit pouvoir répondre de ses actes si elle a commis des crimes de guerre au sens de la convention de Genève de 1949.

Cette attitude n'a pas suffi aux Etats-Unis qui ont maintenu leur opposition.

La quatrième catégorie, les crimes d'agression, sera définie lors d'une négociation ultérieure. Il faut décider qui, de l'ONU ou de la Cour pénale internationale, aura compétence pour les définir.

Des incertitudes demeurent donc qu'il faudra lever.

Nous approuvons la volonté du Gouvernement de provoquer un effet d'entraînement.

Cette révision de la Constitution n'entraîne pas d'abandon de souveraineté, la Cour pénale internationale étant subsidiaire à celle des juridictions nationales.

L'amnistie suscite des interrogations. Quand par exemple faudra-t-il poursuivre une personne bénéficiant d'une telle mesure ? D'où la nécessité d'une concertation entre l'ONU et la Cour. De même, dans quelles conditions décidera-t-on de poursuivre ou non dans un pays, sans y rompre un fragile équilibre ?

L'ONU est aussi au centre de nombreuses critiques. Les Etats-Unis refusent à la société des Etats un quelconque contrôle sur leur statut d'hyperpuissance. Ils ont détourné le Conseil de sécurité de sa vocation, le maintien de la paix, en en faisant un instrument de domination sur l'Assemblée générale.

C'est pourtant l'ONU qui, depuis 1945, a permis à de nouveaux concepts démocratiques de voir le jour.

C'est l'ONU qui, durant des décennies, a porté les droits des peuples.

Il est nécessaire de réformer l'ONU pour mieux assurer la paix dans le monde et gagner en efficacité dans la prévention et le règlement des conflits. Il faut pour cela restaurer les pouvoirs de l'Assemblée générale, car la force de l'ONU, c'est de représenter la société internationale dans son ensemble.

La justice internationale pourra-t-elle s'épanouir au moment où l'ordre international est fragilisé ? A l'heure où l'OTAN, par sa puissance, est en passe de conférer aux Etats-Unis le statut de puissance globale, quel sera l'avenir de la Cour pénale internationale, que ce pays a d'emblée rejetée ?

Nous approuvons donc d'autant plus résolument, dans ce contexte difficile, la volonté des autorités françaises de rassembler en faveur de la création de la Cour pénale internationale.

Les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen voteront donc le projet de révision de la Constitution, en insistant sur la nécessité de consolider l'ONU pour combattre efficacement les crimes les plus graves (Applaudissements).

M. Patrice Gélard - La signature du traité de Rome instituant la Cour pénale internationale est sans doute l'acte le plus important en matière de protection des droits de l'homme depuis la Déclaration universelle. Nous pouvons être fiers que les Français aient joué un rôle essentiel dans l'élaboration de ces deux textes.

Faire en sorte que les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité puissent désormais être poursuivis et sanctionnés partout dans le monde, que plus aucun dictateur ne puisse nulle part dans le monde dormir sur ses deux oreilles, voilà bien une tâche exaltante à l'aube du nouveau millénaire. La France, pays des droits de l'homme, ne pouvait rester à l'écart de ce mouvement.

Compte tenu de l'avis du Conseil constitutionnel, il nous faut aujourd'hui réviser la Constitution afin que notre pays puisse ratifier le traité.

Le texte de ce traité, fruit d'un difficile compromis, n'est pas parfait. Dans sa version française, il est rédigé dans un franglais qui risque de susciter bien des difficultés d'interprétation. D'une manière générale d'ailleurs, nos textes législatifs manquent de rigueur juridique : imprécis, lacunaires, abscons, ils sont plus programmatifs que normatifs. Il est grand temps de redonner sa place au droit dans l'élaboration de la loi : c'est la plus sûre garantie du respect des règles démocratiques.

Le traité de Rome ne constitue qu'une ébauche de code pénal et de code de procédure pénale internationaux qu'il conviendra de mettre en chantier. Mais il nous faut d'ores et déjà réformer le code pénal français pour l'adapter aux exigences posées par le traité. La loi organique relative à la Cour de justice de la République devra vraisemblablement elle aussi être réformée.

La procédure prévue par le traité est satisfaisante : elle ne porte pas atteinte à la souveraineté des Etats ; elle prévoit la collégialité de l'instruction et sépare clairement les fonctions d'instruction et de jugement. Bien que donnant une certaine place à la common law anglo-saxonne, elle s'inscrit tout à fait dans la tradition continentale du droit écrit.

Certains pourraient s'inquiéter du rôle du procureur de la Cour, appelé à devenir l'homme le plus puissant de la planète. Heureusement, le cordon ombilical avec le Conseil de sécurité n'a pas été rompu puisque celui-ci pourra, le cas échéant, décider d'interrompre les poursuites.

Il conviendra de compléter ultérieurement le traité par une convention internationale relative au statut des chefs d'Etat et de gouvernement en déplacement, afin d'éviter toute difficulté d'interprétation du traité. Des règles communes seront nécessaires, puisque le traité remet en question l'immunité classique, ainsi que celle des militaires et des plénipotentiaires.

Je tiens enfin, lors de cette énième révision de la Constitution, à souligner l'inadaptation du mode de ratification des traités internationaux aux réalités contemporaines. Le droit public international, élaboré au XIXe siècle, n'avait prévu ni la création d'organisations régionales ni la ratification de traités impliquant des délégations de compétences. Monsieur le Premier ministre, il faut en finir avec ces révisions à répétition. Elles finissent par rendre illisible une Constitution renvoyant à des traités qui ne lui sont même pas annexés. De plus, le débat sur la révision constitutionnelle cache ce qui devrait être l'essentiel, le débat sur le traité lui-même.

Une nouvelle procédure plus moderne, plus rapide et plus efficace est nécessaire : nous pourrions nous inspirer de beaucoup de nos voisins européens qui ne modifient pas leur Constitution tous les trente six du mois pour ratifier tel traité ou y inscrire des principes programmatifs, et non normatifs. Pourquoi ne pas ajouter un alinéa à l'article 54 prévoyant que les traités impliquant une délégation de compétences sont ratifiés par une loi organique ou par référendum ? Une telle procédure offrirait toutes garanties.

La très grande majorité du groupe RPR du Sénat approuvera le projet de révision constitutionnelle (Applaudissements).

M. Jacques Larché - De tous temps, les hommes ont commis des crimes, dans les relations internationales et aussi au sein même des Etats. A l'aube de l'ère chrétienne, un citoyen kabyle de Rome, docteur de l'Eglise, affirmait déjà que les hommes aspiraient à vivre dans la paix qui est, disait-il, la sécurité dans l'ordre... Allons-nous enfin, mille ans plus tard, atteindre cet objectif ?

Le traité de Rome, signé par la France, prévoit la création d'une Cour pénale internationale. L'idée n'était pas nouvelle. Dès le lendemain de la première guerre mondiale, on avait envisagé de traduire Guillaume II devant une Cour pénale internationale, sans toutefois que cette juridiction pût voir le jour. Plus tard encore, le tribunal de Nuremberg sanctionna de terribles manquements aux lois de la guerre mais il fallut, pour y parvenir, accepter, à la demande du procureur soviétique, le refus de l'excuse de réciprocité : l'ombre de Katyn et d'autres déportations risquait de peser sur le procès. Institué par décision du général Mac Arthur, le tribunal de Tokyo condamna à mort le général Tojo, que l'opinion japonaise tint longtemps -et tient peut-être encore- pour une victime expiatoire, désignée pour que le principal responsable de la guerre, l'empereur, fût exempté de toutes poursuites.

La future Cour pénale internationale a d'autres compétences, elle obéira à d'autres règles, dont nous débattrons lorsque nous aurons à ratifier le traité. Quant à son existence même, elle la doit au refus de la communauté internationale de voir se renouveler des crimes d'une particulière gravité, que le traité énumère.

Cette énumération dessine les linéaments d'un code pénal international et, à ce titre, toutes ces dispositions devront être interprétées strictement. Nous serons ainsi amenés, peut-être et dans un avenir que nous ne pouvons souhaiter que proche, à nous interroger sur celle qui fait un crime de guerre d'attaques délibérées contre des objectifs civils.

La ratification de ce traité implique une limitation de la souveraineté des Etats. Ceux-ci exerceront envers leurs nationaux une pleine compétence de juridiction, mais sous réserve des procédures prévues par le traité, ce qui peut conduire à des bouleversements importants. Ainsi un Etat peut-il être jugé par le tribunal d'un autre Etat ? Dans quelle mesure des poursuites sont-elles possibles en dehors du cadre étatique ? La communauté internationale peut-elle rendre la justice au nom des valeurs essentielles de l'humanité ?

L'adoption de ce code pénal international ne nous pose pas de problème, compte tenu de ce qu'est devenu notre Etat de droit mais, même si nos traditions rendent l'hypothèse peu probable, un de nos nationaux pourrait-il faire l'objet de poursuites de la part de la Cour pénale internationale ?

Il n'est pas anodin que ce vote intervienne alors que s'achève un siècle qui, s'étant ouvert sur des espoirs de paix et de progrès, aura été marqué jusqu'à la fin par la violence et restera peut-être dans les mémoires comme l'une des périodes les plus sombres de l'histoire de l'humanité. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui, nous adressons un message à tous ceux qui ont donné leur vie pour une certaine idée de la justice : nous leur disons que nous sommes en train d'accomplir un pas de plus vers un monde où les crimes dont ils ont souffert ne seraient plus impunis.

Hélas, nous le savons, l'existence d'un tribunal ne suffit pas à empêcher les crimes et ce n'est pas cette Cour qui pourra, seule, mettre fin à des horreurs et à des tragédies, dont l'origine se trouve dans les déséquilibres du monde, dans l'inégalité des richesses ainsi que dans certaines conceptions que nous voudrions tenir pour périmées. L'acte que nous allons accomplir n'est donc, je le répète, qu'un premier pas, d'autant qu'il faudra attendre soixante ratifications pour que le traité entre en vigueur.

Mais il importe que, pour sa part, la France procède à cette ratification au plus vite. Je pense que les démarches déjà entreprises nous permettront d'être parmi les premiers Etats à le faire, après avoir joué un rôle important dans l'élaboration du traité.

Notre vote d'aujourd'hui démontrera donc la claire volonté qui anime notre Parlement de créer cette Cour pour contribuer à faire du XXIe siècle un siècle de paix et de justice. C'est dans cet esprit que le groupe des Républicains et Indépendants du Sénat votera la révision de notre Constitution (Applaudissements).

M. Jean-Jacques Hyest - Saisi conjointement par le Président de la République et par le Premier ministre en vertu de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a donc décidé trois motifs pour lesquels le traité instituant la Cour pénale internationale ne serait pas conforme à notre Constitution, motifs qui doivent d'ailleurs être relativisés, comme l'a relevé M. Badinter. Il n'en reste pas moins que nous devons réviser notre loi fondamentale pour permettre la reconnaissance de la "juridiction" -terme malheureux préféré à celui de "compétence"- de cette Cour.

Pour la troisième fois en quelques années, nous voici donc réunis en Congrès, pour permettre la ratification d'un traité. Cependant, celui de Rome de 1998 ne saurait se comparer à ceux de Maastricht et d'Amsterdam qui, concernant la construction européenne, ont suscité un vif débat politique : cette fois, nous sommes quasi unanimes.

Cela ne veut certes pas dire que le statut de cette Cour soit une affaire secondaire. Il bouleverse la logique qui régit la société internationale, logique fondée sur la souveraineté des Etats.

M. Emmanuel Hamel - Hélas !

M. Jean-Jacques Hyest - De ce point de vue, Monsieur Hamel, le Conseil constitutionnel a clairement admis que le respect de la souveraineté nationale ne faisait pas obstacle à ce que la France prenne des engagements internationaux en vue de créer une juridiction chargée de punir les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les génocides et les agressions. Surtout, le Conseil a jugé que, compte tenu de leur objet, les obligations nées du traité ne permettaient pas d'invoquer la réserve de réciprocité sanctionnée à l'article 55 de notre Constitution.

Le Conseil a, par ailleurs, retenu trois motifs d'inconstitutionnalité, relatifs aux immunités reconnues au Président de la République, aux ministres et aux parlementaires, aux régimes de l'amnistie et de la prescription et aux pouvoirs d'enquête donnés au Procureur. Si ces objections nous obligent à réviser la Constitution, elles ne sont pas de nature à compromettre la ratification du traité.

Toujours selon le Conseil, aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle n'interdit l'imprescriptibilité des crimes visés par le traité -imprescriptibilité au reste déjà inscrite dans notre nouveau code pénal, en ce qui concerne les crimes contre l'humanité et les génocides.

Notre pays devrait donc pouvoir ratifier rapidement le traité, d'autant que celui-ci respecte les principes de présomption d'innocence, de non-rétroactivité de la loi pénale, de légalité des peines et délits, ainsi que le principe de l'indépendance des juges, élus pour neuf ans. Nous espérons donc être saisis prochainement d'un projet de loi de ratification, pour donner force à un traité, qui maintient l'équilibre aussi bien entre les traditions juridiques française et anglo-saxonne qu'entre la compétence de la Cour et l'autorité du Conseil de sécurité.

Cet instrument renforce le droit des nations, instaure un dialogue constant entre le Procureur et la chambre d'instruction, définit précisément les crimes visés et marque donc un progrès incontestable par rapport aux tribunaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie.

Cinquante ans après l'adoption par l'ONU de la Convention pour la prévention des génocides, l'opinion révoltée par les crimes des dictateurs sera parvenue à convaincre les Etats de sortir de leur immobilisme pour mettre fin à l'impunité dont bénéficiaient les auteurs d'atrocités.

La France, qui a beaucoup oeuvré pour que cette Cour voie le jour, s'honorera, si elle est, comme nous l'espérons, l'une des premières à ratifier le traité. Mais le chemin est encore long avant que l'ensemble de la communauté internationale accepte de se soumettre à cette juridiction. Nous ne devons donc pas relâcher nos efforts. Aussi le groupe de l'Union centriste du Sénat, unanime, se réjouit-il que ce Congrès affirme solennellement sa volonté de faire vivre cette Cour, afin que les droits de l'homme soient mieux respectés sur notre planète (Applaudissements).

M. François Asensi - Ces dernières années, avec la prise de conscience de l'universalité de valeurs telles que "les droits de l'homme", l'aspiration à la justice touche l'humanité entière. A l'aube du XIe siècle, construire un monde de paix et de respect mutuel sans oublier le passé et ses affres, tel est notre devoir. Aujourd'hui, la communauté universelle ne peut plus accepter les traitements de faveur de certaines tyrannies, parce qu'elles sont nos alliées ou celles des pays occidentaux. Les droits de l'homme ne doivent plus dépendre des frontières de la géostratégie.

C'est pourquoi la constitution d'une juridiction internationale indépendante des Etats, aux procédures claires et transparentes, devient une nécessité. Poursuivre et juger les criminels de guerre et les "génocidaires", quel que soit le régime ou le continent, c'est un véritable progrès de civilisation et les députés communistes approuvent la création de la CPI et la modification de la Constitution.

Quelques observations cependant. Si les tribunaux ad hoc sur l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont marqué une indéniable avancée, il est aujourd'hui justifié de vouloir en finir avec cette formule, et de lui substituer une juridiction permanente.

Comme la justice universelle doit s'appliquer à tous, l'indépendance de la Cour est essentielle : le tribunal doit être totalement libre et objectif. Depuis 1945, la communauté internationale a accepté l'idée d'un droit universel, et elle réfléchit à l'émergence d'institutions capables de le faire vivre et respecter. Dès 1950, une résolution de l'ONU créait un comité chargé de rédiger le statut d'une future Cour internationale. Un demi-siècle plus tard, cette volonté se concrétise avec la constitution de la Cour pénale internationale.

La France a joué un rôle prépondérant dans la formation de cette Cour, en imposant un compromis entre la vision "moraliste" de ceux qui souhaitaient une véritable juridiction indépendante des Etats, et la vision "réaliste" militant pour des pouvoirs restreints exercés sous le contrôle des nations.

La Cour devra juger les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocides, mais la définition de ceux-ci manque de clarté. Les crimes d'agression ne sont pas encore définis : sept ans après l'entrée en vigueur du traité, une conférence de révision permettra aux Etats signataires de les définir clairement. Les dispositions concernant les crimes de guerre sont également discutables. Les Etats signataires pourront suspendre unilatéralement, pendant sept ans, la compétence de la Cour à cet égard. Cela revient à une immunité totale pour tous les crimes de guerre commis pendant cette période.

Le mode de saisine de la Cour est tout aussi contestable, puisqu'il met au premier plan le Conseil de sécurité de l'ONU. L'inféodation de la CPI au Conseil de sécurité pose la question de son indépendance. Elle consacre l'alignement de la nouvelle instance juridique sur les exigences de la raison d'Etat, au détriment de la justice.

Surtout, elle conduit à s'interroger sur le rôle dévolu au Conseil de sécurité de l'ONU, survivance des temps de "guerre froide", qui aujourd'hui ne représente plus la réalité de la communauté internationale et sert parfois les intérêts nationaux de grandes puissances plus que le bien commun de l'humanité. Habilité par le chapitre VII de la charte de l'ONU à intervenir en cas de "menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agression", le Conseil de sécurité s'arroge depuis un certain temps de nouveaux pouvoirs qui dépassent ce cadre.

En multipliant la création de tribunaux ad hoc et les interventions militaires au nom des droits de l'homme, le Conseil de sécurité se pose désormais en "gendarme du monde". Mais si la tendance est à la formation d'une communauté mondiale, celle-ci doit résulter d'un travail commun des Etats et des peuples, sans volonté hégémonique d'un modèle sur un autre.

La création de la Cour pénale internationale pose la question de l'organisation même des institutions internationales. La transformation de l'ONU en super-Etat, avec l'Assemblée générale comme pouvoir législatif, le Conseil de sécurité comme exécutif et la CPI comme pouvoir juridique, va contre le projet fondateur de cette organisation, qui faisait de l'ONU un lieu de concertation, de négociation et de coopération. La déviation actuelle nous interpelle, et la représentation nationale est en droit d'entamer une réflexion sur la nouvelle organisation mondiale, qui ne pourra se faire sans l'aval des peuples. Il y va de sa crédibilité et de sa capacité d'action.

Si la formation de la CPI est un progrès de civilisation, l'attitude de certaines nations, comme les Etats-Unis, la Chine, l'Inde ou Israël, ne peut que nous inquiéter. Les Etats-Unis, refusant d'approuver le texte de Rome, souhaitaient laisser aux membres du Conseil de sécurité un droit de veto au sein du tribunal, leur permettant de décider des "bons" et des "mauvais" dictateurs.

Le besoin de justice universel ne peut se concevoir à géométrie variable. S'il faut aujourd'hui juger Milosevic et les principaux responsables de l'épuration ethnique en ex-Yougoslavie, il ne faut pas oublier les autres dirigeants qui oppriment leurs opposants et leur peuple. Ne faut-il pas regretter que les responsables turcs, oppresseurs du peuple kurde, et pratiquant aussi une politique d'épuration ethnique, siègent à nos côtés dans les instances internationales et participent activement à une guerre dont l'objectif est de sauver des populations d'un génocide programmé ? (Applaudissements)

Longtemps considéré comme un modèle par le FMI et la Banque mondiale, le régime indonésien s'est édifié dans le sang de centaines de milliers d'opposants. Même si Suharto fut contraint de quitter les rênes du pouvoirs, la protection de grandes puissances, et d'abord des Etats-Unis, lui assure l'impunité au regard de la justice internationale.

La sinisation forcée de la région du Tibet, qui détruit une civilisation, n'empêche pas les dirigeants chinois de tenir toute leur place dans la communauté internationale. Au Cambodge, les anciens dirigeants khmers rouges polpotiens vont-ils finir leurs jours sans répondre devant la justice du génocide d'un quart de la population de leur pays ? L'ancien dictateur haïtien "Baby Doc", dont la garde prétorienne, les "Tontons Macoutes", assassinait allégrement, coule des jours paisibles dans le sud de notre pays.

N'y a-t-il pas dans tout cela une hypocrisie qui rend caduque toute volonté de justice universelle ?

Au-delà, cette nouvelle instance juridique internationale ne règle pas la question des droits de l'homme. L'aliénation économique, qui réduit des continents entiers à la marginalisation, des populations à la pauvreté, des enfants aux bagnes industriels, est en elle-même une atteinte aux droits de l'homme. A cette forme d'oppression, la communauté internationale doit aussi répondre. Dans le contexte de la mondialisation, la conscience universelle ne peut se satisfaire du simple exercice des libertés formelles.

Construire l'avenir passe aujourd'hui par la redéfinition de nouveaux rapports humains à l'échelle de la planète. Nous ne sommes pas heureusement à la fin de l'histoire, et cela reste une bonne nouvelle pour les peuples (Applaudissements).

M. Guy Hascoët - L'objet qui nous rassemble aujourd'hui en Congrès est important aux yeux des Verts. Les Etats démocratiques ont en effet des valeurs communes : ils reconnaissent les droits de la personne humaine dans leur constitution. Or au cours de ce siècle, au nom du racisme, du fait colonial, des révolutions sanguinaires, d'intérêt des blocs, ces droits ont été souvent bafoués ou piétinés.

La mise en place de la Cour pénale internationale doit marquer un changement d'époque. Là où certains s'en réjouissent, et nous en sommes, d'autres semblent s'en plaindre. L'idée qu'un droit supranational puisse être opposé au droit des Etats-nations leur semble insupportable.

M. Emmanuel Hamel - Oui !

M. Guy Hascoët - Il est un fait certain. Si l'idée d'une CPI a mis un demi-siècle à cheminer, c'est qu'elle s'est heurtée à la réalité de la guerre froide et au cynisme international qui en découlait. L'ère nouvelle que constitue la création de la Cour doit conduire à s'interroger sur de nouvelles relations internationales, car un certain nombre de situations qui constituent un déni constant des droits de l'homme ne sauraient évoluer par elles-mêmes.

Cette ratification devra nous amener à reconsidérer notre propre attitude. Ceux qui privilégient le droit de chaque Etat, démocratique ou non, de faire chez soi ce qui lui plaît, plaident le statu quo dans les relations ambiguës que nous avons pu être amenés à entretenir avec tel ou tel régime. Ils plaident la raison d'Etat. Mais la création de la CPI nous crée de nouvelles obligations et nous oblige à revoir en profondeur la perspective politique, notamment dans les zones où notre pays reste un pays de référence. Là où des souverainistes s'en plaindront, nous nous en réjouirons. Des générations nouvelles de cadres sont apparues dans ce pays. Oui, la ratification de la Cour pénale internationale nous oblige à accompagner la démocratisation dans de nombreux pays ; et c'est tant mieux !

Dans des situations où l'évolution des régimes apparaît plus improbable ou plus éloignée, l'existence de la Cour fait obligation aux grandes démocraties de soutenir les acteurs de cette démocratisation, les réseaux associatifs, syndicaux, médiatiques, coopératifs qui en sont les précurseurs. Oui, la création de la CPI nous oblige à travailler à la démocratisation partout où cela est possible.

Si nous ne voulons pas que cette Cour soit la chambre d'enregistrement et de banalisation du mal, nous devons travailler à la prévention des conflits. J'ai depuis trois mois, comme d'autres ici, passé beaucoup de temps à expliquer la situation au Kosovo et les raisons de notre soutien à l'intervention. Dans cette situation, s'il y a eu faute de la communauté internationale, ce n'est pas d'avoir su dire non à l'inacceptable, c'est sans doute de ne pas avoir agi plus tôt pour soutenir les acteurs de terrain, qui ont tenté de donner une réponse pacifique à l'agression serbe au Kosovo, de n'avoir pas été plus engagée aux côtés des démocrates serbes.

Oui, la création de la CPI nous oblige à penser une politique de prévention des conflits. Il n'est plus imaginable de laisser des forces démocratiques balbutiantes, sans aucun moyen, face à des appareils politiques qui bénéficient d'une logistique héritée de régimes totalitaires, et d'argent dont l'origine n'est pas toujours propre. Même une politique de l'Union européenne dotée de quelques milliards de francs serait d'un faible poids budgétaire, par rapport aux dépenses militaires et au coût de la reconstruction que vient de générer le conflit du Kosovo. Oui, la création de la Cour nous oblige à privilégier les dépenses qui contribueront au recul du totalitarisme sous toutes ses formes, et tant mieux !

Nous pouvons rejoindre ceux qui craignent une nouvelle donne internationale dominée par un seul pays. Il est surprenant, en effet, de voir un pays lancer les chasseurs de prime au nom d'une décision prise par le Tribunal pénal international. Mais alors, nous devons être conséquents et nous interroger sur la capacité de l'Union européenne, sur les conditions politiques, diplomatiques, civiles et militaires qui rendent possible un paysage international ne reposant pas sur la prédominance d'un seul pays. Le XXIe siècle tranchera avec l'influence isolée des Etats-nations nés au XIXe siècle.

La France a su jouer souvent un rôle important au Moyen-Orient ou ailleurs. Elle en a un, majeur, à tenir dans l'émergence en Afrique de pays démocratisés qui deviennent une référence pour ce continent.

S'agissant du recours à l'article 124, au sujet duquel nous vous avons écrit, Monsieur le Premier ministre, nous partageons le point de vue qui vient d'être développé par Robert Badinter. Nous aurions préféré que la France ne donne pas ce signal ; cependant l'important est que le processus soit enclenché.

Nous voterons le texte qui nous est soumis, sans naïveté, persuadés qu'il marque une ère nouvelle, laquelle comporte des exigences éthiques et politiques qui nécessiteront l'engagement et la vigilance de tous (Applaudissements).

M. Jean-Luc Warsmann - Il aura fallu deux générations pour que l'humanité se donne les moyens de lutter contre l'impunité des crimes internationaux les plus graves. 1948 fut l'année de l'adoption par l'ONU de la Convention pour la prévention et la répression des crimes de génocide. 1998 est celle de la conférence diplomatique de Rome, qui aboutit au traité créant la Cour pénale internationale, cour universelle ne jugeant pas les Etats, mais les individus : il s'agit de sanctionner, mais surtout de dissuader les criminels.

Le succès à Rome a été acquis au prix de négociations et de compromis. Première question, donc : ce projet de création d'une Cour pénale internationale mérite-t-il d'être soutenu ? Les députés du groupe RPR répondent résolument par l'affirmative.

La Cour aura compétence pour les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, qu'ils soient commis dans le cadre d'un conflit international ou d'un conflit interne, les crimes d'agression -dont la définition est renvoyée à plus tard. Elle pourra s'appuyer sur des principes reconnus comme s'imposant à tous les Etats, dont on peut faire remonter l'émergence aux tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, créés pour sanctionner les crimes les plus graves commis durant la seconde guerre mondiale ; la Cour internationale de justice, dans un avis rendu en 1951 sur la Convention pour la prévention et la répression des crimes de génocide, déclarait que les principes à la base de celle-ci étaient "reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel".

La Cour pourra s'appuyer sur un autre acquis, les tribunaux ad hoc créés en 1993 pour l'ex-Yougoslavie et en 1994 pour le Rwanda, dont la première qualité fut la rapidité de leur mise en oeuvre. D'où vient leur grande force ? De leur pouvoir d'auto-saisine et de dessaisissement des autorités judiciaires nationales, de leur fonctionnement hors participation ou contrôle des Etats directement intéressés. Cependant, outre leurs limites géographiques et temporelles, ils voient leur efficacité amoindrie par la difficulté d'appréhender les accusés.

Le statut de la CPI tire les conséquences de ces faiblesses, mais sa compétence sera basée sur le principe de complémentarité par rapport aux justices nationales : la Cour ne pourra être saisie d'une affaire qui a fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat compétent. Cette affirmation de la souveraineté des Etats était pour un grand nombre de pays la condition de leur soutien.

Seconde question : acceptons-nous la révision de la Constitution qui nous est proposée ? Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, a relevé dans le projet de traité trois atteintes aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, en particulier la possibilité, pour le Procureur, de procéder sur le territoire français à certains actes d'enquête, hors même la présence des autorités nationales.

M. Emmanuel Hamel - Inadmissible !

M. Jean-Luc Warsmann - Par ailleurs, les règles de mise en jeu de la responsabilité prévues par notre Constitution pour le Président de la République ou pour les ministres sont contradictoires avec l'article 27 du statut de la CPI.

Bien entendu, la révision de la Constitution ne doit pas être un réflexe automatique ; il faut d'abord vérifier qu'il n'est pas possible de trouver pour les dispositions contestées une formulation respectant nos principes constitutionnels : on ne doit pas modifier notre Constitution par simple souci d'affichage ou d'opportunité politique.

En l'espèce, je ne crois pas qu'il y ait, pour lutter contre l'impunité des crimes les plus graves, d'autre solution que la création d'une Cour pénale internationale, et il me semble indispensable d'écarter les clauses restrictives de mise en jeu de la responsabilité des dirigeants des Etats. Dans ces conditions, la révision proposée est nécessaire et la rédaction est opportune ; elle n'a d'ailleurs pas pour effet de rendre automatiquement conformes à la Constitution les amendements futurs au statut de la Cour pénale internationale.

Certes, si par malheur des ressortissants de notre pays venaient à commettre des crimes aussi graves que ceux pour lesquels la CPI aura compétence, ils seraient jugés par des juridictions nationales, sauf grave dysfonctionnement de notre Etat de droit ; il n'en demeure pas moins que la création d'une Cour pénale internationale, permanente et universelle, constitue un progrès considérable. Pour que les criminels ne soient plus impunis, pour que les soldats de la paix de l'ONU voient leur action prolongée par une juridiction, pour que les victimes voient leurs droits reconnus et leur mémoire défendue, je souhaite que le nombre le plus grand possible de parlementaires vote aujourd'hui cette modification constitutionnelle. Ainsi la France aurait-elle un effet d'entraînement dans la mobilisation nécessaire d'au moins 60 Etats. Une fois cette étape franchie, nous ne serons pas quittes : nous aurons, nous parlementaires, à rester vigilants pour que cette Cour acquière les moyens et la légitimité nécessaires, pour que le XXIe siècle ne reproduise pas les horreurs du XXe siècle, pour que la paix et la justice progressent dans le monde (Applaudissements).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les explications de vote.

J'informe le Congrès que le Conseil constitutionnel, saisi de la résolution modifiant les articles 16 et 17 de notre Règlement, vient de me faire parvenir le texte de sa décision qui déclare cette résolution conforme à la Constitution. Cette décision sera annexée au compte rendu de la session du Congrès.

Le Bureau, après consultation de M. le Président du Sénat, a décidé le mercredi 23 juin qu'il serait fait application de ces nouvelles dispositions dès maintenant si elles étaient jugées conformes à la Constitution.

Ainsi donc, le scrutin est ouvert.

Il sera clos vers 12 heures 30.

La séance est suspendue à 12 heures.

La séance est reprise à 12 heures 40.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin.

Votants 864

Suffrages exprimés 864

Majorité requise 519

Pour 858

Contre 6

Le Congrès a donc adopté le projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale.

Il sera transmis à M. le Président de la République.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 45.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques
          de l'Assemblée nationale,


          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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