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Session ordinaire de 1999-2000 - 2ème jour de séance, 4ème séance

3ÈME SÉANCE DU MARDI 5 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE DE M. Pierre-André WILTZER

vice-président

Sommaire

            RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL (suite) 2

            QUESTION PRÉALABLE 2

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

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RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL (suite)

L'ordre du jour appelle, après déclaration d'urgence, la suite de la discussion du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail .

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jacques Barrot - Il me faut exposer toutes les raisons qui nous font souhaiter la levée d'un préalable majeur...

Nous ne sommes pas hostiles à l'aménagement du temps de travail, loin de là. Nous l'avons prouvé en encourageant les partenaires sociaux à conclure les accords nationaux d'octobre 1995 et en promouvant la loi de Robien qui, malgré la durée limitée de son application, a permis de réelles avancées et des créations d'emplois que vous n'êtes pas fâchée de comptabiliser, Madame la ministre, dans les savants exercices statistiques que vous avez suscités pour valoriser le premier temps de votre démarche, lequel ne suscitait pas de notre part d'opposition de principe dans la mesure où il était incitatif.

Mais aujourd'hui nous changeons de registre. Ce projet engage en effet la France dans une démarche marquée du sceau de l'obligation légale et de l'uniformité. Il le fait en précisant, parfois loin dans le détail et au risque d'une extrême complexité, les modalités de ce passage à une durée légale hebdomadaire de 35 heures. Dans un droit de la durée du travail qui, vous le savez mieux que quiconque, affirme de plus en plus sa source conventionnelle, la seconde loi va faire irruption comme si votre majorité était animée d'une méfiance fondamentale envers ce qui est contractuel et comme si les salariés étaient en permanence menacés d'un abus patronal, auquel seuls la loi et le règlement seraient en mesure de faire échec.

Pourtant, les temps ont changé : la communauté de l'entreprise a réussi à s'organiser, la collectivité de salariés a appris à négocier, à obtenir de la direction la signature d'accords qui concilient l'exigence d'efficacité et les aspirations des salariés...

Alors, pourquoi faut-il qu'en 1999, au lieu d'avancer plus loin, plus résolument dans le dialogue social, la France se replie sur la loi et le règlement ? ("Très bien !"sur les bancs du groupe UDF) Un siècle après les grandes lois de la République qui ont heureusement pallié l'inexistence du dialogue social, faut-il agir comme si la négociation entre partenaires sociaux n'était pas aujourd'hui plus à même de construire un modèle social beaucoup plus performant ?

Voilà la question centrale. Je serais tenté d'affirmer que tout le reste est négociable. Et d'ailleurs nous convenons qu'il y a dans le texte ici et là, des avancées comme la simplification des types de modulation, la possibilité d'instaurer des cycles par accord d'entreprise et pas seulement par accord de branches.

En m'éloignant des polémiques partisanes, je voudrais successivement décrire les dangers de la démarche retenue, souligner les effets pervers d'une partie du dispositif et vous conjurer de ne pas laisser passer la chance de doter la France d'un droit de la durée du travail moderne, novateur et à la mesure des défis de demain.

La démarche retenue est dangereuse à la fois pour le dynamisme de notre économie et pour l'avenir de la négociation sociale.

Recourir à des obligations légales uniformes, c'est en effet désespérer du renouveau du dialogue social en France, c'est s'isoler un peu plus en Europe, c'est transiger avec la malthusianisme rampant qui est à l'_uvre dans la doctrine du partage du travail, c'est renoncer à une économie française plus dynamique, c'est enfin aggraver dans bien des cas la condition des salariés les plus modestes tout en renonçant à répondre aux aspirations d'un encadrement désireux d'un traitement plus individualisé de ses conditions de travail.

L'attitude du Gouvernement est pour le moins paradoxale. Il a appelé de ses v_ux la négociation sociale depuis un an. Il a mis en valeur les accords de branche signés depuis 1998. N'étant pas un adepte de la langue de bois, je reconnais que vous avez obtenu dans ce domaine -peut-être par la menace- plus que moi... Ce Gouvernement a aussi beaucoup insisté sur les accords d'entreprise. et le voilà qui va allègrement provoquer la caducité d'une partie des conventions conclues -et ce sur des points essentiels à l'équilibre des accords- même si elles ont été signées par les centrales syndicales ! Cela ne risque-t-il pas de mettre fin à un foisonnement d'initiatives qui mettait sur les rails une vie contractuelle plus intense et plus riche d'avancées sociales originales ?

Et cela entraînera la révision d'accords de branche dont vous aviez pourtant vanté, il n'y a pas si longtemps, l'exemplarité, sur les contingents d'heures supplémentaires, l'organisation de la formation professionnelle ou le mode de rémunération des personnels d'encadrement. Les initiatives des partenaires sociaux vont se trouver bridées par des dispositions dont la lisibilité, c'est le moins que l'on puisse dire, n'ira pas de soi. N'est-ce pas un aveu de défiance envers le dialogue social, en même temps que le risque d'un affaiblissement du syndicalisme de négociation ? Il y a lieu de craindre que la négociation sociale, loin de connaître un nouvel essor, ne fasse marche arrière.

Nos amis européens, à Cologne, ne s'y sont pas trompés. La réduction administrative du travail -pour reprendre l'expression de l'OCDE- constitue bien une exception française, qui nous isole des autres pays européens. Alors que, dans l'Europe entière, c'est le contrat social qui permet de concilier les attentes des entreprises et des salariés, le gouvernement français a choisi la méthode autoritaire et le recours à la loi. L'esprit de la directive de 1993 n'est-il pas justement de réserver celui-ci à ce qui concerne le repos et la sécurité des travailleurs ? C'est le même esprit, d'ailleurs, qui inspire le protocole social annexé au traité de Maastricht, lorsqu'il reconnaît aux accords collectifs européens une légitimité suffisante pour prévoir leur adoption tels quels par le Conseil - comme ce fut le cas, par exemple, sur le travail à temps partiel. En tournant le dos à ces orientations européennes, le Gouvernement français prend le risque de briser la dynamique de la rénovation des rapports sociaux en Europe.

Troisième reproche, qui me tient particulièrement à c_ur : la tentation malthusienne, présente ici et là au sein de votre majorité, et jointe à une conception suspicieuse du travail, considéré comme une forme d'aliénation. Nous savons pourtant tous que la croissance est la première pourvoyeuse d'emplois, et de loin ! ("Très bien !"sur les bancs du groupe UDF)

Mais est-il raisonnable d'imposer à tous une réduction uniforme qui n'est souhaitable ni dans tous les secteurs ni dans toutes les entreprises ? Elle pourra déclencher dans certains cas, c'est vrai, une réorganisation bénéfique du travail, mais dans beaucoup d'autres elle s'avérera maléfique pour la croissance de l'entreprise.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - C'est évident !

M. Jacques Barrot - Notre économie ne repose plus seulement sur une activité industrielle faite de tâches décomposées, répétitives, organisées à la chaîne, où les travailleurs seraient interchangeables. A l'heure de la société de l'information, de l'économie des services, contingenter uniformément le travail, c'est tout simplement freiner la production, prendre le risque de perdre des marchés. Et pour certaines entreprises, le surcoût induit par la réduction du temps de travail ne pourra être compensé intégralement.

Force est de constater, en outre, qu'en combinant l'entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, le départ prématuré des plus de cinquante-cinq ans et la réduction générale de la durée du travail, la France aura le plus faible taux d'utilisation de son potentiel productif : 40 à 44 % contre 51 % en Europe et 68 % aux Etats-Unis.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est vrai !

M. Jacques Barrot - Le même malthusianisme inspire aussi certains discours sur les cadres. Certes, ceux-ci ne peuvent accepter sans contrepartie les rudes contraintes qu'entraîne la concurrence mondiale, mais peut-on pour autant prétendre faire leur bonheur en les incitant à se désengager des enjeux et des défis de leur entreprise ? ("Très bien !"sur les bancs du groupe UDF)

Loin d'être des adversaires de la réduction du temps de travail, nous lui disons oui lorsqu'elle est choisie de part et d'autre, mais non lorsqu'elle est imposée par une sorte de revanche idéologique contre l'exploitation patronale et l'aliénation par le travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL). La France a besoin d'aimer ses entreprises, surtout si elle les veut porteuses d'un modèle combinant efficacité et réussite sociale.

Quatrième grief : je crains que ce texte ne crée de graves distorsions entre salariés, au détriment des plus modestes d'entre eux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, exclamations sur les bancs du groupe communiste). Tout laisse penser, en effet, que les déséquilibres créés par la loi risquent fort d'être corrigés à la base par des décisions négatives pour l'emploi, le pouvoir d'achat et les conditions de travail.

L'alourdissement du coût du travail pèsera surtout sur les emplois les moins qualifiés. Les 35 heures payées 39 affecteront particulièrement les entreprises de main-d'_uvre et de sous-traitance, et les gains de productivité seront parfois acquis au prix de la disparition d'emplois devenus insuffisamment productifs au regard du coût du travail. Tout cela va accélérer la diminution du nombre des emplois les moins qualifiés, qui sont précisément les plus nécessaires pour arracher au chômage de longue durée les salariés les plus en difficulté ("Très bien !"sur les bancs du groupe UDF et du groupe RPR).

Au reste, il convient de se montrer beaucoup plus prudent que vous ne le faites quant au bilan de la première loi en matière de création d'emplois - et c'est pourquoi je me garderai, personnellement, de polémiquer, sachant combien il est difficile de mesurer les effets d'une politique sur l'emploi. Les chiffres avancés se fondent sur des accords conclus par des entreprises qui ne sont pas représentatives de l'ensemble du tissu productif français ; ils intègrent, en outre, des effets d'aubaine, ainsi que l'a reconnu, sur France-Inter, un dirigeant de Gemplus, ainsi que des créations d'emploi dues à la loi Robien et, surtout, un grand nombre de promesses d'embauche dont nul ne sait si elles se réaliseront.

Quant au pouvoir d'achat, les Français savent bien que nombre d'entre eux devront renoncer, en contrepartie des 35 heures payées 39, à la poursuite de l'augmentation de leur niveau de vie. L'annualisation, qui plus est, évitera à l'entreprise de payer des heures supplémentaires tout en permettant aux salariés de travailler moins, mais il n'est pas sûr que telle soit forcément leur aspiration, notamment au bas de l'échelle, où les heures supplémentaires contribuent de façon importante à la progression du pouvoir d'achat.

M. Jean-Louis Debré - C'est le bon sens même !

M. Jacques Barrot - Enfin, certains sondages montrent que le tiers des salariés passés aux 35 heures se plaignaient que leur rythme de travail fût devenu plus « stressant », et plusieurs rapports ont mis au jour le risque que soient conclus des accords de réduction du temps de travail d'où toute préoccupation de santé ou de sécurité serait absente.

Toutes ces menaces affecteront au premier chef les salariés les plus vulnérables, alors même que le texte du projet accentue, comme le montrera Hervé Morin, la disparité des situations, accentuant la fracture sociale entre entreprises et entre salariés. A vouloir imposer la loi là où la négociation était mieux à même de prendre en compte la diversité des attentes sociales, vous allez créer de vraies frustrations et de sérieuses déceptions.

Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Pourquoi le Gouvernement s'obstinerait-il ? Pourquoi, constatant la richesse des expérimentations permises par le dialogue social, ne laisserait-il pas libre cours à sa poursuite, au lieu de la compromettre par une loi dont la complexité et le coût financier entraîneront nombre d'effets pervers ?

Ce texte est habile, certes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais l'habileté n'est pas toujours une qualité, surtout au détriment de la vérité. On peut bien sûr avoir le sentiment que les accords d'entreprise se développeront, puisqu'ils conditionnent les allégements sociaux. Mais vous en écrivez la partition dans un tel détail, sans parler des amendements qui ne peuvent susciter que notre appréhension ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Le dispositif lui-même est complexe, inégalitaire et coûteux. Je vous donne raison d'opérer quelques simplifications comme la fusion des trois dispositifs de modulation ou la possibilité de décider des cycles dans l'accord d'entreprise. Mais par ailleurs, que de complexités !

Ainsi tantôt les heures supplémentaires ouvrent droit à bonification, tantôt elles sont pénalisantes, selon qu'il y aura ou non accord collectif. Comment expliquera-t-on a un salarié qu'il perçoit 15 % de plus pour une heure supplémentaire quand son voisin -en raison d'un accord- en perçoit 25 % ? N'est-ce pas prendre les salariés en otages, et risquer le conflit social ?

En revanche les entreprises qui choisiront le repos compensateur pour heures supplémentaires seront avantagées par la loi si elles n'ont pas signé d'accord ! A force de complexité, on touche au paradoxe.

De même la loi, dans sa complexité entravera la recherche de formules innovantes en ce qui concerne l'encadrement. Pire encore, des amendements prétendent interdire de définir l'équivalence par la voie conventionnelle, qui est pourtant la seule appropriée.

On donnera ainsi des moyens supplémentaires à l'administration et au juge, mais on perturbera les PME. Les salariés eux-mêmes risquent de se perdre dans des dispositions incompréhensibles et faussement protectrices.

Et il y a tant de paramètres à prendre en compte... On multipliera donc les contrôles. Ainsi on va tout droit vers une suradministration des entreprises, alors qu'il faudrait libérer les énergies pour un dialogue social ouvert.

M. André Gerin - Comme chez Michelin.

M. Jacques Barrot - Enfin, le projet autorise dans des conditions pour le moins contestables le licenciement d'un salarié qui refuserait les nouvelles conditions de travail fixées par l'accord collectif. Dans cette circonstance, l'employeur bénéficie de la présomption d'une cause réelle et sérieuse ! Autrement dit, la charge de la preuve d'un licenciement abusif décidé dans le cadre du passage aux 35 heures reviendra au travailleur. Curieuse manière de sécuriser les salariés !

Complexe le dispositif est aussi source d'inégalité. Je l'ai dit a propos des heures supplémentaires. De même les entreprises auront droit aux nouveaux abattements non pas si elles passent aux 35 heures, mais si c'est dans le cadre d'un accord collectif. L'octroi de fonds publics pourra dépendre de la bonne volonté syndicale. Car enfin, l'absence d'accord n'est pas toujours imputable à l'employeur. D'ailleurs 80 %

des entreprises de 11 à 100 salariés n'ont pas de section syndicale. Dans ce cas, ou lorsqu'il y a surenchère, faut-il pénaliser le chef d'entreprise ? C'est là une injustice grave et une inégalité que le Conseil constitutionnel risque bien de sanctionner.

Nous sommes favorables au développement et à la généralisation des accords d'entreprise. Mais ce n'est pas ainsi qu'on développe le dialogue social. Il faut inciter à conclure des accords et nous étions favorables à votre premier dispositif dans la ligne de la loi de Robien. Mais désormais, en raison du surcoût des 35 heures, vous n'avez plus le droit de réserver les faveurs de la République aux entreprises qui s'accommodent le plus facilement de votre loi. Les autres ne font pas ce que vous voulez, et c'est leur faute dans votre vision moralisatrice de l'économie, mais elles font travailler les Français, se battent pour gagner des marchés. En les punissant, c'est l'économie que vous frapperez !

Qui plus est, vous limitez les possibilités d'accord par des règles discriminatoires envers les syndicats, vous alourdissez la procédure de mandatement lorsqu'il n'y a pas de section syndicale. Aux termes de l'accord interprofessionnel du 8 avril 1999  qui reprenait un accord précédent, des représentants élus du personnel pouvaient conclure un accord, en cas d'absence de délégués syndicaux, avec validation par une commission paritaire de branche. Ce dispositif expérimental avait permis d'en conclure dans une trentaine de branches. Vous l'interrompez alors que la conclusion d'un accord est une condition sine qua non des abattements de charges (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Le traitement réservé au SMIC est une autre source d'inégalité. Et qu'en sera-t-il d'un salarié travaillant pour plusieurs employeurs qui ne pourra pas obtenir de ses employeurs, soit une réduction de temps, soit une augmentation de salaire horaire ?

Si les salariés à plein temps passent à l'horaire réduit sans diminution de salaire mensuel, l'équité serait que les majorations du taux de salaire profitent aux salariés à temps partiel. Mais cette inflation des salaires horaires pourrait menacer l'entreprise.

Par ailleurs, les petites entreprises auront beaucoup plus de mal que les grands groupes à appliquer la réduction du temps de travail à leurs petits effectifs : les tâches n'y sont pas substituables, ni les embauches aisément fractionnables. Les entreprises positionnées sur des secteurs où il y a pénurie de main d'_uvre seront aussi pénalisées, tout comme les entreprises positionnées sur des secteurs très exposés à la concurrence internationale et vivant sur de très faibles marges. Ne nous y trompons pas : cette loi pourra être appliquée dans des conditions convenables par certaines entreprises, mais ne peut répondre aux besoins de toutes. Je prendrai un exemple concret : celui d'une entreprise qui emploie de la main d'_uvre peu qualifiée et qui est confrontée à une concurrence internationale très vive. Son intention est bien de passer aux 35 heures. Mais les aides supplémentaires correspondant au nouvel abattement de charges ne lui permettront pas de procéder aux embauches compensatrices nécessaires pour pallier la perte de quatre heures de production. Que va faire l'entreprise ? Elle va délocaliser ces quatre heures, les aides apportées par l'abattement de charges seront utilisées pour financer cette délocalisation... L'entreprise y gagnera sans doute un peu. Mais qu'en résulte-t-il ? La loi aura certes permis à des travailleurs français de réduire leur temps de travail, mais elle aura fait perdre à l'économie française quatre heures de production désormais fabriquées à l'étranger. Cette stratégie est en effet la seule qui permette à cette entreprise de maintenir sa position sur le marché. Nous touchons là un des effets pervers de la démarche retenue (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. André Gerin - C'est du chantage !

M. Jacques Barrot - Je reconnais que c'est un cas particulier, mais il est bien réel. Le danger le plus grave réside dans cette perte à terme d'emplois moins qualifiés. Cela est d'autant moins acceptable que la nation va mobiliser des sommes très importantes pour financer cette réduction du temps de travail imposée à toutes les entreprises françaises. Les 60 milliards supplémentaires requis pour financer à terme les abattements de charges, auraient pu servir à alléger les charges sur les emplois les moins qualifiés. Vous-même, Madame la ministre, avez bien voulu le reconnaître : l'enrichissement de la croissance en emplois moins qualifiés passe essentiellement par ces baisses de charges bien ciblées. On peut penser avec nostalgie à l'effet qu'aurait pu avoir une baisse très significative, allant bien au-delà des 40 milliards consacrés à la ristourne dégressive déjà existante... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

S'agissant du financement de ces aides, notre seconde inquiétude grave concerne la manière dont le Gouvernement entend mobiliser les sommes nécessaires. Je ne m'étendrai pas sur les inconvénients de la création d'une nouvelle contribution sociale sur les bénéfices au moment où nos voisins, principaux concurrents, continuent à baisser leur impôt sur les sociétés ; je n'évoquerai pas les complexités de la nouvelle écotaxe. Je m'en tiendrai à ce problème majeur que constitue l'appel aux organismes sociaux et de prévoyance pour contribuer au fonds d'allégement des charges liées à la réduction du temps de travail. Le Gouvernement prétexte qu'en favorisant la création d'emplois la réduction du temps de travail abondera, à l'avenir, les ressources de ces organismes. A-t-on jamais vu des budgets sérieux bouclés avec la promesse de recettes incertaines ?

Mais il y a pire : l'Etat sollicite une Sécurité sociale dont le redressement reste très lié à la croissance des ressources, toujours menacée par un retournement de la conjoncture. Est-il logique de prétendre renforcer, dans la loi de financement de la Sécurité sociale, la responsabilité des partenaires sociaux dans la gestion des caisses et de leur demander en même temps de prêter main forte à l'Etat en lui apportant les bénéfices de leur bonne gestion, si bénéfice il y a ?

Et que dire d'un prélèvement sur les régimes de retraite, en particulier sur les régimes de retraites complémentaires obligatoires qui sont censés, eux aussi, constituer des réserves pour pouvoir honorer à l'avenir les droits ouverts par leurs ressortissants ? Un prélèvement sur les réserves de l'ARRCO au bénéfice du fonds de compensation des charges apparaîtrait comme une provocation au moment où l'Etat lui-même avoue la nécessité de faire des réserves dans le régime général... De plus, à chaque franc de cotisation retraite complémentaire correspondent des droits à pension : il est donc inconcevable de prélever sur les rentrées de l'AGIRC et de l'ARRCO pour financer les aides aux 35 heures. Cela reviendrait à mettre en cause les droits des retraités. Et j'espère bien que nous n'allons pas mettre en cause la gestion partenariale de nos grands systèmes de prévoyance collective. Ce n'est pas une question secondaire. Les partenaires sociaux ne s'y sont pas trompés, puisque tous les grands syndicats représentatifs vous ont signifié leur refus de voir les fonds destinés à nos grands systèmes de prévoyance collective utilisés à d'autres fins, en l'occurrence à compenser partiellement les surcoûts liés à la réduction du temps de travail. Mais je ne ferai pas de procès au ministre de l'emploi : j'attends avec impatience la venue du ministre des finances, car je soupçonne Bercy de certaines arrière-pensées. Il ne faudrait pas que le ministère des finances, à des fins d'abondement de ressources, vienne assécher la démocratie sociale, comme s'il n'y avait d'autre source de changement que l'Etat : il faut faire confiance aux forces de transformation sociale qui sont à l'_uvre dans notre société, les écouter, les accompagner.

Enfin, puisque vous imposez les 35 heures aux entreprises privées, il va falloir que l'Etat-employeur montre l'exemple. Dès lors, quand on sait la force de persuasion des syndicats de fonctionnaires et salariés d'entreprises publiques, comment ne pas craindre que l'application des 35 heures dans les fonctions publique et parapublique se traduise par une augmentation de leur masse salariale et donc des dépenses publiques ? C'est en recherchant dans la sphère publique un surcroît d'efficience que nous pourrons préserver un service public à la française.

J'en viens à ce qui pourrait constituer une alternative. Les succès obtenus en matière d'emploi ont bien montré que la première arme contre le chômage reste la croissance. C'est ce qu'illustre la création de nombreux emplois marchands supplémentaires. Mais elle manifeste aussi que nous avons su enrichir la croissance en emplois, notamment par la baisse des charges sur le travail moins qualifié. Et la France a connu durant ces cinq dernières années, un développement du temps partiel qui, s'il est parfois subi ou prête à certains abus, n'en reste pas moins un moyen de retour ou de maintien en activité. Ainsi, notre expérience française confirme le bien fondé des stratégies de certains pays européens qui ont beaucoup recouru à la baisse du coût du travail, à l'individualisation des horaires, au développement des emplois courts, qui ne sont pas toujours frappés de précarité comme on l'affirme trop facilement. Les travaux des instances européennes valident ces approches, montrant qu'il n'y a pas d'arme absolue contre le chômage mais une série d'armes qui permettent de l'encercler et de le réduire.

Dans ce contexte, l'aménagement-réduction du temps de travail est une arme parmi d'autres, non une panacée. Il ne peut être une arme efficace que si on l'utilise avec un certain mode d'emploi. Tel est mon propos ce soir : «infléchir votre démarche, en vous disant : chiche, oui à la réduction du temps de travail, mais avec un autre mode d'emploi. D'où les propositions suivantes.

Tout d'abord, sommes-nous d'accord pour dire que le droit à la durée du travail doit être le fruit de la négociation collective ?

La directive européenne de 1993 a considéré que, hormis ce qui concerne la santé et la sécurité des travailleurs, tout ce qui concerne le temps de travail devait être d'origine contractuelle.

Si nous sommes d'accord sur ce point, nous devons nous demander comment parvenir à une négociation collective plus active, à une meilleure légitimation des accords d'entreprise.

Longtemps le droit du travail s'est borné à édifier une législation protectrice du salarié, perçu comme la cible de tous les abus possibles de la part de la direction de l'entreprise. Peu à peu a émergé une autre conception de l'entreprise conçue comme une communauté qui se donne elle-même ses règles d'organisation et s'efforce peu à peu d'intéresser tous ses membres. Je note avec intérêt, dans votre propre majorité, un renouveau de l'idée d'intéressement dans les entreprises. Mais pourquoi, dès lors qu'on a pris la mesure de cette évolution de l'entreprise comme communauté d'intérêt, est-on réduit à recourir à la loi ?

Dans ce nouveau paysage, il faut ouvrir des voies beaucoup plus larges, et diversifiées à l'accord collectif, pour trouver au cas par cas le juste équilibre entre les exigences économiques de l'entreprise et les aspirations de ses salariés.

Il est vrai, Madame la Ministre, que la tâche n'est pas facile. Pour avoir des accords collectifs qui fassent autorité, il faut à la fois légitimer la négociation elle-même par des procédures adaptées et légitimer les signataires. C'est là qu'il faut faire preuve d'imagination. Le syndicalisme français, pour jouer son rôle, doit dépasser sa recherche traditionnelle de représentativité au profit d'une ambition plus forte, celle d'incarner une légitimité. Mais, cette légitimation ne peut se faire que sur le terrain, et non par une sorte de monopole délivré d'en haut.

Les partenaires sociaux se sont rapprochés de cette idée avec l'accord interprofessionnel du 30 octobre 1995. Le recours aux délégués élus du comité d'entreprise, voire au référendum sous certaines conditions, leur a paru acceptable, au moins à titre expérimental. Or votre texte ne prévoit certes le recours au référendum et aux délégués du personnel que de manière très restrictive. Or le véritable enjeu pour l'avenir, c'est de favoriser un droit de la durée du travail de nature conventionnelle, où la loi ne soit que subsidiaire

Il est donc impératif de favoriser la signature d'accords d'entreprise, qui se heurtent aujourd'hui à des obstacles formels, concernant les modalités, et matériels, liés à la sous-représentation syndicale. Au lieu de fixer le contenu des accords, la loi doit faciliter leur émergence en réformant leurs modalités.

Or ces modalités doivent tenir compte de deux contraintes. La première est d'assurer la légitimité des acteurs de la négociation : dès lors que l'accord n'a plus pour simple objet de créer des avantages supplémentaires mais qu'il prévoit des concessions mutuelles, il est indispensable que, sous une forme ou sous une autre, il recueille l'assentiment de la majorité du personnel de l'entreprise. Deuxième contrainte : l'insuffisance de la représentation syndicale dans nos entreprises.

Afin de tenir compte de ces deux contraintes, il serait souhaitable d'imaginer d'autres conditions de validité d'un accord d'entreprise en rendant possibles, simultanément et pour toutes les entreprises, l'accord négocié dans le cadre de la commission paritaire, mais qui ne prend vie que si les signataires ont plus de 50 % d'audience des inscrits, et non des seuls votants ; l'accord négocié dans les mêmes conditions, ou par mandataire, mais qui ne prend vie, si les signataires ont une audience inférieure à 50 %, qu'après ratification à la majorité simple des inscrits par référendum ; l'accord négocié avec les élus du comité d'entreprise. Il s'agit en fait d'élargir à toutes les entreprises des modalités de convention plus démocratiques afin d'éviter les blocages et d'accroître la légitimité des accords.

Évidemment, l'élaboration d'un droit de la durée du travail de nature conventionnelle peut alors se conjuguer avec une optimisation de l'organisation de l'entreprise. Et si l'on a de bons accords, il est normal de les encourager.

Je suis de ceux qui pensent, à la lumière de la loi de Robien et du dispositif de votre première loi, que l'on pourrait revoir intelligemment les incitations en prévoyant une baisse de cotisations pour les entreprises de main-d'_uvre et, pour les entreprises plus capitalistiques où une telle baisse peut déclencher un effet d'aubaine, nous pourrons avoir recours à des provisions pour investissements.

Dans ce nouveau cadre contractuel, il serait aussi plus aisé de relier temps de travail et temps de formation. C'est en effet un des reproches principaux que je fais à ce texte : ne pas donner le départ à un dispositif de formation tout au long de la vie. Certes, le Premier ministre a annoncé un texte pour l'année prochaine mais ne pas s'en préoccuper à l'occasion de la réduction du temps de travail n'est guère de bon sens, d'autant que là réside sans doute la possibilité d'éviter aux salariés de se retrouver au chômage de longue durée.

Mon premier plaidoyer sera en faveur de l'individualisation des horaires. Le temps partiel semble systématiquement suspect. Mais ne peut-on vraiment distinguer un temps partiel contraint d'un temps partiel choisi ? N'est-il pas facile de vérifier si l'entreprise garantit des conditions de retour au temps plein plus favorables que les dispositions légales, répondant ainsi à une attente du salarié ? Ne serait-il pas convenable que l'entreprise qui offre au salarié à temps partiel des garanties sociales équivalentes à celles du salarié à temps plein, puisse déduire ses cotisations, ce qui permettrait enfin au temps partiel choisi de prendre toute la place qu'il doit occuper ?

Vous avez parlé, Madame la ministre, du souhait des hommes et des femmes de consacrer plus de temps à leur vie familiale. Cela signifie une individualisation des horaires, cela peut signifier, aussi, un temps partiel choisi, dès lors que ceux qui ont fait ce choix sont assurés de valider leurs droits à la retraite à taux plein (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Il faut faire preuve d'imagination ; c'est pourquoi nous combattons l'amendement visant à supprimer sauvagement l'abattement de 30 % sur le temps partiel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui n'a pas lieu d'être dès lors que l'entreprise assure le salarié du droit au retour à plein temps.

Toutes ces raisons militent fortement pour que l'ouvrage soit remis sur le chantier. Il ne faut pas laisser perdre l'occasion que constitue la définition d'un nouveau droit de la durée du travail, pour faire franchir à notre pays un nouveau cap : celui d'une vie contractuelle plus intense, plus innovante au sein de nos entreprises.

Le débat d'aujourd'hui, faute d'une clarification initiale, risque de s'avérer dangereux . Certains membres de votre majorité, insatisfaits des complexités de la loi, vont se tourner vers plus de réglementation encore alors qu'il faudrait en revenir à une démarche contractuelle, volontaire, traitant équitablement des entreprises différentes, répondant à la diversité des attentes sociales.

A la fin de 1982 et bien que des promesses électorales imprudentes eussent été faites, Pierre Mauroy a eu la sagesse de s'en tenir aux 39 heures et de différer le passage à d'autres étapes. Aujourd'hui les données nouvelles d'une conjoncture que modifie sensiblement le retour de la croissance, justifiaient amplement un recentrage de la démarche du Gouvernement qui, loin de s'en trouver affaibli, tirerait avantage d'un réexamen complet. Cela serait en outre conforme à ce que le Premier ministre a souvent décrit comme sa méthode préférée, faite de confrontation des projets aux réalités d'une société et aux souhaits profonds des Français.

Voilà pourquoi cette question préalable, qui n'est pas inspirée par la défense du statu quo, se veut un appel à une autre démarche, à une autre loi, à la fois plus modeste et plus ambitieuse. Au lieu d'empiler règlements sur règlements, elle pourrait libérer l'innovation, faciliter l'évolution de nos entreprises vécues comme de vraies communauté de femmes et d'hommes, plus solidaires et plus responsables à la fois, modèle de ce que doit devenir l'entreprise à la française, pour peu qu'on lui fasse confiance.

Il n'est pas trop tard pour saisir cette chance, en renonçant à la démarche et au texte que vous nous proposez aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - J'ai écouté M.Barrot avec beaucoup d'intérêt car il connaît bien la question et n'use pas de l'anathème.

Je le remercie de s'être félicité des simplifications apportées par la loi en ce qui concerne la modulation ou le travail à temps partiel.

J'ai entendu ses propos sur la tentation malthusienne. Pour lui, contingenter l'emploi, c'est freiner la production. Mais, pour moi, le plus grand contingentement, c'est depuis des années celui du travail, c'est le chômage. Ce qui a empêché la croissance et la production, c'est l'importance du chômage, le manque de confiance dans l'avenir des Français, qui épargnaient au lieu de consommer et d'alimenter la croissance.

Depuis deux ans le cercle vertueux -confiance, croissance, consommation- s'est reformé parce qu'il y a eu réduction du chômage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Barrot a aussi parlé de tentation malthusienne en raison du désengagement des cadres. Il y a un an, chacun ici craignait que l'on ne puisse appliquer la réduction du temps de travail aux cadres. Mais nous savons aussi qu'il y a depuis des années une démobilisation des cadres, que les plus jeunes même s'ils entendent utiliser pleinement leurs capacités au sein de l'entreprise, ne veulent plus tout sacrifier à leur travail. Je crois donc à une nouvelle mobilisation, par une nouvelle organisation qui laisse aux hommes et aux femmes le temps de vivre, quelle que soit leur place dans l'entreprise. Les cadres qui vivront mieux travailleront mieux.

La négociation vous tient à c_ur, Monsieur Barrot, comme elle me tient à c_ur. Vous prétendez que cette loi met fin au dialogue social. Mais à quel dialogue social ? L'accord interprofessionnel sur la réduction de la durée du travail que vous avez soutenu a débouché sur 30 accords de branche dont la plupart ne traitait que d'un pont ou de la réduction de 2 ou 3 heures par trimestre. Quant à la loi de Robien, j'en ai critiqué les modalités mais jamais le principe. Elle était trop coûteuse pour les finances publiques, (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), oui, plus que notre loi. Les études le montrent ; les entreprises nous demandent d'ailleurs de revenir aux aides de Robien qui leur étaient bien plus favorables notamment parce qu'elles étaient au prorata du salaire et non, comme aujourd'hui, des aides forfaitaires aidant les bas salaires.

Mais cette démarche avait l'intérêt de lancer le processus de réduction de la durée de travail car Gilles de Robien, comme vous, comme nous, croit qu'il s'agit d'une piste pour réduire le chômage.

Un an et demi après le vote de la loi, il y avait 600 accords de Robien. La déclaration de politique générale de Lionel Jospin, annonçant la loi sur les 35 heures, leur a donné un coup de fouet et il y en a eu 2 000 de plus, et je m'en réjouis.

Mais où en était le dialogue social ? Vous-même avez fait le bilan devant la commission nationale de la négociation collective, regrettant que l'on ne négocie pas sur la durée du travail.

Je rêve moi aussi d'un pays où l'Etat pourrait éviter

d'intervenir dans ces domaines, parce que les syndicats seraient forts et que les chefs d'entreprises négocieraient spontanément. Mais la réalité est autre et les 3 millions de chômeurs que nous avons trouvés nous ont demandé d'agir pour réduire le chômage. C'est ce que nous faisons ! Je ne crois pas que notre loi ait cassé le dialogue social, bien au contraire. Alors qu'une entreprise sur deux négocie sur les 35 heures, alors que 16 000 accords ont été signés un an après le vote de la loi, alors qu'un salarié sur quatre est déjà couvert par un accord, pouvez-vous prétendre que nous brisons le dialogue social ? Ne l'avons-nous pas plutôt favorisé ?

Du reste, le contenu de cette deuxième loi s'inspire beaucoup de celui des accords, qu'il s'agisse des cadres, de la modulation mieux encadrée ou du temps partiel davantage choisi. Cette loi étend par ailleurs le champ de la négociation, notamment aux modalités de paiement des heures supplémentaires et aux contreparties du travail à temps partiel. Nous sommes convaincus que les 35 heures ne réussiront que si la négociation a lieu comme c'est le cas depuis un an.

Vous me reprochez de ne pas reconnaître les accords de branche étendus. Pas vous ! Car vous savez fort bien que prévoir des contingents d'heures supplémentaires au-delà de 130 heures sans autorisation de l'inspection du travail ni repos compensateur était contraire à la loi de 1978. J'espère que ce n'est pas ce que vous me demandez ! Les seules clauses que nous avons exclues l'ont été parce qu'illégales, qu'il s'agisse du travail le dimanche ou de l'exclusion des cadres de la réduction du temps de travail.

D'autre part, vous avez exprimé des craintes relatives aux salaires et aux conditions de travail. Déjà, l'an dernier, vous disiez que les chefs d'entreprise effrayés ne procéderaient plus à aucune augmentation de salaires. Or, le pouvoir d'achat a augmenté de 2,8 % en 1998, soit le meilleur résultat depuis vingt ans, alors qu'il avait diminué en 1993, 1994 et 1996.

M. Thierry Mariani - En 1993, vous étiez au pouvoir !

Mme la Ministre - Je veux bien partager la responsabilité pour cette année-là, où nous avons peut-être précisément eu le tort de ne pas avoir réduit la durée du travail !

En ce qui concerne les conditions de travail, je partage en grande partie votre point de vue. Actuellement, 85 % des salariés se disent satisfaits des accords qu'ils ont signés, ce qui signifie que les 15 % restants ont des craintes. Mais oserai-je vous dire que depuis vingt ans que nous analysons tous les trois ans les conditions de travail des salariés, ils disent que leur charge de travail augmente ? Bien sûr, la réduction du temps de travail ne mettra pas fin spontanément à cette situation mais au moins la loi doit-elle poser des garde-fous. C'est le cas pour la modulation qu'elle assortit de délais de prévenance et pour le travail à temps partiel.

N'est-il pas paradoxal de réclamer à la fois que la loi protège et qu'elle ne fasse rien afin de laisser le champ libre à la négociation ?

S'agissant des charges, la baisse que nous proposons va bien au-delà de la réduction du coût du travail, qui sera de 5 % pour les salaires de l'ordre de 10 000 francs par mois. J'ai reconnu l'an dernier que les charges sociales posaient un problème notamment pour les bas salaires. Nous nous sommes donc engagés à réformer les cotisations patronales pour élargir leur assiette à d'autres éléments que les salaires et pour réduire le coût du travail. Mais contrairement au système de la ristourne dégressive financée par les ménages, nous voulons assortir la baisse des charges d'une contrepartie en termes d'emplois. C'est pourquoi il importe que les accords soient signés par des syndicats majoritaires ou avec l'accord d'une majorité de salariés. Nous procédons ainsi à deux réformes articulées. Voilà pourquoi l'Union professionnelle et artisanale se réjouit aujourd'hui de cette loi (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Lisez donc la dépêche de M. Delmas mais c'est vrai qu'il ne représente que 800 000 entreprises !

Sur le plan constitutionnel, le Conseil d'Etat a considéré que dès lors que la négociation est au c_ur de la loi, il était justifié d'inclure la baisse des charges dans son champ, d'autant plus que les possibilités de négociation sont très larges : branche, entreprise, mandatement, délégués du personnel ou consultation du personnel dans les toutes petites entreprises.

L'attitude des investisseurs étrangers serait, disiez-vous, un bon moyen de voir si la réduction du temps de travail est une bonne ou une mauvaise chose. Or, la France occupe actuellement la troisième ou la quatrième place pour l'accueil des investissements étrangers, qui ont augmenté de 20 % en 1998 par rapport à 1997 : ce chiffre parle de lui-même tout comme les prévisions des instituts macro-économiques sur l'emploi et la croissance en France en 2001.

Vous et moi sommes attachés à la négociation, au progrès social, donc à la réduction du chômage. Il est un moment où les politiques doivent prendre leurs responsabilités. Pour notre part, nous savons où nous allons : les trente-cinq heures pour créer des emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques RCV).

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Gérard Terrier - Cette question préalable est truffée de paradoxes. D'abord dans sa présentation : M. Barrot n'a cessé de réclamer autre chose mais comment enrichir le projet si nous le reportons sine die ? Du reste, je suis surpris que ce soit lui qui ait soutenu cette motion de procédure car la notoriété de M. Barrot est telle qu'il n'a pas besoin de ce moyen pour disposer d'une tribune.

M. François Rochebloine - Ridicule !

M. Gérard Terrier - Vous avez adressé quelques compliments à Mme la ministre pour les faire suivre aussitôt de critiques bien souvent infondées. Vous souteniez les accords de Robien mais, si nous ne combattons pas la démarche, les résultats sont éloquents : la loi de Robien a créé six fois moins d'emplois que la loi Aubry I.

Nous convenons que la croissance est un élément-clé pour créer des emplois mais, précisément, depuis trois ans, le Gouvernement a fait en sorte de relancer la croissance notamment en augmentant le pouvoir d'achat des bas salaires. Aussi pouvons-nous lancer des projets que vous n'auriez même pas osé imaginer.

D'autre part, vous ignorez totalement la situation des cadres que les transformations économiques ont mis à l'écart. Pour la première fois, cette loi a le mérite de prendre cette catégorie en considération. Elle n'impose rien mais permet de choisir.

Vous vantez maintenant les mérites de la première loi. Pourquoi donc ne l'avez-vous pas votée ? Peut-être louerez-vous celle que nous examinons aujourd'hui lorsque le Parlement sera saisi de la prochaine !

Cette loi, pleine de vertus et que nous enrichirons encore, favorisera le dialogue social. C'est pourquoi nous repousserons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Dominique Dord - Le groupe démocratie libérale et Indépendants tient par ma voix à exprimer à Jacques Barrot sa solidarité la plus totale, n'en déplaise aux esprits chagrins qui aimeraient que ce débat divise l'opposition.

Les arguments qu'il a avancés sont aussi les nôtres. Il y a ajouté son autorité personnelle, un grand sens de la mesure et un esprit d'ouverture -qui a, semble-t-il, surpris quelques-uns à gauche. Je dirais que son intervention était républicaine et équilibrée. Pour toutes ces raisons, nous voterons la question préalable.

Nous ne sommes pourtant pas défavorables à une réduction du temps de travail. Mais nous tenons par dessus tout au libre choix des partenaires sociaux. Si les salariés veulent travailler moins, rendons cela possible, mais s'ils veulent travailler plus, et gagner plus, ne leur fermons pas la porte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL)

Plusieurs députés socialistes - Et les chômeurs ?

M. Dominique Dord - Oui, ce texte nous isole du reste de l'Europe et, par conséquent, affaiblit nos entreprises. Oui, il désespère du dialogue social et oui, il se fonde sur une démarche malthusienne. Oui, les petites entreprises et les salariés eux-mêmes risquent d'en être les principales victimes, que ce soit en termes de créations d'emplois, de pouvoir d'achat ou de conditions de travail. Oui, les modalités d'application des 35 heures à la fonction publique seront dévastatrices -et vous le savez bien, Madame la ministre, vous qui repoussez celle-ci à après 2002. Oui, ce texte inextricable crée un maquis juridique où se perdront les PME. Oui, il introduit des discriminations inacceptables entre salariés et oui, il est horriblement trop coûteux. Comme M. Barrot, je conclus donc : oui, il faut remettre l'ouvrage sur le métier (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Patrick Delnatte - Le groupe RPR votera lui aussi cette

motion que M. Barrot a défendu en se fondant sur des arguments précis et rigoureux et en proposant une alternative. Beau travail d'une opposition unie ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

Il a raison de dénoncer une loi qui, s'appliquant obligatoirement à toutes les entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ne tient pas compte de la diversité des situations et fait fi des résultats obtenus par le dialogue social.

Une loi dont le coût exorbitant et mal maîtrisé est hors de proportion avec les avancées escomptées. Les 110 milliards en question ne seront pas financés par des économies de gestion mais par un surcoût pour les entreprises et les régimes sociaux. Ainsi, Madame, vous déposez une bombe qui explosera à la face de vos successeurs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Troisième argument à retenir : cette loi remet en cause les règles de la représentativité syndicale, alors que notre société a besoin, pour sa cohésion, de corps intermédiaires solides, efficaces et indépendants.

Enfin, cette loi, durcie par les surenchères de la majorité plurielle, compromet les intérêts des salariés : elle ne leur offre pas la moindre garantie sur leur pouvoir d'achat, bloque l'ascenseur social et encourage une course à la productivité qui aggravera les conditions de travail (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) .

M. Maxime Gremetz - Mon explication de vote sera brève... (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt M. Barrot, qui a posé des questions tout à fait légitimes mais dont j'ai cru comprendre qu'il était favorable à la réduction du temps de travail. Dans ce cas, au lieu de défendre une question préalable, que ne s'inscrit-il dans le débat afin, comme nous comptons bien le faire, d'enrichir le texte ?

Parmi les questions, il en est une que j'ai beaucoup entendu poser lors de la réunion du MEDEF...

M. Maurice Leroy - Vous y étiez ? (Rires sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

M. Maxime Gremetz - ...les accords de branche déjà passés seront-ils validés ? Mme la ministre ayant rassuré M. Barrot sur ce point en répondant par l'affirmative, nous devrions pouvoir passer à la discussion du texte (Applaudissements sur quelques bancs du groupe communiste).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Je remercie chaleureusement Jacques Barrot pour son intervention de grande qualité et me sens

aussi parfaitement en accord avec ce qu'ont dit nos amis des groupes DL et RPR.

L'aménagement réduction du temps de travail, nous sommes pour et nous avons même été pionniers en ce domaine avec la loi Robien. Il est plus que jamais d'actualité partout en Europe mais la France est la seule à vouloir régler la question par une loi autoritaire et générale. Les autres comptent plutôt sur la négociation.

Des amis espagnols m'ont dit cet après-midi : on ne comprend pas les Français, ils réclament l'Europe sociale mais à la première occasion, ils font cavalier seul ! De fait, nous ne réussirons pas sans nos amis européens. Pensons en termes d'harmonisation !

Par ailleurs, ce projet va brider la négociation car tout est déjà bouclé, qu'il s'agisse des heures supplémentaires, du temps partiel ou du SMIC. Les partenaires sociaux ne pourront pas prendre d'initiative majeure. Quant aux accords signés à l'occasion de la première loi, ils sont remis en cause.

Ce texte va beaucoup compliquer les choses, alors que le législateur est là pour faciliter la vie des entreprises.

Un député socialiste - Pas seulement, madame !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - ...et pour encourager les initiatives. Car, jusqu'à preuve du contraire, ce sont bien les entreprises qui créent de la richesse et des emplois.

Enfin, ce texte m'inquiète car il va provoquer de nouvelles inégalités (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) alors que le législateur devrait s'attacher à favoriser la cohésion sociale. Inégalités entre entreprises françaises et étrangères, d'abord. Effrayées par la perspective des 35 heures, beaucoup d'entreprises délocalisent une partie de leur activité à l'étranger («Scandaleux ! » sur quelques bancs du groupe socialiste)

Inégalité entre les entreprises françaises elles-mêmes, selon qu'elles pourront répercuter, ou non, des gains de productivité et qu'elles seront à même de comprendre, ou non, une loi fort complexe. Inégalité, enfin, entre les salariés qualifiés et les autres, qui seront de plus en plus exclus du marché du travail.

Tels sont les points essentiels qui nous font voter la question préalable, afin que soit remis sur le métier un texte qui requiert davantage de consensus au sein des élus de la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

M. le Président - Sur la question préalable, je suis saisi d'une demande de scrutin public par le groupe UDF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Cochet - Européen tout aussi convaincu que Mme Boisseau et M. Barrot, je tiens à leur répondre que la position relative de la France en Europe, en ce qui concerne la durée du travail, est bien différente de ce qu'ils laissent entendre : les salariés néerlandais travaillent moins de 1 400 heures par an, les salariés allemands moins de 1 550 heures.

Plusieurs députés UDF - C'est à cause du temps partiel !

M. Yves Cochet - S'il y a exception française, elle joue donc plutôt dans l'autre sens : nous avons un certain retard à combler, et c'est ce à quoi nous nous employons. Quant à la loi Robien, elle a suscité, au cours de ses dix-huit premiers mois d'application, quelque 500 accords et moins de 20 000 créations d'emplois, contre 17 000 accords et 120 000 créations d'emplois pour la première loi Aubry. Et encore pouvons-nous espérer que la seconde loi, une fois amendée, sera plus efficace encore. C'est pourquoi le groupe RCV repoussera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

A la majorité de 196 voix contre 120 sur 316 votants et 316 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. Maxime Gremetz - Je demande une suspension d'une dizaine de minutes pour réunir mon groupe.

M. Bernard Accoyer - C'est l'obstruction qui commence !

La séance, suspendue à 23 heures 5, est reprise à 23 heures 20.

M. Yves Rome - Il y a à peine plus d'un an, les Paco-Rabanne du MEDEF relayés par l'opposition promettaient l'apocalypse économique si le Gouvernement et la majorité s'obstinaient à vouloir inciter les entreprises à réduire le temps de travail.

La station Mir ne s'est pas écrasée sur Paris et la première loi sur la réduction du temps de travail suit un rythme conforme aux prévisions les plus optimistes de ses initiateurs (Protestations sur les bancs du groupe du RPR).

Une nouvelle fois, l'exception française s'est illustrée. Les majorités précédentes avaient louvoyé entre l'inefficacité économique et l'impuissance sociale. Le Gouvernement de Lionel Jospin et la majorité de gauche ont au contraire démontré que la volonté politique pouvait installer la croissance dans la durée et conduire des réformes bénéfiques pour l'emploi. Grâce à la loi du 13 juin 1998, la réduction du temps de travail a permis de créer ou de préserver plus de 125 000 emplois. Elle constitue une alternative efficace aux plans sociaux. Ainsi, la semaine dernière, dans mon département de l'Oise, une entreprise agro-alimentaire signait un accord sur le passage aux 32 heures évitant la suppression de 76 emplois.

M. le Président de la commission - Très bon exemple.

M. Yves Rome - La direction précise même qu'il permettra d'accroître la productivité. Preuve est faite que compétitivité et plein emploi peuvent aller de pair et doivent aller de concert.

Tel est bien le sens de ce projet qui s'appuie sur les centaines d'accords de branche et les milliers d'accords d'entreprise conclus depuis un an.

L'approche pragmatique, qui a prévalu, la réflexion et l'esprit de dialogue de la commission ont porté leurs fruits.

Ce projet concilie les règles indispensables à une société organisée et la souplesse nécessaire aux mutations économiques et technologiques. Il dessine un projet d'avenir où le temps passé au travail, aux activités sociales, à la formation sera plus équilibré. Il nous incite à rendre les rapports de production plus solidaires en même temps que plus efficaces.

Surtout ce projet constitue une réflexion moderne sur l'organisation du travail qui, n'en déplaise au MEDEF, ne peut rester rigide.

Et d'abord qu'est-ce qu'une heure de travail ? Comparera-t-on les 40 heures de 1936 et les 35 heures de l'an 2000 ? Selon les secteurs, les tâches, la hiérarchie dans l'entreprise, la réponse diffère.

Le projet pose des règles, des jalons, des

limites. Il ouvre des pistes et confie à la société le soin de négocier.

Il simplifie aussi le droit du travail. La fusion des différents types de modulation est une avancée notable. Il fait place aux cadres qui ont manifesté un vif intérêt pour la réduction du temps de travail. Jusqu'ici ils étaient taillables et corvéables à merci et sans contrepartie. Ce projet met fin à cette exception. Plus solidaire et démocratique, mieux soudée autour d'un projet collectif, l'entreprise n'en sera que plus compétitive.

Le projet est aussi un texte de liberté et de responsabilité.

Si les accords de ces derniers mois ont exercé une influence déterminante sur le contenu même du projet, celui-ci ouvre à son tour de nombreux champs de négociation autour de la compensation des heures supplémentaires ou encore du temps choisi. Ces nouveaux espaces ouverts au dialogue et à la démocratie dans l'entreprise supposent un peu de temps, et des règles fixant les modalités d'expression des salariés.

C'est pourquoi le projet prévoit une période d'adaptation, mais aussi la possibilité de consultations directes du personnel sur le contenu des accords, qui influeront sur leur vie professionnelle et privée.

En ce sens, la réduction du temps de travail est bien un élément majeur de renouvellement du syndicalisme, mais aussi le support d'une citoyenneté nouvelle au sein de l'entreprise.

Elle offre l'opportunité aux salariés, par la négociation, de devenir pleinement acteurs au sein de leurs entreprises. Le projet garantit ainsi que la dimension personnelle et les contraintes familiales des salariés seront prises en compte dans la dimension collective que constitue l'organisation du travail. Tel est le sens des opportunités, offertes par le texte, de calendriers individualisés lors de l'exercice de la modulation. Tel est aussi l'objectif de l'instauration d'un délai de prévenance dans le cadre de la modulation ou du temps partiel, qui sera lui-même, grâce à cette loi, de moins en moins subi et de plus en plus choisi.

Ce projet de loi est l'aboutissement législatif d'une démocratie revivifiée par les négociations collectives voulues par la première loi Aubry. Il est aussi un levier puissant pour de nouvelles conquêtes démocratiques conciliant au sein de l'entreprise avancées sociales et progrès économiques.

Le travail de la commission, de notre rapporteur Gaëtan Gorce et des groupes politiques de la majorité a été particulièrement fructueux. Il a permis d'enrichir le texte proposé par le Gouvernement, qui avait lui-même choisi l'ouverture et le dialogue. Le travail parlementaire a été et, n'en doutons pas, sera à la hauteur de l'enjeu. Il a permis tout d'abord de réaffirmer fortement que la négociation sur la réduction du temps de travail est obligatoire lorsque se profilent des plans sociaux. Tel est le sens de l'amendement Michelin qu'a mis en _uvre avec succès, avant l'heure, l'entreprise Rivoire et Carret dans l'Oise. Les travaux de la commission ont également permis, à l'initiative des différentes composantes de la majorité plurielle, de préciser et de compléter le texte sur des points essentiels. Citons la définition plus explicite du temps de travail effectif, ou la création obligatoire d'instances paritaires de suivi de l'accord de réduction du temps de travail dans les entreprises.

D'autres avancées ont eu lieu sur l'allégement de charges pour les entreprises de moins de 20 salariés s'engageant avant 2002 sur la réduction du temps de travail. Des précisions ont été apportées sur la définition des cadres dirigeants, sur le contrôle de la charge de travail effective des cadres et sur le régime du complément différentiel de salaire.

Le débat parlementaire fera franchir une étape décisive à la réduction du temps de travail. En ce sens, il fera date au même titre que la décentralisation, le RMI ou la couverture maladie universelle. La dimension historique de cette réforme ne doit pas nous échapper et ne peut pas être ignorée par l'opposition (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

Aussi je tiens à mettre en garde nos collègues des droites et du centre sur les attitudes qu'ils adopteront. Ne vous trompez pas de débat : face à une réflexion sur la société de demain et à la mise en forme d'une économie moderne, vous ne pouvez vous satisfaire de n'être que le bras armé du MEDEF et le porte-parole du lobby patronal (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Sinon, vous risqueriez encore une fois de courir derrière l'histoire et la société au lieu de maîtriser la première et d'éclairer la seconde. Vous devriez emprunter de nouveau ce chemin abrupt et amer qui en deux occasions déjà vous a conduit de positions étriquées, aveugles, frileuses et conservatrices à l'obligation de mea culpa tardifs (Mêmes mouvements). Les outrances d'aujourd'hui vous conduiraient aux regrets de demain aussi sûrement que votre conservatisme sur le PACS et votre démagogie sur l'immigration vous ont mené à des révisions déchirantes.

Je vous invite plutôt à être avec nous, si c'est possible, les femmes et les hommes qui ont dit non : non à la domination du plus fort, non au capitalisme débridé et au libéralisme sauvage, non au chômage et à l'exclusion. Je vous invite à faire vivre avec nous cette exception française qui, si souvent, dans l'histoire, a précédé et éclairé le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - L'abaissement de la durée du travail est un mouvement continu depuis le début du siècle, que les revendications salariales et les modifications du droit du travail ont accompagné plus qu'elles ne l'ont suscité. Cette diminution s'est généralisée alors que s'installait un chômage de masse frappant des publics toujours plus nombreux. Comme le note Pierre Larrouturou, notre pays a travaillé 33,4 milliards d'heures en 1998 contre 38 en 1974, alors qu'entre ces deux dates, la population active a crû de 15 % et le PIB de 60 % ! Dans la même temps, le nombre des chômeurs passait de 500 000 à plus de trois millions... Comment dès lors faire croire aux Français que la réduction autoritaire du temps de travail sera l'outil de la lutte contre le chômage ? Car c'est bien votre objectif, Madame la ministre, et c'est à l'aune de cette promesse que nous devons évaluer votre dispositif.

Votre approche résulte d'une triple erreur. Tout d'abord vous percevez le travail tel qu'il était à la fin du XIXème siècle, quand les deux tiers des salariés étaient des

ouvriers confinés dans des tâches de production répétitives et peu qualifiées. Cette vision passéiste veut que le travail soit source d'asservissement et d'abrutissement, alors qu'il est de plus en plus l'outil de l'émancipation et de la réalisation de soi. Vous avez ensuite jugé que, face au chômage, aucune politique active n'avait été efficace et que la seule solution était de répartir la pénurie. Or la reprise de la croissance apporte aujourd'hui un sévère démenti aux pessimistes et aux utopistes : décidément ce ne sont jamais les gouvernements qui font baisser le chômage, mais bien les entreprises et leurs salariés. Enfin, vous avez fait une promesse électorale inconsidérée mais qui avait le mérite de la simplicité : demain, vous gagnerez autant en travaillant moins, et en plus il y aura moins de chômeurs. Aujourd'hui, les salariés se demandent comment ils vont payer ce conte de fées, car ce qui est sûr, c'est que les salariés et les contribuables paieront les 35 heures, et personne d'autre...

Il faut le reconnaître, vous avez procédé d'une façon dont le législateur ou le gestionnaire public devrait s'inspirer systématiquement : faire précéder la mise en place définitive d'une mesure par une phase expérimentale qui permet d'évaluer son effet et les difficultés rencontrées. Mais cette période d'observation est bien trop courte. La négociation entre les partenaires sociaux a pris de six à neuf mois, et la plupart des accords viennent tout juste d'être signés, ce qui interdit tout bilan sérieux. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles Mme Notat avait sollicité un report d'un an de la date du 1er janvier 2000. Deuxième leçon à en tirer : le dispositif n'a pas rencontré le succès escompté eu égard aux douceurs financières promises. Je rappelle qu'un emploi créé dans ce cadre rapportait à l'entreprise plus de 600 000 francs, à condition qu'il soit souscrit avant le 30 juin. Or, sur 14 millions de personnes potentiellement concernées, seulement un peu plus de 2 millions ont été couverts, et par des accords de branche non opérationnels. En outre la moitié de ces salariés relève d'un accord non aidé, les partenaires sociaux ayant refusé d'être liés à une obligation d'embauche irréaliste. Quand on compare l'argent public injecté aux résultats engrangés, on doit constater l'extrême modicité de ceux-ci. En effet, vous annoncez 120 000 emplois créés, mais vous avez tout mélangé pour rendre le tableau présentable : emplois virtuels, effets d'aubaine, emplois du secteur public, emplois simplement sauvegardés ... Vous vous gardez de faire la seule présentation crédible, celle qui aurait défalqué de votre résultat les emplois détruits, délocalisés ou implantés ailleurs. Troisième leçon enfin de cette période expérimentale : elle a permis, -c'est vrai-, dans de nombreuses entreprises de réanimer un dialogue social anémié. Des partenaires qui se regardaient comme le Turc regarde le Grec ont compris que les intérêts des salariés et des entreprises allaient de pair. Ils sont parvenus à s'entendre avec un sens de la responsabilité que je salue, et qui fait espérer un renouveau du dialogue social.

Hélas, vous n'avez tiré les leçons de cette phase probatoire que sur un point : la réduction du temps de travail ne créera pas d'emplois. Le présent projet renonce

clairement à cet objectif, et des membres éminents de votre majorité l'ont constaté : dont acte. L'OCDE a confirmé que la réduction du temps de travail n'était pas synonyme de création d'emplois . Les chiffres en témoignent : 4,5 % de chômeurs aux Etats-Unis pour 1 966 heures de travail annuel, et 11,9 % en France pour 1 656 heures. Cette seule observation condamne votre projet, puisque c'est le critère sur lequel vous vouliez être jugée.

Mais rentrons dans votre logique comme vous nous y invitez. Vous laissez tomber les chômeurs, pour vendre l'idée que les salariés seraient plus heureux et les entreprises plus performantes, dans le cadre d'un dialogue social rénové.

Dialogue social ? Allons donc ! les branches ont signé 117 accords dont beaucoup ont été étendus. Or, contrairement à vos assertions, votre texte ne permet la mise en _uvre d'aucun d'entre eux. La plupart prévoient en effet une annualisation comprise entre 1 610 et 1 645 heures alors que vous la fixez à 1 600 heures, et un contingent d'heures supplémentaires de 140 à 210 heures, quand vous le maintenez à 130 heures. Vous auriez pu au moins tenir compte dans votre projet de cet effort de concertation ; vous leur accordez maigrement une année pour rentrer dans les clous. Nicole Notat le déclarait à Ouest-France : « les partenaires sociaux n'ont jamais été aussi maltraités, il y a une dérive grave du poids de l'Etat dans les relations sociales de notre pays » -ce n'est pas moi qui le dis, mais une ardente partisane de la réduction du temps de travail. Pour faire bon poids, vous avez introduit à l'article 11, sans concertation avec les organisations représentatives, une disposition qui dynamite la représentativité syndicale. Certes, l'étiolement de ces organisations mérite sans doute que la puissance publique envisage certaines dispositions de modernisation du syndicalisme, concernant par exemple les modalités d'instauration du chèque syndical. Mais aujourd'hui les partenaires sociaux ont le sentiment que vous vous êtes moqués d'eux et qu'ils ont gaspillé beaucoup de temps et de salive. C'est pourquoi nous demandons instamment que votre loi respecte les modalités de ces négociations ou, à tout le moins, étende la période d'adaptation à un délai que je ne peux imaginer inférieur à cinq ans.

M. Alfred Recours - Cinquante ans, c'est mieux !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous déposerons des amendements sur ce sujet, parce que c'est le bon sens, et aussi par respect pour les partenaires sociaux et le travail qu'ils ont fourni.

Si le dialogue social a été bafoué, est-ce au moins au bénéfice du bonheur des salariés ? Ceux-ci font preuve en tout cas d'un remarquable bon sens : d'après un sondage CSA effectué à la demande de la CGT, 26 % seulement des personnes interrogées considèrent comme prioritaire la réduction du temps de travail. La majorité refuse l'instauration de règles trop rigides au sein des entreprises et souhaitent qu'on laisse à ces dernières toute souplesse pour négocier. Il faut faire confiance à notre peuple. Bien sûr, si on lui propose de travailler moins en gardant le même salaire, il répond oui avec enthousiasme, comme si on demandait au contribuable s'il préfère payer un quatrième tiers provisionnel ou gagner au loto ! Mais les salariés se doutent bien que ce ne sont pas les patrons mais eux-mêmes qui paieront les pots cassés des 35 heures. Ils ont d'ailleurs déjà commencé à les payer de trois façons : une perte de rémunération, une flexibilité des horaires et un durcissement des conditions

de travail. Vous m'objecterez que 87,7 % des accords aidés prévoient une compensation salariale intégrale, suivie il est vrai d'une modération salariale. Mais, interrogés par l'institut Louis Harris, 80 % des salariés concernés ont vu leur rémunération réduite, principalement par la baisse ou la suppression des heures supplémentaires. Celles-ci constituent un élément fondamental des revenus, celui avec lequel on rembourse les traites de son pavillon ou les études de ses enfants, comme l'a bien rappelé M. Dord dans son exception d'irrecevabilité. C'est pourquoi nous déposerons un amendement permettant à ces salariés de garder leur niveau de revenus s'ils le souhaitent, car on ne saurait rationner le travail.

Quant à la flexibilité et à la modulation des horaires, elles sont présentes dans un accord sur deux. Pour beaucoup de salariés, les 35 heures, c'est l'aggravation des horaires décalés, le travail du samedi ou du dimanche, auxquels s'ajoute la fréquente dégradation des conditions de travail : les rythmes de travail sont intensifiés puisque l'on demande de faire en 35 heures ce que l'on faisait en 39, les risques de stress et de surmenage augmentent. Pour 86 % des salariés concernés, la charge de travail a augmenté. Il est vrai que dans certaines entreprises, en particulier les plus grandes et les plus performantes, la réduction du temps de travail a profité à l'ensemble du personnel. Toutefois, un dialogue social bien orienté aurait sans doute permis d'obtenir les mêmes résultats.

Les conditions de vie des salariés sont pour nous essentielles et je veux insister sur la conciliation de la vie

professionnelle et la vie familiale, primordiale pour les femmes et, je l'espère, de plus en plus pour les hommes s'ils acceptent enfin de prendre leur juste part des tâches domestiques. Là encore, les reculs qui accompagnent le passage aux 35 heures sont particulièrement néfastes aux femmes : la diminution du temps de travail, souvent, n'est pas du temps « pour soi », mais du temps « pour eux », les renvoyant non pas à des activités ludiques ou sociales, mais bien à des activités ménagères dont elles sont déjà saturées. Cette dérive sera accentuée par une perte de pouvoir d'achat qui sera elle-même compensée par la diminution des heures d'emplois de service, emplois en outre majoritairement tenus par des femmes qui perdront ainsi leur revenu. Quant à la flexibilité, corollaire de 50 % des accords conclus, comment peut-elle aider à mieux s'occuper de ses enfants quand elle vous oblige à travailler hors des temps scolaires, quand les crèches sont fermées ou le week-end ? Cette loi ne fait que rendre plus poreuse la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle et, à ce jeu ce sont toujours les femmes qui perdent. Tel était le prix à payer pour mettre en _uvre une réforme mal pensée sans détruire l'appareil de production...

Alors, un dialogue social mis à mal, des salariés à qui on fait durement payer les quelques heures de travail en moins, faut-il croire, comme le titre un grand journal économique, que vous nous mitonneriez une petite cuisine néo-libérale ? Personne n'est dupe : certaines entreprises tireront tout bénéfice des possibilités de réorganisation offertes par vos deux lois. Votre dispositif a permis, grâce aux pré-retraites de dégraisser massivement l'industrie automobile de plusieurs milliers d'emplois et de rééquilibrer ainsi sa pyramide des âges ; des salariés se voient refuser des augmentations de salaires au motif qu'il faut que l'entreprise avale les 35 heures ; on comprend dès lors que vous ayez trouvé quelques complices, y compris dans le patronat. Je ne me fais aucun souci pour les grands groupes. M. Goutard, PDG de Valéo, dont une des usines est à Angers, nous annonce tranquillement, avec une augmentation de 20 % des bénéfices du groupe, qu'il « n'allouera plus certains contrats à certaines usines de l'Europe de l'Ouest » et qu'il préférera la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie. Quant à Packard-Bell, qui emploie plusieurs centaines de salariés, toujours à Angers, elle n'a besoin que de quinze jours pour s'expatrier. Là encore, les victimes seront les salariés et leurs familles.

Mais je me fais du souci pour tout le réseau de petites et moyennes entreprises qui structurent le tissu économique et social de notre pays.

M. Thierry Mariani - Absolument !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Votre projet les met dans un carcan insensé avec un système de calculs des heures supplémentaires imaginé par un technocrate givré : quatre niveaux de taxation, deux catégories d'entreprises, une période transitoire et plusieurs dates d'application. Un syndicaliste, qu'on ne peut soupçonner de complicité avec le patronat, devant la commission, a qualifié le mécanisme d' « usine à gaz ». Pour les petites entreprises, il est indispensable que le régime des heures supplémentaires ne soit pas limité à la seule période transitoire et que le recours aux

heures supplémentaires soit élargi. Cela vaut notamment pour les métiers de bouche et de restauration dont on connaît les difficultés de recrutement. Nous avons déposé des amendements à ce propos. Ces petites entreprises vont de plus en plus se trouver confrontées à des difficultés organisationnelles qu'a fort bien expliquées Jacques Barrot. Qui prendra alors en charge le surcroît de travail, sinon l'artisan et son épouse, celle qui taillable et corvéable à merci tient la caisse et fait la comptabilité ? Et vous prétendez, des trémolos dans la voix, que les 35 heures, c'est du temps pour soi, pour le bricolage et le jardinage... Pas pour tout le monde ! Nous avons déposé des amendements pour que soit prise en compte par des aides spécifiques cette dimension tout à fait particulière de la très petite entreprise. Ce sont dans ces très petites entreprises que se créeront les emplois, l'affaire Michelin rappelle cette vérité. Charges supplémentaires, difficultés d'organisation, travail au noir, voilà ce qui rendra plus difficile la vie des PME et les empêchera de créer les emplois attendus.

Le 27 janvier 1998, je vous avais dit, Madame la ministre, que vous aviez construit la plus coûteuse et la plus sophistiquée des machines à exclure, l'examen du budget nécessaire au RMI le confirmera bientôt.

Je vous avais dit aussi que nous verrions un gouvernement de gauche mettre en pièces le SMIC, c'est fait ! Je vous avais dit que les salariés paieraient les 35 heures par la perte du pouvoir d'achat et le durcissement des conditions de travail, nous le vérifions tous les jours. Je vous avais dit que votre loi ne créerait pas d'emplois : vous avez capitulé en rase campagne en espérant que la croissance permettrait à notre pays, à ses entreprises et à ses salariés de supporter les effets néfastes d'une mesure absurde à laquelle vous-même n'avez jamais cru.

Le débat sur la réduction du temps de travail n'est pas clos, il ne fait même que commencer ! Mais cet aménagement ne pourra être pensé que sur la durée de la vie de l'individu pour faire en sorte que l'on ne concentre pas sur la période 25-45 ans l'activité professionnelle maximum, la mise en place de nouveaux liens affectifs, la procréation et l'éducation des enfants, pendant qu'on laisse la moitié des plus de 50 ans dans l'inactivité et que l'on retarde de plus en plus l'entrée des jeunes sur le marché du travail. C'était bien cela le défi qui nous était lancé et non celui d'une réduction du temps de travail uniforme qui fait fi des nouvelles aspirations des salariés et des extraordinaires mutations biologiques, sociales et économiques du millénaire qui s'annonce.

Vous comprendrez que le Rassemblement pour la République ne puisse voter un texte conçu comme si la France n'avait pas changé depuis le XIXème siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Maxime Gremetz - La réduction du temps de travail est un enjeu majeur de civilisation et de société. Le groupe communiste y a toujours été très attaché. Il a d'ailleurs été à l'origine de la première proposition de loi, déposée en 1996, tendant à une réduction à 35 heures comme élément du processus continu de réduction du temps de travail.

Ses objectifs sont toujours les nôtres.

Le premier est de libérer du temps pour permettre au salarié de s'éduquer, de se former, de se distraire, de participer à la vie associative, se cultiver, d'être avec sa famille, d'exercer pleinement sa citoyenneté.

Les progrès de notre société dépendent, pour une part, de l'importance et de l'utilisation qui peut être faite du temps libre. Donner de vrais moyens aux gens pour qu'ils puissent s'épanouir dans leur travail et en dehors, c'est agir pour une meilleure cohésion sociale, pour plus de solidarité, pour plus de responsabilité civique.

Les salariés et les personnes privées d'emploi attendent beaucoup de nos débats.

M. Dominique Dord - Ils ne vont pas être déçus...

M. Maxime Gremetz - La réduction du temps de travail est également un outil efficace de lutte contre le chômage, en créant des emplois stables et correctement rémunérés. C'est dans ces conditions que nous pourrons asseoir la relance de notre économie, donc notre croissance.

A l'aube de l'an 2000 trop de jeunes sont exclus du monde du travail pendant que des cadres sont contraints de faire des heures supplémentaires non payées.

Des salariés sont usés par trop de travail alors que d'autres en espèrent un. La réduction du temps de travail, au sens où les communistes la conçoivent permet de créer des emplois pour les chômeurs, les précaires, en particulier pour les jeunes.

Enfin, le passage aux 35 heures implique une nouvelle organisation du travail synonyme d'amélioration des conditions de travail se traduisant par des droits nouveaux pour les salariés comme gage d'efficacité économique.

Pour cela, la négociation est indispensable. Les salariés et leurs représentants doivent pouvoir être informés et consultés sur tous les aspects, avant, pendant et après la réduction. La loi doit à la fois favoriser la négociation et l'entourer de garanties.

L'histoire le montre, a chaque étape d'une réduction significative du temps de travail -1848, 1919, 1936-, nous retrouvons la combinaison de trois facteurs ; la loi fixe le cadre de la réduction du temps de travail, encourage la négociation collective et donne de nouveaux droits aux représentants des salariés.

La seconde loi doit donc fixer un cadre clair et donner des garanties fortes aux salariés tout en favorisant la négociation et non en s'y substituant.

C'est dans cet esprit que nous abordons le débat. Nous partageons la volonté du Gouvernement d'améliorer, avec cette seconde loi, la première.

C'est pourquoi, elle doit reprendre, pour le moins, les mesures positives que nous avons votées l'an passé telles l'obligation de créer des emplois pour obtenir des aides ou la prise en compte du travail posté pour une réduction du temps de travail supplémentaire.

C'est également dans cet esprit constructif, conformément aux objectifs définis en commun avec les membres de la majorité plurielle, que nous défendrons deux séries d'amendements, fruits de nombreuses discussions avec les organisations syndicales, les inspecteurs du travail, des juristes et des salariés de nombreuses entreprises.

Tout en proposant de retranscrire dans la nouvelle loi les bonnes dispositions de la précédente, nous vous encouragerons à rendre effective une véritable application de la réduction du temps de travail répondant aux objectifs que nous avons définis.

Comme le Gouvernement, nous voulons réussir la réduction du temps de travail, nous voulons qu'elle se traduise par un progrès réel et par des créations d'emplois.

D'autres lois affichaient déjà cette volonté en conditionnant les aides au titre de la réduction du temps de travail au taux d'emplois créés.

Ainsi, en 1993, la loi quinquennale de M. Balladur, que nous avons combattue ensemble, Monsieur Bartolone, envisageait, par accord, une réduction du temps de travail de 10 % en contrepartie de 10 % d'embauches. En 1996, la loi de Robien prévoyait 10 % de réduction du temps de travail en échange de 10 % d'embauche sur une durée d'au moins deux ans. Cette durée nous paraissait bien courte comparée aux sept ans d'exonération de charges patronales.

La loi du 13 juin 1998 subordonnait les aides à deux obligations : réduire le temps de travail d'au moins 10 % pour un volume de création d'emploi au moins de 6 % puis les aides étaient majorées pour une réduction du temps de travail de 15 % assortie de 9 % d'embauches. Voilà ce que nous aimerions retrouver dans la seconde loi qui ne subordonne plus les aides à des créations d'emplois.

Ce recul est inacceptable et nous ne l'accepterons pas.

Vous adressant à la droite, vous disiez l'an dernier, Madame la ministre, qu'elle avait institué un système trop général et trop coûteux -40 milliards par an- n'ayant permis de créer que 40 000 à 45 000 emplois et vous vous refusiez à renforcer ce dispositif. Vous disiez préférer une aide aux entreprises qui bougent en réduisant la durée du travail et en créant des emplois.

Mme la Ministre - C'est vrai.

M. Maxime Gremetz - C'est pourquoi nous avons, avec nos collègues des Verts et du MDC déposé un amendement commun reconduisant cette conditionnalité dans la future loi soit 10 % de réduction du temps de travail pour 6 % de création d'emplois et majorant les aides en cas de réduction du temps de travail de 15 % pour la création d'un volume d'emploi de 9 %. Il n'est pas question de surenchère puisqu'il s'agit simplement de reconduire dans la deuxième loi un principe que nous approuvions dans la première.

Plusieurs de nos amendements visent à encourager l'emploi à temps plein et à durée indéterminée car la qualité des emplois créés est essentielle pour lutter contre la précarité.

Les fonds publics versés aux entreprises doivent véritablement servir l'emploi, c'est fondamental pour un gouvernement de gauche.

La création d'une commission nationale chargée de contrôler l'utilisation des fonds publics et d'évaluer leur efficacité pour l'emploi et la formation est primordiale afin que cessent les abus. Cet organisme devrait s'appuyer sur le suivi effectué par l'instance paritaire présente dans les entreprises que nous avions créée l'an passé et que nous ne retrouvons pas dans la présente loi. Un de nos amendements portera sur ce point car il nous semble plus juste que les aides servent essentiellement à créer des emplois.

Or, l'entreprise Michelin veut licencier 7 500 personnes alors qu'elle a réalisé 2 milliards de profits et qu'entre 1983 et 1995 elle a perçu 10 milliards d'aides publiques pour supprimer 15 000 emplois. C'est intolérable !

Cette question est étroitement liée à celle du financement et à cet égard l'orientation du projet ne peut nous satisfaire. Nous constatons, en effet, que le total des aides apportées aux entreprises, sans qu'elles soient obligées de créer des emplois, représente 105 milliards à terme, mais surtout que l'ensemble du financement repose sur les ménages : l'augmentation du prix du tabac -39,5 milliards-, l'extension de la TGAP aux lessives et assouplissants -3,2 milliards-, une partie du paiement des heures supplémentaires -5,4 milliards- et enfin la contribution de l'UNEDIC -plus de 10 milliards- et de la sécurité sociale -5,5 milliards-.

C'est d'autant plus indéfendable que 41 % des chômeurs ne sont pas indemnisés, que les minima sociaux ne sont pas revalorisés et que les soins dentaires et optiques sont très mal remboursés.

En revanche, la participation des entreprises est presque nulle, hormis une faible taxe sur les bénéfices --4,2 milliards- largement compensée par la suppression de la surtaxe sur les bénéfices -12,5 milliards- et l'abaissement de la taxe professionnelle de 2,5 milliards.

Mieux encore, comme le souligne le rapport, « ces mesures sont financièrement neutres pour l'ensemble des entreprises et n'alourdissent en rien le prélèvement fiscal applicable à celles-ci ». Aussi faisons-nous des propositions pour les faire contribuer davantage surtout lorsque l'on sait qu'elles ont réalisé l'an passé 2 134 milliards de profit. Un prélèvement de 3,3 % sur cette somme rapporterait 64 milliards ce qui suffirait à financer votre loi, Madame la ministre. Mais il y a plus scandaleux encore : après avoir perçu les aides, les entreprises élaborent un plan de licenciement dit économique

surtout destiné à accroître les profits financiers au détriment de l'emploi. Telle n'est pas notre conception de l'entreprise citoyenne.

Nous avons du reste déposé une proposition de loi sur les licenciements économiques qui obligerait à tenir compte de la situation financière des entreprises et instituerait un système de bonus malus qui augmenterait la contribution des entreprises qui licencient et allégerait les cotisations de celles qui ne licencieraient pas.

Nous utiliserons, pour vous soumettre cette proposition, notre fenêtre parlementaire de décembre.

Nous nous félicitons que d'autres fassent des propositions qui vont dans le même sens, telle la modulation des cotisations versées à l'UNEDIC en fonction du comportement des entreprises en matière d'emploi.

Quant à l'amendement «Michelin», nous proposerons de l'améliorer pour le rendre efficace. Les entrepreneurs ne peuvent se contenter d'engager une négociation sur les 35 heures pour pouvoir mettre en place un plan social financé. Encore faut-il aboutir à un accord ! Nous proposons donc de faire du passage aux 35 heures un préalable à toute présentation d'un plan social.

Bref, la période de «prétendue adaptation» et la faible majoration des premières heures supplémentaires permettent, pour un très faible coût, de ne pas changer la durée réelle du temps de travail. Les créations d'emplois en seront ainsi reportées.

Aussi voulons-nous encore améliorer la définition de la durée du temps de travail effectif sur laquelle nous nous étions battus lors de la première loi. Elle doit inclure les pauses, les temps de repas et de transport quand le salarié ne peut utiliser ces périodes pour ses occupations personnelles. Les astreintes et les heures d'équivalence étant rarement justifiées, la plupart doivent être incluses, en temps réel, dans le temps de travail effectif. Nous notons avec satisfaction l'évolution sur ce sujet en commission.

D'autre part le temps de travail effectif doit permettre au salarié de bénéficier d'un droit à la formation professionnelle et continue tout au long de sa vie. A cet égard, nous demandons au Gouvernement de présenter sans tarder le projet de loi qu'il a promis.

L'amélioration des conditions de travail et de vie, les créations d'emploi et l'efficacité économique ne sauraient s'accommoder d'un recours trop aisé et abusif à la flexibilité, dont les effets néfastes sur la santé des salariés sont attestés. Elle doit être strictement limitée et, en tout cas, mieux encadrée. Par exemple, le délai de prévenance en cas de changement d'horaire doit être porté à 15 jours au lieu de 7.

Concernant le travail à temps partiel, la loi doit aboutir à ce qu'il soit vraiment choisi. C'est pourquoi nous souscrivons à la volonté du Premier ministre de mettre un frein au recours abusif aux emplois précaires.

Nous avons donc déposé un amendement qui taxe fortement les entreprises abusant des contrats précaires. Vous aviez vous-même proposé un amendement en ce sens, Madame la ministre, il y a plus d'un an. Et en commission, la majorité plurielle a adopté un amendement supprimant l'abattement de 30 % accordé, sur les cotisations sociales, pour les contrats à temps partiel.

Tous les salariés doivent bénéficier de la RTT. Le contraire serait discriminatoire et nuirait à l'efficacité de la loi. L'équité veut que les salariés défavorisés par des emplois plus contraignants que la moyenne soient mieux protégés. C'est pourquoi nous demandons que les travailleurs postés ou affectés au travail de nuit ou à des travaux particulièrement pénibles bénéficient d'une RTT supplémentaire de 4 heures. Nous l'avons obtenu pour la première loi, nous y tenons aussi dans la seconde et vous ne devez pas, Madame la ministre, vous opposer à cette mesure de justice.

Les salariés de la fonction publique doivent eux aussi être intégrés dans la loi...

M. François Goulard - On en parle peu !

M. Maxime Gremetz - Il serait en effet aberrant que le Gouvernement verse des aides aux entreprises privées sans contrepartie en termes d'emplois et les refuse pour des créations d'emplois dans la fonction publique ! Et il serait inconcevable que le Parlement vote une loi de cette ampleur pour une partie seulement des salariés. Nous ne voulons pas, contrairement à d'autres, opposer salariés du public et du privé (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

La loi doit aussi intégrer les cadres, dont les conditions de travail ne cessent de se dégrader et dont les salaires, pas si élevés que cela si l'on prend en considération leurs véritables horaires, se trouvent parfois en dessous du SMIC. Ils sont comme les autres victimes du chantage à l'emploi et licenciés à 55 ans. Décompter leur temps de travail en jours, en retirant toute référence horaire, revient à laisser comme seule obligation horaire le repos minimum de 11 heures entre deux jours travaillés. Il deviendrait alors possible de travailler 13 heures par jour, 65 heures pour une semaine de 5 jours travaillés, 78 heures pour une semaine de 6 jours et pour l'année 217 jours multipliés par 13 heures, soit un total de 2 821 heures par an. On le voit, le décompte en jours est un marché de dupes, pour les cadres mais aussi pour tous les salariés car, lorsque les cadres sont contraints à de tels horaires, le climat dans l'entreprise s'en ressent profondément.

Pour que la réduction du temps de travail soit un progrès social, elle doit garantir le maintien des salaires. Le Premier ministre ne disait pas autre chose dans son discours de politique générale en juin 1997 : « réduire le temps de travail sans perte de salaire représente à la fois un progrès économique -susceptible de créer de nombreux emplois- et un progrès social ». L'augmentation du pouvoir d'achat est nécessaire pour permettre à des milliers de salariés de vivre dans de meilleures conditions. Et plus les salaires sont élevés, plus la consommation repart, ce qui est bon pour l'économie. Nous proposons donc que le taux horaire du SMIC soit relevé de 11,4 %.

M. François Goulard - Il est logique !

M. Maxime Gremetz - En expliquant que les gains de productivité atteignent 4,3 % et que les charges patronales baissent de 14 %, M. Buguet, vice-président du syndicat de l'artisanat du bâtiment, fait la démonstration que le maintien des salaires n'entraînera pas de surcoût pour l'entreprise. Dans ce cadre, les exonérations de cotisations sociales -très pénalisantes pour la Sécurité sociale et à effet quasi-nul sur l'emploi- ne paraissent pas la solution appropriée. Nous proposerons une autre solution reposant sur la bonification de crédits aux entreprises qui investissent pour l'emploi.

S'agissant des allégements, le projet exige des accords conclus par des syndicats représentant la majorité des salariés aux élections professionnelles. Très bien, mais pourquoi limiter cette condition aux accords aidés ? Il faut qu'elle s'applique à tous les accords, y compris de branche. L'extension du principe majoritaire à tous les accords sera non seulement une mesure élémentaire de démocratie mais aussi une garantie sur le contenu des accords.

D'ailleurs tous les droits nouveaux que nous proposons -meilleure formation, assistance et protection du salarié mandaté- sont non seulement des avancées démocratiques mais aussi un gage d'efficacité économique.

La deuxième loi, dont l'enjeu politique est considérable, pour la gauche plurielle comme pour le monde du travail, doit apporter des garanties fortes aux salariés, qu'il s'agisse des conditions de travail, du pouvoir d'achat, de formation professionnelle ou de recul de la précarité.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Maxime Gremetz - Les créations d'emplois stables et à temps plein doivent être plus fortement encouragées, pas seulement par une remise à plat des aides financières publiques mais aussi par une limitation dissuasive de la modulation, de l'annualisation et des heures supplémentaires.

Conscients de l'enjeu, nous entendons continuer à nous battre pour que la seconde loi permette un progrès social et réponde aux attentes de millions de salariés et de chômeurs, c'est-à-dire aussi à celles du peuple de gauche.

Nous défendrons donc avec énergie et conviction nos amendements et déterminerons notre vote en fonction du sort qui leur sera fait car, en l'état, ce projet de loi est invotable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Hervé Morin - Madame la ministre, vous n'avez pas félicité pour leur travail en commission MM. Gremetz et Cochet. Je m'en étonne...

M. Gérard Terrier - La stratégie est connue !

Mme la Ministre - Et ne marche pas !

M. Hervé Morin - Alors, permettez-moi de vous citer : le 12 septembre 1991, lors d'une réunion de la CFDT, vous déclariez : « Je ne crois pas à une réduction nationale de la durée du travail pour créer des emplois ». Que s'est-il passé depuis cette date qui justifie qu'aujourd'hui vous nous présentiez une loi centralisatrice et technocratique orchestrant une réduction générale et autoritaire du temps de travail ? Quelle mouche vous a donc piquée...

Mme la Ministre - Soyez poli !

M. Hervé Morin - ...entre 1991 et aujourd'hui pour que vous changiez à ce point d'opinion ?

Nous sommes les seuls en Europe à procéder ainsi. Et nous devons nous poser trois questions : cette réduction autoritaire

du temps de travail est-elle un cadeau pour l'économie française et pour les entreprises ? Pour les salariés ? Pour le dialogue social ?

La suradministration, la multiplication des contrôles et des contraintes et l'importance de la sphère publique ont déjà un coût social considérable. Jacques Barrot a fort bien démontré que la seconde loi sur les 35 heures va de ce point de vue aggraver les choses. Dans la période où la France créait 160 000 emplois dans le secteur marchand, soit 0,6% de la population active, les Etats-Unis en créaient, eux, 12,5 millions, soit 9,9% de leur population active. Je sais bien qu'ils ont les « working poors », mais nous, nous cumulons exclusion, chômage et précarité. Le passage aux 35 heures aura aussi un coût économique : l'entreprise France va perdre en compétitivité puisque l'on produira au même prix mais avec un coût plus élevé. Certes, l'augmentation des coûts salariaux sera en partie compensée, mais à ce jeu là, il y aura des gagnants -les PME à forte croissance, celles qui auront repensé leur organisation, celles qui sont très automatisées, celles qui profiteront de l'effet d'aubaine- et des perdants :

les sociétés de services sans gains de productivité, les sociétés déjà en difficulté, ainsi que les petites entreprises où l'emploi n'est pas fractionnable.

Il y aura aussi des dégâts collatéraux. La délocalisation des investissements, tout d'abord, et je citerai un homme que vous connaissez bien, Madame la Ministre : Jacques Delors (Sourires), qui regrettait en 1998 déjà, dans un entretien au Nouvel Observateur, que l'étranger investît moins chez nous que nous à l'étranger. En second lieu, le sentiment d'incertitude et d'insécurité juridique, qui risque de casser la croissance, l'investissement et l'emploi. Dans certains secteurs, enfin, tels que le BTP ou les transports, la loi ne fera qu'aggraver la difficulté à pourvoir les offres d'emplois.

A cela il faut ajouter le coût budgétaire, qui sera - soyons honnêtes - de 70 milliards et non de 110 milliards, puisque la ristourne dégressive coûtait 40 milliards. Ces 70 milliards, ce sont les Français qui les paieront. Il faudra bien, pour compenser le non-travail, un prélèvement supplémentaire, direct -contribution sur les heures supplémentaires, ponction sur les caisses de sécurité sociale- ou indirect -écotaxe sur les entreprises. Nous pensons, au groupe UDF, qu'il eût fallu faire autrement, et baisser massivement les charges sociales, qui atteignent, pour un même salaire annuel de 120 000 F, près de 60 000 F en France et moins de 10 000 F en Grande-Bretagne. Cette baisse des charges, que permettait la croissance, aurait servi à la fois à réduire le chômage et à augmenter le salaire direct.

Les 35 heures sont-elles un cadeau pour les salariés ? Certains aspirent, c'est vrai, à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, et la loi Robien, puis la première loi Aubry ont provoqué une véritable révolution mentale, mais travailler quatre heures de moins peut-il être assimilé à un projet de société ? Faute de traiter de l'emploi, le présent projet aurait dû au moins traiter du travail, d'un autre rythme de travail, d'un autre partage du travail. Vous disiez le 7 février 1993, Madame la Ministre, selon une dépêche de l'AFP, qu'il fallait donner la priorité à la réduction de la durée individuelle du travail, afin de réduire le chômage et d'améliorer les conditions de vie. C'est dans cette direction que vous auriez dû aller, et non dans celle d'une réduction générale et imposée.

La réduction du temps de travail, telle qu'elle nous est proposée, produira aussi des dégâts collatéraux chez les salariés, et en particulier chez les plus vulnérables d'entre eux. Il y aura, pour commencer, une nouvelle fracture sociale entre les salariés, selon qu'ils travaillent dans une entreprise de plus ou de moins de 20 personnes, dans une entreprise assez riche ou non pour supporter le surcoût et s'offrir les services d'un conseiller social, dans une entreprise pourvue ou non d'institutions représentatives du personnel. Cette fracture s'étendra aux cadres, catégorie appelée à éclater entre cadres dirigeants, cadres « forfaitisés » et cadres « intégrés ». Elle opposera également, bien entendu, salariés du secteur privé et du secteur public, ces derniers n'étant soumis à aucune contrepartie.

Le second dégât collatéral a nom flexibilité. Je prends le pari, en effet, que la gauche va réussir malgré elle, comme elle l'a fait à partir de 1983, lorsqu'elle avait dû reprendre d'une main ce qu'elle avait distribué de l'autre au cours des deux années précédentes, à accomplir ce que la droite n'avait su faire : après la désindexation des salaires, l'entrée en force de la flexibilité dans le monde du travail. Je prends également le pari que l'intensité du travail va s'accroître, que les salariés devront faire en 35 heures ce qu'ils faisaient jusqu'à présent en 39 heures, et qu'il s'ensuivra une « explosion » des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Si la commission est heureusement revenue sur le double SMIC, que nous avions, heureusement aussi, dénoncé dès le début, le risque d'une faible progression du pouvoir d'achat, voire d'un gel des salaires reste élevé. Or, je suis persuadé que les salariés, au bas de l'échelle en tout cas, aspirent avant tout à gagner plus et non à travailler moins : dans une société d'abondance comme la nôtre, on est forcément malheureux de ne pouvoir bénéficier de l'offre immense de biens et de services disponibles.

Ce qu'il eût fallu, c'est privilégier la réduction individuelle du temps de travail, se demander pourquoi les formules actuelles ne marchaient pas, réfléchir davantage sur les processus d'entrée dans le monde du travail et sur les modalités de suspension et de sortie du travail. C'était l'occasion rêvée pour dépoussiérer notre droit du travail, en faisant confiance aux syndicats et au dialogue social pour créer de nouveaux espaces de liberté individuelle, au lieu de quoi vous imposez une loi fondée sur la suspicion à l'égard des syndicats et de leur capacité à défendre les salariés.

Les 35 heures, en effet, ne sont pas davantage un cadeau fait au dialogue social. Elles sont même un camouflet pour les partenaires sociaux, en ce qu'elles remettent en cause les accords d'entreprises déjà signés, y compris lorsque vous les avez validés et étendus. Le dispositif aurait dû se limiter à deux articles, l'un fixant la durée légale du travail et le second renvoyant à la négociation les modalités d'application, mais être complété par un titre II relatif à la démocratie sociale, qui eût abordé des questions fondamentales telles que la place respective de la loi et de l'accord, le rôle des différentes institutions représentatives du personnel, les notions de représentativité et de légitimité, la consultation des salariés, afin de développer un syndicalisme de proposition plutôt que d'opposition.

Les deux manifestations d'hier, quoique antagonistes, nous confortent dans notre hostilité au projet. Toutes deux apportent la preuve que ce n'est pas par la loi qu'il faut régler les détails de l'aménagement et de la réduction du temps de travail. Il y a, de plus, une contradiction fondamentale dans le fait d'annoncer aux gens qu'ils vont travailler moins aujourd'hui, mais davantage demain pour financer les retraites.

M. François Goulard - Très juste !

M. Hervé Morin - Pour cette simple raison, nous serons obligés de remettre en cause demain cette loi que vous allez voter aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). 

M. Yves Cochet - L'histoire de l'activité économique est l'histoire de la réduction du temps de travail (Exclamations sur les bancs du groupe DL), et nul ne peut contester l'évidente corrélation entre réduction du temps de travail, élévation du niveau de vie et développement de l'activité économique. Processus séculaire, la réduction du temps de travail n'a pas seulement accompagné, mais bien provoqué et stimulé le perfectionnement des modes de production, à travers l'aménagement continu d'espaces de temps libre.

D'autre part la redistribution du travail a suscité la diversification de ses formes et accru le choix des salariés rendant le marché du travail plus accessible à certaines catégories et aux femmes.

Par ce processus volontariste qu'est la réduction du temps de travail, nous faisons taire ceux qui prédisaient la fin du volontarisme d'État. Pour les Verts, elle permet de borner l'emprise patronale sur le temps du salarié. Lui voler du temps, c'est voler de sa vie. Elle permet d'évaluer la prestation des salariés et enfin de synchroniser les temps sociaux.

Forme de résistance historique à l'emprise du temps la réduction du temps de travail est aussi universelle. Elle n'est pas une exception française. Il y aurait même un certain retard français par rapport à un mouvement qui dans toute l'Union européenne a pris les mêmes formes.

Sa modernité, c'est de lutter contre le chômage et de contribuer à enrichir l'activité

et l'emploi. A ces objectifs, les Verts ne peuvent que souscrire. Au niveau des entreprises, réduire le temps de travail permet de réorganiser le travail, de rajeunir les effectifs, de mieux utiliser les équipements. Au niveau macro-économique, c'est la réponse la plus pertinente dans la lutte contre le chômage. Comme l'a dit Lionel Jospin, il s'agit d'inventer un nouveau modèle social fondé sur la solidarité et le consensus social. C'est donc toute l'économie et la société qui seront irréversiblement bouleversées.

La réduction du temps de travail permet aussi de mettre fin à des archaïsmes de notre société. D'abord elle offre une chance historique aux femmes d'obtenir une égalité concrète avec les hommes. Ensuite, elle facilitera la participation sociale et civique qui est insuffisante. Au capitalisme et à la mondialisation libérale nous pourrons ainsi opposer un développement humain sur des bases plus solidaires.

J'en viens à quelques critiques. Votre premier projet a suscité l'enthousiasme. Le

deuxième frappe par ses hésitations et ses insuffisances. En l'état les Verts ne peuvent le voter. Mais nous ne souhaitons ni ralentir ni saboter la marche vers la réduction du temps de travail. Nous voulons l'améliorer. Nous ne sommes pas une opposition interne dans la majorité. Le succès de la réduction du temps de travail sera celui de toute la majorité et c'est pourquoi nous prônons une loi plus offensive. C'est le sens de nos 70 amendements qui comportent trois grandes orientations.

Nous voulons d'abord mieux définir le temps de travail effectif. C'est lui qu'il faut diminuer pour pouvoir embaucher.

Nous voulons ensuite mieux encourager le passage aux 35 heures, voire aux 32 heures par la taxation du travail précaire, la limitation du travail de nuit, le caractère conditionnel des aides.

Nous voulons enfin introduire plus d'équité en faveur des catégories plus exposées comme les femmes, les smicards, les salariés gravement malades.

Ce projet, s'il est voté au nom de

la majorité plurielle, doit aussi refléter les opinions diverses de cette majorité. Il présente des aspects positifs auxquels nous ne pouvons qu'adhérer. Il est important qu'il entre en application au 1er janvier 2000. Retarder sa mise en vigueur serait cruel pour les chômeurs. Sur le plan politique, la majorité plurielle qui engage son avenir sur ce projet aura ainsi plus de temps pour en mesurer les effets bénéfiques.

D'autre part, le Gouvernement a fait le bon choix en privilégiant la négociation notamment grâce au chapitre VIII. Cette méthode est réaliste puisqu'elle prend en compte toutes les initiatives. C'est aussi un impératif constitutionnel que de permettre à chacun de participer à la détermination collective de ses conditions de travail. La démocratie d'entreprise en sort renforcée.

En votant cette loi, nous engageons la responsabilité de la majorité. C'est la confiance des salariés que nous risquons. Nous sommes obligés de réussir.

Mme la Ministre - C'est vrai.

M. Yves Cochet - Depuis 1936 on n'avait pas vu cela. Cette première grande loi du XXIème siècle inaugure une société où emploi et solidarité se conjugueront pour le bien-être des citoyens dans toutes les dimensions de la vie. Nous avons donc le devoir de l'améliorer, et aussi peut-être la voterons-nous dans une quinzaine de jours. Mais cela dépend aussi de vous, Madame la ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et quelques bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, mercredi 6 octobre à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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