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Session ordinaire de 1999-2000 - 12ème jour de séance, 29ème séance

2ème SÉANCE DU VENDREDI 22 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

Sommaire

          LOI DE FINANCES POUR 2000 -première partie- (suite) 2

          ART. 10 2

          RAPPEL AU RÈGLEMENT 7

          LOI DE FINANCES POUR 2000 -première partie- (suite) 7

          ART. 10 (suite) 7

          APRÈS L'ART. 10 10

La séance est ouverte à quinze heures.

LOI DE FINANCES POUR 2000 -première partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2000.

ART. 10

M. Maurice Adevah-Poeuf - L'article 10 traite des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise. Sa rédaction actuelle amène à s'interroger sur la nature que le Gouvernement entend leur donner et sur les dispositions fiscales, qu'il me faut bien qualifier de disparates, qu'il entend mettre en _uvre pour en étendre la durée et le champ.

Instituée par la loi de finances pour 1998, le régime des BSPCE vise à permettre à de jeunes entreprises innovantes sans grande capacité financière de recruter néanmoins le personnel de haut niveau qu'elles ne peuvent rémunérer dans l'immédiat aux conditions du marché. La nature de ces bons n'est donc pas fondamentalement différente de celle des stock-options qui défrayent la chronique.

Il s'agit, dans les deux cas, de rémunération différée, à la différence près que nul ne sait exactement ce que rémunèrent les stock-options, puisqu'elles sont offertes sans qu'en contrepartie soient demandés un travail supplémentaire ou une quelconque prise de risque.

Il s'agit donc d'argent facilement gagné, financé à la fois par les contribuables, puisque le régime fiscal qui leur est appliqué est particulièrement favorable, et par les actionnaires, puisque l'attribution de stock-options a pour corollaire la dilution du capital et des dividendes.

Il faut donc éviter que les BSPCE se transforment en stock-options. A cet égard, le présent article, tout comme l'article 4 de la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, sont préoccupants.

Cet article 10 tend en effet à aménager, sur deux points, le dispositif existant, d'une part en supprimant toute restriction quant à l'activité des sociétés susceptibles de distribuer des BSPCE et d'autre part en le pérennisant.

Quant à l'article 4 de la loi du 12 juillet 1999, elle intègre dans la liste des entreprises susceptibles d'émettre des BSPCE les sociétés cotées au nouveau marché et, plus grave encore, elle a bouleversé le droit des sociétés en ouvrant considérablement les modalités de détention du capital d'une société par actions simplifiée. Or, ces sociétés relèvent d'un trait original, puisque les dispositions de la loi de 1966 sur les sociétés ne leur sont applicables que si les actionnaires y consentent. Cet article réduit en outre de 75 à 25 % la proportion du capital qui doit être détenue par des personnes physiques pour qu'une entreprise puisse attribuer des BSPCE.

Il est donc hautement souhaitable que l'Assemblée adopte l'amendement qui tend à limiter l'éventail des sociétés qui peuvent distribuer des BSPCE. Il ne me semble pas, en effet, qu'il soit particulièrement innovant de spéculer sur les produits financiers. L'Assemblée doit aussi faire en sorte que l'article 174-20 du code des sociétés, qui oblige à informer les actionnaires du nombre, du prix et du nom des bénéficiaires des actions souscrites s'applique aussi aux sociétés par actions simplifiées.

Le Gouvernement doit enfin faire savoir à la représentation s'il entend réviser le droit des sociétés. S'il ne le fait pas, nombreux sont ceux qui ne souscriront pas à des mesures qui autoriseraient des pratiques scandaleuses.

M. Jean-Jacques Jegou - Je ne reviendrai pas sur les propos de mon collègue Adevah-Poeuf, qui a voulu faire dire à l'article 10 davantage que ce qu'il dit, et je me limiterai à rappeler ces mots de l'exposé des motifs : « afin de favoriser la création d'entreprises »...

Qui peut ignorer que notre pays souffre d'un manque de culture d'entreprise ? Jusqu'à quand nous donnera-t-on à penser que tous les créateurs d'entreprises sont des forbans et des fraudeurs ?

M. Maurice Adevah-Poeuf - Mais non !

M. Jean-Jacques Jegou - Oh, beaucoup de socialistes ont cette idée des entrepreneurs, vous le savez bien.

Quoi qu'il en soit, je ne voudrais pas que quelques cas montés en épingle -et déjà politiquement réglés- nous fassent rater l'occasion de procéder, dans cette loi de finances, aux aménagements nécessaires pour que notre pays compte plus d'entreprises, ces lieux de création de richesses...

M. Yann Galut - Il faudrait que ces richesses soient partagées !

M. Jean-Jacques Jegou - C'est bien de cela que nous discutons. Selon les médias, grâce auxquels nous en apprenons souvent plus que nous ne pouvons savoir ici même, les communistes ne veulent pas de l'article10 et certains socialistes veulent l'amender sérieusement. Nous serons quant à nous aux côtés du Gouvernement pour soutenir toute mesure de nature à rendre nos entreprises plus compétitives et à renforcer la culture d'entreprise. Car, n'en déplaise à M. Allègre, il n'y a pas que les  start up  qui créent des emplois et des richesses.

Et si cet article 10 est mis à mal, nous défendrons, après l'article 10, des amendements visant à réparer les dégâts.

M. Georges Sarre - Les BSPCE sont régis par les mêmes principes que les stock-options mais ne concernent qu'un certain type d'activités. Profitons donc de cet article pour évoquer la question plus générale des stock-options et mettre à plat un système dont certains faits récents ont illustré le caractère abusif.

Tout dans ce système spécial de rémunération est dérogatoire, son fonctionnement général, les critères d'attribution des titres, la taxation des plus-values. Il est temps de mettre un terme à l'opacité des pratiques et à l'injustice des principes. C'est pourquoi les députés du Mouvement des citoyens défendront un amendement tendant à limiter le champ de l'article 10 aux BSPCE.

Le système des stock-options accumule les tares. D'abord, l'étroitesse de la population concernée : il n'est pas normal que 28 000 cadres supérieurs, appartenant aux principales sociétés cotées, puissent empocher en toute légalité 45 milliards de plus-values potentielles. Rien ne justifie un tel privilège quand partout menacent la précarité, le chômage, l'exclusion. Ensuite, l'opacité des critères d'attribution : c'est un comité des rémunérations, sous-ensemble du conseil d'administration, qui distribue les options. Enfin, le caractère dérogatoire de la taxation : le bénéficiaire a en effet le choix entre l'imposition sur le revenu et une imposition à 40 %, prélèvements compris. Le choix du détenteur est vite fait.

Se voir attribuer le droit de recevoir un actif dont la valeur a parfois quadruplé par rapport au prix fixé à l'avance, ce n'est rien d'autre qu'un sursalaire. Je défendrai donc un amendement tendant à soumettre la plus-value d'acquisition -réalisée au moment de la levée d'option- à l'impôt sur le revenu et imposant un certain nombre de conditions pour l'imposition dérogatoire. Il s'agit ainsi d'en finir avec la dérogation à la dérogation. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe communiste)

M. Christian Cuvilliez - Avec cette question des stock-options, nous dépassons le cadre budgétaire et fiscal pour traiter en réalité de la société que nous voulons pour le siècle prochain. La manifestation du 16 octobre a déjà donné une idée des attentes et des espérances à ce sujet. Il s'agit notamment de savoir si nous voulons une société solidaire ou une société duale, partagée à l'américaine entre les winners et les losers.

Un choix de société implique évidemment des choix politiques. Un gouvernement de gauche se doit ici de chercher à mieux concilier l'économique et le social.

D'un côté, nous menons des débats sur la réduction du temps de travail, sur le financement de la Sécurité sociale, sur la protection des travailleurs. De l'autre, nous voyons prospérer ces nouveaux conquérants de la fortune, ces condottieri de la Bourse, ces modèles de réussite financière, sans le moindre rapport avec la qualité d'un projet d'entreprise, d'un sujet de recherche, d'une réflexion sur le devenir de l'humanité.

Comment la grande masse des habitants de ce pays, et en particulier comment nos électeurs -qui se recrutent dans les mouvements d'inspiration progressiste- pourraient-ils admettre que l'on réserve, dans la valeur ajoutée supposée  des entreprises, une énorme part de dividendes à une poignée d'autocrates ?

D'après l'Expansion, 1 % des salariés des sociétés du CAC 40 bénéficient d'un plan de stock-options. A la fin de l'an dernier, les 337 plans existants portaient sur 164 218 393 d'options, lesquelles étaient attribuées à 28 013 bénéficiaires, le tout pour 45 milliards de plus-values potentielles.

Les cas Jaffré et Levy-Lang, objets de toute l'agitation médiatique, sont les arbres qui cachent la forêt. Car la question est bel et bien celle-ci : faut-il confier le pilotage de l'économie à des dirigeants qui agiront en fonction de leur profit personnel ?

A l'heure où nous nous attachons à définir ce que vaut, coûte, mérite le travail, pouvons-nous admettre qu'existent des formes de rémunération aussi exorbitantes que les stock-options, aussi arbitraires et aussi parasitaires ?

Nous demanderons quant à nous la suppression de l'article 10 et si M. Bonrepaux retire son amendement, nous le reprendrons (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Nicole Bricq - Je n'interviendrai pas sur la fiscalité applicable aux BSCPE ou aux stock-options, car ce n'est qu'une conséquence. Le débat politique doit porter sur la modulation de la fiscalité en fonction de la prise de risques, de la durée de détention des options et de leur montant.

Ces options d'achat d'actions ont été créées en 1970 par une initiative parlementaire. L'intention du législateur, dans la foulée des ordonnances de 1967 du général de Gaulle instituant la participation et l'intéressement, était de faire participer les salariés à l'expansion économique et à la croissance de leur entreprise. A l'origine, du reste, les mandataires sociaux étaient exclus du dispositif. Trente ans plus tard, le système s'est développé et dévoyé au profit d'une élite.

Un siècle après la grande révolution industrielle, nous sommes entrés dans une économie de croissance patrimoniale et nous devons nous interroger sur la place et le rôle du salariat dans ce nouveau capitalisme. Le problème est d'ailleurs plus celui de la gauche que de la droite...

M. Philippe Auberger - De Gaulle était-il de gauche ?

Mme Nicole Bricq - Pour encourager l'épargne à risque, il faut favoriser un actionnariat salarial à long terme et respectueux de la division des risques. La réflexion doit porter sur la détention d'actions par les salariés et sur leur représentation en tant qu'actionnaires salariés. Les bons de croissance peuvent constituer un signal fort pour les salariés qui contribuent à la croissance patrimoniale et qui financent la solidarité. Il s'agit bien là d'un transfert du capital vers le travail, qui doit obéir à trois principes : transparence, démocratie, équité des prélèvements fiscaux et sociaux.

Je remercie le président Bonrepaux d'avoir perdu... (Rires sur divers bancs) pardon, je veux dire d'avoir permis que le débat ait lieu. J'approuve M. Brard lorsqu'il déclarait, avant-hier, dans un journal économique, qu'il fallait « éviter les décisions circonstancielles » et « travailler à fabriquer du consensus pour faire adhérer nos concitoyens à une fiscalité légitime et équitable ». Tel est bien notre devoir.

Le fait que les salariés participent à la croissance patrimoniale et au nouveau capitalisme en le régulant, rend plus complexes les relations entre le capital et le travail, mais ne fait pas disparaître la division capital-travail décrite par Marx à l'époque où le capital s'accumulait. Cette évolution impose à la gauche de s'interroger sur la place du salariat dans les nouvelles formes d'accumulation du capital. Le débat devra se poursuivre autour de la mission Balligand-de Foucauld.

M. Gilbert Gantier - Je sais gré à Mme Bricq d'avoir ouvert un peu le débat que M. Cuvilliez voulait clore.

Cet article 10 s'intitule « Mesures en faveur de la création d'entreprises » et, selon son exposé des motifs, il s'agit de pérenniser le report d'imposition des plus-values de cession de titres dont le produit est réinvesti dans les fonds propres d'une PME ; d'étendre le dispositif des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise à toutes les entreprises innovantes, enfin de maintenir l'exonération du droit d'apport de 1 500 F pour les apports effectués lors de la constitution de sociétés. Quand on sait que ce sont les entreprises qui créent les emplois, je ne vois rien là qui puisse susciter l'indignation.

Cela dit, le ministre de l'économie parle souvent de transposer en France le modèle américain de croissance -les Etats-Unis bénéficient d'une croissance ininterrompue depuis une dizaine d'années- mais n'a encore entrepris aucune réforme de structure en ce sens. La recherche d'une croissance durable, fondée sur les nouvelles technologies de l'information et sur les biotechnologies, est entravée par les dispositions fiscales et réglementaires, auxquelles se heurte l'entrepreneur innovant.

Le retard français dans le recours aux stock-options, souvent découragé par une fiscalité trop lourde est, à cet égard, symptomatique.

Ecartelé entre une vision passéiste de la participation et une approche trop ciblée des entreprises innovantes, le capitalisme d'entreprise ne bénéficie d'aucun dispositif incitatif cohérent et efficace. Plusieurs mécanismes d'actionnariat des salariés coexistent mais ils dépendent de la politique interne de l'entreprise et le bénéfice des stock-options reste limité à un petit nombre. Quant aux bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, ils ne concernent que les entreprises de croissance de moins de quinze ans.

La majorité socialiste a toujours refusé d'alléger la fiscalité des stock-options et d'en généraliser l'emploi. Pourtant, deux Français sur trois se disent intéressés par la détention de stock-options.

Un autre obstacle idéologique tient à la vision dépassée d'une entreprise qui serait le théâtre permanent du conflit social. Tensions profits-salaires, opposition actionnaires-salariés, cette vision interdit toute rénovation du capitalisme d'entreprise et prive le salarié de l'actionnariat.

Nous déplorons aussi l'inefficacité des dispositifs existants. Le mécanisme des BSPLE, créé par la loi de finances pour 1998, est réservé aux entreprises de moins de quinze ans et n'est même pas encore définitif. Et que dire de la vision étroite de l'entreprise de croissance, uniquement définie par une cotation au nouveau marché.

Il faut étendre le bénéfice des stock-options à tous les salariés, car leur association à la réussite de l'entreprise est une des clefs du succès.

En conclusion, il faut unifier les mécanismes d'actionnariat salarié existants, stock-options et BSPCE, en créant de nouveaux bons de croissance. C'est le sens des amendements que je défendrai.

M. Raymond Douyère - L'attribution de stock-options à M. Jaffré a soulevé la question de la rémunération des cadres dirigeants d'entreprise.

Ce sont les entreprises qui créent les richesses et la diversification des sources de financement nécessaire à la création d'une entreprise rend désormais légitime une demande de partage des bénéfices. Est-il normal de faire profiter tous ceux qui concourent à la bonne marche de l'entreprise des plus-values qu'elle réalise ? Tel doit être l'objet de notre réflexion. L'intéressement et la participation ont constitué une première réponse à cette question, mais les ordonnances de l'époque ne comportaient aucun dispositif pour déterminer l'appropriation du capital. Il me semble que l'autofinancement appartient autant à ceux qui créent la richesse de l'entreprise par leur travail qu'à ceux qui apportent des capitaux ; il doit donc y avoir au moins égalité entre les uns et les autres. Il n'est pas normal qu'une partie des plus-values potentielles de l'entreprise soit captée par certains, à travers des mécanismes opaques, échappant à tout contrôle, mais en bénéficiant d'une fiscalité dérogatoire.

Une première idée, qui peut paraître iconoclaste à certaines au sein même de mon parti politique, serait d'inciter les Français à placer leur épargne dans les entreprises, en revoyant la fiscalité sur les actions.

Il faut ensuite s'interroger sur la manière dont on doit taxer les bénéfices lorsqu'ils sont partagés. Faut-il, ou non, une fiscalité dérogatoire ? Une solution simple serait d'aligner la taxation sur ce qu'elle aurait été si les bénéfices étaient restés dans l'entreprise, c'est-à-dire de la fixer au niveau de l'IS.

M. Jean-Pierre Brard - Non, Monsieur Gantier, nous ne manquons pas de cohérence ; vous non plus d'ailleurs : vous êtes ici le porte-voix du libéralisme échevelé. Il est vrai que dans certains pays d'Europe, on accole l'adjectif « social » ; cette variante dans la dénomination ne suffit pas à moraliser ce qui est pervers.

Lorsque vous dites qu'il faut faire bénéficier des stock-options l'ensemble des salariés, je ne sais pas si vous mesurez à quel point votre propos est incongru pour ceux qui ne touchent que le SMIC... Et lorsque vous dites qu'il faut préserver le capital humain, il faut sûrement comprendre implicitement « comme chez Michelin ».

M. Gilbert Gantier - Vous préférez « comme en Union Soviétique » !

M. Jean-Pierre Brard - Les modèles anciens se sont effondrés ; on règle donc les choses à la petite semaine : on ouvre le capital d'Air France, celui d'Aérospatiale, on privatise France Télécom. Voyons les choses comme elles sont : les actions se sont vendues massivement, mais une bonne partie n'est pas restée dans les mains de ceux qui les ont achetées.

Le choix est-il entre le libéralisme échevelé et l'économie administrée ? Non, mais de nouveau concepts restent à élaborer. Nous portons d'ailleurs la responsabilité -très partagée- de ne pas l'avoir fait plus tôt. Il nous faut définir un modèle qui intègre notre histoire, avec sa tradition sociale, qui soit un levier pour le développement économique et l'emploi, et qui -là, Monsieur Gantier, je suis sûr que nous sommes aux antipodes- préserve le capital productif et ne favorise pas le capital spéculatif et rentier.

M. Gilbert Gantier - Je n'ai jamais dit ce que vous prétendez !

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'avez pas besoin de le dire, cela rayonne ! (Rires sur les bancs du groupe communiste)

Il faut renouveler le concept de maîtrise sociale. Quand les entreprises nationales du secteur concurrentiel ont été privatisées, il n'y a pas eu de mouvement social dans le pays, c'est un fait. N'est-ce pas parce que ces entreprises étaient gouvernées par un capitalisme d'Etat -certes avec une législation sociale améliorée, en particulier chez Renault- ? Les travailleurs n'avaient pas une réelle influence sur les choix.

Il nous faut sortir des vieux schémas, en tenant compte bien sûr de l'environnement européen et mondial. M. Gantier parlait d'entrepreneurs innovants, mais ce sont des ectoplasmes. Le grand capital existe toujours, c'est une logique anonyme qui broie les hommes. Pour en sortir, il faut mener une réflexion qui prendra du temps (Murmures sur les bancs du groupe RCV). Cela ne dispense pas de prendre des mesures immédiates pour empêcher des scandales tels que l'affaire Jaffré -qui avait eu des précédents.

Mme la Présidente - Votre temps de parole, dont vous avez consacré une part à M. Gantier, est expiré (Sourires).

M. Jean-Pierre Brard - Je conclus : la définition de ce nouveau modèle économique et social implique d'accroître nos exigences vis-à-vis de nous-mêmes pour renouveler la pensée politique et économique, afin que la France puisse conserver dans le monde sa capacité de rayonnement et la fonction motrice qui la caractérise depuis deux siècles.

Mme Nicole Bricq - Belle conclusion.

M. Daniel Feurtet - Voici un débat essentiel qui dépasse largement le cadre de la loi de finances.

A l'occasion d'une proposition de loi de MM. Balladur et Sarkozy sur l'actionnariat salarié, j'avais souligné au nom du groupe communiste que la participation à la vie de l'entreprise allait au-delà de l'actionnariat : elle passe par un élargissement des droits -droits d'investigation, droits économiques, droits sociaux, droits de formation- contribuant à une nouvelle éthique de l'entreprise. De nouveaux mécanismes de régulation sont également nécessaires, dans le cadre d'une économie qui se globalise, où la concurrence s'étend à ce que certains appellent le marché des cerveaux.

J'attends avec beaucoup d'intérêt ce que va dire le ministre de l'économie. Le débat n'est pas seulement socialo-socialiste ; il s'agit de choisir un modèle de société.

Il reste que l'opinion publique a été frappée à la fois par l'affaire Michelin et par le fait que des dirigeants puissent quitter leur entreprise avec un pactole scandaleux. Il nous faut commencer par régler ce problème.

M. le Ministre - Je demande une suspension de séance d'un quart d'heure.

La séance, suspendue à 16 heures est reprise à 17 heures.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Michel Bouvard - Je souhaite faire un rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, alinéa 3. Tout à l'heure, la séance a été suspendue, à la demande du Gouvernement, pour un quart d'heure, et ce quart d'heure est devenu une heure. Nous avions pourtant cru comprendre qu'une longue concertation avait eu lieu entre le Gouvernement et sa majorité décidément de plus en plus plurielle, et que tout était réglé, mais il semble rester des points nécessitant quelques discussions...

Je rappelle qu'en mai dernier le groupe RPR a déposé une proposition de loi, dont le premier signataire était Edouard Balladur, sur l'actionnariat des salariés, mais que l'Assemblée a considéré, au terme de la discussion générale, qu'il n'y avait pas lieu d'en délibérer et qu'il était urgent d'attendre. Le résultat est que nous travaillons aujourd'hui dans la précipitation, alors que nous n'en serions pas là si nous avions traité sérieusement cette question à l'époque.

M. Philippe Auberger - Très bien !

Mme la Présidente - Je vous donne acte de votre rappel au Règlement, mais je ne crois pas que l'on puisse dire que nous travaillons actuellement dans la précipitation... (Sourires)

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LOI DE FINANCES POUR 2000 -première partie- (suite)

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ART. 10 (suite)

M. Christian Cuvilliez - Notre amendement 436 tend à supprimer l'article 10, pour les raisons que j'ai déjà exposées. Nous avons bien noté, cela dit, qu'il y aura un débat au printemps sur l'ensemble des questions liées à la participation des salariés et, sans doute, à l'épargne-retraite. Nous l'aborderons dans un esprit constructif, avec la volonté d'aboutir. Notre mission est, même si certains s'en étonnent encore, de défendre l'intérêt des salariés avant celui des actionnaires ; il se trouve qu'un nombre croissant de personnes sont à la fois l'un et l'autre, ce qui rend les choses un peu plus compliquées et contradictoires. C'est dans cette optique que nous examinerons le problème des stock-options, qui sont à l'évidence un puissant moyen de motivation, les opinions divergeant, comme toujours, sur l'usage que l'on en fait. S'agissant des BSPCE, on peut comprendre qu'un jeune créateur d'entreprise y recoure lorsque sa production ne permet pas encore de rétribuer justement ses efforts, mais si l'on applique le même système à des entités d'une tout autre dimension, on aboutit à des montants qui heurtent l'opinion publique en ce qu'ils témoignent d'un véritable mépris des détenteurs du pouvoir économique pour le travail des autres. C'est à elle que nous devons adresser un signal fort et immédiat, tel que l'amendement de suppression de l'article 10, ou tel que l'amendement Bonrepaux tout à l'heure.

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas suivi entièrement votre raisonnement : les paragraphes I et III, dont le premier pérennise le dispositif que nous avons voté ensemble l'an dernier et dont le second supprime le droit d'apport fixe de 1500 F, méritent d'être conservés. Elle a adopté, en revanche, l'amendement 40, qui se borne donc à supprimer les paragraphes II et IV, c'est-à-dire l'extension du régime, dans l'attente de la remise à plat annoncée et nécessaire.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Même avis.

L'amendement 436, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - L'amendement 333 est identique à l'amendement 40.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. Jean-Jacques Jegou - Il faut savoir ce que l'on veut ! Pour ma part, je soutiens l'article 10 et j'ai dit pourquoi. La position du Gouvernement signifie-t-elle qu'il considère s'être égaré en le proposant ? On nous annonce un débat, dans six mois, sur l'épargne salariale, mais l'opposition, comme l'a rappelé Michel Bouvard, avait déjà fait inscrire à l'ordre du jour, il y a six mois, la proposition d'Edouard Balladur sur ce même sujet, proposition que le groupe UDF reprend par voie d'amendement après l'article 10. Je regrette que l'on joue ainsi avec l'avenir du pays en tardant à adopter des dispositions au moins équivalentes à celles en vigueur chez nos partenaires et concurrents en faveur de la création d'entreprises. J'appelle la partie responsable de la majorité plurielle à se ressaisir (Protestations sur les bancs du groupe communiste).

M. le Ministre - Je pensais n'intervenir qu'au moment où viendraient en discussion les amendements relatifs à l'épargne salariale, et en particulier l'amendement 41 de la commission des finances, mais sans doute faut-il que je m'exprime dès maintenant.

L'article 10 a trait aux BSPCE, sortes de stock-options ou, pour parler français, d'options d'achat concernant les entreprises nouvelles. Je retiens de l'intervention de M. Cuvilliez que chacun accepte l'idée d'offrir à leurs créateurs un moyen de se rémunérer autrement que sur des bénéfices qui, par la force des choses, se font attendre un certain temps. Un tel dispositif est à l'_uvre, et il n'est pas pour rien dans le regain actuel des créations d'entreprises en France, notamment dans ce qu'on appelle la « société de l'information ».

Le Gouvernement proposait, dans les deux alinéas de l'article 10 que la commission des finances souhaite supprimer, d'étendre à toutes les entreprises de services la possibilité de distribuer des BSPCE. C'eût été réparer une maladresse commise lors de la création du dispositif dont se trouvaient exclues certaines entreprises. Est-il normal en effet que le créateur d'un commerce d'alimentation puisse émettre des BSPCE, et non celui d'une société de location immobilière ou de trading sur Internet ? Nous pensions donc que cette extension allait de soi.

Mais depuis la préparation du budget, est survenue en septembre un événement qui a suscité l'indignation parmi la population, mais aussi au sein du Gouvernement, de la majorité et sans doute de l'opposition...

M. Michel Bouvard - Bien sûr.

M. le Ministre - Il est choquant qu'une personne, quels que soient ses mérites supposés ou réels, puisse empocher des centaines de millions de francs à la levée d'options d'achat attribuées dans la plus totale opacité. Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de traiter du problème des stock-options, ce qui sera fait à l'occasion du texte sur l'épargne salariale qui sera soumis au Parlement au printemps prochain. Dans l'attente de cette remise à plat, il paraît de bonne méthode de ne pas légiférer aujourd'hui sur l'extension des BSPCE -sujet connexe-, quand bien même elle est totalement justifiée. C'est pourquoi, partageant le sentiment de la commission des finances, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. Philippe Auberger - L'article 10 traite des BSPCE, il faut en rester là et non élargir le débat aux stock-options, comme ont voulu le faire certains. Je ne comprends pas pourquoi le ministre s'en remet à la sagesse de l'Assemblée et s'apprête à accepter la suppression de deux alinéas qui visent seulement à pérenniser et à étendre le dispositif des BSPCE. Nous n'avons pas voté l'amendement de suppression de l'article, nous ne voterons pas l'amendement de la commission.

M. Jean-Jacques Jegou - Je partage tout à fait l'avis de notre collègue Auberger et le groupe UDF souhaite le maintien de l'article 10 en l'état. Il souhaite également que les amendements qu'il a déposés après l'article 10 puissent être examinés. On ne peut pas sans cesse renvoyer la représentation nationale, et tout particulièrement en son sein l'opposition, fût-elle modérée et constructive, à des missions et des rapports ultérieurs. Sinon, que faisons-nous ici ?

M. le Ministre - Il y a bien davantage dans ce projet de loi de finances que cet article 10, Monsieur Jegou et je regrette d'ailleurs que nous ayons été amenés à débattre plus longuement de ce point que d'autres. Mais peut-être est-ce une fine stratégie de la part de l'opposition, (Dénégations de M. Jegou) ou du moins de certains de ses membres.

Le Gouvernement a confié à Jean-Paul Balligand et Jean-Baptiste de Foucault une mission de réflexion sur l'épargne salariale. Celle-ci rendra son rapport fin janvier 2000 et un texte législatif s'ensuivra. Dans ces conditions, le Gouvernement ne souhaite pas que le Parlement adopte dans l'intervalle des dispositions relatives à l'épargne salariale, fussent-elles légitimes sur le fond.

Vous me rétorquerez sans doute que nous aurions pu vous en avertir plus tôt. Certes, mais ce sont là les aléas de la vie politique. Le Premier ministre a abordé le sujet voilà un mois à Strasbourg. Nul ne vous en voudra de n'avoir pas décrypté son discours (Sourires).

Ce n'est pas pour être désagréable à l'opposition que le Gouvernement demandera le rejet de ses amendements, comme s'ils ne l'intéressaient pas, mais pour les raisons de méthode que j'ai exposées. Le sujet complexe et important de l'épargne salariale exige une approche globale, le débat s'ouvrira dans quelques mois. J'invite donc l'opposition à retirer ses amendements. Mais il est de son droit de les maintenir.

M. Philippe Auberger - Monsieur le ministre, j'ai bien compris votre méthode. Je m'interroge toutefois sur le calendrier. Si le débat sur la question est reporté courant 2000, les dispositions prises alors seront-elles rétroactives ? Aux revenus et plus-values de quelle année s'appliqueront-elles ?

M. le Ministre - Tout texte législatif peut comporter des dispositions fiscales. Le Gouvernement a décidé de traiter l'épargne salariale de manière globale au printemps prochain. Il aurait pu choisir de le faire plus tôt ou plus tard.

Je vous exposerai les propositions du Gouvernement, lorsque nous examinerons l'amendement de M. Bonrepaux, je vous préciserai le calendrier envisagé, notamment pour l'application des mesures. Je le redis, nous ne voulons pas que s'ouvre pour ainsi dire par la bande le débat sur cet important sujet.

Les amendements 333 et 40, mis aux voix, sont adoptés.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 230 tend à faire courir le délai permettant à une entreprise d'émettre des BSPCE, à partir non de la date de son enregistrement au registre du commerce mais de sa première cotation en Bourse.

L'amendement 230, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Cuvilliez - Sur l'article 10, nous nous abstiendrons.

L'article 10, modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 10

M. Michel Bouvard - Nous demandons, par l'amendement 398, que soit tenu compte de la situation particulière des entreprises qui exploitant des remontées mécaniques sur des domaines skiables, sont soumises à de forts aléas climatiques et suggérons qu'elles soient autorisées à constituer des provisions défiscalisées pour parer au risque de pertes lié à l'absence de neige. Cette mesure réglerait en partie les questions soulevées au cours du débat relatif à la création d'un fonds « neige » et elle éviterait à ce secteur, contraint de réaliser de très lourds investissements, de devoir les différer. Ainsi le Gouvernement contribuerait-il à soutenir le secteur du tourisme, principal employeur dans les régions montagneuses françaises.

M. le Rapporteur général - La commission a toujours été très attentive à l'idée de la mutualisation des risques, mais elle n'a pu adopter l'amendement, la règle de droit étant qu'une provision déductible n'est admise que lorsque la charge est probable, ce qui n'est pas le cas.

M. le Ministre - Même avis.

M. Michel Bouvard - Je comprends l'argument que vous m'opposez, mais les statistiques démontrent que, sur une période de dix ans, la probabilité d'un manque de neige est bien réelle, même si l'on ne peut, bien sûr, en fixer la date avec certitude.

L'amendement 398, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 145 vise à étendre à toutes les nouvelles entreprises l'exonération d'impôt sur les bénéfices réalisés dans les 23 premiers mois suivant leur création, déjà prévue pour les entreprises qui s'installent dans certaines zones spécifiques.

M. Jean-Jacques Jegou - Les entreprises nouvellement créées ont souvent du mal à faire face à toutes leurs charges. C'est pourquoi l'amendement 283 tend à étendre à toutes, sans exception, l'exonération d'impôt pour les bénéfices réalisés dans les 23 premiers mois, déjà existante pour les entreprises nouvelles qui s'implantent dans des zones particulières d'aménagement du territoire.

M. le Rapporteur général - La commission a exprimé un avis défavorable sur cette proposition, qui contredit la politique d'aménagement du territoire.

M. le Ministre - Même avis.

M. Michel Bouvard - A titre personnel, je ne suis pas favorable à ces amendements. Nous avons institué, dans la loi de 1995, une discrimination positive en faveur des régions les plus vulnérables. Étendre le dispositif prévu à tout le territoire, ce serait faire perdre à ces zones fragiles le peu d'attrait qu'elles ont acquis.

Les amendements 145 et 283, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Jacques Jegou - L'article 60 du projet traite de la fusion des régimes d'imposition des plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisées par les particuliers et aménage le régime de différé d'imposition des plus-values d'échange de ces mêmes titres.

L'amendement 232 vise d'une part à transférer ce dispositif en première partie du projet de loi afin qu'il soit applicable dès le 1er janvier 2000 pour les revenus de 1999 et, d'autre part, de permettre l'application de ce nouveau régime aux opérations réalisées antérieurement à cette date et faisant l'objet de contentieux n'ayant pas acquis force de chose jugée.

M. le Rapporteur général - La commission appelle l'Assemblée à rejeter l'amendement, car le raccourcissement des délais ainsi proposé créerait des difficultés aux établissements payeurs.

M. le Ministre - Le Gouvernement, convaincu par l'argument du rapporteur général, exprime un avis défavorable.

L'amendement 232, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - Les seuils de recettes, en deçà desquels les plus-values professionnelles réalisées par des contribuables exerçant leur activité depuis plus de 5 ans bénéficient d'une exonération sont restés inchangés depuis 1988. L'amendement 146 tend à les réévaluer d'un quart.

M. Jean-Jacques Jegou - L'amendement 349 est défendu.

Les amendements 146 et 349, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 149 tend à simplifier la rédaction de l'article 151 octies du CGI pour faciliter l'évolution des structures juridiques des entreprises et rendre plus favorable l'interprétation du mécanisme instauré pour éviter le coût fiscal de la constitution d'une société.

M. le Rapporteur général - La commission, estimant qu'il y aurait là un sérieux risque d'évasion fiscale, l'a rejeté.

M. le Ministre - Rejet.

L'amendement 149, mis aux voix, est rejeté.

M. Jean-Jacques Jegou - L'actuel régime de sursis d'imposition, insuffisamment incitatif, ne permet pas d'investir assez dans les entreprises.

L'amendement 282 vise donc à exonérer d'impôts toute plus-value réalisée et réinvestie dans un délai de six mois dans une entreprise de moins de cinq ans, pour une durée d'au moins cinq ans. Pour limiter la dépense fiscale, il est proposé de créer des plafonds d'exonération.

L'amendement 282, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - Notre amendement 285 vise à étendre le dispositif des BSPCE aux entreprises du second marché. Mais j'ai cru comprendre que le débat à ce sujet était différé.

L'amendement 285, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - Par l'amendement 286, nous proposons de prolonger jusqu'en 2008 le dispositif existant pour les BSPCE.

L'amendement 286, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - Notre amendement 280 tend à majorer le plafond de la déduction dont bénéficie, en cas de cessation de paiement de l'entreprise, le particulier qui avait souscrit à son capital. Si l'on veut que les investisseurs providentiels, les fameux « business angels », continuent à apporter leur soutien aux créations d'entreprises, il ne faut pas les désespérer par des risques trop importants.

M. le Rapporteur général - Le sujet pourra être revu mais pour l'instant rejet.

M. le Ministre - Avis défavorable. Amendement prématuré.

Mme la Présidente - Cela vous console-t-il, Monsieur Jegou ?

L'amendement 280, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Jegou - Que Madame la Présidente ne s'inquiète pas de mon moral, les années passées ici nous blindent et les paroles du ministre me laissent de toute façon quelque espoir.

L'amendement 281 est dans le même esprit que le précédent, mais avec un plafond inférieur.

M. le Rapporteur général - On pourra y revenir plus tard. Mais rejet.

M. le Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 281, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - L'article 199 terdecies O.A., qui prévoit une réduction d'impôt sur le revenu pour les particuliers souscrivant au capital des PME, a été prorogé jusqu'au 31 décembre 2001 par la loi de finances pour 1999, mais les plafonds restent trop bas. Notre amendement 144 a pour objet de les relever.

M. Jean-Jacques Jegou - Les amendements 278, 279 et 216 ont le même objet. Le rapporteur général, avec qui nous avons souvent discuté de cette affaire, nous objecte que ces possibilités de déduction ne sont que fort peu utilisées.

Mais c'est précisément parce que le dispositif n'est pas assez incitatif.

M. le Rapporteur général - La commission a repoussé ces amendements, non qu'elle ne soit pas sensible au problème des sociétés innovantes et de la capitalisation des PME, mais parce que la discussion reste ouverte et parce qu'il y aura des amendements préférables en deuxième partie.

M. le Ministre - Même avis négatif.

L'amendement 144, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 278, 179 et 216.

M. Philippe Auberge -- L'amendement 110 est défendu.

L'amendement 110, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Nous en arrivons à deux amendements précédemment réservés, le 231 et le 211, en discussion commune avec le 334, le 41 et le 91.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 231 vise à créer des bons de croissance. Le dispositif envisagé regroupe les stock-options et les BSPCE réservés aux entreprises de moins de quinze ans. Le délai d'indisponibilité est ramené de cinq à trois ans et nous proposons une taxation forfaitaire ultérieure, calquée sur celle des plus-values mobilières, soit 16 %.

L'amendement 211 est défendu.

M. Yves Cochet - Les stock-options ne concernent pas seulement Elf et M. Jaffré. On pourrait aussi citer Axa, l'Oréal, Vivendi, Promodès... Le problème est vaste.

Nous sommes convaincus qu'il y a une contradiction d'intérêts entre les salariés et les actionnaires et le fait que des salariés puissent devenir actionnaires -jamais majoritaire, notez bien- ne la résout pas mais simplement l'incorpore dans l'individu, qui devra alors, au risque d'une schizophrénie économique, arbitrer entre ses intérêts contradictoires.

J'ajoute que la généralisation de l'actionnariat salarié peut faire que l'on élude les discussions sur les augmentations de salaires. Elle risque aussi de fragiliser les régimes de protection sociale et de retrait.

Je ne voudrais pas non plus que l'on en revienne à une vision de la richesse datant d'avant Adam Smith, c'est-à-dire patrimoniale. Je tiens en effet à cette grande innovation que fut le salaire socialisé.

Aussi sais-je gré au ministre de vouloir replacer le débat sur les stock-options dans un cadre plus général et de reconnaître que le problème est compliqué, à la fois techniquement et politiquement. Le débat se poursuivra donc, ici et dans le pays, et j'espère que chacun apportera sa pierre à la construction d'un système convenable. Notre amendement 334 est une contribution au débat.

Enfin, je ne crois pas que l'on puisse reprocher à la commission des finances et à son président d'avoir rédigé un amendement sous le coup de l'émotion. Non, nous sommes des êtres rationnels, voire calculateurs et égoïstes, et l'amendement en question se justifie parfaitement, comme se justifiait celui de M. Hollande que nous avons voté hier.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - L'amendement 41 a déjà été présenté lors du débat que nous avons eu autour de l'article 10. Chacun de vous a dit son exaspération devant des abus d'autant moins acceptables qu'un récent rapport montre que depuis 1990, les inégalités n'ont cessé de s'aggraver -même si se dessine depuis 1997 une timide inversion de tendance.

De ce rapport, je ne retiens qu'un seul chiffre : la moitié des Français ont un patrimoine inférieur à 450 000 F après toute une vie de travail, alors que certains bénéficiaires de stock-options peuvent recevoir jusqu'à cent fois plus ! Le comportement de ce petit nombre de dirigeants qui s'octroient ainsi une rémunération dont le montant dépasse parfois l'imagination, ne peut que provoquer la révolte des petits épargnants. Même à l'époque du capitalisme le plus dur, on n'a jamais vu une telle accumulation de richesse par des gens qui, de surcroît, n'investissent pas un seul centime et bénéficient d'une fiscalité très avantageuse. Imaginez alors le désarroi de l'éleveur de montagne en Ariège ou du salarié moyen dont le salaire annuel n'atteint même pas 100 000 F !

Ces stock-options sont d'autant plus scandaleuses qu'elles sont soumises à une fiscalité bien plus avantageuse que l'impôt sur le revenu.

Voilà pourquoi j'ai déposé l'amendement 41, adopté par la commission, qui poursuit un double but : taxer ces plus-values gigantesques à 40 %, soit un taux proche de celui de l'impôt sur le revenu lorsque les gains atteignent le seuil de 500 000 F par an ; décourager des comportements abusifs qui nuisent à la cohésion sociale.

Bref, il est temps de moraliser ces excès, et, au-delà d'un seuil à déterminer, de taxer les gains procurés par les stock-options comme les autres revenus (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Claude Hoarau - L'amendement 91 corrigé de M. Sarre tend à soumettre les gains obtenus grâce aux stock-options au droit commun de l'impôt sur le revenu, socialement juste puisque progressif. Rien ne justifie, en la matière, le système d'imposition dérogatoire en vigueur. M. Sarre propose de ne faire bénéficier les gains visés du taux réduit de 30 %, dans la limite annuelle de 5 millions par an, que lorsque les stock-options auront été proposées à l'ensemble du personnel et lorsque le comité d'entreprise aura été informé des conditions et conséquences de l'offre.

M. le Rapporteur général - La commission a la faiblesse de préférer son amendement 41 aux autres qui sont en discussion commune...

M. le Ministre - Le moment est venu, sans doute, de débattre un peu plus au fond de ces questions. Je repartirai de la question que M. Dray m'a posée dans son intervention générale. Il disait en substance que le Gouvernement avait réussi à remettre la croissance économique sur les rails et il avait l'amabilité de reconnaître que c'était, en grande partie, grâce à la politique économique que nous avions menée. Mais il ajoutait que le problème pour un ministre de l'économie et des finances de gauche n'était pas tant d'obtenir ce résultat que de savoir que faire des fruits de la croissance, ajoutant «beaucoup s'y sont cassés les dents». Et, selon lui, la solution qu'il a martelée réside dans la redistribution.

C'est sur ce point que je ne suis que partiellement d'accord avec lui. Certes, la redistribution est très importante et c'est un combat que la gauche a toujours menée, notamment en défendant l'Etat-providence. Bien entendu, cette redistribution n'est pas seulement financière. Elle passe aussi par les écoles, par les services publics etc. et nous devons faire tout ce qui est possible en faveur de la redistribution.

Mais -et c'est là que je m'écarte de M. Dray- notre mission ne s'arrête pas là. Selon moi, la répartition du revenu primaire est plus importante que la redistribution et doit la précéder. Notre rôle ne peut se limiter à laisser fonctionner l'économie de marché et le capitalisme pour n'intervenir qu'ensuite afin de panser les plaies.

Non, nous devons aussi faire en sorte de modifier le capitalisme. Lorsque le Premier ministre parle de régulation domestique, nationale et internationale, cela signifie qu'il faut poser des règles propres à infléchir l'évolution du capitalisme de sorte qu'il nous convienne mieux.

Or, réguler le capitalisme, c'est toucher à la répartition des revenus primaires. Devrions-nous accepter une fois pour toutes que le salarié ne perçoive que le salaire qu'on veut bien lui accorder sans référence à la richesse qu'il crée ? Est-il normal que les prolétaires n'aient d'autres biens que leurs chaînes et leur force de travail à vendre, sans profiter des résultats de l'entreprise, quels qu'ils soient ? Je ne vois aucune raison d'accepter cela, sauf à voir là un moyen de précipiter la chute du capitalisme... Mais, voyez-vous, je suis de ceux qui pensent que Keynes a fait davantage que Rosa Luxembourg pour la classe ouvrière.

Bien entendu le salaire est un moyen privilégié d'agir sur la répartition du revenu primaire et, de ce point de vue, nous n'avons pas à rougir, étant donné l'augmentation du pouvoir d'achat depuis deux ans et demi. Mais le salaire versé ne reflète pas, a priori, la productivité du travail et l'incertitude quant aux résultats de l'entreprise est de plus en plus grande, en raison notamment des évolutions technologique. Ainsi, on constate au bout de cinq ou dix ans seulement que les entreprises se sont beaucoup développées parce que leurs salariés ont été payés moins qu'ils auraient dû l'être.

Personnellement, je ne me résous pas à ce qu'on achète de force le travail au salarié à un prix qu'il accepte parce qu'il faut bien vivre, étant entendu que tout ce qui en découlera sera pour les autres ! L'épargne salariale est une partie de ce surplus. C'est un sujet majeur de notre société en raison de l'incertitude qui s'attache à la productivité du travail. Nous manquerions à notre devoir si nous ne nous intéressions qu'à la redistribution. Marx a écrit le Capital et pas la Sécurité sociale ! Ce qui caractérise le capitalisme, c'est la façon dont les revenus primaires sont répartis.

Le Premier ministre a dit, il y a un an environ, qu'il voulait une société de travail et non d'assistance. C'est bien au moment où les richesses se créent que les inégalités apparaissent, et pas au stade de l'assistance, qu'il faut évidemment assurer.

Bref, il faut réformer l'épargne salariale et permettre aux salariés de récupérer une partie des produits de l'entreprise, c'est-à-dire modifier après coup le partage salaires-profit.

L'épargne salariale est donc au c_ur de notre projet et je souhaite que nous en débattions à l'occasion d'un texte global, qui ne portera pas seulement sur l'actionnariat salarié. M. Cochet a parlé de la schizophrénie du salarié qui devient actionnaire ; il est vrai que, même si l'on ne peut pas dire qu'il s'exploite lui-même, plus son salaire est élevé, moins il aura de dividendes. Cela dit, ses dividendes étant nettement moins importants que son salaire, il résoudra vite cette contradiction...

Il reste qu'il y aura demain encore plus de salariés qu'aujourd'hui qui détiendront des actions -de leur propre entreprise ou d'une autre. Mais l'épargne salariale pourra aussi prendre d'autres formes : une entreprise peut cotiser à un plan d'épargne du salarié.

Le Gouvernement a donc confié à un député expérimenté, Jean-Pierre Balligand, et à l'ancien commissaire au plan, Jean-Baptiste de Foucauld, une mission de réflexion sur l'ensemble de ces questions. Ils remettront leur rapport avant la fin du mois de janvier ; le Gouvernement élaborera ensuite, en collaboration avec vous, un projet de loi.

Parmi les sujets à aborder, il en est un qui a beaucoup de succès depuis quelques jours, celui des stock-options. J'ai déjà dit que ce qui s'est passé à l'occasion de la fusion de deux entreprises pétrolières m'a choqué au moins autant qu'Augustin Bonrepaux. Le régime actuel des stock-options doit évidemment être transformé car il a des défauts dirimants. D'abord, il conduit à distribuer des sommes qui, avais-je dit à Strasbourg, dépassent l'entendement ; ensuite, il est totalement opaque ; enfin, il est extrêmement injuste puisque réservé à un petit nombre. Je partage tout ce qui a été dit là-dessus par Augustin Bonrepaux.

Le Gouvernement souhaite que l'on fasse en sorte de mieux associer les salariés aux décisions et à la croissance de leur entreprise, ainsi que de maintenir des centres de décision en France. Dans cet esprit, il demande à la mission Balligand-de Foucauld de remettre à plat le régime des stock-options, en procédant notamment à des comparaisons internationales. Les dispositions qui seront proposées dans le projet de loi que le Gouvernement vous soumettra seront, si vous en décidez ainsi, applicables dès le 1er janvier 2000. Elles auront trois objectifs.

D'abord, assurer la transparence dans l'attribution des stock-options ; ensuite, assurer une diffusion plus large de ces instruments ; enfin, moraliser leur régime fiscal et social, le prélèvement total pouvant varier en fonction de différents paramètres, pour aller jusqu'au taux de l'impôt sur le revenu.

J'invite donc l'Assemblée à ne pas légiférer de façon partielle. Elle peut compter sur le Gouvernement : elle a déjà dans ce projet de loi de finances satisfaction à la demande qu'avaient formulée des parlementaires l'année dernière, concernant la TVA dans le secteur du bâtiment. C'est pourquoi je demande à ceux qui ont déposé des amendements de les retirer, forts de l'engagement du Gouvernement de réformer l'ensemble du système dans les délais que j'ai indiqués.

M. Philippe Auberger - Le ministre a abordé ce sujet très important avec une certaine hauteur de vue. S'agissant de la diffusion du capital parmi les salariés, nous avons une certaine proximité de pensée.

L'opposition n'a aucune leçon à recevoir dans ce domaine : avec l'ordonnance de 1959, l'ordonnance de 1967, la diffusion des actions dans les entreprises privatisées en 1987 puis en 1993, nous avons déjà fait beaucoup.

Il est un point important dont le ministre n'a pas parlé et auquel la mission devra réfléchir : la place des salariés dans les organes dirigeants de l'entreprises, dès lors qu'ils possèdent des actions-et même si, comme l'a justement dit le ministre, il faut se rappeler l'affaire Maxwell et éviter que les salariés ne détiennent d'actions que de leur propre entreprise.

Je suis également d'accord avec le ministre sur le fait qu'il faut régler le problème de la transparence, celui de la répartition et celui du régime fiscal et social. Mais pour assurer la transparence, il faut justement que des salariés siègent au conseil d'administration, et, le cas échéant, participent au comité de rémunération.

Je partage aussi l'idée qu'il faut assurer une diffusion beaucoup plus large des stock-options, même si je ne suis pas sûr que, comme l'a dit M. Hollande, tous les salariés aient nécessairement vocation à y accéder.

Il est souhaitable que les salariés contribuent à la définition des règles en participant aux organes dirigeants. Le deuxième rapport de M. Viénot a d'ailleurs fait des propositions en ce sens.

Mme Nicole Bricq - Pas vraiment.

M. Philippe Auberger - Chez Elf, certains paraissent découvrir le problème, mais cela fait des années que certains cadres disaient que les modalités de répartition des stock-options n'étaient pas satisfaisantes. L'entreprise Accor, en revanche, a décidé que tous ceux qui avaient la responsabilité d'une unité de gestion -soit environ 2 500 personnes- avaient vocation à détenir des stock-options.

S'agissant de la fiscalité, il faut faire une distinction entre ce qui correspond, par son caractère répétitif, à un revenu déguisé, et ce qui relève du risque et, en conséquence, évolue en fonction de la valeur et des résultats de l'entreprise. Ce qui est répétitif doit être traité comme un salaire : je rejoins alors la position d'Augustin Bonrepaux ; ce qui est fluctuant doit être traité comme un profit financier, qu'il s'agisse de l'imposition, des cotisations sociales ou encore de la déductibilité de l'impôt sur les sociétés.

Enfin, je donne acte au ministre de ce qu'il a annoncé, mais dès lors que les résultats de l'étude ne seront connus qu'en janvier ou février, il faudra, si l'on veut toucher les opérations survenues en 1999, donner au texte à venir un caractère rétroactif, ce qui n'est pas de bonne méthode.

M. Julien Dray - Je serais tenté de répondre à Dominique Strauss-Kahn que, si Marx a écrit Le Capital et non pas La Sécurité sociale, c'est parce qu'il n'était pas déterministe. Je me réjouis que le débat ne soit pas tranché, de sorte que chacun ait le temps de faire valoir tous ses arguments, et j'insiste notamment sur le fait que la répartition du revenu primaire pose inévitablement celle du pouvoir dans l'entreprise. Les salariés actionnaires pourraient être amenés, en effet, à se licencier eux-mêmes, et aucun système, à ma connaissance, ne leur a jamais donné les moyens d'affronter les véritables représentants du capital.

M. Jean-Jacques Jegou - Nous avons vécu un moment d'échange plus qu'intéressant, qui montre que l'on peut aller au fond des choses, et je ne vois pas grand chose à redire à ce qu'a dit le ministre, tant sur la redistribution et la répartition du revenu primaire que sur les pistes à explorer. Le modeste chef d'entreprise que je suis se permettra néanmoins d'appeler le professeur Strauss-Kahn à ne pas oublier la création de richesses, le fait qu'il y a chez tout salarié un chef d'entreprise qui sommeille : ne le laissons pas sommeiller trop longtemps...

M. Gilles Carrez - Je salue à mon tour la qualité de l'intervention ministérielle, et partage le souci de mon collègue Jegou : avant de redistribuer, avant de répartir, il faut créer. C'est bien de préférer Keynes à Rosa Luxemburg, mais il faut d'abord préférer l'initiative et la créativité.

M. Yves Cochet - Schumpeter...

M. Gilles Carrez - Tout à fait ! Certes, nous vivons dans une société qui a besoin de capitaux en quantité croissante, mais les véritables réussites, les véritables créations de richesses reposent de plus en plus sur l'intelligence, sur la motivation, sur l'imagination des hommes et des femmes, comme en témoigne cette extraordinaire croissance que l'on observe outre-Atlantique, où tant d'entreprises qui ont démarré avec peu de fonds sont rachetées, au bout de quelques années seulement, pour des montants colossaux, représentant jusqu'à plusieurs milliers de fois la mise initiale.

J'étais fort attristé, l'autre jour, à une réunion d'anciens et d'actuels élèves de mon école, d'entendre la plupart des jeunes gens présents dire leur conviction qu'il n'y avait pas d'avenir en France, mais seulement aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Certes, Bercy nous affirme, études à l'appui, que l'expatriation des diplômés n'est qu'un phénomène marginal, amplifié par certaines émissions de télévision, mais ces émissions sont tout de même très regardées, et mes jeunes interlocuteurs étaient bien conscients, par ailleurs, de vivre dans une société où les prélèvements obligatoires ne cessent d'augmenter et où la dépense publique grignote peu à peu la richesse produite.

J'ajoute, pour prolonger le propos de Philippe Auberger, que le mouvement gaulliste, qui a toujours été profondément attaché à la participation des salariés aux fruits de la croissance, a été plus qu'affligé lorsque, voici quelques mois, la proposition de loi d'Edouard Balladur, qui allait précisément dans ce sens, a été balayée d'un revers de main par la majorité. Je déplore d'autant plus que ce problème crucial soit aujourd'hui, une nouvelle fois, renvoyé à plus tard.

M. Michel Bouvard - Quel que soit le nombre d'amendements qu'il nous reste à examiner, le sujet mérite que nous nous y attardions quelques instants. Il n'est en définitive pas si fréquent d'avoir l'occasion d'examiner des questions de fond au cours du débat budgétaire. Je regrette seulement que nous y soyons poussés par l'événement.

Elu comme notre collègue Bonrepaux d'une circonscription populaire, je suis comme lui choqué que certains puissent empocher des sommes faramineuses que beaucoup de nos concitoyens ne parviennent même pas à se représenter et qui équivalent à plusieurs budgets annuels d'investissement de certaines communes. Devant de tels abus, ceux de nos concitoyens issus du peuple en viennent à ne plus croire aux institutions ni aux capacités de la classe politique à diriger le pays. On le voit, ces excès intolérables menacent la cohésion sociale. L'amendement proposé par M. Bonrepaux, que j'ai voté en commission, est donc parfaitement justifié.

Cela étant, je suis aussi d'accord avec M. Carrez. Il faut réfléchir aux moyens de récompenser l'audace et la créativité des jeunes créateurs d'entreprise et des dirigeants qui créent des emplois dans des métiers nouveaux que nous n'imaginions même pas il y a dix ans. C'est dans cette logique que devraient trouver place les stock-options. Il importe également, à l'heure de la mondialisation, que les centres de décision de nos grands groupes demeurent en France et qu'une partie au moins de leurs capitaux demeure sous maîtrise française.

Ce débat mérite mieux que le traditionnel clivage droite-gauche : il y va en effet de l'avenir de notre nation, de sa capacité à conserver son rang dans le monde. L'ensemble des forces politiques peuvent se rejoindre sur la question. C'est d'ailleurs en s'efforçant de trouver une approche commune que l'on parviendra le mieux à mobiliser nos concitoyens. Nul ne conteste l'utilité des missions et des expertises pour débroussailler préalablement le terrain. Mais au-delà de la mission confiée par le Gouvernement à un expert et à un parlementaire, dont chacun reconnaît la très grande compétence, un travail collectif, auquel devraient être associées à parité majorité et opposition, est nécessaire. C'est ainsi seulement que pourra être élaboré un projet véritablement porteur pour le pays.

M. Maurice Adevah-Poeuf - Je ne chercherai pas à cette heure réponse à la série de questions que je vous ai posées vers 15 heures 15 et qui se trouvent dépassées, notre débat ayant changé de cours, ce dont je me félicite...

M. Jean-Pierre Brard - Au fait ! Au fait !

M. Maurice Adevah-Poeuf - J'y viens. Je ne vous parlerai ni de Mme Bettencourt, ni des murs à pêches de Montreuil (Sourires).

Nous avons tout de même -je dis « nous » à dessein car je n'instruis le procès de personne- inventé depuis quelques décennies en France une chose aussi extraordinaire que le capitalisme sans capitaux ni actionnaires. Qui ne songerait à ces dirigeants de grands groupes, dont beaucoup issus de la haute fonction publique, qui ont dû leur nomination à leurs mérites personnels...mais aussi à leur proximité avec les ministres qui avaient la haute main sur ces nominations ? Il suffit de regarder la composition des conseils d'administration des 25 plus grandes entreprises françaises pour s'apercevoir que l'on n'en a pas tout à fait fini avec ces pratiques. Certes, des évolutions sont en cours qui vont dans le bon sens. Et puisque dans un système capitaliste nous sommes, corrigeons-en les excès et laissons jouer les moyens de régulation existants.

J'en viens plus directement à l'épargne salariale. S'agira-t-il seulement d'une réforme fiscale de plus, faisant suite à celle qui a institué les plans d'épargne retraite, ou à celles relatives à l'intéressement et à la participation ? En profitera-t-on pour aller plus loin ? Votre intervention, Monsieur le ministre, nous laisse espérer que s'amorce un nouveau projet de société. Si cette réforme conduit à une véritable redistribution des revenus du patrimoine et des pouvoirs dans notre société, nous n'aurons pas à en rougir.

Elle devra bien sûr tenir compte de certaines exigences. Il est tout à fait normal par exemple de rémunérer le risque et de permettre à de jeunes entreprises innovantes d'émettre des BSPCE, par le biais desquels les revenus de leurs dirigeants se trouvent liés aux résultats de l'entreprise. D'ailleurs, le système des stock-options n'était pas à l'origine scandaleux. C'est peu à peu qu'il a été dévoyé, d'autant que la loi n'est pas appliquée. Ainsi, un groupe de luxe, qui figure parmi les dix plus beaux fleurons de l'économie française, n'a-t-il jamais communiqué à l'assemblée générale de ses actionnaires, comme la loi lui en fait obligation, le montant des dix plus hautes rémunérations dans le groupe, et ce manquement n'a jamais été sanctionné.

Nous ne devons plus accepter, les Français que nous représentons n'acceptent plus, que certains empochent des millions, voire des milliards sans prise de risque en contrepartie et du seul fait d'arrangements des plus opaques. Avec cette réforme, qu'elle soit modeste ou ambitieuse, il y va de la cohésion sociale de notre pays. Certains qui vont en limousine ou en jet privé de siège social en siège social et jonglent avec les milliards n'ont plus aucune idée des préoccupations élémentaires de la très grande majorité de nos concitoyens. Voilà pourquoi cette réforme de la fiscalité des stock-options est nécessaire. Voilà pourquoi je m'associerai à son élaboration.

M. Christian Cuvilliez - Votre proposition, Monsieur le ministre, de dresser un état des lieux de la situation réservée aux salariés dans l'entreprise, notamment en regard de celle des dirigeants, nous convient. Et nous serons les plus constructifs possible. Mais force est de constater que les choses commencent plutôt mal quand dans le même temps MM. Auberger, Carrez et leurs collègues vont entonner la litanie de la réduction des prélèvements et des déficits, de la compression des dépenses publiques, autant d'objectifs aboutissant à des mesures défavorables aux travailleurs -du sort desquels ils disent aujourd'hui vouloir se préoccuper... par exemple en les « embobinant » dans les PER.

Je considère les stock-options comme l'archétype des effets pervers du système capitaliste. Il faut mettre un terme à ces excès. Que l'on veuille bien me dire, par ailleurs, quels bienfaits les RMistes et les chômeurs retireraient de l'extension du champ d'attribution des options d'achat, eux qui sont exclus des entreprises ? D'autres réponses à leurs besoins doivent leur être apportées et ce sont celles que nous proposons : aménagement de la fiscalité en leur faveur, diminution de la taxe d'habitation, réduction du foncier bâti pour les RMistes.

Mais la fiscalité ne réglera pas tout à elle seule. Il faut donc réviser le droit des sociétés, afin de donner un statut légal différent aux stock-options, tout en envisageant une participation réelle des travailleurs à la gestion des entreprises par le biais de leurs syndicats ou de pactes d'actionnaires. J'insiste sur le fait qu'il ne saurait être question de court-circuiter les syndicats, sous peine de graves problèmes.

J'ai appris, dans une presse que je lis peu, que les 27 000 détenteurs de stock-options de France peuvent s'attendre à des plus-values potentielles de 45 milliards. Là est le scandale ! Ce système doit impérativement être corrigé et il faut, pour cela, voter l'amendement 41. Ainsi, dès la loi de finances pour 2000, et sans qu'il soit besoin d'effet rétroactif, MM. les détenteurs de stock-options sauront que la représentation nationale s'intéresse à leur cas, et qu'ils devront payer.

M. le Président de la commission - Vient un moment où il faut savoir clore un débat. De la longue discussion qui vient d'avoir lieu, je retiendrai ce qui est à mes yeux l'essentiel : l'engagement pris par le Gouvernement, en réponse à l'amendement de la commission. Que nous propose le ministre ? Une réforme, dans des délais très brefs, qui assure la transparence de la distribution des stock-options et en étend le champ à un plus grand nombre de salariés. Une réforme, aussi, qui moralise le régime actuel en instituant un prélèvement dont le taux maximal pourrait être le taux le plus élevé du barème de l'impôt sur le revenu.

Pourquoi, diront certains, ne pas voter un tel texte tout de suite ? Vous avez entendu les arguments du ministre et vous l'avez entendu, aussi, s'engager à ce que le texte, examiné au printemps, s'applique, rétroactivement, à la date du 1er janvier 2000. S'il était voté, l'amendement de la commission ne s'appliquerait pas plus tôt.

Je vois que d'aucuns seront choqués par la rétroactivité ainsi introduite. Selon moi, il n'y a pas lieu d'être choqué lorsqu'il s'agit de mettre un terme à des excès.

Il était nécessaire que ce débat eût lieu, pour que le Gouvernement entende quelles orientations sa majorité souhaitait le voir prendre en matière d'épargne salariale. Il nous a entendu, l'engagement pris le prouve. Aussi, je retire l'amendement 41.

M. Christian Cuvilliez - Je le reprends.

M. Gilbert Gantier - Les amendements 231 et 211 sont retirés.

M. Yves Cochet - Je retire l'amendement 334, et je m'associe à la reprise de l'amendement 41.

M. Claude Hoarau - Je retire l'amendement 91 et je m'associe également à la reprise de l'amendement 41.

M. Gilbert Gantier - Le groupe Démocratie libérale s'abstiendra.

M. Philippe Auberger - Ce sera le cas, aussi, pour le groupe RPR.

M. Jean-Jacques Jegou - Et pour le groupe UDF.

L'amendement 41, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Je constate que l'amendement 210, précédemment réservé, est retiré.

M. Cochet remplace Mme Catala au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

M. Claude Hoarau - La proposition que reprend l'amendement 461 a connu plusieurs péripéties au cours du débat sur la loi de finances pour 1999. Il s'agit de permettre aux départements d'outre-mer, et notamment à La Réunion, de poursuivre leurs efforts de développement de la filière audiovisuelle. Malgré un démarrage prometteur, la société d'animation de films peine à trouver ses clients, car il lui faut faire face à des concurrents qui bénéficient, dans certains pays étrangers, d'un système fiscal particulièrement favorable.

L'année dernière déjà, nous avions demandé que les productions confiées aux studios de l'île de La Réunion bénéficient des dispositions de la loi Pons. Le Gouvernement l'avait refusé, car il ne souhaitait pas que ce dispositif s'applique à des productions incorporelles, mais il avait pris l'engagement de rechercher une solution alternative, dans un délai dont on peut considérer qu'il s'achève aujourd'hui. Notre désir de défendre pied à pied la jeune industrie audiovisuelle de la Réunion explique que nous présentions à nouveau cette proposition.

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas retenu l'amendement, qui vise à étendre le champ de la défiscalisation prévu dans la loi Pons.

Toutefois, elle comprend fort bien le sens de la proposition, et elle souhaite entendre M. le secrétaire d'Etat dire quelles propositions concrètes le Gouvernement s'apprête à prendre pour répondre aux attentes qui se manifestent de manière réitérée.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - J'avais en effet pris l'engagement de faire expertiser un dispositif et d'arriver à une solution dans l'année. Nous avons travaillé en ce sens avec les futurs clients, les actionnaires, les établissements financiers, le CNC, M. Hoarau et nous sommes arrivés à la conclusion que le principal problème tient au mal qu'ont les producteurs concernés à réunir les financements nécessaires. D'où le double dispositif que nous proposons : créer une Sofica d'initiative locale et un fonds, financé par l'Etat et les collectivités locales, qui allégera et garantira le financement des prestations effectuées localement. Je vous promets, Monsieur Hoarau, que ce double dispositif sera mis en place au plus tard fin novembre de cette année. Dans ces conditions, je pense que vous pouvez retirer votre amendement.

M. Claude Hoarau - Les éléments en ma possession me permettent de croire à la volonté du ministère de trouver une solution permettant à la filière du dessin animé à La Réunion de se développer. Mais il reste des points d'ombre.

L'amendement est retiré mais nous jugerons à l'expérience de l'efficacité de la solution proposée.

M. Jean-Jacques Jegou - L'impôt français sur les sociétés est inéquitable car il frappe toutes les entreprises au même taux, quel que soit le bénéfice dégagé, et il est particulièrement pénalisant pour les jeunes entreprises qui ont plus besoin d'investir. Aux Etats-Unis, par contre, il existe trois taux et même une surtaxe pour les entreprises atteignant un certain niveau de bénéfice, en Grande-Bretagne et au Japon deux. L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne et la Finlande pratiquent aussi le taux différencié.

Mon amendement 308 tend à l'instituer en France, selon un barème qui prend la moyenne des taux pratiqués à l'étranger. L'amendement 309 est un amendement de repli.

M. le Rapporteur général - Le dispositif est complexe et coûteux. Avis défavorable.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable.

L'amendement 308, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 309.

M. Jean-Jacques Jegou - L'amendement 469 rectifié est destiné à encourager le développement de l'épargne salariale, aujourd'hui bridée. Mais je pense qu'une partie de cet amendement pourra être reprise lors du prochain débat sur l'épargne salariale.

L'amendement 469 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Besson - L'an dernier, nous avons permis à des structures ayant pour vocation d'aider financièrement la création d'entreprises de recevoir des dons qui ouvrent droit à des avantages fiscaux. Mon amendement 384 tend à élargir cette possibilité aux organismes qui s'occupent aussi de reprise d'entreprises. Car les circonstances peuvent rendre un projet de reprise tout aussi important pour l'économie qu'une création proprement dite (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas retenu cet amendement, non qu'elle ait des objections de fond, au contraire, mais parce que la forme mérite d'être un peu retravaillée. Cela pourra se faire à l'occasion d'autres débats car le Gouvernement a, je crois, fixé un rendez-vous.

M. le Secrétaire d'Etat - Cet amendement s'inscrit dans le droit fil du remarquable rapport qu'a consacré M. Besson à la création d'entreprises. Son diagnostic est valable et sa proposition intéressante, mais comme M. Strauss-Kahn et Mme Lebranchu organisent en décembre 1999 des assises nationales de la création d'entreprise, j'invite M. Besson à attendre ce rendez-vous et les discussions législatives qui suivront et donc à retirer cet amendement prématuré.

M. Eric Besson - Je le fais bien volontiers, conscient que ce retrait n'est pas le plus important de la chronique parlementaire de cet après-midi, et je me réjouis de la prochaine tenue de ces assises nationales, très attendues par les acteurs du développement local et les réseaux d'accompagnement de la création d'entreprises.

M. le Président - A la demande du Gouvernement, la séance de ce soir commencera à 21 heures 30.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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