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Session ordinaire de 1999-2000 - 33ème jour de séance, 80ème séance

3ÈME SÉANCE DU MARDI 30 NOVEMBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

vice-président

Sommaire

          RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL
          -nouvelle lecture- (suite) 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

          QUESTION PRÉALABLE 7

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL -nouvelle lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Marie-Thérèse Boisseau - La majorité parlementaire n'a pas tenu compte des observations sénatoriales qui renvoyaient à la négociation collective les principales dispositions de ce projet et a rétabli en commission les dispositions votées en première lecture par l'Assemblée.

Je regrette que vous n'ayez pas plus accepté ce dialogue avec la majorité sénatoriale. Cette seconde lecture se résoudrait à une simple réécriture, s'il n'y avait le jeu très serré des différentes composantes de votre majorité, qui risque de se traduire par une nouvelle surenchère.

Plus j'avance, plus je crois que la réduction de temps de travail est souhaitable et possible dans certaines activités. Mais je suis également de plus en plus convaincue que l'obligation faite à toutes les entreprises privées de réduire ce temps à 35 heures est inacceptable, parce qu'elle est en porte à faux à la fois avec notre Constitution et la société française des dernières heures du XXème siècle.

D'abord, ce projet est irrecevable en ce qu'il comporte des dispositions non conformes à la Constitution, dont trois au moins peuvent être avancées au titre de la compétence du législateur.

La première est l'absence de clarté de la loi, qui ajoute aux difficultés de nos concitoyens, qui se débattent dans un dédale législatif de plus en plus confus et contradictoire. Et que dire du fonds «fourre-tout» qui doit financer les allégements de cotisations patronales : abondé par les ressources fiscales et parafiscales les plus hétéroclites, il contrarie le principe d'universalité du budget de l'Etat et restreint les pouvoirs du Parlement.

Un autre exemple de complexité inutile est la référence à une durée légale annuelle de 1 600 heures, qui ne correspond à rien et surtout pas à 35 heures de travail hebdomadaire. En effet, à ce jour, seul le 1er mai est obligatoirement chômé. Les 1 600 heures impliquent une interdiction de travailler les autres jours fériés, contraire au code du travail.

Enfin, au regard de l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi, les articles 2, 3, 4 et 11 peuvent être considérés comme non conformes à la Constitution.

La deuxième disposition contraire à la Constitution a trait plus particulièrement à la compétence du législateur, qui ne doit pas en méconnaître l'étendue. En effet, il ne respecte pas la Constitution lorsqu'il reste en deçà de sa compétence, soit en subdéléguant à d'autres autorités le soin d'édicter des règles qui ne peuvent être prises que par lui, soit en les posant de façon si générale que la marge d'appréciation laissée aux autorités en charge de les appliquer est excessive. Or la seule condition posée dans ce projet de loi est que l'arrangement conventionnel doit faire coïncider la durée collective de travail et la durée légale. La puissance publique n'est pas partie prenante des accords. Elle n'a pas à les avaliser et ils ne doivent pas même lui être transmis. Cette absence suscite une difficulté d'autant plus forte que si les paragraphes XV et XVI de l'article 11 envisagent divers cas de suspension ou de suppression de l'allégement, leur rédaction est si lacunaire qu'il est impossible de comprendre à qui le législateur a entendu donner compétence pour en décider. Comment le Conseil constitutionnel pourrait-il accepter une telle confusion !

La troisième disposition qui semble non conforme à la Constitution est l'injonction faite au Gouvernement dans le cadre de l'article 16. S'agissant du complément différentiel de salaire, le paragraphe V de l'article 16 oblige le Gouvernement à présenter un rapport retraçant l'évolution des rémunérations des salariés bénéficiant de la garantie définie ci-dessus et précisant les mesures envisagées... pour rendre cette garantie sans objet au plus tard, le 1er janvier 2005, compte tenu de l'évolution du salaire mensuel de base ouvrier mentionné au I et de la progression du salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 141-2 du code du travail.

Sans enfreindre la Constitution, le législateur peut -et nous le faisons hélas tous les jours- adopter des dispositions d'ordre réglementaire, mais il ne peut enjoindre au Gouvernement d'exercer ses compétences dans un délai précis. Il ne peut l'obliger à relever le SMIC au-delà de l'obligation légale car cette revalorisation est à ce jour une compétence discrétionnaire du Gouvernement.

Ce projet n'apparaît pas seulement inconstitutionnel au titre de l'exercice de la compétence du législateur. Il méconnaît aussi les principes fondamentaux de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, en premier lieu, le principe de liberté. Il porte ainsi atteinte à la liberté des salariés et, en l'occurrence, à la liberté de travailler. N'oublions pas que deux salariés sur trois perçoivent une rémunération annuelle nette inférieure ou égale à 1,8 SMIC.

S'ils seraient heureux d'avoir davantage de loisirs, ils veulent d'abord, dans leur très grande majorité, être libres de gagner plus, de bénéficier des fruits d'une croissance tirée par la parité euro-dollar, les taux d'intérêt bas et l'explosion des nouvelles technologies. Pour beaucoup, les heures supplémentaires sont le ballon d'oxygène qui permet de réaliser quelques projets. Comment ceux qui ne pourront plus être payés que 40 heures 15 hebdomadaires, en comptant les heures supplémentaires, au 1er janvier 2000, puis 39 heures 15 en 2001 et 38 heures 15 en 2002, au lieu de 42 heures 15 actuellement vont-ils faire face à leurs emprunts ? Comment paieront-ils les études de leurs enfants ?

Beaucoup aimeraient aussi avoir la liberté de travailler plus ou moins selon leur âge, leur parcours personnel et familial. Mais en France, pays dit avancé, on n'a pas le droit de travailler davantage à 25 ans pour s'installer et moins à 30 ans pour élever ses enfants ou à 50 ans pour profiter de la vie. Vous ne voulez voir qu'une seule tête : tout le monde à 35 heures !

La réduction massive de la capacité de travail des salariés porte atteinte à la liberté individuelle sans être justifiée par l'intérêt général ou les exigences constitutionnelles.

Tout aussi importante que la liberté individuelle est la liberté contractuelle. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel : «le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen».

La première loi appelait les organisations syndicales à négocier les modalités de la réduction du temps de travail selon les situations respectives des branches et des entreprises. Plus d'une centaine de branches et un nombre non négligeable d'entreprises ont joué le jeu, sans d'ailleurs en connaître les règles, puisqu'elles ignoraient le sort qui serait réservé au SMIC, aux heures supplémentaires, aux cadres. Les accords conclus doivent s'appliquer dès lors qu'ils ne sont pas contraires aux principes de l'ordre public social absolu et vous n'avez eu de cesse de répéter que vous vouliez les respecter. Mais l'article 14 du nouveau texte impose qu'un an après l'entrée en vigueur de la loi, les dispositions non conformes soient revues. Cet article porte donc atteinte à la liberté contractuelle en rompant l'équilibre des accords conclus. Il ne respecte pas non plus l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur les négociations collectives qui prévoit qu'en l'absence de délégués syndicaux, des accords peuvent être conclus avec des comités d'entreprise ou des délégués du personnel s'ils sont validés par une commission mixte paritaire interprofessionnelle.

Le législateur ne saurait, sans méconnaître les fondements de notre République, violer la liberté contractuelle, qui est un des principes de l'organisation de notre société sans lequel rien ne saurait se construire de durable et de sûr. La confiance et le consentement libre de toute contrainte sont la base de cette liberté fondamentale.

Mais, parce que vous êtes convaincus que votre objectif est bon et que vous êtes au pouvoir, vous décidez de passer en force.

Le principe d'égalité me semble également bafoué. Egalité entre les salariés, d'abord. A l'issue de la période de transition, dans les entreprises ayant signé des accords, les heures supplémentaires seront rémunérées 25 % de plus que les heures normales. Dans les autres, elles ne seront payées que 15 % de plus, les 10 % restant alimentant un fonds pour l'emploi. C'est profondément injuste.

Lors de la discussion en première lecture du texte, vous aviez, Madame la ministre, justifié cette différence de traitement en expliquant : «Quand il n'y a pas de changement de situation, il n'y a pas de raison que la rémunération change. Le salarié qui faisait 32 heures et qui reste à 32 heures touche 32 fois le SMIC. Pourquoi serait-il subitement augmenté ? En revanche, pour celui qui passe de 39 heures à 32 heures, il est normal de prévoir une rémunération mensuelle garantie afin de lui éviter un préjudice». Mais pourquoi accorder ce complément aux salariés embauchés après la réduction du temps de travail, qui n'ont pas subi ce préjudice ? Pourquoi verser aussi ce complément aux salariés des entreprises nouvellement créées ?

Par ailleurs, comme le souligne justement le professeur Favennec-Héry : «Le principe d'égalité entre salarié à temps partiel et salarié à temps complet et la règle de la proportionnalité de leur rémunération sont mis à mal dans plusieurs dispositions de ce projet». L'octroi d'un complément différentiel de salaire est étendu aux travailleurs à temps partiel si leur durée de travail est également réduite, mais pas aux autres. Cette disposition va entraîner de fâcheuses distorsions de traitement entre un salarié qui travaille depuis toujours à 28 heures et son collègue passé de 32 à 28 heures dans le cadre d'un accord collectif de RTT. Or 34 % des salariés au SMIC sont à temps partiel.

Autre rupture d'égalité en matière de rémunération entre salariés smicards à temps partiel et ceux à temps plein : jusqu'à présent, la jurisprudence avait considéré «que l'attribution d'une prime de compensation devait bénéficier au prorata du temps de travail aux employés à temps partiel présents dans l'entreprise au moment de l'attribution de cette prime». Or le projet prévoit «que le complément différentiel de salaire ou un complément conventionnel destiné à assurer le maintien de tout ou partie de leur rémunération n'est pas pris en compte pour déterminer la rémunération des salariés à temps partiel». Est ainsi évitée l'application du principe de proportionnalité des rémunérations entre salariés à temps partiel et salariés à temps plein.

Mais il y a aussi les inégalités dans le temps de travail selon que les entreprises ont plus ou moins de 20 salariés, selon qu'on est dans la fonction publique ou dans le secteur privé.

Et que dites-vous aux agriculteurs qui travaillent 70 heures par semaine et qui prennent au plus huit jours de vacances par an, qui, malgré d'énormes efforts de mise aux normes de leurs exploitations vont devoir payer la taxe générale sur les activités polluantes pour permettre à d'autres de ne travailler que 35 heures ? Est-ce équitable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Cette loi crée aussi des distorsions de concurrence importantes entre les entreprises. Combien de fois, avons-nous appelé votre attention sur les effets néfastes du seuil des 20 salariés ? En période de pénurie de main-d'_uvre spécialisée, la hantise des petites entreprises de moins de 20 salariés est de perdre leurs bons ouvriers qui cherchent à rejoindre les entreprises qui vont devoir passer à 35 heures.

M. Germain Gengenwin - Eh oui !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Il y a aussi des inégalités de traitement entre les entreprises ayant signé des accords et les autres. La réduction du temps de travail entraînera une augmentation des coûts salariaux de 11 %. Certes des allégements de charges sociales patronales la compenseront en partie, mais ils sont subordonnés à la signature d'un accord collectif. Et, parmi les entreprises de plus de 20 salariés qui vont devoir passer aux 35 heures dès l'an 2000, certaines ne parviendront pas à signer un accord. Ce sont les plus florissantes qui seront aidées et les chances des autres s'en trouveront diminuées. Les 35 heures seront donc à l'origine d'une rupture d'égalité et de distorsions de concurrence.

Le principe de fraternité aussi est bien malmené par cette loi !

La loi sur les 35 heures va donner du confort à ceux qui en ont déjà et marginaliser les plus faibles et les plus fragiles. Est-ce le but recherché ?

M. François Goulard - Oui !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Tout le monde s'accorde à dire que cette loi ne créera pas d'emplois et les centaines de milliers d'emplois créés depuis quelque temps ne l'ont été que grâce à une croissance spectaculaire.

Mais augmenter le SMIC de 11 %, c'est rendre beaucoup plus haute la marche que doivent franchir les chômeurs. C'est creuser encore le fossé entre actifs et inactifs. Plus le SMIC est élevé, plus les chefs d'entreprise cherchent à mécaniser la production, moins il y a de créations d'emploi.

De plus, la réduction du temps de travail va souvent entraîner une augmentation de la cadence, que certains auront du mal à soutenir et qui rendra de plus en plus difficile la remise à niveau de ceux qui ont quitté le monde du travail depuis quelque temps. Les milliards dépensés à compenser le coût de la réduction du temps de travail auraient été plus utiles pour un suivi réellement individualisé des personnes en difficulté. Si nous ne profitons pas de la reprise pour réduire le noyau dur du chômage, quand le ferons-nous ?

Il ne fallait pas lancer la nouvelle organisation du travail sans une nouvelle organisation des transports, des services sociaux, des gardes d'enfants. La perspective d'horaires plus étalés angoisse bien des jeunes mères ou des parents isolés. La généralisation des 35 heures entraînera des situations familiales très inconfortables voire dramatiques, telle celle de cette jeune femme qui part au travail à 4 heures du matin avec son enfant de deux ans qu'elle laisse dormir dans la voiture jusqu'à la pause dont elle profite pour l'emmener rapidement chez la nourrice.

M. Germain Gengenwin - Incroyable !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Où est la société solidaire ?

Enfin, ce projet qui n'est conforme ni à la Constitution ni à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est également irrecevable en l'état par la société française au moins à trois titres.

En premier lieu, son financement qui n'a pas été davantage négocié que la réduction du temps de travail. Les mesures de rechange que vous avez arrêtées après le refus que vous a opposé l'UNEDIC souffrent de deux contradictions. D'abord, en privant le fonds de solidarité vieillesse d'une partie du droit sur les alcools, vous asséchez en partie le fonds de réserve dont la création est la seule initiative que vous ayez prise pour résoudre le très grave problème des retraites. Ensuite, plus nombreuses seront les entreprises à passer aux 35 heures, plus les aides seront élevées mais plus faible sera le produit de la taxation des heures supplémentaires, car ces dernières ne seront taxées que dans les entreprises qui sont à 35 heures. Ainsi plus la dépense croît, plus la recette se dérobe. Ce système est absurde !

En vérité, comme l'a reconnu M. Cahuzac, ce projet n'est pas financé, sauf à alourdir encore les impôts que crée la loi de financement de la sécurité sociale -la TGAP devrait, à taux constant, voir son rendement diminuer et la contribution sur les bénéfices a un rendement irrégulier. On pourrait aussi avoir recours à la taxation, indirecte cette fois, de la sécurité sociale et de l'UNEDIC qui initialement devait apporter plus de la moitié des crédits dès 2000 et les trois quarts à terme. Ce sont en effet 110 milliards qu'il faudra trouver en année pleine, auxquels il faudra ajouter 60 à 80 milliards quand les 35 heures seront étendues aux fonctions publiques.

Par ailleurs, le contexte économique a considérablement changé depuis la conférence du 10 octobre 1997, lors de laquelle le Gouvernement a rendu les 35 heures obligatoires, et la réduction généralisée va aujourd'hui à contre-courant des besoins de plus en plus grands en main-d'_uvre qualifiée d'entreprises de plus en plus nombreuses. En Ille-et-Vilaine et dans le Morbihan, ce sont déjà 4 700 salariés qu'il faudrait trouver d'ici l'été prochain dans les industries métallurgiques, électriques et électroniques. Mais on manque aussi cruellement d'ouvriers qualifiés dans le bâtiment, de routiers, de mécaniciens, de conducteurs d'engins, de vachers, de porchers, de désosseurs, de préparateurs de commandes, de technico-commerciaux, de marins-pêcheurs -et j'en passe ! Beaucoup de jeunes boudent ces spécialités parce qu'elles sont sous-payées et le passage aux 35 heures, en gelant des salaires déjà trop bas, va aggraver encore la situation. Dans ce contexte, la réduction autoritaire et généralisée du temps de travail apparaît comme une mesure néfaste !

Enfin, comment voulez-vous que l'intendance suive ?

Je n'évoquerai à ce sujet que l'établissement du bulletin de paye : à la fin de janvier 2000, l'exercice va relever, plus que jamais, du parcours du combattant, d'autant qu'un certain nombre de dispositions seront transitoires. Mais ce bulletin ne peut être établi de façon approximative car le contenu en est strictement défini par l'article R. 143-2 du code du travail, dont le non-respect est sanctionné pénalement aux termes de l'article R. 154-3. De plus, ce document doit permettre à chaque salarié de vérifier que ce qui lui est versé correspond bien à son travail et à sa situation. Comment les comptables vont-ils pouvoir jongler avec la durée légale qui n'est pas la même dans les entreprises de plus ou de moins de 20 salariés, avec les heures supplémentaires qui font l'objet d'un paiement majoré ou d'une contribution à un fonds, avec la durée hebdomadaire et annuelle du travail ?

Et que se passera-t-il si la loi n'est pas entrée en vigueur le 1er janvier 2000 ? La durée légale sera malgré tout ramenée à 35 heures pour les entreprises dont l'effectif est supérieur à 20 puisque cette règle résulte déjà de l'article L.212-1 bis, né de la loi du 13 juin 1998. En revanche, les droits à heures supplémentaires continueront à s'apprécier à partir du seuil de 39 heures, puisque l'article L.212-5 se réfère à l'article L.212-1 qui fixe à cette hauteur la durée légale, y compris après la loi du 13 juin 1998. Je souhaite aux comptables beaucoup de plaisir !

Voilà, très rapidement, quelques raisons objectives de voter cette exception d'irrecevabilité.

J'emprunterai ma conclusion à Edmond Maire : «Il est absurde de vouloir réussir une réduction du temps de travail sans l'implication des employeurs. Et il fallait mal connaître l'immense diversité des entreprises pour imaginer qu'elles pourraient toutes dès l'an 2000, appliquer la loi dans de bonnes conditions. La gauche, qui voulait un acte symbolique pour montrer sa puissance et illustrer son bilan, a confirmé qu'elle était jacobine, centralisatrice et étatique. Le Gouvernement ayant choisi de passer en force et considéré que les acteurs sociaux n'étaient utiles que pour discuter à la marge, on arrive alors à la caricature» (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Germain Gengenwin - Votons !

M. François Goulard - Les griefs que nous avons contre ce projet ne sont pas principalement d'ordre juridique : ils tiennent avant tout à la conception que nous avons de l'économie et des relations sociales et sont suffisants pour que nous nous opposions totalement à cette deuxième loi comme nous nous sommes opposés à la première. Cela étant, les objections d'ordre constitutionnel sont nombreuses et Mme Boisseau en a donné l'énumération complète. S'il n'y en avait cependant qu'un à retenir, ce serait sans doute l'inégalité de traitement au regard du SMIC : elle est si choquante qu'à elle seule elle justifie que nous votions l'exception d'irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. le Président - La parole est à M. Germain Gengenwin,... à moins qu'il n'y renonce tant il paraissait pressé de passer au vote ! (Sourires)

M. Germain Gengenwin - Non : je veux laisser à la majorité le temps de doubler la garde ! Il serait dommage que cette discussion se termine trop tôt, parce que cette motion aurait été votée !

Mme Boisseau a dressé la liste de tous les arguments qui militent pour ce vote : rendre la réduction du temps de travail obligatoire est anticonstitutionnel ; le financement de la loi n'est pas assuré, car fondé sur des hypothèses hautement improbables -mais peut-être, Madame le ministre, sortirez-vous de votre manche, à 1 heure du matin, un de ces amendements dont vous avez le secret !

Mme Boisseau a justement invoqué, aussi, la liberté du travail -une nécessité pour ceux qui n'ont qu'un SMIC pour vivre-, la nécessité de maintenir notre capacité de production, le respect des relations contractuelles et l'égalité entre salariés, qui sera bafouée dès lors que ceux qui travaillent dans une entreprise passée aux 35 heures ne percevront pas le même salaire que ceux d'une entreprise restée aux 39 heures. Je n'aurai garde d'omettre l'inégalité qui sera introduite entre les entreprises et l'injustice qui consiste à faire payer la réduction du temps de travail à ceux qui travaillent le plus -les agriculteurs. Ne s'agit-il pas là de bonnes raisons de voter cette exception d'irrecevabilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Je ne puis, moi aussi, que féliciter Mme Boisseau pour cet exposé lumineux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui a convaincu tous ceux qui ont bien voulu l'écouter ! Elle a démontré que ces dispositions seraient un casse-tête pour ceux qui auront à les appliquer ; elle a rappelé que la compétence du législateur était méconnue-ce qui ne peut qu'annoncer des lendemains difficiles pour le Gouvernement et la majorité ! Elle a soulevé l'argument de l'inégalité entre les salariés, au regard du SMIC notamment. Pour ma part, je n'ajouterai qu'un point : ce texte, comme celui qui concernait les médecins, porte l'empreinte -la griffe !- de l'autoritarisme. Il peut certes être excellent de travailler moins, si on en a besoin et si tout est organisé en conséquence, mais cela ne saurait être une obligation uniforme : on n'impose pas à ses enfants d'être identiques et il doit en être de même des entreprises- comment une entreprise maraîchère pourrait-elle ressembler à une entreprise du secteur tertiaire ? Avec du temps, vous auriez dû donner à chacune la liberté de mesurer ce temps selon ses besoins.

Le groupe RPR, au nom duquel je m'exprime, votera cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adopté.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable déposée en application de l'article 9, alinéa 4, du Règlement.

M. Thierry Mariani - Malgré l'excellent travail du Sénat, votre majorité et vous-même, Madame le ministre, persistez à vouloir imposer les 35 heures à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, leur activité, ou leur organisation. Nous sommes convaincus pour notre part que votre projet sera néfaste pour l'emploi, pour les entreprises et pour les salariés.

Vous le présentez comme un remède au fléau du chômage que nous avons tous la même volonté de combattre. Mais votre projet, loin d'atteindre son objectif premier, risque fort d'aggraver la situation.

En effet, il organise un dispositif compliqué, contraignant et coûteux dont la principale caractéristique est de ne satisfaire ni les entreprises, qui en supporteront la charge ni les salariés qui devront s'adapter aux contraintes de la flexibilité et accepter un gel sinon une baisse de leur rémunération, ni les partenaires sociaux qui financeront eux aussi, par une voie détournée, le coût de votre mesure idéologique.

Votre vision autoritaire de la négociation collective, votre approche archaïque de la société et de l'entreprise, risquent d'entraîner notre pays dans l'aventure.

Le bilan plus que mitigé de votre première loi aurait pourtant dû vous inciter à modifier votre position. Le caractère autoritaire de votre démarche hypothèque ses chances de réussite. Vous faites de la sémantique en intitulant votre texte «projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail»... car la négociation y est réduite à la portion congrue !

Selon nous, la réduction du temps de travail peut constituer une solution parmi d'autres au problème du chômage dans les entreprises qui le peuvent et qui le veulent, mais nous ne pouvons souscrire à votre logique universaliste qui méprise les relations sociales.

Votre projet impose à toutes les entreprises une réduction autoritaire, obligatoire et massive du temps de travail sous peine de sanctions.

Pensez-vous sérieusement que, dans une entreprise de moins de 10 salariés, le passage aux 35 heures pourra créer un emploi ? Prenons l'exemple d'une entreprise de cinq salariés, composée d'une secrétaire, de trois ouvriers et d'un commercial. Le passage de 39 à 35 heures libérera théoriquement 20 heures de travail par semaine. Comment voulez-vous trouver une seule personne assez polyvalente pour effectuer, en 20 heures hebdomadaires une partie du travail de la secrétaire, des ouvriers et du commercial ! Cet exemple montre bien que, dans de telles structures, il est impossible de réduire le temps de travail en créant un emploi supplémentaire. L'entreprise n'aura donc d'autre choix que de produire moins ou de recourir à des heures supplémentaires, ce qui alourdira ses charges.

Bref, nous essayons vainement de vous faire comprendre qu'il existe des secteurs particuliers, créateurs d'emplois, qui ne peuvent s'adapter au rythme de travail que vous voulez leur imposer.

A l'heure du développement du multimédia, du télétravail, de la mondialisation des échanges et d'Internet, vous continuez de raisonner comme au XIXème siècle, quand le travail, le plus souvent posté, s'accommodait de grandes lois applicables à toutes les structures. Vous qui, du moins en paroles, vous targuez de modernisme, et nous traitez de «ringard», vous raisonnez avec un siècle de retard quand vous parlez de l'entreprise.

Du reste, la notion de durée légale du travail -qui n'existe que dans très peu de pays- a-t-elle encore un sens dans nombre d'entreprises familiales ?

Outre cette opposition de principe, qui traduit la différence idéologique qui nous sépare, nous dénonçons trois défauts majeurs de votre projet.

Tout d'abord, il méconnaît la politique contractuelle et le dialogue social. Au mépris de vos engagements, il ne respecte pas les accords de branche ou d'entreprise conclus sur le fondement de la loi de 1998.

En effet, introduisant des dispositions plus rigides que la législation en vigueur sans tenir compte des innovations contenues dans certains accords déjà conclus, votre projet, en l'état, rendrait illégales certaines dispositions figurant dans des accords que vous avez pourtant étendus.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Donnez-nous un seul exemple !

M. Thierry Mariani - J'y viens.

Souvent les accords de branche signés par les partenaires sociaux prévoyaient une durée annuelle de travail supérieure à 1 600 heures -1 645 heures dans le BTP, 1 610 heures dans le secteur de la chimie ou de la banque. Ils devront donc être renégociés.

De même, de nombreuses branches ont augmenté de façon conventionnelle et négocié leur contingent d'heures supplémentaires... Ce faisant, le seuil de déclenchement de la prise du repos compensateur à 100 % était relevé dans les mêmes proportions.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires sociales - C'est votre interprétation !

M. Thierry Mariani - C'est le cas du BTP qui prévoit désormais un contingent de 180 heures par an ; des entreprises de propreté avec 190 heures par an ou encore des industries du textile avec 205 heures par an. Or vous décidez de maintenir le contingent actuel de 130 heures ! Ces accords perdent ainsi une grande partie de leur intérêt puisque les heures supplémentaires effectuées au-delà de 130 heures donneront lieu à l'attribution d'un repos compensateur de 100 %.

Enfin, certains accords avaient défini des modalités de recours à la formation professionnelle qui ne cadreront pas avec votre dispositif.

Vous rétorquez que les partenaires sociaux n'auront qu'à renégocier les points non conformes à votre dispositif. Mais que leur restera-t-il à négocier puisque, par cette deuxième loi, vous aurez déjà fixé les règles ?

Bien souvent, les représentants des salariés avaient accepté un contingent d'heures supplémentaires ou un horaire annuel supérieur à ce que vous prévoyez en contrepartie du maintien du montant des salaires ou d'un autre avantage. C'est ce que l'on a appelé les accords «gagnant-gagnant», que vous vous apprêtez à remettre en cause.

C'est dangereux, car chaque accord réalise un équilibre entre l'intérêt de l'entreprise et celui des salariés. Votre attitude est, de surcroît, irresponsable, pour ne pas dire méprisante pour les partenaires sociaux, puisque vous remettez en cause des accords de branche que vous aviez pourtant étendus !

Dans ces conditions, comment croire désormais à la parole de l'Etat ?

Le deuxième défaut majeur de votre projet tient aux contraintes nouvelles qu'il va imposer aux entreprises.

Alors que les chefs d'entreprise réclament davantage de souplesse et ne cessent de répéter qu'ils ne peuvent plus assumer leurs charges, alors que tous s'accordent à penser que les lourdeurs administratives sont un frein à la bonne marche des entreprises, donc à l'emploi, vous enserrez un peu plus nos entreprises dans un étau administratif et les accablez de charges supplémentaires.

La complexité du régime des heures supplémentaires que vous instituez en est l'illustration. Il compte deux périodes de transition, trois modes de rémunération -argent, temps ou rien- et quatre taux de majoration !

N'aurait-il pas été plus simple, pour les quatre premières heures, de fixer un taux unique de 10 %, ou 25 %, sans période de transition, s'appliquant à toutes les entreprises et bénéficiant aux salariés sous forme de majoration de salaire ? C'est ce que nous proposons.

Pourquoi avez-vous compliqué à ce point le régime des heures supplémentaires ? Sans doute pour dissuader les employeurs d'y recourir, mais c'est oublier que certaines entreprises ne peuvent s'en passer et que de nombreux salariés effectuent des heures supplémentaires à seule fin de boucler leur budget !

Enfin, que dire du véritable hold-up que vous commettez sur le produit des heures supplémentaires ? Le salarié qui aura la chance de travailler dans une entreprise appliquant un horaire collectif de 35 heures au plus ne verra pas forcément son salaire augmenter du fait des heures supplémentaires qu'il accomplira, puisque celles-ci seront rémunérées sous la forme d'un repos compensateur de 10 % ou 25 % de l'heure effectuée. Ainsi, vous allez pénaliser les salariés qui travaillent plus que les autres. Curieuse conception de l'équité !

En outre, pour de nombreuses entreprises, les heures supplémentaires sont une nécessité. En abaissant la durée légale du travail tout en maintenant le contingent de 130 heures et en pénalisant le recours aux heures supplémentaires, vous allez mettre en difficulté les PME qui ne pourront pas embaucher.

Quant aux bornes que vous entendez fixer à la modulation, elles constituent une difficulté supplémentaire. Vous maintenez en effet le décompte hebdomadaire de la durée du travail et remplacez les trois types actuels de modulation par un dispositif unique, mais la simplification n'est qu'apparente, car la modulation et le recours au travail temporaire ne seront possibles qu'après accord de branche, toute modification des horaires devra faire l'objet d'une consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel et le régime des heures supplémentaires se déclenchera automatiquement au-delà d'un plafond annuel de 1 600 heures.

Or de nombreux accords que vous avez étendus prévoient un temps de travail annuel supérieur à ce seuil. Vous ne tenez donc pas compte des négociations, contrairement à vos affirmations, et votre refus de tout accès direct à la modulation repose sur des concepts dépassés : le décompte hebdomadaire n'est plus adapté aux variations d'activité que connaissent désormais de très nombreuses entreprises, et la modulation, voire l'annualisation peut être l'occasion de développer le «temps choisi». Je souhaite que nous ayons sur ce sujet le vrai débat que vous refusez d'ouvrir -au détriment des salariés eux-mêmes.

De nombreux points du texte vont en effet à l'encontre des intérêts des salariés, qui risquent fort de déchanter lors de l'application effective du dispositif. Ils seront d'abord pénalisés en termes financiers. Vous entendez faire de la société française une société de loisirs...

M. Bernard Accoyer - Bricolage et jardinage !

M. Thierry Mariani - Mais encore faut-il avoir les moyens de profiter de son temps libre. Or la limitation du recours aux heures supplémentaires réduira d'autant le pouvoir d'achat de centaines de milliers de nos concitoyens, qui comptent sur elles pour boucler leur budget et ne peuvent faire face aux échéances de leurs crédits que grâce à ce supplément de revenu. Vous qui ne cessez de nous donner des leçons, dois-je vous rappeler que, pour une famille moyenne dont les deux parents gagnent à peine plus du SMIC, 700 ou 800 F de plus par mois n'est pas une somme négligeable ? Comme toujours, vous pénalisez l'effort, vous bridez l'initiative, vous pratiquez le nivellement par le bas... Il est suspect, à vos yeux, de se donner du mal ! Mais le plus scandaleux, dans l'affaire, c'est que le salarié d'une entreprise qui n'aura pas pu se doter d'un horaire collectif de 35 heures verra le fruit de son travail alimenter un fonds destiné à atténuer le coût de la baisse du temps de travail des autres !

Pouvoir d'achat rogné, conditions de travail détériorées : avec la nouvelle définition du temps de travail effectif, certaines heures ne seront plus comptées comme heures travaillées et ce malgré tous vos efforts, car le seul moyen, pour de nombreuses entreprises, d'accroître leur productivité sera d'adopter une attitude plus stricte. Ce n'est pas en tendant les relations entre employeurs et employés que vous allez relancer le dialogue social ni améliorer les conditions de travail.

La situation des cadres, qui plus est, n'est toujours pas réglée. Le projet les divise arbitrairement en trois catégories : les cadres dirigeants, exclus de toute référence horaire ; les cadres de production, soumis aux 35 heures ; les autres cadres, définis par défaut, et rémunérés sur la base d'un forfait en jours ou en heures selon les accords de branche ou d'entreprise. Cela sera source de nombreux contentieux et l'on peut craindre que les cadres ne voient, en contrepartie de quelques jours de congé supplémentaires, leur qualité de vie se dégrader. En vérité, c'est la place même des cadres dans l'entreprise qui est à reconsidérer, mais vous refusez obstinément d'encourager leur participation à la vie de l'entreprise, à son capital et à ses bénéfices.

Des zones d'ombre demeurent autour du SMIC. Le projet instaure une garantie mensuelle de rémunération, sous forme d'un complément différentiel versé par l'employeur, afin d'éviter une baisse de salaire proportionnelle à celle du temps de travail. Les bénéficiaires de cette mesure seront, d'une part, les salariés déjà employés à temps complet, ainsi que ceux embauchés sur des emplois équivalents après la mise en _uvre de la réduction du temps de travail. En revanche, dans les entreprises créées postérieurement, il semble que les 35 heures seront payées 35. Quant aux salariés à temps partiel, seuls seront concernés ceux des entreprises dont l'horaire collectif sera ramené à 35 heures.

En d'autres termes, vous créez plusieurs revenus minimums. Selon que l'on travaille à temps plein ou partiel, dans une entreprise ancienne ou nouvelle, pratiquant un horaire collectif de 35 heures ou non, sur un poste existant ou venant de se créer, on ne touchera pas le même SMIC. Nous ne pouvons adopter en l'état un texte dont la complexité le dispute à l'inéquité et à l'inefficacité économique.

J'en viens à la question du financement, qui reste plus qu'hypothétique et n'est toujours pas bouclé, après vos volte-face successives. Pour l'heure, il repose pour 39,5 milliards sur le droit de consommation sur les tabacs, pour 4,3 milliards sur la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, pour 3,2 milliards sur la TGAP, pour 7 milliards -calculés comment ? je me le demande- sur la nouvelle taxe sur les heures supplémentaires, pour 4,3 milliards sur une contribution de l'Etat et pour 5,6 milliards sur la taxe sur les alcools, qui devait alimenter le FSV.

Pour financer les exonérations de charges patronales, un fonds est créé par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il devait être alimenté, en outre, par une ponction sur les organismes paritaires de protection sociale, mais vous avez reculé devant le refus unanime des partenaires sociaux, ou plutôt vous avez fait mine de reculer, car ils devront verser 5,5 milliards au fonds de réserve pour les retraites, tandis que le FSV apportera une somme équivalente au fonds de financement des 35 heures. Quant aux années suivantes, le flou reste complet : dès 2001, plus de 20 milliards manqueront !

M. Jean-Marc Nudant - Ce n'est pas le flou, c'est le trou ! (Sourires sur quelques bancs)

M. Thierry Mariani - En guise de conclusion, je souhaite revenir sur la philosophie du projet, tant elle nous paraît déconnectée des réalités. Ce qui nous sépare, c'est que nous ne croyons pas que l'instauration généralisée et autoritaire des 35 heures soit une réponse aux angoisses des Français frappés par le chômage. Loin de créer des emplois, il en détruira. Il procède d'une double erreur, de méthode et de fond : on ne peut à la fois inviter les entreprises à négocier et balayer d'un revers de main le fruit de leurs négociations ; il est fallacieux, de plus, de faire croire à nos concitoyens qu'ils gagneront autant et vivront mieux en travaillant moins. Ce n'est pas en partageant la pénurie que vous redonnerez du travail aux Français et toutes les études d'opinion montrent d'ailleurs qu'ils ne croient pas à la recette miracle des 35 heures.

Votre projet est fondé sur la même idéologie qui vous a amenés, en 1982, à diminuer d'une heure par semaine la durée du travail, avec le résultat que l'on sait. Vous mettez en avant les emplois qui auraient été créés ou sauvés par la première loi et que vous recensez on ne sait comment, mais vous n'avez mené aucune étude sur les nombreux emplois qui n'ont pas été créés à cause de cette première loi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Votre dogmatisme, votre refus de voir en face la réalité des entreprises conduiront celles-ci à licencier pour préserver leur compétitivité. C'est de plus de souplesse et de moins de charges qu'elles ont besoin pour se développer, et vous faites le contraire en leur imposant de nouvelles ponctions et contraintes.

Je ne reviens pas sur le fameux «amendement Michelin», pour lequel vous prévoyez déjà des exceptions car il est inapplicable.

Je ne suis pas revenu non plus sur la comptabilisation dans le temps de travail effectif des temps d'habillage et de déshabillage. Jusqu'à présent, ces heures pouvaient être rémunérées mais ne pouvaient être incluses dans le temps effectif. Pourquoi revenir sur des dispositions conventionnelles ? Pourquoi compliquer encore les choses ?

Votre projet, qui n'est que poudre aux yeux, ne sera pas appliqué, et vous le savez. Votre majorité ne se grandit pas en adoptant des dispositions aussi contraignantes et aussi détachées des réalités de l'entreprise. Quand l'idéologie prend le pas sur le pragmatisme, c'est la France qui perd et les Français qui en paient le prix.

Voilà pourquoi il est inutile de poursuivre la discussion sur ce texte et je vous demande de voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Goulard - Le groupe Démocratie libérale se retrouve totalement dans les arguments développés par M. Mariani. Nous rejetons dans son principe même l'idée d'imposer dans toutes les entreprises, quels que soient leur secteur d'activité, leur taille et leur organisation, une réduction autoritaire du temps de travail. Une telle mesure, qui leur est invisible ainsi qu'à leurs salariés et à l'économie dans son ensemble, n'aura pas d'effets positifs sur l'emploi. Pour ces raisons, nous voterons la question préalable qui mettrait fin à l'examen d'un texte malvenu (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Bernard Accoyer - M. Mariani a exposé avec brio et le dynamisme dont il est coutumier une multitude d'arguments pour lesquels l'adoption de la question préalable s'impose. Il a notamment démontré que ce sont les salariés qui feront les frais des 35 heures. Ils sont inquiets pour le maintien de leur pouvoir d'achat, comme en attestent les nombreux mouvements sociaux en cours, pour l'avenir de leur emploi surtout dans les entreprises soumises à la concurrence internationale. Ils s'inquiètent également des calculs compliqués liés à l'existence désormais de SMIC à plusieurs niveaux, au temps partiel, autant de dispositifs dont ils pressentent les conséquences redoutables. Les entreprises, dont le seul tort sera d'être implantées en France seront soumises à de nouvelles conditions qui les pénaliseront. Quant au financement des 35 heures lui-même, il menace notre système de protection sociale tout entier. En effet, toute mesure qui a un impact négatif sur les salaires en a aussi sur les éléments de la protection sociale, qui ne sont que du salaire différé. Enfin, le montage financier prévu, dont nous n'avons d'ailleurs eu connaissance que très tardivement, détourne les finances sociales. Au contraire, l'aménagement-réduction du temps de travail, librement négocié dans les branches et dans les entreprises dans le cadre d'un partenariat social renouvelé, aurait été la bonne voie, la seule. Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Le groupe UDF également, car il partage l'essentiel des arguments exposés par M. Mariani.

J'insisterai à cet instant plus particulièrement sur trois points. Tout d'abord, il est profondément choquant que la seconde loi remette en question les accords signés en vertu de la première loi : salariés et chefs d'entreprise, qui ont parfois négocié des jours durant pour y parvenir, se sentent floués. Vous appelez de vos v_ux le renouveau du dialogue social et vous commencez par l'assassiner !

Ensuite, ce sont effectivement les salariés qui souffriront le plus des 35 heures, en particulier ceux d'entre eux qui ne touchent que de petits salaires. Lassés de se serrer la ceinture, ils ont envie de profiter eux aussi des fruits de la croissance. Laissons aux salariés le choix de travailler moins s'ils le souhaitent mais aussi autant, voire davantage pour gagner davantage si tel est leur souhait. Dans nombre d'entreprises, certains protestent contre le gel des salaires.

Enfin, vous limitez le temps de travail des cadres à 217 jours par an. Mais cela ne résout rien. Beaucoup, notamment parmi les plus jeunes, ont peur de devenir, en contrepartie de quelques jours de congés supplémentaires, taillables et corvéables à merci.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. François Goulard - L'opposition continuera à dire et redire combien elle rejette les conceptions qui sous-tendent la réduction autoritaire du temps de travail. Loi après loi, lecture après lecture, et quelle que soit l'exaspération que Mme la ministre a parfois feint d'ignorer, qui n'a d'ailleurs d'égale que la nôtre lorsque nous l'entendons proférer des contre-vérités, nous persévérerons.

La théorie selon laquelle la réduction imposée du temps de travail peut permettre de créer des emplois n'a strictement aucun fondement économique.

M. Yves Cochet - C'est faux.

M. François Goulard - Absolument pas. Le travail n'est pas la denrée rare que vous croyez et que l'on pourrait partager par la contrainte. Son offre est seulement limitée à long terme par les excès de la réglementation, le poids des impôts et le niveau parfois trop élevé des taux d'intérêt. Elle est surtout très sensible à court terme à la croissance.

Aucun pays étranger ne s'est engagé sur la voie d'une réduction autoritaire du temps de travail.

Mme la Ministre - Si, Monaco !

M. François Goulard - Exemple intéressant ! Aucun gouvernement, pas même socialiste -a fortiori ceux qui ne le sont pas- n'a emprunté cette voie. Il est donc dérisoire, Madame la ministre, de vous voir désespérément rechercher dans toute la presse nationale et internationale, dans toutes les études publiées ici ou là, un article isolé semblant vanter la voie que vous avez choisie. Marques imperceptibles d'approbation dans un océan de critiques, d'incompréhensions, tout au plus d'indifférence condescendante.

Mme la Ministre - Quel sens des nuances !

M. François Goulard - Non, c'est exactement ce que vous faites. Vous avez cité une seule étude, un seul article à l'appui de votre démonstration, les seuls à défendre vos choix parmi les milliers qui paraissent aujourd'hui sur le thème de l'emploi.

L'amélioration de la situation de l'emploi, hors astuces, d'ailleurs dénoncées par la presse récemment...

Mme la Ministre - Lesquelles ?

M. François Goulard - Vous savez parfaitement lesquelles. Un article du Point titrait sur votre traitement statistique du chômage. Il est indéniable que des créations d'emplois sont imputables à la croissance (Murmures sur les bancs du groupe socialiste), mais il est tout aussi indéniable que les chiffres sont manipulés.

Mme la Ministre - Non, c'est faux.

M. François Goulard - Les radiations administratives des fichiers de l'ANPE ont augmenté de 43 % en un an (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme la Ministre - Ces personnes ont retrouvé du travail.

M. François Goulard - Non, il y a aussi des trucages.

Certes, les emplois sont bien imputables à la croissance mais celle-ci n'est pas le fruit de la politique miraculeuse conduite par M. Strauss-Kahn comme certains voudraient le laisser accroire. La croissance est repartie d'abord dans les pays les plus libéraux comme les Etats-Unis puis s'est propagée au reste du monde grâce à la libéralisation des échanges et à la mondialisation que d'aucuns ici décrient. Une part de la croissance s'explique également par l'essor des nouvelles technologies.

Les nouvelles technologies de l'information, que le Gouvernement se targue parfois d'avoir encouragées, sont le facteur déterminant de la croissance mondiale. Or elles sont les filles de la déréglementation du secteur des télécommunications. Sans dérégulation, Internet ne se serait pas développé (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, et du groupe RCV ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Les monopoles empêchent le développement des réseaux et chacun sait que France Télécom fait obstacle au développement d'Internet par le biais d'une politique tarifaire inadaptée. Alors s'il est vrai que la croissance est aujourd'hui à l'_uvre, bien qu'elle soit en France plutôt moins forte qu'ailleurs...

Mme la Ministre - Il faut oser le dire !

M. François Goulard - ...j'ose dire qu'elle est née aux Etats-Unis et qu'elle s'est ensuite propagée : telle est bien la réalité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

De même, le passage aux 35 heures ne correspond pas à un choix voulu par une majorité de Français.

Mme la Ministre - On verra bien !

M. François Goulard - Avant 1997, il n'était jamais apparu que la réduction du temps de travail soit une revendication prioritaire des Français et elle se situait en tout cas loin derrière la revendication salariale. Or vous avez fait le choix du temps libre contre celui du revenu.

M. Yves Rome - C'est faux !

M. François Goulard - La réduction du temps de travail entraîne au mieux la modération des salaires mais le plus souvent une perte de revenu, liée notamment au nouveau régime des heures supplémentaires. Tel est votre choix. Ce n'est pas celui des Français. Car de ce choix découle une organisation du travail plus contraignante, avec l'annualisation et le travail le week-end. En échange des 35 heures, vous imposez aux salariés une organisation du travail moins favorable.

Vous avez également choisi de durcir et de rendre plus complexe encore la réglementation du travail, qui était déjà, dans notre pays, plus lourde qu'ailleurs. La plupart des experts voient dans cette complexité un obstacle sérieux à l'emploi. Or elle atteint, avec votre seconde loi, des sommets. Il en va ainsi du régime des heures supplémentaires qui ne prévoit pas moins de douze contingents annuels suivant l'effectif de l'entreprise ou l'année pour la période 2000-2004.

Mme la Ministre - Mais il n'y en aura qu'un par entreprise.

M. François Goulard - Soit, mais qu'en sera-t-il d'une entreprise qui franchira le seuil de 20 salariés entre 2000 et 2002 ? Les chefs d'entreprise ont, Madame la ministre, autre chose à faire que de déchiffrer les arcanes de la réglementation. Au moins quatre taux de majoration des heures supplémentaires sont distingués et je vous laisse imaginer, comme Mme Boisseau l'a très justement rappelé, les difficultés très pratiques que cela ne manquera pas de susciter dans l'établissement des feuilles de paie. Trois types d'affectation des majorations pour heures supplémentaires sont également prévus, de même que trois catégories de cadres. Enfin, l'accès aux aides financières censées compenser la hausse du coût horaire du travail obéit à cinq modes d'approbation.

Plus complexe, notre droit du travail est également durci sous l'effet des 35 heures avec les nouvelles contraintes qui pèsent sur les heures supplémentaires, la nouvelle définition du temps de travail effectif, le régime des 44 heures sur 12 semaines ou le nouveau décompte à hauteur de 1 600 heures de la durée annuelle, qui constitue à droit constant un recul par rapport à ce qui découlerait de la stricte application des 35 heures. Un autre exemple significatif du durcissement du code du travail est la disposition, introduite par voie d'amendement, qui impose avant de déposer un plan social, de rechercher de manière «loyale et sérieuse» un accord en vue d'une réduction négociée du temps de travail.

Ce projet introduit également de façon durable une incertitude juridique qui sera pénalisante pour les entreprises, suspendues aux décisions de la Cour de cassation.

Vous prétendez, Madame la ministre, accorder toute sa place à la négociation. Mais en réalité, les accords ne sont censés intervenir qu'après que la loi a tout fixé. Il ne s'agit en fait que de compliquer la vie des entreprises. J'en veux pour preuve la mise en place de l'annualisation, le régime des heures supplémentaires, les incidences pour les cadres et pour la formation, l'annualisation du temps partiel, l'organisation du travail intermittent ou encore l'accès aux aides financières. Sur ce dernier point, l'allégement des charges qui est partout annoncé sera en réalité partiel, conditionnel et inégalitaire. Il sera partiel parce qu'à l'exception des salariés qui perçoivent 1,2 à 1,3 SMIC, les aides qui relèvent du nouveau régime seront sensiblement inférieures à la hausse du coût horaire du travail.

M. Bernard Accoyer - Très bien !

M. François Goulard - L'allégement sera aussi conditionnel et soumis de surcroît à des critères qui ne relèvent pas de la responsabilité directe des entreprises. Le choc des 35 heures risque ainsi de fragiliser les entreprises qui seront écartées des mécanismes d'allégement.

Il est, enfin inégalitaire dans ses modalités d'attribution comme dans son financement. La dépense supplémentaire de 120 milliards qu'il induit pèsera de manière inégalitaire sur les entreprises françaises et risque d'entraîner des distorsions de concurrence lourdes de conséquences économiques.

Vous avez bénéficié, dans le cadre de la première loi d'un contexte favorable car elle s'est adressée aux entreprises qui pouvaient créer des emplois grâce à la RTT. Mais vous serez aujourd'hui confrontée aux difficultés de toutes les autres, à la pénurie de main-d'_uvre à laquelle elles devront faire face, à la baisse de leur productivité, aux conflits nés des désillusions qu'elles devront affronter. Que se passera-t-il dans les entreprises qui dépassaient déjà l'horaire légal de 39 heures ? Vont-elles par miracle respecter les 35 heures ? Qu'adviendra-t-il pour les très petites entreprises de moins de vingt salariés ?

M. le Président - Veuillez conclure.

M. François Goulard - J'en viens au secteur public et je suis tenté de vous dire, pour paraphraser Boris Vian, que vous êtes, Madame la ministre, bon apôtre. Alors que vous imposez les 35 heures à l'économie marchande, vous n'en parlez pas pour le secteur public. Certes, le coût budgétaire de la mesure vous conduit à la différer. Mais croyez-vous qu'elle soit gratuite pour les entreprises ?

Cette loi alourdit une réglementation qui n'en avait pas besoin et restreint encore les espaces de liberté. Or la sagesse devrait conduire le législateur à laisser aux partenaires sociaux plus de marge pour négocier. Les entreprises comme les salariés ont besoin de liberté. Certains, par exemple, préfèrent travailler davantage pour gagner plus. Il y a une contradiction fondamentale entre cette conception et l'évolution de la société et de l'économie qui ont besoin de plus de souplesse et non d'un carcan réglementaire et législatif. Espérons que le paroxysme ainsi atteint dans la volonté de tout réglementer en sera aussi l'ultime manifestation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Yves Rome - La politique économique et sociale de la nouvelle majorité et du Gouvernement de Lionel Jospin est parvenue à redonner consistance et crédibilité à l'action de l'Etat, notamment face au problème endémique du chômage.

Les gouvernements précédents, partagés entre l'autoritarisme et l'impuissance, avaient au contraire montré leur incapacité à réformer notre société. La croissance était en panne, le chômage et les déficits publics ne cessaient de croître. Cela nous a même valu une dissolution...

Cette politique dépressive et déprimante a cédé la place, dès juin 1997, à une action déterminée, optimiste, confiante dans la société qui porte aujourd'hui ses fruits.

M. Bernard Accoyer - Voilà qui n'est pas schématique...

M. Yves Rome - Au regard tant de l'économie que du social, l'instance politique a retrouvé toute sa place mais rien que sa place.

En fixant pour priorité absolue à l'ensemble du Gouvernement de lutter contre le chômage et contre l'exclusion, le Premier ministre a courageusement rompu avec le fatalisme ambiant.

M. Gérard Bapt - C'est vrai !

M. Yves Rome - Il a redonné de la consistance à l'action gouvernementale et de l'espoir aux Français.

Mme la Ministre - Absolument !

M. Yves Rome - Mais en sollicitant les collectivités locales dans la bataille pour l'emploi des jeunes, en impliquant les partenaires sociaux dans la réduction du temps de travail, la nouvelle majorité de gauche a compris et démontré que l'action de l'Etat a des limites que la société pleinement mobilisée ne connaît pas. Les résultats obtenus en à peine plus de deux ans sont édifiants. «Tous les indicateurs français sont au vert» titrait récemment un grand quotidien. Les prévisions de croissance sont révisées à la hausse, les exportations progressent, la consommation des ménages est soutenue.

M. François Goulard - Merci l'OMC...

M. Yves Rome - Le soutien de la croissance, la réduction du temps de travail et les emplois-jeunes ont permis de créer 400 000 emplois depuis le début de l'année. Pendant ce temps, l'investissement des entreprises progressait de plus de 7 %.

Ce dynamisme retrouvé de l'économie française, qui n'avait pas connu une telle embellie depuis plus de quarante ans...

Mme la Ministre - Eh oui !

M. Yves Rome - ...ne semble pourtant pas avoir été perçu par les responsables du MEDEF ni par l'opposition. Les uns et les autres se satisfont de postures partisanes dans le débat des 35 heures qui nous préoccupe encore aujourd'hui (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Sous l'impulsion de votre ami M. Seillière, le parti de l'entreprise conduit une entreprise de parti plus politicienne que citoyenne visant à combattre par tous les moyens la réduction du temps de travail, au mépris des principes les plus élémentaires de la démocratie. Non contentes de prôner l'immobilisme social, les instances dirigeantes du MEDEF n'hésitent pas, pour faire pression sur la représentation nationale et le Gouvernement, à menacer de démolir le paritarisme qui fonde notre système de protection sociale depuis 50 ans.

La promesse d'une nouvelle mi-temps après le vote du Parlement fait évidemment sortir le MEDEF de sa mission d'organisation patronale et l'oblige à jouer un jeu partisan bien dangereux. Si l'Etat, le mouvement syndical et nombre d'entrepreneurs ont parfaitement assumé leur rôle, le MEDEF est en revanche sorti de son rôle, encouragé par la vacuité des propositions de l'opposition.

Alors que cette réforme appelle, plus que toute autre, au dialogue, à la négociation, à l'innovation, les élus de l'opposition ont adopté une attitude crispée et figée, empreinte de catastrophisme à l'Assemblée et véritablement catastrophique au Sénat.

Pendant la première lecture, la droite, influencée en cette fin de millénaire par les plus sombres prédictions de Nostradamus n'a eu qu'une vision apocalyptique du passage aux 35 heures. La majorité sénatoriale, quant à elle, à l'instar de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, a écrit, sans bien le réaliser, le petit bréviaire d'une société ultra-libérale dans laquelle le législateur lui-même s'interdirait de légiférer.

Sous prétexte de la libre négociation du fort au faible, le Sénat a taillé en pièces le projet adopté par notre assemblée, qui entend, au contraire, promouvoir une société régulée où l'Etat n'abdique pas son rôle.

Selon les propos du apporteur du Sénat à la commission mixte paritaire, la Haute Assemblée a procédé à une opération de nettoyage juridique qui s'apparente à une véritable mise à mort du droit du travail.

Bien sûr, ces turpitudes se drapent des atours de la vertu et se dissimulent derrière la prétendue conviction que la réduction du temps de travail ne permettra pas de créer d'autres emplois que ceux résultant de la simple croissance économique. Mme Boisseau vient encore de tenter de le démontrer, sans beaucoup de conviction.

Une enquête avait d'ailleurs été diligentée pour donner des bases scientifiques à ces a priori idéologiques. Mais elle a au contraire révélé que la réduction du temps de travail laissait espérer la création de 400 000 emplois supplémentaires d'ici 2005. C'est l'arroseur arrosé...

La conviction soudaine des sénateurs que le salut viendrait de la négociation sociale est plus que suspecte. Les crispations actuelles du MEDEF démentent clairement un tel optimisme de cette vision de ceux qui ne prônent en fait que le laisser-faire-laisser-aller social.

Les sénateurs, qui ont le goût du paradoxe, ne sont pas contre la réduction du temps de travail, mais ils suppriment dans la loi le principe de l'abaissement de la durée légale du travail ainsi que tous les articles qui le prolongent. La droite parlementaire est donc partagée entre l'absence de proposition à l'Assemblée et la proposition d'absence au Sénat... Nos concitoyens, qui se mobilisent pour imposer la réduction du temps de travail, jugeront.

Pour ce qui la concerne, la majorité plurielle aura à c_ur de ne point modifier l'économie générale du texte qu'elle avait adopté en première lecture.

Le réveil du mouvement social sur le thème de l'emploi et du temps de travail est en quelque sorte l'hommage rendu au législateur qui a assumé pleinement ses responsabilités, sans confisquer le débat.

Certes, l'innovation peut dérouter ceux qui font l'apprentissage, à la faveur de cette réforme, de la négociation sociale et de la défense d'intérêts collectifs. Je pense bien évidemment aux cadres, qui n'auraient rien à espérer du durcissement de la loi mais qui ont tout à gagner à la négociation.

Comme l'affirme l'Union confédérale des cadres CFDT, «l'architecture globale du texte est satisfaisante». Il appartient désormais aux partenaires sociaux de réaliser les finitions et de planter le décor de l'entreprise moderne, qui préférera le dialogue à la concertation, l'intégration à l'exclusion, le partage à la confiscation, rejetant à la fois le catastrophisme du prétendu parti de l'entreprise et l'impuissance des partis de l'opposition.

C'est par la mobilisation de tous les acteurs de l'entreprise, communauté humaine de création et de production, que nous construirons une société plus efficace parce que plus solidaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Au nom du groupe RPR, je sollicite une brève suspension de séance.

La séance, suspendue à 22 heures 55 est reprise à 23 heures 5.

M. Maxime Gremetz - Réduire le temps de travail sans diminuer les salaires et en créant des emplois, c'est un grand projet de société et de civilisation, urgent, nécessaire et moderne !

Libérer du temps pour se cultiver et se distraire, pour participer à la vie associative, être avec sa famille et exercer pleinement sa citoyenneté ; lutter contre le chômage et la précarité en créant des emplois stables et correctement rémunérés ; réorganiser le travail pour améliorer les conditions de travail et donner la parole, en même temps que des droits nouveaux, aux salariés : tel est l'esprit dans lequel nous avons voté ce projet en première lecture.

Notre démarche a alors été d'améliorer et d'enrichir la loi, pour en permettre une application plus efficace. Rien d'étonnant à ce que la droite conservatrice...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Et réactionnaire !

M. Maxime Gremetz - ...Rien d'étonnant à ce que cette droite ait, après l'avoir tenté à l'Assemblée, bouleversé le texte au Sénat, pour coller aux souhaits du MEDEF !

La commission des affaires sociales est fort heureusement revenue à la philosophie progressiste de cette loi et nous nous réjouissons que des amendements que nous avions proposés se retrouvent maintenant dans ce texte : je pense notamment aux modifications apportées au chapitre VIII, «Développement de la négociation et allégement des cotisations sociales», afin de subordonner l'octroi de l'aide financière à la conclusion d'un accord collectif et à la création ou à la préservation d'emplois. L'accord devra indiquer le nombre d'emplois créés ou préservés dans un délai d'un an. Des moyens nouveaux sont donnés aux syndicats et aux représentants du personnel pour obtenir la suspension ou la suppression des aides dans le cas où l'accord ne serait pas respecté. Un bilan annuel sera soumis au Parlement pour lui permettre d'apprécier l'utilisation des fonds publics et leur effet sur l'emploi. Le comité d'entreprise sera informé des aides dont bénéficie l'entreprise et une instance paritaire de suivi sera installée dans chaque entreprise.

Cette conditionnalité est ce qui a déterminé le vote du groupe communiste en première lecture.

Une autre grande avancée a été faite avec l'adoption du principe majoritaire. En effet, la seconde loi impose, pour l'obtention des allégements de cotisations sociales, la signature d'un syndicat ou de syndicats ayant recueilli la majorité des voix des salariés aux élections professionnelles. C'est une mesure que nous avions proposée lors de l'examen de la première loi et qui, selon nous, donne un point d'appui solide aux organisations syndicales dans la conduite des négociations.

D'autres progrès substantiels ont été obtenus sur la durée du temps de travail effectif, du travail posté, du travail du dimanche. L'abattement de 30 % pour le temps partiel est supprimé pour les nouveaux contrats, le comité d'entreprise devra être consulté en cas de changement d'horaire, les salariés mandatés pourront bénéficier d'une formation... Mais ne détaillons pas un catalogue : consacrons-nous plutôt à de nouvelles améliorations pour cette deuxième lecture.

Au terme de la première, certaines dispositions, non négligeables, méritent d'être rediscutées pour rester fidèle aux objectifs annoncés par le Gouvernement dès 1997. C'est dans cet esprit constructif que nous présentons nos amendements, inspirés par les premières infractions dont nous avons fait état lors de l'explication de notre vote en première lecture. Nous avions cité quatre points essentiels : les cadres, le régime des heures supplémentaires, les fonctions publiques, et le financement. Depuis des évolutions sont intervenues affectant nos propositions.

Concernant le financement, nous étions fortement opposés aux prélèvements sur la sécurité sociale et l'UNEDIC. Nous avons été nombreux à protester et nous nous félicitons que le Gouvernement nous ait entendus.

Lors de la discussion de la loi du 13 juin 1998, à notre initiative, la question de la réduction du temps de travail dans les fonctions publiques a été posée. Bien sûr, il ne s'agit pas ici de réglementer : nous proposons donc que, chaque année, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en _uvre de la réduction du temps de travail dans ces secteurs. Mon ami Bernard Birsinger y reviendra.

Quant au régime des heures supplémentaires, il est un frein à la réduction réelle du temps de travail puisque les périodes transitoires et d'adaptation reculent d'autant l'application effective de la loi. Dès 1997, le Premier ministre, exposant son programme, avait annoncé le passage aux 35 heures sans perte de salaire. La première loi devait ménager une transition pour donner le temps aux entreprises d'ouvrir des négociations et de prendre des mesures adaptées à leur situation. Elles ont donc eu tout loisir de s'organiser.

Nous persistons à proposer la suppression du prélèvement de 10 % sur la majoration de 25 % des heures supplémentaires comprises entre la trente-cinquième et la trente-neuvième heure. Cette ponction, opérée sur la part qui revient normalement au salarié, alimenterait un fond destiné à financer les aides attribuées au titre de la réduction du temps de travail. Ainsi, paradoxalement, les heures supplémentaires des salariés non soumis à un accord serviraient à financer les 35 heures. Les salariés des entreprises qui n'auraient pas conclu d'accord, seraient ainsi doublement pénalisés.

S'agissant des cadres, dès la première lecture, nous avions fait part de notre désaccord concernant l'article 5, sur lequel nous avions demandé un scrutin public. Nous renouvellerons cette demande.

Les manifestations de cadres se sont multipliées pour protester contre les dispositions de cet article. Les intéressés réclament le maintien d'un décompte horaire. Plusieurs confédérations, CGT, CGC, FO, CFTC et certaines fédérations CFDT ont rédigé des déclarations communes pour refuser le forfait jour sans référence horaire. En l'état actuel du texte, les cadres pourraient être contraints de travailler 2 800 heures par an au lieu de 1 600 pour les autres salariés.

La définition, trop floue, des différentes catégories de cadres, permettrait de soumettre au forfait 4 millions de salariés. Les cadres s'élèvent contre les dépassements d'horaires gratuits qui s'apparentent à un travail dissimulé. Les dispositions prévues légaliseraient tous les abus. A l'inverse, les 35 heures pour les cadres dégageraient des milliers d'emplois.

Comme tous les groupes parlementaires, nous avons été sollicités par les différents syndicats sur cette question. Nous avons décidé de redéposer des amendements conformes à la volonté des cadres ainsi qu'à notre désir d'utiliser la réduction du temps de travail pour lutter contre le chômage et pour améliorer les conditions de travail de tous les salariés.

Cela dit, le projet dont nous débattons peut être amélioré sur de nombreux autres points. 

Ainsi, en première lecture, à la suite de l'émotion suscitée par l'annonce simultanée d'un résultat semestriel en hausse de 20 % et de 7 500 licenciements chez Michelin, nous avons adopté un amendement à l'article premier dit «amendement Michelin», qui oblige l'employeur à conclure un accord de réduction du temps de travail préalablement à l'établissement du plan social. Malheureusement, le texte ajoute : «ou, à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un tel accord». Cet ajout ôte toute portée à la première disposition. Nous réitérons donc notre proposition de supprimer ce membre de phrase. Les récentes déclarations de la direction Michelin qui engage des négociations sur le réduction du temps de travail, «sérieusement et loyalement», dit-elle, sans pour autant renoncer aux licenciements, nous confirment dans l'idée que cette modification s'impose.

D'autre part, pour contrecarrer la logique absurde, qui fait du travail un coût qu'il faudrait impérativement abaisser, nous avons déposé au printemps une proposition de loi sur les licenciements pour motif économique qui renforce les moyens d'interventions des salariés, des élus locaux et des entreprises sous-traitantes. En attendant que le Gouvernement la soumette à notre examen, nous vous proposons d'adopter des amendements qui nous ont été suggérés par les salariés du site Wolber Michelin, pour rendre plus efficace le contrôle exercé par le juge sur le licenciement économique et, en cas de licenciement abusif, pour mieux réparer le préjudice subi par les salariés en prévoyant notamment leur réintégration.

Tous les groupes de la majorité se sont engagés à voter cet amendement, conforme à l'exigence que les salariés, la population de Soissons et tous les élus ont exprimée cet après-midi encore lors de la manifestation qui a eu lieu dans cette ville.

J'en viens à l'article 15, qui traite de la modification du contrat de travail, consécutive à un accord de réduction du temps de travail.

La modification du contrat de travail est une notion qui a été précisée par la jurisprudence, selon laquelle un salarié ne peut s'opposer à une clause plus favorable. Nous approuvons donc le premier paragraphe de l'article qui dit que «la seule diminution du nombre d'heures... ne constitue pas une modification du contrat de travail»

A l'inverse, actuellement, un employeur qui modifie un contrat de travail, doit justifier sa décision par un motif économique et le salarié qui refuse la modification est alors licencié pour motif économique. A ce titre, il peut bénéficier d'une convention de conversion et de propositions de reclassement.

Si la modification concerne au moins dix salariés pour une période de 30 jours dans une entreprise d'au moins 50 salariés, il s'agit d'un licenciement collectif pour motif économique impliquant l'application d'un plan social.

Or, en vertu de l'article 15, le licenciement sera considéré comme «un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique». Ainsi, l'accord relatif à la réduction du temps de travail aura peut-être évité quelques licenciements mais les salariés qui auront refusé une modification, forcément moins favorable, de leur contrat de travail, ne bénéficieront pas des garanties liées aux licenciements pour motif économique, qu'ils soient individuels ou collectifs. Nous défendrons donc des amendements destinés à éviter une telle situation.

Nous sommes convaincus que les salariés aspirent à une réduction du temps de travail mais restent sceptiques quant à son application. Il est vrai que le passage aux 35 heures a trop souvent servi de prétexte pour remettre en cause des acquis et pour imposer une flexibilité sans contreparties réelles. Tout cela explique que les salariés revendiquent le passage aux 35 heures tout en le redoutant.

M. le Président - Il vous faut conclure.

M. Maxime Gremetz - ...L'application du principe majoritaire améliorerait considérablement cette situation. Nous proposons d'étendre ce principe aux accords de branche afin qu'un syndicat minoritaire ne puisse engager tous les salariés. Rappelons que dans les entreprises de moins de 50 salariés les accords de branche sont d'application directe. Des millions de salariés risquent ainsi de se voir imposer des accords dont les clauses ne les satisfont pas. Les mouvements sociaux qui se sont amplifiés au cours des dernières semaines en témoignent. Les mots d'ordre déplorent le manque d'effectifs, les licenciements ou la dégradation des conditions de travail. Il est indispensable de démocratiser les entreprises. Nous proposons de prendre les élections prud'homales comme référence pour mesurer l'influence réelle des syndicats.

Nous sommes tout à fait favorables à la négociation mais elle n'est pas une fin en soi. Le plus important reste le résultat, qui doit correspondre à la volonté majoritaire des salariés.

Nous avons aussi déposé un amendement tendant à favoriser la prise du repos dominical pour les salariés du commerce alimentaire tout en limitant la concurrence des grandes surfaces de distribution afin de mieux protéger le commerce de proximité.

D'autre part, ce projet a le mérite de mieux préciser la durée effective du temps de travail. Nous y incluons les pauses, la restauration, l'habillage et le déshabillage. Dans quelques cas particuliers de professions soumises à des normes de sécurité sanitaire très strictes, la loi peut prévoir une dérogation, pour une partie de l'habillage et du déshabillage, par accord de branche signé entre les employeurs et les organisations syndicales majoritaires. Le Gouvernement refuse, semble-t-il, de retenir cette proposition. A défaut, nous pourrions nous rallier à un amendement du rapporteur, qui propose des contreparties financières ou sous forme de repos. Dans ce cas, je proposerai un sous-amendement pour étendre ces contreparties dans les conventions et accords de branche et d'entreprise.

Nous réaffirmons notre attachement à la réduction du temps de travail. Je citerai, pour conclure, L'Humanité, journal préféré de Mme la ministre : «L'efficacité de la réduction du temps de travail sur l'emploi dépend de son ampleur et des modalités de sa mise en _uvre. L'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi n'est ni mécanique ni illusoire : il est conditionnel». Nous en sommes convaincus et nos amendements en tiennent compte (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - La deuxième lecture d'un texte offre une occasion précieuse de délibérer sans dogmatisme, loin des passions et des pressions médiatiques, de rectifier le tir pour tenir compte d'observations de portée pratique, telles celles des sénateurs, dont la grande expérience est toujours profitable lorsque la loi, comme c'est le cas aujourd'hui, est complexe. Hélas ! c'est une occasion manquée, car le Gouvernement et sa majorité n'en ont pas profité pour résoudre les difficultés apparues, qu'il s'agisse du SMIC, des cadres, des heures supplémentaires ou du sort des accords de branche.

Ce faisant, il a officialisé le dynamitage du dialogue social, et n'a renoncé à son racket sur les organismes paritaires qu'au prix d'une ponction supplémentaire sur les alcools et les tabacs, comme s'il invitait les Français à boire et à fumer plus pour financer les 35 heures, et comptait sur la diminution de leur durée de vie pour réduire d'autant celle de leur retraite...(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Le Sénat a tenté de redonner un sens au mot «négociée», qui suit indûment «réduction» dans le titre du projet. S'il y a des clauses contraires à la loi, n'est-ce pas justement le propos de ce projet que d'ajuster la loi ? La création d'une conférence nationale pour le développement de la négociation collective aurait permis de retisser les fils de la confiance perdue, mais vous l'avez refusée.

Non seulement tous les problèmes signalés demeurent, mais certaines difficultés jusqu'ici cachées apparaissent au grand jour. En particulier, le bilan triomphal de la première loi ne résiste pas à l'examen : les 86 000 emplois annoncés ne sont plus que 30 000, dont la moitié est due à un effet d'aubaine selon le ministère lui-même, et 70 % selon les organismes consulaires. Toujours selon le ministère, la moitié des salariés prétendument embauchés travaillait déjà dans l'entreprise, sous statut précaire. Cette déprécarisation apparente ne menace-t-elle pas l'emploi en fragilisant les entreprises, dont la seule variable d'ajustement sera le licenciement ? Le cas de l'entreprise Groupe choletais de la chaussure n'est pas pour nous rassurer.

A ce maigre bilan, il faut encore soustraire les emplois détruits. M. Carvalho avait bien raison de dire que la loi ne créerait pas d'emplois, et les salariés sont en train de découvrir qu'ils paient cher cette prétendue réduction du temps de travail. Nous avions dénoncé la baisse du pouvoir d'achat engendrée par celle des heures supplémentaires et par le gel des salaires, la flexibilité à outrance, la remise en question des pauses conventionnelles et de certains avantages : une salariée d'une grande surface d'Angers s'est en effet aperçue que ses soins dentaires lui étaient moins bien remboursés désormais, et qu'il lui en coûtait 4700 F, soit près d'un mois de salaire ! Les salariés avaient cru que les 35 heures leur seraient payées 39, et s'ils avaient su ce qu'il en serait, s'ils avaient su que c'était la croissance et non la réduction du temps de travail qui créait des emplois, ils auraient négocié autrement.

Quant aux chefs d'entreprise, ceux qui ont signé des accords sont ceux qui avaient les moyens de le faire, mais ils ne sont qu'une faible minorité, surtout parmi les patrons de PME. Et parmi celles que leur taille condamne à passer aux 35 heures au 1er janvier prochain, je vous citerai l'exemple d'un centre anticancéreux soumis au budget global, qui va devoir embaucher des femmes de service dont il n'a pas besoin, à seule fin de toucher des aides de l'Etat, en espérant que les médecins de la vieille génération, ceux qui n'ont pas l'habitude de travailler en regardant leur montre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), n'auront pas la mauvaise idée de prendre leur retraite trop tôt ! La situation n'est pas meilleure dans les caisses primaires, qui manquent déjà de personnel et se voient imposer, outre les 35 heures, la gestion de la CMU. Mais c'est dans les entreprises de moins de vingt salariés que les difficultés seront les plus grandes ; pour l'heure, aucune solution concrète n'est en vue qui ne se chiffre en milliards.

Et puis il faudra bien en arriver au sujet qui fâche : je veux parler de l'application des 35 heures aux trois fonctions publiques. Comment leur faire comprendre, en effet, qu'elles sont exclues d'une mesure d'ordre public social - pour reprendre la logomachie chère à notre rapporteur ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous avez ouvert une boîte de Pandore qui ne se refermera qu'avec votre capitulation. Ce n'est pas demain que les prélèvements obligatoires baisseront !

Le temps, a dit M. Le Garrec, nous départagera. Il a déjà tranché sur deux points : la loi n'a pas créé d'emplois et n'a bénéficié qu'aux privilégiés, à ceux dont les employeurs pouvaient se permettre de passer aux 35 heures et peuvent vous appeler, Madame la ministre, «Mère Noël» -voyez que je féminise les titres... (Sourires) Vous comprendrez que le groupe RPR ne puisse voter votre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Yves Cochet - Je commencerai par situer notre discussion dans un cadre à la fois historique et géographique. Quatre visions types du travail coexistent dans nos têtes. La première est une vision libérale-chrétienne, selon laquelle le travail est un apostolat du point de vue moral et un coût à réduire du point de vue économique ; elle était en vigueur au XVIIIème siècle, et existe encore aujourd'hui.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Et dans la Grèce antique ?

M. Yves Cochet - Je ne remonterai pas jusque-là : tout mon temps de parole y passerait... (Sourires)

Au XIXème siècle est apparue la vision marxiste, communiste, du travail libérateur, qui permet à l'homme de maîtriser la nature. Elle est également présente aujourd'hui, comme l'a montré le discours de M. Gremetz.

Notre siècle a vu se développer la vision - que l'on peut appeler sociale-démocrate, «Etat-providentialiste» ou encore keynésienne- du travail comme système de distribution des revenus, des statuts et des prestations.

Reste la quatrième vision, que j'aurai l'immodestie d'appeler «verte», et qui fait du travail une activité humaine parmi d'autres, pas forcément la plus intéressante (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il est en effet d'autres activités, qui n'obéissent pas à une logique économique, mais à celle de l'épanouissement gratuit de soi : par la lecture, la réflexion, la vie privée, sociale, associative, syndicale, politique. Ce sont elles que nous devons encourager grâce à la réduction du temps de travail. Ce sont précisément tous ces temps hors travail que la réduction du temps de travail doit permettre de développer.

Voyons maintenant quelle est la forme politique de partage du travail choisie dans les différents pays. En France, alors que le PIB a augmenté de 60 % entre 1974 et 1999, le nombre d'heures travaillées a diminué de 12 % tandis que la population active sur le marché du travail s'est accrue de 15 %. On nous oppose souvent les modèles japonais et américain où en effet, le taux de chômage est inférieur à 5 %. Mais au Japon, les femmes travaillent très peu et ne sont pas comptabilisées dans la population active. Aux Etats-Unis, un quart de la population active, les «working poors» évoqués tout à l'heure par Jean le Garrec, vit en-dessous du seuil de pauvreté. Serions-nous prêts à payer ce prix pour que le chômage recule ? Non. Dans notre pays, existe une autre forme de partage du travail : d'un côté, des travailleurs à 100 %, de l'autre, des chômeurs à 100 %. Il n'existe pas de chômage structurel : il suffit de modifier le partage du travail.

Et à cet égard, heureusement, est arrivée Mme Aubry (Sourires). Elle a d'emblée posé que, pour réussir, la réduction du temps de travail devrait être à la fois rapide, massive et générale. Rapide, elle le sera puisque le passage aux 35 heures sera effectif le 1er janvier 2000. Massive, elle le sera puisque l'horaire hebdomadaire légal sera réduit de 10 %. Générale, enfin, elle le sera également puisqu'elle sera organisée par la loi.

Le seul parti de droite, organisé et influent, à mener le débat sur les 35 heures est le MEDEF, Madame Bachelot-Narquin. Il a une conception bien définie du temps de travail et de son partage. En réalité, il est favorable au chômage. C'est d'ailleurs pourquoi il est défavorable à la réduction du temps de travail qui fera diminuer celui-ci. Pour ma part, convaincu que le passage aux 35 heures permettra de créer des emplois, je m'oppose au MEDEF. La première loi sur les 35 heures a déjà donné des résultats tangibles, je ne doute pas que ce sera aussi le cas de la seconde, surtout si elle est amendée dans le sens où nous le souhaitons. Et j'espère qu'au 1er janvier 2003, 500 000 emplois auront pu être préservés ou créés grâce à la réduction du temps de travail.

Demeurent toutefois quelques problèmes. Le principal concerne les cadres au forfait. Il n'y a aucune raison qu'ils n'aient pas droit eux non plus à une réduction de 10 % de leur temps de travail. Comme ils travaillent en moyenne 230 jours par an, il faut descendre pour eux à 207 jours. Nous avons déposé un amendement en ce sens. Il n'est pas impossible, comme l'ont d'ailleurs fait valoir certains syndicats de cadres que nous avons rencontrés la semaine dernière, de comptabiliser leur temps de travail en heures même s'il peut être intéressant pour eux de forfaitiser en jours par an ou de passer à la semaine de quatre jours. Reste à choisir le méthode de cette comptabilité : déclaration des intéressés eux-mêmes, badgeuse, accord d'entreprise. Quoi qu'il en soit, un maximum hebdomadaire de 48 heures doit être aussi fixé pour eux. Cela est tout à fait possible puisque leur sont déjà garanties par exemple, comme à tous les salariés, 11 heures de repos consécutives par jour. Nous avons également déposé un amendement à ce sujet.

Nous présenterons au total 22 amendements dont certains touchent à des aspects sociétaux : synchronisation des temps sociaux, respect du repos dominical car il est important que tous les salariés puissent se retrouver ensemble un jour donné de la semaine, autorisations d'absence pour permettre aux grands malades de pouvoir se soigner, transposition en droit interne de la directive de 1993 relative au travail de nuit. Nous aurons l'occasion de revenir en détail sur tous ces points lors de l'examen des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Hervé Morin - La France peut-elle avoir raison contre tous ? C'est le seul pays occidental à avoir choisi la voie d'une réduction autoritaire du temps de travail... à l'exception de Monaco ! Ni l'Espagne, ni l'Italie, ni la Grèce, ni l'Allemagne, ni les Pays-Bas ni les pays scandinaves n'ont ainsi décidé d'abaisser de façon générale la durée du travail.

M. Yann Galut - Ils vont y venir !

M. Hervé Morin - La conséquence de votre obstination sera une perte mécanique de compétitivité pour nos entreprises et l'entreprise France en général. Si certaines entreprises y gagneront, beaucoup se trouveront en difficulté puisqu'il leur faudra produire au même prix avec des coûts directs et indirects en hausse.

Certains pays européens ont néanmoins réduit la durée du travail...

M. Yves Cochet - Les Pays-Bas.

Mme la Ministre - L'Allemagne, la Belgique.

M. Hervé Morin - Certes, mais de façon totalement différente. Ainsi dans la métallurgie allemande, une discussion a eu lieu entre les partenaires sociaux sans nulle intervention ni aide financière de l'Etat. Les pays scandinaves, eux, ont favorisé les formes individuelles de réduction du temps de travail décidées entreprise par entreprise et non par la loi.

La méthode autoritaire que vous avez choisie est d'autant plus malvenue que l'instauration de la monnaie unique nous prive du pouvoir monétaire de compenser les effets négatifs de la réduction du temps de travail. Le pacte de stabilité nous prive aussi de marges de man_uvre budgétaires et de possibilités de relance autonomes pour contrer les effets négatifs d'une baisse de compétitivité. Bref, la France va se trouver isolée au sein de l'Union européenne.

Enfin, notre pays peut-il avoir raison contre ses concitoyens eux-mêmes ? Ceux-ci se rendent compte désormais des conséquences du passage aux 35 heures. Libération titrait il y a peu : «35 heures : Chaud sera l'hiver». Et d'énumérer les mouvements sociaux à La Poste, à Radio France, à France Télécom, dans les grands magasins, les banques, parmi les cadres...

M. Yann Galut - Ces salariés veulent les 35 heures !

M. Hervé Morin - Non, ils se rendent compte qu'elles vont signifier pour eux contraintes supplémentaires, flexibilité accrue, perte de pouvoir d'achat, disparités de traitement aussi...

M. Yann Galut - Précisément, ils se mobilisent en faveur de véritables 35 heures porteuses de progrès.

M. Maxime Gremetz - Je relève, Monsieur Morin, que vous soutenez ces mouvements (Sourires).

M. Hervé Morin - Des experts nous l'avaient expliqué en commission. Le coût du passage aux 35 heures serait compensé pour un tiers par les aides de l'Etat, un autre tiers par les gains de productivité et de compétitivité, ce qui suppose une flexibilité accrue, un dernier tiers, enfin, par le gel du pouvoir d'achat. Les Français l'ont compris maintenant.

J'en viens au financement de la réforme. Jamais aucune n'aura été aussi mal financée. Dans un article à paraître, M. Dupeyroux qualifie le fonds que vous avez créé de «fourre-tout hétéroclite» en même temps qu'il qualifie votre texte «d'une complexité accablante». Vous allez faire appel à la taxe sur les tabacs, à l'écotaxe, à la contribution sur les bénéfices, au financement de l'Etat, à la taxe sur les heures supplémentaires, aux droits sur les alcools... Vous avez mis en place une véritable tuyauterie...

M. Bernard Accoyer - Siphonnage !

M. Hervé Morin - Le financement est d'autant moins bien assuré que de nombreux experts évaluent le coût de l'allégement des charges non pas à 110 ou 120 milliards mais à 150 ou 160. Dans son rapport, M. Cahuzac reconnaît d'ailleurs lui-même que des garanties restent à trouver sur le financement et que l'équilibre reste incertain du fait du tarissement prévisible de certaines recettes, telles la taxe sur les heures supplémentaires ou l'écotaxe. De même, la contribution sur les bénéfices ne constitue pas une ressource stable car son rendement dépend du niveau de la croissance. Dans les prochaines années, nous serons donc confrontés au problème du financement des 35 heures et de la couverture maladie universelle !

J'en viens au passage aux 35 heures dans les grandes entreprises nationales du secteur public où la RTT a été octroyée sans négociation, pour faire du nombre et donner l'exemple. Les accords conclus sont très ambitieux puisqu'ils portent à la fois sur les conditions de travail, l'amélioration du service rendu et le maintien de la compétitivité tout en se proposant de créer des emplois. De ce fait, le président de la SNCF, lequel expliquait en 1998 qu'il fallait supprimer 1 500 emplois pour maintenir l'équilibre en annonce aujourd'hui la création de 25 000. De même à La Poste, où il fallait supprimer 4 000 emplois par an, on n'en supprime plus aucun !

Je crains que ces entreprises ne se trouvent à nouveau entraînées dans la spirale de l'endettement, des réductions d'emploi et de l'affaiblissement du service public.

Dans ce secteur essentiel, le passage aux 35 heures aura des effets d'autant plus néfastes que ses salariés sont traditionnellement très attachés au maintien des droits acquis. Nous risquons donc d'y voir se développer des grèves très importantes comme cela n'a pas manqué de se produire à la Poste, à la SNCF ou à France Télécom.

Je soutiens donc une fois encore que la RTT est déjà une loi du passé car on ne peut pas dire aux Français «vous allez travailler moins» alors qu'ils devront demain travailler plus longtemps pour financer leurs régimes de retraite. Il y a là une véritable forfaiture (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Nos compatriotes comprendront bientôt qu'ils ont été trompés (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Gérard Terrier - Cette loi sur la RTT constitue une avancée sociale très importante. Selon la volonté du Premier ministre, elle doit être une loi «pour les salariés» et non une loi «contre les entreprises».

Il y a donc un équilibre à trouver et je concède que la voie est étroite. L'équilibre reste en droit du travail difficile à mesurer. En effet, des messages perturbateurs tendent à le rompre, à l'image de ceux du MEDEF qui mène contre ce texte une campagne politique.

La difficulté tient aussi à la complexité inhérente à ce texte, parfois difficile à comprendre.

M. Bernard Accoyer - Incompréhensible !

M. Gérard Terrier - Non, complexe et les salariés, en effet, ne mesurent pas toujours les avancées sociales qu'il permet de réaliser. De plus, si nous souhaitons très majoritairement le changement, nous sommes souvent inquiets lorsqu'il intervient.

Par delà ces difficultés, nous sommes très satisfaits de la place qui est donnée à la négociation car qui saurait mieux que les acteurs de l'entreprise trouver les solutions les plus pertinentes ? Les accords intervenus dans le cadre de la première loi ont d'ailleurs montré la richesse d'imagination des salariés.

Ce texte se propose de réconcilier l'économie et le social : la réglementation fixe le cadre et la négociation l'adapte aux intérêts de l'entreprise. De plus, nous avons été conduits à légiférer parce que la représentation patronale des grandes entreprises n'apportait aucune solution aux évolutions de nos sociétés. Débarrassées du dogme patronal, les petites entreprises savent trouver d'excellents accords, quels que soient leur a priori sur la RTT. S'il reste, dans le cadre de ce nouvel examen, quelques «réglages» à trouver, nos amendements y contribueront. Je pense notamment au statut des cadres qui bénéficie pour la première fois d'une définition juridique prenant en compte les mutations intervenues dans les dernières années.

Nous sommes convaincus de votre volonté de voir les cadres bénéficier de la RTT car si tel n'était pas le cas, l'injustice serait flagrante. Nous y reviendrons dans le cadre de l'examen de l'article 5 et nous saurons trouver des réponses aux attentes de cette catégorie de salariés qui n'a pas encore mesuré l'apport de cette loi.

Ainsi, ce grand projet saura trouver dans notre pays tout l'écho qu'il mérite (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Delnatte - La version idyllique des 35 heures est loin de correspondre à la réalité, tant il est vrai que la méthode choisie -uniformité et autoritarisme- est peu adaptée à la grande diversité des entreprises. S'agissant, à titre d'exemple, de l'industrie textile-habillement-cuir, le secrétaire d'Etat à l'industrie a présenté la semaine dernière une situation préoccupante : baisse du chiffre d'affaires, quasi stagnation de la consommation, perte de 8 300 emplois au premier semestre, baisse des prix et disparition des marges. Toute la filière et toutes les régions sont concernées.

La Banque de France de Roubaix-Tourcoing vient de livrer les chiffres de l'année 1998, en même temps que les tendances de l'année 1999 et avec 1 000 emplois perdus en trois ans, les perspectives ne sont pas bonnes.

Le textile subira de plein fouet l'application des 35 heures, au moment même où le plan Borotra cesse de faire jouer ses effets bénéfiques.

La Banque de France note que «le passage aux 35 heures et la menace d'un remboursement des allégements de charges exigé par Bruxelles handicapent encore un peu plus une industrie déjà mal en point».

Or il y a actuellement dans la confection toute une série de petites sociétés qui licencient ou qui disparaissent dans l'indifférence générale. Le Gouvernement ne peut se résoudre à cet inexorable déclin. Alors, Madame la ministre, quelles mesures de sauvetage sont-elles envisagées pour ces industries ? Quelles mesures de reconversion pour ces bassins d'emplois qui n'en finissent pas de souffrir ?

Le Gouvernement est-il prêt à introduire des dispositions visant à plus de souplesse et éventuellement à accorder un report dans l'application des 35 heures ?

L'exemple du textile contredit bien l'argumentation du Gouvernement sur les 35 heures. En effet, les 35 heures créent-elles des emplois ?

Il est difficile d'y voir clair : les effets d'aubaine, ou de substitution, comme les emplois administrés rendent peu crédibles les chiffres de créations d'emplois annoncés de façon péremptoire. Les statisticiens publics dénoncent eux-mêmes «les manipulations» de chiffres publiés par votre ministère.

Par ailleurs, les 35 heures stimulent-elles le dialogue social ? Il est bien difficile de l'affirmer lorsqu'on sait que la seconde loi va rendre caducs une centaine d'accords de branche. Actuellement, on constate une prolifération des conflits sociaux et des grèves provoqués par les 35 heures. Il est vrai qu'il n'est pas facile de passer de l'illusion à la réalité...

Avec les 35 heures, les salariés seraient gagnants ? Mais ils voient les heures supplémentaires, élément constitutif du salaire, remises en cause et leur pouvoir d'achat menacé. Parallèlement, leurs conditions de travail se durcissent et la flexibilité nuit à leur qualité de vie.

Avec les 35 heures, les entreprises seraient gagnantes ? Mais l'allégement des charges sociales n'est pas aussi évident que vous le dites, Madame la ministre.

M. Maxime Gremetz - Oh !

M. Patrick Delnatte - Au niveau du SMIC, le surcoût est de 2 000 F et de 1 637 F à 1,1 fois le SMIC.

J'ai rencontré des employeurs qui s'étaient engagés avec confiance dans le système Robien et qui ont déchanté en raison de la baisse de motivation de leurs salariés.

Avec les 35 heures, la France serait gagnante ? Mais le risque de délocalisation à l'étranger des productions se précise, en particulier pour les industries de main-d'_uvre.

Pour financer les 35 heures, il vous a fallu non seulement créer de nouveaux impôts mais aussi jongler avec les comptes sociaux. Pour ne pas ponctionner directement la sécurité sociale, vous avez détourné une partie du produit de la taxe sur les alcools jusqu'à présent destinée au fonds de solidarité vieillesse, ainsi que le prélèvement sur l'épargne jusqu'alors affecté aux branches famille et vieillesse. Et le financement des 35 heures est loin d'être assuré pour le futur puisqu'il passera de 65 à 110 milliards dès 2001. Encore une bombe à retardement...

Des intentions aux faits, des illusions aux réalités, l'écart se creuse.

Nous n'acceptons pas les 35 heures obligatoires et généralisées qui fragilisent le contrat social et le progrès économique, piliers du progrès social (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Bernard Birsinger - Le groupe communiste participe pleinement à l'élaboration d'une loi aussi importante, demandée depuis des années par le mouvement social et demeure attaché à ce que la réduction du temps de travail soit étendue aux fonctions publiques.

Le mouvement «rapide et massif», est-il aussi «général», Monsieur Cochet, dès lors que 5 millions de salariés sont laissés de côté ? Pour réussir, ce projet ambitieux doit mobiliser toutes les catégories de salariés. Comment relever le défi de l'emploi sans engager la fonction publique et ses 5 millions de salariés, dont le rôle a toujours été déterminant dans les avancées.

Lors des négociations engagées par leur ministre de tutelle, les fonctionnaires et leurs syndicats ont redit leur volonté d'une loi cadre organisant la réduction du temps de travail et permettant d'améliorer le service public rendu aux usagers ainsi que les conditions de travail et de créer des emplois. Les conditions de travail s'aggravent en effet dans de nombreux services publics et, malgré le dévouement des personnels, le service rendu aux usagers s'en ressent. Dans les villes de Drancy et Bobigny, dont je suis député, les habitants ressentent le besoin de plus de médecins et d'infirmières dans les hôpitaux et dans les écoles, de plus d'agents municipaux en poste dans les quartiers, de plus d'îlotiers, de plus de fonctionnaires proches de leurs concitoyens. Oui, cette loi peut contribuer de manière décisive à l'amélioration des services publics.

Les collectivités locales emploient 1,8 million de fonctionnaires. Leurs difficultés budgétaires bloquent souvent le passage aux 35 heures avec création d'emplois. Pourquoi d'anciens services publics privatisés comme l'eau ou l'assainissement bénéficieraient-ils d'aides d'Etat qui ne sont pas accordées quand les services publics sont maintenus ? Pire, avec les ponctions sur la masse salariale au titre des cotisations obligatoires, les créations d'emplois publics sans aide de l'Etat sont pénalisées. Soixante-dix pour cent des maires de France souhaitent, au-delà des clivages politiques, que l'Etat donne aux collectivités les moyens de réduire le temps de travail.

Refuser les aides à la création d'emplois pour les secteurs et les services publics, c'est en fait pousser à l'instauration de la réduction du temps de travail au détriment des conditions de travail et des servies rendus, ou par une augmentation des impôts. C'est aussi mettre en péril l'unicité de la fonction publique.

Le 2 novembre dernier, le ministre de la fonction publique répondant à mon ami Jean Vila, affirmait sa volonté de résorber les heures supplémentaires et la précarité, mais indiquait que la finalité première de cette loi n'est pas la création d'emplois. Il convient pourtant de voir la part prise par les fonctions publiques dans la bataille pour l'emploi. Ainsi, le plan emplois-jeunes doit sa réussite aux villes, aux départements, à la police ou à l'éducation nationale. Si le Gouvernement donne aux collectivités territoriales les moyens financiers de passer aux 35 heures, ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui seront créés. La croissance permet aujourd'hui de répondre aux attentes des fonctionnaires et de la population et de promouvoir le service public.

Si ce projet ne peut relever tous les défis auxquels sont confrontés les secteurs publics et les fonctions publiques, le groupe communiste souhaite vivement que cette seconde lecture soit l'occasion d'intégrer les trois fonctions publiques dans le processus de réduction du temps de travail. Il en va de la réussite des 35 heures, qui est notre objectif commun (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - Les échéances du passage obligatoire aux 35 heures se rapprochant, les tensions sociales augmentent dans le secteur privé et même le secteur public, qui n'en est pourtant qu'à la phase de concertation, connaît déjà de nombreux mouvements de grève.

Vous avez jusqu'à présent bénéficié des effets de la croissance. Mais cette dernière peut aussi réveiller les ardeurs revendicatives des salariés qui veulent bénéficier des fruits de la croissance. Hélas, la perspective des 35 heures ne leur laisse pas beaucoup d'espoir... Les cadres sont inquiets.

En effet, l'application autoritaire et uniforme des 35 heures est en totale inadéquation avec les réalités internes des entreprises qui, face à une concurrence mondiale accrue, doivent réaliser des gains de productivité. Or l'allégement des charges jusqu'à 1,8 SMIC ne compensera pas intégralement la hausse du coût du travail.

Le recours accru aux heures supplémentaires qu'entraîne le passage autoritaire aux 35 heures, coûtera fort cher aux entreprises et privera nombre de salariés d'une source de revenus supplémentaires.

Votre système est inéquitable puisqu'une différence de 10 % de bonification des heures supplémentaires pénalisera ceux dont l'entreprise n'a pas pu passer aux 39 heures. Et ces 10 % abonderont le fonds de financement des 35 heures. Il y a quand même un certain cynisme à faire financer les 35 heures par des salariés qui ne peuvent en bénéficier...

Les entreprises n'auront ainsi d'autre recours pour demeurer compétitives que de geler les salaires. C'est d'ailleurs ce qu'annoncent déjà la plupart d'entre elles alors que les salariés veulent légitimement préserver leurs acquis sociaux.

En 4 ans, le nombre des salariés payés au SMIC a augmenté de 50 %. Votre politique d'allégement ciblée et ses effets de seuils contribueront au tassement de la grille des salaires vers le bas.

L'article 16 de votre projet provoquera également une rupture d'égalité entre les salariés payés au SMIC, notamment entre ceux qui réduisent leur temps de travail et qui bénéficient à ce titre du complément différentiel de salaire et ceux pour lesquels la réduction avait été anticipée et qui seront rémunérés sur la base des heures effectives. Comment gérez-vous de telles distorsions de traitement entre salariés ?

Les entreprises de moins de 20 salariés qui seront restées aux 39 heures indépendamment de leur volonté, se verront pénalisées par rapport à leurs concurrentes de plus de 20 salariés, qui, dès janvier 2000, pourront percevoir les aides et les exonérations de charges patronales prévues. Comment les petites entreprises, confrontées à une pénurie de main-d'_uvre que relevait récemment le directeur général de l'ANPE pourraient-elles préserver leurs parts de marché ?

Des initiatives sont indispensables et nous présenterons donc un amendement visant à différer de deux ans le passage aux 35 heures dans ces secteurs, en attendant que des jeunes soient formés. Il serait à cet égard souhaitable que le dispositif des PRDF soit réactivé car il est propre à inciter les entreprises à s'investir dans la formation.

Il faut de même aider les salariés et les demandeurs d'emploi à s'adapter aux besoins des entreprises. C'est tout le problème de la formation professionnelle que j'avais posé en première lecture et sur lequel j'aimerais des éclaircissements, la discussion au Sénat ne m'ayant pas apporté toute l'information souhaitée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

J'insisterai ce soir sur deux points. En premier lieu, votre projet ne comportait aucune disposition relative aux contrats de formation en alternance et à l'effet qu'aura sur eux la durée annuelle moyenne du travail. Y a-t-il eu évolution à ce sujet pour la deuxième lecture ?

D'autre part, je regrette que nous légiférions sur l'articulation entre temps de formation et temps de travail alors qu'une réforme globale nous est promise pour très bientôt.

Cependant, l'instauration du co-investissement me paraît aller dans le bon sens. La commission a amélioré le dispositif en réaffirmant l'obligation de formation à la charge de l'employeur. Pour autant, des imprécisions demeurent : la distinction entre l'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi, qui serait prise sur le temps de travail effectif et le développement des compétences, qui pourrait être organisé en dehors du temps de travail, me paraît être une source de conflits stérilisants. L'association française des banques vient ainsi d'être condamnée par le tribunal de grande instance de Paris, pour un accord qui autorisait à imputer une partie du temps de formation sur le temps de travail. Ne pourrait-on explorer d'autres pistes, comme de donner au salarié la possibilité d'utiliser un compte d'épargne temps-formation, en fonction de son ancienneté et des heures supplémentaires ?

Par ailleurs, les mesures «de rechange» que vous avez prises pour financer les 35 heures vont priver le fonds de solidarité vieillesse d'une part de ses ressources. Vous faites un peu plus reposer le financement de la réduction du temps de travail sur la taxation des heures supplémentaires, dont le produit dépendra du nombre d'entreprises restées à 39 heures ! N'est-ce pas pour le moins paradoxal que vous soyez ainsi obligée d'espérer que ces dernières seront assez nombreuses pour que la loi s'applique ?

Au début, cette loi avait soulevé un certain enthousiasme chez les salariés. Aujourd'hui, le vent a tourné et, comme les entreprises, les salariés ont compris qu'ils seront perdants. C'est pourquoi l'UDF ne votera pas ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Bernard Accoyer - C'est seulement pour cette deuxième lecture que nous avons eu connaissance des modalités selon lesquelles sera -partiellement- financé le surcoût dû à la réduction du temps de travail. Quel gouvernement démocratique oserait dissimuler aussi longtemps au Parlement une information aussi essentielle ? Madame le ministre, vous, vous avez osé ! Vous avez même modifié ce financement la veille de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale !

Désormais, la situation est claire : à partir d'un postulat faux, le Gouvernement assène de vrais mensonges. Qui, en effet, peut croire «que l'on pourrait travailler moins en gardant le même salaire et la même protection sociale qui n'est qu'une forme de salaire différé» ?

Par quel miracle les Français pourraient-ils, sans conséquences sur leur niveau de vie, leur pouvoir d'achat, leur protection sociale et leur retraite, travailler moins que tous les autres peuples ? Même si, à la question, complaisamment mise en avant par le Gouvernement, «Voulez-vous travailler moins et gagner autant ?», ils répondent positivement, ils savent que le Gouvernement leur ment. Au reste, les conflits sociaux témoignent qu'ils connaissent la gravité du sort qui les attend.

Cette loi aura inéluctablement des conséquences sur les salaires, sur le pouvoir d'achat, sur les conditions de travail -les cadres particulièrement sont inquiets à ce propos-, sur la liberté de faire des heures supplémentaires, sur l'équité dans le travail, sur la pérennité des emplois -certaines entreprises ont déjà délocalisé leur production- et sur les entreprises elles-mêmes, car malgré les assertions du Gouvernement, le coût du travail va croître, les allégements partiels de charges et l'aide, qui n'aura de pérenne que le nom, étant loin de compenser le supplément de charges.

Vous allez en outre confisquer le champ du dialogue social, qui est administré et étatisé ; vous remettez en cause les accords conclus dans 121 branches professionnelles, touchant potentiellement 11 millions de salariés. Vous alourdissez les charges salariales, car les baisses nouvelles ne concernent que les salaires compris entre 1,3 et 1,8 SMIC, par douze volumes annuels d'heures supplémentaires, deux modes de calcul de ces heures, quatre taux de majoration et trois types d'affectation de ces majorations, deux modes de paiement et trois sortes de repos compensateur, soit 1 728 combinaisons différentes !

M. Germain Gengenwin - Bravo !

M. Bernard Accoyer - L'introduction d'une garantie salariale pour les salariés à temps partiel se référant au SMIC pour 39 heures, il y aura autant de SMIC horaires que d'horaires pratiqués, et n'en doutons pas, de recours contentieux.

Des conséquences, ce texte en aura aussi sur le financement de la protection sociale. Si le Gouvernement a renoncé à ponctionner l'UNEDIC, il n'a pas pour autant renoncé à prélever sur les recettes des finances sociales : 5,6 milliards de taxe sur les alcools sont en effet détournés du fonds de solidarité vieillesse, ainsi que la moitié du produit de la taxation de l'épargne auparavant destinée à la CNAF et à la CNAV. La pompe est ainsi amorcée, le coût des 35 heures devant passer dès 2001 de 65 à 110 milliards, il reste inévitable qu'on assiste à une hausse de ces prélèvements à la source sur les finances sociales.

N'oublions pas, enfin, les conséquences sur les consommateurs et sur l'agriculture, les mécanismes de formation et prix faisant intégralement peser sur les producteurs le coût des 35 heures et, notamment, de la TGAP étendue aux produits phytosanitaires.

Ces dispositions sont iniques. Elles taxent le travail au nom de la protection de l'environnement sans améliorer celle-ci allant même jusqu'à faire financer les 35 heures par les agriculteurs qui font plus de deux fois les 35 heures par semaine, toute l'année !

Et que dire de l'application des 35 heures aux travailleurs saisonniers de l'agriculture, au mépris des impératifs agronomiques et climatologiques ?

La croissance mondiale masque les effets de vos décisions, mais si les 35 heures cassaient cette croissance ?

Rappelez-vous aussi ce qui est advenu à vos prédécesseurs, MM. Rocard et Bérégovoy, et les déficits abyssaux qu'ils ont laissé 100 milliards en 1993 pour la sécurité sociale et 330 milliards pour les comptes publics !

Les entreprises qui se sont déjà engagées dans les 35 heures sont celles qui, se trouvant en situation de croissance, ont profité de l'effet d'aubaine. Celles qui seront contraintes de les imiter dans quelques semaines cumulent, pour la plupart, les difficultés. Pourquoi aggraver celles-ci et refuser de valider les accords déjà conclus ? Pourquoi refuser la souplesse indispensable à de multiples secteurs, des transporteurs routiers jusqu'aux entreprises faisant appel à une main-d'_uvre qualifiée ?

La réduction du temps de travail dans le secteur concurrentiel conduit évidemment à la réduction du temps de travail dans les fonctions publiques. Comment allez-vous arbitrer entre la durée du temps de travail hebdomadaire et la durée du travail au cours de la vie active ? Votre immobilisme coupable sur les retraites se retourne contre vous. Il vous faudra bien ouvrir le débat. Comment en effet les seuls salariés du secteur concurrentiel pourraient-ils à la fois supporter 11,4 % de surcoût des salaires des fonctions publiques, une réduction de dix trimestres de la durée des cotisations vieillesse et donc la charge de deux ans et demi supplémentaires de retraites, dont le montant est de surcroît estimé à environ 10 % de plus que le leur ?

La réduction autoritaire du temps de travail, après avoir été une promesse électorale, est pour vous devenue un dogme alors qu'elle devrait être librement négociée avec les salariés et les entreprises. Elle aurait pu alors être un des instruments de modernisation de nos rapports sociaux et, plus encore, des conditions sociales offertes aux salariés pendant leur vie professionnelle.

Nous avions là l'occasion d'un renouveau social, propice à un développement de l'intéressement et de la participation. Au contraire, vous confisquez le dialogue social, vous censurez les accords de branche, vous remettez en cause le paritarisme. C'est à quoi nous nous opposerons, en attendant de pouvoir reconstruire l'édifice que vous aurez mis à mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Odile Saugues - Les quelques semaines qui se sont écoulées entre la première et la seconde lecture ont été particulièrement intéressantes ! Plusieurs esprits éclairés ne sont-ils pas venus nous dire, par presse interposée, que l'aménagement et la réduction du temps de travail relèvent davantage des rapports entre les partenaires sociaux que de la loi, et nous rappeler qu'en Allemagne, la situation était différente ? Cela ne nous avait pas échappé. Mais, si la tradition allemande est ainsi faite, c'est que le rapport de forces y est suffisamment équilibré pour que les pouvoirs publics puissent se tenir en retrait, en position d'arbitre, et ce même si l'actualité récente montre qu'ils s'autorisent parfois à intervenir dans le domaine économique.

La tradition française est différente, et la simple incitation à la négociation a eu des résultats décevants, pour ne pas dire nuls.

On peut le regretter mais notre devoir est de trouver des solutions.

Il fallait donc légiférer, en ménageant un espace suffisant à la négociation, ce que fait le présent texte. Grâce aux aides de l'Etat, les entreprises sont incitées à ouvrir des négociations pour appliquer la nouvelle durée légale du travail.

Bien sûr nous connaissons tous des chefs d'entreprise qui ne souhaitent pas recevoir d'aides de l'Etat et entendent passer aux 35 heures sans recueillir l'accord des organisations syndicales, ni même les consulter. Ceux-là n'auront donc pas droit aux allégements, mais ne pourront pas non plus présenter un plan social.

C'est une incitation supplémentaire à ouvrir des négociations dans les entreprises de plus de 50 salariés. Depuis la première lecture du projet, nous avons du reste observé quelques évolutions intéressantes chez certains grands patrons, qui envisagent enfin autrement leurs interlocuteurs, qu'ils soient représentants des salariés ou législateurs. J'ai ainsi noté avec intérêt des propos de l'un d'entre eux annonçant dans un quotidien qu'il fallait «dépoussiérer son entreprise».

Ces chefs d'entreprise vont ainsi sortir, d'un coup, du XIXème siècle et découvrir que la démocratie sociale est une richesse, un atout pour l'entreprise...

Ouvrir des négociations sérieuses et loyales dans le but de parvenir à un accord, c'est admettre que la réduction du temps de travail peut permettre de sauver des emplois, reconnaître le rôle des organisations syndicales, et accepter de rechercher avec elles des solutions, plutôt que de réserver ses annonces stratégiques aux seuls actionnaires financiers.

Ouvrir des négociations sérieuses et loyales dans le but de parvenir à un accord, cela signifie que la négociation doit être réelle et non pas formelle, comme le prévoyaient déjà la loi du 13 novembre 1982 sur la négociation collective et la circulaire du 25 octobre 1983. Autrement dit, l'ordre du jour et les revendications des organisations syndicales devront être examinés de manière approfondie. Des propositions et des contre-propositions doivent être formulées et analysées.

Ouvrir des négociations sérieuses et loyales dans le but de parvenir à un accord, avant la présentation de tout plan social, constitue un progrès que le groupe socialiste a inscrit dans ce projet.

La majorité de gauche plurielle s'est retrouvée pour défendre cette disposition, que la droite sénatoriale s'est empressée de supprimer. Je me félicite des propos tenus, au Sénat, par la présidente du groupe communiste, Mme Hélène Luc, qui a pris la mesure de ce progrès indéniable (Sourires sur les bancs du groupe du RPR).

Il nous faudra rétablir cette avancée sociale telle que nous l'avions adoptée à mon initiative en première lecture. Les salariés qui attendent depuis près de deux ans l'ouverture de négociations sur les trente-cinq heures dans de grandes entreprises, ne comprendraient pas qu'une disposition de bon sens soit retardée plus longtemps.

Il faudra cependant tenir compte des sociétés qui sont en redressement judiciaire. Il ne s'agit pas d'introduire dans le code du travail une disposition qui ignorerait les réalités économiques.

Un autre événement mérite d'être souligné, car il suscite un débat légitime, même s'il ne concerne pas directement la réduction du temps de travail.

En octobre dernier, les juges des prud'hommes d'Amiens se sont prononcés sur la légitimité d'un plan social au regard de la situation économique d'une entreprise qui dégageait des profits financiers. Ces magistrats, se fondant sur une analyse économique de l'entreprise, ont estimé que sa compétitivité n'avait pas décliné au point de menacer sa sauvegarde et que «les coûts élevés du travail ne peuvent pas constituer un motif économique justifiant la mise en _uvre d'un plan social».

Si elle était confirmée, cette décision constituerait un progrès indéniable, car, jusqu'à présent, les juges refusaient de se prononcer sur le motif économique d'un plan social, et elle satisferait de nombreux salariés, désireux qu'un regard extérieur soit porté sur des décisions économiques, industrielles et sociales majeures. En tant que législateurs, nous devons suivre ce dossier avec la plus grande attention.

Il convient d'évoquer aussi les mouvements revendicatifs des salariés, qui se sont souvent mobilisés sur la définition du temps de travail effectif.

Sur ce point, le texte adopté en première lecture a clarifié cette question sensible : la réduction du temps de travail doit se faire à périmètre constant. Les pauses comptées hier devront l'être demain... Malgré la difficulté qu'il y a à légiférer en la matière, tant la diversité sociale des entreprises est grande, il fallait le faire pour préserver les acquis sociaux, afin que les salariés puissent mesurer les effets de la réduction du temps de travail. Enfin, la mobilisation des salariés s'explique souvent par les craintes que suscitent l'annualisation ou le temps partiel. Conscients de cette réalité, nous avions retenu le principe de contreparties pertinentes pour les salariés, notion qui figure déjà dans le code du travail. Il me paraît essentiel que ces contreparties soient inscrites dans ce texte, par exemple lorsque l'employeur ne respecte pas le délai de prévenance prévu en cas de modulation.

La loi que nous élaborons doit être un outil de progrès social. Bien sûr, il faudra poursuivre nos efforts pour que la démocratie sociale franchisse vraiment les portes des entreprises et soit pleinement respectée.

Le chantier est immense, car il faut tenir compte de la mondialisation, d'une part, de la précarité de l'emploi, d'autre part. Cette démarche doit s'accompagner, impérativement, d'un contrôle accru sur les aides publiques accordées aux entreprises et d'un renforcement des moyens et des missions de l'inspection du travail, notamment en cas de plans sociaux financés par l'Etat.

Ce chantier doit être ouvert en France, en Europe, et même au-delà des limites de l'Union européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Vidalies - Nous n'avions aucune illusion sur le sort que la majorité conservatrice du Sénat réserverait à un projet de progrès social destiné à moderniser les relations du travail.

La Haute assemblée n'a pas failli à sa réputation en adoptant un texte auquel il ne manque que la signature du président du MEDEF pour authentifier sa seule source d'inspiration (Protestations sur les bancs du groupe UDF).

Il est du reste intéressant de connaître ainsi la politique que la droite proposerait aux Français.

Devant notre assemblée, en première lecture, la démarche de l'opposition était difficile à identifier malgré un amendement du groupe RPR autorisant la modulation à la seule initiative de l'employeur, sans négociation ni contrepartie pour les salariés (Mêmes mouvements). Cette proposition a été reprise par le Sénat à l'article 3, qui organise l'annualisation sans garanties pour les salariés.

La majorité de droite du Sénat veut également permettre aux employeur de conclure, jusqu'au 1er janvier 2001, des contrats de travail intermittents, en l'absence d'accords collectifs ou encore assouplir le régime des équivalences, dont l'objectif est exactement opposé à la réduction du temps de travail ! Mais si la droite est tellement convaincue du caractère désastreux du passage aux 35 heures, qu'elle annonce clairement son programme pour les futures échéances électorales : retour aux 39 heures, modulation à la seule initiative de l'employeur ; flexibilité sans contrepartie (Protestations sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Notre commission a proposé, pour l'essentiel, le retour au texte adopté en première lecture. Nous approuvons la modification apportée à la prise en compte du temps d'habillage et de déshabillage. L'essentiel est que les négociations s'engagent à décompte constant du temps de travail effectif.

En ce qui concerne les cadres, notre commission a reconnu le caractère dérogatoire du forfait en heures en ouvrant le droit d'opposition prévu à l'article L. 132-26 du code du travail, ce qui autorise les organisations syndicales ayant obtenu la majorité des électeurs inscrits à remettre en cause la validité de l'accord.

La question principale reste celle du forfait en jours.

Si son extension aux VRP semble relever de l'évidence, en revanche, son application aux itinérants non-cadres suscite une interrogation légitime. Ne faut-il pas craindre ses conséquences notamment pour les jeunes techniciens spécialistes des nouvelles technologies, dont l'essentiel de l'activité se déroule chez le client, ou encore pour les employés des services commerciaux dont on considérera a priori que l'horaire de travail ne peut être prédéterminé ?

Ce champ d'application trop large n'est pas de nature à apaiser la crainte que l'exception devienne la règle et que le forfait jour s'impose comme le mode normal de recrutement et d'emploi des itinérants.

S'agissant d'un régime totalement nouveau, il semble indispensable, par précaution, d'exclure les non-cadres de son champ d'application. Il existe évidemment une contradiction forte à accepter ce système dérogatoire et à vouloir simultanément réintroduire le respect des maxima hebdomadaires ou annuels de droit commun. Cependant, je ne partage pas l'avis de ceux qui considèrent que, de facto, aucun décompte horaire n'est plus envisageable.

L'intention du Gouvernement n'est évidemment pas de légaliser les 2 800 heures annuelles évoquées par certains, mais ce risque existe et nous devons apporter aux cadres les apaisements qu'ils attendent.

La solution qui avait ma préférence consistait à imposer la référence à un volume maximal d'heures travaillées dans les accords visant les forfaits jours. Mais j'ai noté avec intérêt, Madame la ministre, l'idée que le cadre soumis au forfait jour pourrait, en cas d'abus, saisir le juge d'une demande d'indemnité spécifique. J'espère que le Gouvernement nous soumettra un amendement en ce sens.

Comme toutes les idées neuves, la réduction du temps de travail suscite l'hostilité de principe des conservateurs mais je suis persuadé qu'elle s'imposera rapidement comme une loi de progrès social et de modernisation des relations sociales que les Français porteront au crédit du Gouvernement et de la majorité qui le soutient (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je vous propose d'aller au terme de la discussion générale, ce qui devrait prendre environ trente minutes.

Mme Laurence Dumont - Le mouvement que nous avons amorcé en juin 1998 est aujourd'hui plébiscité par les salariés. Selon un sondage IPSOS d'avril 1999, 91 % des salariés passés à 35 heures sont satisfaits ou très satisfaits. Il en tirent un bénéfice pour leur épanouissement personnel et pour leur vie familiale.

Toutefois, la réduction du temps de travail a aussi, et surtout pour but de réduire le chômage et de relancer le dialogue social et je crois que ce pari est en passe d'être gagné. Les derniers chiffres du ministère du travail indiquent que près de 17 000 accords ont été signés au 31 octobre 1999. Ils ont permis de créer ou de préserver plus de 130 000 emplois, dont 785 dans le Calvados.

Cette seconde loi que nous allons voter encouragera les négociations et contribuera aussi à la création massive d'emplois. Elle améliore les conditions de travail des salariés.

Depuis de nombreuses années, ces derniers servent de variable d'ajustement aux entreprises, en difficulté ou non ; les contrats précaires, l'intérim, le temps partiel, le recours abusif aux heures supplémentaires se multiplient, au mépris de leur vie privée. Désormais, ces pratiques seront plus strictement encadrées, le repos compensateur ne sera plus l'exception mais la règle et le renchérissement des heures supplémentaires favorisera l'embauche. Je regrette, à ce propos, que les heures donnant lieu à repos compensateur ne soient pas intégrées au contingent d'heures supplémentaires et que la règle valable, en cas de refus, pour les salariés à temps partiel ne soit pas étendue à tous. Ces mesures auraient enrichi le texte, comme il l'a été par la suppression de l'abattement des charges sur le temps partiel et par l'exclusion des CDD du bénéfice de l'abattement lié à la réduction du temps de travail.

Je me félicite de l'adoption de l'amendement d'Odile Saugues, qui impose aux entreprises, avant tout licenciement économique, de négocier la réduction du temps de travail, mais les syndicalistes et les salariés que j'ai rencontrés pour leur présenter le projet m'ont demandé ce qu'il fallait entendre par «engager sérieusement et loyalement des négociations» : la jurisprudence sociale de la Cour de cassation est souvent favorable aux salariés, mais pas toujours et il faut parer au danger que l'esprit de cette disposition soit dénaturé.

De même, que faut-il entendre, à l'article premier bis, par «contreparties pertinentes et proportionnelles aux sujétions professionnelles et personnelles imposées» ? Nombreuses sont les entreprises, en effet, où il n'existe pas de représentation syndicale structurée pour veiller à la pertinence et à la proportionnalité de ces contreparties.

Enfin, si le fait de réserver le dispositif d'abattement de charges aux entreprises ayant négocié la réduction du temps de travail constitue une bonne garantie pour les salariés, un doute plane encore sur le sort des entreprises, certes peu nombreuses, qui ont conclu un accord Robien, tels, dans le Calvados, Moulinex et le centre administratif du Crédit lyonnais. Les aides Robien seront-elles reconduites, remplacées par l'abattement Aubry, ou encore supprimées ? Je vous remercie de vos réponses sur tous ces points (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Catherine Picard - Lors de la première lecture, deux visions de la société se sont affrontées : celle d'un accroissement du temps libéré et celle d'une organisation répondant aux seuls besoins des entreprises, sans considération pour ceux des salariés et des chômeurs. La perspective d'une loi réduisant le temps de travail a suscité de grands espoirs et son adoption a apporté de grands motifs de satisfaction, à commencer par la création de droits nouveaux pour les salariés dans l'entreprise.

Les salariés qui viennent de manifester l'ont fait pour améliorer encore le texte et parmi ceux qui expriment le plus fortement leur inquiétude figurent les cadres. La disposition du projet qu'ils critiquent le plus est celle qui instaure un forfait annuel en jours, sans limite horaire journalière. Leur crainte est légitime : imaginons un instant que des employeurs peu soucieux de la santé et de l'équilibre de leurs salariés leur imposent des journées de travail de 13 heures, 217 jours par an ! La loi doit empêcher cette dérive grave, qui irait à l'encontre de l'un de ses objectifs principaux : l'amélioration des conditions de travail et de vie des salariés. La seule solution réside dans la fixation d'une limite horaire, soit par la loi elle-même, soit par la voie conventionnelle, encadrée par la loi pour prévenir les abus.

Les organisations syndicales appellent également notre attention sur d'autres dispositions du projet. La définition du temps de travail effectif a été grandement améliorée en première lecture, grâce à la prise en compte des temps d'habillage et de déshabillage lorsque le port d'une tenue spéciale est nécessaire, ainsi que de certaines pauses de courte durée, pendant lesquelles le salarié est bien à la disposition de son employeur et n'est donc pas maître de son temps. Il faudra néanmoins veiller, sur ce point comme sur d'autres, à ce que l'esprit de la loi soit respecté dans son application.

La seconde loi doit tracer un cadre de négociation et donner aux instances représentatives du personnel les moyens de contrôler la bonne application des accords conclus. Son adoption sera un signal fort dans la direction d'une société de progrès et de justice sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yann Galut - S'il est une décision politique qui concerne chaque Français dans son existence, c'est bien la réduction du temps de travail. Elle inaugurera une ère nouvelle d'embauches massives et de libération du temps, pour le plus grand profit de chacun. L'enjeu est simple : voulons-nous imposer aux employeurs une entière répercussion de la réduction de temps de travail sur les effectifs, ou leur laisser tous les moyens d'imposer sur le terrain le contraire de ce que nous souhaitons ? Le texte qui nous revient du Sénat illustre clairement la volonté de la droite de freiner par tous les moyens la réduction du temps de travail et de développer le plus possible la flexibilité.

La durée du travail, au-delà de 48 heures par semaine, cesse d'être une donnée économique ou sociale pour devenir une question de santé publique, et de nombreuses études montrent que la motivation et la qualité du travail sont en rapport direct avec les conditions et la durée de celui-ci. La logique des 35 heures sans perte de salaire exige que tous les garde-fous qui encadraient hier les 39 heures s'appliquent purement et simplement aux nouveaux seuils, et que la définition du temps de travail effectif soit la moins ambiguë possible.

La catégorie des cadres a connu, en une décennie, une évolution considérable, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Les diplômés des nouvelles générations ont, vis-à-vis de la vie professionnelle, une attitude très différente de celle de leurs aînés, qui se sont donnés sans compter à leur entreprise pour être, au bout du compte, rejetés à 55 ans ou même avant. Ils refusent l'allongement et l'intensification de la présence sur le lieu de travail, et vont parfois jusqu'à réclamer, à la grande surprise de la gauche elle-même, le retour des pointeuses ! Dans d'autres pays européens, dont les entreprises ne sont pas moins prospères que les nôtres, on n'hésite pas à fermer les bureaux à une certaine heure ; il est temps de rompre avec cette tradition française qui fait du temps de présence l'indice privilégié de la qualité du travail ! Le maintien du forfait en jours sans aucune référence horaire serait un recul social. Nous ne pouvons prendre la responsabilité de laisser les cadres travailler 217 jours par an, 13 heures par jour, soit 2821 heures par an.

Par ailleurs, il faut que la réduction du temps de travail s'accompagne d'un accroissement des droits des salariés, et non d'une déréglementation. Nous devons trouver un équilibre entre le contrat individuel et l'accord majoritaire qui s'applique à tous, mais peut comporter des inconvénients jugés inacceptables par tel ou tel salarié. Dans la rédaction actuelle, la modification substantielle du contrat de travail ne serait pas constituée et son licenciement, en cas de refus, serait réputé avoir une cause réelle et sérieuse. Je préconise donc de remplacer le mot «réputé» par le mot «présumé», afin de laisser aux prud'hommes une marge d'appréciation.

Enfin, il serait pour le moins surprenant, au regard de la lutte contre le chômage, de ne pas lier les aides publiques à une obligation chiffrée d'embauche, sous prétexte d'égalité de traitement entre les entreprises et de droit européen de la concurrence.

Je suis persuadé que le débat qui s'ouvre permettra d'améliorer sensiblement un texte qui a vocation à être une vraie conquête sociale pour l'ensemble des salariés de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Pernot - Madame la ministre, c'est en ma personne un cadre du secteur privé qui s'adresse à vous ce soir...

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Un député !

M. Jean-Pierre Pernot - Le Gouvernement et sa majorité ont fait un choix courageux s'agissant du temps de travail des cadres. L'article 5 du projet de loi fixe pour eux à 217 jours le nombre maximal annuel de jours travaillés, ce qui représente dix à quinze jours de congés supplémentaires. Comme le faisait observer l'un d'entre eux, on est passé récemment «du Moyen-Age à la Renaissance» ! Il importe maintenant de préparer l'avenir.

Oui, Madame la ministre, vous avez donné la préférence à une loi d'incitation qui laisse une place prépondérante à la négociation ; vous avez redonné aux syndicats et aux acteurs de l'entreprise la confiance qu'ils n'auraient jamais dû perdre ; vous vous êtes intéressée à la situation de tous les salariés ; vous avez veillé à ce que la réduction de la durée du travail, bénéficie aussi aux cadres, et ce, malgré la difficulté de contrôler leur temps de travail.

Je l'avais déjà indiqué lors de la première lecture, le texte proposé constitue une avancée importante pour les cadres. Celle-ci a provoqué des réactions inattendues et intéressante de leur part. Jusqu'alors plutôt solitaires et indépendants dans leur relation à l'entreprise, ils ont saisi la balle au bond et exprimé leur volonté de s'inscrire dans une démarche collective.

Le texte prévoit un repos minimal de onze heures consécutives par jour, auquel il est impossible de déroger. Il prévoit également que la convention ou l'accord détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit un suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées, et de la charge de travail qui en résulte. Il s'agit là seulement d'un contrôle a posteriori. Je suggère que la convention ou l'accord prévoient aussi une limite a priori pour le volume horaire travaillé.

Il est possible d'avancer encore en laissant aux acteurs le soin de fixer par la négociation les maxima horaires journaliers dans le cadre du forfait jour, que les accords de branche pourraient fixer. Cela serait particulièrement utile pour les cadres les plus jeunes, les plus exposés à des dépassements d'horaires.

Sans remettre en question l'équilibre général du texte, cette disposition, souhaitée par les cadres et leurs représentants, permettra d'améliorer l'organisation du travail de cette catégorie de salariés et assimilés.

Comme vous, Madame la ministre, je suis pragmatique. Ce qui m'importe, c'est l'application de ce texte auquel tous les cadres et assimilés ont à gagner. Que tous les acteurs entrent dans la phase active de la mise en _uvre de ses dispositions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Réduction du temps de travail, progrès social, création d'emplois, comment ne pas partager ces objectifs ? Pour autant, nous n'approuvons pas votre démarche, d'une part, empreinte de cynisme, d'autre part, en décalage total avec la réalité.

Vous ne cessez de clamer, notamment lors des questions d'actualité, que tout va bien désormais dans notre pays. Or force nous est de constater dans nos permanences que la situation de l'emploi ne s'est pas encore vraiment améliorée et que les données macro-économiques ne se traduisent pas encore concrètement dans les faits pour nos concitoyens. Cela n'est d'ailleurs pas sans rappeler les années 1993-1995 où la France était sortie de la récession et où les statistiques du chômage s'amélioraient. Mais lorsque le gouvernement de l'époque se vantait de ces bons résultats, nos concitoyens l'écoutaient médusés car ils n'en ressentaient pas les effets dans leur vie au quotidien.

La croissance retrouvée demeure fragile. C'est pourquoi il nous paraît hasardeux et surtout dommage de perturber la situation avec le passage aux 35 heures. Le calendrier que vous avez retenu, dicté par la préparation de l'élection présidentielle (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), est purement idéologique. Rien ne vous obligeait à conduire cette réforme dans des délais aussi brefs.

Une négociation sociale doit être possible dans chaque entreprise, quelle que soit sa taille. Mais cette négociation doit demeurer libre. Si la loi lui fixe un cadre trop contraignant, un décalage risque d'apparaître entre la réalité économique de l'entreprise, fragile, et les aspirations sociales.

Au demeurant, nos concitoyens aspirent surtout aujourd'hui, après une période de fort chômage, à des emplois stables -et sur ce front, toutes les incertitudes ne sont pas levées- mais aussi à un renforcement de leur pouvoir d'achat.

Mme la Ministre - Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Nous n'avons pas connu la même croissance qu'aujourd'hui.

Mme la Ministre - La faute à qui ? Vous avez prélevé 200 milliards sur les ménages.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Vous ne pouvez ignorer la conjoncture internationale. L'important aujourd'hui est que cette croissance perdure et profite aux Français. Or les mesures que vous prévoyez ne vont pas dans le sens d'une augmentation des salaires et du pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Un dernier mot sans abuser de mon temps de parole -je m'en voudrais, lors d'une séance présidée par un homme que je ne qualifierai pas moi, comme d'aucuns, de «Kenneth Starr de sous-préfecture», d'autant moins que je trouve remarquable le travail qu'il a accompli en tant que président de la commission d'enquête. J'en reviens à notre débat. Avec les 35 heures, vous allez créer une nouvelle disparité entre le secteur public et le secteur privé. Inévitablement, les dispositions applicables dans l'un seront réclamées par les agents de l'autre. Or, toute création d'emplois dans les administrations ou les collectivités locales entraînera des prélèvements fiscaux supplémentaires. Au total, votre réforme laisse légitimement craindre que le climat social ne se dégrade encore. Elle n'aura en tout cas pas été une étape sur la voie du renouveau du dialogue social (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le Président - La discussion générale est close.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu le mercredi 1er décembre, à 15 heures.

La séance est levée à 1heure 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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