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Session ordinaire de 1999-2000 - 48ème jour de séance, 115ème séance

SÉANCE DU MERCREDI 26 JANVIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

VIOLENCES À L'ÉCOLE 2

POLITIQUE FISCALE 3

HÔPITAL PUBLIC 4

PARTICIPATION DE L'ARMÉE À LA RÉPARATION DES DÉGÂTS CAUSÉS PAR LES INTEMPÉRIES 5

PERSONNES HANDICAPÉES 5

MOULINEX 6

CONFLITS À LA POSTE 7

VIOLENCES À L'ÉCOLE 8

SECTEUR DE LA CHICORÉE 9

TRAVAIL ILLÉGAL 10

BAISSES D'IMPÔTS 11

ÉLOGE FUNÈBRE DE ROLAND CARRAZ 11

DÉLAI DE DÉPÔT DES CANDIDATURES À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE 14

ÉLECTION DES SÉNATEURS 14

AVANT L'ARTICLE PREMIER 31

ARTICLE PREMIER 31

APRÈS L'ARTICLE PREMIER 32

ARTICLE PREMIER bis 32

ART. 2 33

ART. 3 33

ART. 4 33

ART. 5 34

ART. 6 34

APRÈS L'ART. 11 34

ART. 13 35

ART. 14 35

ART. 15 36

ART. 15 bis 36

ART. 16 36

APRÈS L'ART. 16 36

ART. 18 37

EXPLICATIONS DE VOTE 37

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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VIOLENCES À L'ÉCOLE

M. Alain Moyne-Bressand - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, force est aujourd'hui de constater l'échec du plan de lutte contre la violence à l'école prétendument « sans précédent » que vous avez présenté il y a deux ans. Le bilan est, hélas, aujourd'hui sans appel. Tous les jours, des jeunes sont victimes dans les établissements scolaires d'actes barbares : tortures, brûlures, viols... Non, hélas, ces faits ne sont pas exceptionnels. Pourtant vous refusez de reconnaître qu'en raison même de la carence des pouvoirs publics, les élèves doivent désormais s'habituer à travailler dans un climat de violence. Ils pâtissent de l'affaiblissement de l'autorité publique que, soit dit au passage, des propos comme ceux qu'aurait tenus récemment votre collègue ministre de l'environnement ne contribuent pas à renforcer. N'a-t-elle pas déclaré : « Ministre ou pas, les militaires, il faut les fréquenter pour ne jamais oublier à quel point ils sont cons » ? (Murmures sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) Ce propos témoigne d'une inconséquence qui ne devrait pas être tolérée dans un gouvernement responsable.

Je reviens à mon propos. Comment le Gouvernement pourrait-il rendre confiance aux enseignants, aux élèves et à leurs parents grâce à un nouveau plan anti-violence alors même que la délinquance des mineurs explose au sein des établissements scolaires mais également en dehors ? Les jeunes de moins de 18 ans commettent aujourd'hui 20 % des crimes et délits et 150 000 mineurs ont été interpellés en 1998. Et ce n'est pas la multiplication des emplois-jeunes ni la glorification des cours d'instruction civique qui permettront de régler ces problèmes. Le contraste est grand entre cette violence généralisée et l'autosatisfaction permanente du ministre de l'intérieur ! Le Gouvernement et sa majorité de gauche n'ont ni la volonté ni la capacité politique de faire de la lutte contre la violence une véritable priorité, ce qui exigerait de restaurer l'autorité. Comme beaucoup de Français, je suis convaincu que le bric-à-brac de mesures que vous allez annoncer sera inopérant. Et une fois de plus profonde sera la déception. Il faudra attendre l'alternance et l'arrivée d'une nouvelle majorité au pouvoir pour que soit conduite une véritable politique de sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Comme vous, comme chacun, en tant que parent d'élève, en tant qu'enseignant, en tant que chercheur, je suis choqué des violences inadmissibles qui se sont produites récemment dans divers collèges et lycées. En tant que ministre, j'ai le devoir d'apporter quelques précisions à la représentation nationale. La violence ne concerne que 5 % à 10 % des établissements scolaires.

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - C'est faux !

M. le Ministre - On recense une soixantaine d'établissements dans lesquels se produisent des violences graves et une trentaine qui sont le théâtre de violences mineures. Il est enfin d'autres établissements dans lesquels peut se développer un sentiment de violence. Bien sûr, c'est trop !

Mon plan anti-violence I s'articulait autour de cinq principes : concentration des moyens dans neuf zones ; coopération entre l'éducation nationale, la police et la justice ; recrutement d'aides éducateurs et renforcement de l'encadrement ; travail en équipe des enseignants ; évaluation indépendante.

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Baratin !

M. le Ministre - Là où ces principes ont été appliqués, la violence a régressé comme dans certains établissements des banlieues de Lyon et de Marseille. Ce plan, qui a donc réussi en partie, a fait l'objet d'une évaluation indépendante dont les résultats seront publics demain.

Il reste néanmoins beaucoup à faire, notamment parce que les violences commises, certes concentrées en quelques lieux, sont de plus en plus graves, comme si les jeunes avaient perdu tout repère. Le développement de petits faits de violence dans le primaire est également préoccupant. Un effort supplémentaire sera donc nécessaire qui exige la mobilisation de tous. Je ne détaillerai pas ici les mesures du nouveau plan (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'Etat fera son devoir et dégagera les moyens nécessaires. Les personnels notamment seront mieux formés au traitement de ces problèmes. Des personnels sociaux épauleront les personnels pédagogiques.

Nous entendons restaurer une école dont tous les acteurs se respectent mutuellement. La violence est intolérable, elle ne sera pas tolérée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Nous permettrons notamment, ce que la majorité précédente avait refusé, que la police puisse intervenir dans les établissements difficiles.

Au-delà du traitement de la violence et de la répression, il convient de restaurer l'espoir parmi les jeunes des quartiers défavorisés en leur donnant une chance réelle d'intégration et en ce domaine également, nous ferons des propositions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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POLITIQUE FISCALE

Mme Laurence Dumont - Depuis juin 1997, le Gouvernement et sa majorité ont rééquilibré la fiscalité en faveur du travail et stabilisé les prélèvements sur les ménages, qui avaient été lourdement ponctionnés les années précédentes (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il prévoit maintenant une baisse d'impôts de 120 milliards sur trois ans, ce qui permettrait de ramener le taux des prélèvements obligatoires dans notre pays à ce qu'il était en 1995, avant que M. Juppé ne relève de deux points le taux de TVA. Ce choix est cohérent avec la politique économique menée depuis deux ans, favorable au pouvoir d'achat des ménages, et conforme à nos engagements européens dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance.

Monsieur le ministre des finances, pouvez-vous confirmer devant la représentation nationale que cette baisse des prélèvements sur les ménages va s'accentuer, et lui indiquer quels impôts seront diminués en priorité ? Comme à mon collègue François Hollande, la diminution de la taxe d'habitation et des baisses ciblées de TVA me paraissent prioritaires car elles bénéficieraient d'abord aux ménages les plus modestes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Madame la députée, vous avez raison (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : avant 1997, nos concitoyens se demandaient toujours si les impôts allaient augmenter et au détriment de qui -je rappellerai seulement la hausse de la TVA et la limitation des dégrèvements de la taxe d'habitation décidée alors. Ils se demandent aujourd'hui au contraire s'ils vont diminuer et au profit de qui (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Le projet de budget pour 2000 comporte d'ores et déjà 40 milliards de baisses d'impôts : suppression du droit de bail, diminution de la taxe d'habitation et des frais de notaire, application du taux réduit de TVA aux travaux effectués dans les logements. Et si les résultats de 1999 sont meilleurs qu'escomptés, nous envisagerons de réduire la taxe d'habitation dès 2000. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Puis, le Gouvernement prévoit en effet de réduire les impôts de 120 milliards sur trois ans à compter de 2001. Il réformera notamment l'imposition directe, ce qui profitera aux classes populaires mais aussi aux classes moyennes. D'une manière générale, ce Gouvernement _uvre pour une plus grande justice sociale tout en encourageant le dynamisme économique, le travail et l'innovation. Voilà sa feuille de route ! Certains aimaient promettre des baisses d'impôt : nous, nous les mettons en _uvre, au profit du plus grand nombre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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HÔPITAL PUBLIC

M. Yves Tavernier - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, les v_ux adressés à nos concitoyens en ce début d'année devraient s'accompagner de v_ux pour nos services de soins, et tout particulièrement pour l'hôpital public.

Malgré les efforts réels faits par le Gouvernement depuis 1997, le malaise demeure grand chez les agents hospitaliers qui s'interrogent sur leur avenir. L'adaptation de l'offre de soins aux besoins dans le cadre des SROS est souvent perçue comme un plan de fermeture d'établissements ou de services jugés non performants. Or, les intempéries de la fin 1999 ont montré le rôle irremplaçable des hôpitaux de proximité. La fonction sociale de ces établissements, complémentaire de leur fonction sanitaire, devrait être mieux prise en compte dans l'allocation des moyens : c'est indispensable pour les services d'urgence.

Nous sommes bien sûr favorables à la réduction des inégalités entre régions dans l'accès aux soins mais la réduction constante des moyens dans certaines régions risque de déstabiliser des établissements jusque-là performants et de démotiver les personnels (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les mesures d'accompagnement de ces évolutions que vous avez décidées doivent être mieux explicitées et le FASMO doit être réformé pour être rendu plus efficace. La mise en _uvre de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux y est source de tensions et d'inquiétudes. Les 35 heures permettront de mieux organiser le travail, d'enrichir les tâches de chacun et d'améliorer les conditions de travail à condition de doter les établissements de moyens supplémentaires.

Vous aviez promis des créations d'emplois : je vous demande des assurances sur ce point, en souhaitant que votre réponse apaise et rassure les agents hospitaliers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Permettez-moi de m'associer aux v_ux que vous avez adressés au personnel public. Après les intempéries, l'épidémie de grippe a rappelé aux Français à quel point l'hôpital public est irremplaçable.

Le personnel hospitalier a compris que l'hôpital devait évoluer, comme ont évolué les besoins, les techniques et les thérapies. Mais le personnel hospitalier veut savoir où va l'hôpital. Infirmières, aides-soignantes, médecins souhaitent, très légitimement, connaître leur avenir.

Les schémas régionaux d'organisation des soins ne visent pas à fermer des hôpitaux, mais à mieux répondre aux besoins, à améliorer la qualité des soins, à renforcer la sécurité des patients et à réduire les inégalités. Ainsi, grâce au « plan cancer », chacun sera dirigé vers le meilleur service, quel que soit son lieu de résidence, son statut social et son carnet d'adresses. Il en ira de même pour la périnatalité.

Des moyens complémentaires seront dégagés pour réduire les inégalités. On sait qu'elles sont importantes au sein de la région Ile-de-France, qui est globalement bien dotée.

Il nous faut maintenant franchir une nouvelle étape. L'allocation des ressources n'est pas satisfaisante. Pour les urgences et la psychiatrie, des mesures particulières sont nécessaires, comme de revoir le statut de certaines catégories de personnel.

La réduction du temps de travail nous donnera l'occasion d'améliorer l'organisation du travail et de créer des emplois. Je n'imagine pas en effet, la réduction du temps de travail sans créations d'emplois ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Ceux qui m'interrompent devraient s'expliquer avec les agents hospitaliers de leur département. Vous venez me voir pour réclamer des créations de postes, mais vous vous opposez ici aux 35 heures ! On ne peut tenir ainsi deux discours (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Nous avons créé des fonds d'accompagnement. Le FIMHO a été doté d'un milliard et le FASMO de 600 millions. A votre demande, nous modifions les critères d'éligibilité à ce fonds d'accompagnement social, qui pourra être utilisé plus facilement.

Nous sommes conscients et de la nécessité des efforts accomplis et des difficultés actuelles.

Dès la semaine prochaine, Dominique Gillot et moi-même recevrons l'ensemble des organisations syndicales. Les agents hospitaliers, eux aussi, veulent voir évoluer l'hôpital.

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PARTICIPATION DE L'ARMÉE À LA RÉPARATION DES DÉGÂTS CAUSÉS PAR LES INTEMPÉRIES

M. Michel Dasseux - Monsieur le ministre de la défense, j'associe à ma question l'ensemble de mes collègues socialistes des départements touchés par la marée noire et les intempéries de la fin décembre. La France a souffert, mais la solidarité a été grande. L'Armée, comme il est de tradition, a rempli sa mission de sécurité civile en secourant les populations, en aidant EDF et France Télécom à rétablir leurs réseaux et en participant au nettoyage des plages.

Après avoir ainsi contribué aux phases d'urgence et de réparation, l'Armée entre dans la phase de reconstruction. Il faut que les régiments soient maintenus sur place. Or les élus locaux constatent que les militaires se désengagent, même dans les départements les plus touchés.

Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale comment vont être poursuivis les efforts de reconstruction engagés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Au moment le plus critique, nous avons mobilisé 8 500 militaires et 15 000 gendarmes, sans oublier les 2 000 hommes engagés dans le plan POLMAR.

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Et Voynet ?

M. le Ministre - Pour la phase de reconstruction, les objectifs ciblés ont été définis au niveau interministériel, sous l'égide de Jean-Pierre Chevènement et de Jean Glavany...

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Et Voynet ?

M. le Ministre - J'espère qu'un sujet aussi grave intéresse tout le monde ici !

L'Armée qui fournit encore 1 300 hommes pour le plan POLMAR, travaille avec l'ONF pour le déboisement des itinéraires forestiers. Dans le Sud-Ouest, elle contribue à la sécurisation des cours d'eaux et coopère avec EDF. En outre, les moyens militaires d'observation aérienne sont mis à contribution pour dresser le bilan des dégâts. Au total, 4 500 hommes vont demeurer sur place en février et mars, dont un tiers d'appelés.

Avant-hier, en outre, j'ai décidé que les jeunes exploitants agricoles et les fils d'exploitants qui devaient être appelés sous les drapeaux en février et en avril pourraient obtenir un report jusqu'en juin en produisant une simple attestation de leur engagement dans les travaux de reconstruction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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PERSONNES HANDICAPÉES

M. Francis Hammel - Madame la secrétaire d'Etat à la santé, le Premier ministre a présenté hier un bilan des mesures prises en faveur des personnes handicapées, devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées. C'était la première fois qu'un Premier ministre y participait. Sa présence, ainsi que celle de nombreux ministres, a montré à quel point le Gouvernement se préoccupe du sort de nos 3 millions de concitoyens handicapés.

En deux ans et demi, leur situation s'est améliorée, grâce au plan pluriannuel visant à créer 16 500 places dans les établissements spécialisés et à différentes mesures en faveur de la scolarisation des enfants et des adolescents handicapés, du développement des soins à domicile ou de la lutte contre l'autisme et le traumatisme.

Madame la secrétaire d'Etat, le Premier ministre, par sa présence, a voulu montrer la volonté du Gouvernement à donner une nouvelle impulsion à sa politique du handicap. Pouvez-vous nous en indiquer les principales orientations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Depuis 32 mois, le Gouvernement a engagé une politique soutenue en faveur des personnes handicapées. Je pense au plan d'intégration scolaire de Mme Ségolène Royal... (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ... au plan d'accessibilité de Jean-Claude Gayssot... (Mêmes mouvements) ... aux mesures tendant à favoriser l'accès au sport prises par Marie-George Buffet... (Mêmes mouvements) ... aux mesures relatives au logement dues à Louis Besson, (Mêmes mouvements) ... sans oublier les mesures d'accompagnement social prises par mon propre département ministériel (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La réunion du Conseil national consultatif des personnes handicapées nous donne chaque année l'occasion de mesurer le chemin parcouru et d'ouvrir de nouvelles perspectives. Hier, pour la première fois, en effet, un Premier ministre y a participé. Lionel Jospin a annoncé qu'il allait amplifier l'effort actuel, qui mobilise déjà 4,5 milliards. Nous avons recueilli l'avis des personnes présentes et entendu les sept ministres concernés (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Président - Un peu de silence, mes chers collègues.

Mme la ministre, pourriez-vous aller vers le c_ur de votre propos ?

Mme la Secrétaire d'Etat - Il est indispensable en effet que l'ensemble des ministres se rendent compte des difficultés que rencontrent les handicapés dans leur vie quotidienne. Hier, le Premier ministre a donné une inflexion sans précédent à la politique d'intégration, de la petite enfance à l'adolescence, à la vie adulte ou à l'abord du vieillissement précoce pour les handicapés lourdement touchés comme pour ceux qui peuvent dépasser leur handicap.

Je ne puis citer ici toutes les mesures présentées hier (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le Gouvernement est fortement mobilisé autour du principe que ce n'est pas seulement à l'élève, à l'habitant, au travailleur, au voyageur, mais aussi à l'école, au lieu de vie, au moyen de transport, au logement, de s'adapter. Le Premier ministre s'est engagé à ce que nos concitoyens handicapés puissent à terme jouir de la liberté de choisir leur mode de vie, d'une égale participation aux activités de tous, dans la fraternité effective d'une République qui proscrit toute discrimination.

L'accueil très positif et confiant des personnes handicapées, des associations, des professionnels, augure bien de la dynamique qui devrait conduire l'ensemble de notre société et nous-mêmes à changer de regard sur le handicap (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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MOULINEX

M. Daniel Paul - Avec l'annonce de fermetures et de délocalisations chez Moulinex, d'ici deux à trois ans, 1 500 à 2 000 emplois disparaîtraient. Ainsi en dix ans, de plans sociaux en plans sociaux, l'entreprise aura perdu plus de 40 % de son personnel.

A l'invitation de l'intersyndicale, j'ai participé à un débat jeudi dernier à Cormelles-le-Royal, où des réflexions très intéressantes ont été formulées. Bien sûr, leur avenir est la préoccupation essentielle des salariés et je souhaite ici apporter le soutien total du groupe communiste à la manifestation qui se déroule en ce moment à Caen.

C'est aussi la question de l'avenir du petit électroménager dans notre pays qui est posée. Moulinex est le numéro un mondial sur un marché où la concurrence est extrêmement vive, notamment avec les pays du sud-est asiatique. Le diktat des banques a poussé Moulinex à un repli industriel et à l'arrêt des fabrications jugées non rentables. Pourtant la rentabilité financière de l'entreprise était évaluée à 13,6 % en 1998. Comment en quelques mois, la situation justifierait-elle un plan social d'une telle ampleur ? Rappelons qu'un des actionnaires de ce groupe prétendument en difficulté s'est retiré récemment avec 160 millions de dividendes...

Créer, grâce à une coopération entre les fabricants concernés, une filière européenne du petit électroménager éviterait le gâchis de technologies, de savoir-faire, d'expérience humaine, d'innovations, dans une région, la Basse-Normandie, dont le tissu industriel est déjà très endommagé. Les répercussions frappent aussi la France et l'Europe. Nous avons besoin de développer notre industrie et non de la casser ! Le Gouvernement doit agir en ce sens.

La grande distribution importe massivement du petit électroménager, principalement du sud-est asiatique. Elle est ainsi complice des mauvais coups portés à notre industrie. Ne faut-il pas, y compris au moyen de taxes, la rappeler à ses devoirs ?

Il serait aussi urgent, sans attendre la fin de la navette parlementaire, que se mette en place, autour du préfet, une commission de contrôle des fonds publics dans la région Basse-Normandie avant même toute décision sur les propositions du PDG. Moulinex a bénéficié d'aides publiques, il est légitime d'en connaître l'utilisation. La proposition de loi du groupe communiste sur le contrôle des fonds publics va dans ce sens.

Il n'est plus question aujourd'hui d'accompagner aveuglément les orientations des grandes entreprises mais bien de développer notre industrie de l'électroménager (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Au moment où les Moulinex vivent un drame humain et social terrible, il est normal de faire le point.

Les aides à l'innovation ont été décidées par mon ministère sur des projets technologiques. Moulinex a bénéficié ces dernières années des procédures habituelles votées par le Parlement dans le budget de l'industrie. Rien de dérogatoire n'a été accordé. Les trois conditions classiques ont été remplies -la recherche-développement de Moulinex a bien été exécutée en France ; les aides sont remboursables en cas de succès -ce sera le cas ; les aides sont ciblées sur les produits qui ont vocation à être fabriqués en France.

La proposition de loi communiste adoptée par l'Assemblée sera inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour prioritaire du Sénat de manière à ce qu'elle soit discutée et mise en _uvre rapidement (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). La commission ainsi créée pourra se saisir du cas Moulinex. Je vous donne mon accord pour que le préfet de région examine les aides locales attribuées à Moulinex.

Quant à la filière européenne du petit électroménager, l'important pour elle est de préserver des bases de production en Europe et en France. Pour cela, il lui faut rester compétitive en termes de coût de production, notamment grâce à un allégement des charges sur les industries à fort taux de main d'_uvre. Il lui faut aussi maintenir un haut niveau de créativité et de qualification ; et soutenir les projets industriels les plus innovants -c'est le cas en France avec le crédit impôt-recherche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

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CONFLITS À LA POSTE

M. Claude Billard - Depuis plus d'un an, le malaise est profond parmi les agents de La Poste et le climat social s'est nettement dégradé. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du RPR)

Ces dernières semaines, les conflits entre le personnel et les directions se sont multipliés : on compte plus de 300 mouvements sociaux depuis le 1er janvier, les facteurs de Villeurbanne ont entamé leur neuvième jour de grève, dans l'Hérault plus d'une vingtaine de centres sont touchés (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du RPR)

M. Pierre Lellouche - Que fait le Gouvernement ?

M. Claude Billard - Ces conflits ont presque tous la même origine : la mise en place du plan de passage aux 35 heures résultant de l'accord national de février 1999, qui se traduit par une intensification du travail et par un nombre restreint d'embauches à caractère durable.

M. Jacques Godfrain , M. Hervé Gaymard , M. Pierre Lellouche - Très bien !

M. Claude Billard - Dans ces conditions, Monsieur le ministre de l'industrie, quelles dispositions entendez-vous prendre pour qu'au sein de cette entreprise publique qui relève de vos compétences, la mise en _uvre locale de l'accord-cadre de février 1999 traduise concrètement les orientations définies par la deuxième loi sur la réduction du temps de travail mais aussi la volonté du Gouvernement et de sa majorité de faire des 35 heures un outil au service de l'emploi et du mieux-vivre des salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - A La Poste, le dialogue social doit être la règle dans chaque établissement (Rires sur les bancs du groupe du RPR). Tel est bien le cas. La réduction du travail est une occasion exceptionnelle d'amplifier la dynamique de La Poste, qui investira cette année 7 milliards pour se moderniser.

Cela doit s'accompagner de créations d'emplois, en particulier pour les jeunes. Sur les 20 000 recrutements prévus par le contrat de plan, 13 000 ont déjà été effectués. Cela doit aussi s'accompagner d'une amélioration des conditions de travail et par un meilleur équilibre entre temps professionnels et temps libre. Trente mille postiers sont déjà organisés sur la base des 35 heures. Le principe des 35 heures est effectif depuis le 1er janvier 2000. Les agents de La Poste seront ainsi les premiers, dans la fonction publique, à en bénéficier. Tous les agents pour lesquels ce n'est pas encore le cas bénéficient d'une compensation transitoire. Le passage aux 35 heures s'accélère puisque, la semaine dernière, 1 500 postiers de plus ont signé un accord.

L'amélioration des conditions d'emploi des personnels contractuels correspond à une orientation sociale demandée par le Gouvernement, acceptée par La Poste dans le contrat de plan, et qui est indispensable pour développer l'emploi stable.

Le dialogue approfondi doit être mené avec les usagers, avec les personnels, avec les syndicats, à chaque étape de cette marche en avant de La Poste.

Je compte sur La Poste pour que ce dialogue permette dans chaque établissement d'accélérer le passage aux 35 heures dans cette grande Poste qui est la nôtre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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VIOLENCES À L'ÉCOLE

M. Bruno Bourg-Broc - Dans Le Monde de ce soir, une phrase résume hélas assez bien la situation : « A mesure que les plans ministériels se succèdent, la violence en milieu scolaire non seulement se durcit mais se répand, comme si le phénomène était inexorable et l'éducation nationale inapte à le juguler ». A chaque affaire nouvelle, Monsieur le ministre de l'éducation, vous présentez un plan : hier le plan I, demain le plan II, aurons-nous demain des plans III, IV, V et VI ?

Vous nous avez dit qu'il ne fallait plus parler des banlieues lyonnaise et marseillaise, je souhaite que l'actualité ne vous démente pas. Mais si ce plan I avait réussi, pourquoi un plan II ?

En fait, ce n'est pas un problème qui peut se traiter par l'intervention de la police à l'école, par quelques emplois-jeunes, dont même vos amis reconnaissent l'inefficacité en la matière, par une demi-heure d'éducation civique. Cette violence met en exergue les difficultés d'établissements dont on sait que les élèves, violents ou non, n'auront pas les mêmes chances d'intégration sociale que les autres et le savent. Elle est l'expression d'un mal bien plus profond, l'inégalité des chances.

Il est temps de s'interroger sur la garantie d'un corpus minimum de connaissances, sur la diversification des chemins de la réussite, sur le consumérisme scolaire et la méritocratie. Il est temps de prendre des mesures pour la sécurité à l'école sous toutes ses formes. Allez-vous enfin vous préoccuper de ces questions, qui demandent certes du courage politique, mais dont les réponses sont seules à même d'apporter un espoir à ceux qui se considèrent, hélas, comme une génération perdue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - La lutte contre la violence à l'école est pour le Gouvernement une grande cause nationale qui doit engager la société toute entière. Claude Allègre vient de le dire : l'Etat fait et fera son devoir.

La violence est une souffrance pour les élèves, qui représentent 80 % des victimes, pour les enseignants, qui ne peuvent plus travailler et se sentent déstabilisés, pour les parents, qui s'inquiètent. Oui, c'est toute la société qui doit se préoccuper de ces jeunes qui se demandent quels adultes ils seront demain.

La violence monte dans certains endroits (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR), mais elle diminue dans d'autres, difficiles aussi. Il faut pour cela rendre hommage à ceux qui, tous les jours, raccrochent à la réussite scolaire des élèves en grande difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Nos actions s'articulent autour de l'augmentation du nombre de personnels éducatifs dans le secteur scolaire, de l'amélioration du système des encouragements et des sanctions. Oui, des sanctions fermes et justes sont nécessaires, des récompenses aussi, on n'en parle jamais. Chacun, de plus, doit jouer son rôle : la police, les parents, les élèves.

Les élèves les plus perturbateurs sont soit des délinquants, et la justice assume alors ses responsabilités, soit des agités, et ils sont retirés de leurs classes et placés dans des classes-relais -nous en avons créé 250- ou dans des internats.

Tous les départements et toutes les régions se sont-ils saisis des cofinancements ouverts par l'Etat pour réaliser des internats ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Je ne crois pas ! Alors faites-le, et faites-le vite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Enfin nous devons renforcer l'éducation à la citoyenneté et l'apprentissage au contenu de la loi dès l'enseignement primaire, en particulier chez les enfants qui n'ont pas la chance de le faire dans leur famille.

L'école se mobilise en vue de la réussite scolaire de chaque élève, grâce à l'aide individuelle, au tutorat, au travail en équipe, à la revalorisation de la fonction de chef d'établissement, à la meilleure formation des enseignants.

Les enfants et adolescents ont besoin d'exemples positifs d'adultes ; ils demandent l'application de règles justes et fermes. Ce ne sont ni la télévision ni les médias qui les y aident !

Monsieur le député, je n'ai pas de conseil à vous donner. Mais vous qui souteniez un gouvernement qui a supprimé 5 000 postes d'enseignants, laissé tomber les ZEP et s'aggraver les inégalités au sein du système scolaire (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) je vous invite à un peu de retenue ! Ne faites pas de la sécurité un fonds de commerce politique ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

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SECTEUR DE LA CHICORÉE

M. Thierry Lazaro - Merci de grignoter ainsi de plus en plus le temps de parole de l'opposition !

Monsieur le ministre de l'agriculture, les Etats-Unis ont pris d'importantes mesures de rétorsions contre certains de nos secteurs de production en représailles contre la décision communautaire d'imposer un embargo sur le b_uf aux hormones.

La société Leroux qui, dans le Nord, est leader de la production de chicorée, est fortement touchée dans sa volonté de s'implanter sur le marché nord-américain. Leroux réalise aux Etats-Unis un chiffre d'affaires de 10 millions.

Depuis le 29 juillet dernier, sa production subit une surtaxation, alors que le ministère de l'agriculture savait qu'elle figurait sur une première liste dès le 22 mars. Leroux a dû réduire ses prix de vente pour compenser cette surtaxe, subissant ainsi une perte de 2 millions en six mois. Si la situation se prolonge, l'entreprise devra cesser cette année son activité aux Etats-Unis, et supprimer en conséquence de nombreux emplois, dont le nombre s'élève actuellement, pour le secteur de la chicorée, à 2 000 dans le Nord-Pas-de-Calais. Comptez-vous exiger de l'Union européenne qu'elle prenne en charge le différentiel de prix induit par la surtaxation américaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Non, le ministère de l'agriculture n'était absolument pas au courant avant tout le monde de la liste à laquelle vous faites allusion. En effet les mesures édictées par les Etats-Unis n'étaient pas destinées au ministère français de l'agriculture, mais à l'Union européenne tout entière. Les produits frappés vont du porc danois au foie gras du sud-ouest en passant par le roquefort et la moutarde de Dijon.

Ces mesures de rétorsion font suite à un arbitrage de l'OMC relatif à la décision de la Commission européenne de maintenir l'embargo pour des raisons de sécurité alimentaire. Fallait-il le lever ?

M. Pierre Lellouche - Mais vous, qu'allez-vous faire ?

M. le Ministre - Calmez-vous, Monsieur Lellouche ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Deux voies sont ouvertes : d'abord, négocier avec les Etats-Unis, ce qui est du ressort de la Commission, et elle le fait ; ensuite, aider les secteurs victimes de rétorsions, et nous avons posé la question en conseil des ministres de l'agriculture. Pour le moment, le budget communautaire ne comporte aucune ligne permettant de faire face. Nous apportons pour notre part des aides ponctuelles : nous l'avons fait pour le roquefort, nous pouvons le faire pour la chicorée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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TRAVAIL ILLÉGAL

M. Georges Sarre - Chacun ici proclame la nécessité de lutter contre le travail illégal. Mais comment ? Par exemple en créant, en 1976, des sections spécialisées, dont les effectifs, jusque vers 1995, se sont élevés à environ 70 personnes, dont 5 ou 6 affectées à Paris. Or aujourd'hui, ces fonctionnaires ne sont plus que 20, et les deux qui se trouvaient encore à Paris l'an dernier sont partis (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Comment faire reculer le fléau du travail illégal lorsque le nombre de contrôleurs dans les sections spécialisées diminue à ce point ?

Le travail illégal, c'est un recul de deux siècles de la condition humaine, c'est l'absence de protection sociale, c'est une jungle à laquelle des hommes doivent être arrachés.

Je compte sur vous pour rendre aux directions départementales concernées les moyens de travailler efficacement (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - A son habitude, M. Sarre a posé une question pertinente. Dès mon arrivée au ministère, j'ai donné des instructions pour lutter contre le travail illégal. Le retour de la croissance invite à davantage de vigilance encore. L'inspection du travail n'a pas ménagé ses efforts, puisqu'en 1998, 10 000 procès-verbaux ont été dressés, soit deux fois plus qu'en 1993.

L'effectif de la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal est passé de 31 à 43 agents depuis sa création en 1997. Je salue le travail mené en commun avec les ministères de l'intérieur et de la justice, qui permet d'obtenir de meilleurs résultats.

A Paris, les deux contrôleurs partis seront remplacés en février et mars. Surtout, onze nouveaux contrôleurs du travail vont entrer en fonction à Paris et en Ile-de-France, où le travail illégal est important dans les secteurs du bâtiment et du textile (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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BAISSES D'IMPÔTS

M. Charles de Courson - Depuis trois ans, le gouvernement de Lionel Jospin a menti aux contribuables (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). En effet, contrairement à ses promesses de baisser les prélèvements obligatoires, ceux-ci n'ont cessé d'augmenter depuis 1997, avec une hausse record de 200 milliards l'an dernier.

Les Français sont exaspérés et, sous la pression de l'opposition discrètement relayée par Laurent Fabius (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe RPR), vous avez fait preuve d'un début de repentir hier devant la commission des finances, en annonçant une baisse de la pression fiscale de 40 milliards par an de 2001 à 2003. Pour que votre repentance soit crédible, il vous faudrait cesser d'accumuler des dépenses nouvelles et engager de vraies réformes.

Vous prétendez limiter à 0,3 % en volume la croissance des dépenses de l'Etat. Or, en maintenant les effectifs de la Fonction publique, en maintenant le pouvoir d'achat du point et en ne réformant pas les retraites, ces dépenses augmenteront d'au moins 2 %. Si l'on ajoute l'accroissement de la dette de l'Etat, celui des taux d'intérêt et les promesses faites aux collectivités territoriales, comment allez-vous tenir votre engagement ?

Puisque le nombre de retraités augmente de 1,1 % par an, il vous faudrait limiter sévèrement la croissance de leur pouvoir d'achat pour atteindre notre objectif.

Comment enfin limiter la croissance des dépenses des collectivités locales à 1,9 %, alors que celles-ci ont augmenté de 2,6 % en 1998 et de 3,5 % l'an dernier ?

Comment donc avez-vous pu promettre aux Français une baisse de leurs impôts de 120 milliards ? En l'absence de réformes courageuses et d'économies importantes, la croissance n'y suffira pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe RPR)

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous avez le goût des chiffres, mais vous avez la mémoire courte : je vais donc vous rappeler qu'entre 1995 et 1997 (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) le total des impôts et cotisations sociales est passé de 43,4 % à 44,9 % du PIB, augmentant de 120 milliards du fait de la modification des barèmes. Nous voulons redescendre la pente que vous avez gravie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), et en faire profiter le plus grand nombre. Nous avons commencé à le faire en baissant la TVA sur les travaux d'entretien et en supprimant le droit de bail. Nous avons pris un engagement, et nous allons le tenir. Les électeurs jugeront en 2002.

Un mot, pour conclure. Vous n'aimez pas la dépense publique. Nous considérons, nous, qu'il faut défendre le service public, car c'est défendre la justice sociale, la qualité de la vie et le dynamisme de l'économie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

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ÉLOGE FUNÈBRE DE ROLAND CARRAZ

M. le Président - (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent) Messieurs les ministres, mes chers collègues, Madame.

Avec sa silhouette élancée, son élégance rigoureuse, son fin visage qu'adoucissait un accueillant demi-sourire, Roland Carraz était un soc qui de son sillon ne déviait pas. Il était, d'un même élan, républicain et de gauche. Il avait adhéré au socialisme au temps d'Epinay.

Roland Carraz vivait ce qu'il était. Un homme de projet et de terrain, inflexible sur les principes mais disponible à chacun, un homme issu du peuple, lequel se savait bien représenté par lui. A cette tribune, il défendait une certaine idée de la République, de la politique et de la ville. Il ne prêtait pas attention au superficiel. Il ne cherchait pas carrière. Battu de quelques voix en 1993, comme tant d'autres l'avaient été, il n'en avait fait reproche à personne. Victorieux en 1997, il avait retrouvé son siège parmi nous. Amoureux de la démocratie, il n'avait pas attendu cet instant pour savoir que c'est uniquement par un succès dans les urnes, à l'exclusion de toute imprécation, que se corrige une défaite. La politique n'était pas sa profession, mais sa passion.

Sa révolte contre l'injustice, qui était à la base de tout, ne se nourrissait pas de cris inutiles. Elle suivait un itinéraire balisé par les concepts et les réflexions. Elle se transformait en propositions et n'en avait que plus de force le moment venu. L'arme de Roland Carraz était son intelligence. Il était pédagogue. Son militantisme était un état naturel. Où était la source ? Il citait lui-même les principaux affluents.

Ses parents, dont il avait été très tôt orphelin, et chez qui l'on avait pris l'habitude, presque le pli, de servir la SNCF, cheminots de père en fils, à la manière d'un ordre républicain. Sa famille, qui comptait beaucoup pour lui, en particulier son épouse qui est aujourd'hui avec nous, et qui lui rappelait que le métier de professeur est le plus beau et le plus prenant. Son parcours personnel, commencé à Châlon où il naquit : fils du peuple, boursier, il avait franchi toutes les étapes de la méritocratie républicaine, s'instruisant sur la musique, le théâtre, la littérature à l'Union intellectuelle et artistique des chemins de fer, passant les aiguillages de la vie à force de volonté, intégrant l'éducation nationale pour devenir élève de Soboul, agrégé d'histoire et docteur ès Révolution de 1789.

Dans les temps difficiles, Marianne ne l'avait pas abandonné. Il en serait donc le serviteur, étymologiquement le ministre. Au tourisme, il plaça son action sous le signe du Front populaire et des congés payés, conquête des travailleurs qui y avaient trouvé, soulignait-il, non seulement un peu de repos, mais davantage de liberté. Quand je lui proposai, dans le gouvernement que je conduisis, d'être secrétaire d'Etat à l'enseignement technique et technologique, je savais qu'il serait excellent : il le fut, rénovant les établissements placés sous sa responsabilité, créant les baccalauréats professionnels, anticipant les futures universités technologiques, les besoins de l'économie et les nouvelles techniques. Remboursant une dette qu'il avait contractée très jeune, de l'école il fut le produit et la marqua par son action : aujourd'hui, plus de 100 000 jeunes chaque année préparent le baccalauréat professionnel. Il rappelait souvent que la République s'enrichit quand elle éduque les citoyens, favorise la promotion sociale et l'égalité des chances, la formation et l'épanouissement de chacun, et que l'école doit être dans la cité et au service de tous. Quand il s'en revint chez lui, ensuite, ceux qu'il croisait étaient fiers de l'action qu'il avait menée -ils pouvaient l'être. Cette âme politique était un homme d'Etat.

Je sais que sa fille, Leïla, dont le prénom dit assez son amour pour elle, pour le Maghreb et pour l'Orient, et dans les yeux de laquelle il guettait ses jugements, n'ignore pas qu'ayant recueilli les valeurs de son père, elle a entre ses mains le plus précieux des héritages.

Un autre mot caractérisait Roland Carraz : sa fidélité. Outre l'amitié et le sentiment élevé qu'il avait de l'honneur, trois raisons justifiaient ce choix : les idées ne flottent pas dans l'air ; les partis politiques ne sont pas des organismes sans visage ; les élus qui n'ont ni programme, ni appartenance à un mouvement collectif ne sont pas ceux qui remplissent le mieux leur mandat. Notre collègue n'oubliait jamais ce triple axiome, qui gouverna sa vie politique et en explique les ancrages.

Ancrage dans un terroir, dans des paysages qu'il arpentait, connaissait, respirait, en cette Bourgogne de collines et de rivières où, depuis qu'il était enfant, il aimait pêcher -il tenait la pêche pour un art. Il portait une amitié véritable à ses électeurs de la Côte-d'Or et de Dijon où, en 1981, il battit Robert Poujade, adversaire politique de haute stature et ami de discrètes conversations érudites. Il vouait un grand attachement à ses administrés de Chenôve, ville qu'il sut, pendant vingt-deux ans, gérer et transformer, luttant contre l'insécurité, le mal-vivre, le chômage, et pour laquelle il inventa le revenu minimum étudiant ; Chenôve qui lui rendit, peu après sa disparition, un hommage magnifique, tout d'émotion et de simplicité, les ingrédients de la vérité.

Sa proximité personnelle et politique avec Jean-Pierre Chevènement fut un autre ancrage décisif. Jamais, je crois, ne s'est démenti le soutien réciproque de l'un à l'autre. Au parti socialiste, dans ce bocal bouillonnant qu'on appelait le CERES, puis au Mouvement des citoyens, contre la participation de la France à la guerre du Golfe, contre le traité de Maastricht et jusque dans le relais qu'il apporta à certaines idées, parfois délicates, de la place Beauvau, Roland Carraz ne s'est jamais départi de son crédo républicain, ni d'un compagnonnage fervent sur la route de Belfort. Il poussait l'amitié avec Jean-Pierre Chevènement jusqu'à partager avec lui -je le distinguais de ce fauteuil- certains mouvements du bras, de la tête et certaines intonations. Ajoutons-y l'esprit d'équipe dont Roland qui haïssait l'égoïsme, savait faire preuve, avec ses collaborateurs, au sein de son conseil municipal, dans son parti. On comprend sans doute mieux ainsi un parcours qui ne fut pas sans sacrifices ni sans risques.

Enfin et d'abord, son attachement à la Gauche, aux idées de progrès et de mouvement, à la laïcité, à la lutte contre le racisme, son admiration pour Jean Jaurès, Léon Blum et François Mitterrand élu local du Morvan dont il fut le président de groupe au conseil régional de Bourgogne. Dans cette inclination constante, il avait la conscience aiguë que, au-delà des préférences du c_ur, l'exigence du rassemblement fait l'efficacité du combat politique et le succès aux élections. Roland Carraz était un partisan déterminé de l'union et il se trouvait bien dans la Gauche plurielle. Il en vivait le quotidien sans embrigadement, dans des relations fraternelles, entretenant le lien d'amitié qu'il avait gardé avec sa famille d'origine, souhaitant aller à la députation avec Michel Etievant, son suppléant socialiste.

Roland Carraz est mort à 56 ans, bien avant l'heure, au terme d'un terrible calvaire. Il est mort dignement, regardant dans les yeux celle qui venait l'emporter. Rien n'est jamais juste ou beau dans de pareilles circonstances, mais la force, l'honnêteté qu'il avait continuellement incarnées dans sa vie, Roland Carraz, pâle, maigre et souffrant, se sachant condamné, les a rassemblées pour faire reculer une dernière fois l'obscurité devant l'humanité. Ce fut aussi sa droiture. Avec beaucoup d'émotion, devant vous, Madame, et devant lui, notre hémicycle incline son chagrin.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence)

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Le Gouvernement partage, Madame, votre peine, et s'associe à l'hommage que l'Assemblée rend à Roland Carraz. Sa voix manquera dans cet hémicycle. Son dernier discours à la tribune, en mai dernier, lors du débat de censure, traitait de la Corse. C'était une manière de synthèse de ses convictions et de ses arguments ; il y exprimait sa passion pour la citoyenneté française, qui sait allier l'unité et la diversité, son attachement à la loi républicaine, son amitié indéfectible pour Jean-Pierre Chevenèment et son soutien à l'action du Gouvernement de Lionel Jospin. Et ce jour-là, comme toujours, la voix de Roland Carraz fut écoutée dans cette assemblée, car la force de ses convictions se retrouvait dans une expression si claire, si construite, si précise, si mesurée qu'il n'avait nul besoin d'en forcer le timbre pour emporter l'adhésion de ses amis et le respect de ses opposants.

Chez Roland Carraz le calme, le sourire, la curiosité des autres, la capacité d'écoute accompagnaient une absolue fidélité à ses engagements pour l'école de la République, la justice sociale, un monde sans racisme. De son passage au Maroc, il avait gardé une ferme détermination à intégrer chacun dans la République et dans la cité. Fils et petit-fils de cheminot, tôt orphelin, boursier, pur produit de l'école républicaine, il réalisa, comme secrétaire d'Etat à l'enseignement technique et technologique, par une loi qui porte son nom, une réforme déterminante, en créant les baccalauréats professionnels et en consacrant cette filière comme un des chemins de la réussite. Historien, auteur d'une thèse sur la Révolution française sous la direction d'Albert Soboul, il alliait dans ses choix l'exigence républicaine et la lutte pour le progrès social. En Bourgogne, à Chenove, comme au Gouvernement ou à l'Assemblée, Roland Carraz restera comme un grand serviteur de l'Etat et de la République, une incarnation de la citoyenneté.

La séance, suspendue à 16 heures 15, est reprise à 16 heures 45 sous la présidence de Mme Catala.

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

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DÉLAI DE DÉPÔT DES CANDIDATURES
À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

Mme la Présidente - Au cours de la deuxième séance du mardi 25 janvier, M. le Président de l'Assemblée avait fixé au jeudi 3 février, à 18 heures, le délai de dépôt des candidatures au Conseil de surveillance du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie.

A la demande de la commission des affaires sociales, ce délai est reporté au jeudi 10 février, à 18 heures.

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      ÉLECTION DES SÉNATEURS

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l'élection des sénateurs.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Ce projet de loi qui a déjà été discuté par le Sénat, vise à rendre le mode d'élection des sénateurs plus simple, plus équilibré et plus juste afin de rénover le bicamérisme et de revaloriser le Parlement. Il tend à améliorer la composition du collège électoral sénatorial et à renforcer la représentativité des sénateurs. Il propose, en outre, d'intégrer au droit positif les ajustements techniques souhaités par le Conseil constitutionnel à l'issue de récents scrutins sénatoriaux.

La réforme du collège sénatorial vise à rendre sa composition plus conforme à la réalité démographique de notre pays.

L'article 24 de notre Constitution confie au Sénat la tâche d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République. Le collège électoral des sénateurs doit donc demeurer principalement constitué de délégués des communes, auxquels s'ajouteront les élus des départements et des régions. Mais il est urgent d'améliorer la représentation des communes, aujourd'hui trop peu équitable.

Le nombre de délégués désignés par chaque conseil municipal dépend en effet de l'effectif de ce dernier, lequel n'est lui-même que très imparfaitement proportionnel à la population de la commune. Il en résulte des distorsions de représentation entre communes, bien difficiles à justifier.

La première tient au fait que chaque commune a le droit d'être représentée par au moins un délégué. Ce projet conserve toutefois cette règle, conforme à la fonction de représentation territoriale du Sénat.

Le système actuel confère à certaines communes, notamment celles dont la population se situe entre 3500 et 5 000 habitants, ainsi qu'autour de 10 000 habitants, une représentation bien supérieure à leur part réelle dans la population. A l'inverse, les communes d'environ 8 000 habitants ou de plus de 10 000 habitants se trouvent largement sous-représentées du fait de ce mode de scrutin désuet. Comment justifier qu'une commune de 1 000 habitants dispose d'un délégué pour 333 habitants, alors qu'une autre, de 10 000 habitants, doive se contenter d'un délégué pour 303 habitants ? Comment expliquer que les 43,5 % de Français qui vivent dans des communes de plus de 15 000 habitants ne soient représentés au sein du collège électoral des sénateurs que par moins d'un quart des délégués ? Le principe d'égalité du suffrage, pourtant consacré par l'article 3 de la Constitution, se trouve ainsi malmené par un système incohérent, sans qu'aucun motif d'intérêt général ne le justifie.

A travers ce projet le Gouvernement espère concilier les exigences complémentaires, de l'article 3 et de l'article 24 de notre Constitution, en garantissant à la foi l'égalité du suffrage et une juste représentation des collectivités locales au sein du collège sénatorial. Chaque commune aura désormais un délégué pour 500 habitants ou fraction de ce nombre.

Ce dispositif, conforme aux principes constitutionnels simplifiera et rendra plus lisible le mode de scrutin sénatorial. Il permettra notamment de supprimer les savants calculs nécessaires pour déterminer le nombre de délégués dans le système actuel. Il permettra aussi que nos concitoyens s'intéressent davantage à un processus électoral, aujourd'hui trop subtil et trop peu transparent.

Tout en réduisant fortement les distorsions de représentation entre les communes, la réforme reste favorable aux plus petites d'entre elles, qui continueront toutes à bénéficier d'au moins un délégué, quelle que soit leur population, et qui profiteront, par ailleurs, de l'attribution d'un siège supplémentaire par tranche de 500 habitants ou fraction de ce nombre. Ainsi, les communes de moins de 3 500 habitants qui réunissent 35 % de la population et regroupent, dans le système actuel, plus de la moitié des délégués, continueront à en désigner 43,7 %.

Si le projet du Gouvernement corrige les déséquilibres les plus patents, il témoigne du souci constant de ne pénaliser en aucune façon la représentation des plus petites communes...au pays des 36 600 communes !

La commission des lois propose de désigner un délégué par tranche de 300 habitants. Ce n'est pas là affaire de principe, mais j'appelle votre attention sur les conséquences pratiques d'un fort abaissement du seuil de désignation des délégués. Les départements les plus peuplés devraient désigner des milliers de délégués : plus de 8 700 dans le Nord, plus de 7 100 à Paris. Dans ce dernier cas, il ne s'agirait d'ailleurs que d'une démultiplication de l'effectif du Conseil de Paris, puisque le département de Paris ne compte qu'une seule commune. Nous en reparlerons lors de l'examen des articles. Je me réserve de vous faire connaître alors mon opinion qui d'ailleurs n'engage que moi.

Afin d'améliorer la représentativité du collège électoral, des dispositions sont prévues tendant à garantir une meilleure représentation en son sein des oppositions municipales. En l'état actuel, les minorités des conseils municipaux sont assurées d'être représentées lors de la désignation des délégués des communes de plus de 9 000 habitants, soit parce que tous les conseillers municipaux y sont délégués de droit, soit à la faveur de l'élection des délégués supplémentaires et des suppléants à la représentation proportionnelle. En deçà de ce seuil, le scrutin majoritaire rend leur présence dans le collège électoral plus aléatoire.

Ce seuil était pertinent avant 1959 où les communes de moins de 9 000 habitants désignaient leurs conseillers municipaux au scrutin majoritaire, alors que les autres recouraient à la proportionnelle. La loi du 19 novembre 1982 ayant généralisé la proportionnelle pour les élections municipales dans toutes les communes de plus de 3 500 habitants, le seuil de 9 000 habitants n'est plus qu'une survivance historique (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Le projet du Gouvernement prévoyait initialement d'appliquer la proportionnelle partout où cela avait un sens, à savoir dès qu'il y avait au moins trois délégués à désigner, dans les communes de plus de 1 000 habitants.

Dans le souci d'harmoniser les seuils, la commission propose de limiter l'extension du scrutin proportionnel aux seules communes d'au moins 3 500 habitants.

Ce projet vise également à renforcer la représentativité des sénateurs en abaissant le seuil d'application du scrutin proportionnel.

Le Gouvernement propose ainsi que les sénateurs soient élus à la représentation proportionnelle dans les départements comptant au moins trois sièges à pourvoir. Le seuil actuel est de cinq sièges, sauf pour le Val d'Oise qui n'a que quatre sièges à pourvoir et procède néanmoins à l'élection de ses sénateurs suivant la représentation proportionnelle.

M. René Dosière - Autre survivance historique !

M. le Ministre - A laquelle il faut tordre le cou. Il existe un large accord sur l'extension du mode de scrutin proportionnel. Qu'un seul courant politique emporte tous les sièges à pourvoir dans un département ne contribue pas à améliorer la représentativité du Sénat, qui importe si l'on tient au bicamérisme.

Une majorité de sénateurs semble partager ce point de vue, puisqu'ils ont proposé d'abaisser le seuil de la représentation proportionnelle aux départements ayant au moins quatre sièges à pourvoir. Ils ont justifié cette position en expliquant que le seuil de trois sièges ne permettrait pas d'ouvrir le Sénat aux minorités départementales et ne ferait que modifier la répartition des sièges entre les deux principales forces politiques du département. C'est inexact, j'y reviendrai.

De même, on a pu estimer qu'une liste minoritaire ne pourrait de toute façon pas conquérir un siège, dans les départements élisant trois sénateurs, sauf à recueillir le tiers des suffrages exprimés.

Mais l'application de la proportionnelle à partir de trois sièges permettrait de mieux refléter la réalité des rapports de forces politiques au sein des départements, qui seraient représentés par des élus issus de plusieurs courants. L'affirmation selon laquelle la proportionnelle imposerait, dans les départements à trois sièges, de recueillir au moins un tiers des suffrages est erronée car elle ne tient pas compte de l'importance des restes à répartir.

Dans un souci de cohérence, le Gouvernement préfère vous proposer d'appliquer la proportionnelle partout où ce mode de scrutin peut convenablement fonctionner, c'est-à-dire dans tous les départements comptant au moins trois sièges à pourvoir.

De plus, afin de limiter, en cas de vacance de sièges, le nombre d'élections partielles au scrutin majoritaire dans des départements normalement soumis à la proportionnelle, il est prévu que chaque liste de candidats comporte deux noms de plus qu'il y a de sièges à pourvoir.

Le Gouvernement vous propose enfin des ajustements techniques, dont plusieurs ont été suggérés par le Conseil constitutionnel.

C'est ainsi qu'il est prévu de mettre fin à une anomalie du droit électoral, qui, dans les communes de plus de 9 000 habitants, restreint le vote par procuration aux seuls conseillers municipaux qui sont par ailleurs députés ou conseillers généraux, alors même que ce vote s'exerce selon les principes du droit commun dans les communes de moins de 9 000 habitants.

M. René Dosière - Encore une survivance historique ! (Sourires)

M. le Ministre - Il vous est proposé d'étendre à tous les conseillers municipaux le droit de voter par procuration, suivant les conditions habituelles prévues par le code général des collectivités territoriales. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Sur les recommandations du Conseil constitutionnel, il est en outre proposé d'instituer une déclaration de candidature obligatoire en vue du second tour dans les départements soumis au scrutin majoritaire, afin de lever les ambiguïtés auxquelles sont souvent confrontés les bureaux de vote pour savoir si les candidats présents au premier tour entendent se maintenir au second.

Ce Gouvernement souhaite aussi étendre aux élections sénatoriales le principe de l'émargement des listes par l'électeur et revoir les délais de publication du décret de convocation des électeurs, ainsi que les date et heure limites de dépôt des candidatures en préfecture.

Conformément à l'engagement pris par le Gouvernement dans l'exposé des motifs, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire modifiant l'effectif du Sénat en fonction des résultats du recensement général de la population sera prochainement à l'ordre du jour du Conseil des ministres.

Il convient, en maintenant les règles actuelles, de redéfinir le nombre de sièges par département en fonction des évolutions démographiques constatées.

M. François Guillaume - On va encore renforcer le poids des villes !

M. le Ministre - Cependant, en gagnant un troisième siège, certains départements passeront du même coup au scrutin proportionnel, avec d'ailleurs des listes paritaires, compte tenu du vote de cette nuit.

Ce ne serait pas servir la représentation démocratique que de laisser caricaturer son expression. Nous avons le devoir de veiller à ce que les institutions de la République soient fidèles au peuple qu'elles représentent, et le Sénat ne peut se soustraire à cette exigence. Perpétuer des règles désuètes et injustes, c'est laisser émousser l'instrument de la démocratie.

C'est un bain de jouvence que va prendre le bicaméralisme. La seconde chambre sera d'autant plus reconnue comme un lieu de réflexion et de sagesse qu'elle sera à l'image du pays. Cette réforme est donc un moyen de revaloriser le Parlement tout entier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Marc Dolez, rapporteur de la commission des lois - Ce projet a un objet limité : améliorer la représentativité du Sénat. Je le précise, parce que le débat a été dramatisé à l'excès par la majorité sénatoriale. Il ne s'agit nullement de remettre en cause la place et le rôle du Sénat dans nos institutions.

Nous ne voulons que revoir un mode d'élection inchangé depuis quarante ans et qui a montré ses limites. Le Sénat lui-même, d'ailleurs, a reconnu que certaines évolutions devenaient indispensables.

Juste, équilibré, ce projet tient compte de la nature du Sénat, qui est certes une de nos deux assemblées parlementaires mais qui a aussi la mission, conformément à l'article 24 de la Constitution, de représenter les collectivités locales de la République.

Le principe de l'élection au suffrage universel indirect n'est pas non plus remis en cause. Dans un Parlement bicaméral, la seconde chambre ne doit pas être le miroir de la première.

Une première série de dispositions, relatives au collège électoral, vise à changer les modalités d'élection des délégués des conseils municipaux, qui représentent l'essentiel des grands électeurs. Dans le système actuel, leur mode de désignation varie selon la taille des communes : on distingue les communes de moins de 9 000 habitants de celles qui en ont entre 9 000 et 30 000 et de celles qui en comptent plus de 30 000.

Le Gouvernement nous propose une règle simple et claire : un délégué pour 500 habitants, par tranche de 500 habitants. Votre commission souhaite abaisser ce seuil à 300, afin que les petites communes conservent un certain poids et puissent même, dans certains cas, étoffer leur représentation.

Ce grand défaut du système actuel réside dans la surreprésentation des communes rurales par rapport aux communes urbaines. Le système que nous vous proposons aurait pour effet d'équilibrer la représentation sans pour autant pénaliser les communes rurales.

Vous venez de nous objecter, Monsieur le ministre, que l'augmentation importante du nombre des grands électeurs qui résulterait de l'abaissement du seuil poserait de nombreux problèmes matériels le jour du scrutin. Pour y remédier, la commission vous proposera d'organiser le scrutin non seulement dans le chef-lieu du département, mais aussi, quand l'élection aura lieu à la proportionnelle, dans les chefs-lieux d'arrondissement.

M. René Dosière - Cela va multiplier les banquets républicains !

M. le Rapporteur - Par ailleurs, estimant que les conseillers municipaux, élus au suffrage universel direct, doivent faire partie des délégués aux élections sénatoriales, votre commission souhaite que, dans les communes dont le nombre de délégués est inférieur au nombre de conseillers municipaux, les délégués soient élus au sein du conseil municipal. Nous proposons en revanche que, dans les autres communes, tous les conseillers municipaux soient délégués de droit, le conseil municipal élisant en outre des délégués supplémentaires.

Par ailleurs, la désignation des délégués ne devront se faire à la proportionnelle que dans les communes où les conseillers municipaux sont eux-mêmes élus de cette manière.

Le Gouvernement a proposé de fixer le seuil de la proportionnelle à 1 000 habitants. La commission préférait le relever à 3 500 habitants. Par cohérence avec ce que nous avons voté dans le projet relatif à la parité, j'ai déposé un amendement visant à le fixer à 2 000 habitants.

La deuxième disposition importante du texte a trait au mode de scrutin lui-même. A l'heure actuelle, la représentation proportionnelle est appliquée dans les départements qui élisent cinq sénateurs et plus et dans le Val d'Oise. Dans les autres, s'applique le scrutin majoritaire à deux tours. Ce n'est pas la coexistence des deux modes de scrutin qui pose problème, mais le seuil d'application de la proportionnelle, qui nuit à la nécessaire égalité du suffrage, une faible majorité politique permettant d'emporter tous les sièges dans les départements qui doivent désigner trois ou quatre sénateurs.

M. Jean-Luc Warsmann - c'est faux !

M. le Rapporteur - C'est pourquoi l'application de la proportionnelle à partir de trois sièges nous semble infiniment plus juste.

Le Sénat a reconnu lui-même la nécessité d'abaisser le seuil, mais il s'est montré trop timide, s'arrêtant à quatre sièges, quand le chiffre de trois -et non de deux- semble le seul pertinent.

M. Jean-Luc Warsmann - Le tirage au sort ne serait-il pas plus pertinent ?

M. le Rapporteur - La commission des lois vous invite à adopter ce projet avec ses amendements. Il améliorera la représentativité du Sénat et lui permettra de remplir plus efficacement la mission que lui confient nos institutions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et communiste).

M. René Dosière - Même s'il fut longtemps combattu par les républicains et soutenu par les royalistes et par les bonapartistes, le bicamérisme appartient désormais à notre tradition constitutionnelle. Avec plus de cent ans d'existence il est admis qu'il favorise l'expression des collectivités territoriales et qu'il permet d'améliorer la qualité du travail législatif, deux examens réfléchis des textes valant mieux qu'un.

J'en veux pour exemple le statut de la Nouvelle-Calédonie, pour lequel Sénat et Assemblée ont travaillé ensemble, très en amont et se sont réparti les rôles afin de préserver le consensus sur un sujet délicat. C'est donc sans doute pour justifier a contrario l'utilité du Sénat que le rapporteur de sa commission des lois a cru bon de caricaturer le travail de notre assemblée.

Le Sénat évite également les risques d'une trop grande concentration du pouvoir. Songeons à sa lutte, entre 1962 et 1969, contre la monocratie plébiscitaire.

Pour autant, le Sénat n'est pas à l'abri de tentations. Il se fait trop souvent le défenseur d'une vision statique de la société -on l'a vu récemment à propos de la parité. Il lui arrive de temporiser, sous couvert d'expertise, afin de ralentir voire de bloquer l'action législative.

Il n'hésite pas à s'opposer brutalement à la volonté nationale, par l'usage d'armes de procédure ou d'un veto constitutionnel qui interdit au peuple de se prononcer. Bref, il entre trop fréquemment dans un jeu politicien en devenant une pièce du système majoritaire.

L'un des meilleurs spécialises du Sénat, Jean Mastias, professeur à Paris I, n'écrit-il pas « Il est patent que de 1981 à nos jours, à chaque changement gouvernemental ou présidentiel, on se demande si le Sénat n'est pas devenu une chambre de « démolition » ou « d'approbation systématique », s'il ne se place pas à la tête de l'opposition, s'il ne répète pas des discours déjà entendus au Palais Bourbon, s'il exerce vraiment un pouvoir « arbitral » dans les périodes de cohabitation pour aider à franchir un passage difficile, s'il n'est pas partisan » ?

Le Sénat n'a de sens, en effet, qu'à un certain nombre de conditions. Tout d'abord, s'il relève, non de la même légitimité démocratique que l'Assemblée, élue au suffrage universel direct, mais d'une légitimité complémentaire et nécessairement subsidiaire dans un Etat unitaire, les pouvoirs de la seconde chambre devant être toujours moindres que ceux de la première et son rôle politique plus effacé. Ensuite, s'il fonde son action sur la mission que lui fixe l'article 24 de la Constitution : assurer la représentation des collectivités territoriales de la République et la présence des Français établis hors de France. Enfin, s'il agit et s'exprime, non comme une force d'opposition -ou d'approbation- à la majorité nationale, mais en témoignant de sa capacité à contrôler les gouvernants quels qu'ils soient et à légiférer dans le souci de rendre les textes plus humains et plus concrets. C'est ainsi qu'il serait une chambre de vigilance.

Les spécialistes du droit constitutionnel et de la science politique sont aussi unanimes pour dénoncer trois maux qui affectent notre Sénat actuel et le conduisent si souvent à justifier son existence : le Sénat n'est pas vraiment représentatif des collectivités territoriales françaises ; il est une assemblée où toute alternance est inconnue, il peut bloquer les révisions constitutionnelles ainsi que certaines lois organiques, usant d'un droit de veto qui ne s'accorde pas avec le souci de permettre au peuple de trancher en dernier ressort. D'utiles recommandations en particulier la suppression du droit de veto sénatorial, avaient d'ailleurs été faites par la commission Vedel, en 1993.

L'inégalité de la représentation apparaît dans la répartition des sièges entre départements. Avec 75 000 habitants, la Lozère est représentée par un sénateur quand un département douze fois plus peuplé comme l'Isère ne dispose que de quatre sièges.

Plus grande encore est l'inégalité qui résulte de la composition des collèges électoraux départementaux. Les communes y jouissent d'un quasi monopole, représentant 96 % du corps électoral, les autres collectivités territoriales, que le Sénat est censé représenter, n'ayant qu'un poids négligeable. Parmi les communes, les petites sont surreprésentées, à l'inverse des villes. Un des meilleurs analystes de ces distorsions, Jean Grangé, souligne que « dans 38 départements, les délégués des communes de moins de 2 000 habitants sont majoritaires dans le corps électoral sénatorial alors que leur population représente moins de la moitié du total ».

M. Jean-Luc Warsmann - Que proposez-vous ?

M. René Dosière - Cette distorsion est amplifiée par le scrutin majoritaire et aboutit à cette « anomalie démocratique » relevée par le Premier ministre : le Sénat est une assemblée où l'alternance est inconnue parce qu'impossible.

Le scrutin uninominal majoritaire est appliqué dans les 85 départements élisant moins de 5 sénateurs, soit pour les deux tiers des sénateurs. Cela amplifie le poids des campagnes, au point que dans les 43 départements de la moitié nord soumis au scrutin majoritaire, la droite et le centre droit disposent de 108 élus sur 114. C'est dire qu'à l'exception des régions de très forte concentration urbaine, la majorité rurale de chaque département bénéficie au Sénat d'une représentation presque exclusive qui, en outre, ne bénéficie pas principalement, comme on voudrait nous le faire croire, aux régions rurales déshéritées ou économiquement fragiles.

Ainsi, note Jean Grangé, « c'est dans les départements où l'agriculture est souvent la plus prospère que la population rurale bénéficie de la plus forte surreprésentation. C'est la grande culture qui est la plus favorisée et non les campagnes pauvres. »

M. Jean-Luc Warsmann - C'est faux !

M. François Guillaume - N'importe quoi !

M. René Dosière - « La formule du doyen Vedel doit être retournée. Le Sénat est l'élu du blé et de la betterave plutôt que du seigle et de la châtaigne ».

M. François Guillaume - Quel sectarisme !

M. Eric Doligé - Faites donc désigner les sénateurs par les universitaires...

M. René Dosière - De ce point de vue, ce projet marque indiscutablement un progrès. Il permettra un meilleur équilibre entre les milieux urbains et ruraux au sein du corps électoral.

De plus, faire élire les sénateurs au scrutin de liste et à la proportionnelle dans les départements qui en désignent trois atténuera les inégalités et favorisera la présence des femmes.

Cependant, ces corrections ne permettront pas l'alternance, ...

M. Jean-Luc Warsmann - Il faut gagner les élections !

M. René Dosière - ...le maintien du scrutin uninominal majoritaire dans les départements qui élisent deux sénateurs garantissant le maintien d'une majorité de droite, d'autant que les légers gains de la gauche seront ensuite atténués par l'augmentation du nombre de sénateurs.

Ce texte limite les inégalités plutôt qu'il ne les résorbe et la volonté réformatrice des socialistes est ainsi bridée...

Alors que le projet permet au Sénat de mieux tenir sa place dans nos institutions, on ne peut qu'être surpris de la réaction de sa majorité. Certes, il n'a pas cette fois balayé toute transformation d'un revers de question préalable. Certes, il a reconnu la nécessité de se réformer, mais il s'en est tenu à une position timorée et sa commission des lois s'est surtout préoccupée de justifier son corps électoral et son fonctionnement.

En fixant à quatre, chiffre qui n'a aucune signification...

M. Jean-Luc Warsmann - Et trois ?

M. René Dosière - ...le nombre de sièges requis pour l'application de la proportionnelle, en conservant le mode de désignation des délégués, en ne s'attaquant pas sérieusement à l'inégalité de représentation des communes, il fait preuve, non de modération, mais de frilosité. Il conforte ainsi ceux qui pensent que le changement proposé par le Gouvernement est utile mais appelle d'autres gestes plus décisifs.

L'histoire du Sénat sous la Vème République prête à réfléchir. Réprouvé sous de Gaulle, consolidé sous Pompidou, le Sénat est comblé sous Giscard, car il est plus favorable au chef de l'Etat que l'Assemblée. Il devient même indispensable lorsque Raymond Barre succède à Jacques Chirac comme Premier ministre. Le Sénat succombe alors au piège majoritaire.

Inversement, 1981 place le Sénat en opposition complète avec la nouvelle majorité, au préjudice du dialogue législatif.

Dans les deux cas, le Sénat oublie le sens de la mesure et du compromis qu'il voudrait attacher à son image. Il ne constitue pas pour autant un contre-pouvoir efficace, devenant même un supplétif de la cohabitation.

Le Sénat échappe ainsi à la vocation qu'il revendique, parler d'une voix différente dans le dialogue législatif, quelles que soient les configurations politiques. Aussi convient-il de renoncer au système électoral qui aboutit à singer le fait majoritaire. Un scrutin proportionnel généralisé permettrait au Sénat d'exprimer la diversité des territoires. Ce texte favorisera une meilleure représentativité mais n'aboutira pas à ce Sénat pluriel et féminisé dont la démocratie a besoin.

Le groupe socialiste votera le projet, en espérant que la navette parlementaire permettra d'approfondir la réflexion et donc, pour finir, de refonder véritablement le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Luc Warsmann - Certaines affirmations m'ont surpris, même choqué. Il serait surprenant que la représentation des groupes politiques au Sénat soit différente de celle de l'Assemblée. Si tel était le cas, à quoi servirait le Sénat ? Le rôle de la seconde chambre découle de l'article 24 de la Constitution : assurer la représentation des collectivités territoriales de la République. La représentation, objecte-t-on, n'est pas la même entre les différents départements. Aux Etats-Unis, où la Chambre compte deux représentants par Etat, et où le Sénat est plus favorable qu'elle aux républicains, je n'entends pas le parti démocrate demander de changer le mode d'élection du Sénat parce que ce dernier ne lui est pas favorable.

M. René Dosière - Il s'agit d'un Etat fédéral !

M. Jean-Luc Warsmann - Pour gagner les élections, on convainc les électeurs, on ne change pas le système électoral !

Une deuxième critique porte sur le mode d'élection à l'intérieur de chaque département, réputé injuste parce que les collectivités territoriales comptent pour 96 %. Or le texte proposé ne change rien à cette prééminence des communes, au contraire !

Autre reproche, la surreprésentation des communes rurales. Sur ce point M. Dosière a déclaré de façon ahurissante que les communes à grandes cultures étaient surreprésentées. Ignorez-vous que les ouvriers, dans ces communes, sont plus nombreux que les agriculteurs, dont il ne demeure que trois ou quatre exploitants ?

La réalité est que nous devons trouver un dispositif équilibré permettant au Sénat de bien représenter les collectivités territoriales. Faut-il alors modifier la répartition entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel pour l'élection des 320 sénateurs ?

M. René Dosière - Oui !

M. Jean-Luc Warsmann - Actuellement les départements nommant cinq sénateurs ou plus les désignent à la proportionnelle, soit 14 départements et un tiers des sénateurs. Ailleurs, le scrutin majoritaire s'applique. C'est qu'au Sénat plus qu'ailleurs les candidats l'emportent par leurs qualités personnelles davantage que pour leur étiquette politique. Voilà qui explique pourquoi certains sénateurs l'emportent à quelques voix près. Le jeu est donc ouvert.

Le Sénat propose d'abaisser de 5 à 4 le nombre de sénateurs déclenchant le recours au scrutin proportionnel. Ce chiffre de 4 n'est pas magique. Mais il conduit à ce que 54 % des sénateurs soient élus au scrutin majoritaire et 46 % à la proportionnelle, ce qui constitue un bon équilibre. Mais vous voulez, vous donner partout la prime à l'étiquette politique. Je crois déceler chez vous une arrière-pensée politique. Hier nous avons voté à la quasi-unanimité un projet destiné à accroître la présence des femmes dans la vie politique. Or un amendement a été adopté, tendant à ce que les listes pour les élections sénatoriales à la proportionnelle observent l'alternance homme-femme. Il s'ensuit que dans les départements à 3 sénateurs, appartenant par exemple à l'opposition, le parti socialiste peut espérer en récupérer un, surtout grâce à un foisonnement des listes dissidentes. Voilà des raisonnements bien médiocres. Le texte que nous examinons tend à conserver le mode de désignation des délégués, tout en plaçant une barre à 9 000 habitants. Les communes en deçà de ce chiffre représentent 48 % des Français, celles de plus de 9 000 52 %. Voilà un nouvel équilibre. Or le Gouvernement propose de désigner un délégué pour 500 habitants, en sorte que toutes les communes de moins de 16 000 habitants perdent des délégués. Ce dispositif est-il compatible avec l'objectif de représenter l'ensemble des collectivités territoriales ?

La décision de la commission des lois d'abaisser le seuil à un délégué pour 300 habitants augmentera de moitié le nombre des électeurs, et affaiblira de 11 % la représentation des communes petites et moyennes, et de 5 % celles de 3 500 à 30 000 habitants, au profit des grosses communes. Est-ce compatible avec votre ambition affichée d'aménagement du territoire ?

Le groupe RPR soutient le texte adopté par le Sénat, parce qu'il est équilibré. Ce que nous entendons ici nous paraît lourd d'arrière-pensées. Le Sénat serait une anomalie politique parce que la majorité n'y a pas changé. A ce compte, dissolvez le conseil général de la Marne, dissolvez les conseils municipaux, comme celui de Lille, qui n'ont pas connu l'alternance depuis 50 ans et plus ! Ce n'est pas ma conception de l'alternance, qui dépend du libre choix des électeurs.

En réalité, sous couvert de modernisation, vous n'avez qu'un seul but, accroître le nombre des sénateurs de gauche. Si vous voulez abaisser à deux le nombre de sénateurs par département déclenchant la proportionnelle, autant procéder par tirage au sort. Cela ne serait pas plus ridicule !

M. René Dosière - Et aujourd'hui ?

M. Jean-Luc Warsmann - Augmenter le nombre de délégués comme vous le voulez aboutit aussi à gauchir le corps électoral.

Nous ne sommes pas complètement naïfs. Nous avons observé que la majorité regrette d'avoir parfois affaire à un Congrès qui lui résiste, parce que l'opposition y détient les trois cinquièmes des sièges.

Et quelques jours seulement après une déconvenue, un projet nous est présenté, dont le clair objectif est, sous couvert de modernisation, de briser cette majorité de droite, en escomptant que cette mauvaise action ne trouvera que peu d'écho dans l'opinion. Mais attention : il est peu d'exemples, dans l'Histoire, de gouvernements qui aient pris de telles libertés avec les modes de scrutin sans être sanctionnés, au bout du compte, par l'électorat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Patrice Carvalho - Le 10 mars dernier, le Conseil des ministres adoptait ce projet, que nous examinons après que la majorité sénatoriale lui a fait perdre de sa force et de sa pertinence -mais nous n'en sommes qu'au début d'un long cheminement, et nous souhaitons que la sagesse l'emporte sur les calculs politiciens. Nous comprenons mal le déchaînement de passions que la réforme -qui, comme l'a justement dit notre rapporteur, n'est pas une révolution- a suscité au Sénat.

Nous sommes convaincus, pour notre part, de la nécessité, tout en conservant le système bicaméral, de faire évoluer la seconde chambre, trop souvent cambrée dans une attitude d'obstruction : ni sur la parité, ni sur le PACS, ni sur le cumul des mandats, elle n'a su assumer son rôle de modération et d'équilibre. Quoique inégalitaire, le bicamérisme de la Vème République confère au Sénat le pouvoir de bloquer certains textes d'importance, contre les aspirations de nos concitoyens eux-mêmes.

Si les forces de gauche ont remporté, depuis vingt ans, un certain nombre d'élections, locales, nationales ou européennes, une institution est restée à l'écart de toutes les évolutions politiques : le Sénat. Il y a bien là une anomalie, et la composition déséquilibrée de la Haute assemblée constitue, qu'on le veuille ou non, un réel obstacle au fonctionnement du régime parlementaire. Les Français en sont d'ailleurs conscients : selon un sondage effectué l'an dernier, une majorité d'entre eux estiment que le Sénat devrait refléter davantage les réalités politiques, sociologiques et culturelles du pays. Nous ne devons donc pas laisser le Sénat se « ringardiser », mais le démocratiser pour répondre à la soif de transparence et d'intervention citoyenne qu'expriment nos compatriotes.

Ce projet, qui tend à modifier le mode d'élection des sénateurs, n'est certes qu'un petit pas. Il ne saurait, à lui seul, remédier à la crise de la politique, que le chômage, les inégalités, l'incertitude du lendemain exacerbent, mais dont les causes profondes résident dans un système institutionnel caractérisé, depuis 1958 et plus encore depuis 1962, par la très forte personnalisation du pouvoir, ainsi que dans la contradiction croissante entre l'indépendance nationale et une supranationalité tentaculaire. Nous sommes partisans d'une démocratie responsable et efficace, qui restaure la primauté du Parlement et développe la participation citoyenne.

C'est dans cet esprit que nous abordons la discussion. Le suffrage universel, même indirect, doit demeurer égal et secret, aux termes mêmes de l'article 3, alinéa 3, de la Constitution, et toute atteinte au principe d'égalité du suffrage constitue une distorsion de la volonté populaire. Or, ainsi que l'a souligné le ministre de l'intérieur devant le Sénat, une commune de 100 000 habitants dispose, pour le scrutin sénatorial, d'un délégué pour 800 habitants, une commune de 10 000 habitants d'un délégué pour 303 habitants, une commune de 1 000 habitants d'un délégué pour 333 habitants. En d'autres termes, ce système désavantage les communes importantes : celles de plus de 100 000 habitants, qui regroupent 15 % de la population, ne désignent que 7 % des délégués.

Le projet tend à corriger cette inégalité, sans porter atteinte à l'assise territoriale du Sénat, dont tirent prétexte les défenseurs du mode de scrutin actuel pour entretenir la confusion. Qui peut s'opposer, en toute justice, à des dispositions établissant un meilleur équilibre, plus conforme à leur poids démographique respectif, entre zones rurales et urbaines ? Le texte du Gouvernement, qui prévoit la désignation d'un délégué par tranche de 500 habitants, va dans le bon sens, mais nous soutenons la position de la commission, qui propose un délégué par tranche de 300 habitants. Nous sommes très attentifs, par ailleurs, à l'engagement, pris par le ministre devant le Sénat, de modifier la répartition du nombre de sénateurs entre les départements selon les résultats du recensement de 1999 : il serait singulier que les sénateurs élus en 2001 le soient sur la base du recensement de 1975 !

D'autre part, le projet étend à tous les départements élisant au moins trois sénateurs l'application de la représentation proportionnelle. Nous y sommes favorables par principe, comme nous sommes favorables - mais c'est un autre débat - à ce qu'elle prévale aussi pour l'élection des députés. En revanche, élever à 3 500 habitants son seuil d'application pour l'élection des délégués eux-mêmes serait un recul. Enfin, nous souhaitons que la durée du mandat de sénateur soit ramenée de neuf à six ans, et l'âge d'éligibilité de 35 à 23 ans.

Le groupe communiste votera le présent projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Emile Blessig - Les Français ont exprimé à deux reprises, en 1946 et en 1969, leur attachement au bicamérisme. Quant à l'existence de deux modes de scrutin, elle vise à éviter les conflits de légitimité entre l'Assemblée nationale, dont la représentativité repose sur un critère démographique, et le Sénat, auquel l'article 24 de la Constitution confère une mission spécifique : la représentation des collectivités territoriales, personnes morales de droit public exprimant la volonté collective de leurs habitants.

La représentativité du Sénat mérite assurément d'être améliorée. Chacun en convient d'ailleurs, et nous sommes en présence de trois propositions : celle de la majorité sénatoriale, celle du Gouvernement et celle de la commission des lois, ou plutôt de ses membres socialistes.

Le problème de la représentativité du Sénat est double : c'est celui de la désignation des membres du corps électoral, et celui des modalités d'élection des sénateurs, scrutin proportionnel ou majoritaire à deux tours. On peut y voir un débat purement arithmétique : faut-il un grand électeur par tranche de 700, de 500 ou de 300 habitants ? Faut-il appliquer la proportionnelle dans les départements qui ont quatre sénateurs, comme le propose le Sénat, ou trois comme le suggère le Gouvernement ? M. Warsmann a parlé de seuils et d'équilibre. De ce point de vue toutes les argumentations sont possibles. Ces questions ont un intérêt politique évident, car le résultat des élections en dépend. Mais on ne débat pas sur l'arithmétique : on impose les choix de la majorité, ce que probablement vous allez faire. Pourtant, si vraiment le Sénat est une anomalie, en quoi ce projet peut-il y remédier ? Il ne s'agit pas seulement d'une anomalie arithmétique, même si celle-ci est reconnue sur tous nos bancs. Si l'on avait voulu s'attaquer vraiment au problème de la représentativité du Sénat, on pouvait aller plus loin. On s'est contenté de calculs arithmétiques au profit d'une composante du paysage politique.

Essayons plutôt d'analyser les éléments de la représentativité du Sénat. La première question est celle du nombre de sénateurs. On parle de dix-huit nouveaux sénateurs, mais nous ne savons rien. Il eût été cohérent, pour la bonne information de l'Assemblée, de lui fournir au moins un avant-projet de la loi organique sur ce thème. C'eût été un gage du sérieux de nos travaux.

Le second élément de représentativité est la composante démographique. Notre pays, c'est vrai, a connu ces dernières années d'importants transferts de population. Aujourd'hui, dans une commune de moins de 3 500 habitants, un délégué représente 292 habitants, contre 788 dans une ville de 30 000 à 100 000 habitants. Les communes de 10 000 habitants et plus rassemblent 15,1 % de la population, mais seulement 7,2 % des délégués. Un rééquilibrage de cette composante démographique s'imposait, notamment entre population rurale et urbaine. Cependant la prise en compte des résultats du recensement aurait permis de mieux saisir l'importance du phénomène périurbain, et d'analyser plus finement la situation démographique réelle. Le secteur périurbain a gagné trois millions d'habitants depuis vingt-cinq ans, et l'on sait quels problèmes concrets se posent dans ces zones. L'opposition du rural et de l'urbain a perdu de sa pertinence, au point que les géographes parlent volontiers du « rurbain ». Il est dès lors regrettable que, tout en affirmant opérer une avancée, le Gouvernement ait choisi de prendre en compte un critère dépassé. L'approche nationale aurait pu être complétée par une analyse, département par département, des conséquences de ces changements : le poids du facteur démographique est en effet largement fonction du poids démographique de la ville-centre.

N'oublions pas enfin la composante institutionnelle de la représentativité du Sénat. Son rôle de représentant des collectivités territoriales est une des justifications du bicamérisme. Le projet tient compte des mouvements de population. Mais notre paysage institutionnel aussi a beaucoup évolué. C'est l'émergence de l'intercommunalité, communautés de communes et syndicats ; c'est, surtout, la naissance des communautés d'agglomération et des pays ; c'est le rôle croissant des régions, mais aussi la place incontournable des départements, notamment dans le domaine social. Comment justifier dès lors qu'un texte, qui se veut progressiste et novateur, persiste à construire presque exclusivement sur les communes la représentativité du Sénat ? Si le paysage démographique a changé, le paysage institutionnel est en pleine évolution, et la représentativité devrait évoluer pour intégrer ces changements. Les conseillers généraux et régionaux vont continuer à représenter quelque 3 % des sénateurs. Ce n'est pas là une représentation équilibrée et dynamique, de nature à permettre au Sénat de remplir pleinement son rôle de représentation des collectivités territoriales. Quel que soit l'attachement de nos concitoyens à la commune, il aurait fallu intégrer dans votre vision les évolutions institutionnelles.

Je veux évoquer maintenant la mission du Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales. Le législateur de 1958 a conçu le Sénat dans le contexte d'un Etat centralisé. Mais depuis lors sont intervenues les lois de décentralisation de 1982 et 1983. Il est donc indispensable que les collectivités décentralisées soient représentées de façon à s'exprimer de façon spécifique dans le processus législatif : c'est une des missions du Sénat. Cette mission, importante au regard de la cohérence nationale, l'est aussi dans la perspective de la construction européenne. Face au Comité des régions, et pour une bonne application de la subsidiarité et des programmes européens, il faut que le Gouvernement puisse s'appuyer sur une expression collective, afin de mieux défendre les intérêts des collectivités dans le cadre européen. On ne peut plus aujourd'hui concevoir de planification dans notre pays qui ne tienne compte des programmes européens. Abandonnerons-nous les collectivités territoriales à leur émiettement ? Organiserons-nous un dialogue efficace ? Le Sénat peut et doit assumer cette mission. Il doit être une courroie de transmission, un facteur de cohérence entre les collectivités et l'Etat d'une part, l'Europe de l'autre.

Un mot sur la situation des Français à l'étranger et leurs sénateurs. A l'heure de la globalisation, ces Français -dont le nombre est d'environ 300 000 et ne cesse de croître- doivent plus que jamais être représentés au Parlement.

M. Alain Tourret - Par douze sénateurs ?

M. Emile Blessig - Mais faut-il encore accepter que cent cinquante grands électeurs du Conseil supérieur des Français de l'étranger élisent, à Paris, douze sénateurs ? Pour nous, il faut porter à mille environ le nombre des grands électeurs représentant ces Français, et désigner les délégués dans les pays de résidence

MM. Alain Tourret et René Dosière - Très bien !

M. Emile Blessig - Le recensement devrait fournir sur ce point des informations utiles.

En conclusion, ce projet a le mérite d'adapter le mode de désignation des sénateurs en tenant compte de certaines évolutions démographiques. Mais s'agissant de la représentativité du Sénat, il est insuffisant, car il s'en tient à la représentation des communes, essentiellement des grandes métropoles. On est loin d'une vision dynamique et moderne de l'évolution de nos institutions et de nos territoires. Si chacun reconnaît la nécessité d'aménager la représentativité du Sénat, encore faut-il que cet aménagement soit équilibré. Ce n'est pas le cas, et nous sommes là devant une nouvelle anomalie. Par ailleurs, le Gouvernement propose des dispositions partisanes, au service exclusif de la représentation au Sénat du parti dominant de la majorité. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Il fait ainsi du mode d'élection des sénateurs un enjeu politique, voire politicien. C'est une nouveauté, et un précédent qui risque d'être source d'instabilité, donc de fragiliser nos institutions.

L'UDF nourrit une vision dynamique du rôle du Sénat. Elle regrette que dans ce débat le calcul politicien l'emporte sur l'analyse perspective de la représentativité du Sénat. Elle soutiendra les propositions de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Alain Tourret - A entendre nos collègues, la République est en danger, ses institutions ébranlées, et, avec le Sénat, la clé de voûte de la Constitution va tomber. A voir les bataillons serrés de l'opposition, je suppose que les absents sont déjà sur les barricades pour défendre le Sénat ! (Sourires)

Le Sénat, pour moi, c'est d'abord Gaston Monnerville. Cette grande figure républicaine a dominé le Sénat sous la Vème République. Il a eu le courage, à un certain moment, de répondre au pouvoir autoritaire en lançant une accusation de forfaiture, et en faisant publier son discours, à la demande du Sénat unanime, dans toutes les mairies de France.

Le Sénat, c'est aussi pour moi un regret, celui d'avoir en 1969, alors que je votais pour la première fois, voté contre la réforme du général de Gaulle...

M. René Dosière - Si le Sénat existe toujours, c'est de votre faute ! (Sourires)

M. Alain Tourret - Je regrette en effet mon erreur. Si le peuple français avait alors suivi le général, nous ne débattrions pas aujourd'hui de l'avenir du Sénat !

Enfin, je demande malicieusement au ministre si le bourgeois bien enveloppé que, sur sa carte de v_ux, il envoie en l'air d'un coup de pied ne pourrait pas être un sénateur ?

Après que Tony Blair a été reçu dans notre hémicycle, ne pourrait-on envisager de rapprocher encore ces deux grandes démocraties que sont la France et l'Angleterre et transformer le Sénat en Chambre des lords ?

Le Sénat pourrait recevoir vocation à accueillir les ministres renvoyés ! On imagine très bien les huit « juppettes » nommées sénatrices et mettant tout leur talent au service de la République dans cette illustre assemblée. Après tout, le Conseil constitutionnel accueille bien les anciens présidents de la République.

M. René Dosière - Le Sénat pourrait aussi accueillir les anciens députés.

M. Alain Tourret - Je n'irai pas jusque là.

J'en viens plus directement au projet de loi : le rapporteur a fait preuve de sagesse. Ses propositions équilibrées sont de nature à réconcilier le Sénat et les forces vives de la nation. Une deuxième chambre a, selon moi, vocation à être l'écho des grandes tensions qui traversent notre société. Ce n'est malheureusement pas le cas du Sénat qui, loin de jouer le rôle d'impulsion qui devrait être le sien, ne sait que freiner. Depuis des années, il n'a proposé aucun texte clé. Voilà le plus grave reproche que je lui adresse. J'espère donc vivement que la représentation rénovée que lui assurera ce texte améliorera la situation. Nous voterons bien entendu les propositions du rapporteur.

J'aurais, pour ma part, souhaité proposer qu'on ne vote plus qu'une seule fois tous les neuf ans pour élire les sénateurs représentant les Français de l'étranger, regroupés en une seule circonscription. Est-il normal qu'ils soient aujourd'hui douze, c'est-à-dire que leur représentation soit quatre fois supérieure à la normale ? Certains objectent qu'ils représentent « l'Empire » mais que reste-t-il de l'empire colonial depuis 1958 ? Le nombre des Français établis hors de France augmente certes mais ils sont toujours sur-représentés au Sénat. Il y va de l'égalité entre tous les citoyens. Cela étant, j'ai retiré ma proposition puisqu'une loi organique serait nécessaire pour modifier ce point. Se réconcilier avec la modernité eût pourtant été opportun pour le Sénat.

Le texte que nous allons voter aujourd'hui constitue un premier pas. Si dans quelques années une VIème République voit le jour, il sera alors temps de réfléchir à une autre deuxième chambre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pascal Clément - Le discours que j'avais prévu de faire étant en tous points semblable à celui prononcé par M. Warsmann, qu'il n'aurait toutefois pas égalé, je limiterai mon propos à l'un des aspects de la réforme que le Gouvernement, poussé par sa majorité, nous propose aujourd'hui.

Messieurs, il est toujours délicat de s'occuper des affaires des autres...

M. René Dosière - La République est l'affaire de tous !

M. Pascal Clément - Je n'ai jamais été sénateur mais, ministre, j'ai défendu des textes devant la Haute Assemblée. J'ai alors pu constater que c'était là une autre assemblée, fort différente de la nôtre, avec sa procédure, son Règlement, ses m_urs...

M. Alain Tourret - Le Jockey-Club !

M. Pascal Clément - Nos collègues sénateurs sont en effet plus courtois. Chaque chambre tient, à juste titre, à sa spécificité. Nos compatriotes savent d'ailleurs très bien que les deux chambres, dont les membres ne sont pas élus de la même façon, ont des fonctions différentes. Et je remarque incidemment que son projet de supprimer le Sénat n'a pas porté chance au général de Gaulle en 1969. L'erreur du Gouvernement est aujourd'hui de vouloir calquer, peu ou prou, les deux assemblées l'une sur l'autre...

M. René Dosière - J'ai dit le contraire.

M. Pascal Clément - Votre argument est que le Sénat ne serait plus représentatif sur le plan démographique de la France d'aujourd'hui. Cet argument n'est en effet pas négligeable mais il me semble que, sans accepter de se faire hara-kiri, le Sénat l'a pris en compte puisqu'il est d'accord pour que l'élection ait lieu à la proportionnelle dans les départements élisant au moins quatre sénateurs. Cette proposition ne vous a pas paru suffisante, ce qui est contestable. Mais quand même eussiez-vous raison, mieux aurait valu proposer une réforme allant dans le sens de vos souhaits mais acceptée par le Sénat plutôt que de lui imposer à tout prix vos vues, d'autant que vous ignorez les conséquences politiques qui pourraient s'ensuivre.

80 % des Français vivent aujourd'hui en ville, nous dit-on. Encore faut-il préciser ce que l'on entend par ville car beaucoup de nos concitoyens vivent dans des bourgs semi-ruraux, ce qui témoigne d'ailleurs de leur attachement au monde rural. L'évolution actuelle de la France dite profonde est inquiétante et je crains malheureusement que vos réformes n'accélèrent le cours des choses. Alors que les candidats sont de moins en moins nombreux à la fonction de maire et que les sénateurs restent bien souvent les seuls notables du monde rural, voilà que vous allez, avec la proportionnelle, remplacer ces hommes de terrain qui ont souvent vécu et travaillé toute leur vie dans la collectivité qu'ils dirigent, par des apparatchiks certes beaucoup plus diplômés, et bouleverser ainsi la composition de la Haute assemblée. L'un des effets pervers de votre réforme sera bel et bien d'accélérer l'exode des élites du monde rural, ce qui constitue une faute grave. La France n'y gagnera pas.

Autre point : il existe en France une assez grande inégalité dans la composition des gouvernements...

M. Alain Tourret - Trop d'énarques !

M. Pascal Clément - Sans doute. Nous pourrions nous mettre d'accord, cher collègue, pour qu'ils comprennent un peu plus d'avocats et un peu moins d'énarques (Sourires).

Le sénateurs sont, d'une manière générale, peu invités à entrer au gouvernement car ils ne le souhaitent pas, l'expérience montrant que la fonction ministérielle est beaucoup moins sûre qu'un mandat de sénateur. Cela étant, ceux qui étaient élus au scrutin majoritaire avaient quelque chance de retrouver leur siège lorsqu'ils quittaient le gouvernement. Voilà une assurance que la proportionnelle va faire disparaître, si bien qu'il y aura de moins en moins de ministres issus des rangs du Sénat. C'est aussi une façon de l'abaisser. Je voulais le dire, car personne ne l'avait observé avant moi. Si on veut abaisser le Sénat, c'est bien vu.

Nous avons été choqués par le mot du Premier ministre, qui a parlé d'anomalie. Je veux vous en signaler une autre : alors qu'on ne peut adopter une loi organique concernant le Sénat sans l'accord de la Haute assemblée -c'est le cas pour le projet relatif à la limitation du cumul des mandats-, il n'est pas besoin d'une loi organique pour changer le mode d'élection des sénateurs. Il y a là une contradiction. Avouez que si nous étions Constituants, nous aurions exigé le même type de loi dans les deux cas.

Par ailleurs, Monsieur le ministre, M. Warsmann a relevé un sophisme dans votre discours : il n'y a pas d'alternance, c'est donc que le mode d'élection est mauvais, nous avez-vous dit. C'est un propos aussi choquant que celui de M. Mermaz qui, devenu président de notre Assemblée en 1981, déclara, paraphrasant Peyrefitte, que si vous ne faisiez pas de bêtises, l'alternance se ferait de la gauche vers la gauche... Vous voyez, le MDC a ses chances, si on s'en tient à cette analyse. Mais ce ne sont pas là des propos de démocrate.

On ne peut prétendre qu'un mode de scrutin est mauvais parce qu'il n'y a pas d'alternance. Ou alors, il va falloir le modifier au niveau de chaque commune.

S'il fallait en effet revoir le mode de désignation des sénateurs, il ne fallait pas aller au-delà de ce que souhaitait le Sénat.

La situation s'est encore gâtée hier, puisque vous avez imposé la parité systématique avec les listes dites « chabada ».

J'en connais pourtant qui avaient voté la révision constitutionnelle parce qu'on leur avait promis un quota de 30 %. Et ceux-là me ressemblent comme des frères...

M. Alain Tourret - Vous avez voté la révision constitutionnelle.

M. Pascal Clément - A tort ! Le Gouvernement n'a pas tenu sa promesse. En outre, il n'était question que de « favoriser » l'égale représentation des hommes et des femmes et je vous fiche mon billet que votre dispositif sera censuré par le Conseil constitutionnel.

Vous allez provoquer, dans chaque département, une petite guerre civile, car les sénateurs sortants -qu'ils soient de droite ou de gauche d'ailleurs- devront, pour sauver leur peau, constituer leur propre liste.

Pouvons-nous vraiment, nous tous, hommes politiques, nous payer le luxe de donner aux grands électeurs le triste spectacle de ces batailles ?

Voulant aller trop loin, vous négligez cette importante vertu de gouvernement qu'est la prudence. Les maires, les grands électeurs, les Français ne vous en seront pas reconnaissants.

Cette réforme obéit trop à des arrière-pensées politiciennes pour que le groupe DL l'approuve.

M. Michel Suchod - MM. Warsmann et Clément se trompent d'époque.

La gauche a toujours combattu cette « fonction conservatrice du Sénat » à cause de laquelle il a fallu vingt-quatre ans pour instituer l'impôt proportionnel sur le revenu, à cause de laquelle six scrutins successifs, dans l'entre-deux-guerres, n'ont pas suffi à donner le droit de vote aux femmes.

Oui, la gauche a combattu le Sénat, qui a renversé Léon Bourgeois en 1896, le Cartel des gauches en 1925 et, par deux fois, Léon Blum. Voilà ce qu'était le Sénat quand nous n'avions pas le dernier mot !

Il lui reste une fonction de réflexion, grâce à sa pondération et au bon sens des élus ruraux qui le composent en majorité. Je note toutefois qu'à la Knesset et en Suède, cette fonction est exercée par l'assemblée élue au suffrage universel direct, au moyen d'une sorte de troisième lecture qu'elle s'impose.

Contrairement à ce que pense M. Clément, nous n'allons pas abaisser la Haute Assemblée. Cette réforme est très modérée. Elle aura pour effet de rajeunir et de féminiser le collège des grands électeurs.

Il me semble bon, par ailleurs, de recourir à la proportionnelle dès lors qu'il y a au moins trois sièges à pourvoir. Le Président de la République avait engagé une consultation sur ce point et le Mouvement des citoyens s'était déclaré favorable à cette évolution.

D'après mes calculs, en outre, cette réforme ne risque guère de changer la majorité au Sénat. Cela, au reste, ne s'est produit qu'une fois : dans les années 1880, quand le Sénat, monarchiste, est devenu républicain...

Il n'est pas interdit de faire des petits pas. Avec cette réforme, malgré le Sénat lui-même et l'opposition conservatrice, nous allons rendre un signalé service à la Haute Assemblée, actuellement si peu représentative, en adoptant ce texte.

M. René Mangin - Enfin un texte ! Après des décennies d'immobilisme, nous pouvons aborder la question du Sénat. Est-ce bien une assemblée démocratique ? Peut-il être mis sur le même plan que l'Assemblée nationale ? Je ne le pense pas.

Dans la Déclaration des droits de l'homme, la Nation est constituée par l'ensemble des citoyens et non par des collectivités territoriales. Par principe, en démocratie, un individu égale une voix.

A la Haute Assemblée, ce principe n'est pas respecté. Pensez-vous qu'un sénateur élu par 1 500 grands électeurs soit aussi légitime qu'un député élu par 32 000 électeurs ?

C'est ce qui a fait dire à Lionel Jospin que le Sénat constituait une « anomalie parmi les démocraties ».

Au sein même de nos institutions, ce mode de désignation est une exception. Le Sénat n'est en réalité qu'un legs du bonapartisme à la République, laquelle n'a jamais eu le courage de le supprimer. Le nom même de « Sénat » évoque l'empire romain.

Je n'aurai pas l'outrecuidance de proposer la suppression du Sénat... dans l'immédiat. Je m'interroge néanmoins sur la conservation d'une assemblée qui ne tire sa légitimité que d'une élection au deuxième degré. Elle pourrait être transformée en assemblée consultative des collectivités territoriales, sur les problèmes qui leur sont spécifiques.

Que le Sénat soit en majorité hostile à la limitation du cumul des mandats, qu'il soit d'esprit conservateur importe peu. Toutes les opinions ont le droit d'être représentées, si elles s'inspirent des valeurs de la République. Il n'y a pas lieu de réformer une institution parce que les idées qu'on y retrouve majoritairement ne nous conviennent pas.

Poser le débat en ces termes, c'est déjà concocter des arrangements sur le mode de scrutin et renforcer l'antiparlementarisme.

La question du mode d'élection n'a donc que peu d'importance. Il était surtout intéressant de relancer le débat sur le devenir de cette assemblée. A ce titre, il est à l'honneur du Premier ministre de l'avoir engagé sur ses véritables bases, posant d'emblée la question en termes de légitimité.

L'autre intérêt de ce débat réside en ce qu'il nous révèle certains blocages, dans nos rangs mêmes. Je ne prendrai que l'exemple du mode de scrutin différencié.

Nombre de constitutionnalistes s'accordent à dire qu'une même chambre ne peut être élue suivant deux modes de scrutin. La question a été posée au sein de la commission des lois, jamais au Conseil constitutionnel.

A défaut d'une refonte plus complète des institutions, je reste favorable, pour ce type de représentation au deuxième degré, à l'introduction intégrale de la proportionnelle, qui favorise aussi une plus grande diversité de la représentation parlementaire dans les départements et permet ainsi d'absorber les chocs des alternances législatives.

Mais une réforme globale des institutions suppose que l'on contourne l'obstacle du Sénat et donc que l'on s'adresse directement au peuple. Un référendum initié par un Président de la République décidé pourra, sinon le supprimer, du moins le réformer en profondeur, notamment en ramenant la durée du mandat des sénateurs à cinq ans, comme pour les autres mandats.

Elire non plus par tiers mais en une seule fois la Haute Assemblée serait gage de clarté pour les Français. Essayons de faire de l'élection des sénateurs un véritable rendez-vous national autour d'un projet, plutôt qu'autour de personnes jouant trop souvent de leur notabilité. Voilà qui favoriserait l'alternance.

A cet égard, comment ne pas craindre, après le vote de la nuit dernière sur la parité, de voir apparaître, lors des prochaines sénatoriales, autant de listes que d'hommes sénateurs sortants ?

Vraiment, sur tous ces points, je ne vois qu'un recours au peuple pour assurer la cohérence d'une réforme attendue par les Français et pour éviter de nombreux blocages.

Cette loi marque une évolution mais nous sommes au milieu du gué ; il nous faut atteindre l'autre rive (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Forni remplace Mme Catala au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

vice-président

M. Guy Hascoët - Ce débat d'inscrit dans un mouvement de modernisation de la vie publique dont je me réjouis.

Ayant été une fois grand électeur dans le Nord je n'ai pas eu le sentiment, Monsieur Clément, d'une grande mobilisation populaire, d'un vibrato populaire, mais plutôt d'un cérémonial réservé à quelques happy few, dont les résultats n'étaient ni attendus, ni surprenants. Tout cela mérite vraiment d'être changé !

Pour notre part, nous sommes favorables au bicamérisme pour peu que l'on accepte l'équilibre et que le dernier mot revienne à l'Assemblée. Le Sénat doit représenter la diversité du territoire ce qui suppose qu'il émane davantage des régions.

Il faut aussi revoir le système des grands électeurs : est-il normal que 30 habitants d'un village rural comptent autant que 700 habitants d'une grande cité ? Pour avoir grandi dans un village où il était bien difficile que les neuf membres du conseil municipal ne soient pas issus de la même famille, je trouve ce système profondément injuste.

Ce débat ne nous passionne guère, nous qui aurions aimé une grand réforme allant vers le suffrage universel direct. Mais ce texte marque des progrès, aussi le voterons-nous, car qui veut le plus veut le moins ; nous le voterons sans enthousiasme, mais sans état d'âme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Gouzes - Je le dis tout de go : je suis déçu par la réforme du Sénat que l'on nous présente. Un peu de proportionnelle, une actualisation de l'assiette du corps électoral, quelques mesures ponctuelles -de bon sens, certes- et nous voilà repartis avec une chambre « haute » -pourquoi serions-nous la chambre « basse » ?- consolidée, stratifiée dans un archaïsme reconnu par tous, y compris par les sénateurs, qui font des efforts surhumains de communication et de modernisation.

J'ai bien compris qu'il faudrait, pour réformer vraiment le Sénat, une loi organique voire constitutionnelle et qu'il n'acceptera jamais une réduction du mandat de neuf ans en une élection conjointe de tous les sénateurs, qui ne pourrait d'ailleurs intervenir avant 2010...

Qui, quel Président de la République voudra et pourra un jour modifier tout cela ? Pareille situation me laisse un goût amer tant la modernisation de nos institutions m'apparaît indispensable.

En ce qui concerne la nécessité d'une deuxième chambre, il faut admettre que les lectures multiples de la loi garantissent que tous les intérêts sont pris en compte. Le compromis est nécessaire au dialogue politique et social : une deuxième chambre peut l'assurer. Mais pourquoi la figer dans son conservatisme ? Pourquoi lui laisser croire qu'elle est là pour tempérer la volonté démocratique exprimée par le suffrage universel direct ? Pourquoi lui laisser dire qu'elle est le garant des valeurs constitutionnelles et de la belle législation ?

Donnons donc un peu d'oxygène à cette assemblée à laquelle le général de Gaulle voulait à juste titre faire assurer la représentation des collectivités territoriales ainsi que des activités économiques, sociales et culturelles.

Pourquoi tant de timidité sur le mode de scrutin ? Pourquoi deux modes de scrutin pour une seule assemblée ? Pourquoi ne pas généraliser la proportionnelle dès qu'il y a deux sièges ? La distinction que nous nous apprêtons à instaurer est-elle conforme au principe d'égalité proclamé solennellement par la déclaration de 1789 ? Est-elle conforme au principe d'égalité du suffrage que pose l'article 3 de la Constitution ? Plus généralement, le mode de scrutin sénatorial est-il conforme à la Constitution ? Le scrutin différencié introduit une distinction intolérable entre nos concitoyens. Il repose sur une logique juridiquement contestable : selon certains, la taille du département serait un critère objectif : à situations différentes, régimes juridiques différents. Mais qui vote, les électeurs ou les grands électeurs ?

Le Conseil constitutionnel a bien affirmé l'importance du critère démographique, mais les adaptations du principe d'égalité doivent être très limitées. Qui plus est, cette décision portait sur l'élection des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et le Conseil ne s'est jamais prononcé sur le mode de scrutin sénatorial à deux vitesses.

Au-delà des arguments juridiques, le marchandage dans lequel s'engagent le Sénat et l'Assemblée n'est pas digne de la grande modernisation de nos institutions qu'attendent les Français. Un principe simple et démocratique doit s'appliquer aux élus de la nation et de la République indivisible : une élection, un mode de scrutin. Je forme le v_u que la réflexion sur ce point se poursuive à l'occasion de la navette.

Outre la réduction de la durée du mandat et l'élection conjointe de tous les sénateurs, les Français attendent l'élection à la proportionnelle de sénateurs représentatifs de toutes les collectivités territoriales, y compris des établissements publics de coopération intercommunale, et des milieux économiques, sociaux et culturels.

Les sénateurs ne sont plus les sages de la République, ce rôle est désormais dévolu au Conseil constitutionnel. Depuis la décentralisation, ils ne sont plus les défenseurs de l'administration locale, puisque les collectivités locales s'auto-administrent. Le Sénat a donc besoin d'une nouvelle légitimité. Si le Gouvernement s'arrête au stade de ce projet, nous aurons raté une formidable occasion de réconcilier les Français avec leurs institutions . En attendant, faute de grives, on se sera contenté de merles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9 du Règlement, les articles du projet dans le texte du Sénat.

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AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. René Dosière - Sont actuellement exclus des règles relatives au financement de la vie politique les conseillers généraux élus dans les cantons de moins de 9 000 habitants, les conseillers municipaux élus dans les communes de moins de 9 000 habitants -et les sénateurs.

Bien évidemment, le rôle politique de ces derniers n'autorise pas qu'ils soient traités de cette manière. C'est pourquoi, par l'amendement 15, je propose qu'ils se voient appliquer le système de contrôle du financement des campagnes électorales. Puisqu'il fallait un plafond de dépenses, je l'ai fixé arbitrairement à 100 000 F, mais le débat est ouvert.

M. le Rapporteur - Avis favorable. Certaines questions demeurent cependant en suspens, qu'il s'agisse d'un montant du plafond, du mode de remboursement, de la modulation du plafond par rapport à la taille des départements concernés.

M. le Ministre - Je comprends bien l'intention de M. Dosière, mais je ne peux pas y répondre favorablement. En effet, l'inéligibilité, qui serait la sanction du dépassement, ne peut découler que d'une loi organique, votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Vous devriez donc trouver un autre support législatif.

M. René Dosière - Vous avez raison. Mais il me paraît important de connaître la réaction du Sénat à ma proposition.

M. le Ministre - Le plafonnement devrait tenir compte aussi du nombre des délégués. Tel petit département que je connais en comptera environ 250 si l'Assemblée suit la commission, mais le Nord plus de 7 000.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté.

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ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - La commission propose, par l'amendement 1, qu'un délégué soit désigné pour 300 habitants, en précisant que les conseillers municipaux sont de droit délégués dans leur commune.

M. le Ministre - Avis très réservé. Cette disposition aboutirait à augmenter considérablement le nombre total des délégués, qui passerait de 137 000 à 213 000. A Paris, leur nombre triplerait et augmenterait de 63 % dans le Nord. Les listes devraient chercher ainsi une quantité fortement accrue de candidats aux fonctions de délégués et de délégués suppléants, jusqu'à 50 000 par exemple dans le Nord, alors que sévit une crise du militantisme. Il s'ensuivrait aussi de lourdes difficultés matérielles.

La priorité donnée aux conseillers municipaux pour être délégués fait également problème, là où le système proportionnel est en vigueur, surtout lorsque les étrangers communautaires pourront à partir de 2001, être élus conseillers municipaux sans pouvoir participer à l'élection du collège sénatorial. J'ajoute le cas des conseillers municipaux qui sont aussi députés, conseillers généraux ou conseillers régionaux, et qui comme tels ne peuvent pas être délégués.

Outre que des sièges de délégués risquent ainsi de demeurer vacants, le dispositif proposé rompt avec l'objectif de simplicité qui est à la base du projet gouvernemental.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article premier est ainsi rédigé.

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APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'amendement 16 tend à réduire le nombre de délégués suppléants à un pour cinq titulaires au lieu de deux aujourd'hui. En cohérence avec l'amendement suivant, nous précisons que dans les communes de moins de 2 000 habitants, les suppléants sont élus au sein du conseil municipal.

M. le Ministre - Cet amendement n'est pas sans mérite, sous réserve qu'une étude approfondie soit menée sur le déroulement des dernières élections sénatoriales pour en vérifier le bien-fondé et à condition de remplacer la référence aux communes de moins de 2 000 habitants par celle au chapitre 2 du titre IV du livre premier du code électoral, pour ne pas anticiper sur l'adoption du projet relatif à la parité.

L'amendement 16, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Actuellement, les députés, les conseillers généraux et régionaux qui sont aussi conseillers municipaux peuvent se faire remplacer en qualité de délégués du conseil municipal. Le projet supprime cette possibilité. L'amendement 17 en tire les conséquences pour l'article L. 287 du code électoral.

M. le Ministre - Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée. L'amendement ne permet pas de résoudre le problème qui se pose lorsque le nombre des conseillers municipaux est de peu inférieur au nombre de délégués à élire. Il demeure impossible d'élire des délégués qui ne sont pas conseillers municipaux à la place des conseillers municipaux qui sont aussi députés, conseillers généraux ou conseillers régionaux. Des sièges de délégués risquent ainsi de rester vacants.

L'amendement 17, mis aux voix, est adopté.

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ARTICLE PREMIER bis

M. le Rapporteur - L'amendement 2 tend à supprimer la disposition du Sénat qui maintient le seuil de 9 000 habitants et fixe à 700 le nombre d'habitants pour un délégué.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. Jean-Luc Warsmann - Non contents de remettre en cause le seuil de 9 000 habitants, qui a le mérite de découper la population en deux moitiés à peu près égales, vous augmentez de façon absurde et inconsidérée le nombre des délégués, qui ne seront pas moins de 50 000 dans le département du Nord.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, et l'article premier bis ainsi supprimé.

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ART. 2

M. le Rapporteur - L'amendement 3 rectifié prévoit que les délégués seront élus à la représentation proportionnelle -au plus fort reste- par les conseils municipaux eux-mêmes élus à la proportionnelle, et au scrutin majoritaire par ceux élus au scrutin majoritaire. Par coordination avec l'amendement au projet sur la parité, adopté hier soir, la limite entre les deux systèmes est fixée à 2000 habitants. Par ailleurs, l'amendement explicite les dispositions renvoyant au code général des collectivités territoriales, notamment en matière de vote par procuration.

M. le Ministre - Le Gouvernement avait retenu le seuil de 1 000 habitants pour deux raisons, l'une technique et l'autre politique. D'une part, la représentation proportionnelle n'a de sens qu'au-delà de trois délégués ; d'autre part, il convient de favoriser le pluralisme dans le plus de communes possible. La commission, pour sa part, anticipe sur l'adoption définitive d'un autre projet, dont rien ne garantit qu'il entrera en vigueur avant celui-ci ; c'est pourquoi, si l'amendement devait être adopté, mieux vaudrait faire référence au chapitre 2 du titre IV du livre 1er du code général des collectivités territoriales, plutôt qu'à un seuil démographique. Sous cette réserve, je n'y suis pas défavorable.

M. Patrice Carvalho - Le groupe communiste confirme sa préférence pour le seuil de 1 000 habitants. Il peut arriver, en effet, qu'un conseiller, pourtant élu avec un grand nombre de voix, soit exclu de la délégation parce qu'il est minoritaire au sein du conseil.

L'amendement 3, 2ème rectification, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 ainsi rédigé.

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ART. 3

M. le Rapporteur - L'amendement 4 rectifié est le pendant du précédent.

M. le Président - Je devine donc que le Gouvernement suggérera la même rectification...

M. le Ministre - Vous avez parfaitement deviné... (Sourires)

M. Claude Goasguen - Nous découvrons que ce qui s'est passé hier, dans le cadre de l'examen du texte sur la parité, n'avait rien de fortuit : au nom des grands principes, on manipule l'élection des délégués dans 5 % des communes. C'est une petite supercherie, qui n'est pas très correcte, soit dit en passant, vis-à-vis de vos partenaires communistes - et qui anticipe, en outre, sur une loi non encore adoptée. J'aimerais savoir quand le ministre a fait procéder à des simulations sur les effets des deux amendements combinés...

M. le Président - L'amendement anticipe, certes, mais sur un texte voté à l'unanimité...

M. Claude Goasguen - En première lecture seulement !

M. le Président - Il est rare qu'on se déjuge d'une lecture à l'autre, même si cela arrive parfois... (Sourires)

M. René Dosière - M. Goasguen fait erreur : c'est dans la réunion qu'elle a tenue ce matin au titre de l'article 88 que la commission a rectifié les amendements 3 et 4 pour tenir compte du vote intervenu cette nuit. Je lui fais observer, de surcroît, que le texte initial du Gouvernement plaçait le seuil plus bas encore que ne le font lesdits amendements, même rectifiés.

L'amendement 4, 2ème rectification, mis aux voix, est adopté, et l'article 3 ainsi rédigé.

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ART. 4

M. le Rapporteur - L'amendement 5 est rédactionnel.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 4, ainsi modifié.

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ART. 5

M. le Rapporteur - L'amendement 6 rétablit la disposition du texte initial, aux termes de laquelle les sénateurs sont élus au scrutin majoritaire dans les seuls départements élisant un ou deux sénateurs.

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 5, ainsi modifié.

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ART. 6

M. le Rapporteur - L'amendement 7, pendant du précédent, rétablit la disposition selon laquelle les sénateurs sont élus à la représentation proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs ou plus.

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 6, ainsi modifié.

Les articles 7 à 11, successivement mis aux voix, sont adoptés.

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APRÈS L'ART. 11

M. le Rapporteur - L'amendement 18 vise à remédier à une difficulté matérielle que le ministre a soulignée tout à l'heure, et qui tient à la très forte augmentation du nombre des délégués. La commission propose que le scrutin pour l'élection des sénateurs se déroule dans les chefs-lieux d'arrondissement -ou les mairies d'arrondissement dans le cas de Paris, Lyon et Marseille- lorsqu'il a lieu à la représentation proportionnelle, mais au chef-lieu du département lorsqu'il a lieu au scrutin majoritaire, l'éventualité d'un second tour imposant le regroupement du collège électoral en un lieu unique.

M. Jean-Luc Warsmann - Réflexion faite, je crois que les délégués ne seront que 5 000, et non 50 000, dans le Nord...

M. le Ministre - Le Gouvernement n'est pas favorable à l'amendement, pour des raisons techniques. La multiplicité des bureaux de vote suppose la mise à disposition de locaux adéquats, qui n'est pas certaine, ainsi que celle de magistrats en nombre plus élevé -soixante à Paris-, afin de surveiller le déroulement des opérations. Je ne sais si M. le rapporteur a bien pris en compte ces difficultés techniques. Je lui demande d'y réfléchir et peut-être de surseoir à son amendement.

M. Claude Goasguen - Pour une fois je suis d'accord avec M. Tourret et M. le ministre. Je l'ai dit ce matin, je tiens M. le ministre pour un authentique républicain. Comme lui je suis attaché à une tradition consubstantielle à la République, celle des banquets et des discussions qui marquent les jours d'élection. J'ai dit ce matin qu'il me semblait que la République était passée à droite : je constate qu'elle est aussi un peu à gauche, et je m'en félicite. Je souhaite que cet amendement ne soit pas voté.

M. Alain Tourret - En commission cet amendement a beaucoup prêté à discussion, pour plusieurs raisons. Tout d'abord les élections sénatoriales sont l'occasion pour les grands électeurs de se rencontrer en un même lieu, et de discuter. Ce qui est opportun, car tout n'est pas réglé à l'avance, et tout le monde n'a pas rencontré les candidats. Cette discussion est un élément de démocratie, que nous ruinerions en l'empêchant par l'éloignement géographique. Ensuite, même si elles n'ont lieu que tous les neuf ans, ces élections sont un élément de la convivialité dans nos départements, avec banquet au chef-lieu -en tout cas, chez les radicaux, cela se passe ainsi. C'est une habitude de la vieille République que représente le Sénat. Il serait déplorable de rompre avec cet usage immémorial.

Par ailleurs un chef-lieu de département offre, s'il en est besoin, plusieurs lieux où voter, la Préfecture, la Cour d'appel, etc. Cela risque d'être plus difficile dans certaines très petites sous-préfectures. Enfin qu'en sera-t-il du dépouillement ? Va-t-on transférer les urnes ? Aujourd'hui on vote par ordre alphabétique, et donc sans savoir comment a voté tel ou tel secteur du département. Avec votre système il y aura rupture, en matière d'indications de vote, entre les différents secteurs et les différents départements. Il faut donc suivre M. le ministre et retirer cet amendement.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Je souhaite dépassionner un débat dont la portée est somme toute limitée. Les intentions du rapporteur, qu'a suivi la commission, étaient pures : il s'agissait de faire face à la forte augmentation du nombre de délégués. Il a proposé une solution technique qui nous semblait appropriée. Je crois maintenant, sans entrer dans un débat philosophique et politique sur la portée des banquets, que nous devons veiller à l'applicabilité des textes que nous votons : sur ce point les observations de M. le ministre doivent être prises en compte. Il serait sage de se donner le temps de chercher la meilleure solution pour les réunions à venir des délégués.

M. le Rapporteur - Je veux bien me rallier à cette solution, mais en tenant compte des observations du ministre, non de celles de M. Tourret, que je crois peu pertinentes -qu'il m'en excuse. Dès lors que les grands électeurs se réunissent au chef-lieu du département, le scrutin est ouvert et la campagne terminée. C'est pourquoi j'avais pris la précaution de distinguer entre les départements où l'on vote à la proportionnelle et ceux où l'on vote au scrutin majoritaire, car dans ces derniers l'amendement poserait un problème de fond. Quant à l'idée qu'on ne pourrait pas voter dans des lieux différents, puis additionner les résultats, la réalité des élections dans notre pays suffit à montrer qu'elle n'est pas très pertinente. Je me rallie donc à la proposition de M. le ministre, pour que la réflexion se poursuive d'ici la deuxième lecture.

L'amendement 18 est retiré.

L'article 12, mis aux voix, est adopté.

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ART. 13

M. le Rapporteur - L'amendement 8 est rédactionnel.

L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 13 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 14

M. le Rapporteur - Le projet de loi, dans ses articles 14, 15 et 16, procède à des transpositions de références pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie. Dans ces archipels, en effet, ce n'est pas le code général des collectivités territoriales qui s'applique, mais une version propre du code des communes. Or le code électoral, dans ses articles L. 284, L. 288, L. 289 et L. 290, renvoie à des articles du code général des collectivités territoriales. Pour que ces renvois soient effectifs, une transposition est nécessaire, afin que, pour ces archipels, on vise bien le code des communes. Tel est l'objet des articles 14, 15 et 16 du projet.

Mais nous avons adopté aux articles 2 et 3 des rédactions nouvelles qui rendent sans objet certaines des transpositions prévues ici. C'est pourquoi la commission propose une série d'amendements de coordination. Le premier est l'amendement 19.

M. le Ministre - Cet amendement est clair (Sourires), mais il devrait aller plus loin : il laisse subsister au premier alinéa de l'article L. 334-4 une référence à l'article L. 286, qui n'est pas applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il faut donc poursuivre le toilettage.

M. le Rapporteur - C'est l'objet d'un des amendements suivants, le 10.

M. le Ministre - J'y suis favorable, et donc je lève ma réserve sur le 19.

L'amendement 19, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Les amendements 9 rectifié, 20 et 10 sont de coordination, pour les raisons déjà indiquées.

Les amendements 9 rectifié, 20 et 10, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.

L'article 14, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 15

M. le Rapporteur - Les amendements 21 et 22 ont même objet que les précédents.

M. le Ministre - Favorable.

L'amendement 21, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 22.

L'article 15 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 15 bis

M. le Rapporteur - L'amendement 11 est rédactionnel.

L'amendement 11, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 15 bis ainsi modifié est adopté.

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ART. 16

M. le Rapporteur - Les amendements 23, 24 et 25 sont encore de coordination.

M. le Ministre - favorable.

L'amendement 23, mis aux voix, est adopté.

Les amendements 24 et 25 sont successivement adoptés.

L'article 16 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 16

M. le Rapporteur - L'amendement 12 rectifié concerne l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger, et tend à leur étendre l'esprit de la présente réforme. Il élargit le collège électoral de ces douze sénateurs, aujourd'hui limité aux cent cinquante membres du Conseil supérieur des Français à l'étranger. Nous proposons que le nombre des délégués soit désormais fixé à un pour trois cents électeurs. Ces délégués seraient désignés par le collège supérieur des Français de l'étranger, comme ils le sont en France par un conseil municipal. L'élection se déroulerait à la proportionnelle. Dans le même esprit, pour organiser les opérations de vote, il est proposé que les délégués votent non plus à Paris, au ministère des affaires étrangères, mais dans nos ambassades et nos consulats.

Je suis bien conscient que cet amendement, qu'inspire un souci de cohérence avec les dispositions que nous avons adoptées pour le reste des sénateurs, ne résoud pas tous les problèmes concernant ceux qui représentent les Français à l'étranger. Mais il a au moins le mérite de poser le problème.

M. le Ministre - Le Gouvernement reconnaît le mérite de cet amendement, qui traite d'une vraie difficulté : comment améliorer la représentativité des sénateurs représentant les Français de l'étranger. A certains égards, la composition actuelle du Conseil supérieur des Français de l'étranger n'est pas satisfaisante. Il serait sage de tenir compte des évolutions démographiques ; la répartition de nos compatriotes selon les pays et les continents évolue. L'amendement accroît le nombre de délégués participant à l'élection des douze sénateurs qui représentent les Français à l'étranger. Mais la base demeure la même. C'est en quelque sorte une multiplication du Conseil supérieur tel qu'il existe, puisque la circonscription unique est maintenue. En ce sens, la réforme n'atteint pas le but qu'elle se propose.

C'est la structure même du Conseil, notamment la représentation par continent, qui gagnerait à être améliorée. Le Gouvernement serait d'ailleurs favorable à une telle évolution. Une modification des circonscriptions électorales pour l'élection des membres du Conseil supérieur permettrait une représentation plus juste. Mais une telle réforme, qui relèverait d'ailleurs de mon collègue des Affaires étrangères, suppose une consultation préalable et un travail de préparation. Le Gouvernement partage donc l'esprit de cet amendement, mais ne peut l'accepter en l'état.

C'est pourquoi tout en reconnaissant que cet amendement soulève un problème réel, je souhaite qu'il soit retiré.

M. René Dosière - Grâce à la perspicacité de notre rapporteur, nous avons découvert plusieurs particularités intéressantes concernant l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger. Tout d'abord, ces sénateurs sont au nombre de douze, ce qui est assurément excessif au regard du corps électoral. Sur ce point, nous ne pouvons toutefois rien, le nombre des sénateurs relevant d'une loi organique. Dans le projet qui nous sera bientôt soumis à ce sujet, espérons que ce problème trouvera sa solution. Ensuite, ces douze sénateurs sont élus, désignés devrais-je dire, par seulement 150 électeurs. Enfin, ce vote a lieu tous les trois ans à Paris. Combien de temps ces grands électeurs membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger restent-ils dans la capitale ? Aux frais de qui ?

C'est pour toutes ces raisons que la commission des lois a accepté l'amendement du rapporteur. Et bien que cet amendement suscite une vive émotion au ministère des affaires étrangères, je ne suis pas favorable à son retrait à moins que le ministre ne prenne l'engagement ferme que ce problème sera de nouveau examiné à l'occasion de la deuxième lecture.

M. le Rapporteur - En adoptant cet amendement, la commission était tout à fait consciente que cette solution n'était pas totalement satisfaisante. Si le ministre nous donne l'assurance qu'il soumettra le problème à son collègue ministre des affaires étrangères, je suis prêt à retirer l'amendement, de façon que l'on procède d'ici à la deuxième lecture à toutes les concertations nécessaires.

M. le Président - M. le ministre peut-il donner ces assurances ?

M. le Ministre - Je croyais l'avoir fait. Cet amendement soulève un véritable problème dont je saisirai mon collègue, Hubert Védrine. Une concertation s'engagera qui débouchera sur une initiative d'origine gouvernementale ou d'origine parlementaire.

L'amendement 12 rectifié est retiré.

L'article 17, mis aux voix, est adopté.

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ART. 18

M. le Rapporteur - Les amendements 13 et 14 tendent à rétablir le dispositif initial du projet de loi.

L'amendement 13, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement14.

L'article 18 ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Luc Warsmann - Le RPR, qui était prêt à voter le texte dans la rédaction du Sénat, ne le votera bien sûr pas après les bouleversements qu'il a subis dans notre assemblée et les surenchères dont il a fait l'objet.

Les modifications proposées pour le mode d'élection des sénateurs aboutissent de fait à la généralisation de la proportionnelle : le nombre de sénateurs élus selon ce mode de scrutin passera de 33 % à 70 %.

Quant à celles proposées pour le mode de désignation des délégués, elles conduiront à réduire de 11 % la représentation des petites communes, et de 5 % de la tranche des communes jusqu'à 30 000 habitants, ce qui n'est en rapport ni avec les données démographiques ni avec les réalités de l'aménagement du territoire. En vérité, vous ne souhaitez pas moderniser le Sénat mais simplement accroître le nombre de sénateurs de gauche afin d'acquérir la majorité au Congrès.

Enfin, plusieurs dispositions de ce texte voté en trois heures seulement témoignent d'impréparation. Ainsi en ayant rendu obligatoire l'élection des délégués au sein des conseils municipaux, vous avez pris le risque de dénis de désignation de délégués. La présence d'étrangers de l'Union européenne élus dans les conseils municipaux rendra par exemple le texte inapplicable.

Le groupe RPR votera contre ce texte, motivé par des arrière-pensées politiques, techniquement mal conçu et qui rate son but, la modernisation de la Haute assemblée.

M. le Président - Permettez-moi une badine dans ce débat sérieux : avoir la majorité au Congrès est une chose, le convoquer en est une autre ! (Sourires)

M. Claude Goasguen - Le groupe Démocratie libérale votera résolument contre ce texte en regrettant profondément que l'Assemblée nationale, au nom de sa souveraineté, impose au Sénat des décisions qu'il n'approuve pas. Ce procédé n'est pas conforme à l'esprit de nos institutions.

J'ai été choqué d'entendre M. Lang déclarer sur une chaîne publique à une heure de grande écoute qu'il ne voyait pas l'intérêt de conserver le Sénat qui coûtait cher et ne servait à rien. Certes, tous nos collègues du groupe socialiste ne partagent pas cet avis péremptoire. Mais quelle outrecuidance de la part d'un responsable de parti de la majorité.

En réalité, vous n'aimez pas le Sénat, qui d'ailleurs vous le rend bien et, je l'espère, vous le rendra pendant encore quelques années. Ayez le courage de faire un référendum ! D'autre s'y sont essayés par le passé, avec le succès que l'on sait. Mais voilà qui, au moins, était courageux. Vous préférez vous attaquer au Sénat de façon insidieuse. C'est profondément regrettable.

Il est clair que les élections approchant, les arrière-pensées politiciennes grandissent. Le temps s'assombrit pour vous...

M. René Mangin - Ah bon ?

M. Claude Goasguen - ...aussi cherchez-vous à abattre rapidement les derniers obstacles qui pourraient gêner la prise totale du pouvoir par votre majorité.

Sachez que je ferai tout mon possible, avec nos collègues, pour que la démocratie française ne pâtisse pas des mauvais tours que vous êtes en train de jouer à nos institutions et à notre Constitution.

M. Emile Blessig - L'UDF, qui a une vision dynamique du rôle du Sénat, regrette tout particulièrement que l'on n'ait pas su saisir l'occasion de ce texte pour faire évoluer la Haute assemblée de façon à la fois constructive et respectueuse de l'équilibre de nos institutions. Malheureusement, les calculs l'ont emporté. L'Assemblée aura le dernier mot sur cette réforme. Le Sénat avait fait de lui-même un premier pas. L'UDF, qui s'était associée à sa démarche, votera contre le texte que vous nous présentez.

M. le Ministre - Je voudrais dédramatiser la situation. Cette nuit, c'était une révolution. Ce soir, ce n'est qu'une réforme, moins ambitieuse que celle qu'avait souhaité engager, en son temps, le général de Gaulle. Elle se traduira néanmoins par une rénovation du bicamérisme.

M. René Dosière - Ce texte s'inscrit dans un ensemble plus vaste de projets tendant à moderniser la vie politique, qu'il s'agisse de la limitation du cumul des mandats ou de la parité. Ces textes d'ailleurs traduisent l'engagement pris par la majorité devant les électeurs et par le Premier ministre devant notre assemblée.

Il n'est pas question de supprimer le Sénat. Au contraire, le Gouvernement, la commission et le groupe socialiste ont montré qu'ils acceptaient le bicamérisme. Pour le reste, la liberté de parole est naturellement totale parmi les militants socialistes.

Il ne me paraît pas choquant que l'Assemblée nationale, qui exprime la volonté du peuple, légifère dans ce domaine, qui est de sa compétence. Le mode de scrutin, en effet, relève de la loi ordinaire. Je ne vois pas pourquoi nous aurions besoin de l'accord des sénateurs pour légiférer. D'ailleurs, la navette nous permettra peut-être d'aboutir à un accord, Monsieur Goasguen.

En vertu de la Constitution, c'est l'Assemblée nationale qui a le dernier mot. Nous ne sommes plus sous la IIIème République, et c'est heureux.

Il s'agit d'un texte modéré, équilibré, qui met fin à des disparités choquantes. C'est un premier pas, que nous allons faire avec le Gouvernement, même si nous sommes nombreux à souhaiter qu'il n'en reste pas là (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrice Carvalho - Nous ne procédons en effet qu'à un petit aménagement. La démocratie entre un peu plus au Sénat, où elle doit être encore renforcée, comme ici d'ailleurs. La vraie démocratie en effet, c'est la proportionnelle ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Je regrette qu'on ait relevé de 1 000 à 2 000 habitants le seuil au-delà duquel les délégués seront élus à la proportionnelle. Je note en revanche avec satisfaction que M. le ministre reste ouvert à la discussion sur certains points que nous pourrons revoir en deuxième lecture.

Le groupe communiste est favorable à ce texte.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance le mardi 1er février à 9 heures.

La séance est levée à 20 heures 5.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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