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Session ordinaire de 1999-2000 - 76ème jour de séance, 179ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 25 AVRIL 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

CONFLIT SOCIAL À DASSAULT AVIATION 2

DOCUMENTS REMIS À L'OCCASION DE LA JOURNÉE D'APPEL DE PRÉPARATION À LA DÉFENSE 2

CONFLITS SOCIAUX À LA POSTE 3

ATTENTAT DE QUÉVERT 4

PRIX DES CARBURANTS 5

AGRESSION CONTRE UN PARLEMENTAIRE 6

LIAISON LYON-TURIN 7

ÉCONOMIE SOLIDAIRE 7

PRÉSENCE DE TOTAL EN BIRMANIE 8

DÉCLARATION D'UN MEMBRE DU GOUVERNEMENT
À LA PRESSE 9

FUITES DANS L'AFFAIRE DUMAS 9

DESSERTE DE STRASBOURG PAR LE TGV EST 10

CATASTROPHE DE L'ERIKA 11


NOMINATION DE DÉPUTÉS EN MISSION TEMPORAIRE 12

NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES 12

QUESTION PRÉALABLE 24

La séance est ouverte à quinze heures.

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    QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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CONFLIT SOCIAL À DASSAULT AVIATION

Mme Jacqueline Fraysse - Depuis huit semaines, un conflit très important paralyse la quasi-totalité des établissements du groupe aéronautique Dassault Aviation. Les salariés, dont certains gagnent moins de 6 500 francs nets par mois, réclament des augmentations significatives de salaire, l'application de la loi sur la réduction du temps de travail accompagnée de créations d'emplois et la mise en place d'un système de pré-retraite. Mais la direction refuse d'ouvrir des négociations sérieuses.

La situation financière du groupe permettrait pourtant de donner satisfaction aux milliers de salariés concernés. Excellents résultats de l'exercice 1999, dividendes de 295 millions empochés demain par le principal actionnaire, placements financiers à hauteur de 7,5 milliards : voilà qui confirme bien le caractère plus que réaliste des revendications des personnels. Le blocage actuel est d'autant plus inadmissible. Il illustre d'ailleurs une situation plus générale marquée par le développement des inégalités salariales, la multiplication des plans de licenciements et une offensive politique du MEDEF. Face à cette situation, le Gouvernement ne peut rester spectateur.

Compte tenu de la place que l'Etat actionnaire occupe dans le secteur de l'aéronautique, que compte faire le Gouvernement pour contribuer à une solution du conflit à Dassault Aviation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Alain Richard, ministre de la défense - Même si l'Etat n'est plus actionnaire de Dassault Aviation, dans la mesure où le ministère de la défense assure la tutelle du secteur de l'aéronautique, le Gouvernement se sent évidemment concerné par le conflit en cours à Dassault Aviation, et, soucieux de la qualité du dialogue social, il s'est efforcé de rapprocher les points de vue.

Il y a en effet un problème de rémunération dans le groupe Dassault Aviation où les bas salaires sont nombreux alors même que les salariés ont en moyenne un niveau très élevé de qualification. Nous avons donc demandé à l'entreprise de faire un effort à cet égard.

Dassault Aviation affiche en effet de très bons résultats mais ceux-ci ne proviennent pas principalement de la branche militaire, le Gouvernement ayant demandé à l'entreprise un effort très significatif de prix dans ce secteur.

Un accord sur la réduction du temps de travail a déjà été passé chez Dassault dans le cadre de la première loi. La question est aujourd'hui d'adapter cet accord aux dispositions de la seconde loi. Le ministère de la défense fait tout pour que le dialogue social réussisse sur ce point. Dans l'ensemble des entreprises dépendant de lui, les accords déjà passés couvrent quelque 100 000 salariés, soit la moitié des effectifs, et ont d'ores et déjà permis de préserver ou de créer 5 000 emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

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DOCUMENTS REMIS À L'OCCASION DE LA JOURNÉE D'APPEL DE PRÉPARATION À LA DÉFENSE

M. François Léotard - Ma question s'adresse au Premier ministre en vertu des responsabilités que lui confère l'article 21 de la Constitution.

Un jeune appelé à la Journée d'appel de préparation à la défense dans un régiment de l'armée de terre a exprimé son étonnement quant aux documents qui lui ont été remis à cette occasion. On y apprend entre autres -et je cite ce jeune garçon qui a le courage de signer sa protestation- : « Comment avorter sans prévenir ni papa ni maman ? Comment occuper un logement sans payer de loyer ? Comment faire la chasse au racisme ? -là c'est mieux...- Comment refuser de présenter ses papiers à la requête d'un agent de police ? » On apprend également dans ce document « qu'il faudrait supprimer le mariage afin que tous les couples soient égaux ». Or, ce document, que je tiens à votre disposition, est édité par le ministère de la jeunesse et des sports (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

De 1991 à aujourd'hui, sous l'autorité de deux Présidents de la République et sous la responsabilité de quatre gouvernements différents, notre pays a eu le courage d'envoyer en Croatie, en Bosnie, au Kosovo plusieurs milliers de jeunes au nom d'une certaine conception des droits de la personne et non de leur propres droits. 70 de ces jeunes sont morts, 500 à 600 sont revenus blessés, durablement et profondément marqués dans leur chair, de ce qui fut bien une guerre.

Quel décalage, quelle contradiction entre cet engagement qui honore notre pays et la manière dont votre Gouvernement s'adresse aux jeunes en les flattant plus qu'en les informant ? Si les jeunes Français, parmi lesquels bien sûr, comme les autres, les jeunes issus de l'immigration, ont des droits, n'est-il pas bon qu'ils entendent aussi ce jour-là, peut-être le seul de leur vie, qu'ils ont aussi des devoirs envers leur pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Enfin, Monsieur le Premier ministre, vous qui, en vertu de l'article 21 de la Constitution, êtes responsable de la défense nationale, estimez-vous que ce document dont on peut douter qu'il réponde à l'objectif fixé par la loi, doit continuer d'être diffusé, lors de la journée d'appel de préparation à la défense ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. le Président - La parole est à M. le ministre de la défense (Huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Richard, ministre de la défense - L'objectif principal de la journée d'appel de préparation à la défense est d'informer les jeunes et de les sensibiliser à leurs responsabilités de futurs citoyens en matière de défense (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Vous savez parfaitement, puisque nombreux sont les parlementaires à s'être rendus dans les centres de JAPD -vous l'avez sans doute fait vous-même, Monsieur Léotard- que les notions de devoir, de solidarité nationale et d'engagement pour une cause nationale y sont très largement abordées (Tumulte sur les mêmes bancs).

M. le Président - Écoutez la réponse qui vous est faite !

M. le Ministre - Ceux qui avaient voté le principe du rendez-vous citoyen avaient prévu la diffusion d'informations débordant très largement du cadre des questions de défense. Nous nous sommes concentrés, suivis par la majorité de l'Assemblée nationale, sur une journée de sensibilisation aux enjeux de défense, complétée d'une détection de l'illettrisme.

Certains documents sont diffusés à l'occasion de la journée. Celui que vous avez cité, de façon d'ailleurs tronquée, comporte des mentions qui appellent des commentaires. Mais les jeunes qui le reçoivent sont majeurs ou presque : ils savent « en prendre et en laisser ». Et il ne s'agit en aucune façon d'un message de l'Etat (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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CONFLITS SOCIAUX À LA POSTE

M. Rudy Salles - L'opposition ne peut que regretter l'absence de réponse du Premier ministre et la non-réponse du ministre de la défense sur un sujet extrêmement grave (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Ma question s'adresse au secrétaire d'Etat à l'industrie. L'application de la loi sur les 35 heures a entraîné des grèves dans plusieurs services publics, en particulier à La Poste dont les activités ont été paralysées à Toulouse puis à Nice, durant un mois et demi dans cette dernière ville. Les conséquences en sont dramatiques pour les entreprises et aussi pour les particuliers.

Il ne s'agit nullement de remettre en question le droit de grève, reconnu par la Constitution. Mais certaines garanties seraient néanmoins nécessaires pour les usagers.

Ne serait-il pas temps d'instaurer un service minimum en cas de grève dans les services publics, en particulier à La Poste, afin d'éviter que les usagers ne soient régulièrement les otages de conflits sociaux durables ? C'était l'objet d'une proposition de loi de l'opposition, débattue ici même l'année dernière, mais refusée par la majorité plurielle.

Enfin, le stock de lettres en souffrance -elles seraient plusieurs centaines de milliers- sera-t-il en totalité et dans des délais raisonnables distribué à ses destinataires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - La grève de La Poste à Nice a eu lieu après le dépôt d'un préavis comme le prévoit la loi. Plusieurs membres des professions libérales de cette ville ont saisi le juge des référés qui a refusé de condamner La Poste à verser des astreintes. En l'espèce, La Poste avait observé toutes les dispositions légales.

La médiation organisée par les responsables locaux a d'ailleurs permis de trouver, certes tardivement, une issue positive au conflit.

Le Gouvernement n'a aucunement l'intention de limiter le droit de grève par le biais de l'instauration d'un service minimum. Les usagers, attachés à la qualité du service, ne veulent pas d'un service minimum mais bien d'un service maximum (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le métier de postier est en effet difficile, et l'on ne peut remplacer un postier au pied levé ; la qualification, le sens du terrain, le rapport avec la clientèle sont essentiels à la qualité du service public. La vraie solution qu'appelle votre question, c'est la prévention des conflits par le dialogue social : il faut éviter que la négociation connaisse des blocages qui retardent la mise en _uvre de l'aménagement-réduction du temps de travail. Cette concertation doit être conduite en plein accord avec la méthode qu'a choisie La Poste et que je rappelle : chaque postier doit être impliqué dans cinq réunions, interrogations ou participations pour la mise en _uvre de l'aménagement-réduction du temps de travail, qui a déjà permis à 75 000 d'entre eux de passer aux 35 heures effectives (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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ATTENTAT DE QUÉVERT

M. Jean Gaubert - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur. Mercredi dernier à Quévert, dans les Côtes-d'Armor, une jeune femme a trouvé la mort dans un attentat. Celui-ci n'a pas été revendiqué, mais de fortes présomptions pèsent sur un mouvement qui, pour ne pas représenter l'identité bretonne, n'en manifeste pas moins une activité certaine. Sous une dictature, celui qui pose une bombe peut être considéré comme un résistant : en démocratie, c'est un terroriste. Qu'entend faire le Gouvernement pour démanteler ces réseaux, que certains tiennent pour liés à d'autres groupes terroristes français et européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - La semaine dernière un engin explosif posé devant la poste centrale de Rennes a été désamorcé ; mais un autre, explosant à la porte du restaurant Mac Donald de Quévert, a provoqué la mort d'une employée. Les premières analyses ont montré que l'explosif utilisé dans les deux cas provenait probablement du stock de huit tonnes d'explosifs volé le 28 septembre à Plevin, dans les Côtes-d'Armor, sur lequel cinq tonnes ont déjà été récupérées par la police au pays basque français. L'enquête a montré que cette attaque avait été menée par un commando de l'ETA militaire, secondé par des personnes appartenant à la mouvance de l'Armée révolutionnaire bretonne. Plusieurs tentatives d'attentats ont été effectuées depuis lors en utilisant ces explosifs, dont trois revendiquées par l'ARB : celles du 25 novembre contre l'ANPE de Saint-Herblain, du 29 novembre contre celle de Rennes et du 13 janvier contre la perception de Dol-de-Bretagne. Deux tentatives ont d'autre part été déjouées par la police espagnole. Depuis lors, 16 personnes ont été interpellées, dont 7 membres de l'ETA et 8 de l'ARB ; 9 sont encore détenues aujourd'hui.

Plusieurs députés RPR - Tout cela est dans le journal !

M. le Ministre de l'intérieur - Vous m'interrogez sur les intentions du Gouvernement. Il entend tout d'abord s'élever avec force contre ces pratiques inacceptables dans une démocratie. Au nom d'une identité meurtrière, on s'arroge le droit de terroriser, et même de tuer. Il est d'ailleurs étonnant que tant d'attentats -17 en 1999, 7 en 2000- n'aient pas fait plus de victimes. Ceux qui incriminent l'Etat prétendu jacobin, comme dans l'attentat de Belfort, doivent savoir qu'ils couvrent par avance ces pratiques. Face à ces actes, il n'est pour le Gouvernement d'autre réponse que dans la ferme détermination de tout faire pour poursuivre et confondre les terroristes. Dans ce but nous entendons conserver à la lutte policière et judiciaire contre le terrorisme l'organisation efficace qui est la sienne : les informations sont centralisées par la direction centrale des renseignements généraux, qui définit avec la police judiciaire et la division nationale anti-terroriste les procédures à mettre en _uvre. Ces moyens ont été accrus à ma demande, et cette organisation a déjà permis de nombreuses arrestations au sein de l'ETA. En Bretagne même, je ne doute pas que cette action résolue permettra d'amener devant la justice les assassins de Quévert. Je rappelle que l'ARB ne s'est pas dissociée de cet attentat, et que le rédacteur en chef de Breiz Info a déclaré qu'il se refuserait à condamner cette organisation si sa responsabilité était confirmée.

Aux yeux de tous les démocrates, de tous les républicains, de tous ceux qui pensent que l'identité républicaine française doit être défendue, ce qui est en cause est l'Etat républicain, celui de tous les citoyens, qu'ils soient Bretons, Basques, Franc-Comtois...

Plusieurs députés UDF - Corses !

M. le Ministre de l'intérieur - ...ou d'une autre région -tout simplement des citoyens français (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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PRIX DES CARBURANTS

M. Michel Lefait - Depuis de nombreux mois, les responsables de l'OPEP ont décidé une hausse sensible du prix du pétrole brut, qui a atteint 30 dollars le baril. Cette décision est une des causes de la flambée des prix des carburants à la pompe, qui a atteint des sommets. Or ce poste de dépense pèse lourdement sur le budget des Français les plus modestes, et notamment de ceux qui empruntent chaque jour leur voiture pour leurs trajets domicile-travail. Nous le savons, Monsieur le ministre de l'économie et des finances, vous êtes de ceux qui pensent que la fiscalité ne doit pas être une entrave à la forte croissance économique que la France connaît heureusement aujourd'hui. Quelles sont donc vos orientations dans ce domaine, et quelles suites entendez-vous donner à votre rencontre de mercredi dernier avec les pétroliers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La position du Gouvernement est celle-ci : les pétroliers ont été rapides à répercuter les hausses de prix du pétrole brut quand elles se sont produites ; c'est avec la même rapidité qu'ils doivent répercuter les baisses (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV). Comme vous l'avez rappelé, les prix à la pompe ont connu une hausse considérable, liée essentiellement à celle du prix du brut.

Plusieurs députés RPR et UDF - Les taxes !

M. le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Il est exact que les taxes sur l'essence sont élevées. Mais l'honnêteté interdit de leur imputer la hausse des prix à la pompe : exception faite du gazole, ces taxes, exprimées en francs par litre, n'ont pas augmenté depuis deux ans (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Fin mars, l'OPEP a décidé de réduire de 34 à 24 dollars le prix du baril. Il est évident à nos yeux que cette baisse doit être répercutée, d'autant plus que la décision du Gouvernement de réduire la TVA d'un point au 1er avril doit entraîner une baisse de 6 centimes par litre à la pompe, 4 centimes pour le gazole. Le 19 avril, j'ai invité au ministère les pétroliers et les grands distributeurs pour un échange de vues. Je leur ai dit qu'il restait des marges de baisse. Et dès le lendemain j'ai demandé à deux cents contrôleurs de la direction compétente de faire et de publier des relevés de prix ; je ferai de même cette semaine. D'autre part votre commission des finances a demandé au conseil de la concurrence un rapport sur ce point, qui sera publié. Pour le Gouvernement, il reste des marges à la baisse, et elles doivent être mises à profit rapidement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, et plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

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AGRESSION CONTRE UN PARLEMENTAIRE

M. Christian Bataille - Madame la Garde des Sceaux, au nom du groupe socialiste dans son ensemble, je veux exprimer notre entière solidarité à notre collègue Vincent Peillon (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), victime samedi dernier, lors d'une manifestation publique, d'une sauvage agression de la part de quelques dizaines d'individus se disant chasseurs. Dans ce contexte, je veux rappeler le caractère positif de la loi sur la chasse adoptée en première lecture par notre assemblée. Cette loi de tolérance et d'équilibre définit les droits et les devoirs des chasseurs et des non-chasseurs. Pour les premiers, elle comporte des acquis, comme la législation de la chasse de nuit et l'autorisation de la chasse à la passée.

Le groupe socialiste condamne sans réserve un comportement violent qui porte gravement atteinte aux principes de notre république. On peut exprimer ses désaccords. Mais les débordements de ces derniers jours font suite à une série d'événements dont ont été victimes des élus, des membres des forces de l'ordre, mais aussi des journalistes, des touristes, des membres d'associations, voire de simples citoyens. C'est inacceptable. Qu'entend faire le Gouvernement pour empêcher le renouvellement de tels actes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - L'agression de samedi contre M. Peillon, député de la Somme, est intolérable et indigne dans une démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Sa violence était telle quelle n'a pu être contenue que grâce au sang-froid des gendarmes, dont cinq ont été blessés, ainsi qu'au maire UDF. Cette violence avait pour seul objet de porter atteinte physiquement à un représentant de la nation. De tels actes, qui ne laissent aucune place au dialogue, ni au respect des valeurs essentielles de la République, ont été condamnés dès dimanche par le Premier ministre, et le Gouvernement renouvelle aujourd'hui solennellement sa condamnation.

La justice a été immédiatement saisie. Le procureur de la République d'Abbeville a ordonné sur le champ une enquête de flagrant délit. Elle permettra de recueillir des témoignages et de chercher sur des films vidéo à identifier les participants.

Selon les informations que m'a communiquées le procureur général d'Amiens, le procureur de la République d'Abbeville va ouvrir rapidement une information judiciaire.

Face à l'expression exclusivement violente de certains groupes contre l'Etat et ses représentants, le Gouvernement -je m'y engage- répondra avec la même fermeté. Dans une démocratie toutes les opinions peuvent s'exprimer et des manifestations même spectaculaires peuvent être tolérées mais la destruction des biens publics et la violence contre les personnes ne seront pas admises. La directive générale que j'ai adressée à tous les parquets en août 1997 est parfaitement claire et sera renouvelée si nécessaire. Chaque fois que de tels actes se produiront, la justice sera saisie (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe du RPR).

M. le Président - Je m'associe à cette condamnation qui, je ne puis en douter, fait l'unanimité.

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LIAISON LYON-TURIN

M. Jean-Jacques Filleul - La conseil supérieur du service public ferroviaire que je préside prépare un avis sur le fret ferroviaire français dans l'espace européen. L'axe alpin est devenu un des principaux points noirs du trafic de marchandises. Chaque année plus de 1,5 millions de camions empruntent le tunnel du Fréjus. La fermeture du tunnel du Mont Blanc a aggravé la situation. Ces difficultés et le niveau des nuisances imposent des mesures d'urgence. Le transport combiné et « la route roulante » ne sont pas des projets utopiques mais demandent une volonté politique et des moyens considérables, à l'échelle de l'Europe. La perspective de la liaison Lyon-Turin suscite un réel espoir. Comment envisagez-vous d'aborder ces problèmes pendant la présidence française de l'Union ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - J'attends avec beaucoup d'intérêt ce travail du conseil supérieur du service public ferroviaire.

Les traversées des Alpes et celles des Pyrénées, sont difficiles. Le Gouvernement est totalement déterminé à réaliser la liaison Lyon-Turin, en partenariat avec l'Italie. Il est hors de question de rouvrir le tunnel du Mont Blanc dans les mêmes conditions qu'avant la catastrophe.

Le précédent sommet franco-italien a pris des mesures concernant les études, mais aussi la décision de réalisation qui interviendra normalement à l'automne. Une réunion d'étape est prévue le 15 mai à Modane. J'espère que la situation en Italie ne la retardera pas. Les premiers crédits pour les galeries de reconnaissance seront disponibles l'an prochain. Il s'agit bien d'une voie pour les voyageurs et pour le ferroutage. Le Gouvernement a déjà pris des mesures pour renforcer le trafic sur les lignes actuelles, le doubler sur la ligne Modine, en rouvrir ou mieux utiliser d'autres. Dans le cadre de la présidence française, un des conseils des ministres des transports sera consacré au mémorandum que nous aurons proposé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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ÉCONOMIE SOLIDAIRE

M. Jean Pontier - Ma question s'adressait initialement au secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, mais j'avais dû mal lire la liste de ses attributions. Je m'adresse donc à Mme la ministre de la solidarité.

Je me félicite au nom des entreprises d'insertion, des associations intermédiaires, ainsi que des entreprises de travail temporaire d'insertion de la création d'un secrétariat d'Etat à l'économie solidaire et de la nomination à ce nouveau poste d'un homme de terrain. Ce secteur entre l'Etat, les services publics et le secteur privé s'est développé depuis 15 ans pour agir au bénéfice des laissés pour compte.

L'article 14-1 de la loi de juillet 1998, relative à la lutte contre les exclusions mentionne l'existence, en ce domaine d'un secteur mixte. Le décret, qui devait en définir les modalités d'application, tarde à venir.

Voulant voir dans le désignation de ce nouveau département ministériel un signe fort de l'engagement solidaire de l'Etat, je souhaiterais, Madame la ministre, savoir si le Gouvernement pense devoir se concerter avec les associations et publier prochainement ce décret (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je me réjouis avec vous de la nomination d'un secrétaire d'Etat à l'économie solidaire et je réaffirme l'attachement du Gouvernement à l'insertion par l'économie. Avant d'être ministre, j'ai créé un certain nombre de ces entreprises. Guy Hascoët et moi-même y sommes très attachés.

La loi contre les exclusions a reconnu l'insertion par l'économique, des personnes en difficulté. Elle distinguait les associations à vocation essentiellement sociale et celles qui ont une vocation économique, entreprises d'insertion, régies de quartier et associations intermédiaires. Elle prévoyait aussi des structures mixtes à activité à la fois sociale et commerciale. Après une large concertation avec les associations et le conseil national de l'insertion par l'économie pour trouver des règles qui permettent à des associations d'avoir des activités sociales dans la transparence et sans faire concurrence au secteur privé, le décret qui vous intéresse vient d'être signé. Si ces structures ont une vocation essentiellement commerciale elles ne pourront plus utiliser des CES ou des CEC dans ce but, mais les utiliser dans une activité sociale avec comptabilité séparée, par convention avec l'Etat.. Les associations qui tirent moins de 20 ou 30 % de leurs ressources d'activités commerciales pourront continuer à bénéficier de ces contrats aidés par l'Etat. Cette solution assure la pérennité de ces structures mixtes sans concurrencer le secteur privé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

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PRÉSENCE DE TOTAL EN BIRMANIE

Mme Marie-Hélène Aubert - Ma question, à laquelle s'associe Pierre Brana, s'adresse à M. Védrine et concerne aussi le ministre de l'économie.

En 1994, l'Etat français apportait un soutien décisif, via la COFACE, au projet de gazoduc Yadana de Total, qui traverse la Birmanie sur une soixantaine de kilomètres, pour acheminer le gaz du golfe de Martaban à une centrale thaïlandaise près de Bangkok.

Or la Birmanie est sous le joug d'une junte militaire brutale et corrompue, qui a écrasé dans le sang il y a bientôt 10 ans la démocratie naissante suite aux élections remportées par le parti de Mme Aung san suu ki, prix Nobel de la paix. Ce régime vient d'être à nouveau très sévèrement condamné par l'ONU, pour son recours massif au travail forcé et ses multiples violations des droits de l'homme.

Comme l'a montré la mission d'information que nous avons menée pour la commission des affaires étrangères l'an passé, et comme l'a confirmé un reportage diffusé le 11 avril dernier par Canal Plus, l'armée birmane a saisi l'occasion de ce chantier pour se livrer à un véritable nettoyage ethnique, déportant des milliers de villageois avec une extrême violence vers des camps de réfugiés et utilisant le travail forcé pour le bénéfice indirect de l'entreprise Total au moins dans la phase préliminaire du chantier. Par ailleurs, Total a déjà versé quelques millions de dollars à cette junte connue pour vivre du narcotrafic, qui trouve là aussi une reconnaissance inespérée dont elle fait grand cas à l'étranger.

Voilà le bilan désastreux de l'investissement de Total, le plus important dans ce pays vivement déconseillé aux investisseurs. Un sinistre retomberait sur le contribuable français. Total nous ferait-elle alors payer le prix de sa coopération avec une dictature comme elle tente de nous faire payer les conséquences de la marée noire en Bretagne ? Confronté au même problème, le Gouvernement britannique a demandé à Premier Oil de se retirer de Birmanie.

Que comptez-vous faire, puisque la politique de dialogue constructif prônée par la France n'a donné aucun résultat ?

Qu'allez-vous faire pour assurer la transparence de l'industrie pétrolière ? Les parlementaires n'ont même pas accès à la liste des projets soutenus par la COFACE. Pourtant, de tels investissements sont souvent contestés en Asie et en Afrique. L'heure est à la régulation économique. Voilà un domaine éminemment stratégique où elle doit s'exercer de toute urgence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Je rappelle que les questions doivent être brèves... (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Il y a plusieurs années que le régime birman est condamné et sanctionné. Il y a quelques jours encore, en Conseil affaires générales, les Quinze ont confirmé les sanctions, en précisant les mesures prises à l'encontre des responsables du régime, qui ne doivent pas avoir de répercussions sur la population.

Notre part de marché dans ce pays est infime -0,5 %-, contrairement à celles du Royaume-Uni et des Etats-Unis. De plus, la Birmanie étant un pays fermé sur lui-même, ne vivant pas de l'aide extérieure, son régime détestable est particulièrement peu sensible aux actions des pays étrangers. S'agissant de la présence de Total, je ne saurais reprendre les termes que vous avez employés. Nous sommes sensibles au fait que des entreprises occidentales puissent apporter leur contribution à l'amélioration du mode de vie des Birmans ; j'ai donc écrit il y a quelques jours au PDG de Total en lui demandant de faire évoluer les conditions d'insertion de son entreprise dans ce pays (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

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DÉCLARATION D'UN MEMBRE DU GOUVERNEMENT À LA PRESSE

M. Pierre Lequiller - Monsieur le Premier ministre, un nouveau ministre de votre gouvernement a fait à la presse, le 17 avril dernier, à propos de la réception du président russe par Tony Blair, la déclaration que voici : « Je trouve assez consternant ce pétaradant Tony Blair, monté sur un ressort. Ce pauvre Blair est lamentable d'un bout à l'autre. C'est du socialisme domestiqué, domestiqué par le fric ».

Que pensez-vous de cette déclaration ? Comment comptez-vous gérer sur le plan diplomatique les effets de tels propos, tenus par un ministre de la République nommé par vos soins sur le Premier ministre d'un pays ami, membre de l'Union européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. le Président - La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Mes chers collègues, ne soyez pas aussi pétaradants, s'il vous plaît (Rires).

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel - Croyez, Monsieur le député, que votre compassion pour le Premier ministre travailliste de Grande-Bretagne me touche beaucoup. Je vous rassure s'il en était besoin : mon libre commentaire politique n'avait pas de signification gouvernementale (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Je vous propose donc d'en rester à ce qui peut être utile à cette heure (Mêmes mouvements ; applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Mes chers collègues, sans doute ne souhaitez-vous pas que nous escamotions les questions du groupe RPR... Un peu de calme.

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FUITES DANS L'AFFAIRE DUMAS

M. Patrick Devedjian - Il y a quelques semaines, M. Roland Dumas était renvoyé en correctionnelle. A cette occasion, des actes de procédure couverts par le secret de l'instruction étaient publiés dans la presse. Le procureur de la République de Paris a été amené à fournir des explications sur les fuites qui avaient pu avoir lieu, et sa lettre a également été publiée dans la presse. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir dans cette lettre que le procureur de la République de Paris a adressé à la Chancellerie une copie de projet de réquisitoire de renvoi, avant donc qu'il ne soit signé !

Depuis trois ans, Madame la Garde des Sceaux, vous ne cessez de proclamer urbi et orbi que ce gouvernement ne donne pas d'instructions individuelles dans les dossiers. Alors pourquoi vous faites-vous adresser les actes principaux de procédure dans les affaires à caractère politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - En effet, il y a eu parution dans la presse du réquisitoire concernant M. Roland Dumas, le jour même où je défendais ici en deuxième lecture le projet de loi relatif à la présomption d'innocence. Considérant que cette fuite était inadmissible, j'ai diligenté une enquête de l'Inspection générale des services judiciaires. J'ai tenu à vérifier l'éventualité d'une responsabilité de personnes de la Chancellerie.

Le réquisitoire supplétif est arrivé à la Chancellerie au moment même où le journal Le Monde le publiait en avant-première : telle est l'assurance que je puis vous apporter (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il n'y a donc aucune dérogation, là moins que jamais, à la ligne fixée par le Gouvernement, qui est de ne donner en aucun cas des instructions au Parquet, dans quelque affaire que ce soit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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DESSERTE DE STRASBOURG PAR LE TGV EST

M. Bernard Schreiner - Strasbourg, siège du Parlement européen et du Conseil de l'Europe, est de plus en plus menacée. La grogne des parlementaires européens ne cesse de grandir et Mme Nicole Fontaine, lors de sa récente visite à Paris, vous en a certainement fait part.

Beaucoup plus graves que les griefs à l'encontre du bâtiment du Parlement européen sont ceux qui visent l'accessibilité de Strasbourg.

Il est clair que l'aéroport Strasbourg-Entzheim ne peut rivaliser avec celui de Bruxelles, même si la chambre de commerce du Bas-Rhin a fait de grands efforts pour améliorer la desserte aérienne. Mais il manque toujours le TGV, vital pour relier Strasbourg aux aéroports internationaux de Paris. Nous constatons que l'Etat ne fait rien pour en accélérer la réalisation. Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement a-t-il vraiment la volonté politique d'ancrer définitivement le Parlement européen à Strasbourg et d'y maintenir le Conseil de l'Europe ?

Le mécontentement des députés européens gagne les rangs des élus français. La France envisage une ambitieuse présidence de l'Union européenne à partir de juillet prochain. Pouvons-nous en attendre non plus de nouvelles promesses, mais enfin la concrétisation des engagements pris sur le TGV Est ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Nous sommes intervenus notamment auprès d'Air France pour améliorer la desserte aérienne de Strasbourg.

En ce qui concerne le TGV Est, le protocole signé le 29 janvier 1999 fait passer la participation de l'Etat de 3,5 à 8 milliards, pour la réalisation de 300 km entre l'Ile-de-France et la Lorraine. Une convention de financement a été établie il y a quelques jours ; elle devrait être signée dans le courant du mois de mai.

Les études concernant les avant-projets de travaux ont démarré à la mi-1999. Les premiers sondages ont été effectués en février dernier. Les travaux de génie civil commenceront en juin 2001 ; si je suis là, j'espère pouvoir vous inviter à poser la première pierre ! Peut-être ne serai-je pas là pour la mise en service en 2006... En tout cas, ce dossier était bloqué quand ce gouvernement s'est installé ; désormais, le projet est en voie de réalisation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

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CATASTROPHE DE L'ERIKA

M. Serge Poignant - Cela fait quatre mois que le naufrage de l'Erika s'est produit. Madame le ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire, François Fillon, moi-même et d'autres collègues des départements concernés par la marée noire vous avons interpellée à plusieurs reprises. Vous nous avez fait beaucoup de promesses.

Or les indemnisations sont très loin d'être à la hauteur des besoins, de même que les moyens mis en _uvre, comme j'ai pu encore le constater sur place au cours de ce week-end pascal. Par ailleurs de nouvelles plaquettes sont apparues ces jours derniers. Sont-ce des fuites, sont-ce des produits de dégazage ? Il est très important de le savoir.

La population et les professionnels s'efforcent de demeurer sereins. Les collectivités locales font toutes de gros efforts. Que faites-vous ? Que fait le Gouvernement ? Que fait l'Etat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur de nombreux bancs du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Vous reconnaîtrez que je n'ai jamais cherché à dissimuler la vérité (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) et que, face à tous ceux qui me sommaient de déclarer que les plages étaient propres, je n'ai cessé de dire que les arrivées de fioul se répéteraient au gré des vents et des marées. C'est, malheureusement, ce que l'on a pu constater ces dernières semaines encore, à Belle-Ile, à Groix, à La Baule... Partout, des prélèvements ont été faits, dont l'analyse permettra de déterminer l'origine de ces nouvelles pollutions qui, selon la préfecture maritime, ne peuvent provenir de l'épave, attentivement surveillée, et qui ne suinte pas. Il s'agit, vraisemblablement, de plaques arrachées des rochers et qui s'y déposent à nouveau, projetées par des vents violents qui gonflent une mer agitée par de fortes marées.

Le plan Polmar est toujours en vigueur, et la part de l'Etat a été fixée, en janvier, à 560 millions, vous le savez. Plus de 2 000 agents, civils et militaires, continuent de nettoyer le littoral, et 900 contrats à durée déterminée ont été signés, qui seront prolongés s'il le faut.

Pour ce qui est de l'accès aux plages, le mairie de La Baule a pris une décision sage. La transparence, si souvent vantée, doit être de règle, et il revient aux services de la DASS d'attester de la propreté des plages, dont je ne doute pas qu'elles seront accessibles sous peu.

Comme vous, Monsieur le député, je me suis rendue en Bretagne ces jours derniers et, comme vous, j'ai constaté le faible nombre des agents occupés à nettoyer le littoral. Mais n'ont-ils pas droit, eux aussi, à quelques congés ?

J'ai rencontré, récemment, les dirigeants du Fipol, qui m'ont dit souhaiter accélérer le traitement des dossiers d'indemnisation, dont le flux s'est notablement accru en mars -très peu avaient été présentés en janvier et février.

Les complexes opérations de pré-pompage du fioul sont engagées, coordonnées par le ministère de l'équipement, et le Gouvernement espère que le pompage proprement dit commencera en juin. Déjà, quelque 200 000 tonnes de déchets ont été collectées et stockées sur plusieurs sites. Enfin, l'inventaire est en cours des stocks accumulés après les pollutions dues à l'Amoco-Cadiz et au Tanyo, et nous profiterons des opérations à venir pour apurer ce qui doit l'être et, en particulier, pour déplacer les stocks entreposés dans des sites fragiles (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Wiltzer.

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

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NOMINATION DE DÉPUTÉS EN MISSION TEMPORAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre des lettres m'informant qu'il avait chargé M. Yves Cochet et M. Bernard Derosier de missions temporaires dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral.

Les décrets correspondants ont été publiés au Journal officiel des 11 et 14 avril 2000.

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NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - C'est la première fois, depuis ma prise de fonctions, que j'ai l'honneur de présenter au nom du Gouvernement un texte devant votre Assemblée. Je le fais avec beaucoup de plaisir, compte tenu de l'estime et du respect que j'ai pour vous et de la nature de ce projet. Je remercie particulièrement le rapporteur M. Eric Besson et la commission des finances de leur travail. Cette réforme a été préparée par mes prédécesseurs. J'aurai la tâche de la défendre devant vous avec d'autres collègues, dont Mme Guigou.

Ce texte fait partie d'un ensemble de réformes que le Gouvernement conduit par Lionel Jospin souhaite réaliser pour rendre notre économie et notre société plus efficaces et plus justes. En ce qui concerne mon ministère, je voudrais dresser un rapide calendrier des réformes prévues, auxquelles s'ajouteront les textes soutenus par les secrétaires d'Etat qui m'entourent.

Outre la loi sur les nouvelles régulations économiques, vous aurez à examiner le collectif budgétaire 2000, que je présenterai dès demain à votre commission des finances et qui comporte un volet d'allégements fiscaux significatifs. Suivront le débat d'orientation budgétaire et, à l'automne, la loi de finances pour 2001. A ces occasions nous mettrons en _uvre, outre une politique de croissance solidaire et durable, des réformes d'apparence technique que nous avions étudiées quand je siégeais parmi vous et qui concernent la procédure budgétaire, la maîtrise des dépenses publiques et la transparence de la gestion. Le Gouvernement est également très ouvert à une réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 sur les lois de finances, réforme de fond à laquelle travaille votre commission des finances, et notamment son rapporteur général, M. Migaud (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

L'important projet de loi sur l'épargne salariale sera soumis début mai à la concertation des partenaires socio-économiques et des groupes politiques, déposé en juin sur le bureau de votre Assemblée et examiné lors de la session d'automne pour adoption définitive avant la fin de l'année.

Réforme également que le décret en préparation sur les marchés publics, qui visera à alléger et dépoussiérer les textes actuels, trop lourds et dont les élus et les PME sont souvent les victimes.

M. Christian Cuvilliez - Tout à fait !

M. le Ministre - Réforme aussi que la loi sur l'information que nous préparons avec M. Pierret pour mettre notre législation à l'heure des nouvelles technologies et de l'Internet. Car l'Internet et l'euro sont sans doute les principaux changements qui vont affecter la vie de nos concitoyens. J'aurai à préparer avec vous, sans texte nouveau, mais par l'anticipation et l'explication, le passage à l'euro concret au 1er janvier 2002, qui constituera un bouleversement à la fois économique et psychologique.

Réforme encore que celle que s'attachera à concrétiser la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre de l'année. Il s'agira en particulier de favoriser des avancées en matière d'appui à l'innovation, d'harmonisation fiscale, de lutte contre les mouvements spéculatifs, les centres off-shore et le blanchiment de l'argent sale.

Enfin, d'abord devrais-je dire, réforme du ministère des finances : nous y avons déjà travaillé ces dernières semaines avec les organisations syndicales. J'en présenterai les premières orientations vendredi, lors d'un comité technique paritaire ministériel. Il doit y avoir et il y aura une réforme du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, tendant à le moderniser (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Cette réforme, conduite autour des notions de simplification, de transparence, de dialogue, d'expérimentation, et visant, entre autres, à adapter les formations aux nouvelles technologies montrera, je l'espère, une voie exemplaire pour l'indispensable modernisation de l'Etat et des services publics.

Ce programme d'action est chargé. Pour qualifier l'objectif général que nous poursuivons, j'ai employé, il y a quelques semaines, l'expression de « croissance réformatrice ».

Il s'agit en effet de descendre en-dessous du seuil des deux millions de chômeurs et je crois aujourd'hui possible de briser ce mur : notre priorité est et demeure l'emploi. Il s'agit aussi de renforcer la solidarité et l'égalité des chances ; d'alléger les charges des entreprises et des particuliers ; d'affronter la compétition mondiale avec les meilleurs atouts. Cela suppose des réformes par et pour la croissance. C'est dans cet esprit que s'inscrit le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques que je vais vous présenter maintenant.

La régulation n'est pas pour nous un choix conjoncturel. C'est le fruit d'une démarche de nature politique, assez largement partagée sur ces bancs, je l'espère. Elle doit contribuer à combler certains nouveaux fossés, à rapprocher l'individuel et le collectif, le privé et le public, le local et le global, la démocratie et l'entreprise. Je ne crois pas en effet que le marché puisse tenir seul lieu de contrat entre l'économie et la société. Le libre jeu des forces du marché, non régulé, peut accroître les inégalités. Si la compétition est stimulante, elle ne doit pas conduire à la loi de la jungle ni à des lois d'exception, pénalisant finalement ceux qui créent, ceux qui commercent, ceux qui entreprennent. Il convient d'assortir l'économie de règles simples, justes, acceptées de tous. Ces garde-fous sont de l'intérêt de tous, salariés, consommateurs, entrepreneurs.

Au travers de la régulation, ce seront davantage de règles mais d'une certaine façon, moins de réglementation. Il ne s'agit pas pour l'Etat par ce biais de ne rien faire mais d'agir plus légèrement, plus clairement, plus volontairement, plus efficacement. L'Etat n'a pas à s'occuper de tout : le mieux placé pour prendre en considération le temps long et l'intérêt général, il doit être un arbitre et un garant. L'Etat régulateur établit des règles du jeu et instaure des équilibres afin que tous les acteurs économiques, aussi bien les PME que les sociétés géantes, les producteurs que les consommateurs, les salariés que les actionnaires, voient reconnue à sa juste valeur leur contribution à la croissance et en tirer profit à travers une relation partenariale aussi transparente que possible.

Corriger les dysfonctionnements, empêcher certaines captations, réduire les inégalités, éviter les déséquilibres préjudiciables à l'économie : tels sont les fondements des nouvelles régulations que propose ce projet de loi.

Le premier champ de régulation concerne le secteur financier. Nous souhaitons un système sûr et compétitif, ne laissant pas les salariés à l'écart des grandes opérations de cession et de fusion. Ce texte nous dotera d'instruments plus efficaces qu'aujourd'hui pour assurer toute la clarté nécessaire et le respect de l'égalité entre acteurs lors de ces opérations complexes. Tout d'abord, les salariés y seront mieux associés. Il n'est pas normal qu'ils apprennent, comme il arrive parfois, par la télévision que leur entreprise va changer de mains et de stratégie, au risque de conséquences néfastes pour leur emploi. Les associer à ces décisions est d'ailleurs question de bon sens : en effet, une fusion réussit rarement, sinon jamais, sans l'adhésion des personnels. Les salariés ne sont pas des pions, beaucoup de chefs d'entreprise en sont d'ailleurs parfaitement conscients. Ce texte prévoit donc que les salariés seront officiellement informés de l'existence d'une OPA ou d'une OPE et que le comité d'entreprise pourra inviter l'auteur de l'offre.

Autre objectif : garantir une meilleure transparence au cours des OPA et des OPE afin d'éviter que l'avenir de nos entreprises, notamment leur contrôle, ne dépende d'opérations opaques et interminables. Leur durée doit être limitée. La fiabilité de notre système financier doit en sortir renforcée aux yeux des investisseurs, en particulier étrangers. Nos entreprises ont besoin de stabilité juridique pour financer leur développement. Un seul exemple des améliorations apportées par ce texte : la COB pourra exiger la publication immédiate d'un rectificatif lorsqu'une information a induit le public en erreur en cours d'opération, a jeté le discrédit sur un concurrent ou est manifestement déloyale.

Ce texte permet également une plus grande transparence dans le fonctionnement des régulateurs financiers qui seront eux-mêmes dotés d'instruments juridiques renforcés pour assurer l'égalité de traitement de tous les acteurs. Le CECEI pourra ainsi donner des autorisations conditionnelles liées au respect d'engagements souscrits par le demandeur. Ce système, fréquemment utilisé à l'étranger, sera étendu en matière d'assurance, où l'autorité prudentielle sera le ministre de l'économie.

Autre objectif : renforcer notre lutte contre le blanchiment des capitaux, Elisabeth Guigou y reviendra. Notre action en ce domaine doit être exemplaire. Tout d'abord, au travers de la coopération internationale. J'ai noté avec satisfaction lors de la récente réunion du G7 et du FMI que les idées de la France sur ce point ont progressé parmi la communauté internationale. On a ainsi obtenu du FMI que, dans une prochaine étape, puisse être dressée une liste des territoires délinquants, avec lesquels toute relation financière pourrait, le cas échéant, être rompue. Une obligation de déclaration systématique des transactions financières devrait par ailleurs permettre de répondre aux problèmes posés par les centres off-shore. Plusieurs de nos partenaires ont d'ores et déjà accepté le principe de telles mesures : elles devront progressivement être mises en _uvre en coordination avec eux. Le projet de loi vise également à renforcer notre dispositif interne de lutte contre le blanchiment de l'argent sale en clarifiant la notion de soupçon, en élargissant les possibilités de sanctions pénales à d'autres activités financières délictueuses. C'est un signal fort de notre pays de se situer aux tout premiers rangs dans le lutte contre la criminalité en col blanc. Ce sera l'une de nos priorités lors de la présidence française du Conseil Ecofin.

Deuxième volet du projet de loi : la régulation de la concurrence. Une économie compétitive et innovante suppose une concurrence loyale, facteur de cohésion sociale et bénéfique pour le consommateur. Les fondements du droit de la concurrence datent pour l'essentiel dans notre pays de 1986 mais le contexte a beaucoup évolué depuis lors. Des restructurations et des concentrations s'opèrent de plus en plus souvent qui entravent le bon fonctionnement de la concurrence, et jouent donc à terme contre les prix et l'emploi. Il convenait donc d'apporter les correctifs nécessaires. Si la liberté contractuelle doit demeurer la règle, elle ne doit pas conduire à des abus aboutissant à écraser les petits producteurs alors même que les consommateurs, alibis souvent commodes, n'en sont pas les bénéficiaires finals.

Cette pression à outrance sur les prix d'achat est en réalité imposée par une minorité de distributeurs, en l'espèce fort mal nommés, pour des raisons presque exclusivement financières. Il appartient au Gouvernement d'éviter de telles dérives. Il souhaite aujourd'hui soutenir le civisme marchand de nombreuses sociétés. Le projet prévoit donc de créer une commission des pratiques commerciales qui élaborera notamment des codes de bonne conduite. La prévention n'excluant pas la répression, le texte prévoit également de mieux définir les abus, d'interdire certaines clauses, d'élargir les capacités d'action en justice du ministre de l'économie, même en l'absence de réaction de la victime qui, souvent découragée, hésite à saisir les tribunaux. Les sanctions prévues, plus lourdes, seront, nous l'espérons, dissuasives.

Le dispositif de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles sera également rénové. Ces pratiques qui visent à tromper le consommateur ou une collectivité lorsqu'il s'agit d'un marché public, permettent en effet de capter des rentes indues. Les pouvoirs, notamment de sanction, du conseil de la concurrence, seront renforcés.

De même, le bon fonctionnement de la concurrence, gage d'une croissance plus riche en emplois, suppose un meilleur contrôle des concentrations : celles-ci doivent réellement contribuer au progrès économique. Or le dispositif actuel de contrôle manque de transparence. Son harmonisation avec le dispositif européen est également nécessaire. Le texte prévoit entre autres l'obligation de notifier les opérations au-delà d'un seuil de chiffre d'affaires, fixé en toute objectivité, et offre les garanties maximales pour les opérations les plus délicates, celles qui exigent la saisie pour avis du conseil de la concurrence. Le marché devrait également être mieux informé des opérations en cours, le secret des affaires pour les entreprises concernées étant néanmoins conservé. Ces dispositions équilibrées assureront aux ministères concernés une capacité d'intervention, dont il faudra savoir user à bon escient.

La troisième partie du projet est consacrée à la régulation de l'entreprise. Favoriser l'équilibre des pouvoirs dans les entreprises est nécessaire en soi, mais contribuera aussi à améliorer leur efficacité. Cela requiert notamment des administrateurs effectivement présents, réellement concernés par la stratégie de l'entreprise ; un pouvoir de direction éventuellement mieux réparti ; des actionnaires minoritaires qui puissent jouer vraiment leur rôle d'actionnaires. Malgré certaines avancées, trop souvent le fonctionnement des entreprises hexagonales ne répond pas à ces exigences.

C'est pourquoi nous vous proposons quatre orientations principales. Tout d'abord, assurer un meilleur équilibre des pouvoirs entre les organes dirigeants, en encourageant la dissociation entre les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général, tout en limitant le cumul des mandats d'administrateur. Ensuite, doter les sociétés d'un fonctionnement plus clair, notamment par la transparence des rémunérations des mandataires sociaux, et par l'extension du champ des conventions réglementées. En troisième lieu, renforcer le pouvoir des actionnaires minoritaires, en ramenant de 10 à 5 % le seuil d'exercice de certains droits essentiels. Enfin, faciliter à la fois la démocratie et l'utilisation des nouvelles technologies, en introduisant -ce n'est qu'un exemple- les possibilités de vote électronique, permettant une participation plus rapide et plus générale des actionnaires minoritaires. L'Etat actionnaire devra bien sûr donner l'exemple en matière de démocratie et de transparence. Grâce à ces dispositions, les différents partenaires de l'entreprise pourront mieux exercer leurs responsabilités dans sa gestion, ses orientations stratégiques et le contrôle de ses activités, et chacun devrait y gagner.

Initialement l'épargne salariale devait être intégrée dans ces dispositions. Mais ce texte était déjà très ample ; et la réflexion sur l'autre volet n'étant pas assez mûre, on risquait de prendre du retard sur l'ensemble. Il a donc été décidé de séparer les deux sujets. Mais le projet sur l'épargne salariale, désormais précisé, sera soumis à concertation générale en mai, déposé sur le bureau de l'Assemblée en juin, et examiné dès le début de l'automne. Tel qu'il est, le projet sur les régulations économiques devrait contribuer à un certain rééquilibrage des rapports de forces, à plus de transparence et, nous l'espérons, plus d'efficacité.

Certains demanderont peut-être en quoi tout cela concerne le politique, et pourquoi le Parlement doit s'en mêler. Ces régulations ne peuvent-elles s'établir spontanément, par convention ? A mes yeux, l'intervention du Parlement, c'est-à-dire du politique, dans la mise en place de ces régulations est centrale. Il peut certes arriver que des autorités de régulation se substituent à l'action directe de l'Etat. Mais il appartient au politique et à nul autre de fixer l'esprit des règles en application desquelles s'opère la régulation.

M. Dominique Baert - Très bien !

M. le Ministre - C'est aussi au politique qu'il appartient de s'assurer que le régulateur agit conformément à sa mission. A l'inverse d'une certaine lecture superficielle qui en est faite, la régulation ne signifie pas la mort de la politique et la mort de l'Etat. Elle traduit une adaptation salutaire de certains modes d'action en fonction des évolutions de l'économie et de la société. Car la régulation est aussi une réponse à la mondialisation. Nous acceptons bien sûr le fait de la mondialisation, mais nous voulons en corriger certains excès, pour la ramener à l'échelle humaine. Tout aujourd'hui devient mondial : marchandises, échanges, sièges sociaux, capitaux... C'est pourquoi un droit moderne naît : le droit de la régulation.

Au niveau national et international, nous plaidons pour plus de croissance, mais sans creusement des inégalités. La régulation peut nous y aider, non en définissant des règles qui fonctionneraient en circuit fermé, mais en constituant le pivot d'une démocratie économique plus forte, où chaque partenaire se retrouvera.

Ce texte est donc une étape utile dans notre volonté de moderniser les structures de notre économie, de concilier les principes et les pratiques, de garantir une croissance durable et solidaire. C'est un outil économique, et la réponse à une exigence sociale, pour démontrer que les mutations techniques et économiques peuvent être mises au service de l'efficacité des entreprises et d'une croissance réellement partagée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je veux tout d'abord remercier les membres de vos commissions pour leur apport précieux au travail sur ce texte, malgré des délais très courts. Je remercie particulièrement M. Besson, rapporteur de la commission des finances, et son président, M. Emmanuelli. M. Besson a réussi, dans des conditions difficiles, à conduire une analyse fouillée du projet, tout en intégrant les travaux de la commission des lois et de la commission de la production, dont je remercie également les rapporteurs, M. Vallini et M. Le Déaut.

M. le ministre de l'économie a exposé les conceptions du Gouvernement sur la régulation économique et souligné que ce projet s'inscrit dans un ensemble plus vaste de réformes en préparation. Dans un instant, je présenterai les mesures concernant la démocratie et la transparence dans le fonctionnement des sociétés commerciales, ainsi que la lutte contre le blanchiment des capitaux. Mais je veux d'abord rappeler le rôle central du droit pour la régulation, y compris en matière économique. Quel est le rôle du droit des sociétés ? Tout d'abord les sociétés commerciales sont des personnes morales créées par le droit, inventées et représentées par lui. Ces sociétés doivent pouvoir se constituer : ce sont les problèmes de réunion des parts sociales de capital, et de publicité. Elles doivent pouvoir exister et c'est la question du nom et de la raison sociale. Elles doivent pouvoir manifester leur volonté : ce sont les questions de partage des responsabilités dans une société commerciale, de conclusions de contrats, d'engagements de responsabilité. Et bien sûr elles doivent respecter les droits des tiers, notamment leurs actionnaires, leurs salariés et leurs clients. Dans leur fonctionnement le droit doit jouer un rôle qui ne soit ni excessif, car il les paralyserait, ni insuffisant, car elles seraient alors plongées dans une incertitude grosse de risques financiers et contentieux.

Si le rôle du droit est fondamental dans le fonctionnement interne des entreprises, celui du juge ne l'est pas moins. En cas de conflit, le juge civil ou commercial doit trancher, entre les associés, entre ceux-ci et leurs salariés, ou entre la société et ses clients. C'est pourquoi notre projet de réforme de la justice commerciale est si important, pour assurer aux entreprises une justice impartiale et reconnue. Quant au juge pénal, il est compétent quand une infraction est caractérisée. Le rôle du droit est donc essentiel pour réguler les relations entre acteurs dans l'entreprise, trancher les conflits, réprimer les comportements illégitimes. Il l'est d'autant plus que l'exigence de démocratie et de transparence monte dans notre société. Son rôle est aussi de plus en plus important dans la lutte contre les nouvelles formes de criminalité, notamment la criminalité organisée qui s'appuie sur l'argent sale.

Ce qui me conduit à aborder ces deux aspects essentiels, au titre desquels je suis responsable dans ce projet : la réforme du droit des sociétés dans le sens d'une démocratie et d'une transparence accrues ; et les moyens nouveaux de lutte contre le blanchiment de l'argent sale.

La réforme du droit des sociétés part de ce constat : le fonctionnement interne des entreprises ne peut être abandonné à la seule appréciation des dirigeants ou des principaux actionnaires. L'entreprise est en effet le lieu de rencontre d'intérêts multiples, qui peuvent être convergents, mais ne se confondent pas : intérêt des salariés, des dirigeants, des actionnaires majoritaires, des petits épargnants... Les entreprises sont ainsi des biens sociaux, et non la propriété personnelle de quelques-uns.

Pour adapter le droit dans ce domaine, le projet introduit des mécanismes de régulation dans le fonctionnement même de l'entreprise, en assurant l'équilibre des pouvoirs dans les assemblées générales, l'équilibre des armes devant la justice, la défense des intérêts des plus faibles dans le processus de décision. C'est en somme la conception classique de l'équilibre des pouvoirs, ou des contrepouvoirs, sans lesquels il n'est pas d'autorégulation satisfaisante.

Le droit des sociétés n'a pas fondamentalement évolué depuis trente ans. Or pendant ce temps, nos entreprises se sont profondément transformées par l'internationalisation de leurs activités et de leurs capitaux. Elles sont plus riches, plus puissantes, et leurs choix de gestion ont des conséquences sur la vie de milliers de salariés, sur l'emploi, la répartition des richesses, l'avenir de bassins entiers, et parfois sur l'environnement. Il faut donc que les processus de décision internes aux entreprises soient plus clairs, mieux compris, sans que cela nuise à l'efficacité de leur gestion. Or malgré les progrès qu'ont fait certaines de nos entreprises, notamment en matière d'information des actionnaires ou de réduction des participations croisées, elles restent marquées par une forte concentration du pouvoir et un manque de transparence. Les conseils d'administration ne jouent pas pleinement leur rôle, et leurs attributions sont mal définies ; le poids des présidents-directeurs généraux, le cumul des mandats réduisent l'indépendance des administrateurs.

Pour garantir plus d'efficacité, le projet assure un nouvel équilibre entre le pouvoir par quatre mesures principales.

D'abord le conseil d'administration était censé être l'organe de gestion de la société en toutes circonstances. Pouvoir fictif quand on sait que beaucoup se réunissent quatre ou cinq fois par an. Le projet confie donc au conseil d'administration la mission d'élaborer les orientations générales de l'entreprise et d'en assurer le contrôle.

Il différencie ensuite les fonctions de directeur général, véritable exécutif de la société, et de président du conseil d'administration, chargé de veiller au bon fonctionnement des organes collégiaux. Il ne sera pas interdit d'avoir un PDG mais ce ne sera plus obligatoire. Nous mettons ainsi fin à un archaïsme du droit français.

Une autre spécificité française est le cumul des mandats. En 1999 une centaine de mandataires sociaux se partageaient les sièges de deux tiers des sociétés inscrites au CAC 40.

M. Christian Cuvilliez - C'est extravagant.

Mme la Garde des Sceaux - Les trente personnes pratiquant le plus fort cumul siégeaient dans 194 conseils d'administration. C'est là source de conflits d'intérêt et de perte d'indépendance. Les mesures proposées facilitent le renouvellement tout en préservant la souplesse de gestion au niveau du groupe.

Enfin, il sera possible de réunir les conseils d'administration par vidéoconférence, ce qui permettra une meilleure participation.

Nous voulons assurer aussi une plus grande transparence du fonctionnement des sociétés. Les rapports annuels feront mention de la rémunération des mandataires sociaux, lesquels s'attribuent à eux-mêmes des avantages au nom de la personne morale qu'ils représentent. Le contrôle et l'information des actionnaires seront améliorés. Depuis la loi de 1867 sur les sociétés anonymes, quand les administrateurs et dirigeants ont un intérêt personnel dans un contrat, ils doivent le faire approuver par les actionnaires, selon le régime des conventions autorisées. Aux termes de la loi de 1966 le conflit d'intérêt existait en cas d'administrateurs communs aux deux sociétés. Nous l'étendons au cas où il y a participation au capital. En troisième lieu, les actionnaires non-résidents représentent 40 à 45 % dans les grandes sociétés, souvent plus de 50 %. Le projet leur permet de voter par l'intermédiaire de professionnels officiellement déclarés aux autorités de marché. Mais un dispositif rigoureux permettra de lever l'anonymat des récalcitrants et de les sanctionner par la suppression de leur droit de vote et de leur dividende. Enfin le droit des actionnaires minoritaires est renforcé. Le seuil du capital nécessaire pour effectuer collectivement certains contrôles comme l'expertise de gestion sur les filiales est ramené de 10 % à 5 %.

Sont également mises en place des procédures civiles comme l'injonction de faire, plus efficaces que les procédures pénales car les amendes sont tardives et peu dissuasives. La contrainte civile prononcée par le juge des référés le sera d'autant plus que les astreintes seront supportées par les dirigeants eux-mêmes.

Ces mesures s'inscriront dans une réflexion générale sur la sanction pénale et l'efficacité peut-être plus grande des sanctions civiles ou administratives.

Enfin la possibilité du vote électronique améliorera le fonctionnement des assemblées générales.

L'ensemble de ces mesures de modernisation concernent toutes les entreprises, mais plus particulièrement les entreprises cotées. Elles viennent après la généralisation en juillet 1999 du statut de société par action simplifiée. Cette nouvelle forme sociale a connu un grand succès. 3 000 sociétés de ce type ont été créées et il s'en constitue 500 par mois.

En second lieu le projet comprend un important volet de mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux. Je sais que ces mesures intéressent l'Assemblée qui avait créé une mission d'information sur les paradis fiscaux. Elle a présenté ses résultats ; M. Peillon son président, et M. Montebourg son rapporteur ont fait des propositions très significatives pour améliorer le projet. Le blanchiment d'argent sale provenant du trafic de stupéfiants et d'autres formes de criminalité organisée a connu un développement sans précédent. Il faut avant tout lutter contre l'anonymat des transactions dans les paradis fiscaux, souvent de micro-Etats, dont les pratiques ruinent les efforts des pays démocratiques. Selon l'ONU les actifs déposés dans ces paradis financiers s'élèvent à 5 000 milliards de dollars soit 3 % du PIB mondial. Selon le FMI ils atteignent 8 000 milliards, soit 5 % du même PIB. Sur ce total 500 à 800 milliards proviendraient de la criminalité organisée.

Toutes les organisations internationales, le G8, le GAFI, l'OCDE, l'UE ont pris des mesures pour lutter contre cette criminalité. La France joue un rôle majeur dans cette action. Pendant la présidence française, Laurent Fabius et moi-même agirons pour obtenir encore de meilleurs résultats. Déjà sous notre impulsion, le sommet de Tampere a adopté un programme de coopération judiciaire et policière qui devrait avoir des conséquences importantes dans ce domaine. Cette action est d'autant plus nécessaire que l'euro est désormais aussi attractif que le dollar pour le blanchiment d'argent.

Qu'en est-il de notre dispositif national ? Est-il assez performant ?

Le dispositif créé en 1990, instituant la cellule Tracfin, a été amélioré à plusieurs reprises, notamment en 1993 et en 1998. Mais il doit encore être renforcé dans le sens des mesures recommandées au niveau international, notamment par une meilleure prévention concernant les relations avec les paradis financiers et par un renforcement des moyens de répression. Tel est le sens des dispositions présentées dans ce projet. La mise en place d'un signalement automatique à Tracfin de toutes les transactions avec les paradis financiers est une mesure très forte qui, si elle était suivie par nos partenaires européens et internationaux, pourrait faire date dans l'histoire de la lutte contre le blanchiment. Le changement d'échelle dans la collecte d'informations s'accompagne d'un renforcement des armes mises à la disposition de la justice pour réprimer cette criminalité financière : abaissement aux délits punis de cinq ans d'emprisonnement -contre dix actuellement- de l'incrimination d'association de malfaiteurs, mesure qui va dans le sens d'une harmonisation européenne ; possibilité de procéder à des saisies puis de prononcer des peines de confiscation des biens à l'encontre des personnes condamnées pour blanchiment, qui correspond également à une demande exprimée au niveau européen.

Les mesures inscrites dans le projet et le durcissement de notre arsenal préventif et répressif proposé par vos nombreux amendements constituent le renforcement le plus important du dispositif anti-blanchiment depuis 1990. Nous répondrons ainsi à l'attente de nos concitoyens, qui ne supportent plus que se développe l'enrichissement frauduleux alors qu'eux-mêmes, véritables créateurs des richesses ainsi accaparées, subissent les conséquences de la compétition internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Eric Besson, rapporteur de la commission des finances - Le texte dont nous allons débattre, Mme la Garde des Sceaux vient de le souligner, est une _uvre collective. C'est vrai pour le Gouvernement et vous me permettrez, Monsieur le ministre, de saluer vos deux prédécesseurs, Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter. C'est vrai aussi pour notre Assemblée, puisque pas moins de trois commissions ont été mobilisées dans des délais très courts et dans des conditions parfois difficiles. Je remercie de leur esprit de collaboration Jean-Yves Le Déaut et Jean-Claude Daniel pour la commission de la production, André Vallini et Jacky Darne pour la commission des lois, et Dominique Baert qui m'a beaucoup aidé à la commission des finances.

Le Premier ministre indiquait récemment que ce projet en apparence technique avait des enjeux politiques importants. Les aspects techniques nous occuperont dans la discussion des amendements ; j'insisterai donc ici sur ses enjeux politiques.

Ce texte a été trop critiqué pour être totalement mauvais, trop caricaturé pour qu'on n'ait pas envie d'en faire découvrir les charmes peut-être masqués (Rires sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Comment un même texte pourrait-il être à la fois anodin et outrancier, ne pas modifier structurellement les règles du capitalisme et « organiser l'appauvrissement de l'espace économique », pour reprendre l'expression du président du MEDEF ?

Je résumerai le débat en quatre questions : la régulation est-elle la consécration du dessaisissement de l'Etat ? Doit-on parler « du » texte de régulation ou « d'un » texte de régulation ? Ce texte est-il, comme le prétend une partie de l'opposition, marqué par un interventionnisme excessif de l'Etat ? Va-t-il « assez loin », est-il vraiment un « texte de gauche » ?

La régulation est-elle la consécration du dessaisissement de l'Etat ? La question est importante car le mot « régulation » lui-même a des acceptions très différentes. Pour les uns, le champ économique et social aurait désormais vocation à devenir totalement autonome, l'Etat s'interdisant d'y intervenir autrement que par la régulation, entendue alors comme une simple surveillance du respect des règles du jeu ; des experts et des « autorités indépendantes », forcément raisonnables et convaincus des bienfaits du libéralisme pur et dur, seraient les seuls interlocuteurs des « acteurs économiques. Cette vision n'est pas celle de la gauche : pour elle, l'Etat est le seul à disposer de la légitimité nécessaire pour incarner l'intérêt général ou, à tout le moins, pour le défendre. Cela n'empêche pas que par délégation, si l'on peu dire, des « autorités indépendantes » contribuent à faire respecter l'intérêt général, ni que l'évolution des forces économiques rende indispensable l'existence d'arbitres indépendants et spécialisés.

Ce projet donne d'ailleurs à plusieurs d'entre eux -CECEI, COB, conseil de la concurrence, CMF- des moyens d'action supplémentaires, en même temps qu'il leur impose de respecter des procédures transparentes.

Mais il faudra un jour dresser le bilan provisoire des ces autorités indépendantes et vérifier l'adéquation de leurs résultats à leurs objectifs initiaux.

M. Didier Migaud - Très bien !

M. le Rapporteur - Il faudra se poser à leur sujet quelques questions de base. Sont-elles toujours indispensables ? Sont-elles réellement indépendantes ? Savent-elles se cantonner à leur domaine, ou certaines n'ont-elles pas une fâcheuse tendance à s'estimer compétentes sur tout ?

Les députés de gauche continuent de croire en l'Etat, même s'ils admettent l'évolution de ses moyens d'intervention.

La commission des finances propose aussi que l'émetteur d'une offre publique visant une entreprise relevant du secteur financier en informe d'abord le ministre de l'économie, à charge pour lui d'en informer ensuite le gouverneur de la Banque de France, président du CECEI.

La faiblesse structurelle des banques françaises, que vient encore d'illustrer la prise de contrôle du Crédit commercial de France, peut nous faire craindre la délocalisation du pouvoir effectif d'un secteur majeur pour l'économie nationale. Aussi sur ma proposition, la commission des finances a adopté ce matin un amendement portant à huit jours le délai dans lequel le ministre de l'économie doit être informé d'une offre publique, afin qu'il puisse, en concertation avec le président du CECEI, en évaluer les conséquences. Ce dispositif s'inspire d'exemples étrangers, et notamment anglais -difficilement contestable, Londres étant considérée comme la Mecque de la finance libérale.

C'est aussi parce que nous tenons à réaffirmer le primat du politique et parce que les commissions des Assemblées détiennent déjà le pouvoir d'auditionner les présidents d'autorités indépendantes, en vertu de l'ordonnance du 17 novembre 1958, que nous avons voté la suppression de l'article 13.

La régulation n'est donc pas un dessaisissement de l'Etat. En revanche, elle doit se constituer de la définition des « règles du jeu » et de la limitation des voies par lesquelles l'économie de marché met à mal des principes sur lesquels elle est supposée fondée. Ce projet relève de cette vision.

Deuxième question : doit-on parler « du » texte de régulation ou « d'un » texte de régulation ?

Il s'agit à mon sens « d'un » texte de régulation car la régulation du capitalisme est une nécessité qui durera aussi longtemps que durera le capitalisme lui-même. Or nous ne pouvons ignorer la capacité du capitalisme à se renouveler. Qui parmi nous aurait pu, il y a dix ans, prévoir le développement d'Internet ?

Cette majorité a déjà voté plusieurs textes qui relèvent d'une régulation du capitalisme entendue au sens large, qu'il s'agisse de l'emploi, de la lutte contre l'exclusion, de l'aménagement du territoire ou de la lutte contre la ségrégation sociale qui inspirait le projet SRU. Le Gouvernement a annoncé d'autres texte, concernant l'épargne salariale, la réforme des marchés publics, l'intervention économique des collectivités locales et la modernisation sociale. Le budget est lui-même, chaque année, la forme la plus achevée de régulation de l'économie de marché, et la politique fiscale d'un pays traduit mieux que toute autre forme la régulation choisie.

On connaît la force du capitalisme : sa capacité incontestable à créer des richesses. On connaît aussi sa faiblesse principale : son incapacité à assurer une juste répartition de ces richesses. La régulation principale du capitalisme réside donc dans la politique de redistribution. Cette régulation n'est pas des plus aisées, nos partenaires européens n'hésitent pas, dans certains secteurs, à pratiquer un véritable « dumping » fiscal et social.

Si la régulation du capitalisme doit être un processus permanent, il est bon parfois de rassembler en un texte des avancées : c'est ce qui nous est proposé.

On a dit de ce projet qu'il était technique, mais la régulation d'un système économique et financier complexe ne saurait se dispenser de technicité. On l'a dit hétérogène, mais son hétérogénéité est le reflet de la diversité du champ qu'il prétend couvrir. On l'a dit de circonstance, assumons-le : assumons d'avoir voulu réglementer davantage les offres publiques après les OPA ou OPE qui ont touché l'année dernière les secteurs bancaire et pétrolier.

Acceptons d'avoir voulu contrôler davantage les concentrations et l'ensemble des pratiques commerciales qui menacent les intérêts des consommateurs ou des producteurs, comme le rapport Charié-Le Déaut l'a montré. Assumons encore de vouloir être en pointe dans la lutte contre le blanchiment d'argent sale, sans moralisme, mais avec la détermination de citoyens avertis par nos collègues Peillon et Montebourg que le « recyclage » de l'argent du crime, du trafic de stupéfiants et du proxénétisme, parce qu'il sape les bases de nos règles sociales, fiscales et éthiques, constitue une menace majeure pour nos démocraties, et pour l'économie occidentale.

Assumons, enfin, d'avoir cherché à clarifier les fonctions des organes dirigeants des entreprises et d'avoir souhaité rendre plus compréhensibles ses systèmes de rémunération et d'attribution de stock-options qui n'ont pas grand-chose de commun avec les indemnités auxquelles peuvent prétendre les victimes les plus fréquentes de licenciement ou de « départ négocié »...

Autre question : ce texte est-il marqué par l'interventionnisme excessif de l'Etat ? C'est ce qu'a prétendu le clan « ultra » de l'opposition et plus particulièrement son chef de file, le président du MEDEF qui, paradoxalement, n'est pas un homme politique mais un chef d'entreprise dont on peut, à vrai dire, se demander s'il n'aspire pas à faire de la politique. Cette aspiration-là devrait appeler notre sympathie, à une époque où l'on nous explique que chacun ne rêve plus que d'être chef d'entreprise plutôt qu'homme politique ! (Sourires)

Le discours de M. Seillière trouve quelque écho dans cet hémicycle où certains pensent, comme lui, que l'Etat devrait se mêler « de ce qui le regarde », c'est-à-dire, selon lui, ne pas toucher à l'économie. Quant au Parlement, le mieux qu'il aurait à faire serait de se consacrer exclusivement aux projets dits « de société ». C'est oublier -ou feindre d'oublier- un peu vite ce que l'économie doit à l'Etat. L'économiste Robert Boyer ne rappelle-t-il pas que « le marché est une institution comme les autres et non pas une alternative à une économie sans institution » ?

Les libéraux, et surtout les ultra-libéraux, parlent de l'économie comme d'une science exacte ou, pire, comme d'une religion révélée. Il faut sans cesse leur rappeler que l'économie est d'abord économie politique, que l'économique et le social ne sauraient être dissociés, et leur montrer que les Etats-Unis, qu'ils citent en permanence comme leur modèle n'est pas, loin s'en faut, un pays sans règles et sans régulation. L'affaire Microsoft vient encore de le démontrer. On suggérera enfin que le seul pays que l'on pourrait qualifier de « libéral », au sens où l'entend M. Seillière et ceux qui pensent comme lui serait la Russie, aujourd'hui sans lois, sans règles, sans protection sociale, en proie à la déliquescence de l'Etat, à la délinquance et aux mafias. Pour ces ultras, et je crains que l'on en ait un exemple tout à l'heure lors de la défense des motions de procédure, le présent texte ne peut être qu'une abomination bureaucratique.

Fort heureusement, l'opposition compte aussi des « modérés » capables de reconnaître certaines des vertus de ce texte comme l'ont montré en commission MM. Auberger, Inchauspé ou Jégou, dont j'hésite à citer les noms, pour ne pas leur porter préjudice. Ceux-là ont compris que ce texte pouvait aussi moderniser l'économie de marché en la rendant plus transparente, plus codifiée et donc plus démocratique, en informant les salariés en cas d'OPA, d'OPE ou de concentration, en protégeant les intérêts des actionnaires minoritaires, en atténuant les effets de l'abus de position dominante par les grands distributeurs.

Nous savons tous que, sans l'intervention de l'Etat, beaucoup de nos libertés ne sont que formelles ; c'est vrai aussi dans le champ économique, où la liberté théorique d'entreprendre est battue en brèche par les difficultés de l'accès au financement et les insuffisances de la couverture sociale des créateurs d'entreprise.

Je me réjouis donc de constater que nous allons offrir, avec ce texte, des moyens supplémentaires aux chômeurs-créateurs d'entreprise, puisque la commission des finances a accepté l'amendement sur le « micro-crédit » que j'ai proposé. Et j'apprends avec plaisir que le Gouvernement a déposé ce matin un amendement portant sur la libération du capital des SARL, première application législative des mesures annoncées par le Premier ministre lors des états généraux de la création d'entreprise, le 11 avril (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Une dernière question se pose : le texte va-t-il assez loin ou, autrement dit, est-ce vraiment un texte de gauche ? Pour parler simplement, il convient là de ne pas tourner autour du pot, de dire ce qui est : ce texte est un texte de régulation du capitalisme et non de renonciation au capitalisme. Il illustre parfaitement la formule du Premier ministre à laquelle adhèrent, je crois, une majorité d'entre nous : « oui à l'économie de marché, non à la société de marché ». Parce que nous disons « oui à l'économie de marché », nous ne prétendons pas en modifier les règles fondamentales, et le paradoxe veut même qu'il revienne à la gauche de les faire respecter. Alors que les fondements théoriques de l'économie de marché supposent la multiplicité de producteurs de taille petite ou moyenne, le capitalisme contemporain tend à la concentration et aux risques liés aux monopoles, ceux-là même que ce texte cherche à écarter.

Mais parce que nous disons « oui à l'économie de marché » et que nous sommes intégrés à une économie mondialisée, nous nous interdisons de fait la rupture avec des aspects du capitalisme qui choquent beaucoup d'élus de gauche.

Le rapporteur que je suis en est pleinement conscient. J'ai été amené en commission, et je le serai à nouveau, en séance, à appeler à voter contre des amendements de la majorité plurielle dont j'avoue franchement partager parfois la philosophie ou les objectifs mais qui s'ils étaient adoptés, conduiraient à rompre avec le cadre économique et social qui est aujourd'hui le nôtre et celui de l'Europe.

A ceux qui, à gauche, estiment que le texte ne va pas assez loin, je voudrais dire deux choses. La première est que si nous devions un jour non plus tendre à réguler le capitalisme, mais refuser tel ou tel de ses aspects, cela ne pourrait se faire qu'après une échéance politique majeure, présidentielle ou législative, et après qu'un mandat clair nous aura été donné par le peuple. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on s'en désole, il ne me semble pas que le mandat qui nous a été donné en 1997 soit de rupture avec le capitalisme.

D'autre part, chacun est libre d'estimer que le texte aurait pu se montrer plus ambitieux, et il m'arrivera moi-même de le dire au cours de la discussion des articles. Mais ne boudons pas notre plaisir, et saluons comme ils doivent l'être les progrès réels qu'il entraînera.

Après l'adoption de ce texte, à l'été, les OPA et les OPE seront davantage encadrées, tout comme les concentrations, la lutte contre le blanchiment d'argent sale sera renforcée, les pratiques anticoncurrentielles seront mieux combattues et les abus de la grande distribution limités. A l'été, le droit à l'information, et donc à l'action des salariés des entreprises soumises à des offres publiques d'achat ou d'échange ou à des concentrations aura été renforcé, les contrats entre clients et fournisseurs ne pourront plus comporter de clauses léonines de délais de paiement, la création d'entreprises sera encouragée, l'agriculture et l'arboriculture aidées.

Le temps me manque pour aborder cette question, qui me tient particulièrement à c_ur, MM. Brard et Cahuzac peuvent en témoigner, mais j'y reviendrai.

Il me faut donc conclure, et je le ferai en citant le très grand footballeur Michel Platini qui, dans un entretien avec le journal Le Monde daté du 19 avril analysait clairement les dérives actuelles du football professionnel. Je le cite : « Ce qui me soucie le plus est de voir que ceux qui tirent profit de l'arrêt Bosman sont les clubs des pays où les droits télévisés sont les plus importants. Les clubs norvégiens et danois ne pourront plus jamais rien gagner. Pis : les pays qui forment des jeunes se les font prendre à la fin de leur contrats d'aspirant. Voilà pourquoi il faut trouver un système où ce n'est pas l'argent qui fait gagner. Sinon, tous les pauvres vont crever et les riches vont se retrouver entre eux. Ce capitalisme dur, moi, je n'en veux pas ».

Nous sommes nombreux ici à penser que la régulation doit permettre de limiter les conséquences de ce capitalisme dur dont nous ne voulons pas non plus. Quant à moi, je peux aujourd'hui avouer que j'ai toujours été un supporter de Michel Platini ! (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. André Vallini , rapporteur pour avis de la commission des lois - Les dispositions de ce projet, techniques en apparence, sont en fait éminemment politiques en ce qu'elles traduisent une approche citoyenne des entreprises. Le texte traite d'une part de la lutte contre le blanchiment des capitaux, d'autre part du gouvernement d'entreprise. Mme la garde des Sceaux a rappelé que les circuits du blanchiment d'argent sale drainent des sommes considérables. Cette forme de criminalité en col blanc constitue non seulement un délit grave mais aussi une entrave au bon fonctionnement de l'économie, et neuf articles du projet permettront de renforcer l'arsenal juridique français, ce qui témoigne de la détermination du Gouvernement dans ce domaine.

Le deuxième volet du projet concerne le « gouvernement d'entreprise ». En rendant public le montant de sa rémunération, M. Seillière n'a pas fait preuve d'une audace inconsidérée : il a fait droit au besoin accru d'information dont témoignent les actionnaires, et qui s'explique par une conjonction de facteurs. De fait, tout milite en faveur d'un fonctionnement plus équilibré et plus transparent des entreprises, fonctionnement caractérisé, en France, par une trop grande opacité et une trop grande concentration des pouvoirs.Ce projet va le permettre à travers quatre grandes orientations : meilleur équilibre des pouvoirs entre les organes dirigeants des sociétés, fonctionnement plus transparent, renforcement des pouvoirs des actionnaires minoritaires -sur ce point la commission vous proposera des amendements allant plus loin que le texte initial- enfin incitation à recourir aux nouvelles technologies.

En conclusion, ces mesures témoignent de l'engagement de la gauche moderne en faveur d'une économie maîtrisée, encadrée, régulée. Certes, ce texte n'est pas « le grand soir » dont nous avons pu rêver dans notre jeunesse, car il s'inscrit dans la réalité économique d'aujourd'hui, celle d'un capitalisme de plus en plus dur, financier plus qu'industriel, anonyme plus que responsable et aveuglé par la recherche du profit maximum à court terme.

S'il est juste de dire que face à ce capitalisme l'Etat ne peut pas tout, il est faux de prétendre que l'Etat ne peut plus rien. Ce projet en est la preuve (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis de la commission de la production - Ce projet de loi tend à instaurer une meilleure régulation de la concurrence. Ce n'est pas peu dire, comme en témoigne le rapport récent adopté à l'unanimité par notre mission d'information sur l'évolution de la distribution. Il y a un profond malaise dans le commerce et si des mécanismes de régulation ne sont pas rapidement mis en place, des milliers d'entreprises vont disparaître. Il ne s'agit pas là de revendications poujadistes de petits patrons : les risques sont réels et il convient bien de moraliser les pratiques commerciales et de mieux contrôler les concentrations dans le secteur de la distribution.

On assiste en effet à un mouvement de concentration sans précédent qui conduit à de véritables oligopoles : cinq super-centrales d'achat s'interposent entre 70 000 PME et 300 000 agriculteurs d'une part et 60 millions de consommateurs français, sans parler du marché européen, d'autre part, formant le goulot d'étranglement du sablier ; 90 % des biens de grande consommation passent par ces centrales.

En outre la distribution tend à intégrer la production en amont et le secteur bancaire en aval. La question est simple : souhaite-t-on que quelques grands groupes contrôlent la production de notre pays ?

Nous ne sommes pas contre la grande distribution, à condition que les rapports avec la production soient équitables. Or quand, il y a quelques jours, une grande enseigne fait une campagne de promotion pour des fraises d'Espagne à 4,90 F la barquette de 500 g, il est évident que cela va casser les prix et que quand les gariguettes vont arriver sur le marché, leurs prix seront tirés par le bas. Quand cette même enseigne se permet de dire dans un journal du soir que nous sommes pour des prix élevés -car maintenant la politique ne se fait plus seulement à l'Assemblée nationale, mais au moyen de grandes manchettes de publicité que les consommateurs paient au final- c'est faux, car nous sommes pour des prix bas, mais à condition que la qualité soit bonne. Or on ne peut pas à la fois pressurer les PME par des prix bas sous la marque du distributeur et leur imposer des cahiers des charges très contraignants.

Toute la mission d'information a été choquée par les pratiques en vigueur sous couvert de coopération commerciale, et qui obligent, par exemple, le fournisseur à reverser au distributeur jusqu'à 35 % du prix des produits vendus. On peut se demander si le consommateur est gagnant...

M. Michel-Edouard Leclerc affirme, dans ces publicités, être « pour des prix loyalement obtenus par des négociations commerciales » mais quand on demande à une entreprise de verser 10 000 euros en Suisse pour avoir le droit d'être référencée, s'agit-il de « prix loyalement obtenu » ? Un certain nombre de PME vont être étranglées si on ne met pas en place une régulation. Sans doute les grandes firmes multinationales de production ont les moyens de se défendre, mais voulons-nous qu'elles se retrouvent seules face à la grande distribution ?

Ce marché des biens de grande consommation représente 2 500 milliards et les délais de paiement tendent à s'allonger.

M. Jean-Jacques Jegou - Il n'y a rien là-dessus dans le projet !

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis - Le projet vise à moraliser les pratiques commerciales et à éviter que les petites entreprises puissent être déréférencées très rapidement. J'ai dans ma circonscription une entreprise fabriquant des pelles de jardin qui, en quelques semaines, a été déréférencée par Castorama après que cette firme ait été rachetée par des fonds de pension anglais... (Interruptions sur les bancs du groupe DL)

Sur le volet agricole, nous déposerons des amendements allant plus loin que le texte gouvernemental : nous ne pouvons pas nous permettre une nouvelle crise des fruits et légumes, telle qu'elle a été programmée l'an dernier par les prix fixés à l'avance dans les catalogues professionnels.

Nous ne sommes pas pour une législation tatillonne, nous sommes pour le code de bonnes pratiques dont tout le monde parle, mais malheureusement il n'est pas respecté. Il faut qu'un organisme en vérifie l'application, comme la COB pour les opérations de Bourse.

Nous sommes pour le respect des marques et labels de qualité d'origine, nous voulons une meilleure organisation des filières agricoles et nous trouvons anormal que la pratique des longs délais de paiement fournisse une trésorerie à bon compte aux grandes surfaces, alors que les fournisseurs se trouvent obligés d'emprunter pour survivre : au bout de 45 jours, les sommes dues devraient valoir lettres de change auprès des banquiers.

Nous proposons également des améliorations au fonctionnement du Conseil de la concurrence.

Ce texte est raisonnable : il ne s'agit pas de revenir à l'économie administrée, ni de brimer la grande distribution française, mais de remettre un peu d'éthique dans un système dont tout le monde reconnaît les dérives et abus. Une concurrence loyale suppose de mettre fin à des pratiques féodales, à des contrats léonins. La loi de la République ne signifie pas la loi du plus fort. La philosophie du texte est de privilégier les relations contractuelles, de mieux faire appliquer la loi et de donner quelques outils supplémentaires aux pouvoirs publics pour rétablir des relations commerciales équilibrées. C'est ce qu'ont souhaité à l'unanimité les membres de la mission d'information présidée par M. Charié, tous groupes politiques confondus, et c'est aussi ce qu'affirment vouloir toutes les parties concernées. Nous souhaitons donc que ce texte soit très largement voté par l'Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Alain Madelin - Ce projet de loi a une histoire. Il était en effet un peu plus de 20 heures, le 13 septembre dernier, lorsque Lionel Jospin, interpellé au sujet des licenciements de Michelin qu'il n'avait pu éviter, pas davantage que ceux de Renault à Vilvorde en 1997, se laissait aller à déclarer : « Il ne faut pas attendre tout de l'Etat et du Gouvernement. Ce n'est ni par la loi ni par la réglementation que l'on régulera l'économie ». Propos de bon sens qui eurent néanmoins pour effet de déclencher une tempête médiatique, alimentée par tout ce que la gauche compte de consciences politiquement correctes ! Il suffit de relire les titres de la presse de l'époque : « La faute de Jospin ». « Jospin déçoit les siens : il a manqué le lancement de sa deuxième étape ». Pis encore : « Le tournant libéral de la gauche ». On ira jusqu'à parler sur ces bancs « de la dérive libérale du Gouvernement » (« Oh ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Pour ses détracteurs, le Premier ministre signait avec ces propos un aveu d'impuissance face à la mondialisation, qui signifiait la fin du volontarisme socialiste.

Lionel Jospin se devait de réagir. Il le fit deux semaines plus tard à Strasbourg où il tint un discours de véritable réarmement moral à l'intention des troupes dépitées. Ne déclara-t-il pas avec emphase que, face à une mondialisation débridée, il était « de la mission de la gauche d'inventer de nouvelles régulations » ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Le terme fut répété plus de vingt fois dans son discours : « Camarades, une seule solution : la régulation » », voilà qui rappellera certains souvenirs aux plus anciens d'entre nous (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Et Lionel Jospin d'annoncer le dépôt d'un prochain projet de loi pour corriger les excès du capitalisme triomphant, un projet-phare, un projet de société, rien moins que la réponse socialiste au nouveau monde.

On allait voir ce qu'on allait voir !

J'attendais donc avec une particulière impatience cette réponse. La voilà ! Quel décalage entre l'ambition affichée et ce texte ! Quelle indigence dans ce patchwork de mesures sorties des fonds de tiroirs de Bercy, et qui auraient tout naturellement pu prendre place dans un DDOEF ! Ce texte a notamment été amputé du volet de l'épargne salariale qui devait être l'un de ses volets essentiels. C'est en vain que j'y cherche, à défaut d'une grande réponse socialiste au nouveau monde, ne serait-ce qu'un exposé des motifs qui eût donné sens à tout ce bric-à-brac. Je sais bien, Monsieur le Premier ministre, que ce texte n'est pas le vôtre et que vous nous en eussiez sans doute donné un de meilleure facture.

En réalité, ce texte relève simplement d'une saine défense de l'économie de marché. Si j'en crois l'étude d'impact, il s'agit d'améliorer l'allocation des ressources, de stimuler l'innovation grâce à l'ouverture du marché et à la concurrence, d'améliorer la transparence notamment des autorités de régulation financières, de renforcer l'information sur le déroulement des opérations financières, en particulier au profit des actionnaires minoritaires. Fort bien ! Mais alors que l'on nous promettait de corriger les excès du capitalisme triomphant, voilà seulement quelques mesures destinées à accompagner les OPA ! Ce texte contient certes des idées intéressantes comme l'utilisation de la visioconférence dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance, ou bien encore l'étiquetage du chocolat (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) mais reconnaissez que nous sommes loin d'un projet de société et de l'ambition affichée à Strasbourg. Il y a eu publicité mensongère ! Et je sais que nombreux sont ceux qui, dans vos rangs, pour des raisons certes différentes des miennes, pensent de même et se sont étonnés publiquement de la modestie de ce projet, lequel, ont-ils dit, ne peut être accepté en l'état. Voilà ce qui, à soi seul, justifie cette question préalable.

Dans un monde qui change, il faut repenser le rôle de l'Etat, imaginer de nouvelles règles. Excellente démarche qui malheureusement ne débouche sur rien dans votre texte ! Il faut revoir votre copie.

Certains ont cru déceler des raisons électoralistes dans l'immobilisme du Gouvernement : je pense, pour ma part, que si le Gouvernement est aujourd'hui en panne de réformes, c'est tout simplement qu'il est en panne d'idées. Paul Thibaud en a fait cette semaine l'impitoyable constat dans l'Express.

Mme Nicole Bricq - M. Cambadélis lui a répondu.

M. Alain Madelin - En effet, et je lui rends hommage d'avoir bien voulu dire que libéralisme et modernité allaient de pair. Paul Thibaud, disais-je, écrit dans l'Express : « Lionel Jospin considère avec distance, avec réserve et sans imagination un monde qui ne l'inspire pas ».

Si ce texte marque une profonde évolution dans la pensée socialiste -souvenons-nous qu'en 1983 Lionel Jospin se demandait pourquoi ne pas imaginer un modèle économique empruntant à la fois à Keynes et à Marx !- et signe votre ralliement à l'économie de marché, il prolonge le passé plus qu'il n'ouvre l'avenir. Aujourd'hui comme hier, vous êtes en retard d'un monde. Au temps du programme commun, vous proposiez de rompre avec l'économie de marché et le capitalisme ; dans les années 80, vous engagiez la France, à contre-courant, sur la voie des nationalisations, des recrutements massifs dans la fonction et les entreprises publiques, de déficits budgétaires croissants pour relancer l'économie ; au début des années 90, après la chute du Mur de Berlin, vous persistiez à proposer ce douteux modèle de l'économie mixte dont le symbole -et la facture !- demeurera le Crédit Lyonnais.

Que vous vous soyez ainsi trompés avec constance durant trois décennies explique sans doute le vide de ce projet. Celui-ci relève beaucoup plus de la vieille tradition réglementaire française que d'une nouvelle approche régulatrice (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Je survolerai maintenant les différents volets de ce texte. Tout d'abord, celui ayant trait à la concurrence qui, en l'absence de volet relatif à l'épargne salariale, constitue l'essentiel du texte. Bien que notre pays encadre les relations commerciales de la manière la plus complexe de tous les pays développés, les relations entre producteurs et distributeurs y sont exécrables.

Notre droit de la concurrence condamne, à juste titre, les ententes et les abus de position dominante. Mais l'application de ce droit laisse pour le moins à désirer. Pour éviter que les centrales d'achat n'exigent d'avantages sans contrepartie et que ne se développe un chantage au déréférencement, pour sanctionner la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la loi Galland du 1er janvier 1996 a renforcé le dispositif existant. Mais le propre du bon négociateur commercial est de tenter d'arracher un avantage supplémentaire par rapport à ses concurrents. C'est ainsi que les interdictions se sont trouvées contournées par de douteuses innovations conduisant à l'explosion de vraies, mais aussi de fausses, coopérations commerciales.

Voilà pourtant que vous allez édicter de nouvelles interdictions et bien sûr, comme toujours dans notre pays lorsqu'un problème se pose, créer une commission laquelle, soit dit au passage, n'associera pas les consommateurs, pourtant les premiers intéressés au bon fonctionnement de la concurrence.

Si votre proposition de juger dorénavant la dépendance économique fautive non plus d'après ses effets sur les marchés, comme aujourd'hui, mais en soi, est intéressante, pour le reste vous suivez une mauvaise méthode. Pour équilibrer réellement les relations entre producteurs et distributeurs, mieux aurait valu suivre les recommandations du rapport Vilain ou l'avis du conseil de la concurrence sur le projet de loi de 1996, avis qui n'a d'ailleurs curieusement jamais été rendu public. Il est d'ailleurs significatif que plusieurs articles de votre texte ne fassent que reprendre des amendements écartés lors des débats de 1995 et 1996 car jugés alors inutiles ou porteurs d'effets pervers.

J'aurais, pour ma part, plus volontiers suivi la démarche régulatrice proposée par le conseil de la concurrence et renforcé encore le rôle et les pouvoirs de cette instance. Il faudrait en effet supprimer l'article 34 de l'ordonnance de 1986 qui interdit à un producteur industriel d'imposer un prix de revente. Il faudrait aussi, et c'est là d'abord affaire de moyens, que la justice civile et commerciale fonctionne correctement. Le principe de notre droit civil selon lequel tout préjudice doit être réparé par son auteur doit pouvoir s'appliquer pleinement aux relations entre les producteurs et les distributeurs. Enfin, un régime d'indemnisation réellement pénalisant, inspiré du dispositif anglo-saxon des dommages au multiple, serait nécessaire.

Pour ce qui est du contrôle des concentrations, j'aurais plus volontiers donné le pouvoir d'instruction et de décision au conseil de la concurrence où un commissaire du Gouvernement se contenterait de présenter ses observations. Mieux aurait valu également aligner les critères d'interdiction sur ceux du droit communautaire alors que ceux que vous proposez sont flous et source d'arbitraire, et transférer le contentieux à la cour d'appel de Paris comme pour les ententes et les abus de position dominante.

Je m'en tiendrai là sur la concurrence. En effet les dispositions sur la lutte contre le blanchiment et la régulation financière appellent moins de commentaires. Oui, bien sûr, à la transparence des opérations financières ! Et je vois dans votre souci de transparence aujourd'hui comme un remords du raid manqué sur la Société Générale, ou de ces délits d'initiés qui remontaient jusqu'aux plus hauts sommets de l'Etat... La disposition sur l'information du comité d'entreprise vous permet de vous poser à bon compte en défenseurs du personnel, mais elle ne change pas grand chose ; elle va de soi, ou le devrait. Quant à la présence systématique d'un administrateur représentant l'Etat au conseil des entreprises privées dont il détient 10 % du capital, c'est le signe que vous croyez toujours aux bienfaits de la présence éclairée de ces hauts fonctionnaires de l'Etat. Le scandale du Crédit Lyonnais et les autres n'ont pas entamé votre foi. A mes yeux c'est un contresens : le problème n'est pas de faire entrer les administrateurs de l'Etat dans les entreprises, mais de faire sortir l'Etat de ces entreprises en achevant les privatisations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL)

Pour ce qui est des dispositions concernant ce qu'on appelle la gouvernance d'entreprise, il me semble que l'Etat, avant de donner des leçons, devrait donner l'exemple. L'exemple d'une bonne gouvernance publique, du ministère de l'éducation nationale à la gestion de Bercy. L'exemple de la transparence des rémunérations, de l'évaluation. Et s'il s'agit de refuser les monopoles et les abus de position dominante, que n'applique-t-on ces principes au secteur public ?

Cela étant, tout ce qui accroît la transparence et renforce le rôle des actionnaires va dans le bon sens. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai bien souvent, dans le passé, dénoncé ce capitalisme de connivence qui règne trop souvent en France, avec ses privilèges, ses réseaux, ses dangereuses consanguinités, et ses entreprises publiques, qui ont fait le bonheur des serviteurs de l'Etat -comme ces évêchés qu'on obtenait en approchant le roi- avant de faire parfois leur fortune à la faveur des dénationalisations... Renforcer le rôle des actionnaires va dans le bon sens, car des actionnaires bien organisés peuvent peser fortement sur les orientations d'une entreprise, et dénoncer les turpitudes éventuelles du management. Oui, le bon fonctionnement d'une économie de marché implique que la rémunération des dirigeants d'une grande entreprise résulte d'une décision transparente des actionnaires, et non d'un système opaque de connivences et de stock-options de faveur. A propos des stock-options, comment ne pas s'inquiéter des velléités du président de la commission des finances d'en alourdir la fiscalité ? Le moment venu, Monsieur le Premier ministre, vous ne serez pas jugé sur votre art du compromis au sein de la famille socialiste, mais sur votre capacité à donner à la France une fiscalité moderne et compétitive des stock-options.

J'achèverai là mon examen des dispositions du texte. Il est clair qu'elles relèvent d'une approche réglementaire classique, et non pas d'une nouvelle vision régulatrice face à l'économie et à la société nouvelles qui se dessinent. S'il faut repenser aujourd'hui les règles du jeu, c'est que nous sentons bien que nous changeons de monde. Comme l'a vu Marx-après bien d'autres- les modes de production engendrent des modes d'organisation sociale. Deux fois déjà, dans l'histoire humaine, les modes entièrement nouveaux de production de la richesse ont engendré de nouvelles formes de pouvoir La première de ces révolutions fut, à la fin du premier millénaire, la généralisation du mode de production agricole, qui fonda la civilisation rurale, patriarcale et féodale. La deuxième fut la révolution industrielle des XIXe et XXe siècles : production et consommation de masse, pouvoir de masse, idéologies de masse, démocratie de masse... La révolution industrielle a entièrement changé les habitudes des peuples. Elle a été rude pour l'homme et pour l'environnement. Elle a conduit à une organisation pyramidale des pouvoirs, dans l'entreprise comme dans la société. Oui, le XXe siècle a été le siècle du pouvoir, de l'autorité, de la hiérarchie, avec le modèle taylorien ; le siècle des Etats-nations, qui se faisaient la guerre ; le siècle du tout-politique, allant jusqu'aux pouvoirs totalitaires. Les idées dominantes y furent la confiance dans l'Etat, le dirigisme, le socialisme.

Avec le XXIe siècle s'annonce un nouveau monde, une troisième grande vague de l'histoire humaine. La civilisation de l'usine fait place à la civilisation du savoir. Internet est le symbole de ce bouleversement. J'observe au passage qu'Internet fut le fruit de la défiscalisation et de la dérégulation aux Etats-Unis, qui créèrent un champ libre pour les nouvelles technologies. Ce qui caractérise la civilisation d'Internet, c'est qu'il n'y a pas de tour de contrôle ! Et logiquement les idées que j'appelle libérales, la confiance dans la personne, sa liberté, sa responsabilité, s'affirment comme les idées dominantes de ce nouveau monde. Toutes les structures traditionnelles sont désormais remises en cause, à commencer par l'Etat. C'est bien pourquoi il faut le réorganiser, et repenser les règles du jeu. Le vieux monde connaissait des structures centralisées et pyramidales : le nouveau monde a un fonctionnement horizontal, par réseaux. Ses principes d'organisation sont la décentralisation, la subsidiarité, la liberté et la responsabilité individuelles. Dans l'ancien monde, la société et l'économie étaient conçues comme des machines : dans le nouveau monde ce sont des systèmes vivants, autonomes, largement autorégulés. Dans le vieux monde la réglementation était un cadre de contrôle : dans le nouveau elle devient un cadre d'accueil.

Il y a au fond deux conceptions de la régulation. Oui, la mondialisation économique, l'interdépendance croissante des hommes, dans une société de plus en plus complexe, remettent en cause les systèmes nationaux de régulation étatique. C'est là tout votre problème, car vous ne concevez la régulation qu'à travers l'Etat et le primat du politique. Tel est le tropisme inévitable d'un gouvernement qui ne comporte aucun représentant du secteur privé, et dont les trente-trois membres sont tous issus de la fonction publique ou du secteur public... Vous parlez de régulation parce que c'est un mot à la mode, moins compromettant que « réglementation », et qui fleure bon le nouveau monde. Mais quand vous dites régulation, vous pensez réglementation ! Ainsi sur le temps de travail : vous imposez la même durée à tous, par une loi qui a conduit ministres et parlementaires à trancher jusque dans le détail des temps de pause, de restauration et d'habillage... Ce n'est pas cela, la régulation moderne. Elle échappe à la logique du tout-politique.

En effet, avec la mondialisation et la construction européenne, le droit ne change pas seulement de dimension : il change de nature. L'Etat a perdu le monopole de la production des normes juridiques. C'est un fait difficile à admettre pour des socialistes, enclins au volontarisme d'Etat. Mais vous avez dû admettre déjà la fin de la présence de l'Etat dans la production économique : il vous faudra admettre qu'il ne préside plus à la production du droit. Mettre la régulation à l'heure d'Internet exige un changement de perspective. Comme l'a excellemment dit notre collègue socialiste Christian Paul, organisateur des rencontres parlementaires sur la société de l'information, on ne peut pas regarder Internet avec les lunettes jacobines et centralisatrices du XIXe siècle. Ou encore : la société de l'information a besoin de la justice, non de l'Etat. Telle est aussi la conclusion du Commissariat au Plan dans son étude sur le rôle de l'Etat au regard des médias . J'évoquerai encore Zaki Laïdi, dont j'apprécie le travail de réflexion qu'il mène à gauche, et qui déclarait le 19 avril dans Libération que le capitalisme, système ouvert, exige certes une régulation, mais que la régulation optimale ne passe pas nécessairement par l'Etat.

Nous sommes là au c_ur du débat sur les nouvelles régulations. Il faut rompre avec la conception du droit qui le confond avec l'Etat. On connaît le raisonnement : la politique, c'est le pouvoir, donc la souveraineté ; la souveraineté s'incarne dans l'Etat, qui fait la loi. Le droit se confond donc avec le pouvoir, et échappe à la morale. Tel est le vide fondamental de cette philosophie, qui réduit le droit à la loi du plus fort, ou du plus nombreux : elle porte en germe toutes les constructions totalitaires. Pour nous il existe un droit extérieur, antérieur et supérieur à l'Etat. C'est un droit universel, qui condamne les violations des droits de l'homme, et ne permet plus aux dictateurs de s'abriter derrière la souveraineté de leurs Etats. C'est un droit qui réside dans la conscience humaine, et qui tire sa justification, non du pouvoir, mais de la morale. Telle est l'approche libérale et constitutionnelle du droit, à laquelle il faudra bien se faire, car elle domine dans le monde -même si elle a plus de mal à se frayer un chemin en France, tant est forte chez nous la tentation de confondre le pouvoir et la loi au nom de la volonté souveraine.

Il a fallu attendre 1974 pour qu'un Conseil constitutionnel puisse faire prévaloir un droit supérieur à nos lois ordinaires. L'acceptation de son rôle n'a pas été sans peine. En 1980, M. Jospin déclarait encore que jamais la volonté d'un peuple ne serait arrêtée par un Conseil constitutionnel. François Mitterrand avait déjà dit que le Conseil était une institution dont il faudrait se défaire... Il a pourtant trouvé sa place dans nos institutions, et avec lui une autre idée du droit. S'il faut des règles nouvelles, elles ne passeront pas toutes par l'Etat.

J'en donnerai quelques exemples. Déjà la France voit s'imposer à elle un droit international et européen de plus en plus prolifique. Sans doute résulte-t-il, directement ou indirectement, d'une ratification politique. Mais ses sources, plus complexes, reflètent l'expérience d'une société qui échappe à la logique étatique. De même certaines professions se donnent leur propres règles, avec contrôle a posteriori par le Conseil d'Etat. Dans différents secteurs sont apparus des codes de bonne conduite. Enfin nombre de normes techniques sont établies par les intéressés.

Il y a aussi des autorités administratives indépendantes, comme la COB, le conseil de la concurrence, la commission bancaire, le CSA ou l'ART. Certains, d'ailleurs dans la majorité veulent rediscuter leur rôle, leur faire rendre des comptes. Ces autorités définissent les règles du jeu, sanctionnent les manquements. Peu à peu elles se juridictionnalisent comme le prouve leur soumission au principe du contradictoire et du droit de la défense, à l'autorité administrative ou judiciaire. On parle du démantèlement de Microsoft. Mais la décision échappe au politique, c'est celle du juge. Voilà l'autre approche de la régulation.

En France avec nos 8 000 lois, nos 100 000 décrets, nos 360 000 règlements, 10 000 textes européens et une trentaine de codes de 2 000 pages, il ne faut pas ajouter des lois aux lois mais simplifier, codifier les règles essentielles et remplacer chaque fois que c'est possible le détail de la loi par le contrat ou l'autorité régulatrice (Applaudissements sur les bancs du groupe DL) bien entendu dans le cadre des principes de la loi et sous le contrôle des tribunaux. Sans doute faudra-t-il un jour mieux nous conformer à l'article 34 de la Constitution : la loi détermine les principes fondamentaux, en laissant les acteurs locaux et les partenaires sociaux définir les conditions de son application. On ne fixe bien les principes que d'en haut, mais on ne règle bien les choses que d'en bas. Telle serait, à mon sens, une nouvelle approche de la régulation.

Oui, le nouveau monde a besoin de nouvelles règles. Mais, de grâce, épargnez-nous les clichés de l'anti-libéralisme primaire, de la fameuse « loi de la jungle ». Cessez de réciter la formule de Lionel Jospin « oui à l'économie de marché, non à la société de marché ». Bien sûr le marché n'est pas tout, et tout n'est pas marchandise ! Contrairement aux caricatures, la pensée libérale ne donne pas la priorité à l'économie. C'est avant tout une philosophie de la liberté, de la responsabilité personnelle. Pour Lionel Jospin, le socialisme affirme le primat du politique sur l'économique. Les libéraux disent qu'il existe un primat du droit et d'un certain nombre de valeurs sur la politique et sur l'économie (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

L'économie de marché est le meilleur moyen d'assurer le progrès social. Nous ne réduirons pas l'homme à l'économie : le marché est un moyen, non une fin. Son efficacité économique est inséparable d'un ordre juridique fondé sur un certain nombre de valeurs éthiques.

M. Jean-Paul Charié - Très bien !

M. Alain Madelin - Par exemple dans le commerce mondial, nous souhaitons remplacer les rapports de force par des rapports de droit. C'est pour cela que nous souhaitons la réussite de l'OMC. Au-delà des lois du commerce, il y a les droits de l'homme. Nous condamnons clairement le non-respect des droits sociaux, le travail des enfants dans l'industrie. Que la Turquie promette d'acheter quelques Airbus ne doit pas nous empêcher de reconnaître le génocide arménien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL) L'entrée de la Chine dans le commerce mondial n'efface pas notre exigence du respect des droits de l'homme.

Certes la mondialisation n'efface pas la pauvreté. Celle-ci est choquante dans les pays riches, dramatique dans les pays les moins avancés. Mais le libre-échange et la mondialisation sont perçus partout comme des chances de développement et de paix ; le refus de l'ouverture apparaît le plus sûr moyen d'enfermer les peuples dans la pauvreté.

A la question : « La mondialisation a accru les inégalités. Considérez-vous que ce soit inévitable ? », je vous livre cette réponse sans équivoque : « Je ne pense pas, ou plutôt je ne pense plus qu'il soit souhaitable d'avoir une société sans inégalités. Cela se termine par l'écrasement de l'individu. Lorsque les sociaux-démocrates parlent d'égalité, ils devraient penser à l'égalité des chances, et non à l'égalité des résultats. Cette égalité des chances ne doit pas être donnée une seule fois, mais à chaque crise dans l'existence d'un individu. La solidarité doit être comprise comme la possibilité pour chacun de voir offrir de nouvelles perspectives. Quant à savoir ce qu'il a fait de cette chance, c'est à l'individu d'en décider ». Cette réponse, c'est celle de Gerhard Schröder.

La pire injustice n'est pas d'être pauvre à un moment de sa vie, mais de savoir qu'on ne pourra que le rester et transmettre cette pauvreté à ses enfants, comme c'est encore trop souvent le cas en France. Pourtant, on n'y pratique pas l'ultralibéralisme, comme en témoigne notre triple record pour les prélèvements obligatoires, la dépense publique, la réglementation. La réponse est donc ailleurs. Je souhaite que la nouvelle économie profite à tous, à commencer par ceux qui sont exclus de l'emploi. Vous devriez considérer avec plus d'intérêt nos propositions de nouveau contrat de retour à l'emploi. De même, nous défendons les fonds de retraite avant tout parce que l'actionnariat populaire est le meilleur moyen de rétablir plus de justice entre revenus du travail et revenus du capital. Imaginez qu'au milieu des années 1980 nous ayons créé des fonds de retraite, sans toucher aux retraites par répartition, mais avec une cotisation de 3 %. Aujourd'hui chaque Français aurait un capital de 600 000 F -en 2020, au pire moment pour les retraites, ce serait un capital de deux millions ! L'insolente prospérité boursière aurait ainsi été partagée (Applaudissements sur les bancs du groupe DL). Un groupe d'actionnaires, même minoritaires, peut peser sur les choix de l'entreprise et introduire des critères sociaux ou de respect de l'environnement. Le développement d'un capitalisme populaire serait aussi le moyen de rendre le capitalisme plus moral. Vous le voyez, j'entends bien placer au-dessus de l'économie un certain nombre de valeurs.

J'aurais souhaité que, dans ce texte, vous ouvriez de vastes chantiers. Sa modestie confortera tous ceux qui pensent que le politique est impuissant. L'impuissance politique, c'est celle des conservateurs, pas des réformateurs. Vous avez bien essayé d'inclure ce texte modeste dans un agenda réformateur. Soit.

Voici le nôtre : le nouveau monde a besoin de nouvelles règles et de nouveaux droits. La nouvelle société a besoin d'un nouvel Etat. La nouvelle économie a besoin d'une nouvelle fiscalité, et les nouvelles activités ont besoin de nouvelles relations sociales.

C'est la voie tracée par bien des pays autour de nous. Je ne vous demande pas de suivre Ronald Reagan ou Margaret Thatcher, mais simplement en Europe, de prendre exemple sur ceux qui appartiennent à votre famille politique : Tony Blair, Gerhard Schröder, hier encore Massimo D'Alema. Pour eux, mes idées seraient modérées. C'est Tony Blair qui nous dit que l'Etat ne doit pas essayer de tout faire, mais collaborer avec le secteur privé et associatif et se décentraliser. Massimo D'Alema voulait moins d'Etat, mais un Etat plus efficace. Et Blair et Schröder affirment à l'intention de tous les socialistes européens : « Nous devons réaliser un processus de véritable libération de la société, de l'économie, du marché, de l'accession à l'emploi ». Je pourrais longtemps poursuivre le jeu des citations un peu cruelles, qui montrent le retard des socialistes français. La nouvelle société a besoin, d'abord, d'un nouvel Etat.

Transparence, concurrence, justice, lutte contre les abus de position dominante : voilà des mots, empruntés à votre projet de loi, que, me semble-t-il, l'Etat devrait songer à s'appliquer à lui-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL) C'est l'Etat qui, beaucoup plus que les entreprises, a aujourd'hui besoin de nouvelles règles.

Il existe un besoin de justification des interventions de l'Etat, de refondation de l'action publique. Les défauts de notre service public ont été mis en évidence par les travaux d'analyse comparative de l'Inspection générale des finances et par le récent rapport de la Cour des comptes. Saupoudrage, cloisonnement excessif, absence de vision prospective de la gestion des ressources humaines et même de simples indicateurs d'activité et de performance : ce n'est pas moi qui le dis, c'est le très sérieux Conseil d'analyse économique placé auprès du Premier ministre, dans sa livraison du 11 février dernier.

Le chantier de la réforme de l'Etat est immense, car l'Etat viole allègrement ou contourne les lois qu'il impose aux particuliers et aux entreprises.

Si vous êtes fonctionnaire, vous pouvez bénéficier d'un avantageux système de fonds de pension, la Préfon, pour préparer votre retraite ; pourquoi les salariés du secteur privé n'ont-ils pas le même droit ? Il y a eu un vrai « boum » de la Préfon l'an dernier ; je serais d'ailleurs curieux de savoir quels sont les ministres fonctionnaires de ce Gouvernement, si prompts à dénoncer le spectre des fonds de pension à l'américaine, qui ont choisi pour eux-mêmes le système Préfon (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) .

Si vous construisez sans autorisation une paillote sur une plage, on vous la fera détruire. Mais si l'on construit une route dans le Val-de-Marne, un pont à l'île de Ré, une tour à Paris, en violation de la loi et au mépris des décisions du tribunal administratif, ces constructions, du fait de leur nature publique, bénéficient d'une exorbitante immunité. Pourquoi ?

On traque le travail au noir et la fraude : fort bien. Mais l'Etat distribue parfois des primes hors impôt à certains de ses serviteurs, dans l'opacité la plus totale. Où est la moralisation ?

On limite le temps de travail. Mais on voit des internes qui travaillent dans les hôpitaux 80 ou 90 heures en une semaine. S'il s'agissait de salariés du secteur privé, le chef d'entreprise serait traîné en justice.

Vous dites vouloir combattre la précarité, mais l'Etat donne le plus mauvais exemple, avec les vacataires de la fonction publique, sans droit à l'allocation chômage, les CDD à répétition ; sans parler de la préférence nationale, appliquée par nombre d'administrations ou d'entreprises publiques. Bref, « faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais ! »

Un seul exemple pour illustrer l'urgence de la réforme de l'Etat : le droit de grève dans les services publics. En quelques mois, nous avons vu plus de 1 500 mouvements de grève à La Poste, dont une grève de plus de quarante jours à Nice. Tout cela parce que l'Etat ne sait pas mettre en _uvre pour lui-même les 35 heures qu'il a exigées des entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Il y a quelque chose de surréaliste à voir ceux qui vont bénéficier de cette mesure refuser les petits aménagements qu'elle nécessite, et paralyser ce que vous appelez le service public de La Poste mais qui me semble bien éloigné de la grande et belle tradition aérospatiale. Que peuvent ressentir les artisans, les commerçants, les professions libérales, les petits entrepreneurs qui voient leur activité paralysée par ces grèves, eux qui vont payer par leurs impôts la facture des 35 heures -en travaillant 45, 50 heures ou plus ? Croyez-moi, Monsieur le Premier ministre, une France moderne a besoin de règles du jeu modernes en matière de grève dans les services publics. C'est plus important, plus urgent que de réglementer les visio-conférences dans les conseils d'administration ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe DL)

On connaît les chemins de la réforme de l'Etat : audace dans la décentralisation, ambitieuse redistribution des pouvoirs et vraie réforme de la fiscalité locale ; transparence dans la gestion de l'Etat ; évaluation permanente et contradictoire de l'action publique ; développement d'autorités et d'agences indépendantes ; développement des concessions de service public ; simplification et recodification du droit ; affirmation d'un vrai pouvoir judiciaire ; redéploiement de l'Etat et modernisation de ses services, impliquant d'y intéresser les fonctionnaires, qui ont tout à y gagner. Vous allez être confronté à cette question avec la reprise de la réforme de Bercy, mais c'est l'Etat tout entier qu'il convient de réformer.

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez dit partager ces préoccupations de réforme de l'Etat, de même que vous nous avez dit, lorsque vous étiez Président de l'Assemblée nationale, partager notre souci d'un meilleur contrôle de l'argent des contribuables. Vous avez exposé dans un article ce que pourrait être le « nouvel âge de l'Etat » ; vous voici maintenant au pied du mur. Nous verrons s'il y a eu tromperie sur la marchandise.

La réforme de l'Etat va de pair avec la réforme fiscale : pour prélever moins, il faut dépenser moins, et donc réformer l'Etat. Ce qu'on prélève et qu'on affecte à la dépense publique définit la ligne de partage entre ce qui relève des choix collectifs et ce qui relève des choix individuels ; cette frontière doit se déplacer au profit de la liberté des personnes.

Mais il faut aussi prélever mieux : la nouvelle économie a besoin d'une fiscalité compétitive. Il faut profondément réformer l'impôt sur le revenu : intégrer la CSG, pour en faire une première tranche d'impôt proportionnel, payé par tous les Français ; instaurer une forme d'impôt négatif, pour favoriser la reprise du travail de ceux qui sont enfermés dans un système d'assistance ; réduire le nombre de tranches et abaisser les taux, y compris, bien sûr, le taux marginal, pour éviter la fuite des talents vers l'étranger.

Enfin, la nouvelle croissance passe nécessairement par de nouvelles formes de travail et d'emploi. Nous devons absolument désétatiser nos relations sociales et faire confiance aux partenaires sociaux. J'ajoute, en direction de Marc Blondel, que bien entendu la loi devra toujours fixer les principes et les règles applicables en l'absence d'accord.

Je souhaite, de même, qu'on renonce à l'étatisation de notre système d'assurance maladie. Des partenaires sociaux responsables des grands équilibres et des principes de solidarité pourraient procéder à des délégations de gestion à des caisses, des assurances, des mutuelles, selon un cahier des charges précis.

Monsieur le Premier ministre, ces choix sont ceux d'une société moderne qui ne s'en remettrait pas pour tout à l'Etat ou à la loi, mais qui ferait d'abord confiance à la liberté et à la responsabilité des personnes. Croyez bien que je mesure l'épreuve que ce texte représente pour vous, épreuve que je voudrais vous éviter en faisant voter cette question préalable.

On a salué votre arrivé au Gouvernement en disant de vous que vous étiez moderne et libéral. Pour ma part, j'apprécie que ces deux mots soient aujourd'hui considérés ensemble comme un compliment.

Vous souhaitiez sans doute incarner un nouveau souffle, et nous, nous attendions un texte fondateur ; voici une collection de mesures hétéroclites. Je sais bien que ce texte n'est pas le vôtre, mais a été préparé par vos deux prédécesseurs. Il faut aujourd'hui que vous le défendiez, et c'est sans doute pour vous un mauvais départ.

Permettez-moi de terminer par une citation. « Le plus souvent, on se contente de mettre aux normes le vieux monument de l'Etat. On ravale plus qu'on ne refond. C'est dommage ». C'est ce que vous écriviez il y a un peu plus d'un mois dans Le Monde. Permettez-moi de faire de ces mots ma conclusion sur ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Il est bien difficile de tout commenter de ce torrent verbal ! Dans un premier temps, vous vous êtes gargarisé d'un lapsus du Premier ministre, reconnu comme tel dès le lendemain par M. Jospin, qui voulait dire « la loi ne doit pas administrer l'économie ».

Vous avez ensuite été contraint d'admettre que le projet comporte nombre de dispositions intéressantes, et un peu plus d'objectivité vous aurait conduit à allonger encore la liste que vous avez dressée. Vous avez cru bon d'ironiser sur la distance supposée entre les ambitions du texte et ce que vous estimez être sa portée. Le procédé est assez facile de la part d'un éphémère ministre du budget dont on a quelque mal à trouver trace de l'empreinte qu'il aurait laissée après son bref passage au Gouvernement (Vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Vous avez aussi raillé la gauche, nous infligeant pour cela, au prix de quelques oublis et de quelques erreurs, un cours d'histoire, en remontant au premier millénaire, pour vous livrer à une dénonciation quasiment obsessionnelle de l'Etat -État dont il a été beaucoup plus longuement question, dans votre intervention, que de régulation économique et que les sophistes ont été les premiers à mettre en cause, au Ve siècle, de manière plus subtile que vous ne l'avez fait (Protestations sur les mêmes bancs).

Non content de multiplier les références à la nouveauté et à la modernité qui semblent vous attirer comme des gadgets, vous avez reproché à la gauche de prétendre améliorer les règles de l'économie de marché. N'avais-je pas indiqué moi-même que la majorité ne cherchait pas à rompre avec le cadre économique actuel ? Et des voix ne se sont-elles pas élevées dans votre camp, telle celle de M. Barre, qui préconisaient « le socialisme du quotidien », sinon le « travaillisme à la française » ?

Nous avons aussi entendu « la complainte du caricaturé ». Mais point n'est besoin de vous caricaturer, Monsieur Madelin, il suffit de vous citer ! Comment expliquez-vous, par ailleurs, que les mêmes règles, selon qu'elles sont adoptées aux Etats-Unis ou en France, deviennent « régulation » ou « réglementation » ? A considérer l'expression de M. Séguin, je ne suis pas certain qu'il partageait toutes vos opinions (Protestations sur les mêmes bancs).

Enfin, vous vous êtes dit amoureux de la règle et du droit. Mais vos collègues ont délibéré avec nous en commission, et plusieurs de leurs amendements ont été adoptés. Vous ne nous avez d'ailleurs rien dit qui pourrait justifier une question préalable, qui doit donc être repoussée.

M. le Ministre de l'économie - Votre intervention, Monsieur Madelin, était très dense, fouillée et vous comprendrez que je ne pourrai y répondre que brièvement. A la fin de votre propos, vous avez manifesté à mon égard une sollicitude à laquelle je suis sensible, exprimant le sentiment que ce serait pour moi une dure épreuve de soutenir ce texte. J'ai connu des épreuves plus redoutables, et j'affronte celle-ci avec bonne humeur, parce que je pense ce projet utile.

Vous avez brossé une fresque de la société actuelle, votre description étant souvent enrichie de l'adjectif « nouveau » appliqué à de multiples sujets. Je me réjouis que vous ayez estimé la plupart des dispositions envisagées positives, quoiqu'insuffisantes -c'est bien ce qui ressort de vos propos, après un décryptage attentif... Il apparaît donc que le Gouvernement partage votre sentiment sur les nouvelles régulations : comme vous, nous pensons que le texte sera facteur de progrès.

Mais vous vous êtes ensuite livré à un exercice quelque peu différent qui consistait, selon les règles de la rhétorique la plus classique, à présenter du projet une vision caricaturale. Dans votre passion à nous faire ressembler à la caricature que vous souhaitiez dessiner, vous avez appelé à la rescousse, à grand renfort de citations, un auteur -Karl Marx- dont vous êtes manifestement un spécialiste et dont les analyses sont d'ailleurs intéressantes, mais dont on ne peut dire que la majorité actuelle incarne au mieux les idées.

Vous dites, et vous avez raison, que la société moderne est décentralisée. Vous voudrez bien convenir que ce n'est pas sur les bancs de gauche de cet hémicycle que se sont trouvés les opposants les plus résolus à l'idée et à sa mise en _uvre !

Vous rappelez ensuite qu'il faut savoir dépasser le concept de souveraineté. C'est vrai, même si certains intérêts nationaux doivent légitimement être défendus. Mais qui, sinon les pouvoirs publics actuellement aux affaires, ont pris en politique extérieure les initiatives les plus courageuses, celles de défendre le droit et le devoir d'ingérence ? Ces dispositions, que vous avez sans doute appuyées, montrent que l'idée que vous avez exprimée ne nous est pas étrangère. Et vous savez fort bien que l'accord s'est fait, à gauche de l'hémicycle comme sur vos bancs, sur la décision la plus spectaculaire qui soit : la création de la monnaie unique.

Ainsi, en partant d'une analyse juste à certains égards, vous projetez sur nous une vision qui ne correspond en rien à l'action que nous menons. J'en veux pour preuve, encore, ces lois et ces règlements que vous dites trop nombreux et trop compliqués. N'omettez-vous pas sciemment de dire que le travail de codification que nous avons engagé avec le soutien de l'Assemblée se poursuit, et qu'au terme de la législature le corps des lois et des règlements sera plus clair ?

En bref, tout débat de fond demande que l'on s'adresse à l'adversaire tel qu'il est, et non tel que l'on souhaiterait qu'il fût, et l'exercice auquel vous vous êtes livré en présentant un très grand nombre de propositions portant sur tous les secteurs de la vie sociale et économique du pays était d'autant plus périlleux que la double filiation à laquelle vous vous êtes rattaché sans que les colonnes de cette maison ne tremblent était celle de MM. Blair et Schröder. Je sais bien que les frontières politiques sont quelque peu brouillées mais il semble toutefois à l'ancien vice-président de l'internationale socialiste que je suis que ce sont plutôt les représentants de la majorité plurielle qui siègent à leurs côtés que des élus de vos rangs ! Si, donc, nous apprenons aujourd'hui, de votre bouche, que vous estimez que la ligne qui doit être suivie est celle de la social-démocratie, ce débat n'aura certes pas été inutile ! (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe socialiste)

Pour entrer dans le concret, je reprendrai un exemple que vous avez cité, celui de la réforme de l'Etat. Cette réforme est indispensable, mais elle est aussi très ambiguë car sous ce pavillon chacun met des marchandises assez différentes. Dans un passé pas si lointain, des ministres, voire tel ou tel Premier ministre, s'étaient engagés dans une certaine conception de la réforme de l'Etat : l'expérience a montré que si on aborde ce problème sans tenir compte de la tradition culturelle, de la nécessité pour l'Etat d'encadrer et réguler le marché, on risque de s'exposer aux mécomptes que vous avez rencontrés et qui expliquent, pour une bonne part, que nous soyons au pouvoir aujourd'hui...

M. Jean-Michel Ferrand - Ce n'est pas la seule explication !

M. le Ministre - En effet, il y a aussi nos mérites ! (Rires sur divers bancs).

De même, lorsque vous avez dit que le nec plus ultra de la démocratie moderne, c'étaient les autorités indépendantes -je n'ai pas vu la réaction de M. Séguin mais je crois la connaître- et que notre assemblée n'était que politique pour ne pas dire politicienne, je ne suis pas d'accord avec vous.

Je pense que les autorités indépendantes ont un rôle important à jouer, mais en démocratie, ce sont les élus de la nation, en dernière analyse, qui doivent faire les choix principaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Si nous créons des autorités indépendantes, par exemple en matière audiovisuelle, c'est parce que nous pensons qu'il n'est pas bon que le Gouvernement prenne les décisions de régulation. Mais c'est au pouvoir politique de fixer les principes selon lesquels elles doivent le faire et de juger, en fin de compte, si ces autorités ont ou non rempli leur mission. Celles-ci n'ont pas, en effet, la légitimité démocratique qui se trouve dans cet hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Vous avez aussi parlé de l'OMC. Notre position n'est pas de dire que, face à la mondialisation, il ne faut pas d'organisation mondiale. Il en faut une, mais pour réguler cette mondialisation et y introduire une dimension humaine, une dimension de justice. C'est là une différence importante entre les forces de gauche et d'autres forces qui considèrent soit qu'il ne faut pas d'organisation mondiale, soit que celle-ci doit obéir aux seuls principes de liberté qu'elle se donne. Cette différence, je l'ai encore constatée à Washington la semaine dernière aussi bien à la session de la Banque mondiale qu'au FMI. La place de l'Etat n'est pas la même pour les libéraux et pour les progressistes ou sociaux-démocrates.

Vous m'avez opposé une citation d'un des meilleurs auteurs que je connaisse (Sourires) pour expliquer qu'il n'y avait pas lieu à délibérer. J'espère que vos collègues en décideront autrement. J'opposerai à cet auteur que vous venez de rendre célèbre un autre qui l'est depuis longtemps, Paul Valéry, et je vous présenterai donc mes excuses au nom du Gouvernement. Paul Valéry écrit en effet : « Il faut toujours s'excuser de bien faire : rien ne blesse plus » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Philippe Auberger - Chacun a pu apprécier l'élévation du propos de notre collègue Madelin et aussi celle de la réponse du ministre : mon propos sera donc bref.

Je ne peux qu'approuver la critique implacable que M. Madelin a faite de ce projet : décalage entre les ambitions et les propositions, bric-à-brac, absence d'innovations. Parler de « nouvelle régulation » est une forme d'imposture.

M. Madelin a appelé à une réforme de l'Etat par l'achèvement des privatisations et une meilleure transparence des administrations -qui pourrait être contre ? Les propositions qu'il a faites sont équilibrées et de bon sens. Il s'est à juste titre demandé si ce domaine relevait vraiment de la loi : ces 74 articles sont en fait un aveu d'impuissance.

Il a enfin démontré la volonté de recentralisation que traduisait ce texte, volonté qu'on constate aussi dans d'autres domaines, comme l'enseignement ou les relations entre l'Etat et les collectivités locales, alors qu'il faudrait, au contraire, être au plus près des réalités.

En conclusion, ce texte traduit une sorte de schizophrénie vis-à-vis de l'Etat et le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Goulard - Il y a deux façons d'aborder ce texte. On peut faire abstraction de son titre et y voir ce qu'il est, un simple DDOF : en ce cas, il y a lieu d'en débattre. En effet, certaines mesures emportent notre approbation, d'autres non.

Mais si on en considère le titre et l'intention politique, à savoir le fait que le Premier ministre affirme avoir les moyens de réguler l'économie et de lutter contre certains effets de l'ouverture des frontières, alors la question préalable doit être posée. Car l'exposé des motifs comme la présentation qu'en ont faite les rapporteurs le montrent bien, ce texte ne peut pas prétendre répondre à la question de la régulation économique. Ce serait un autre débat, qui exigerait un autre texte.

Le groupe DL votera donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Dominique Baert - « Camarades, une seule solution : la dissolution ». Voilà la version moderne du « Courage, fuyons ! », voilà la réponse de la droite à la crise.

La gauche a choisi une autre méthode, celle de l'action et de la régulation.

Vous citez, Monsieur Madelin, M. Jospin et M. Fabius : vous avez d'excellentes lectures, mais vous lisez mal ces auteurs, comme vous avez mal lu un économiste pourtant réputé libéral, Léon Walras. Celui-ci écrivait : « Nous ne saurions admettre ce parti pris de doter l'individu de toutes les vertus et l'Etat de tous les défauts ». L'action de l'Etat a ses fondements propres et ses justifications économiques que tous les économistes reconnaissent. L'Etat porte l'intérêt collectif, comme Laurent Fabius l'a rappelé avec talent. S'il se doit d'édicter des règles, notamment dans le domaine économique et social, c'est qu'il est le garant de la cohésion sociale. Il est par ailleurs le seul détenteur du pouvoir réglementaire, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel. Nous souhaitons donc, pour notre part, une clarification des autorités de régulation quand vous, Monsieur Madelin, souhaiteriez liquider l'Etat comme vous aviez liquidé en son temps le Fonds industriel de modernisation.

Autre vérité : la mondialisation n'est pas le libre-échange. La recherche de la compétitivité n'exige aucunement le démantèlement de toutes les règles. Faire croire le contraire, c'est abuser ; c'est aussi porter atteinte à la liberté d'exister des faibles afin de favoriser la liberté de préexister des forts.

S'il est bien un préalable au bon fonctionnement de notre économie, c'est de voter ce texte, première étape des nouvelles régulations nécessaires. Notre question préalable n'est donc pas la vôtre !

Oui, les salariés doivent être informés lors d'OPA ou d'OPE. Non, le libre jeu du marché ne doit pas conduire à écraser les petits producteurs. Oui, le blanchiment de l'argent sale doit être combattu sans relâche. Est-ce trop exiger ? Nous ne le croyons pas. Un homme politique ne doit jamais oublier qu'il travaille d'abord pour des personnes physiques et non pour des personnes morales.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter contre cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Jacques Jegou - Monsieur le Premier ministre, -vous désignant ainsi, comme il se doit, j'ai peur d'anticiper-, j'ai été surpris de vous entendre d'emblée évoquer tout à l'heure dans votre intervention les réformes à venir. Cela révèle combien, même si vous savez vous en accommoder, vous êtes conscient des insuffisances de ce texte.

Notre rapporteur, qui a accompli un travail considérable étant donné la brièveté des délais impartis à la commission pour examiner ce texte, s'est tout à l'heure presque excusé que ce texte entende lutter contre les méfaits du capitalisme. Il y a, me semble-t-il, manière plus optimiste d'envisager ces régulations !

Enfin, un volet relatif à l'épargne salariale fait cruellement défaut dans ce texte qui ne traite pas non plus de problèmes européens qui auraient dû trouver leur solution au cours de la prochaine présidence française de l'Union. Sur de nombreux points, ce texte devra être remis sur le métier. C'est pourquoi le groupe UDF votera la question préalable.

M. Yves Cochet - J'ai relevé dans le propos de M. Madelin une confusion et une omission.

Une confusion tout d'abord. Si l'univers de l'Internet est en effet a-centré et si les internautes peuvent communiquer sans qu'intervienne aucune instance de régulation, ce n'est pas pour autant que les compagnies qui fabriquent Internet, comme Microsoft ou Cisco, fonctionnent de même sans hiérarchie. Non, aucune assemblée générale permanente ne s'y tient où l'échange de courriers électroniques aurait supplanté les relations hiérarchiques. Bien au contraire !

Une omission enfin. Vous prônez, Monsieur Madelin, toujours moins d'impôt, moins d'Etat, c'est-à-dire moins de services publics et c'est sur ce dernier point qu'il faudrait aller au bout de votre pensée. Quels services publics commenceriez-vous par supprimer ? Y a-t-il trop d'internes, trop d'infirmières, trop d'enseignants, trop d'ATOS ? Souhaitez-vous, comme certains tenants de la nouvelle économie, privatiser la santé ou l'éducation ? Je regrette que sur ces points vous n'ayez pas fait preuve de l'audace qui vous est pourtant coutumière et conduit souvent vos collègues de groupe à vous modérer. N'aviez-vous pas pris par exemple position en faveur du Pacs ?

Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que nous ne saurions vous suivre sur le fond, le groupe RCV votera contre la question préalable.

M. Christian Cuvilliez - Je m'attendais à ce que M. Madelin adhère davantage aux mesures proposées dans ce projet de loi. Or il a dit, à mots plus couverts, ce qu'Ernest-Antoine Seillière dit tout haut : l'Etat ne saurait intervenir dans les affaires des entreprises.

Dans son discours au ton modéré se cache en réalité le germe d'une sédition. Car qui demande sans cesse moins d'Etat ne finit-il pas par vouloir la suppression même de l'Etat ? A vous suivre, Monsieur Madelin, on remettrait en question des piliers aussi essentiels de notre République que la fiscalité ou la fonction publique.

Vous rêvez d'une société où tous les salariés seraient actionnaires. Mais quelle est la réalité aujourd'hui ? Le patron d'un grand groupe, que ses salariés appellent aujourd'hui J6M, ne vient-il pas de leur proposer l'octroi de vingt stock-options en guise d'augmentation de salaire et de compensation du passage aux 35 heures ? Savez-vous qu'il est deux types d'actionnaires parmi les salariés de France Télécom ? Aux côtés de ceux qui ont volontairement souscrit au capital de leur entreprise, d'autres s'entendent dire que leurs primes seront dorénavant payées en actions. Nous ne pouvons approuver ce prosélytisme en faveur de l'actionnariat, qui cache le développement de modes de rémunération atypiques, lesquels comportant un pari sur l'avenir, sont des plus aléatoires.

Nous avions déjà eu l'occasion de débattre de l'ouverture et de la déréglementation lors de la tentative calamiteuse de faire adopter l'AMI, cet accord, heureusement dénoncé, qui aurait substitué aux pouvoirs des Etats ceux des entreprises, dans des sociétés idéales composées d'abord d'actionnaires, comme le souhaiterait M. Madelin.

Le groupe communiste ne votera bien sûr pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 45.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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