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Session ordinaire de 1999-2000 - 79ème jour de séance, 186ème séance

1ÈRE SÉANCE DU MARDI 2 MAI 2000

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          CESSATION DE MANDAT ET REMPLACEMENT DE DÉPUTÉS
          NOMMÉS MEMBRES DU GOUVERNEMENT 2

          VOTE DES ÉTRANGERS 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 9

          FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 20

          VOTE DES ÉTRANGERS (suite) 20

          QUESTION PRÉALABLE 20

          RAPPELS AU RÈGLEMENT 30

          MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR 32

          VOTE DES ÉTRANGERS (suite) 32

          ANNEXE ORDRE DU JOUR 33

La séance est ouverte à neuf heures.

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CESSATION DE MANDAT ET REMPLACEMENT DE DÉPUTÉS
NOMMÉS MEMBRES DU GOUVERNEMENT

M. le Président - J'informe l'Assemblée que M. le Président a pris acte, au Journal officiel du samedi 29 avril 2000, de la cessation le 27 avril 2000 à minuit du mandat de député de Mme Catherine Tasca et MM. Laurent Fabius, Guy Hascoët, Jack Lang et Roger-Gérard Schwartzenberg, nommés membres du Gouvernement par décret du 27 mars 2000.

Par une communication, en date du 27 avril 2000, de M. le ministre de l'intérieur, faite en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, M. le Président a été informé de leur remplacement par MM. Guy Malandain, Didier Marie, André Lebrun, Michel Fromet et Joseph Rossignol.

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        VOTE DES ÉTRANGERS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à compléter l'article 3 et à supprimer l'article 88-3 de la Constitution et relative au droit de vote et à l'éligibilité des résidents étrangers pour les élections aux conseils des collectivités territoriales.

M. le Président - Le rapport de la commission des lois porte également sur les propositions de loi de M. Bernard Birsinger et plusieurs de ses collègues, tendant à compléter l'article 3 de la Constitution et relative au droit de vote et à l'éligibilité des étrangers non communautaires dans les élections municipales, de M. Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de ses collègues, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux résidents étrangers non citoyens de l'Union européenne et de M. Kofi Yamgnane et plusieurs de ses collègues, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.

M. Noël Mamère, rapporteur de la commission des lois - Chacun mesure la portée de la proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter au vote de notre assemblée. Pour la première fois dans cette enceinte, nous pouvons en effet discuter de l'accession à une citoyenneté pleine et entière de deux millions d'habitants de notre pays, exclus du suffrage universel depuis trop longtemps. La grande majorité des résidents non communautaires qui vivent sur notre sol y sont installés depuis de nombreuses années et se soumettent aux devoirs qui leur incombent. Mais ils n'ont aucun droit de regard sur les décisions qui touchent à leur vie quotidienne. Sans le droit de vote, ils vivent en véritable apartheid politique, au nom d'une préférence nationale honteuse inspirée par la peur de la différence. Sans représentation politique de tous ses habitants, notre République restera orpheline de l'égalité, et elle ne pourra décliner la liberté et la fraternité sans une certaine hypocrisie. Où est l'égalité lorsque dans certaines de nos banlieues, la proportion d'habitants n'ayant pas ce droit minimum d'expression politique peut atteindre 20 à 40 % ? Comment justifier que le nombre d'élus pour chacune de nos communes soit calculé sur la base du nombre d'habitants et non du nombre d'électeurs ? S'agit-il de mieux humilier ces bannis de la citoyenneté ? Parce qu'ils vivent cette situation comme une mise à l'index de leurs parents, les jeunes issus de l'immigration ne se sentent pas motivés pour accomplir leur devoir de citoyen. Quels que soient nos camps politiques, nous devrions nous employer à mettre fin à cette anomalie qui constitue un danger pour notre démocratie. Le droit fondamental de contribuer à la construction du destin de la collectivité dans laquelle on vit est le levain de la citoyenneté. Quiconque a vu les yeux brillants d'une personne privée de ce droit lorsqu'elle met un bulletin dans l'urne pour la première fois de sa vie comprend la signification profonde de l'acte démocratique.

Comme le disait Victor Hugo : « le suffrage universel, au milieu de toutes nos oscillations dangereuses, crée un point fixe. Et pour qu'il soit bien le suffrage universel, il faut qu'il n'ait rien de contestable, c'est-à-dire qu'il ne laisse personne, absolument personne en dehors du vote..., qu'il ne laisse à qui que ce soit le droit redoutable de dire à la société : je ne te connais pas ».

Un siècle et demi plus tard, notre assemblé se décide enfin à discuter de cette question, longtemps considérée comme tabou. Le fera-t-elle dans la sérénité ? J'en doute au regard des motions de procédure déposées par certains, qui visent à pourrir le débat et à réveiller de vieux démons dont notre société est en train de se débarrasser.

Notre pays est-il condamné à être toujours en retard d'une loi ? Depuis deux siècles, les républicains n'ont cessé de lutter pour l'égalité des droits politiques mais maintenir un critère de nationalité, c'est revenir à l'idéologie aristocratique fondée sur le mérite. Or la démocratie ne sélectionne pas les électeurs en fonction de leur naissance. Elle implique au contraire que tout résident régulièrement installé soit représenté. Sous la pression des mentalités, les verrous de la fortune, du sexe et de l'âge ont sauté. Il en va de même de celui de la nationalité, avec l'application du traité de Maastricht sur le droit de vote des étrangers communautaires. Mais cette nouvelle législation crée de fait une discrimination entre les étrangers extra-communautaires et les immigrés européens. Du reste, de quelle Europe voulons-nous ? Une Europe citadelle blanche et judéo-chrétienne ou une Europe ouverte, qui ignore les distinctions d'origine ou de religion ?

Les arguments maniés dans ce débat sont invariables : ils jouent sur les fantasmes et les peurs recuites de l'opinion publique, qui invoquent l'intégrisme des immigrés ou les risques de déstabilisation de notre société. Les pays qui accordent le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non communautaires, qu'il s'agisse de l'Irlande, du Danemark, de la Suède ou des Pays Bas, n'ont pourtant été victimes d'aucune déstabilisation. Et leur indépendance est aujourd'hui davantage remise en cause par le pouvoir des multinationales et des fonds de pension que par l'accès au suffrage d'une partie de leurs habitants.

Le droit de vote des étrangers est un défi démocratique parce qu'il passe outre les positions xénophobes d'une partie de l'opinion et parce qu'il parie sur la maturité des Français ; il procède en cela de la démarche politique qui a inspiré la gauche lorsqu'elle a aboli la peine de mort.

Nous devons accompagner la marche en avant de la société qui rejette ces frilosités d'un autre âge. Ne restons pas à la traîne d'une opinion qui évolue : un sondage de l'automne dernier ne montrait-il pas que 73 % des jeunes Français sont favorables au droit de vote des résidents non communautaires ? Ouvrir ce débat est donc pleinement légitime et à ceux qui nous accusent de l'exploiter ou d'en agiter les enjeux comme un chiffon rouge devant l'opinion, je répondrai par une citation de François Mitterrand qui, s'il n'a jamais osé franchir le pas sur cette question essentielle, déclarait en 1990 : « C'est comme si vous reprochiez aux socialistes du XIXème et du XXème siècle d'avoir agité en permanence les droits de la femme, les droits de l'enfant, le droit à la retraite, le droit au repos, le droit à la sécurité sociale. Ils les ont agités, en effet, jusqu'au moment où ils ont eu gain de cause ».

L'application de cette mesure de justice n'est d'ailleurs que le retour aux sources de la démocratie citoyenne de 1789, où des étrangers comme Paine, Marat ou Cloots ont pu être élus députés et Washington et Madison, futurs présidents des Etats-Unis, considérés comme citoyens français.

L'article 4 de la Constitution de 1793 accorde l'exercice des droits de citoyen français à tout étranger domicilié en France depuis au moins une année, qui y vit de son travail ou y acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, ou est jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité. Ce sont les logiques de guerre et de défense des frontières qui ont fusionné les notions de citoyenneté et de nationalité. C'est la paix avec nos voisins, la construction d'une Europe solidaire et la mondialisation qui permettent à la France de renouer avec la conception universaliste de la citoyenneté.

Enfin, il faut souligner l'apport historique de l'immigration à la défense de notre pays et aux valeurs de la République. Dès juin 1790, 4 % d'étrangers pouvaient revendiquer le titre de « vainqueurs de la Bastille ». Des guerres révolutionnaires à la Commune de Paris, des tirailleurs marocains et sénégalais aux résistants francs-tireurs et partisans de la MOI, dirigés par l'arménien Manouchian, l'immigration a courageusement versé son sang pour la défense de la République et ce, bien souvent, contre des nationaux qui l'avaient trahie. Loin d'être une cinquième colonne, les immigrés, résidents ou coloniaux, ont contribué à consolider la démocratie. Du haut de cette tribune, qu'ils en soient chaleureusement remerciés.

Si le débat sur le droit de vote des étrangers est redevenu possible, nous le devons aussi aux sans-papiers, qui ont su imposer leur présence politique. Leur lutte légitime est complémentaire de la mobilisation de nombreuses organisations politiques, syndicales, associatives réunies dans les collectifs « Même sol, mêmes droit, même voix » et « un résident, une voix ».

L'actuel Président de la République, Jacques Chirac, n'a-t-il pas, lui aussi, déclaré en octobre 1977, devant une commission de la CEE, qu'un travailleur immigré était autant concerné par les structures de sa cité qu'un Français et qu'on pouvait donc parfaitement concevoir de donner le droit de vote, pour l'élection des municipalités, à tous les résidents ? Même si, par la suite, il est revenu sur cette déclaration, en tant qu'élu d'une grande ville, le maire de Paris de l'époque a dû être sensible à l'absence de représentation d'une partie de ses administrés.

Cette proposition de loi dessine aussi une autre conception de l'Europe. L'Union européenne doit proposer un modèle nouveau d'alliances entre les peuples, elle doit être une fédération ouverte. Les 16 millions d'immigrés extra-communautaires qui y vivent sont une chance pour l'Europe, parce qu'ils sont une passerelle vers le reste du monde. Les Etats-nations doivent reconsidérer leur fonctionnement dans une Europe où la souveraineté est, de facto, partagée.

Au-delà de la stricte définition de la nationalité, la citoyenneté se fonde sur l'existence d'une communauté de vie et de travail. Le droit de vote est donc un élément permettant d'accéder à une citoyenneté européenne de résidence. La présidence française de l'Union européenne s'honorerait de mettre ce projet à l'ordre du jour. L'extension du droit de vote des immigrés non communautaires aux élections européennes irait dans le même sens.

Le présent texte est la synthèse de quatre propositions de lois issues de la majorité plurielle : PCF, PRG, PS et Verts. Elles tendent à une révision de la Constitution, procédure justifiée par la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992 corrélative au traité de Maastricht. La révision portait initialement sur l'article 3 du titre I de la Constitution, démarche logique puisque ce titre traite du suffrage et de l'électorat. L'amendement proposé par le groupe socialiste vise à transférer le droit de vote des étrangers non communautaires au titre XII, qui traite des collectivités locales. Cette proposition affaiblit le sens du texte et introduit une discrimination supplémentaire entre électeurs étrangers communautaires et extra communautaires. La proposition des députés Verts était également plus étendue puisqu'elle concernait les élections cantonales et régionales qui, comme les élections municipales, ne touchent pas directement aux fonctions régaliennes de l'Etat, et concernent la vie quotidienne des citoyens. C'est une version plus restrictive qui a été adoptée par la majorité de la commission.

Il faut tout mettre en _uvre pour que ce texte soit voté avant les élections municipales de 2001. Par son unité et sa détermination, la gauche prouvera que seule la volonté politique permet de réaliser de réelles réformes de société.

Notre Parlement doit renouer avec le meilleur de sa tradition, celle de l'émancipation démocratique, et donner un signal fort à ceux que la République accueille sur son territoire. Pour donner un sens à l'universalité du suffrage il convient de renouer avec l'article 1er de la déclaration des droits de l'homme. Pour reprendre Jean-Paul Sartre dans Les Mots, chacun est « tout un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n'importe qui ».

A cet instant plus qu'à aucun autre, j'ai le sentiment d'assumer mon travail d'élu d'une France qui est grande, au-delà de sa puissance, par l'éclat des idées, des causes et de la générosité qui l'ont emporté, aux moments décisifs de son histoire, sur les forces du conservatisme et de l'obscurantisme (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Le droit de vote et l'éligibilité des résidents étrangers, voilà incontestablement une question qui suscite des réactions contradictoires. Je n'en suis pas surpris, ni choqué, car l'enjeu est essentiel.

Je souhaite que nous abordions ensemble ce débat -avec passion, pourquoi pas ?- mais aussi avec sérénité, et cela me semble possible sous réserve que chacun s'exprime sur le texte qui nous est soumis, et non sur des fantasmes ou sur des enjeux qui n'ont rien à voir. Car si le texte est généreux, comme doit l'être la République, il est également, compte tenu des modifications apportées par la commission des lois, respectueux de ses principes essentiels, et notamment de sa souveraineté.

Une République qui resterait fermée, frileuse, tournée vers le passé, cela n'a pas de sens. La République ne peut être qu'ouverte et toujours prête à se moderniser.

Dans cet esprit, j'ai toujours pensé qu'il faudrait accorder, tôt ou tard, le droit de s'exprimer, au plan local, aux étrangers qui résident sur notre sol depuis un certain temps.

De qui parlons nous ? De ces hommes et de ces femmes, « attachés à leurs racines mais insérés dans nos cités », comme l'a écrit le rapporteur, que nous sommes allés chercher dans des pays parfois lointains, parce que nous avions besoin d'eux. Leurs enfants sont français, mais eux ne le sont pas, car ils sont nés ailleurs, même si nous savons tous que leur présence en France n'est pas provisoire et qu'ils finiront leurs jours sur notre sol.

Pourquoi leur accorder le droit de vote aux élections locales ? Par reconnaissance, car leur déracinement, le manque de repères de leurs enfants, les difficultés qu'ils rencontrent, nous en sommes, à tout le moins, redevables ; pour leurs enfants ensuite, à qui nous demandons de s'intégrer et de respecter les lois de la République, mais qui ne comprennent pas pourquoi leurs parents continuent de dépendre de règles sur lesquelles ils ne sont pas consultés ; pour que vive et s'épanouisse notre démocratie locale enfin, ce qui suppose la participation de tous les habitants de nos communes et implique, en sens inverse, que les élus s'intéressent à chacun d'entre eux.

J'ai toujours été favorable à cette réforme, déjà mise en _uvre, en France en 1992, pour les ressortissants de l'Union européenne, et pour l'ensemble des étrangers chez plusieurs de nos voisins, comme le recommandent d'ailleurs le Conseil de l'Europe et le Parlement européen. Les députés Verts ont pris l'initiative de faire figurer cette proposition à notre ordre du jour et je salue leur démarche.

Mais ce texte est aussi respectueux des principes constitutifs de la République. La générosité et la modernité font partie de ces principes, mais le lien entre la souveraineté et la nationalité aussi. Or il n'est pas affecté par le texte issu des travaux de la commission des lois.

Nous disons oui à la reconnaissance d'une « citoyenneté multiple », dont la composante locale serait, sous certaines conditions, déconnectée de la nationalité ; nous disons non à la reconnaissance d'une « souveraineté multiple », à laquelle pourraient participer des personnes n'ayant pas la nationalité française.

Nous approuvons donc la reconnaissance du droit de vote et d'éligibilité des étrangers, mais pour les seules élections municipales, qui ne participent pas de la souveraineté, mais constituent le c_ur de nos démocraties locales.

Dans le même esprit, nous avons écarté la possibilité pour un étranger d'être maire, ou adjoint au maire, ou électeur sénatorial.

Ce faisant, nous faisons également prévaloir un autre grand principe républicain, celui de l'égalité, puisque nous proposons d'accorder aux étrangers non communautaires les mêmes droits que ceux reconnus en 1992 aux ressortissants de l'Union européenne.

Ce texte n'est donc pas, pour moi, un « compromis », encore moins une provocation. Je ne crois pas qu'au terme de nos débats, nous parviendrons à un consensus. Mais je voudrais que ceux qui étudieront, demain, les grands moments du Parlement et de la République, et qui devront lire le Journal officiel du 2 mai de l'an 2000, puissent trouver, dans nos échanges, le témoignage d'une assemblée respectueuse des opinions contradictoires et ambitieuse pour la République, que nous voulons à la fois moderne et sûre de ses valeurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le débat sur le vote des ressortissants étrangers aux élections municipales a une longue histoire. Dès 1977, le parti socialiste proposait de leur accorder ce droit et cette disposition devenait l'une des cent dix propositions de la plate-forme de François Mitterrand.

M. Rudy Salles - Plate-forme de triste mémoire !

Mme la Garde des Sceaux - A l'époque, chacun reconnaissait qu'il restait un grand effort de pédagogie à accomplir pour faire comprendre que cette mesure était dans le droit fil de la République et des évolutions en Europe.

Depuis lors, le débat a lentement mûri. M. le Premier ministre, Lionel Jospin, évoquant récemment le dépôt par de nombreux députés d'une proposition de loi visant à accorder aux étrangers le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales a fait savoir qu'il était favorable à cette reconnaissance, même s'il lui semblait que les conditions d'aboutissement d'un tel projet n'étaient pas réunies.

C'est tout à l'honneur du gouvernement de Lionel Jospin d'avoir dépassionné le débat sur l'immigration, notamment grâce au vote, en 1998, de la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France et relative au droit d'asile.

Plusieurs représentants de l'opposition et non des moindres, se disent favorables à cette réforme. L'opinion publique elle-même évolue, puisque, selon un sondage réalisé pour la Lettre de la citoyenneté, une majorité de Français semble être désormais favorable à l'octroi du droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales.

J'espère que nous aborderons donc ce débat avec la sérénité, le sérieux et la réflexion qu'exigent des dispositions destinées à des hommes et des femmes qui vivent sur notre sol sans avoir la nationalité française. Certains d'entre eux ont choisi de vivre chez nous. Mais, pour d'autres, cette résidence sur notre sol est le fruit amer de la persécution, de la misère et du déracinement.

Étrangers sur notre sol mais non à notre sol, ces hommes, ces femmes et ces enfants y sont venus, guidés par l'espoir parfois déçu d'une vie meilleure.

Mais ce débat s'adresse peut-être surtout à ceux qui ont la nationalité française et qui jouissent des droits civils et politiques dont celui de voter pour qu'il soulève des interrogations sur des notions, telles que celle de citoyen ou de national français.

Toute société politique doit reposer sur un élément d'identification fort qui produit immédiatement une différenciation : c'est parce que nous pouvons dire nous que nous pouvons dire eux. L'anthropologie nous l'a appris des peuples lointains ou parfois disparus. Elle nous le confirme des peuples d'aujourd'hui : le sentiment d'appartenir à une communauté repose sur la forme du lien national.

Votre commission a examiné quatre propositions de loi constitutionnelle émanant du groupe socialiste, du groupe communiste, des verts et des radicaux relatives au droit de vote des étrangers non communautaires.

Toutes quatre inscrivaient cette réforme constitutionnelle à l'article 3 de la Constitution. Votre commission, à l'initiative de Bruno Le Roux, a préféré l'inscrire au Titre XII « Des collectivités territoriales », après l'article 72 relatif à leur libre administration. J'approuve ce choix.

En effet, l'article 3 définit la souveraineté nationale. Elle appartient au peuple, c'est-à-dire aux nationaux français majeurs des deux sexes, seuls à pouvoir exprimer la souveraineté par le biais du suffrage. En raison de la longue histoire qui lie la nationalité et la souveraineté, il n'est pas souhaitable de modifier cet article.

J'approuve donc le choix fait par votre commission de placer une telle disposition après l'article 72 de la Constitution. En effet, la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections municipales touche à la notion de citoyenneté, non à celle de souveraineté nationale.

Cette distinction s'impose pour trois raisons.

En premier lieu, toutes les élections ne participent pas au même degré à la souveraineté nationale, même si toutes sont politiques, et concourent à l'expression de la démocratie. Autrement dit, la citoyenneté peut s'exprimer par le suffrage sans être le reflet de la volonté du peuple en tant qu'il est le souverain. Les élections locales ne peuvent être confondues avec les élections législatives ou présidentielles, non plus qu'avec le référendum qui sont l'expression de la souveraineté.

Du reste, la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992, qui a conclu à l'inconstitutionnalité de la disposition du traité de Maastricht accordant le droit de vote aux citoyens européens aux élections municipales est plus complexe qu'il n'y paraît. Cette disposition n'a été déclarée inconstitutionnelle que parce la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l'élection des sénateurs et qu'en sa qualité d'assemblée parlementaire, le Sénat participe à l'exercice de la souveraineté nationale.

A cet égard, je souscris aux propos tenus en commission par M. Alain Tourret disant que les étrangers disposent déjà du droit de vote dans de nombreuses élections régies par le droit social, telles que les élections des délégués du personnel ou des comités d'entreprise. Dès lors, est-il cohérent d'autoriser les étrangers à participer à la vie de l'entreprise mais non à la gestion démocratique des affaires d'une commune ?

En deuxième lieu, la possibilité donnée aux ressortissants étrangers durablement installés sur notre sol de voter aux élections municipales est un facteur d'intégration nécessaire au fonctionnement de la démocratie locale. Du reste, de nombreuses villes ont ressenti le besoin de créer des structures consultatives particulières pour permettre l'expression des étrangers. En effet, les étrangers qui vivent et résident dans ces villes, y paient des impôts, participent à la vie associative, envoient leurs enfants dans les écoles communales, doivent pouvoir s'y exprimer.

On ne peut être contraint d'obéir aux délibérations d'une collectivité sans avoir le droit de consentir personnellement à ses décisions. Conformément à une grande idée démocratique de 1789, nul ne doit payer l'impôt à moins de l'avoir consenti directement ou par ses représentants.

Le fait que les étrangers soient « sans voix » aux élections qui concernent leur propre collectivité perpétue leur infériorité, alors même qu'ils subissent plus que d'autres les discriminations et le chômage, ainsi que l'ont montré les dernières assises de la citoyenneté.

En troisième lieu, la création d'une citoyenneté européenne par le traité de Maastricht a contribué à faire évoluer le débat. En affirmant que tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas le ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat, le traité créait une catégorie d'étrangers qui ne l'était plus tout à fait.

Par conséquent, l'opposition binaire entre nous et eux, entre nationaux et étrangers, fait place au nouveau concept des Européens. La citoyenneté européenne donne accès aux élections municipales dans les Etats membres sans qu'il soit nécessaire d'avoir la nationalité de l'Etat concerné.

Cette disposition a conduit la France à modifier sa Constitution sur ce point alors que d'autres Etats membres de l'Union n'ont pas eu à le faire. En effet, l'Irlande, le Danemark et les Pays Bas accordaient déjà ces droits à tout étranger, comme le font aussi la Suède et la Finlande, depuis quelques années. Le Portugal et la Grande-Bretagne accordaient ces mêmes droits à certaines catégories d'étrangers non communautaires en raison de l'histoire particulière qui les lie aux pays lusophones pour l'un, du Commonwealth pour l'autre.

D'autre part, une convention du Conseil de l'Europe du 5 février 1992 engage les parties contractantes à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales à tout étranger ayant résidé légalement et habituellement pendant 5 ans dans le pays.

La France a révisé sa Constitution pour accorder ce droit aux « seuls Européens » résidant sur son sol et cela conduit à s'interroger sur le statut des autres étrangers.

Contrairement à votre rapporteur, je ne parlerai pas de discrimination ainsi opérée entre les citoyens selon qu'ils sont ou non ressortissants communautaires. En effet, l'article 88-1 de la Constitution dispose que la République française a décidé de participer à une Union constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences. Ce choix fondamental justifie l'élaboration d'un droit communautaire particulier et la création d'institutions propres -Parlement, Commission, Cour de justice. C'est dire que les ressortissants communautaires entretiennent avec les citoyens français une relation particulière qui ne permet pas de parler de discrimination au détriment des étrangers non communautaires.

Accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires consiste donc, non à mettre fin à une rupture d'égalité, mais à consacrer l'idée d'une citoyenneté locale participative au profit de ceux qui sont établis durablement sur notre sol, quelle que soit leur nationalité.

C'est aussi pourquoi je partage le choix de votre commission de ne pas supprimer l'article 88-3 de la Constitution qui réserve une place particulière aux Européens. Il ne pouvait être question d'accorder plus de droits aux ressortissants non communautaires qu'aux ressortissants européens. Le droit de vote et d'éligibilité au bénéfice des ressortissants non communautaires doit donc être limité aux élections municipales et exclure l'exercice des fonctions de maire ou d'adjoint. Il ne peut non plus s'exercer lors de la désignation des électeurs sénatoriaux et l'élection des sénateurs qui touche à la souveraineté nationale.

Le Gouvernement est donc favorable à la proposition de loi telle que rédigée par la commission. Mais, comme vous le savez, une réforme constitutionnelle sera nécessaire pour que le droit de vote des étrangers aux élections municipales devienne réalité.

Malgré les déclarations des uns et des autres, notamment de personnalités importantes de l'opposition, je doute que l'on trouve un consensus pour une reforme pourtant raisonnable. Le dépôt de plusieurs motions de procédure aujourd'hui en témoigne.

M. Thierry Mariani - C'est notre droit le plus strict !

Mme la Garde des Sceaux - En outre, pour qu'une proposition de loi constitutionnelle soit définitivement adoptée, elle doit d'abord être votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées, puis être approuvée par référendum.

Il n'est donc pas possible que cette proposition aboutisse d'ici aux élections municipales de 2001. Il est bon tout de même que le processus tendant à accorder aux étrangers le droit de vote aux élections locales soit engagé et que cette proposition de loi constitutionnelle soit votée à l'Assemblée nationale. Je remercie donc Noël Mamère, votre rapporteur, d'y avoir contribué en soutenant avec éloquence cette mesure et votre commission des lois, notamment son président, Bernard Roman, d'avoir opéré une utile synthèse entre les différentes propositions de loi des groupes de la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Claude Goasguen - Tous les six ans, nous nous retrouvons à examiner une proposition de loi constitutionnelle au goût de déjà vu, même si de légères variantes y sont apportées. Avec une constance qui honore les auteurs de ces textes, fussent-ils dans l'erreur, la gauche, inlassable, tente d'opérer un travail d'usure. Nous en avons aujourd'hui une nouvelle preuve avec le sujet tabou du droit de vote des étrangers aux élections municipales.

Voici le troisième texte depuis quelques semaines qui ait pour objet de modifier les conditions de déroulement des élections municipales. Si je comprends que l'on défende des principes auxquels on tient, je regrette que le moment choisi ait toujours un goût d'électoralisme. Tel un coucou, le vote des étrangers revient à date fixe dans le débat politique français, à moins d'un an des municipales. Bizarre !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - C'est un hommage à M. Mitterrand !

M. Claude Goasguen - Jugeant vos procédés dangereux, nous défendrons toutes les motions de procédure non pas pour allonger le débat mais pour éclairer l'opinion sur les diverses facettes de vos méthodes politiques.

Je défendrai, pour ma part, l'exception d'irrecevabilité au regard de la Constitution, ce qui est bien le moins pour une réforme qui se veut constitutionnelle. Des précédents existent : le 24 avril 1990, notre collègue Jacques Brunhes avait défendu au nom du groupe communiste une exception d'irrecevabilité à propos de la réforme constitutionnelle visant à instituer un contrôle de constitutionnalité des lois par voie d'exception. Ma méthode aujourd'hui sera donc, une fois n'est pas coutume, proche de la sienne.

Sous couvert d'approfondir la démocratie, ce texte porte gravement atteinte à l'esprit de notre Constitution et à nos principes républicains.

Notre loi fondamentale est profondément marquée par les principes issus de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, laquelle fait partie du bloc de constitutionnalité. L'article 3 de cette déclaration dispose que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». Je m'étonne que vous vous appuyiez sur l'article premier du même texte pour justifier la rupture du lien entre l'appartenance à la nation et l'exercice de la souveraineté qu'est le droit de vote. Comme si la Déclaration de 1789 était une suite d'aphorismes sans lien ! L'article premier n'a pourtant de sens qu'en référence à l'article 3 : la liberté révolutionnaire de 1789 n'aurait pu se comprendre sans l'idée d'unité de la nation. La fondation de notre République réside dans ce geste emblématique de suppression des multiples diversités qui paralysaient l'exercice de la souveraineté. Aucun des constituants de 1789 n'aurait pu imaginer de divergence entre l'exercice de la souveraineté et l'appartenance de la nation.

L'article 3 de la Constitution de 1958 confirme cette approche, disposant que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Que seuls les citoyens français puissent être électeurs relève directement d'un choix politique et institutionnel, qui découle de notre histoire.

Les révolutionnaires de 1789 consacrent la nation souveraine. Pour les constituants de 1791, la nation est une entité distincte des individus dans laquelle ceux-ci se retrouvent. C'est parce qu'ils appartiennent à cette entité qu'ils sont en droit de peser sur sa destinée.

La nation n'est pas l'addition de citoyens, elle est l'expression de la volonté générale, de l'intérêt général comme le dira le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1992 lorsqu'il sera consulté sur Maastricht.

La souveraineté nationale est avant tout un principe d'identité. Souveraineté et nation servent d'ailleurs de base à la politique de l'intégration. C'est cette souveraineté nationale, indivisible et abstraite qui fonde notre République. En dissociant l'appartenance à la nation et l'exercice de la souveraineté pour une partie du droit de vote, vous balayez d'un revers de la main ce qui fait l'essence même de notre Constitution. Vous en cassez la cohérence, chère à Siéyès, qui a tenu bon contre vents et marée, au profit d'une philosophie politique qui a abouti en 1793 à un cataclysme politique, heureusement bref. Alors, la citoyenneté primait sur la nation. Alors, la France, engagée dans une guerre internationale, voulait dominer idéologiquement le monde, mais alors prévalait une autre conception de la nation.

Votre égalité politique pour tous, votre citoyenneté fondée sur la résidence, sur le paiement des impôts, voire sans critère, mélangent égalité politique et civile, nation et citoyenneté. Elles sont aux antipodes des fondements de notre pacte constitutionnel.

Au nom de cette conception, les étrangers devraient pouvoir voter en France, parce qu'ils sont hommes. Voilà qui se défend sans doute sur le plan philosophique. Mais la France n'a jamais accepté cette conception anti-nationale, même au moment du référendum sur Maastricht dont vous vous servez pour balayer les normes constitutionnelles.

Cet argument n'en est pas un. En effet, la notion de droits de l'homme correspond bel et bien à une réalité juridique.

C'est l'appartenance à la nation qui détermine les droits et les devoirs de chacun. Régis Debray, qui n'est pourtant pas un homme de droite, écrit dans Que vive la République : « Parler droits sans devoirs, c'est vouloir l'homme sans le citoyen, la récompense sans l'obligation, la ville à la campagne. C'est plus certainement ne rien vouloir du tout ». Chercher à justifier le droit de vote des étrangers en se référant aux droits de l'homme est des plus dangereux. Les constituants ne s'y sont d'ailleurs pas trompés.

Votre proposition de loi est donc loin d'être anodine. Sous ses airs angéliques, elle menace notre Constitution dans tout ce qu'elle a de plus symbolique. Et ce n'est pas en vous retranchant derrière un humanisme de bon ton, qui n'est peut-être pas aussi sincère, que vous voulez bien le laisser croire, que vous parviendrez à nous faire avaler un projet dont on connaît bien depuis quelques années les tenants et les aboutissants.

Cette loi, qui n'est pas conforme à notre idéal constitutionnel, est, de plus, inutile.

Je ne sens pas monter en France un véritable engouement populaire pour ce thème, en dépit des résultats d'un sondage, par nature aléatoire -52 %, c'est peu- et n'en déplaise aux associations qui, depuis les sans-papiers, cherchent un autre thème de revendication.

Les étrangers, eux ne demandent rien dans leur immense majorité. Six mille signatures pour trois millions de personnes, c'est presque dérisoire. S'ils ne demandent rien, c'est que leur attachement national est puissant, et il est tout à fait respectable. Le refus de demander la naturalisation française est un geste fort, un refus de renier son appartenance. Voilà ce que vous ne pouvez pas concevoir.

Vous voudriez obliger à voter ceux qui ne le demandent même pas alors que les ressortissants européens qui bénéficient de ce droit n'en font pas usage puisqu'aux élections européennes, moins de 5 % des intéressés ont participé au scrutin en Allemagne comme en France. Malgré l'engagement de beaucoup d'entre nous en faveur de la construction européenne, les choses ne vont pas de soi.

En fait, la demande du droit de vote pour les étrangers émane d'un courant de l'opinion, de quelques associations activistes qui, retranchées derrière le collectif « même sol, mêmes droits, même voix », ne visent qu'à discréditer les lois sur la citoyenneté pour leur substituer une citoyenneté utopique. Ainsi, cette proposition émane des Verts, qui sont les héritiers du courant utopiste et mondialiste qui tente en vain d'exister depuis deux siècles.

L'accueil d'une grande partie des socialistes est mitigé et les communistes utilisent en faveur du texte les arguments qu'ils opposaient hier à Maastricht, la position de Jean-Pierre Michel en commission avait, elle, le mérite de la cohérence -« non à Maastricht, non au vote des étrangers »- alors que M. Chevènement, jadis le plus convaincu des jacobins orthodoxes, vient de céder de façon incompréhensible au courant mondialiste qu'il vilipendait, il y a peu. Les plus anti-européens rejoignent ainsi les mondialistes de M. Cohn-Bendit...

Les étrangers ne demandent pas le droit de vote car, contrairement à ce que prétendent les auteurs de la proposition, il n'y a aucune rupture d'égalité en leur défaveur. Ainsi, en matière de protection sociale, on n'a jamais opposé nationaux et étrangers -dès lors que leur séjour est régulier-, mais résidents et non résidents. De même, le code du travail invite au respect de l'égalité de traitement et les élections professionnelles comme l'accès aux mandats de délégués syndicaux sont ouverts aux étrangers. En droit civil, on applique traditionnellement le droit du lieu de résidence, notamment pour le mariage, l'héritage et pour la capacité des personnes. Enfin, l'ensemble des droits associatifs ont été reconnus aux étrangers en 1982. Il n'y a donc pas l'once d'une différence et parler d'inégalités, c'est en fait rechercher un égalitarisme plus dangereux que le mal que l'on veut combattre. Je ne suis d'ailleurs pas convaincu que les étrangers revendiquent l'égalité, car ils ont conscience de n'avoir rien à y gagner. Gardons-nous des pressions égalitaires qui aboutissent à un monde totalitaire...

Et puisque vous dites qu'il existe encore des discriminations sociales et civiles, combattons-les ensemble ! Vous affirmez que des emplois publics demeurent réservés aux nationaux. En 1934, même les naturalisés n'avaient pas accès à la fonction publique et c'est en 1978 -sous un gouvernement de droite- qu'ont été levées les dernières incapacités professionnelles. En outre, votre proposition ne comporte aucune disposition de nature à remédier aux inégalités : vous vous contentez d'une déclaration citoyenne sans conséquences. Est-ce par frilosité ou pour ne pas gêner le ministre socialiste de la fonction publique ? Vous êtes courageux quand il s'agit de débattre d'idées qui ne seront jamais appliquées, moins sur les sujets qui fâchent votre électorat ou qui embarrassent les ministres réformistes... MM. Chevènement, Lang, Fabius souhaitent-ils que des étrangers fassent la police, enseignent ou lèvent les impôts ?

Fallacieuse et démagogique, votre proposition se heurte aussi à nombre d'obstacles juridiques. Elle est totalement contraire à toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s'est attaché à distinguer élections politiques et élections corporatives. Pour toutes les élections qui font intervenir les citoyens, est fait application de l'article 3, alinéa 4, de la Constitution, aux termes duquel « sont électeurs les nationaux des deux sexes ». Il en est ainsi des élections nationales comme des élections municipales, le Conseil l'a expressément souligné dans sa décision du 18 novembre 1982. Pour lui, on ne peut distinguer entre élections nationales et élections locales car le corps politique est unique et composé des mêmes citoyens. Cela se traduit par l'application d'un régime commun enraciné dans la tradition, la liste électorale unique. Le code électoral comporte un titre 1er commun aux élections des députés, conseillers généraux, régionaux et municipaux. Il fait application, dès ses premiers articles, des principes constitutionnels contenus dans l'article 3, notamment celui selon lequel « le suffrage est toujours universel, égal et secret », sans distinguer les élections nationales des élections locales.

La tentation de distinguer les deux témoigne de la permanence d'un courant qui veut limiter les élections territoriales à une vision « administrativiste » et selon lequel les collectivités territoriales seraient écartées du droit constitutionnel et à peine recevables dans le giron du droit administratif. Quand notre collègue Tourret nous déclare en commission que les maires ne sont finalement que « des poseurs de tuyaux », n'illustre-t-il pas cette dérive ?

A l'opposé, dans un arrêt du 30 octobre 1990, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a considéré que « les décisions essentielles de la Constitution touchant aux principes de la souveraineté du peuple et de la démocratie ne doivent pas valoir en droit seulement pour les niveaux fédéral et fédéré mais aussi pour les subdivisions des Länder, les communes et les groupements de communes », parce que la Constitution « garantit à toutes les collectivités sur le territoire allemand l'unicité de la légitimité démocratique ». Et la Cour en déduit que, même pour les élections à des assemblées de quartier à Hambourg, le droit de vote ne peut être accordé aux étrangers. M. Cohn-Bendit n'est pas plus entendu en Allemagne qu'en France...

En Allemagne, comme en France, le véritable clivage se situe entre élections politiques et élections corporatistes ou professionnelles. Le citoyen se distingue radicalement de cet « homme situé » cher à M. Burdeau, qui, lui, se caractérise par son appartenance à telle ou telle catégorie économique, sociale, familiale ou par sa nationalité. A la représentation politique s'oppose la représentation des intérêts particuliers de chacun. Ainsi, en France, le Conseil constitutionnel a jugé en 1982 que les étrangers pouvaient participer aux élections universitaires ainsi qu'aux élections aux organismes de sécurité sociale. En revanche, il y a « suffrage politique ou exercice de droits politiques chaque fois que les citoyens sont appelés à voter sans justifier d'une autre qualité. »

Certains d'entre vous seraient tentés de faire des élections municipales modernes une sorte d'élection syndicale, le maire n'étant plus le représentant de l'intérêt général de la commune mais celui d'une multitude d'intérêts particuliers. Et, parce que les élections municipales ne seraient pas de vraies élections, les étrangers pourraient naturellement y prendre part. Curieuse conception qui, oublie un peu rapidement la double qualité d'un maire : chef de l'administration communale décentralisée, mais aussi représentant de l'Etat dans la commune, sans l'autorité des représentants de l'Etat dans le département et des ministres intéressés. Le maire a la qualité d'officier de police judiciaire, il tient les registres de l'état civil, il révise la liste électorale et organise les scrutins.

Les élections municipales ont une vraie dimension politique et la simple résidence ou les intérêts que l'on peut avoir dans une opération menée dans la commune ne donnent pas qualité à voter.

Le Conseil constitutionnel ne cesse de le rappeler : pour les élections politiques, donc pour les élections municipales, la nationalité emporte la citoyenneté.

Selon les auteurs de la proposition, les décisions du Conseil du 9 avril et du 2 septembre 1992 relatives au traité de Maastricht marqueraient un changement de cap et ouvriraient la voie à la reconnaissance du droit de vote des étrangers. Bien au contraire, le Conseil a ainsi mis fin aux discussions sur l'article 3, alinéa 4, de la Constitution. Certains auteurs soutenaient en effet que la phrase « sont électeurs tous les nationaux français des deux sexes » n'avait rien d'exclusif. Selon eux, en 1958, on aurait laissé la porte ouverte aux ressortissants de la Communauté. En 1992, le Conseil constitutionnel a rejeté cette interprétation et clairement affirmé que, en vertu de l'article 3, seuls les nationaux français ont le droit de vote et d'éligibilité. Il a donc, contrairement à ce que vous affirmez, exclu catégoriquement toute possibilité d'ouverture du droit de vote aux étrangers. Il a reconnu la possibilité pour les ressortissants européens de voter et d'être éligible aux élections municipales, mais ce n'est pas rompre avec la tradition française ; en effet, si la notion de citoyenneté européenne est inscrite dans la deuxième partie du traité de Maastricht, cette citoyenneté est conditionnée par la possession de la nationalité d'un des Etats membres -ce qui a conduit à parler de nationalité de superposition ou de conséquence : le Commonwealth est, de même, une communauté superposée. Dans cette Europe sui generis, on ne saurait parler de discrimination entre ressortissants étrangers selon qu'ils sont européens ou non européens tout simplement parce qu'ils sont dans des situations différentes. Je vous renvoie à la jurisprudence du Conseil d'Etat : elle affirme que le principe d'égalité n'interdit en rien de traiter différemment des personnes qui se trouvent dans des situations différentes.

Si vous tenez à mettre sur un pied d'égalité européens et non européens, ayez le courage de demander un référendum, comme pour la ratification du traité de Maastricht ! Cela vous donnerait l'occasion de mettre à l'épreuve vos sondages ; et ce serait respecter le parallélisme des formes... Mais nous n'en arriverons pas là : chacun sait que nous n'avons ce matin qu'un débat de témoignage, à fins politiques.

On met en avant les exemples étrangers, en arguant que la France serait un pays archaïque en matière de droit de vote des étrangers. Il est d'ailleurs très savoureux, Monsieur Mamère, de voir les chantres de la lutte contre le mondialisme se retrouver mondialistes quand il s'agit de citoyenneté... Mais examinons cela de près. Chez nos voisins, il existe trois systèmes.

Au Royaume-Uni, c'est vrai, certains étrangers ont le droit de vote : les citoyens irlandais, mais aussi les ressortissants du Commonwealth. Pourquoi ? Tout simplement parce que la reine d'Angleterre règne sur le Commonwealth. Or, que je sache, la France et les anciennes colonies françaises ont refusé la Communauté.

Le deuxième système est celui de la réciprocité, que connaissent l'Espagne et le Portugal. Mais le Portugal n'a pas vécu comme nous la décolonisation.

M. Gilles de Robien et M. le Rapporteur - Et l'Angola et le Mozambique ?

M. Claude Goasguen - Ses rapports avec le Brésil expliquent beaucoup de choses. Chez nous, un tel système serait de nature à réveiller nationalisme et xénophobie anti-coloniale.

Le troisième système est celui des pays qui appliquent le principe du droit du sang pour l'acquisition de la nationalité, comme la Suède ou la Finlande. En Suède, la mère transmet sa nationalité suédoise à son enfant né dans le mariage ou hors mariage, le père ne transmet sa nationalité qu'à l'enfant légitime si la mère est étrangère. C'est parce que, dans ces pays, l'acquisition de la nationalité est difficile que les étrangers ont le droit de vote. A l'inverse, en France, où nous avons réaffirmé récemment notre attachement au droit du sol, les modalités d'acquisition de la nationalité française étant souples, il n'est pas nécessaire de recourir à la citoyenneté pour les élections locales.

M. Jean-Antoine Leonetti - Très bien !

M. Claude Goasguen - En matière d'acquisition de la nationalité, la tradition française repose sur l'idée d'un contrat de droit entre l'individu et la nation. Cinq ans de résidence et dix-huit mois de procédure me paraissent des délais convenables ; certes, ils sont plus longs dans la réalité, mais il ne tient qu'au ministre de l'intérieur de faire appliquer la loi ou de l'assouplir dans certains cas. Nous attendons vos propositions sur ce sujet concret ! La naturalisation est en effet l'acte le plus commode et le plus sûr pour maîtriser les flux migratoires, puisqu'elle repose sur un accord de volonté entre l'individu qui la souhaite et la nation qui l'accepte. Etes-vous prêts à débattre de cette question ? J'en doute, au vu des difficultés que vous avez faites pour accorder automatiquement la nationalité française aux enfants de légionnaires tués au combat.

Vous souhaitez la citoyenneté pour tous, mais vous n'étiez pas si bien disposés pour aider nos frères d'armes en difficulté, et notamment les anciens combattants du Maroc : votre loi du 11 mai 1998 leur impose une obligation de résidence pour avoir droit à l'allocation spéciale vieillesse, obligation qui, Monsieur Mamère, a pour effet de les contraindre à s'entasser dans les foyers pour sans-abris à Bordeaux...

M. le Rapporteur - Je ne suis pas maire de Bordeaux !

M. Claude Goasguen - Vous préférez aux mesures concrètes le débat idéologique, mais la France entière considère votre texte comme une supercherie politique.

Une man_uvre, d'abord, pour masquer votre incapacité à maîtriser l'immigration, que tous les rapports récents soulignent : le rapport Weil de janvier 2000, en particulier l'exécution des mesures d'éloignement des étrangers, qui aurait diminué de près de 50 % entre 1997 et 1998.

Plus grave encore, il montre qu'en France le décompte des immigrés est quasiment impossible : le ministère de l'intérieur ne tient pas compte des décès, ni des naturalisations, ni des mineurs de moins de 16 ans ; l'Office des migrations internationales voit des entrées d'étudiants en forte hausse, pendant que le ministère de l'intérieur les estime à la baisse ; même la classification des séjours et la comptabilisation des titres posent problèmes.

On ne sait donc même pas à combien de personnes votre texte s'appliquerait. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que vous en ayez mesuré toutes les conséquences en termes de politique d'intégration : la conception française, en la matière, est celle d'une démarche citoyenne individuelle, contre toute intégration dans des communautés particulières. Vous proposez une citoyenneté sans nationalité qui compliquera notre système et sera mal perçue par une population toujours sensible aux discours xénophobes. Vous risquez ainsi de faire se replier les groupes immigrés sur eux-mêmes, alors que l'intégration repose sur la rupture des cloisonnements. Belle affaire, d'ailleurs, d'être citoyen plutôt que national s'il n'y a pas d'emplois !

Les propositions de loi sont-elles destinées à être des coups de clairon, sans réel examen préalable ? Nous aurions voulu, pour le moins, un avis du Conseil d'Etat... Légiférer, comme pour le PACS, sans tenir compte des conséquences juridiques risque d'aboutir à quelques mésaventures.

A quoi cette proposition de loi peut-elle donc servir ? Nous sommes nombreux à nous poser cette question, à gauche comme à droite. En réalité, elle ne sert qu'à raviver chez les Français des craintes non fondées et à faire renaître de ses cendres un courant politique moribond. Décidément, vous resterez les dignes héritiers -maladroits- du Président Mitterrand, qui instrumentalisat l'extrême-droite dans une stratégie de division de la droite républicaine (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Le dépôt de cette proposition de loi à un an des élections municipales n'est pas fortuit : il s'agit de tenter de sauver les quarante-neuf députés élus en triangulaire, mais vous le faites dans de telles conditions que le Premier ministre lui-même, chef de votre majorité, refuse de manger de ce pain là !

Il y a peu, les libéraux déposaient dans cette enceinte une proposition de loi sur l'adoption internationale pour combler une lacune de notre droit, et elle a été adoptée à l'unanimité. Aujourd'hui, votre fenêtre parlementaire s'ouvre directement sur M. Le Pen auquel vous adressez ce signe. Est-ce vraiment l'objet d'une proposition de loi que de diffuser dans l'opinion une caricature d'esprit politicien ?

Au terme de cet exposé qui a tendu à démontrer combien cette proposition était contraire à l'esprit de notre Constitution et inutile ; je ressens quelque amertume à voir la représentation nationale se livrer à un exercice cynique alors que nous savons tous qu'il s'agit de votre part d'un « petit jeu » qui ne grandit pas. Votre man_uvre aura brouillé les esprits alors que la gauche ne manque pas d'acteurs pour dénoncer la tentation que vous subissez. J'en citerai deux que j'imagine à votre goût : « Où en est l'intégration dans notre pays ? Quelques indices nous permettent d'apprécier ses progrès ; il en est ainsi de l'acquisition de la nationalité. Que cela plaise ou non, l'aboutissement de l'intégration est bien la nationalité. » Voilà ce qu'affirmaient en 1995 Mme Martine Aubry et M. Olivier Duhamel dans leur Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême-droite.

Je vous laisse méditer sur les causes réelles de ce retournement, mais je vous demande bien entendu de le faire en votant pour cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Plusieurs points prouvent que M. Goasguen a lu trop rapidement mon rapport. Nous n'agitons en effet aucun chiffon rouge et nous souhaitons tous, au sein de la majorité plurielle, que cette discussion aille à son terme et se conclue par un vote. Notre collègue nous dit qu'il n'y a pas de demande : nous ne devons pas rencontrer les mêmes personnes ! La demande de citoyenneté est en effet très forte et notre proposition de loi n'est pas inspirée par une volonté d'égalitarisme mais par celle de lutter contre une rupture d'égalité devant la citoyenneté.

S'agissant de notre approche de la mondialisation, le slogan des Verts affirme qu'il faut penser globalement et agir localement : nous nous battons contre les dégâts d'une mondialisation entendue comme une concurrence sauvage qui opprime les plus faibles.

M. Goasguen prétend qu'une très large majorité refuse notre proposition de loi, qui n'est ni pertinente juridiquement, ni opportune politiquement. Sans doute n'a-t-il pas entendu certains de ses amis, et non des moindres, comme M. de Robien, M. Barre ou M. Borloo ? Sans doute n'a-t-il pas lu un article récent de M. Juppé sur l'immigration ?

Plusieurs députés DL - Cela n'a rien à voir !

M. le Rapporteur - Sans doute n'a-t-il pas entendu M. Pasqua parler de la régularisation de tous les sans-papiers qui en ont fait la demande.

Plusieurs députés DL - Aucun rapport !

M. le Rapporteur - C'est vous qui faites le rapprochement. Vous vous présentez aussi comme les fondateurs de la citoyenneté communautaire. Mais vous oubliez de rappeler que vous n'avez pas respecté les échéances fixées par le traité de Maastricht. Le bureau de notre assemblée a en effet enregistré le 2 août 1995 un projet de loi organique qui n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour. Vous avez donc tout fait pour retarder le vote des étrangers communautaires et une très faible publicité a été donnée à l'évolution de notre droit.

Je ne suis pas davantage d'accord avec l'idée qui consiste à dire que seuls les étrangers non communautaires qui paient des impôts doivent accéder au droit de vote. A mes yeux, cet argument n'est pas essentiel. Pour que notre République soit ouverte et généreuse, au sens de 1789 et de 1793, les Verts prônent cette évolution au nom de l'égalité devant la citoyenneté et si cette proposition n'intervient qu'aujourd'hui, c'est qu'ils ne disposent que de deux fenêtres parlementaires pour toute la législature : la première a été utilisée le 25 avril dernier pour la création de l'agence santé-environnement, la seconde fait l'objet de la présente discussion. Si l'on avait réellement voulu dédramatiser cette affaire, il fallait proposer d'ouvrir le droit de vote aux élections locales aux étrangers non communautaires dans le cadre d'une loi ordinaire.

Enfin, je comprends, Monsieur Goasguen, que vos emportements politiciens affectent votre raison (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Je vous demande de ne pas renouveler des références qui ne sont pas dénuées d'arrière-pensées dangereuses : par trois fois, vous avez associé le nom de Daniel Cohn-Bendit au mondialisme. Or, il n'y a pas loin du mondialisme au cosmopolitisme et ces mots-là, nous ne voulons plus les entendre (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Garde des Sceaux - Je rappelle à M. Goasguen que le constituant est souverain. Il n'y a pas par conséquent de projet ou de proposition de loi inconstitutionnel, sous réserve des dispositions de l'article 89 de la Constitution. Le Parlement peut donc tout faire.

Vous avez dit ensuite que la souveraineté était indissociable de la nationalité. J'ai rappelé à cet égard qu'il n'était pas souhaitable de modifier l'article 3 de la Constitution. En effet, sont souverains les nationaux français. Mais notre Constitution prévoit des dérogations pour permettre le vote des citoyens européens. Le Conseil constitutionnel a reconnu que l'article 88-3 dérogeait à la Constitution dans sa décision du 2 septembre 1992. En tout état de cause, la proposition de loi n'affecte pas la souveraineté puisqu'il s'agit de faire participer à la vie démocratique locale sans que les scrutins aient une portée ou un enjeu national.

Vous soutenez qu'il n'est pas possible de distinguer les élections municipales et les scrutins nationaux. Mais je vous rappelle que la décision du Conseil constitutionnel d'avril 1992 dite « Maastricht I » avait déclaré le vote des Européens inconstitutionnel non pas parce qu'ils pourraient voter ou être élus mais parce qu'ils participeraient à l'élection des sénateurs.

En outre, le 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel a dit que toutes les élections étaient politiques, mais non pas qu'elles exprimaient au même titre la souveraineté. Les élections municipales se déroulent au niveau local et n'expriment pas la souveraineté nationale. Chaque député, chaque sénateur incarne la nation tout entière puisqu'aux termes de l'article 27 de notre Constitution « tout mandat impératif est nul ».

La plupart de vos arguments visaient une question qui a été tranchée en 1992 par le référendum sur le traité de Maastricht qui a permis que des étrangers votent aux élections municipales. Par conséquent, la question de la distinction entre citoyenneté et souveraineté est réglée. Du reste, puisque M. Goasguen demande un référendum, je dois lui préciser qu'il y aura de toute façon un référendum, une proposition de loi ne pouvant être approuvée sans qu'un référendum soit organisé : vous serez par conséquent satisfait !

Sans revenir en détail sur la dernière partie de votre intervention, je n'estime pas pour ma part que M. Raymond Barre fasse de la démagogie lorsqu'il estime le 12 décembre dernier que « tôt ou tard les étrangers seront appelés à exprimer leur point de vue au moment des élections locales ». Je ne pense pas non plus que M. de Robien ou M. Borloo veuillent ressusciter les peurs lorsqu'ils adoptent la même position. Ce sont les arguments qui mettent en doute la sincérité politique des uns et des autres qui attirent, Monsieur Goasguen, ceux qui se réclament des mouvements que vous déclarez vouloir combattre. J'appelle cela de la démagogie (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Jacques Floch - J'ai écouté M. Goasguen avec beaucoup d'attention, comme toujours, nous expliquer que ce texte ne correspondait pas à la Constitution. L'argument est un peu bizarre puisque cette proposition de loi a justement pour objet de modifier la Constitution ! Devrait-on supprimer les motions d'irrecevabilité portant sur des lois constitutionnelles ? Oui, si on fait abstraction de l'article 89, de la Constitution qui précise qu'aucune révision ne peut porter atteinte à l'intégrité du territoire ni à la forme républicaine du Gouvernement. On peut donc tout modifier dans la Constitution, sauf ces deux points. Vous pouvez donc rejeter sans aucune crainte la motion d'irrecevabilité.

Je voudrais cependant répondre à d'autres points de l'intervention de M. Goasguen.

Il nous a accusés de manquer de respect à l'égard des anciens combattants originaires d'Afrique et d'Asie. Je vous rappelle quand même que c'est un gouvernement gaulliste qui, entre 1960 et 1962, a cristallisé, c'est-à-dire bloqué, les pensions de ces anciens combattants pour punir les colonies ayant opté pour l'indépendance (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). C'est vous qui portez la responsabilité de cette situation.

M. Jacques Myard - Vous avez attendu quinze ans pour la modifier !

M. Jacques Floch - Les 30 000 anciens combattants d'Afrique et d'Asie méritaient mieux.

Fallait-il aborder aujourd'hui la question du droit de vote des étrangers non issus de l'Union européenne ? Il y a quelques années encore, on disait que la France n'était pas prête. Aujourd'hui certains disent « peut-être ». Nous, nous disons « oui ». Les Français sont prêts à l'accepter, moyennant quelques conditions de résidence. Nos villes, nos cités sont moins frileuses que vous ne le dites...

M. Jacques Myard - Il fait très chaud dans les banlieues !

M. Jacques Floch - ...et les Français sont prêts à accepter que leurs voisins participent à la désignation des conseils municipaux et en soient membres. Inutile de prétendre que nous favorisons ainsi la renaissance de l'extrême-droite -vous vous en chargez très bien tout seuls ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Ce texte fait partie des remèdes qui vont permettre de lutter contre ce vieux poison qu'est le débat sur la présence d'étrangers en France. Ceux qui proviennent de pays non démocratiques, ayant fait l'expérience de la démocratie ici, ramèneront ces idées chez eux et y permettront des avancées.

Il faut que ce texte soit voté, aussi repousserons-nous la motion d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Pierre Albertini - Au nom du groupe UDF, je voudrais soutenir l'exception d'irrecevabilité et faire deux observations sur la proposition de loi, l'une sur la méthode, l'autre sur le fond.

Sur la méthode, compte tenu des contraintes juridiques, on a vraiment le sentiment que vous vous donnez bonne conscience à peu de frais. Monsieur Mamère, il vaudrait mieux parler d'une citoyenneté de quelques heures accordée aux étrangers visés ! Sur ce débat, le double septennat de François Mitterrand a été marqué par l'ambiguïté la plus totale. Il avait certes mis en place, en février 1990, un Haut conseil de l'intégration pour évoquer ces questions -vous avez d'ailleurs omis de faire état des conclusions défavorables rendues par cette instance sur le droit de vote des étrangers dans un rapport de 1993. C'était alors le règne de l'ambiguïté : « Parlons-en, mais ne le faisons jamais ».

Nous pensions que le Premier ministre, qui revendiquait le droit d'inventaire en 1997, avait clos le débat en considérant que le moment n'était pas venu. Et puis curieusement, à l'approche de l'échéance de 2001, le ministre de l'intérieur en a reparlé, les Verts et quelques députés ont usé de leur droit de proposition, en s'imaginant pour la plupart, que cette proposition ne viendrait pas à l'ordre du jour. Or elle y est venue, en échange du compromis sur la loi sur la chasse.

Donc nous nous donnons bonne conscience en faisant des propositions dont nous savons pertinemment qu'elles n'aboutiront pas. Madame la ministre, vous avez fait allusion au référendum, mais à supposer même qu'un vote ait lieu aujourd'hui, ce qui semble improbable vu le temps imparti, vous savez très bien que pour soumettre le texte à référendum, il faut un vote en termes identiques par le Sénat, condition qui ne sera pas réunie.

Ainsi, nous parlons de la citoyenneté et de l'intégration pour nous faire plaisir, sans les faire progresser réellement.

Sur le fond, cette proposition de loi constitutionnelle est contraire à notre conception de la souveraineté et de la citoyenneté. Chez nous, comme le rappelle le Haut conseil de l'intégration, ces deux notions sont indissociables, et cela depuis des siècles. Peut-on les découper en fonction d'échéances électorales ? Ce serait de la démagogie.

D'ailleurs, la réduction du droit de vote aux seules élections municipales ne fait-elle pas perdre tout son sens au droit de vote ? Celui-ci ne se partage pas. On pourrait participer au choix de son maire, non à celui de son conseiller général ou régional ? Cela n'a aucun sens.

M. Gérard Fuchs - Vous l'avez bien voté pour les élections européennes !

M. Pierre Albertini - C'est tout à fait différent. Nous sommes engagés depuis 50 ans dans un processus d'intégration européenne qui est d'une toute autre nature que les rapports que nous pouvons entretenir avec les 150 ou 180 Etats qui nous envoient certains de leurs ressortissants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

L'intégration n'implique pas le droit de vote, mais d'autres exigences beaucoup plus difficiles à remplir. Les étrangers demandent à être traités avec respect et à vivre dans des conditions décentes. Résoudre ces problèmes est beaucoup plus complexe. Nous préférerions une politique d'intégration plus généreuse et plus efficace, notamment pour l'Afrique, ce continent oublié (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Christian Estrosi - Le Premier ministre déclarait, en décembre dernier, refuser de jouer avec le droit de vote des étrangers qui n'était pas, disait-il, mûr dans l'opinion.

Hélas, M. Jospin a levé son veto au prix de quelques marchandages peu glorieux. Ce qui est le plus choquant pour les intéressés, c'est la nature de l'échange : la peau de l'ours slovène des Pyrénées contre le vote des résidents non-communautaires ! (Rires sur les bancs du groupe du RPR) C'est inacceptable quand on sait que depuis 20 ans vous n'avez cessé d'agiter le chiffon rouge du droit de vote pour faire le jeu du Front national.

La nation française n'est pas une entité abstraite, une construction intellectuelle, elle s'est forgée au cours des siècles sur des valeurs partagées.

De plus, votre proposition s'apparente à une forme d'hérésie constitutionnelle. Le couple citoyen-nation figure en effet à l'article 3 de la Constitution.

Vous oubliez aussi que la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 n'a accordé le droit de vote aux citoyens européens que sous réserve de réciprocité. Rien de tel ne figure dans votre proposition. En outre, ce droit est étroitement lié aux engagements européens de notre pays.

Pour le reste, Monsieur Floch, vous vous êtes permis d'adresser des insultes aux gaullistes qui plus que d'autres ont veillé à préserver les droits de ceux qui ont versé leur sang pour défendre notre pays.

La souveraineté est une et indivisible : elle ne se décompose pas. Il ne peut y avoir de souveraineté locale, encore moins municipale. Le droit de vote ne peut être dissocié de la nationalité. Le droit de vote des étrangers non ressortissants de l'Union européenne ne trouve ni justification, ni légitimité dans le principe d'égalité que vous invoquez. Comment admettre que des pays, très éloignés de la démocratie, disposent, par l'intermédiaire de leurs ressortissants installés sur notre sol, de moyens de pression sur notre pays ?

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR n'acceptera jamais que le droit de vote aux élections municipales ou autres soit accordé aux étrangers et soutiendra cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. François Goulard - M. Goasguen a fort bien dénoncé les faiblesses juridiques de cette proposition de loi et décrit le contexte politique dans lequel elle s'inscrit. Il y a incontestablement une part de gesticulation et de provocation dans cette initiative, dont l'inspiration n'est pas sans rappeler le machiavélisme mitterrandien, qui a si bien servi les intérêts de vos partis respectifs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Le dépôt de cette proposition par l'un des groupes de la majorité n'est pas un acte innocent. Ce dépôt du groupe RCV est un acte politique qui doit être connu : les Français doivent savoir que cette proposition fait désormais partie du programme de la gauche (« Oui » sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Vous n'avez pas la possibilité de la faire adopter, en raison de l'opposition résolue et justifiée du Sénat, mais elle fait partie de votre programme pour les prochaines élections, il faut que les Français le sachent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

A nos yeux, la tradition constitutionnelle française et notre conception de la souveraineté nationale interdisent de « découper en tranches » le droit de vote et la nationalité. Les élections locales sont des consultations à part entière : leur conférer un rang subalterne dans l'édifice constitutionnel est contraire à notre tradition républicaine.

Le parallèle que vous établissez avec le droit confèré aux ressortissants européens méconnaît la force des liens qui existent au sein de l'Europe.

Selon nous, l'acquisition désormais facile de la nationalité française est un facteur d'intégration. Et les pays qui ont accordé le droit de vote aux étrangers dans les élections locales sont ceux où l'acquisition de la nationalité est très difficile. Notre tradition, à l'inverse, valorise l'acquisition de la nationalité et le statut de citoyen à part entière.

Voilà pourquoi le groupe démocratie libérale votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Président - Sur l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe Démocratie libérale d'une demande de scrutin public.

M. Bernard Birsinger - M. Goasguen se retranche derrière un pseudo-cours de droit constitutionnel pour esquiver le débat.

Pour notre part, nous voulons que les étrangers aient le droit de vote aux élections municipales, tout simplement parce que ce sont des êtres humains.

Vous semblez oublier que la Révolution française, qui fonde la conception moderne de la nation, a été marquée par les philosophes des lumières. En tant qu'êtres humains, les étrangers doivent être égaux aux autres citoyens de notre pays. Ne les considérons pas comme une simple main-d'_uvre à laquelle la France fait appel quand elle en a besoin et qu'elle jette ensuite.

Les étrangers sont des hommes et des femmes qui aiment, vivent, souffrent, se battent et contribuent à notre histoire nationale. Ce ne sont pas des abstractions.

Dans une ville comme celle dont je suis le maire, ils ont des visages et des noms. Ma ville compte un étranger sur cinq habitants.

Selon vous, les intéressés doivent devenir français. Vous oubliez que ce n'est pas un droit. Certains étrangers se voient refuser la nationalité française parce qu'ils sont chômeurs ou parce qu'ils ont payé leurs impôts avec quelques jours de retard (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). D'autres ne veulent pas devenir français par choix personnel. Qui pourrait le leur reprocher ? Vous parlez volontiers de liberté quand il s'agit de la circulation des capitaux, mais pas quand il est question de liberté individuelle ! Rester un étranger serait un mauvais choix, dites-vous : ce type de discours dérape très vite vers la pire des idéologies. Aucun étranger ne l'est à sa ville.

Ce texte est de nature à donner un souffle nouveau à la démocratie locale et notre pays à tout à y gagner. Accorder des droits nouveaux d'information aux citoyens, les associer aux décisions collectives, c'est ce à quoi la politique doit servir.

Quant à arguer de l'abstention des étrangers ressortissants de l'Union européenne aux élections, pour refuser d'accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires, pourrait conduire, en prenant le raisonnement jusqu'à l'absurde, à supprimer le droit de vote des Français parce que l'abstention progresse !

La nation s'enrichit de différences de ceux qui constituent la communauté nationale.

Nous voterons donc contre l'exception d'irrecevabilité, car tous les êtres humains doivent jouir de droits politiques là où ils vivent et le plus vite possible, c'est-à-dire dès 2001. Si cette proposition n'est pas votée, je demande aux Gouvernement de la reprendre à son compte et de l'inscrire à l'ordre du jour prioritaire de notre Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Alain Tourret - Cette exception d'irrecevabilité relève d'une curieuse conception de la Constitution. Comment prétendre qu'on ne pourrait pas modifier la Constitution par une proposition de loi constitutionnelle dès lors que celle-ci ne porte atteinte ni à l'intégrité du territoire, ni aux principes de la République ? Cet argument ne tient pas.

D'autre part, dois-je vous rappeler les propos tenus par M. Chirac en 1979 à la réunion des maires francophones, estimant qu'il était nécessaire que les étrangers puissent participer aux élections municipales ? Seriez-vous en désaccord avec ce qui disait alors M. Chirac ou ce que disait M. Barre il y a deux ans ? On voit ainsi que le Président de la République et un ancien Premier ministre ne sont pas si éloignés de nos propositions.

Pourquoi ? Déjà, depuis 1945, les étrangers ont acquis le droit de voter pour élire les délégués du personnel, les comités d'entreprise, les conseillers prud'homaux, les administrateurs de la sécurité sociale ou ceux des sociétés HLM. Pourquoi ne pourraient-ils pas être conseillers municipaux ?

S'agissant de ressortissants de l'Union européenne, le traité de Maastricht a permis, par référendum, d'accorder le droit de vote à tous les citoyens de l'Union mais aussi à ceux qui vont le devenir. Il est paradoxal de prévoir que, d'ici à quelques années, les Polonais, les Hongrois, les Slovènes, les Estoniens, les Lituaniens et, pourquoi pas, dans quelques décennies, les Turcs et les Russes pourront voter, alors que ce droit serait refusé aux Algériens qui ont été français il y a quarante ans !

Nous partageons avec les étrangers qui vivent sur notre territoire depuis au moins cinq ans une communauté de destin, qui doit pouvoir s'exprimer par l'acquisition de la nationalité française et, lorsque ce n'est pas possible, par le droit de vote aux élections municipales.

Je terminerai par cette belle citation : « Les étrangers sont sans voix parce qu'ils sont en situation d'infériorité et, s'ils sont en situation d'infériorité, c'est parce qu'ils sont sans voix » (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

A la majorité de 176 voix contre 146, sur 323 votants et 322 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.

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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 18 mai 2000 inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu de la présente séance.

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      VOTE DES ÉTRANGERS (suite)

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Thierry Mariani - Je regrette que nos collègues socialistes quittent l'hémicycle. J'allais leur rappeler quelques bons souvenirs.

Proposition 77 du candidat Mitterrand en 1981 : « L'enseignement technique sous toutes ses formes recevra les moyens nécessaires en personnel et en matériel afin qu'aucun jeune, fille ou garçon, n'arrive dans le monde du travail sans qualification professionnelle ». Au vu de l'actualité, cette proposition ne manque pas de saveur !

Proposition 80 : « Le droit de vote aux élections municipales après cinq ans de présence sur le territoire français sera accordé aux étrangers ».

Proposition 81 : « Le Plan fixera le nombre annuel de travailleurs étrangers admis en France. L'Office national d'immigration sera démocratisé. La lutte contre les trafics clandestins sera renforcée ».

Si la proposition 81 a été, hélas, oubliée, nous sommes réunis ce matin pour débattre d'une proposition de loi visant à mettre en _uvre la promesse non tenue n° 80 du candidat Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1981, à savoir accorder, pour les élections locales, le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne.

Le thème du droit de vote pour les étrangers fait partie des serpents de mer de la vie politique de notre pays. Apparu au programme du parti socialiste en 1973, il fut l'une des 110 propositions de François Mitterrand en 1981 qui ne cessera d'agiter la question durant ses deux septennats. Peu avant les législatives de 1986, il prend de nouveau position en faveur de cette réforme. Dans sa « Lettre à tous les Français », en 1988, il déplore « à titre personnel » que « l'état des m_urs de notre pays » ne permette pas de faire aboutir ce projet. Le 14 juillet 1990, il revient à la charge : « Je n'ai pas abandonné ce projet. Il faut une réforme constitutionnelle... Il est évident qu'il n'y a pas de majorité en France sur ce sujet. Eh bien, les réformes, ça se gagne d'abord par la conviction et par l'explication et, si les Français ne nous écoutent pas, c'est qu'on s'est mal expliqué ». Cinq ans plus tard, toujours le 14 juillet, en période de cohabitation, il remet cette question en débat. Depuis lors, plus rien du côté du parti socialiste jusqu'au dépôt, à la hâte, d'une proposition de loi visant à concurrencer l'initiative des autres composantes de la majorité.

Le sujet n'est donc pas neuf ! La gauche l'a toujours évoqué, soit en période de cohabitation, soit à la veille d'échéances électorales. Bizarre, bizarre !

M. Jacques Myard - Et même étrange !

M. Thierry Mariani - Cette énième tentative de remettre la question du droit de vote des étrangers en débat a-t-elle plus de chances d'aboutir que les autres ? Non. Pour être adoptée, une proposition de loi constitutionnelle doit en effet d'abord être votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat puis approuvée par référendum. Ce texte est donc loin d'entrer en vigueur ! Votre démarche est donc purement symbolique, idéologique et politicienne.

Mme Christine Boutin - Et provocatrice.

M. Thierry Mariani - En effet !

Je vois, pour ma part, deux mobiles principaux à l'inscription de ce texte à l'ordre du jour : tenter de revigorer une extrême droite affaiblie ; exécuter sa part du marchandage public du vote positif des Verts sur le projet de loi relatif à la chasse.

M. Jean Launay - Scandaleux.

M. Thierry Mariani - M. Mamère l'a dit lui-même.

Pour redonner un peu de vigueur à l'extrême droite, lorsqu'elle est affaiblie, les vieilles recettes mitterrandiennes ont décidément fait école au parti socialiste. Si ce Gouvernement se targue d'un droit d'inventaire, les petits calculs qui ont fait antan les succès électoraux de la gauche restent d'actualité. Le rapide historique brossé il y a un instant montre, s'il en était besoin, l'instrumentalisation politicienne de cette réforme.

La man_uvre est claire qui consiste, toujours à l'approche d'élections, à parler du droit de vote des étrangers non ressortissants de l'Union européenne, mais à ne pas aller au bout de la logique, une telle réforme étant condamnée à ne pas aboutir.

Mes chers collègues de gauche, je vous invite à faire preuve, pendant quelques minutes au moins, d'un peu de sincérité. Même si quelques-uns poussent des cris d'horreur à cette idée, lequel d'entre vous n'a pas pensé au fond de lui qu'une petite polémique sur l'immigration et le droit de vote des étrangers pourrait redonner du tonus à l'extrême-droite aujourd'hui divisée et quasi moribonde. Lequel d'entre vous n'a pas le secret espoir de lui donner un coup de pouce afin qu'elle retrouve son unité et surtout un pourcentage de suffrages permettant de se maintenir au second tour, ce seuil qui a permis à 49 d'entre vous d'être élus à l'issue de triangulaires et ainsi à la gauche d'être majoritaire dans cet hémicycle. Nier cette évidence vous discrédite un peu plus encore.

Sous votre idéal d'ouverture au monde, sous vos belles paroles, sous vos appels à la générosité et à la fraternité se cachent de petits calculs politiciens. C'est ainsi que vous masquez votre incapacité à réussir l'intégration des étrangers demeurant sur notre sol.

La proposition dont nous allons débattre émane des Verts. Là encore, nous ne croyons pas aux coïncidences.

La discussion de ce texte et le vote positif du groupe socialiste, sont, comme l'a d'ailleurs rappelé notre rapporteur à l'AFP, la contrepartie du vote par les cinq députés écologistes du projet de loi relatif à la chasse. Tout est bon pour les flatter dans la majorité !

Création d'un ministère ad hoc de l'économie solidaire, acceptation d'une proposition de loi symbolique leur permettant de s'exprimer largement, le Premier ministre ne recule devant rien. D'ailleurs, il n'y a qu'à sortir dans la rue pour constater que les Verts utilisent cette proposition de loi à des fins de propagande.

Quel mépris pour les personnes que vous êtes censés défendre et que vous ravalez au rang d'instrument d'une campagne médiatique. Car comme je le disais tout à l'heure et comme l'affirme très justement le ministre des relations avec le Parlement, que je cite : « Il faut dire la vérité : cette réforme suppose de modifier la Constitution, et même si elle est votée à l'Assemblée nationale, elle ne pourra pas aller au-delà. Il ne faut pas faire de fausse promesse ».

Que nous discutions d'une proposition de loi symbolique, démagogique et politicienne, destinée d'une part à réveiller les électeurs du Front national, d'autre part à donner un contenu politique au programme des Verts justifierait à soi seul de voter la question préalable.

Cependant, ce sujet du droit de vote, attribut le plus achevé de la citoyenneté, est trop important pour être ainsi évacué.

Nous saisirons chaque occasion de rappeler notre conception de la citoyenneté, liée à la nationalité, afin que nos compatriotes mesurent, textes à l'appui, argument contre argument, les différences profondes qui nous séparent sur le sujet. En déposant ces trois motions de procédure, l'opposition ne fait d'ailleurs que poursuivre ce travail explicatif.

Mettons de côté un instant votre man_uvre et imaginons que votre proposition de loi puisse aboutir, ce qui nous permettra d'aborder le c_ur du sujet, c'est-à-dire la citoyenneté française.

Votre texte, inacceptable tant sur la forme que sur le fond, est de surcroît inutile et dangereux.

Nous discutons d'une proposition de loi constitutionnelle dans le cadre étroit et limité d'une niche parlementaire. Ces conditions de débat ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. En effet, nous ne disposons que d'une matinée en séance publique pour débattre d'un texte qui, s'il devait être adopté, bouleverserait de façon considérable notre tradition constitutionnelle et notre conception de la citoyenneté. Peut-on raisonnablement espérer modifier ainsi en quatre heures notre Constitution ? Personne ici ne le pense sérieusement.

Si la question du droit de vote des étrangers non ressortissants de l'Union européenne aux élections locales, notamment municipales, doit être débattue ici, le débat doit être assez long pour que chacun puisse s'exprimer de façon exhaustive sur un sujet qui nous concerne tous. La niche parlementaire est donc totalement inadaptée.

De même, en quelques minutes, en commission, nous sommes passés d'une proposition de loi des Verts qui prévoyait d'octroyer le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne à toutes les élections locales à une proposition de loi socialiste heureusement beaucoup plus restreinte qui ne leur accorderait ce droit que pour les municipales et encore sous conditions...

Malheureusement, ce pas vers plus de lucidité, ou en tout cas moins d'utopie, ne change rien au fond du texte qui demeure inacceptable en soi.

Fait encore plus marquant : le texte de la commission a été adopté avec l'abstention du rapporteur... Abstention, nous précise-t-il, fondée sur un souci de cohérence !

M. Jacques Myard - Ils sont incohérents, de toute façon !

M. Thierry Mariani - Oui, il y a une conception toute verte de la cohérence... Monsieur Mamère, allez-vous vous abstenir une nouvelle fois à l'issue de ce débat ?

M. Jacques Myard - Il n'est pas là !

M. Thierry Mariani - Ou bien allez-vous, dans un souci de cohérence qui ne manquera pas d'étonner les observateurs, adopter ce texte ?

Tout cela n'est pas sérieux et montre bien votre embarras devant une question qui touche à l'essence même de la nation.

J'évoquerai d'autres griefs sur la forme.

Puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, le Conseil d'Etat ne l'a pas examinée. Cette absence de réflexion juridique sur un texte aussi important, qui rappelle le précédent du PACS, nous semble particulièrement préjudiciable. Le Conseil économique et social, n'a pas été saisi non plus. Il aurait été pourtant intéressant de connaître l'avis de cette institution, qui représente la société française dans toute sa diversité.

Sans nier l'importance de l'initiative parlementaire, nous considérons que les séances réservées à l'ordre du jour fixé par notre assemblée doivent être consacrées à des réformes directement applicables, qui ne bouleversent pas les institutions. Or vous utilisez les niches pour nous présenter des textes polémiques, uniquement destinés à produire des effets médiatiques et à marquer les différences entre composantes de la majorité plurielle.

Mme Christine Boutin - Absolument !

M. Thierry Mariani - Nous avons bien compris que vous êtes pluriels,...

M. Jacques Myard - Hétéro-pluriels...

M. Thierry Mariani - ...les Français aussi. La réforme du Règlement ne visait pas à faire de ces séances le moment où étaler vos divisions.

Présenté donc dans un cadre inadapté, ce texte est laconique et inachevé. Nous ne disposons pas de tous les éléments qui nous permettraient de débattre en connaissance de cause. Pour l'essentiel, vous renvoyez les conditions d'application de votre proposition à une loi organique encore virtuelle. Dès lors comment les Français pourraient-ils comprendre vos arguments en faveur du droit de vote des étrangers ? Comment pourrions-nous vous répondre au fond ? Quel mépris pour le débat démocratique !

De nombreuses zones d'ombre demeurent. Allez-vous fixer un délai de résidence ? Dans ce cas, sera-t-il de dix ans, comme semble le préconiser le ministre de l'intérieur, de trois ans, comme semblent le souhaiter les Verts ou de cinq ans comme le prévoyait le programme de la gauche en 1981 ?

Comptez-vous appliquer votre texte sous réserve de réciprocité, comme pour les ressortissants de l'Union européenne ? Tel ne semble pas être le cas. Nos partenaires européens jouiraient ainsi de moins de droits que les ressortissants des Etats tiers. Étrange conception de la construction européenne ...

Toutes ces incertitudes montrent bien que votre objectif est uniquement de tenter de réveiller l'électorat d'extrême droite. Il y a quand même des limites ! Les man_uvres politiciennes ne grandissent jamais ceux qui les ont imaginées.

Au fond, votre texte heurte toute notre tradition constitutionnelle.

La conception républicaine française de la citoyenneté a toujours été de réserver le droit de vote aux nationaux et à eux seuls. Depuis la Révolution, toutes les constitutions ont lié droit de vote, nationalité et citoyenneté. Seule la Constitution montagnarde de 1793, jamais appliquée, prévoyait la possibilité d'accorder le droit de vote à des étrangers. Je vous en lis l'article 4 : « Tout étranger âgé de 21 ans accomplis qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail ou acquière une propriété, épouse une Française ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ; tout étranger enfin qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l'humanité est admis à l'exercice des droits de citoyen français ». Ce texte qui, selon certains auteurs, a fortement influencé les constitutions révolutionnaires marxistes, n'a été, comme le souligne le professeur Favoreu, qu'une « utopie dans le droit public français ».

C'est cette utopie que votre idéologie vous conduit à nous proposer aujourd'hui puisque votre texte suppose une citoyenneté multinationale. Or, pour nous, la citoyenneté est étroitement liée à l'exercice de la souveraineté nationale. Elle ne peut s'exercer à travers le droit de vote que par les nationaux. Le droit de vote doit être un et indivisible. A l'exception du droit accordé aux ressortissants de l'Union européenne, il ne convient pas de découper la citoyenneté en tranches. Or c'est ce que vous voulez faire en accordant le droit de vote aux étrangers à certaines élections mais pas à d'autres.

Nous refusons de délivrer aux étrangers installés régulièrement sur notre territoire une citoyenneté au rabais tout comme nous refusons de leur accorder un droit de vote et d'éligibilité partiels. Ils méritent mieux que cela ; ce n'est pas les respecter que de leur faire cette aumône. Etre citoyen français, cela passe par l'acquisition de la nationalité française.

J'entends bien vos principaux arguments pour tenter de justifier votre proposition.

Selon certains, toute personne payant des impôts en France doit pouvoir bénéficier du droit de vote en contrepartie de son tribut. Mais lier les deux, c'est réintroduire le suffrage censitaire dans notre droit, c'est revenir à l'Ancien régime. Est-ce la grande avancée sociale que vous nous proposez ? Faudrait-il, en conséquence, priver de leurs droits civiques tous nos concitoyens qui ne paient pas l'impôt, soit un foyer sur deux ?

Mme Christine Boutin - En effet !

M. Thierry Mariani - L'argument de l'impôt ne tient donc pas.

Vous tirez un autre argument de la prétendue rupture d'égalité entre ressortissants de l'Union et ressortissants d'Etat tiers. Mais l'Union européenne est une réalité économique, politique et institutionnelle. Elle garantit des droits à ses ressortissants. Elle dispose d'institutions politiques et juridictionnelles. Elle est une construction institutionnelle originale et autonome.

Dans la mesure où la France et ses partenaires sont engagés depuis maintenant plusieurs décennies dans un destin commun, il est tout à fait acceptable d'attacher à cette construction des droits politiques tels que le droit de vote des ressortissants de l'Union aux élections locales, d'autant que ces droits sont accordés en application du traité international, celui de Maastricht, et qu'ils sont soumis à une stricte réciprocité dans chacun des Etats membres.

Tout cela n'a aucun rapport avec une proposition qui vise à accorder le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union sans réciprocité ni contrepartie.

Nous contestons aussi l'argument selon lequel de nombreux pays membres de l'Union accordent le droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Or cette conception est très minoritaire : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg et le Royaume Uni n'accordent pas de droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union.

Dans les autres Etats, ce droit est soit fortement encadré, soit le résultat d'une particularité historique non transposable en France.

Ainsi au Portugal, où les droits politiques et l'exercice des fonctions publiques sont réservés exclusivement aux citoyens, la Constitution prévoit néanmoins la possibilité d'accorder, par convention internationale et sous réserve de réciprocité, certains droits politiques aux citoyens des pays de langue portugaise qui ne peuvent toutefois être membres des organes de souveraineté et des organes du Gouvernement des régions autonomes. Une seule convention de ce type existe, entre le Portugal et le Brésil. Plus largement, la loi électorale, toujours sous réserve de réciprocité et sous des conditions de délai de deux à cinq ans, peut accorder à des étrangers qui résident sur le territoire national le droit de vote et d'éligibilité pour l'élection des membres des organes des collectivités locales. On le voit, l'octroi du droit de vote aux étrangers n'est donc qu'une exception.

En Espagne, seuls les citoyens espagnols ont le droit de voter et d'être éligibles. Cependant, les traités et les lois peuvent accorder un droit de suffrage aux étrangers pour les élections municipales sous réserve de réciprocité. Tel est le cas uniquement des ressortissants norvégiens aux termes d'une convention bilatérale du 6 février1990.

Aux Pays-Bas, depuis 1985, les étrangers originaires d'Etats non membres de l'Union peuvent voter aux élections municipales sous une condition de délai de cinq années et s'ils ne sont pas au service d'un autre Etat, conditions de poids qui ne figurent pas dans votre proposition... En outre, il est impossible de détenir une double nationalité dans ce pays.

Dernier exemple, le plus souvent cité, celui du Danemark où, depuis le 30 mars 1981, le droit de vote aux élections municipales est accordé à tous ressortissants étrangers de plus de 18 ans résidant sur le territoire national depuis plus de trois années. Mais la situation est différente, puisque le droit du sang domine très largement en matière d'acquisition de la nationalité : la naissance au Danemark ne donne pas le droit à la nationalité. Le mariage avec un Danois ne le confère pas non plus automatiquement, pas plus que l'adoption. De plus, les règles de naturalisation sont bien plus contraignantes qu'en France. Sept années de résidence ininterrompues, ne pas être arrivé sur le territoire après l'âge de cinquante ans, être bien intégré à la société. La France montre plus de souplesse.

M. Robert Gaïa - Pas grâce à vous...

M. Thierry Mariani - Bref, les exemples étrangers ne peuvent être transposés. L'octroi du droit de vote aux étrangers serait à la fois inutile et dangereux. Inutile parce que la proposition confond intégration et droit de vote, parce que la France a des règles souples d'acquisition de la nationalité française, parce qu'une meilleure application des procédures de naturalisation suffirait à régler la question.

Tout d'abord, il convient de ne pas mélanger intégration et droit de vote. La France a toujours su intégrer les populations qui ont souhaité s'y installer de façon stable et durable. Vous avez d'ailleurs pris diverses mesures qui rompent avec cette tradition. Ainsi, vous avez supprimé les certificats d'hébergement qui, non seulement constituaient un instrument de lutte contre l'immigration irrégulière, mais permettaient aux étrangers d'avoir des conditions de résidence décentes. Nous ne pouvons qu'adhérer à ces propos de M. Fabius en février 1997 : « Les certificats n'avaient qu'un but : préserver la dignité de l'étranger accueilli sur notre sol, lui garantir un toit, assurer sa santé physique et morale, mettre fin à l'exploitation de la misère des plus pauvres à laquelle se livrent les marchands de sommeil ». Autre exemple : les conditions du regroupement familial. Vous avez remis en cause les règles que nous avions fixées par la loi du 24 août 1993, texte qui, quoi qu'ait pu en dire la gauche, était conforme à la Convention européenne des droits de l'homme, qui pose le principe du droit à mener une vie familiale normale ; sous couvert de générosité, vous allez à l'encontre de l'intégration des étrangers régulièrement installés sur notre sol.

En second lieu, la France connaît plusieurs modes d'acquisition de la nationalité, largement ouverts à tous les étrangers : acquisition par mariage, acquisition par la naissance et la résidence en France, acquisition par réclamation, acquisition par naturalisation. Les derniers chiffres publiés par le ministère de la justice, qui estime à 123 761 le nombre des acquisitions de la nationalité française en 1998, contre 116 194 en 1997, montrent bien qu'il est assez aisé de devenir français si on le souhaite.

Certes, la procédure de naturalisation est lourde. Mais pourquoi ne pas l'alléger un peu, ou du moins l'appliquer avec plus de rapidité ? Il n'est pas besoin d'une réforme constitutionnelle pour cela.

Votre proposition est non seulement inutile, mais dangereuse : d'une part, c'est une porte ouverte au droit de vote des étrangers aux élections nationales ; d'autre part, elle va ranimer des sentiments xénophobes.

M. Chevènement a reconnu lui-même que l'octroi du droit de vote aux étrangers pour les élections locales est une première étape vers l'octroi de ce même droit à toutes les élections. Vous l'avez bien senti en commission, mes chers collègues, en adoptant un amendement portant article additionnel après l'article 72 de la Constitution, alors que la proposition initiale tendait à modifier l'article 3. Ce faisant, vous semblez ne vous attaquer qu'aux principes de fonctionnement des collectivités territoriales, et non plus à l'exercice de la souveraineté nationale. Mais vous mettez le doigt dans un engrenage.

Pourtant, comment imaginer que des étrangers, même installés en France depuis un certain temps, puissent accéder au droit de vote aux élections nationales et ainsi décider des choix fondamentaux de notre nation ? L'intention du Constituant de 1958 de lier droit de vote et nationalité ne fait aucun doute, et il n'y a rien de plus normal ; en effet, être Français implique des devoirs et notamment celui de défendre notre pays en cas d'agression, qui ne sont pas partagés par les étrangers.

De plus, voter en France implique de détenir ses droits civils et politiques, ce qui pose la question du contrôle de la capacité de l'étranger désirant voter dans notre pays . Il n'est déjà pas aisé de vérifier la capacité des ressortissants de l'Union européenne, mais comment comptez-vous procéder pour le ressortissant d'un pays qui n'a pas la même rigueur en matière de tenue d'état civil ?

Comment allez-vous vérifier la capacité d'un ressortissant rwandais, éthiopien ou russe ? Allez-vous accepter le double vote et que les étrangers votant aux élections municipales en France votent aussi dans leur pays d'origine ? Si tel était le cas, vous démontreriez que vous avez une bien curieuse conception de la citoyenneté.

Enfin, sur une question qui est de nature à réveiller dans notre pays certains sentiments xénophobes, que pensez-vous de ces propos de votre ami M. Sami Naïr, je le cite : « ce serait une erreur politique de faire voter une loi constitutionnelle sur ce sujet à l'approche des prochaines municipales » ; en y consentant, ajoute-t-il, « la majorité s'exposerait à l'accusation légitime de démagogie électorale, soit pour gagner les voix des immigrés, soit pour réchauffer, à des fins de division de la droite, la haine d'une extrême-droite en perdition ».

Votre proposition de loi est donc démagogique, politicienne et contraire à nos principes constitutionnels. Sous couvert de générosité, vous jouez avec les étrangers eux-mêmes, à qui vous faites de fausses promesses.

Quant à nous, notre position est claire : nous refusons d'accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires et nous persistons dans l'idée que la citoyenneté et la nationalité restent indéfectiblement liées. Nous ne pensons pas davantage être au début d'un quelconque processus allant dans le sens de l'évolution que vous proposez et nous ne manquerons pas de maintenir le lien entre droit de vote et nationalité lorsque nous reviendrons aux affaires. Telles sont les raisons qui justifient l'adoption de la question préalable que j'ai eu l'honneur de vous présenter au nom du groupe RPR (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Rapporteur - Notre intention, Monsieur le député, n'est pas d'aller à l'encontre de l'esprit de nos institutions. Du reste, il n'est pas contraire à la Constitution que le constituant la modifie ! Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de fixer la norme mais bien aux élus de faire progresser l'Etat de droit. Et malgré vos efforts pour empêcher que la discussion générale ait lieu, la majorité plurielle compte sur le Gouvernement pour inscrire ce texte à l'ordre du jour prioritaire de notre Assemblée. Il n'y a pas davantage de matière à évoquer un quelconque marchandage ou d'obscures négociations : nous avons été solidaires de la majorité sur plusieurs textes, nous attendons en retour la même solidarité sur les textes que nous jugeons essentiels.

S'agissant de la confusion que vous vous êtes plu à entretenir entre citoyenneté et nationalité, nous ne pouvons que déplorer que la citoyenneté européenne s'appuie exclusivement sur la nationalité et que, depuis la chute du mur de Berlin, l'Europe se referme sur elle-même au lieu de se montrer ouverte et généreuse.

Mme la Garde des Sceaux - J'ai apprécié, Monsieur le député, le plan de votre intervention, qui qualifie cette proposition d'inacceptable, d'inutile et de dangereuse et je le retiendrai à mon tour pour l'appliquer à votre propos.

Inacceptable, en effet, car vous êtes obsédé par la maîtrise des flux migratoires. Vos considérations sur le regroupement familial n'ont pas lieu d'être dans la discussion d'un texte qui ne vise que les résidents stables et régulièrement établis sur le territoire. Je vous renvoie d'ailleurs aux propos de M. Juppé, publiés dans Le Monde, du 1er décembre dernier, selon lesquels l'immigration zéro ne veut pas dire grand chose, le regroupement familial est un droit et l'Europe aura vraisemblablement besoin de main-d'_uvre immigrée dans les prochaines années.

M. Thierry Mariani - Vous n'avez pas lu l'ensemble de l'article !

Mme la Garde des Sceaux - Quant à vous, vous n'avez pas lu la proposition de loi qui ne concerne que les articles de la Constitution postérieurs à l'article 72 et n'affecte pas l'article 3.

Au demeurant, votre position ne m'étonne guère car je n'ai pas oublié votre hostilité aux évolutions posées par Maastricht et le refus de l'opposition de transposer la directive relative au droit de vote des étrangers communautaires pour qu'elle s'applique dès 1995.

Dangereux, enfin, car il n'est pas raisonnable de continuer à stigmatiser une large frange de notre population, qui est durablement établie sur notre sol et qui mérite tout notre respect (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Julien Dray - Le droit de vote des étrangers aux élection locales est un élément essentiel de notre vie politique depuis près de vingt ans et il y a donc lieu de se féliciter que ce sujet soit enfin abordé dans notre enceinte. Notre Assemblée est majeure et nul ne peut lui interdire de débattre. Si elle se trompe à l'issue de ses délibérations, c'est au peuple de la sanctionner.

Il est d'usage, ensuite, de contester le moment pour aborder de tels sujets : trop loin des échéances électorales, ce n'est pas le moment ; à la veille des élections, ce n'est pas le moment non plus et ceux qui s'y risquent sont soupçonnés de vouloir peser sur les résultats par une opération politicienne. Mais à force d'en différer la discussion, la question devient lancinante pour la société française, d'autant qu'elle n'est pas sans incidence sur l'intégration des populations étrangères à laquelle nous devons nous efforcer de contribuer.

Je considère pour ma part qu'il est courageux d'ouvrir aujourd'hui ce dossier et si le peuple français le rejette aussi massivement que vous le prétendez, l'opposition y trouvera une bonne occasion de se renforcer.

Sur le fond, j'estime que le moment est venu d'aborder cette question car j'ai été moi-même surpris, au cours des différentes réunions auxquelles j'ai participé récemment, par l'ampleur de la demande qui émane en particulier des jeunes Français issus de l'immigration. Eux-mêmes sont détenteurs d'une carte d'électeur mais ils considèrent qu'il n'est que temps que leurs parents accèdent à la citoyenneté, eu égard à leur contribution au développement de notre pays.

Un député RPR - Ils n'ont qu'à devenir Français !

M. Julien Dray - Donner le droit de vote aux parents, c'est renforcer le sentiment d'appartenance à la nation française des jeunes générations. Intégrer les parents aide à intégrer les enfants, qui ont parfois le sentiment d'être des citoyens de seconde zone.

Un député socialiste - C'est vrai !

M. Julien Dray - J'observe d'ailleurs que beaucoup de vos dirigeants en ont convenu. Il est donc urgent de poser un acte fort en direction des populations étrangères présentes sur notre sol.

Enfin, l'Europe que nous voulons construire ne peut pas oublier sa façade méditerranéenne, ces pays et ces peuples avec lesquels nous avons souvent une histoire souvent plus longue. Ils ont besoin de recevoir de la part de la France des signes attestant qu'ils ne seront pas oubliés. C'est pourquoi, en Afrique noire et maghrébine, les représentants de ces peuples évoquent, eux aussi, cette question du droit de vote aux élections locales.

Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de repousser cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Antoine Leonetti - Le groupe RPR a défendu avec conviction et efficacité la question préalable, montrant que cette loi n'est utile ni à la France ni à l'Europe ni même aux étrangers. Cette loi est en effet basée sur une conception mondialiste de la citoyenneté et contraire à notre conception républicaine de la citoyenneté qui est, dans notre tradition et notre Constitution, indissociable de la nationalité.

Pour nous, être citoyen et posséder le droit de vote signifie être membre d'une communauté forgée par l'histoire qui affirme vouloir une destinée commune et se déclare prête à défendre un territoire et ses valeurs.

Vous, vous défendez une citoyenneté de résidence, une citoyenneté de passage, une citoyenneté de consommateurs. Je vous demande de mesurer les risques de cette proposition. Elle risque d'ébranler les repères du peuple français dans une société en quête de valeurs. Que restera-t-il de la France si les nationaux n'ont pas plus de droits politiques que les étrangers pour décider de leur avenir ?

Elle risque aussi de fragiliser la notion de citoyenneté européenne, qui complète, sans la remplacer, la citoyenneté nationale.

Elle risque de faire renaître les vieux démons de la xénophobie et du racisme, -mais n'est-ce pas, chez certains, un risque calculé ?

Elle risque de décevoir les étrangers à qui vous promettez depuis vingt ans des choses que vous savez ne pas pouvoir tenir. Ils ne les réclament d'ailleurs pas et bénéficient en France de tous les droits civiques.

Elle comporte le risque de discrédit de la politique : c'est à l'occasion d'une fenêtre parlementaire de quelques heures utilisée par le groupe le plus minoritaire de notre assemblée, qu'est discutée une proposition de loi qui touche à l'identité nationale et au droit de vote -avec comme excuse, il est vrai, que cette loi ne sera pas votée ! « Une vaste blague », comme le dit dans la presse le président de SOS Racisme.

J'en appelle à la responsabilité de nos collègues de la majorité plurielle. Vous ne pouvez, pour je ne sais quel calcul, toucher à l'essentiel et jouer des symboles. N'insultez pas le passé, notre histoire qui a su s'enrichir des immigrations successives pour bâtir le peuple français, capable de passer au monde le message universel des droits de l'homme.

Ne compromettez pas non plus l'avenir européen de la France.

Ouvrez aux étrangers qui résident sur notre sol la possibilité de partager les mêmes droits et les mêmes devoirs sans leur proposer une sous-citoyenneté qui n'est pas dans notre tradition républicaine ; personne ne s'intègre mieux à la société française qu'un Français.

Le groupe UDF, parce qu'il est démocrate, français et européen, votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Patrick Delnatte - Ce débat cause un sentiment de déception.

Déception de la méthode choisie : dire que les conditions sont réunies pour que ce débat puisse être abordé sans passion à l'Assemblée nationale relève de la provocation. D'abord ce texte résulte d'un marchandage entre alliés -loi sur la chasse contre loi sur les étrangers. Ensuite, une nouvelle fois, le débat est réactivé à la veille d'échéances électorales, alors que la tradition républicaine exclut toute modification du mode de scrutin dans l'année précédant les élections. Enfin, qu'est-ce que cette méthode qui consiste à faire voter un texte en sachant qu'il n'a aucune chance d'aboutir compte tenu de l'opposition du Sénat et de l'obligation de recourir à un référendum ?

Déception aussi sur le fond. Le droit de vote des étrangers touche aux fondements de notre organisation sociale et politique. Ce débat doit être ouvert à la société civile et toutes les familles de pensée devraient s'exprimer avant de prendre une décision. Il y a deux conceptions de la citoyenneté, l'une mondialiste, l'autre qui la rend indissociable de la nationalité et se fonde sur l'adhésion à des valeurs communes. C'est la force de notre pays d'avoir su, par la naturalisation, assimiler des hommes d'horizons très divers.

Cette conception française de la nationalité n'interdit pas des évolutions : les pays européens se regroupent autour de valeurs communes et une citoyenneté partagée se met en place, permettant l'élection au Parlement européen et la participation des ressortissants de l'Union aux élections locales, dans la réciprocité. Mais tel n'est pas le contenu de ce texte.

De plus, l'initiative de la majorité tend à dévaloriser la naturalisation et la notion même de nationalité, socle de l'Histoire. Philippe Séguin l'a très bien exprimé en écrivant que ce n'est pas en poussant la logique de la dilution de la citoyenneté à son terme que l'on confortera le sentiment d'appartenance à la nation.

Dans ces conditions, le groupe RPR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Je ne suis gère surprise par le dépôt des deux motions de procédure par l'opposition parlementaire. En effet, chaque fois qu'il s'est agi d'accorder de nouveaux droits aux citoyens étrangers, vous vous y êtes opposés avec force, vous avez même hurlé en enfonçant à la hache la porte des églises (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Plusieurs députés RPR - Vous oubliez votre bulldozer !

Mme Muguette Jacquaint - Vous vous êtes accrochés à des arguties juridiques. Mais à chaque fois, vous avez dû vous incliner et l'histoire a pu avancer... Qui oserait remettre en question le droit des étrangers d'être délégué du personnel, responsable d'une association, représentant de parents d'élèves ou membre d'un conseil d'administration d'une caisse de sécurité sociale ?

En fait, Monsieur Mariani, ce qui fait problème, c'est votre conception des droits de l'homme (Rires et protestations sur les bancs du groupe du RPR). Notre société a bougé : des générations d'étrangers ont enrichi notre vie culturelle, associative, sportive, citoyenne. Au lieu de manier l'exclusive, il serait plus efficace de travailler à ce que les nations s'enrichissent mutuellement.

L'enjeu ici est de gagner de nouveaux droits pour ceux qui ont lié leur destin au nôtre. Cela ramène au principe de citoyenneté de résidence, pilier d'une conception moderne de la politique, une politique qui respecte les différences mais se fonde sur l'égalité des droits. Nous avons tout à y gagner.

Monsieur Mariani, vous pouvez compter sur les associations d'étrangers, les collectifs, les partis de progrès, dont le parti communiste, pour aller au bout de ce combat.

Je vous recommande de méditer les propos récents de M. de Robien qui, avec d'autres collègues de l'opposition, s'est déclaré favorable à cette réforme et a invité la droite à ne pas marcher à reculons de l'histoire. Préparez déjà les acrobaties qu'il vous faudra déployer pour justifier votre position d'aujourd'hui d'ici quelques années, lorsque les étrangers participeront le plus naturellement du monde aux scrutins et que personne, ou presque, n'y trouvera à redire !

Les députés communistes repousseront la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. le Président - J'annonce le scrutin public demandé sur ce texte par les groupes UDF et RPR.

M. Guy Teissier - Comme l'a démontré M. Mariani, on ne peut pas dissocier nationalité et citoyenneté. C'est parce qu'on appartient à une communauté nationale qu'on est en droit de peser sur son avenir. De quel droit voterait un étranger qui n'est pas devenu citoyen français, alors qu'après un certain délai de résidence il en a la possibilité ? La naturalisation est, en effet, en France, bien plus souple que dans les pays que vous donnez en exemples. C'est parce que l'acquisition de la nationalité est difficile dans ces pays, qu'ils accordent le droit de vote aux étrangers.

Telle n'est pas la tradition française, à moins que vous ne vouliez remettre en cause le droit du sol.

C'est pourquoi le groupe Démocratie libérale votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Marie-Hélène Aubert - Si ce débat était vraiment inutile, l'hémicycle ne serait pas aussi plein qu'il l'est aujourd'hui !

Ce n'est pas déshonorer la République que de reprendre une proposition vieille de deux siècles, puisque nos prédécesseurs de 1789 et 1793 trouvaient évident d'accorder le droit de vote aux ressortissants étrangers. Ce n'est pas non plus faire obstacle à la construction européenne que de vouloir mettre en cohérence le droit applicable aux ressortissants de l'Union avec celui des ressortissants non communautaires. Pourquoi serait-il plus légitime d'accorder le droit de vote à un Néerlandais propriétaire d'une résidence secondaire en France, dans laquelle il passe un à deux mois par an, qu'à un travailleur marocain ou algérien, par exemple, installé depuis vingt ans dans notre pays où il paie des impôts ? La moindre des choses est de reconnaître aux résidents extra-communautaires les mêmes droits qu'aux ressortissants de l'Union. En 1997, lorsque notre assemblée a adopté le traité de Maastricht, la France était déjà en retard par rapport aux autres pays européens en ce domaine.

Enfin, si nous ne devions plus proposer que des textes qui aient des chances d'aboutir dans les trois mois, il n'y aurait plus guère de réformes de nature à moderniser la démocratie. Voyez le blocage qui persiste sur la loi relative au cumul des mandats. Et croyez-vous vraiment que les textes relatifs à la parité auraient été adoptés si notre majorité ne s'était pas mobilisée depuis plusieurs années sur ce sujet ?

Le droit de vote des résidents étrangers doit franchir aujourd'hui une nouvelle étape. En 1936, soit près de neuf ans avant que les Françaises obtiennent le droit de vote, Pierre Mendès-France avait fait voter le statut de conseillère municipale associée à Louviers.

Il est urgent de franchir aujourd'hui cette première étape pour redonner l'espoir à ceux qui vivent depuis de longues années dans notre pays ainsi qu'à leurs enfants en mal de reconnaissance et d'intégration, mais aussi aux femmes et aux jeunes.

Pour notre part, nous préférons faire appel à ce qu'il y a de plus intelligent, de plus ouvert, de plus généreux chez nos concitoyens au lieu de nous adresser comme vous, démagogiquement, Messieurs de l'opposition, à ce qu'il y a de plus obscur, de plus étroit et de plus frileux chez eux.

Bien entendu, le groupe RCV votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

A la majorité de 176 voix, contre 144, sur 321 votants et 320 suffrages exprimés, la question préalable, n'est pas adoptée.

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RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Bruno Le Roux - Les artifices de procédure auxquels l'opposition a recouru ce matin, nous ont fait perdre beaucoup de temps (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Le groupe socialiste et les autres groupes de la majorité souhaitent que le présent texte soit voté. Le Gouvernement a-t-il donc l'intention de l'inscrire à l'ordre du jour prioritaire de notre assemblée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. André Aschieri - Désireux d'achever l'examen de cette proposition de loi, le groupe RCV souhaite que l'Assemblée use de son pouvoir pour obtenir que le Gouvernement la réinscrive dans une niche parlementaire (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. Alain Bocquet - Ce matin, en Conférence des présidents, j'ai soulevé le problème que pose l'obstruction dans la procédure des niches parlementaires (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Je ne visais pas seulement le texte que nous examinons ce matin. Nous tous ici, que nous appartenions à la majorité ou à l'opposition, avons obtenu qu'une place plus large soit faite à l'initiative parlementaire. C'est désormais un acquis qu'il faut préserver. Or, le règlement de l'Assemblée autorise le dépôt de motions de procédure, ce que nous approuvons. Mais trois motions de procédure d'une heure et demie, cela fait un total de quatre heures et demie (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), alors que la durée d'examen d'une niche parlementaire est de quatre heures ! Cela pose un vrai problème.

Où va-t-on si, sur un texte déposé par la majorité, l'opposition se livre à une obstruction systématique et vice-versa ? Une telle démarche aboutirait à l'auto-destruction de la procédure des niches parlementaires (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

J'ai donc demandé à tous les présidents de groupe de réfléchir à une adaptation consensuelle du Règlement de l'Assemblée propre à préserver cet acquis.

S'agissant de la présente séance qui va s'achever dans vingt minutes, je demande au Gouvernement de réinscrire le texte que nous examinons à l'ordre du jour afin que nous en poursuivions l'examen (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Albertini - Nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt l'échange qui vient d'avoir lieu et qui était prévisible puisque la levée de la séance à 13 heures ne nous permettra pas d'aller jusqu'au vote du texte.

La gravité et l'importance du sujet dont nous débattons ce matin interdisent d'accuser l'opposition d'avoir usé des moyens de procédure que le Règlement met à sa disposition pour exprimer son point de vue. Lorsque vous serez de nouveau de l'opposition, vous serez heureux de pouvoir y recourir aussi.

En l'occurrence, la présente proposition tend à modifier la Constitution, ce qui justifie un débat approfondi. Respecter la minorité, quelle qu'elle soit, est une des obligations fondamentales du président de l'Assemblée nationale.

J'ajoute que la discussion sur nombre de propositions du groupe UDF inscrites dans des niches parlementaires a été tronquée par le non-passage au vote ou à la discussion des articles. Alors, de grâce, ne nous donnez pas de leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Thierry Mariani - Pouvez-vous prétendre que nous avons fait de l'obstruction (« Oui » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) alors que nous avons défendu deux motions de procédure pendant moins d'une heure chacune au lieu d'une heure et demie que le Règlement nous autorisait à y consacrer ?

En outre, le sujet dont nous débattons est primordial pour l'avenir de la France. Permettez donc à l'opposition de s'exprimer deux fois quarante-cinq minutes ! A moins que vous ne proposiez de modifier le Règlement applicable aux niches parlementaires lorsqu'elles sont consacrées à des textes émanant de la majorité, en disant que l'opposition ne pourra plus prendre la parole ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Sur le présent texte, l'opposition n'a pas fait d'obstruction mais vous êtes dans l'impasse car vous l'avez inscrit en sachant très bien que son examen ne pourrait être achevé (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

Mme la Garde des Sceaux - Comme je l'ai indiqué ce matin, le Gouvernement est favorable à ce que cette discussion puisse aller à son terme et que la proposition soit votée par l'Assemblée. En conséquence, à la demande des groupes de la majorité, l'ordre du jour prioritaire sera modifié sans tarder. La suite de la discussion aura lieu demain mercredi après le vote du projet d'habilitation pour le passage à l'euro (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

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      VOTE DES ÉTRANGERS (suite)

M. Alain Tourret - Voilà un quart de siècle que les radicaux, sur proposition de leur président Michel Crépeau, ont inscrit dans tous leurs programmes le droit de vote pour les étrangers aux élections municipales. Tous les partis de gauche se sont prononcés dans le même sens. Mais d'autres voix se sont récemment jointes à la leur, notamment celles de MM. Barre, Borloo ou de Robien. Et en octobre 1979, Jacques Chirac lui-même, à l'occasion d'une réunion des maires des capitales francophones, prenait position en faveur du droit de vote des étrangers aux municipales... pour indiquer, trois ans plus tard, il est vrai, que ses propos avaient été mal compris. Le débat d'aujourd'hui eût donc pu être serein, la passion soulevée par l'extrême-droite étant bien retombée.

Pourquoi donc cette hargne ? Tout milite pour reconnaître aux étrangers le droit de participer à la vie municipale. Depuis 1945, ils élisent dans les entreprises les représentants du personnel et les membres du comité d'entreprise. Depuis 1982, ils peuvent élire les conseillers prud'homaux, les administrateurs de la sécurité sociale, les représentants des locataires au conseil d'administration des organismes HLM. Enfin, depuis 1985, ils peuvent élire les représentants des parents d'élèves. Ils pourraient donc participer à la vie économique et sociale, et non à la vie politique locale. Comprenne qui pourra !

Etre conseiller municipal sans participer à la désignation des délégués sénatoriaux, ce n'est pas exercer la souveraineté -qui s'exerce d'abord à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Par ailleurs, le modèle républicain hérité de la Révolution française, a profondément évolué depuis le traité de Maastricht dont l'article 8 paragraphe 1 concerne le droit de vote des ressortissants de l'Union. Les dispositions de cet article ont été précisées par la directive du Conseil du 19 décembre 1994 qui a fixé les modalités d'exercice de ce droit. En inscrivant dans sa Constitution, un article 88-3 pour tenir compte de ces textes européens, notre pays a donné le droit de vote à plus de 300 millions de ressortissants de l'un des pays de l'Europe des Quinze. Il a ipso facto admis que tout étranger appartenant à un pays ayant vocation à adhérer à l'Union dans les années à venir puisse voter aux élections municipales en France. Demain, les Polonais, les Hongrois, les Slovènes le pourront, après-demain, les Estoniens, le Lituaniens, les Bulgares, les Roumains et dans quelques décennies, peut-être même avant, les Russes et les Turcs, donnant ainsi raison au général de Gaulle qui donnait pour frontières à l'Europe l'Atlantique d'un côté, l'Oural de l'autre.

Ainsi les Tchétchènes résidant en France pourraient y voter aux élections municipales et non les Algériens qui, eux, étaient citoyens français il y a quarante ans seulement ! Tout cela relève de l'absurde.

Qu'on le veuille ou non, le traité de Maastricht a fait exploser le lien prétendument indissoluble entre nationalité et droit de vote. L'idéal eût certes été que tous les pays de l'Union adoptent les mêmes normes. Tous, à l'exception de l'Autriche, du Luxembourg et de la Grèce, admettent le principe du vote des étrangers aux élections municipales. Certes, le Royaume-Uni s'en tient aux ressortissants du Commonwealth ; l'Espagne et le Portugal exigent la réciprocité ; l'Allemagne, la Belgique et l'Italie n'en sont qu'au stade des projets. Il n'empêche qu'une voie est tracée et que tous les pays européens vont donner le droit de vote aux étrangers.

Ce faisant, nous permettrons à ceux qui ne peuvent ou ne veulent obtenir la nationalité française, de participer à une communauté de destin. Le droit de vote sera un puissant levier d'intégration et un moyen d'éviter les replis communautaristes.

Même si le vote de ce texte restera non sans lendemain mais sans effectivité immédiate, il traduira la volonté de la représentation nationale d'associer les étrangers qui résident depuis plus de cinq ans dans notre pays, où ils paient l'impôt et participent activement à la vie locale, à sa destinée commune (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

La suite du débat est renvoyée au 3 mai.

Prochaine séance aujourd'hui, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

ANNEXE
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 18 mai 2000 inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

Cet APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement et, éventuellement, à 21 heures :

      _ explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet relatif aux nouvelles régulations économiques ;

      _ projet portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des denrées d'origine animale et modifiant le code rural.

MERCREDI 3 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ lecture définitive du projet tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ;

      _ projet portant habilitation du Gouvernement à adapter par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;

      _ nouvelle lecture du projet modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

JEUDI 4 MAI, à 9 heures, 15 heures et, éventuellement, à 21 heures :

      _ suite de la nouvelle lecture du projet modifiant la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

MARDI 9 MAI, à 9 heures :

      _ questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

      _ déclaration du Gouvernement sur les orientations de la présidence française de l'Union européenne et débat sur cette déclaration.

MERCREDI 10 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures,

et JEUDI 11 MAI, à 15 heures et à 21 heures :

      _ projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.

MARDI 16 MAI, à 9 heures :

      _ proposition de MM. Edouard Balladur, Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et José Rossi sur l'épargne salariale et la participation ;

(séance mensuelle réservée à un ordre du jour fixé par l'Assemblée, en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution)

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ projet de loi de finances rectificative pour 2000.

MERCREDI 17 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ suite de l'ordre du jour de la veille ;

      _ débat d'orientation budgétaire pour 2001.

JEUDI 18 MAI, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite de l'ordre du jour de la veille ;

      _ projet portant règlement définitif du budget 1998.


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