S O M M A I R E
_____
II.
Des dérives préoccupantes : du laxisme à la fraude (suite et fin)
C. La fraude des
particuliers : un phénomène multiforme *
1. Un comportement fiscal peu exemplaire *
a) Une forte propension à la fraude *
b) Un recouvrement difficile *
· Un constat inquiétant *
· Les raisons traditionnellement
évoquées sont à retenir avec prudence *
c) Une activité de contrôle en voie de renforcement *
· La Corse semble bénéficier
dune attention fluctuante de la part des services fiscaux *
· Le faible nombre des plaintes
déposées *
2. Des soupçons de fraude pour certaines
allocations sociales *
a) Des lacunes avérées dans la gestion du dispositif RMI *
· Un dispositif très présent dans
les deux départements *
· Des allocations distribuées
largement en labsence de gestion globale du dispositif *
· Les carences en matière de
prévention et de contrôle des fraudes *
· Une gestion particulièrement
défectueuse en Corse-du-Sud *
· Des constations plus nuancées en ce
qui concerne la situation en Haute-Corse *
· La nécessaire reprise en mains *
b) Des largesses dans les conditions dattribution des
allocations aux adultes handicapés (AAH) *
· Un taux record de bénéficiaires de
lAAH *
· Les dysfonctionnements des COTOREP *
· Lattitude contestable de
certains médecins *
· Les actions urgentes à mettre en
oeuvre *
3. Le détournement possible des aides
communautaires *
a) Laffaire des primes agricoles en Haute-Corse *
· Les anomalies et pratiques abusives
révélées par le rapport Jacquot *
· Les suites données à la mission *
· Quelles conclusions en tirer
aujourdhui *
b) Un déficit de contrôle dans lutilisation des fonds
structurels *
· La responsabilité des services de
lÉtat *
· Les lacunes actuelles des modalités
de contrôle *
· Des améliorations à confirmer *
· Un exemple particulier : la
route daccès au port de Propriano *
C. La fraude des
particuliers : un phénomène multiforme
Dans une note rédigée en juin 1997, M. François
Cailleteau, inspecteur général des finances territorialement compétent pour la Corse,
avait mis en évidence lexistence dans lîle de comportements fiscaux peu
exemplaires et sétait étonné du nombre de bénéficiaires de certaines
prestations à caractère social. La divulgation de cette note, à lautomne de la
même année, avait déclenché sur lîle dimportantes réactions indignées.
En 1994, le rapport dinspection dune mission du FEOGA avait
déjà défrayé la chronique en révélant lampleur des fraudes en matière de
primes agricoles en Haute-Corse.
1. Un comportement fiscal peu exemplaire
En matière fiscale, la note de M. François Cailleteau
énumérait un certain nombre de manquements à la législation fiscale : non respect
des obligations déclaratives, absence de paiement à léchéance, fraude
" massive ". Il concluait en estimant que " la
Corse était donc, pour les non salariés, un paradis fiscal de fait avant de le devenir
en droit par la zone franche ".
Néanmoins, des conclusions discutables ont été tirées de certaines
des indications figurant dans la note. Ainsi, la révélation du taux de retardataires de
plus de six mois en matière de TVA (40% en 1995) a été immédiatement commentée comme
signifiant que 40 % des entreprises ne payaient pas la TVA. Or, il sagit
dun retard de dépôt de déclaration qui ne se traduit pas obligatoirement par une
absence de paiement. De plus, il est apparu que ce chiffre déjà ancien, puisque se
rapportant à 1995, ne reflétait plus la réalité.
Il nen demeure pas moins que la loi fiscale nest pas
appliquée en Corse dans les meilleures conditions.
a) Une forte propension à la fraude
A propos de limpôt sur le revenu des
particuliers, le directeur général des impôts indiquait, dans une note de synthèse
adressée en septembre 1997 au cabinet du ministre, que " le contrôle sur
pièces des déclarations produit des résultats importants, ce qui souligne une
tendance à la fraude élevée. Cette constatation doit conduire néanmoins à renforcer
le contrôle des déclarations de revenus et à rechercher les défaillants inconnus du
service ".
Cette efficacité du contrôle sur pièces se manifeste par un rappel
moyen par redressement largement supérieur dans les deux départements corses à celui
observé dans les départements comparables ou au niveau national, alors que la fréquence
des redressements, en phase avec les données de références, ne traduit pas une
particulière sélectivité des contrôles. En 1997, le rappel moyen sélevait à
10.741 francs en Haute-Corse et à 12.836 francs en Corse-du-Sud, au lieu de
4.982 francs pour la moyenne des directions du groupe 4 et 6.436 francs au
niveau national.
RÉSULTATS DU CONTRÔLE SUR PIÈCES
EN MATIÈRE DIMPÔT SUR LE REVENU DES SALARIÉS
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Fréquence des
redressements (en %) |
|
|
|
|
|
l Haute-Corse |
3,7 |
7,3 |
3,3 |
3,5 |
5,5 |
l
Corse-du-Sud |
4,9 |
5,8 |
4,5 |
4,0 |
6,4 |
l
Groupe 4 |
5,1 |
5,6 |
5,0 |
5,2 |
5,6 |
l
France |
4,5 |
5,3 |
5,2 |
5,2 |
5,6 |
Rappel moyen par redressement
(en francs) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
8.715 |
7.319 |
9.721 |
8.958 |
10.741 |
l
Corse-du-Sud |
8.322 |
8.815 |
10.218 |
14.330 |
12.836 |
l
Groupe 4 |
4.269 |
4.521 |
4.638 |
4.951 |
4.982 |
l
France |
5.475 |
5.803 |
5.959 |
6.188 |
6.436 |
Rappel moyen par agent (en francs) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
198.791 |
325.551 |
185.774 |
183.734 |
384.133 |
l
Corse-du-Sud |
322.110 |
395.628 |
352.715 |
434.893 |
647.889 |
l
Groupe 4 |
171.231 |
198.848 |
182.529 |
201.661 |
221.734 |
l
France |
226.674 |
283.640 |
280.965 |
293.813 |
325.474 |
Source : Direction générale des impôts
Les mêmes constatations peuvent être faites en matière de fiscalité
professionnelle. En ce domaine se pose également un problème de respect des obligations
déclaratives. Le rapport précité du directeur général des impôts indique que
" la propension au non respect des échéances de dépôt des déclarations
professionnelles (TVA et bénéfices) est forte. Mais laction énergique des
services a permis den réduire les effets. (
) Le suivi rigoureux du dépôt
des déclarations de résultats, avec une sensibilisation des organismes professionnels, a
permis denregistrer des progrès (en Corse-du-Sud, le taux de dépôt est passé de
43 % en 1994 à 78 % en 1996 pour les redevables au régime réel). Toutefois,
des marges substantielles de progrès existent ". Le taux de retardataires
de plus de six mois en matière de TVA a également fortement régressé à partir de
1996, comme lindique le tableau ci-dessous, sans pour autant rejoindre les moyennes
de référence, surtout en ce qui concerne la Haute-Corse.
TAUX DE RETARDATAIRES DE PLUS DE 6 MOIS EN TVA
(en %)
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998
(objectif) |
l Haute-Corse |
35,0 |
40,5 |
42,1 |
21,0 |
20,1 |
8,0 |
l
Corse-du-Sud |
42,9 |
39,3 |
34,4 |
11,2 |
7,7 |
6,0 |
l
Groupe 4 |
8,7 |
8,4 |
7,2 |
4,3 |
3,3 |
|
l
France |
10,4 |
10,7 |
9,9 |
7,6 |
5,5 |
|
Source : Direction générale des impôts
Comme en matière dimpôt sur le revenu des salariés, " les
résultats de contrôles sur pièces, ou sur place, des déclarations professionnelles
attignent des résultats élevés, nettement supérieurs à la moyenne nationale. Ils
confirment lexistence de comportements de fraude significatifs dans ce domaine comme
dans dautres ".
Le nombre de redressements rapporté aux nombres de redevables (au
titre de limpôt sur les sociétés, des bénéfices non commerciaux, des
bénéfices industriels et commerciaux et des bénéfices agricoles) est largement
supérieur aux chiffres du groupe 4 et à ceux de la France entière. Par contre, le
montant moyen par redressement ne sécarte pas sensiblement de la moyenne nationale
ce qui sexplique sans doute par la situation économique générale de
lîle tout en restant très supérieur à celui des départements du
même groupe.
RÉSULTATS DU CONTRÔLE SUR PIÈCES EN MATIÈRE DE
FISCALITÉ PROFESSIONNELLE (1)
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Fréquence des
redressements
(en %) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
12,8 |
10,2 |
7,7 |
17,3 |
12,6 |
l
Corse-du-Sud |
13,3 |
15,0 |
11,3 |
19,3 |
23,4 |
l
Groupe 4 |
5,6 |
5,8 |
5,4 |
6,6 |
6,5 |
l
France |
5,8 |
5,5 |
5,9 |
6,6 |
6,9 |
Rappel moyen par redressement
(en francs) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
27.602 |
32.334 |
31.168 |
33.729 |
38.584 |
l
Corse-du-Sud |
31.571 |
31.808 |
30.503 |
28.717 |
30.021 |
l
Groupe 4 |
23.906 |
23.927 |
23.949 |
23.590 |
23.677 |
l
France |
32.319 |
33.781 |
31.927 |
31.571 |
30.313 |
Rappel moyen par agent (en francs) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
3.102.679 |
3.148.426 |
2.335.963 |
5.728.911 |
4.428.380 |
l
Corse-du-Sud |
3.499.105 |
3.292.700 |
2.893.595 |
4.054.976 |
5.105.220 |
l
Groupe 4 |
1.420.223 |
1.415.121 |
1.337.804 |
1.572.312 |
1.605.273 |
l
France |
1.905.685 |
1.863.735 |
1.827.008 |
2.004.255 |
2.050.940 |
(1) Impôt sur les sociétés, impôt
sur le revenu, taxes sur le chiffre daffaires.
Source : Direction générale des impôts
Les chiffres globaux des résultats du contrôle sur pièces conduisent
à des rappels de droits importants (210,1 millions de francs en 1997, au lieu de
191,1 en 1996) et à lapplication de pénalités non négligeables
(39,1 millions de francs en 1997, contre 37,4 en 1996). Par type dimpôt
et pour 1997, les résultats sont les suivants :
- pour limpôt sur le revenu : 3.864 articles redressés ont conduit au rappel
de 63,2 millions de francs et à lapplication de 14,6 millions de francs
de pénalités ; la moyenne par article redressé atteint 16.370 francs en
Corse, contre une moyenne nationale de 8.360 francs ;
- pour limpôt sur les sociétés : 60,4 millions de droits rappelés et 9
millions de pénalités pour 2.787 dossiers redressés, soit une moyenne de
21.670 francs par dossier (au lieu de 22.800 pour la France entière),
- pour la TVA : 86,4 millions de francs de droits rappelés et 15,5 millions
de francs de pénalités pour 1.667 dossiers redressés (soit une moyenne de 51.860
par dossier, contre une moyenne nationale de 44.920 francs).
b) Un recouvrement difficile
Les difficultés du recouvrement, tant des impôts que
des éventuels redressements, est un problème lancinant en Corse. Sagissant de la
fiscalité professionnelle, le rapport précité du directeur général des impôts
indique que " les indicateurs du recouvrement en Corse sont très en retrait
par rapport à ceux qui sont constatés en moyenne dans les autres départements ".
· Un constat inquiétant
Comme en matière dassiette et de contrôle, les
difficultés du recouvrement peuvent être mises en évidence par plusieurs indicateurs
suivis par la direction générale des impôts.
RÉSULTATS DU RECOUVREMENT
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Coefficient de
recouvrement net des prises en charge (en %) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
38,6 |
49,1 |
39,4 |
18,5 |
30,2 |
l
Corse-du-Sud |
49,6 |
43,0 |
40,3 |
24,0 |
25,0 |
l
Groupe 4 |
68,6 |
70,2 |
71,0 |
71,1 |
63,9 |
l
France |
62,8 |
62,3 |
63,8 |
67,1 |
54,7 |
Délai moyen pondéré
de recouvrement des créances (en mois) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
16,5 |
9,8 |
11,2 |
9,6 |
12,2 |
l
Corse-du-Sud |
15,2 |
12,1 |
12,0 |
10,7 |
12,2 |
l
Groupe 4 |
7,8 |
6,4 |
6,1 |
5,1 |
5,0 |
l
France |
- |
3,1 |
7,1 |
5,3 |
5,1 |
Délai moyen pondéré
de comptabilisation des moyens de paiement (en jours) |
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
21,2 |
12,5 |
15,9 |
16,1 |
10,1 |
l
Corse-du-Sud |
19,1 |
16,4 |
16,0 |
12,2 |
9,2 |
l
Groupe 4 |
3,9 |
2,7 |
2,7 |
1,9 |
1,2 |
l
France |
- |
- |
2,9 |
2,0 |
1,2 |
Source : Direction générale des impôts
Lévolution de ces indicateurs depuis 1993 montre à
lévidence le particularisme insulaire et la dégradation qui a pu être observée
dans les deux départements corses en 1996.
Le coefficient de recouvrement net sur les prises en charge permet
dapprécier la célérité de laction en recouvrement menée par les
comptables. Ce pourcentage entre les recouvrements réalisés au cours dune année
et lensemble des sommes à recouvrer (de lannée en cours comme des années
antérieures) atteint dans les deux départements corses un niveau inquiétant, plus de
moitié inférieur à ce que lon peut constater dans le groupe 4 ou au niveau
national.
Cette situation se traduit évidemment par des délais de recouvrement
considérables, même en cas de paiements spontanés. Le délai moyen pondéré de
comptabilisation des moyens de paiement est, dans les deux départements corses, près de
10 fois supérieur à ce quil est ailleurs : 9 ou 10 jours au lieu de 1,2 en
moyenne nationale. De même, le délai moyen pondéré de recouvrement des créances
atteint plus dun an (12,2 mois en 1997), contre 5 mois seulement sur le reste du
territoire.
· Les raisons traditionnellement
évoquées sont à retenir avec prudence
Les raisons invoquées pour expliquer une telle
situation sont nombreuses. La note Cailleteau en décrivait un certain nombre, qui ont
été à plusieurs reprises confirmées devant la commission denquête :
" la pratique locale consiste plutôt à éviter de recevoir lavis
dimposition. Le manque dempressement des postiers dans lacheminement du
courrier fiscal, la fréquence des homonymes, le caractère souvent aléatoire de la
dénomination et du numérotage des rues, la difficulté de connaître les propriétaires
du fait de lindivision, tout cela fait que les avis dimposition reviennent par
milliers dans les trésoreries. De toute façon, les mauvais payeurs sont difficiles à
amener à résipiscence : les banques exécutent avec mauvaise grâce les avis à
tiers détenteurs (elles préviennent leurs clients qui virent leurs avoirs sur
dautres comptes) et les huissiers sont de la plus grande timidité. Au demeurant, on
exécute rarement les débiteurs importants : il serait imprudent de se porter
acquéreur dun bien saisi ".
Il nest pas inutile de reprendre plus précisément chacune des
difficultés énumérées.
Les vicissitudes du courrier fiscal
Les difficultés dacheminement du courrier fiscal
apparaissent être une réalité. Dans un rapport en date du 3 septembre 1997, le
trésorier-payeur général de Haute-Corse indiquait quun sondage réalisé à la
fin de 1996 évaluait le taux des " nhabite pas à ladresse
indiquée " entre 8 et 10% des plis expédiés. La réduction du volume du
courrier non distribué fait dailleurs partie des objectifs du plan daction du
ministère. Certains suggèrent que les services du Trésor utilisent des enveloppes
banalisées car, comme certains témoins entendus par la commission denquête
nont pas manqué de le souligner, " les lettres qui transmettent des
chèques arrivent plus facilement que celles qui transmettent des avis de contrôle fiscal ".
Pourtant, le rapport du trésorier-payeur général de Haute-Corse
indique que " aucune anomalie montrant de façon formelle que certains (plis)
nauraient volontairement pas été distribués na pu être recueillie ",
précisant que, si " par une note de la trésorerie générale du 26 mai
1997, il a été demandé aux trésoriers de communiquer des exemples significatifs
danomalie constatée dans la distribution postale, aucun cas na été signalé ".
Cette absence est confirmée par son collègue de Corse-du-Sud qui, dans un rapport du 5
septembre 1997, indiquait également qu" aucun élément statistique
précis ne permet détayer les griefs formulés fréquemment en matière de
distribution postale ". Il ajoutait, reconnaissant un certaine
responsabilité de ses services, qu" il est probable que
ladressage des courriers fiscaux nest pas non plus exempt de critiques ".
Lexécution des avis à tiers détenteur
Largument de la difficulté de faire exécuter les
avis à tiers détenteur (ATD) suscite la même perplexité. On le sait, lATD est
une procédure administrative de saisie de sommes dargent détenues par la banque
pour le compte du débiteur. Lorsque celle-ci nexécute pas lATD, elle engage
sa responsabilité civile personnelle à hauteur du montant susceptible dêtre saisi
par ladministration. Un ATD est susceptible de savérer défectueux si le
compte visé à été clôturé, sil est débiteur ou sans provision ou si, plus
exceptionnellement, la banque nhonore pas lavis. Cette dernière situation ne
peut être mise à jour que par lexercice du droit de communication, qui apparaît,
en Corse comme ailleurs, comme une démarche exceptionnelle. En Corse,
ladministration a rappelé lensemble des banques de la place à leurs
obligations : cela a fait lobjet dune lettre commune au trésorier-payeur
général et au directeur des services fiscaux dans chacun des deux départements en
février et mars 1998. En outre, daprès les informations recueillies par la
commission denquête, une action conjointe de contrôle sur place est programmée,
dans le cadre du droit de communication, sur un échantillon dATD infructueux
notifiés par les réseaux comptables.
Mais, ces difficultés potentielles avec les banques sont-elles
réelles ?
Les rapports, déjà cités, des deux trésoriers-payeurs généraux
laissent à penser que cela nest pas si sûr : " en aucun cas les
chefs de poste ne sont en mesure détayer cette affirmation (difficultés avec
les établissements bancaires) par des statistiques " écrit celui de
Corse-du-Sud, tandis que son collègue de Haute-Corse indique quil na
" aucun cas avéré de la non-exécution dun ATD, ce qui évidemment
nen exclut pas lhypothèse ".
Il semble dailleurs que la procédure de lATD soit moins
utilisée en Corse quailleurs. Le ratio ATD/saisies est largement inférieur dans
les deux départements corses (1,8 en Haute-Corse en 1996 et 1,1 en Corse-du-Sud) à la
moyenne nationale (2,8). Son augmentation constitue lun des objectifs du plan
daction : si la situation sest améliorée en 1997 en Haute-Corse (2,1,
dépassant lobjectif assigné de 2), elle sest détériorée en Corse-du-Sud
(0,8, soit la moitié de lobjectif assigné). La méfiance à légard des
banques pourrait ne pas être la seule raison. Dans son rapport, le trésorier-payeur
général de Haute-Corse évoquait la nécessité de " convaincre les
comptables que leffort que (lATD) suppose (recherche et archivage du
renseignement en premier lieu, ce qui est moins simple que la remise dun état de
saisie informatisé à lhuissier) est non seulement efficace dans limmédiat,
mais constitue un investissement pour lavenir ", constat partagé par
son collègue de Corse-du-Sud qui indiquait qu" il semble probable que
les nécessaires recherches pour obtenir les coordonnées des tiers détenteurs ne fassent
préférer lédition et la remise à lhuissier dun état de saisie ".
Le comportement des huissiers
On peut également sinterroger sur le comportement des
huissiers. Des propos recueillis par la commission laissent à penser que le problème est
réel : " sagissant des huissiers privés auxquels nous faisons
appel, nous avons constaté en Corse quils sont moins efficaces que sur le continent
et que les procès-verbaux de carence quils nous produisent sont parfois suspects,
ce qui nous amène à penser que la matière saisissable a disparu après le passage de
lhuissier. Cest la raison pour laquelle des interventions ont été faites
auprès des procureurs de la République, qui exercent la tutelle des huissiers, pour
quune surveillance plus forte soit exercée à leur encontre " a
déclaré un responsable de la direction générale des impôts.
De même, le trésorier-payeur général de Haute-Corse soulignait que
" les résultats sont variables dune étude à lautre. Dune
manière générale, le travail des huissiers de justice na pas la qualité de celui
des agents huissiers du Trésor : les officiers ministériels limitent leur action à
la notification des actes de poursuite (dans des délais excédant fréquemment le
raisonnable), alors que nos agents mettent à profit la procédure pour recueillir des
renseignements utiles au recouvrement : numéros de comptes bancaires, employeurs,
propriété dimmeubles,
".
Le climat général de lîle
Au-delà de ces difficultés structurelles du recouvrement,
il convient dévoquer une certain nombre déléments plus conjoncturels liés
au contexte de lîle. Les rapports déjà évoqués des deux trésoriers-payeurs
généraux et des directeurs des services fiscaux concordent sur ce point : un
certain nombre de mesures de gel ou détalement ont perturbé, plus que les
attentats contre les locaux des administrations fiscales, lactivité des
administrations financières.
Il sagit notamment du gel des dettes fiscales nées avant le
31 décembre 1995 pour une période de trois mois (du 15 février au 15 mai 1996). Ce
gel a été suivi par la mise en place dune procédure COCHEF (pour comité des
chefs de services financiers), qui permet daccorder aux entreprises qui en font la
demande un moratoire et des délais de paiement de leurs dettes fiscale et sociale.
Certes, cette procédure nest pas propre à la Corse puisquelle se retrouve
dans chaque département. La particularité de lîle réside plutôt dans
lampleur quelle a prise. Alors que dans les départements
" ordinaires ", le nombre de bénéficiaires est faible, au plus
quelques dizaines, il a atteint dans les deux départements de Corse un niveau
inégalé : 907 en Corse-du-Sud et 517 en Haute-Corse. Un grand nombre de
bénéficiaires ont obtenu le maximum, à savoir un moratoire dun an et un
étalement du paiement de leurs dettes sur quatre ans.
Enfin, il convient de reconnaître, avec le directeur des services
fiscaux de Corse-du-Sud, que le " débat fiscal permanent, qui nest pas
sans résultats concrets, apparaît compromettre la légitimité des actions du service ".
La discussion des modalités de la zone franche avait amené certains contribuables à
anticiper sur le contenu de la loi. De même, la contestation de certains droits amènent
les intéressés à refuser purement et simplement de payer ce quil doivent ou à ne
le faire quau niveau quils estiment juste.
Nul doute également que lexemplarité ne joue pas, en Corse,
dans le sens du respect de ses obligations fiscales. Les insuffisances du contrôle et du
recouvrement, qui plus est quand il porte sur les résultats du contrôle fiscal
lui-même, créent des difficultés. Que dire également quand le non-recouvrement
concerne des amendes aussi emblématiques que celles que le Conseil de la concurrence
avait prononcées, en mars 1989, à lencontre de 16 pompistes et deux syndicats
professionnels pour ententes anticoncurrentielles ?
c) Une activité de contrôle en voie de renforcement
Le dynamisme des services en charge du contrôle fiscal
napparaît pas évidente en Corse. Lactivité des directions locales en ce
domaine a varié sensiblement dune année sur lautre et est, semble-t-il, plus
réduite quailleurs.
Ce manque dattention particulière portée à la Corse a été
justifié devant la commission denquête par labsence de comportements de
fraude spécifiques ou très élaborés. " La plupart des irrégularités et
des procédés de fraude relevés par les services gestionnaires et les vérificateurs
sont des plus classiques. Il sagit bien souvent de défaillances déclaratives à
limpôt sur le revenu, à limpôt sur les sociétés ou à la TVA ; il
sagit très classiquement de minoration de revenus, de majoration de charges, de
non-déclaration de plus-values consécutives à des cessions de titres ou à des cessions
dimmobilisations. Autant de phénomènes frauduleux, dirrégularités qui ne
nécessitent pas fréquemment des enquêtes particulières, a fortiori des interventions
lourdes, pour réunir les éléments de preuve nécessaires à la démonstration de la
fraude " a-t-il été indiqué par un haut fonctionnaire de la direction
générale des impôts.
· La Corse semble bénéficier
dune attention fluctuante de la part des services fiscaux
Ce phénomène sobserve tant en ce qui concerne
les services locaux que la direction régionale et les différentes directions nationales.
Lactivité des services locaux
Ainsi, le pourcentage de réalisation du programme
théorique des brigades comme des inspections spécialisées était le plus souvent
inférieur à celui observé dans le groupe 4 ou au niveau national.
Pourcentage de réalisation du programme théorique
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998
(objectif) |
Brigade |
|
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
79,7 |
95,5 |
66,1 |
77,3 |
74,5 |
98,0 |
l
Corse-du-Sud |
100,0 |
61,6 |
48,3 |
97,5 |
100,0 |
98,0 |
l
Groupe 4 |
85,8 |
82,9 |
87,8 |
95,7 |
97,4 |
- |
l
France |
68,8 |
72,4 |
78,5 |
83,1 |
84,9 |
- |
Inspection spécialisée |
|
|
|
|
|
|
l
Haute-Corse |
50,0 |
113,4 |
79,7 |
69,1 |
95,8 |
95,0 |
l
Corse-du-Sud |
100,0 |
56,8 |
50,0 |
67,9 |
82,1 |
95,0 |
l
Groupe 4 |
85,0 |
89,8 |
89,6 |
84,5 |
93,0 |
- |
l
France |
72,6 |
77,3 |
81,3 |
84,4 |
84,9 |
|
Source : Direction générale des impôts
Lintervention des directions régionale ou nationales
Les directions locales ne sont pas les seules à intervenir
en matière de contrôle sur place, même si elles en assurent lessentiel (162 sur
les 180 vérifications opérées en 1997). Leurs vérifications portent sur les plus
petites entreprises, celles dont le chiffre daffaires est inférieur à 7 millions
de francs. Les équipes de la direction régionale Provence-Alpes-Côte
dAzur-Corse interviennent pour les entreprises moyennes. Enfin, interviennent
également les vérificateurs des trois directions nationales : la direction des
vérifications nationales et internationales qui sintéresse aux très grandes
entreprises, la direction nationale des vérifications de situations fiscales qui
sintéresse aux contribuables personnes physiques qui détiennent les revenus les
plus élevés ou qui ont acquis une certaine célébrité et, enfin, la direction
nationale des enquêtes fiscales, qui a une double mission opérationnelle et de
documentation.
Daprès les informations recueillies par la commission
denquête, il apparaît que le nombre de vérifications opérées par la direction
régionale a fortement varié au cours des dernières années. Le nombre le plus élevé
26 a été effectué en 1992 et le nombre le plus faible 5 a
été constaté en 1996. En 1997, elle en a effectué 13 et en a déjà engagé 27 au
cours du premier semestre de cette année.
La direction des vérifications nationales et internationales est très
peu intervenue en Corse : elle na réalisé que six opérations de contrôle
entre 1992 et 1997. Sa fréquence dintervention a été, pendant cette période,
deux fois moindre que sur le continent. La plus petite taille des entreprises corses est
largument avancé pour justifier cet écart. Il convient de noter que, dans le cadre
du plan daction, cette direction est appelée à intervenir plus fortement
puisquelle devrait réaliser plusieurs opérations de grande ampleur.
La direction nationale des vérifications de situations fiscales a
déployé, certaines années, une activité importante en Corse, plus soutenue que dans
les autres départements. Elle a ainsi conduit 19 vérifications en 1992 et 21 en 1993.
Par contre, un ralentissement de son activité a été observé en 1996 et 1997, année au
cours de laquelle elle na réalisé que 3 vérifications. En 1998, son activité
devrait retrouver un rythme plus soutenu : 6 vérifications étaient déjà
terminées à la fin du premier semestre et une vingtaine dautres devraient
lêtre avant la fin de lannée.
La direction nationale des enquêtes fiscales a réalisé en Corse,
depuis 1992, un trentaine denquêtes, dinterventions ou de vérifications,
travaux qui ont débouché sur une soixantaine de propositions de contrôle adressées aux
diverses structures compétentes, locales, régionale ou nationales. Ces chiffres
témoignent dune activité comparable à celle développée par la direction
nationale dans les départements présentant un tissu fiscal comparable.
Lexamen des résultats des opérations de contrôle fiscal
externe (toutes directions confondues) démontre lexistence dune fraude non
négligeable.
En 1997, 161 vérifications de comptabilité ont été effectuées.
Elles ont conduit au rappel de 217,2 millions de francs de droits et à
lapplication de 157,7 millions de francs de pénalités. Les rappels moyens par
vérifications atteignent donc environ 1.350.000 francs en Corse alors que, pour la
France entière, la moyenne nest que de 750.000 francs.
De même, 19 examens contradictoires de la situation fiscale
personnelle ont été réalisés en 1997. Ils ont permis le rappel de 13,8 millions
de francs de droits et lapplication de 7,7 millions de francs de
pénalités. Les rappels moyens atteignent donc 726.000 francs alors que la moyenne
nationale nest que de 634.000 francs.
· Le faible nombre des plaintes
déposées
Lactivité de contrôle fiscal est également
marquée par le faible nombre des plaintes déposées par les services fiscaux.
Daprès les informations communiquées à la commission
denquête par la direction générale des impôts, les services fiscaux nont
déposé que 41 plaintes depuis 1990 dans les deux départements de lîle :5 en
1990 pour les deux départements de la Corse, 6 en 1991, 3 en 1992, 2 en 1993, 8 en 1994,
3 en 1995, 3 en 1996, 7 en 1997 et 4 au cours des sept premiers mois de 1998.
La manière dont ces plaintes ont été traitées par la justice a fait
lobjet de commentaires contradictoires devant la commission denquête, les uns
évoquant un délai anormalement long, les autres un traitement conforme à celui
rencontré ailleurs. Ainsi, un responsable de ladministration fiscale indiquait que
" les délais sont très variables. Dans certains départements, les
tribunaux ne jugent pas plus vite quen Corse, alors que dans dautres, les
délais sont beaucoup plus courts. Dune manière générale, nous pouvons
considéré que les délais étaient excessifs en Corse jusquà ces derniers mois ".
Daprès les informations recueillies, 27 des 41 plaintes
déposées depuis 1990 ont été jugées en première instance. En outre, 3 ont fait
lobjet dun classement sans suite et une dune ordonnance de non lieu. 10
plaintes sont donc en cours dexamen par la justice, la plus ancienne datant de mai
1994.
Le calendrier dexamen des plaintes fiscales est donc le
suivant :
- pour les 5 plaintes déposées en 1990 : toutes jugées, 3 en 1991, une quatrième
en 1992 et la dernière en janvier 1993,
- pour les 6 plaintes déposées en 1991 : 5 jugées (la sixième ayant fait
lobjet dune ordonnance de non-lieu en 1995), 3 en 1993, une quatrième en
1995, une cinquième en 1996 (décision rendue par le tribunal de grande instance de
Paris)
- pour les 3 plaintes déposées en 1992 : toutes jugées, la première en 1993, les
deux autres en avril 1995,
- pour les 2 plaintes déposées en 1993 : toutes jugées, lune en 1994 et
lautre en février 1995,
- pour les 8 plaintes déposées en 1994 : seulement 3 ont été jugées (en 1995,
1996 et 1997), 3 ont fait lobjet dun classement sans suite, une a été
renvoyée pour une audience doctobre prochain, la dernière est encore en cours
dinstruction,
- pour les 3 plaintes déposées en 1995 : seulement deux ont été jugées en 1997,
- pour les 3 plaintes déposées en 1996 : toutes jugées, lune en 1997 et les
deux autres en 1998,
- pour les 7 plaintes déposées en 1997 : 4 ont déjà été jugées en 1998,
- pour les 4 plaintes déposées depuis le début de 1998 : aucune na été
jugée.
Les peines prononcées apparaissent faibles. Si la peine de prison est
presque systématique, elle est pratiquement toujours assortie dun sursis total.
Quant aux peines damendes, elles ne sont pas systématiques (elles nont pas
été prononcées dans 7 jugements) et nont que rarement dépassé
50.000 francs. Parmi les peines complémentaires, on observe laffichage ou la
publication du jugement (dans 19 cas) et, dans un seul cas, une interdiction de droits
civiques pour 3 ans.
La fraude peut revêtir plusieurs aspects : si la dimension
fiscale est la plus évidente, elle nen est pas lunique manifestation. De
forts soupçons pèsent en effet sur la fiabilité des modalités dattribution du
revenu minimum dinsertion (RMI) comme de lallocation adule handicapé (AAH).
2. Des soupçons de fraude pour certaines allocations
sociales
Lanalyse minutieuse de deux dispositifs daide
(le RMI et lAAH), fait apparaître des possibilités de fraude importantes en Corse,
ce qui est dautant plus regrettable que les détournements de ces aides se font au
détriment de ceux qui, au sein de la population insulaire, devraient en être les uniques
bénéficiaires.
a) Des lacunes avérées dans la gestion du dispositif RMI
Lors de la mise en place du RMI sur lensemble du
territoire français, les montées en charge du dispositif ont connu des évolutions
différentes selon les régions. En Corse, celle-ci fut extrêmement rapide : en
effet, au cours des douze premiers mois de mise en place, les deux départements
enregistrèrent les plus fortes progressions deffectifs de métropole, avec un taux
de 155 % en Corse-du-Sud et de 110 % en Haute-Corse, soit une hausse du nombre
dallocataires respectivement trois fois et deux fois plus forte quen
métropole. Depuis 1992, laugmentation du nombre de bénéficiaires a suivi celle de
lensemble du pays : à une période daugmentation importante entre 1992
et 1994 (avec des taux supérieurs à 15 % par an) sest substituée une phase
de décélération. Aujourdhui, le nombre de bénéficiaires reste très élevé. Plusieurs
indices permettent davancer que des possibilités de fraude existent et que les
ouvertures de droit sont réalisées de façon large sans que les contrôles dusage
soient réellement effectués.
· Un dispositif très présent dans
les deux départements
Plusieurs documents remis à la commission
denquête par la délégation interministérielle au revenu minimum dinsertion
lui permettent détablir les constats suivants :
Le nombre de bénéficiaires du RMI apparaît très élevé par
rapport à la population insulaire. Chaque département de Corse enregistre un nombre
deux fois plus élevé dallocataires du RMI que les départements français ayant un
nombre dhabitants proches. En juillet 1998, la région corse comptait 8.331
allocataires payés, 4.225 en Corse-du-Sud et 4.106 en Haute-Corse. En moyenne, pour 1.000
habitants, plus de 56 touchent le RMI en Corse-du-Sud et plus de 51 en Haute-Corse.
Comparativement au nombre de demandeurs demploi, le taux de
Rmistes atteint en Corse un niveau beaucoup plus élevé que dans les autres départements.
Le rapport entre le niveau du chômage et le nombre de bénéficiaires du RMI est en effet
très éloigné du ratio national. Avec un même taux de chômage, un département
métropolitain compte en moyenne 40 à 50 % de bénéficiaires du RMI de moins
quen Corse.
La rotation des effectifs paraît plutôt faible en Corse et se
caractérise par des flux dentrées et de sorties du RMI peu importants. En
Corse-du-Sud, la faiblesse de cette rotation et la rapidité de la montée en charge du
dispositif expliquent un temps de présence au RMI sensiblement plus long que dans les
autres départements métropolitains. Notons quen Haute-Corse, ce temps de présence
se rapproche davantage du niveau national.
Le montant moyen du RMI est plus élevé en Corse que le montant
moyen national. En juillet 1998, lallocation moyenne atteignait
2.167 francs en Corse-du-Sud et 2.031 francs en Haute-Corse, la moyenne
française se situant à 1.983 francs. Notons que le calcul du montant du RMI dépend
de nombreux paramètres : la taille de la famille, le montant des autres prestations
versées, le logement, les revenus extérieurs. Il semble que peu dallocataires
perçoivent ou déclarent percevoir des revenus autres que ceux du RMI en
Corse. Cela pose le problème du contrôle de la réalité des déclarations qui fait
lobjet de développements ultérieurs.
|
Population |
Taux de
chômage |
Nombre
de RMIstes |
Taux
de
bénéficiaires |
Nombre
dallocataires pour 1.000 habitants |
Allocation moyenne |
Corse-du-Sud |
124.371 |
13,3 % |
4.225 |
7,3 % |
56,9 |
2.167 |
Haute-Corse |
135.311 |
13,2 % |
4.106 |
6,6 % |
51,7 |
2.031 |
Ariège |
136.610 |
12,4 % |
2.969 |
5,4 % |
40,7 |
1.980 |
Cantal |
155.146 |
9,9 % |
1.966 |
3,1 % |
24,0 |
1.765 |
Creuse |
126.977 |
10,7 % |
1.670 |
3,6 % |
24,6 |
1.888 |
Lot |
156.900 |
10,5 % |
1.941 |
3,1 % |
23,6 |
1.923 |
Territoire de Belfort |
137.069 |
11,2 % |
2.038 |
3,4 % |
28,2 |
1.886 |
Moyenne |
|
12,2 % |
|
3,7 % |
|
1.983 |
Source : Rapport de lInspection générale
des affaires sociales sur les procédures dinstruction et dattribution du
revenu minimum dinsertion (RMI), juillet 1998
Comment expliquer que la part de la population concernée par le RMI
dans la région Corse est lune des plus élevées de métropole ? La commission
denquête considère que cette particularité sexplique en premier lieu par
les lacunes observées dans la gestion même du dispositif.
· Des allocations distribuées
largement en labsence de gestion globale du dispositif
Un récent rapport de lInspection générale des
affaires sociales a mis en évidence certaines défaillances dans les procédures
dinstruction et dattribution du RMI en Corse.
Il fait état de " chaîne dincohérence et de non
responsabilité de lÉtat, dans les deux départements ". En Corse,
les caisses dallocations familiales (CAF) ne sont pas en charge de la gestion du
dispositif : elles nont reçu aucune délégation en la matière. Ce sont des
services déconcentrés de lÉtat, les directions départementales des affaires
sociales (DDASS), qui doivent en principe gérer le dispositif et en assurer le contrôle.
Or, la mission récemment effectuée en Corse, dans le cadre de linspection
générale des affaires sociales, démontre toutes les faiblesses du système
actuel : " Il a semblé à la mission que, compte tenu du mode de
fonctionnement des deux DDASS et des deux CAF, il est tout à fait probable que
lallocation RMI ait été distribuée sinon largement tout au moins à de nombreuses
personnes qui nauraient pas dû en bénéficier. "
· Les carences en matière de
prévention et de contrôle des fraudes
Le rapport déjà cité relève labsence
daction de prévention de fraudes et de poursuites pénales à lencontre des
bénéficiaires ayant omis de déclarer les ASSEDIC, la formation rémunérée ou un
emploi. " Il ny a donc aucun risque pour ceux qui fraudent. "
Et le rapport dajouter : " Dans une société quelque peu fermée,
car insulaire, cela doit se savoir. "
Ainsi, certains allocataires du RMI " omettent " de
déclarer des ressources (les ASSEDIC, une pension alimentaire, une pension vieillesse, la
rémunération de leur formation par le CNASEA), ou ne séjournent plus sur le territoire
national. Lorsquune telle situation est constatée, la DDASS se contente de radier
les intéressés à partir du mois suivant la notification de la CAF. Il semble
quaucune plainte ne soit jamais déposée auprès du parquet par les DDASS.
Les renseignements détenus par les deux CAF semblent pour le moins
approximatifs, si lon en croit la récente mission de lIGAS qui note dans son
rapport que les réponses qui lui ont été fournies par les cadres de direction
étaient " peu fiables " : " la DDASS et la CAF se
renvoient la balle. On nest jamais sûr de savoir, entre la CAF et la DDASS, qui
donne le bon chiffre, qui décrit correctement la situation, qui couvre ou dénonce
qui. "
· Une gestion particulièrement
défectueuse en Corse-du-Sud
La situation paraît notablement dégradée en
Corse-du-Sud où la direction départementale des affaires sociales semble ne pas
maîtriser le dispositif dont elle na aucune vision globale. Daprès les
investigations de lIGAS, la DDASS possède une connaissance pour le moins
parcellaire des bénéficiaires du RMI.
Plus grave : la direction départementale des affaires
sanitaires et sociales napplique pas certaines dispositions législatives et
nhésite pas à prendre certaines libertés avec les textes en vigueur. Ainsi la
direction ouvre le droit au RMI et radie les bénéficiaires selon des critères qui lui
sont propres et ne correspondent nullement aux textes législatifs ou réglementaires
applicables. Par exemple, les contestations relatives au RMI sont systématiquement
traitées par la DDASS elle-même, qui préfère semble-t-il les traiter en
" recours gracieux " plutôt que de les transmettre à la commission
départementale daide sociale (CDAS), comme elle devrait le faire. Ainsi aucun
dossier na été examiné en commission départementale daide sociale depuis
au moins 1993.
Selon toute probabilité, ces recours gracieux seffectuent en
faveur des demandeurs car aucun dentre eux ne se retourne ensuite vers ladite
commission. Les agents en charge de la gestion du RMI ont dailleurs reconnu devant
la mission de lIGAS traiter les dossiers en dehors du cadre juridique normal. Le
rapport de lIGAS remarque par ailleurs un lien de parenté entre la personne
responsable du RMI à la CAF et celle en charge de ce dossier à la DDASS.
La CAF ne réalise pas de contrôle effectif sur les
sous-déclarations ou les omissions qui marquent les déclarations et ne sont
dailleurs pas considérées comme une manifestation de fraude. De ce fait, elles
ne font lobjet daucune poursuite pénale. De même, la récupération des
indus pose problème.
Contrairement à la situation qui prévaut dans de nombreux
départements, il nexiste pas à la DDASS de fichier dallocataires autre que
celui fourni par la CAF - qui dailleurs ne donne que très peu de
renseignements - , ni aucun fonds de dossier permettant de comprendre et de suivre
les décisions daccord, de dérogation ou de rejet. Ainsi " la lettre
type de proposition douverture de droit transmise par la CAF à la DDASS est
totalement neutre (à la demande de la DDASS daprès ce que nous a dit la CAF, et le
fonds de dossier nexistant pas, il est impossible de vérifier, à la DDASS, le
bien-fondé ou non de la décision. "
En outre, des personnes sont réintégrées dans le dispositif
RMI sans que soient appliquées les dispositions législatives contraignant
lintéressé à élaborer, puis à faire valider un nouveau contrat dinsertion
par la commission locale dinsertion. En Corse-du-Sud, les réintègrations
interviennent en labsence de tout nouveau contrat. Interrogés à ce sujet par la
mission de lIGAS, les agents de la DDASS ont prétendu tenir compte des situations
particulières. Il savère que ces fonctionnaires ne demandent en réalité aucune
pièce justificative leur permettant de prendre une décision dopportunité.
Contrairement à ce que prévoient les textes (circulaire du
26 mars 1996), il nexiste pas de plan de contrôle du dispositif du RMI
visant à mettre au point une politique de contrôle local, associant notamment les
organismes instructeurs et les commissions locales dinsertion :
" la DDASS déclare que la CAF ne lui a jamais présenté de plan de contrôle,
ce à quoi la CAF répond quon ne lui a jamais demandé ".
Dailleurs, la CAF ne respecte pas linstruction de la
circulaire du 26 mars 1983 prévoyant le contrôle mensuel de 15 % des ouvertures de
droit et de 1 % du stock. Or des contrôles plus réguliers permettraient de
mettre en évidence certains versements indus. Ceux-ci sont fréquemment provoqués par le
versement, après louverture du droit, dautres prestations (comme les pensions
vieillesse) nétant pas signalées par le bénéficiaire. Daprès les chiffres
de la CAF de Corse-du-Sud, 2.052 cas dindus auraient déjà été détectés en 1997
pour un montant moyen de 1.623,96 francs.
Le niveau daccès des bénéficiaires du RMI au dispositif
dinsertion, proche du niveau national en Haute-Corse, reste nettement plus faible en
Corse-du-Sud. En 1996, plus dun bénéficiaire du RMI sur deux possédait un
contrat dinsertion en cours de validité dans le département de Haute-Corse. Ce
taux, bien que sensiblement inférieur à ce que la loi prévoit, demeure proche de celui
observé à léchelle nationale. Le niveau daccès aux mesures-emploi en
Haute-Corse paraît voisin du niveau national : 17 % du stock dallocataires
étaient concernés par ce type de contrats (comme le contrat emploi solidarité) en 1997,
soit seulement un point de moins quen métropole. Cest en Corse-du-Sud que la
situation semble la moins favorable. Le taux de contrat dinsertion 13 % au
premier semestre 1997 comme le taux daccès aux mesures emploi
12 % en 1997 se situaient parmi les taux les plus bas en France. En 1997, un
allocataire du RMI avait quatre fois moins de chance davoir un contrat
dinsertion dans le sud de lîle que dans le nord.
Cette situation explique quune partie des crédits
dinsertion ne soit pas consommée en Corse-du-Sud.
· Des constations plus nuancées en
ce qui concerne la situation en Haute-Corse
Dans son rapport, lInspection générale des
affaires sociales établit un constat moins préoccupant pour la Haute-Corse que pour la
Corse-du-Sud. En Haute-Corse, il semble en effet que le dispositif soit géré de façon
plus conforme aux textes en vigueur : " comme dans le département de la
Corse-du-Sud, le dispositif RMI nest pas piloté. Toutefois, il a semblé à la
mission que cest surtout par méconnaissance et maîtrise insuffisantes du
dispositif dans sa globalité que cela fonctionne mal. "
Il faut toutefois noter que la CAF de Haute-Corse na jamais
engagé de poursuites pénales quel que soit le montant de lindu ou son origine. " Si
lallocataire qui a un indu est toujours dans le dispositif RMI (ce qui signifie que
la CAF peut récupérer lindu) et ne demande pas de remise gracieuse, la CAF
nen informe jamais la DDASS. Il ne semble pas que cette dernière ait demandé
dêtre tenue au courant des indus et ait cherché à maîtriser mieux la
situation. "
· La nécessaire reprise en mains
Les divers éléments fournis à la commission la
conduisent à préconiser un réexamen en profondeur de lensemble du
dispositif dans les deux départements de Corse.
- Les équipes chargées de gérer cette allocation, en place depuis de nombreuses
années, doivent être renouvelées ou tout du moins remobilisées.
Lensemble de
la gestion pourrait être centralisé au niveau des DDASS à condition de recruter ou de
former du personnel très qualifié ayant de solides connaissances juridiques. Dans son
rapport, lIGAS suggère de " muter dans lintérêt du service
public les fonctionnaires ou les contractuels des deux DDASS de la Corse sur le continent
après au maximum 5 ans en poste en Corse. "
- Les circuits de décision mériteraient dêtre clarifiés car la dilution des
responsabilités est aujourdhui totale entre la CAF ou de la DDASS. Dans son
rapport, lIGAS suggère de renforcer la mission dinstruction administrative et
de contrôle du RMI incombant aux CAF. Le dispositif ne pourra devenir transparent et
fiable sans un investissement net de la part de chacune des CAF dans les deux
départements. Comme le préconise le rapport déjà cité, il convient de fixer des
objectifs aux CAF et de veiller à leur exécution ; leur travail doit en outre faire
lobjet dun contrôle a posteriori.
- Enfin, les activités de contrôle des situations des demandeurs doivent être
renforcées et des poursuites pénales engagées en cas de fraude importante. Il
nest pas acceptable que le dispositif du RMI soit détourné de son objet par des
personnes qui établissent en toute impunité des déclarations parfaitement erronées.
Des échanges de fichiers entre les ASSEDIC, le CNASEA, les services fiscaux et la DDASS
pourraient être mis en uvre afin de donner aux DDASS des moyens accrus de contrôle
et de détection des anomalies. Par ailleurs, une politique claire doit être définie
concernant les cas de remise de dette ainsi que ceux de poursuites pénales.
Il sera à lévidence nécessaire quun audit plus complet
sapplique à la chaîne des décisions intervenant dans lattribution du RMI.
Le rôle des élus locaux et des travailleurs sociaux devra être examiné, ainsi que le
fonctionnement des commissions locales dinsertion.
b) Des largesses dans les conditions dattribution des
allocations aux adultes handicapés (AAH)
Cette prestation a fait lobjet, elle aussi,
dune récente étude de lInspection générale des affaires sociales.
· Un taux record de bénéficiaires
de lAAH
Ancien, le phénomène de sur-représentation des
allocations aux adultes handicapés en Corse se traduit par lexistence dun
" stock " de bénéficiaires important et stable depuis plusieurs
années.
- Rapporté au nombre dhabitants de lîle, celui des bénéficiaires de
lAAH en Corse-du-Sud et surtout en Haute-Corse, est entre deux et trois fois plus
élevé que le taux national.
Lécart est de 1 à 7 entre le département le
plus bénéficiaire, la Haute-Corse, et le moins bénéficiaire, les Yvelines. En Corse,
62,5 % des allocataires sont des femmes ; la population concernée vit en
moyenne plus souvent en couple et est plus âgée dans lîle que sur le continent.
Contrairement à lévolution nationale, le nombre dallocataires (environ
6.100) sest stabilisé depuis 1989, année dapparition du revenu minimum
dinsertion (qui couvre comme on la vu plus de 8.300 personnes).
- Le flux de demandes, qui ne décélère pas, reste toujours supérieur au taux observé
sur le continent.
Ces demandes oscillent entre 1.500 et 2.100 par an pour lAAH.
Pour lallocation compensatrice tierce personne (ACTP), elles ont augmenté
jusquà un flux de 2.500 par an en 1995, qui sest ensuite réduit avec
ladoption de la loi du 24 janvier 1997 créant la prestation dépendance. La demande
fluctue selon les années entre 6,4 et 8,4 pour 1.000 habitants en Corse, alors que ce
taux se situe entre 3,9 et 4,4 pour 1.000 habitants pour la France entière, soit la
moitié du taux observé dans lîle.
- Le poids des renouvellements est particulièrement lourd en Corse
. En 1997,
70 % des demandes portaient sur des renouvellements en Haute-Corse et 68 % en
Corse-du-Sud, alors que le taux national était de 57 %. Les décisions de
reconnaître comme handicapées de nombreuses personnes au cours dune année ont
incontestablement des conséquences sur le maintien dun stock important de
bénéficiaires par la suite.
- Le taux des premières demandes reste également supérieur au taux continental
(2,1
demandes pour 1.000 habitants dans les deux départements, contre un taux national de 1,9
pour 1.000 habitants). Or ces taux devraient logiquement être plus bas en Corse, compte
tenu du fait que le stock y est déjà plus important quailleurs.
- Les demandes de cartes dinvalidité qui supposent un taux
dincapacité supérieur ou égal à 80 % connaissent également une
hausse spectaculaire
(98 % en cinq ans) notamment en Corse-du-Sud, où elles
progressent de plus de 30 % par an en moyenne. Il convient de relever que lobtention
de ces cartes donne lieu à des exonérations fiscales (une demi part supplémentaire
pour le calcul de limpôt sur le revenu, lexonération de la vignette auto en
cas de mention " station debout pénible ", lexonération de la
redevance audiovisuelle, les exonérations concernant la taxe dhabitation et la taxe
foncière).
· Les dysfonctionnements des
COTOREP
Au total, lenjeu financier nest pas
négligeable puisque lAAH
qui constitue le minimum social le plus élevé représente en
Corse une dépense denviron 210 millions de francs, lACTP de 200
millions ; les exonérations fiscales, plus difficiles à chiffrer, atteindraient
environ 100 millions. Doù la nécessité dexaminer le fonctionnement des
COTOREP, chargées dans chaque département de traiter les demandes dinscription.
Le laxisme paraît particulièrement avéré dans le cas de la
COTOREP de Corse-du-Sud qui, selon les termes de la récente note de lInspection
générale des affaires sociales, " distribue généreusement aides et
allocations, refuse peu, accorde beaucoup, y compris ce qui ne lui est pas demandé, et ce
pour une longue durée ", tandis que la COTOREP de Haute-Corse " commence
timidement à refuser davantage ou à limiter la durée de certaines aides, mais accorde
un nombre dAAH " 35-2 " très supérieur à la moyenne
nationale ". Rappelons que larticle 35, alinéa 2 de la loi
dorientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, codifié dans le
code de la sécurité sociale à larticle 821-2, permet dattribuer une AAH
avec un taux dinvalidité de 50 % seulement, et non 80 %, si le handicap
de la personne lempêche de se procurer un emploi. Cette disposition fait
lobjet dinterprétations variables dune COTOREP à lautre. En
labsence dune doctrine générale et claire, lapplication faite en
Haute-Corse notamment résulte de linterprétation la plus favorable.
Ni létat sanitaire ni la situation de lemploi ne
permettent dexpliquer cette situation particulière à la Corse. Il ne semble
pas que laugmentation du nombre dallocataires soit liée à une augmentation
des pathologies susceptibles de provoquer des handicaps. Dailleurs, létat
sanitaire de la population sanitaire en Corse est généralement jugé satisfaisant.
Loffre de soins, abondante, est de bonne qualité.
Lanalyse des causes de décès montre limportance des
maladies vasculaires et cancéreuses, mais cela sexplique par le vieillissement de
la population. En revanche, les traumatismes, maladies mentales, maladies du système
nerveux qui permettraient dexpliquer un taux plus important de handicaps
physiques ou mentaux, acquis ou congénitaux , ne connaissent pas de taux
particulièrement élevés en Corse.
A la suite du contrôle effectué sur place, la mission de lIGAS
a constaté, dans la note détape déjà citée, que des anomalies dans
lattribution des allocations étaient manifestes pour ce qui concerne les aides en
2 ème section. Daprès la mission, qui a travaillé en collaboration avec la
DRASS et deux médecins, des doutes peuvent être émis sur la fiabilité du contrôle
réalisé par la COTOREP de Corse-du-Sud : " il existe un fort
écart entre les taux dinvalidité déterminés par la mission conformément au
guide-barême et ceux déterminés par léquipe technique. Cette situation diffère
de ce que lon observe pour les autres COTOREP, dans lesquelles le décalage est
faible. (
) Au bout du compte, la décision prise (quil sagisse dun
accord ou dun refus) apparaît cohérente avec le contenu du dossier dans 37 %
des cas. Dans 30 % des cas, une aide a été accordée sur un taux surévalué ;
dans 7 % des cas, laide accordée paraît inadéquate à la situation de la personne
demanderesse ; enfin dans 26 % des cas, le dossier ne permet pas de conclure si
laide la été à juste titre ou non ".
Daprès la mission de lIGAS, la situation
apparaîtrait moins préoccupante en Haute-Corse : " à la
différence de la Corse-du-Sud, les spécialistes sont moins exclus du dispositif. Les
examens cliniques effectués par les deux médecins permanents de léquipe technique
paraissent plus nombreux, plus sérieux, et plus conformes au guide-barême que ceux
effectués à la COTOREP dAjaccio. (
) Au bout du compte, la décision prise
par la COTOREP (quil sagisse dun accord ou dun refus) apparaît
cohérente avec les éléments contenus dans le dossier, tel que les deux médecins
inspecteurs de la mission ont pu en prendre connaissance, dans 45 % des cas. Dans 22
% des cas, une aide a été accordée sur un taux surévalué ; dans 11 % des cas,
lattribution est inadéquate ; enfin dans 21 % des cas, le dossier ne
permet pas de conclure si laide la été à juste titre ou non. ".
Dune manière générale, il semble que les attributions
dallocations et daides diverses vont nettement au-delà de ce que permettent
les éléments contenus dans les dossiers.
En outre, chacune des deux COTOREP adopte des politiques
différentes. Ainsi alors que les demandes dAAH de personnes de plus de 60 ans sont
acceptées de façon très large par la COTOREP de Corse-du-Sud, celle de Haute-Corse
préfère renvoyer les dossiers vers le Fonds national de solidarité, ce qui paraît plus
adéquat. Les deux COTOREP choisissent la plupart du temps les interprétations les
plus favorables aux demandeurs et donc les plus coûteuses, en profitant par exemple
du flou qui existe en ce qui concerne la nécessité ou non dattendre la
consolidation du handicap (cest-à-dire attendre que laffection ou
laccident soit à un stade stable) pour déterminer le taux dinvalidité et
accorder des aides.
· Lattitude contestable de
certains médecins
Lattitude de certains médecins doit probablement
faire lobjet dune attention particulière. LInspection générale
des affaires sociales fait, dans sa note détape, le constat suivant : " Dans
léchantillon examiné par les médecins de la mission, les certificats médicaux
émanaient de 64 médecins différents, plus quatre dorigine indéterminée. Mais
les certificats médicaux de près dun quart des malades provenaient de 6 cabinets
médicaux seulement. Lun de ces cabinets, qui regroupe notamment deux médecins de
la même famille, à Porto-Vecchio, a vu passer 9 % des malades. Comptetenu du
nombre de médecins exerçant en Corse-du-Sud (262 en 1997, dont 112 spécialistes et 150
généralistes), lécart entre le pourcentage calculé attendu (0,38 %) et ce
résultat est statistiquement significatif. Deux explications sont possibles :
- soit il existe des sortes de filières,
- soit certains médecins délivrent des certificats de façon particulièrement prodigue,
pour ne pas dire complaisante, hypothèse qui paraît confortée par les statistiques
dactivité de la sécurité sociale. "
· Les actions urgentes à mettre en
oeuvre
Il sera sans doute nécessaire dapprofondir un
certain nombre déléments évoqués ci-dessus. Néanmoins, on peut dores et
déjà préconiser quelques orientations.
- La première urgence est détablir un système de contrôle régulier afin de
mettre un terme aux abus les plus manifestes et de donner aux personnes intéressées un
signal fort pour dissuader les demandes non sérieuses.
Mais linversion de cette
tendance risque dêtre difficile à mettre en uvre. La mission de lIGAS
relevait pour sa part labsence de culture du contrôle, lensemble du
dispositif étant fondé sur le système déclaratif. " Si les causes
naturelles de sorties représentent la moitié des cas (décès, admission aux avantages
vieillesse, déménagements) et si les causes liées au fonctionnement du dispositif
(refus de la COTOREP, niveau de ressources supérieur au plafond) représentent moins
dun quart, on note en revanche que plus du quart des sorties est douteux :
certains " nhabitent plus à ladresse indiquée "
(NHPAI) ; dautres " oublient " de demander le
renouvellement de leur AAH ; dautres enfin nenvoient jamais les rares
justificatifs demandés. Tous ces modes de sortie devraient faire lobjet dun
contrôle dans le but de rechercher des probables indus. "
- Il convient, en second lieu, de sensibiliser le corps médical insulaire à la
nécessité deffectuer des contrôles sincères des personnes afin détablir
un diagnostic fiable.
Il nest pas acceptable que les taux dincapacité
soient surévalués, ce qui correspond semble-t-il à une pratique assez largement
répandue.
- La troisième action prioritaire est de combler les lacunes dans le système de prise en
charge des personnes lourdement handicapées, qui se traduisent notamment par un manque
détablissements médico-sociaux capables de les accueillir.
Le dispositif AAH
est coûteux, car de nombreuses personnes sont chaque année
" reconnues " handicapées, mais paradoxalement, il ne permet pas de
prendre en charge de façon adéquate, les " vrais " handicapés
lourds habitant dans lîle. Le sort de ces derniers devrait être amélioré. Déjà
en 1994, une enquête de la direction régionale des affaires sociales (DRASS) avait
permis de constater un déficit de 11 places dans les établissements socio-médicaux de
Corse-du-Sud et de 41 places en Haute-Corse. Comme la noté lIGAS " sil
existe une nette augmentation des personnes reconnues handicapées en Corse, bénéficiant
à ce titre dallocations et davantages divers, ce système coûteux
pour la nation nest pas pour autant satisfaisant pour les vrais handicapés
lourds de lîle, délaissés au profit dune clientèle plus
autonome. "
3. Le détournement possible des aides communautaires
Il y a quelques années, laffaire des "vaches
corses " et des primes européennes détournées ont été à lorigine de
nombreux articles de presse. Moins médiatisées, les difficultés des services de
lÉtat pour assurer un suivi systématique et constant des opérations financées
grâce à des fonds structurels européens sont également préoccupantes, même si de
nets progrès ont déjà été accomplis en la matière.
a) Laffaire des primes agricoles en Haute-Corse
La révélation des pratiques frauduleuses en matière
daides agricoles communautaires a fait suite à une enquête réalisée du 9 au 16
septembre 1994 en Haute-Corse à linitiative de M. Jacquot, alors directeur du
FEOGA. Quelles en ont été les suites ? Quelles conclusions peut-on en tirer
aujourdhui ?
· Les anomalies et pratiques
abusives révélées par le rapport Jacquot
Le point de départ de cette enquête était
lallégation selon laquelle la prime à la vache allaitante était à lorigine
des incendies dévastant régulièrement le maquis corse. Un haut fonctionnaire
communautaire ayant participé à la mission Jacquot a déclaré devant la commission
denquête : " Nous nous trouvions face à deux affirmations
contradictoires. Lune, provenant des milieux écologistes, reprochait aux
subventions communautaires davoir contribué à laugmentation exponentielle du
cheptel dont le nombre aurait été multiplié par trois en dix ans. Les ressources
alimentaires nayant pas suivi, cela obligeait, nous disait-on, les bergers à mettre
le feu au maquis pour permettre aux animaux de trouver leur nourriture. Une autre source
indiquait que le système des primes en Corse était très particulier et ouvert à de
nombreuses possibilités de fraudes ". (...)
Lenquête, qui fut diligentée sous la procédure dite
dapurement des comptes, consista, dune part, à vérifier auprès de
ladministration locale en Corse les mécanismes de contrôle mis en uvre par
les autorités françaises, et dautre part, à effectuer des contrôles sur place
pour apprécier de façon pratique comment ces contrôles étaient effectivement
organisés. La mission, qui dura cinq jours en septembre 1994, permit de mettre en
évidence certaines anomalies préoccupantes dans lorganisation administrative. Le
rapport Jacquot indique en effet : " il napparaît pas que
soient données les instructions indispensables et que soient suffisants les moyens de
tous ordres, mis à la disposition des services locaux, pour que ceux-ci puissent remplir
efficacement leur tâche de gestion et de contrôle. "
A partir dun examen des dossiers tenus à la direction
départementale de lagriculture et de la forêt et de contrôles sur le terrain (12
communes et, dans chacune delle, une demi-douzaine de dossiers déleveurs), la
mission fut amenée à établir des constats sévères, exposés dans un rapport bref (8
pages) et percutant, et repris dans une publication annuelle de la Commission européenne,
" La protection des intérêts financiers de la communauté. La lutte contre la
fraude ".
Lors de linspection, qui porta sur lexercice 1993, les
contrôleurs relevèrent différents procédés utilisés pour bénéficier indûment de
deux catégories de primes européennes : lindemnité spéciale montagne (ISM)
et la prime à la vache allaitante (PVA). Il suffisait dans le premier cas de
domicilier le troupeau installé en plaine sur une commune classée zone de montagne,
grâce à la complaisance du maire concerné, aucun contrôle réel nétant par la
suite effectué concernant lidentification des terrains où les troupeaux étaient
supposés paître.
Alors que larticle 5 du règlement CEE 3887 / 92
relatif à la prime à la vache prévoit lobligation de signaler dans la demande
daide toutes les informations nécessaires sur le lieu de rétention des animaux,
lexamen des dossiers permit à la mission de constater que, bien souvent, les
demandeurs ne signalaient pas ce lieu avec précision et quils se contentaient
dinscrire le nom de la commune où lexploitation était localisée (et non le
troupeau). Lors des contrôles effectués sur le terrain, il a été également constaté
à plusieurs reprises que les troupeaux ne se trouvaient pas sur les surfaces appartenant
à lexploitation en question. De même, la réglementation communautaire
nétait pas respectée au regard de la notion d " animal
éligible ". En outre, il a été constaté quil nexistait pas de
véritable suivi sanitaire des animaux en Haute-Corse.
Les contrôleurs découvrirent que certains fraudeurs résidaient en
réalité en région parisienne. Dans dautres cas, lexistence même du cheptel
ne pouvait être établie. Enfin, lindemnité spéciale montagne, limitée aux
troupeaux de 50 bêtes, donnait lieu à lutilisation fréquente de prête-noms. Un
propriétaire de plusieurs centaines de bêtes pouvait ainsi, en divisant artificiellement
son cheptel en unités de 50, attribuées à des membres de sa famille, multiplier le
gain.
Un haut fonctionnaire communautaire ayant participé à la mission
Jacquot a déclaré devant la commission denquête : " Nous nous
sommes aperçus quau sein de la DDAF, une seule personne procédait
au contrôle administratif des demandes, ce quelle ne pouvait faire compte tenu de
la masse de celles-ci. Pour les deux indemnités les plus importantes, la prime à la
vache allaitante et lindemnité spéciale montagne, plus de deux mille demandes
étaient répertoriées par an. Il était impossible à une personne dorganiser le
contrôle administratif des demandes et dorienter les contrôles sur place. La
deuxième anomalie qui nous a frappés était labsence, dans le département de
Haute-Corse, de fichier informatisé actualisé didentification des animaux. Ce
fichier était tenu par la Chambre départementale de lagriculture. Le jour où nous
y sommes allés, il était en panne. En fait, il nexistait plus depuis un an. La
responsabilité de lidentification des animaux était le fait des vétérinaires
privés qui distribuaient les boucles, en hiver, lors des mesures de prophylaxie.(...)
" Nous nous sommes aperçus que la définition de la vache
allaitante retenue nétait pas la même que celle fixée par la réglementation
communautaire. Celle-ci fait état de vaches ayant vêlé ou admet la possibilité de
remplacer une vache ayant vêlé par une génisse sur le point de mettre bas. En Corse, la
direction départementale de lagriculture avait décidé que pouvait être
considérée comme vache allaitante toute vache dun âge supérieur à 18 mois, sans
considération de la nécessité quelle ait vêlé. Or les vaches corses présentent
la spécificité de vêler entre trente et quarante mois. Les demandes étaient donc
présentées pour des animaux non éligibles.
Nous avons également été surpris dapprendre que les
animaux nétaient pas visibles sur place. Ils étaient déclarés résider dans
une commune déterminée, mais on nous expliquait quils se trouvaient dans la
montagne parce que cétait la période destive.
En outre, il ny avait pas didentification du foncier.
Pour bénéficier dune prime, il faut, pour des raisons écologiques, une certaine
densité à lhectare. Pour 1994, elle était fixée à trois unités de gros bovins
par hectare. En fait, nous navons pas vu de propriétés. La plupart du temps, nous
avons vu des estives communales partagées sans que personne ne sache exactement qui en
avait le droit dutilisation.
Nous avons été surpris aussi par la définition de
lexploitant agricole. Nous avons rarement trouvé dexploitants agricoles.
Il sagissait parfois de gens résidant ailleurs quen Corse ou en ville, à
Bastia ou à Ajaccio, mais qui nhabitaient pas dans la commune où leur troupeau
était censé se trouver.
Enfin, nous avons été particulièrement étonnés par
lutilisation de prête-noms. La prime à la vache allaitante ainsi que
lindemnité spéciale montagne sont soumises à des limites. Pour la vache
allaitante, il sagit dun droit à prime introduit en 1993, fixé en fonction
des droits détenus en 1992. Ces droits sont arrêtés chaque année par la direction
départementale de lagriculture. Concernant lindemnité spéciale montagne, la
limite fixée par les autorités françaises est de 50 unités de gros bovins. Pour
dépasser ces limites, certains propriétaires de gros troupeaux ont utilisé des
prête-noms. Nous nous sommes trouvés en face de personnes qui ne connaissaient pas la
composition exacte de leur cheptel. Il était manifeste quils navaient pas
rempli la déclaration quils avaient déposée. (...)
Loctroi de lindemnité spéciale montagne est
soumise à plusieurs conditions. Lune est que lexploitant doit résider en
permanence dans la zone où il déclare avoir son exploitation . Une autre est liée aux
conditions de lactivité, à savoir quil doit être exploitant à titre
principal. (...) Dans ce domaine, nous avons rencontré le même problème quavec la
prime à la vache allaitante : on utilisait des prête-noms pour justifier dune
résidence. Lorsquon cherchait à savoir le lieu où résidaient les personnes qui
demandaient les primes, on ne le trouvait pas. (...) Après avoir visité douze communes
qui représentaient soixante-dix exploitants, nous avons décelé cinquante-et-une
anomalies. "
· Les suites données à la mission
En conclusion de ce rapport, il était demandé aux
autorités françaises de prendre des mesures concrètes de redressement individuel à
lencontre des bénéficiaires en situation dirrégularités, et
deffectuer un audit des conditions doctroi des indemnités spéciales montagne
de 1988 à 1992. La Commission européenne annonçait (pour le département de la
Haute-Corse) la suspension des avances et paiements du FEOGA concernant lISM pour
1993 et les années suivantes, et concernant la prime à la vache allaitante pour 1995 et
les années suivantes. Elle décidait de procéder à une réduction financière et
forfaitaire de 50 % des dépenses encourues pour le FEOGA au titre de lexercice
1994 pour la prime à la vache.
En réponse, le gouvernement sengagea à renforcer ses contrôles
grâce à la mise en place dun système efficace didentification animale en
Haute-Corse, et annonça que les irrégularités constatées feraient lobjet de
sanctions. Au printemps 1996, la Commission européenne se déclarait satisfaite,
globalement, par les actions entreprises par les autorités françaises.
Un haut fonctionnaire communautaire a apporté les précisions
suivantes à ce propos : " Le FEOGA, en collaboration avec
lUCLAF et le contrôle financier, a utilisé larme de lapurement des
comptes. Ayant estimé que le système mis en place par les autorités françaises ne
garantissait pas la régularité des dépenses, il a décidé den retenir une
partie. Dans un premier temps, le directeur général de lagriculture avait décidé
la suspension du versement des primes par le FEOGA à la France, pour ce qui concernait la
Corse, en demandant aux autorités françaises de prendre un certain nombre de
mesures : lexamen systématique de lensemble des demandes pour les quatre
dernières campagnes, la poursuite effective des cas dirrégularités et leur
communication aux services de la Commission, suivant la procédure prévue à cet effet
(
). Cette suspension a été levée après que les autorités françaises eurent
présenté un plan de réorganisation. Ce plan prévoyait une augmentation des
effectifs de contrôle, le changement de statut des agents chargés du contrôle sur place
nous avions constaté quil sagissait de vacataires embauchés pour
trois mois et résidant dans la commune quils étaient chargés de contrôler, de
sorte quils étaient soumis à la pression du milieu ambiant et la poursuite
des cas de fraude. "
Daprès un ancien haut responsable communautaire très au
fait de ce dossier, " ce qui na pas été obtenu des autorités
françaises, cest quelles remontent dans le temps le contrôle
portait sur lannée 1993 afin de contrôler certains individus tels que cet
homme, secrétaire dun académicien, se déclarant agriculteur de la montagne
et percevant à ce titre une prime de la Communauté et habitant quai Conti à
Paris ! Ladministration nous a répondu avec cette formule :
" pour des raisons dordre public, nous ne pouvons accéder à votre
demande. " Il a donc été décidé que la communauté française et
donc le contribuable allait payer ces sommes indues, résultant des corrections
financières décidées par la Commission ".
Selon le ministère de lAgriculture, lidentification
animale (identification individuelle des bovins par cheptel) seffectue désormais
par la Chambre dagriculture de façon efficace. Il aurait été décidé
dexclure les génisses des animaux éligibles à la prime et les exploitations non
situées en zone de montagne pour lindemnité spéciale montagne. Toujours selon le
ministère, et contrairement à ce que daucuns avaient prétendu, le gouvernement de
lépoque ne se serait pas substitué au FEOGA lorsque les aides ont été
suspendues. En revanche, cest bien le contribuable français qui a assumé la charge
des sommes perçues indûment et jamais reversées.
· Quelles conclusions en tirer
aujourdhui
La direction départementale de
lagriculture et de la forêt, qui nétait pas dotée des moyens de contrôle
adéquats en 1994, est-elle aujourdhui dotée des moyens nécessaires aux
vérifications sur la réalité des déclarations ?
Il semble que ce service ait négligé, dans le passé, ses activités
de contrôle par manque de moyens ou de volonté. Il est toutefois difficile de mesurer le
degré dorganisation de la fraude qui sétait développée en matière
dattribution de la prime à la vache allaitante. Un haut fonctionnaire communautaire
ayant participé à la mission Jacquot a expliqué devant la commission
denquête : " Le système de prête-nom na été possible
que parce que les élus corses, notamment les maires, lont permis, car cest la
délivrance des attestations de résidence qui permettait de bénéficier des primes.
(
) On peut simplement dire quil existait un usage relativement répétitif du
prête-nom. La plupart des gens que nous avons rencontrés ne connaissaient pas la
consistance exacte de leur cheptel. "
Lorsque le rapport Jacquot a été rendu public, la Commission
européenne na pas manqué de stigmatiser lattitude des pouvoirs publics
français en dénonçant leur inertie. Les renseignements obtenus par la commission
denquête la portent à considérer que des progrès restent toujours à accomplir
par les services déconcentrés de lagriculture, au niveau départemental et
régional, en matière de contrôle. Le rapport Jacquot a mis en lumière la
déconcertante facilité avec laquelle la fraude a pu sinstaller en Haute-Corse. Il
nest pas certain que la situation ait radicalement évolué depuis.
Dune manière générale, laffaire des
primes agricoles a montré que les autorités françaises ne sétaient guère
préoccupées du bon emploi des primes agricoles européennes avant la publicité faite
autour du rapport Jacquot. Cette attitude a-t-elle réellement évolué ? Il est
difficile de le dire.
Un haut fonctionnaire communautaire membre de lUCLAF a
estimé : " Nous avons eu souvent le sentiment, surtout dans notre
domaine, où nous sommes amenés à aller sur le terrain, que les autorités nationales,
dune façon générale, considèrent que les crédits communautaires, cest de
largent qui vient dailleurs ". Ce constat ne sapplique pas
quaux seules primes agricoles ; il est également valable pour la consommation
des fonds européens structurels.
b) Un déficit de contrôle dans lutilisation des fonds
structurels
Au terme de ses travaux, la commission tient à
souligner le manque de moyens mis à la disposition des services déconcentrés pour
assurer le meilleur suivi possible des programmes communautaires.
· La responsabilité des services
de lÉtat
La Corse est certes dotée dun statut particulier
et la répartition des compétences entre lÉtat et ses partenaires la
Collectivité territoriale et ses offices doit être prise en compte.
Néanmoins, la responsabilité de lÉtat, qui résulte des engagements
communautaires de la France, demeure pleine et entière en ce qui concerne la gestion des
fonds structurels dans cette région. Celle-ci ne saurait être déléguée ni se partager
avec dautres instances que les autorités administratives.
Cest le secrétariat général pour les affaires corses (SGAC)
qui, au sein de la préfecture, est responsable du suivi des programmes européens et doit
fournir à linstance habilitée à certifier les dépenses (le préfet de région ou
le secrétaire général) les données collectées auprès des maîtres douvrage ou
des services coordonnateurs.
· Les lacunes actuelles des
modalités de contrôle
Dénoncées dans plusieurs rapports, certaines
insuffisances du système ont persisté et doivent être signalées.
Du 4 au 8 juillet 1994, une mission de contrôle du Programme
opérationnel intégré (POI) de la Corse fut diligentée par les services de la direction
générale chargée du contrôle financier à la Commission européenne (DG XX). Dans un
rapport remis le 30 mars 1995, il est indiqué : " Il nexiste
jamais au SGAC de situation exhaustive, sur base de données comptables collectées
périodiquement, des investissements réalisés dans le cadre des programmes financés par
le FEDER. (
) Aucun système de comptabilité séparée, ni de codification comptable
adéquate nexiste auprès du SGAC ou du maître douvrage permettant
davoir des états récapitulatifs reprenant lensemble des transactions
relatives aux opérations cofinancées par le FEDER ". Ces
constatations, sévères, donnent le sentiment que les représentants de lÉtat en
Corse nont pas les moyens de contrôler réellement le suivi des opérations FEDER
dans lîle.
En décembre 1996, un rapport de lInspection générale de
ladministration du ministère de lIntérieur relatif à
" lassistance technique des fonds structurels européens en région
Corse " mentionnait également les difficultés rencontrées par le secrétariat
général pour les affaires corses dans les termes suivants : " la
mission a constaté que le SGAC souffrait dun retard sur trois points
importants : linformatisation de la gestion des fonds européens (
),
linformation qui ne paraît pas suffisamment assurée auprès des porteurs de
projets, notamment par lédition de brochures et de plaquettes permettant de
présenter les différentes aides de façon claire et didactique, lappui aux
opérateurs sur le terrain et leur contrôle éventuel ".
Une mission effectuée plus récemment a établi quen dépit
des efforts entrepris à partir de 1996 sous limpulsion notamment du préfet Claude
Erignac, le SGAC restait relativement démuni et demeurait une structure trop légère. De
plus, le rapport relevait que le service déconcentré désigné comme coordonnateur
dun fond nassurait pas systématiquement linstruction des opérations
correspondantes. Cette instruction peut être réalisée par un service de lÉtat,
un service de la Collectivité territoriale ou un office. Daprès cette analyse, la
présence des offices naurait guère facilité la maîtrise des informations par les
services de lÉtat.
· Des améliorations à confirmer
De 1996 à février 1998, lorganisation du suivi et du
contrôle des fonds européens fut marquée par la volonté du préfet Claude Erignac de
renforcer les outils de contrôle du secrétariat général pour les affaires corses.
La situation sest incontestablement améliorée grâce à leffort entrepris en
ce sens au cours des deux dernières années ; mais la multiplicité des acteurs en
présence (services déconcentrés de lÉtat, Collectivité territoriale de Corse,
collectivités locales, offices et agences) ainsi que le morcellement des compétences en
matière dinstruction et de gestion des crédits délégués rendent encore très
difficile la tâche du représentant de lÉtat.
Lors dun déplacement à Ajaccio, la commission denquête a
toutefois pu constater que le système de " monitorage " avait été
largement renforcé au cours des deux années précédentes. Il conviendrait cependant de
recentrer davantage le système de suivi, encore trop éclaté, au niveau du SGAC.
· Un exemple particulier : la
route daccès au port de Propriano
Il a déjà été précédemment question du cas du port
de la commune de Propriano. Lexemple développé ici concerne uniquement le dossier
relatif à la route qui aurait dû être construite pour accéder à ce port. Il faut tout
dabord rappeler que la commune de Propriano avait été reconnue éligible à un
financement Interreg 1 " Corse-Sardaigne " pour réaliser cette route.
Le montant des travaux devait en principe atteindre 6 millions de francs. Une
subvention initiale de 3 millions de francs fut attribuée à la commune le 20
décembre 1993 ; le montant de 1,5 million fut versée dans un premier temps. A
la clôture du programme européen, les travaux navaient pas été réalisés,
et environ 400.000 francs semblaient seulement justifiés.
Un premier ordre de versement dun montant de
1.110.030 francs fut donc émis en décembre 1997, suivi dun second de
389.969 francs le 25 février 1998. Le trésorier-payeur général fut, pour sa
part, saisi le 9 juillet 1998 dune demande de recouvrement des sommes.
Dans un courrier du 17 février 1998, le préfet Bernard Bonnet
écrivait à lattention du maire de Propriano : " le 19 février 1997,
mon prédécesseur a été amené à émettre à lencontre de votre commune un titre
de perception dun montant de 1.110.030,52 francs. Cette décision destinée à
récupérer le trop perçu FEDER dont a bénéficié votre collectivité, dans le cadre de
la mise en uvre du programme Interreg 1 Corse-Sardaigne pour la réalisation de
lopération " aménagement de laccès au port " sest
fondée notamment sur le montant des dépenses réalisées à la date du 31 décembre
1996, date de clôture du programme. Le montant des dépenses constatées
sélevaient à 779.938 ,96 francs, ce qui pouvait justifier comptablement
un versement FEDER correspondant de 389.969,48 francs (50 %). "
Le préfet de Corse indiquait ensuite au maire de la commune que les
dépenses engagées (779.938,96 francs) ne pouvaient être considérées comme
couvertes par le programme européen : " ces dépenses doivent être
considérées comme liées à des travaux préparatoires, sans aucune fonctionnalité, ce
qui les écarte du champ dintervention normal du FEDER. "
Dans un autre courrier, en date du 9 juillet 1998, le préfet de
Corse interrogeait le trésorier-payeur général sur létat des procédures
engagées en vue du recouvrement des sommes en question. Au moment de la rédaction du
présent rapport, ce dernier navait pu réaliser ce recouvrement et
sapprêtait à relancer cette demande auprès de la commune. Si celle-ci
naboutit pas rapidement, une procédure dinscription doffice au budget
communal devra être réalisée.
De son côté, lUCLAF, alertée par cette situation, effectua
une mission sur place les 24, 25 et 26 mars 1997. Comme la expliqué un haut
fonctionnaire communautaire entendu par la commission denquête, " sur
le plan communautaire, la situation était assez simple. Il y avait une programmation de
cette action à hauteur dun coût total de 6 millions de francs,
comprenant un cofinancement FEDER de 3 millions de francs. Une avance de 1,5 million
de francs avait été versée dès lengagement de laction. La
réalisation de louvrage ayant été abandonnée, un ordre de reversement avait
été décidé par le préfet pour la partie qui excédait les quelques travaux
réalisés. Ceux-ci consistaient en la mise en place de canalisations et en la
réalisation de quelques études et sélevaient à environ 800.000 francs.
Dun point de vue budgétaire, la question portait, sur le reliquat de cette somme de
50 % des 800.000 francs. "
" (
) Pour nous, services de la
Commission, nous avons observé une difficulté de fonctionnement des différents services
de lÉtat chargés de laspect communautaire.
Trois administrations principales sont concernées sur le plan
local. Les directions de léquipement, la direction régionale, la
direction départementale et les services dérivés, en tant que maître
duvre, en tant que service instructeur ou coordonnateur ont participé à
toutes les opérations depuis le premier jour. La direction départementale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a vocation, en
matière de marchés publics, à participer aux commissions douverture des plis et
à traiter de ces données. Les services du préfet et de la sous-préfecture
chargés du contrôle de légalité nont pas jugé substantielles les
irrégularités pour attaquer ces actes devant le tribunal administratif.(
)
Le premier grief que nous avons fait est que les autorités
administratives françaises naient pas communiqué ce cas à la Commission, comme il
est prévu dans un règlement de 1994. Cette situation nétait pas propre à la
Corse ni à la France, mais elle était suffisamment préoccupante pour que Mme Gradin
écrive, en janvier 1997, à M. le Premier ministre de la France, pour faire état de
cette absence de communication de cas dirrégularités. Le Premier ministre a
répondu assez rapidement quil était lui-même préoccupé du sujet et que les
choses allaient changer.
Le nombre de cas nest peut-être pas suffisamment important pour
en tirer des conclusions générales, mais les quelques cas que nous avons à traiter en
France dans le domaine des fonds structurels sont extrêmement graves, qui mettent en
cause tant des services administratifs que dautres autorités. Nous observons des
difficultés de fonctionnement des services qui en ont la charge, plus précisément de
ceux qui ont la charge des actions communautaires, et une faible capacité au niveau
central, quil sagisse de lICLAF ou de la commission interministérielle
chargée du contrôle, à mobiliser leurs ressources pour améliorer la
situation. "
En définitive, la commission denquête préconise que la
plus grande vigilance sexerce dans le domaine de lutilisation des fonds
structurels car, comme la indiqué à la commission un ancien haut Corse. "
responsable communautaire, " il existe (dans lespace communautaire) des
poches de fraude dans lesquelles nous trouvons la Corse. "
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Partie III-A , annoncée ci-dessous.
III. à la recherche des causes :
linconstance des gouvernements, les défaillances des pouvoirs locaux, la puissance
des réseaux dintérêt
A. LES Corses et la république
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