Vers une revivification du débat budgétaire
à l’Assemblée nationale ?

Daniel HOCHEDEZ *
[in n° 72- novembre 2000 de la Revue française de finances publiques ]

Liturgie, léthargie, litanie ", la célèbre formule d’Edgar Faure, pour être passée à la postérité, n’en aura cependant guère permis, depuis le milieu des années soixante-dix, de dynamiser l’examen, par l’Assemblée nationale, des crédits des départements ministériels ().

Privée d’enjeu car enserrée dans un double corset – celui, politique, lacé par le fait majoritaire étant sans doute plus contraignant encore que celui, juridique, ajusté grâce aux multiples accessoires du parlementarisme rationalisé –, la discussion budgétaire est-elle irrémédiablement vouée à demeurer un rite certes incontournable, mais ayant pour seul effet de distiller l’ennui ?

On pourrait le craindre tant la " montagne " des critiques n’a guère accouché que de réformes sans grande envergure ni grands lendemains. L’année 1999 a cependant été marquée par la mise en œuvre d’une procédure expérimentale qui paraît prometteuse, même si sa généralisation se heurte encore à des pesanteurs sociologiques et à des obstacles pratiques.

I.- une discussion budgétaire " engluée ", mais qui reste IRREMPLAÇABLE, donc difficile a rÉformer.

L’analyse du débat parlementaire sur les projets de lois de finances doit prendre en compte la structure bipartite de ces projets, telle qu’elle résulte de l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

Autant la discussion de la première partie – les recettes et l’équilibre – se déroule dans des conditions qui n’appellent guère d’observations, autant celle de la seconde partie – les dépenses – fait l’objet de critiques récurrentes depuis des lustres.

A.- La discussion des fascicules budgétaires : perte de temps ou mal nécessaire ?

La discussion générale et l’examen des articles de la première partie du projet de loi de finances s’apparentent à une discussion législative classique. L’Assemblée nationale y consacre traditionnellement une semaine, la durée des débats ayant varié entre un minimum de 10 heures en 1962 et un maximum de 70 heures en 1982. On observe une tendance continue à l’allongement de cette durée : de 36 heures en moyenne au cours de la IXème législature (1988-1993), elle est passée à 41 heures au cours de la Xème législature (1993-1997) et à 46 heures depuis le début de la XIème législature.

Cette phase de la discussion budgétaire ne suscite ni difficultés, ni critiques. Celles-ci se focalisent sur l’examen de la deuxième partie, qui, depuis quarante ans, s’étire sur environ un mois, mobilisant fréquemment les députés au cours de jours non réglementaires de séance (lundi, vendredi et parfois samedi, voire dimanche), pour des séances qui dépassent fréquemment minuit.

De fait, en dépit des efforts pour réduire le temps qu’y consacre l’Assemblée, cette discussion, dont la durée a varié entre un maximum de 180 heures en 1978 et un minimum de 123 heures en 1964, mobilise les députés pour un temps qui est resté globalement stable au cours de la Vème République : 137 heures en moyenne sur la période 1960–1969, 162 heures au cours des années soixante-dix, 152 heures au cours des années quatre-vingt, 143 heures au cours des années quatre-vingt-dix. La diminution constatée depuis une quinzaine d’année résulte plus d’un lent " grignotage " consensuel des temps de parole par la Conférence des Présidents que de véritables réformes de fond.

L’assistance est souvent clairsemée et le débat oscille entre l’académisme d’une discussion de politique générale appliquée à tel ou tel ministère et le pointillisme de l’évocation des questions locales. Ajoutons à cela que, sauf exception, le débat ne présente guère d’enjeu : le nombre d’amendements d’origine parlementaire portant sur les crédits reste limité : pour les projets de loi de finances de 1991 à 2000 – hormis celui pour 1996, qui a revêtu à cet égard, un caractère exceptionnel – sa moyenne annuelle s’est établie à 16, nombre qui reste dérisoire au regard de la centaine de votes nécessaires sur la deuxième partie du projet de loi de finances. Les principales modifications apportées au montant des crédits se limitent souvent à la répartition de ce qu’il est convenu d’appeler la " réserve parlementaire " ().

La discussion du projet de loi de finances pour 1996 a cependant montré la portée que peut revêtir l’exercice du droit d’amendement : 134 amendements parlementaires – dont 35 ont été finalement adoptés – ont incontestablement ajouté quelque piment à la discussion.

Quoi qu’il en soit, la cause serait entendue : les quelque 150 heures de débats consacrées en moyenne chaque année à l’examen, en séance publique, des fascicules ministériels, seraient du temps perdu au regard de l’influence – quasi nulle – de cette discussion sur le montant des crédits définitivement adoptés.

Les observateurs s’interrogent souvent : " Un mois de débats pour quoi faire ? Le budget de l’Etat que viennent d’adopter les députés (…) ressemble comme un frère jumeau à celui qu’avait mis au point le Conseil des ministres : les recettes n’ont augmenté que de 0,046% et les dépenses de 0,036%. L’influence des parlementaires est pratiquement nulle (…) " ().

Cette appréciation mérite d’être nuancée. Elle s’appuie d’abord sur une vision réductrice des effets du débat parlementaire, souvent appréciés au premier degré, en termes de solde et en valeur absolue. Exprimée en masse déplacée et rapportée aux marges de manœuvre dont a disposé le Gouvernement pour la confection de son budget, la portée de la discussion budgétaire retrouve une dimension qui, en tout état de cause, relève d’avantage de l’analyse qualitative des rapports entre le Gouvernement et la majorité dont il est issu que de la simple arithmétique ().

On observe alors que, sur les dix dernières années, les masses de dépenses civiles, hors dette publique, déplacées par le Parlement, ont représenté, en moyenne, 3,3% de la marge de manœuvre dont a disposé le Gouvernement, ce pourcentage pouvant aller, comme en 1992, jusqu’à 9,1 % ().

En outre, avant de condamner sans appel la pratique du débat budgétaire, il convient de s’arrêter sur certaines observations, qui méritent réflexion, exprimées par Mario Bénard, qui présidait le groupe de travail constitué au printemps 1973 par la Commission des finances sur la réforme de la procédure budgétaire : " C’est une des rares occasions pour le député " lambda " de s’exprimer ; c’est aussi " une menace permanente pour l’administration de voir n’importe quelle question à propos de n’importe quoi soulevée par n’importe qui, avec (en principe) obligation d’y répondre. Enfin et surtout, [il] constitue en fait une succession de débats publics sanctionnés par un vote et dont l’inscription à l’ordre du jour ne peut être évitée par le Gouvernement. Comment se plaindre d’ordinaire du nombre insuffisant des débats – et des débats sanctionnés par un vote ! – et vouloir dans le même temps supprimer ou abréger les seuls qui existent de droit ? " ().

Jugée à cette aune, notre discussion budgétaire pourrait relever de l’aphorisme churchillien : ce serait le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres.

Et de fait, les députés, à défaut de présence nombreuse dans l’hémicycle, y marquent leur attachement par leurs nombreuses prises de parole.

Au cours de chacune des années de la Xème législature (1993–1997) et de celle en cours, le nombre total des députés étant intervenu au moins une fois dans la discussion budgétaire a ainsi été de 319 en moyenne, pour 618 interventions ou questions.

De même, souvent critiques à l’encontre de la procédure, les membres du Gouvernement ne sont pas les derniers à en user, voire à en abuser : structurellement, le dépassement moyen du temps de parole attribué au Gouvernement dans la discussion budgétaire () a été de près de 20% au cours de la période 1994-1998, les commissions comme les groupes étant plus sages, avec respectivement un dépassement moyen de 13,3% et de 0,8% du temps qui leur a été attribué.

Aussi bien, malgré l’accumulation des critiques, les tentatives de réforme sont-elles restées limitées.

B.- Des tentatives de réforme d’ampleur limitée et de portée inégale

La tentation la plus radicale de renouveler l’exercice, en 1975, fit long feu, l’expérience la plus durable et la plus efficace restant celle des questions budgétaires qui, après quinze ans de pratique, paraît cependant quelque peu s’essouffler.

Dans le cadre de la réforme des méthodes du travail parlementaire, la Conférence des Présidents décida, en septembre 1975, à l’initiative du Président Edgard Faure, de mettre en œuvre une réforme de la procédure budgétaire. Cette réforme visait à transférer, hors de la séance publique, tout ou partie de la discussion dite " générale " des fascicules budgétaires au sein d’une " commission élargie ", étant entendu que la discussion et la mise aux voix des crédits, des articles et des amendements étaient maintenues en séance publique. L’objectif poursuivi était double : d’une part, revaloriser qualitativement les débats en séance publique en les concentrant sur la politique menée et, d’autre part, améliorer l’information des parlementaires et renforcer le dialogue avec le ministre concerné.

Cette réforme fut appliquée, à titre expérimental, à deux fascicules budgétaires, ceux de la Justice et de l’Intérieur. Les choix retenus pour l’organisation des travaux de ces commissions élargies furent les suivants :

– les réunions de commissions élargies étaient ouvertes à tous les membres de l’Assemblée ;

– leurs travaux reposaient sur l’intervention du ministre compétent, des rapporteurs spéciaux de la Commission des finances, des rapporteurs pour avis et des députés préalablement inscrits dans la discussion ;

– les réunions des commissions élargies étaient ouvertes à la presse parlementaire, mais non au public ;

– ces réunions de commissions élargies intervenaient après les réunions traditionnelles des commissions intéressées (Commission des finances et commissions saisies pour avis) et avant l’examen en séance publique ;

– les débats de la commission élargie donnaient lieu à un double compte-rendu, analytique et sténographique, ce dernier étant publié au Journal officiel des débats.

Cette expérience n’a pas donné les résultats escomptés.

La durée des débats en séance publique ne fut que très faiblement réduite, de 1 heure 15, alors même que la durée de l’examen en commission élargie a été importante (5 heures 15). Tout s’est donc passé comme si la commission élargie était venue, non pas " désengorger " la séance publique, mais la dupliquer.

Cette situation s’explique, en partie, par le fait qu’un député ayant pris la parole en commission élargie demeurait libre de réitérer ses interventions en séance publique, alors qu’il avait déjà, en commission élargie, échangé publiquement des observations avec le ministre. Elle s’explique également par le fait que les ministres n’ont pas, pour autant, limité la durée de leurs interventions en séance publique. Notons enfin que les groupes disposaient, en séance publique, d’un temps de parole supérieur à celui nécessaire à une simple explication de vote.

La tenue concomitante de réunions en commission élargie et de la séance publique fit l’objet de vives critiques de la part des députés et suscita de fréquents rappels au règlement.

Cette expérience a conduit à estimer que seule une réglementation stricte des temps de parole en séance publique était susceptible de réduire sensiblement la durée des discussions des fascicules budgétaires, voie dans laquelle la Conférence des Présidents ne s’engagea cependant qu’avec prudence.

Afin de rompre avec la succession de monologues qui caractérisait l’examen des fascicules, une procédure de discussion en deux phases a été expérimentée en 1978 sur le budget de l’Intérieur et progressivement étendue avant d’être généralisée en 1984. La première phase s’apparente à une discussion générale classique et voit intervenir successivement les ministères compétents, les rapporteurs et les orateurs des groupes.

La procédure traditionnelle est donc relativement cantonnée, encore que le principe d’un orateur unique par groupe, institué en 1988, a été abandonné en 1994.

La seconde phase est consacrée aux questions des députés, dont la durée, comme celle des réponses, immédiates, des ministres, est limitée à deux minutes.

Cette innovation a incontestablement redonné vie au débat, permettant des échanges rapides sur des sujets précis et offrant aux parlementaires la possibilité de recevoir des réponses plus circonstanciées que dans le cadre d’un débat général. La qualité de ce dialogue explique le succès rencontré par la procédure.

Ainsi, pour les quatre projets de loi de finances examinés au cours de la Xème législature (1993-1997), 500 questions ont été posées en moyenne annuelle, 240 députés posant, chaque année, au moins une question. Par comparaison, le nombre d’interventions prononcées dans la première phase a été de 184 en moyenne, le nombre moyen de députés ayant prononcé une intervention au moins s’établissant à 156. Les trois premières discussions budgétaires ayant eu lieu sous la XIème législature ont cependant été marquées par un appétit moins grand des députés pour cette procédure : le nombre moyen de question a été de 278, celui des députés ayant posé au moins une question de 161. De fait, le nombre de questions posées décroît régulièrement, étant passé d’un maximum de 647 sur le projet de loi de finances pour 1994 à 271 sur celui pour 1999 et 214 sur le budget pour 2000, année où, il est vrai, cinq budgets, faisant l’objet de la nouvelle procédure d’examen présentée infra, n’étaient plus concernés par cette procédure de questions.

En contrepartie, le nombre moyen des interventions prononcées dans la première phase (251) a été plus élevé qu’au cours de la législature précédente, de même que celui des députés ayant prononcé au moins une intervention (201).

La procédure d’examen en deux phases, en dépit des améliorations qu’elle a apportées, montre ainsi ses limites : elle ne contient plus qu’imparfaitement les tropismes conduisant au retour des " trois L ", liturgie, léthargie, litanie.

D’où la volonté de réforme qui s’est manifesté en 1999.

II.- la réforme expérimentale engagée en 1999

La réforme engagée à l’automne 1999 s’inscrit dans un processus plus large tendant à revaloriser la fonction parlementaire d’autorisation budgétaire et son corollaire, la fonction de contrôle.

A cette fin, M. Laurent Fabius, alors Président de l’Assemblée nationale, a constitué autour de lui, en octobre 1998, un " groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire ", qui a débouché sur la présentation d’un rapport rédigé par M. Didier Migaud, Rapporteur général de la Commission des finances  (). Ce document exprime un constat sans concessions : " Bien que notre procédure budgétaire souffre d’un manque de transparence, les prérogatives du Parlement lui permettent, en théorie, d’agir sur la dépense publique… mais [il] n’a eu, jusque là, ni la ferme volonté de contrôler la dépense publique, ni les moyens d’en évaluer les performances ".

Parmi les diverses propositions avancées, trois ont déjà reçu une concrétisation :

– la Commission des finances a constitué en son sein, aux premiers semestres de 1999 et 2000, une Mission d’évaluation et de contrôle, dont les premiers résultats nous ont amenés à considérer qu’il y avait là une " avancée prometteuse des méthodes de contrôle budgétaire " () ;

– mandaté par la Conférence des Présidents, M. Didier Migaud a déposé une proposition de loi organique relative aux lois de finances (), qui représente sans doute la tentative la plus aboutie depuis quarante ans de rénover l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, véritable " constitution financière de l’Etat ", dans le double dessein de " permettre une amélioration de la gestion publique " et de " mieux assurer l’exercice du pouvoir budgétaire du Parlement " ;

– la discussion de plusieurs fascicules budgétaires s’est déroulée, à l’automne 1999, selon une nouvelle procédure expérimentale, visant à approfondir sensiblement les travaux menés au sein des commissions saisies pour avis et concentrer ainsi le débat en séance publique sur les grandes orientations de la politique sectorielle examinée, tout en accroissant, parallèlement, la capacité d’expression des députés.

A.- Le dispositif mis en œuvre en 1999

Sur la proposition du Rapporteur général, M. Didier Migaud, la Conférence des présidents a décidé que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2000, cinq fascicules ministériels feraient l’objet d’une expérience tendant à faire des commissions saisies pour avis le lieu privilégié de leur examen.

L’idée n’est pas neuve. Edgar Faure, on l’a vu, avait tenté, sans grand succès, de la mettre en œuvre à la fin des années soixante-dix ; elle a été également à l’origine, s’agissant des débats législatifs, de la mise en œuvre, dans les années quatre-vingt-dix, de diverses procédures abrégées (procédure d’adoption simplifiée). Ce qui est nouveau, ce sont les mesures d’accompagnement destinées tant à favoriser la présence des députés en commission qu’à développer leurs possibilités d’expression.

Les cinq budgets choisis – affaires étrangères, défense, jeunesse et sports, justice, logement – étaient politiquement significatifs, tout en ayant fait l’objet, hormis le cas particulier des crédits militaires, d’une durée d’examen en séance publique inférieure à la moyenne (4 heures 30 environ) lors de l’examen du projet de loi de finances pour 1999. Ce choix permettait en outre d’impliquer dans la réforme chacune des cinq commissions permanentes saisies pour avis du projet de budget.

L’expérience s’articulait autour de trois innovations :

– pour la discussion en commission, un examen plus approfondi, en présence du ministre responsable, et faisant l’objet d’une plus large publicité ;

– une procédure nouvelle, les questions écrites budgétaires ;

– pour la discussion en séance publique, un débat plus resserré, centré sur la présentation et l’appréciation politique du budget.

Les modalités de la discussion au sein des commissions relèvent de la compétence exclusive de chacune d’elles, maîtresse de l’organisation de ses travaux. Elles ont néanmoins été invitées à mener des débats plus souples et plus spontanés que ceux se déroulant en séance publique, en recherchant un équilibre entre les différentes catégories d’intervenants (ministres, rapporteurs spéciaux de la Commission des finances et rapporteurs pour avis des autres commissions, porte-parole des groupes, autres députés), entre membres et non membres de la commission, enfin entre majorité et opposition.

Afin de favoriser la présence des députés à ces réunions, il a été décidé que ceux-ci ne seraient pas appelés à siéger simultanément en " commission élargie " et en séance publique. Cette non-simultanéité a été assurée par la " fermeture ", pendant la période traditionnellement consacrée à la discussion des crédits en séance publique, des demi-journées correspondant à la durée d’examen des budgets en commission élargie.

Par ailleurs, des procédures spécifiques de publicité des travaux de la commission élargie ont été mises en œuvre. Leurs réunions ont été ouvertes à la presse et au public et ont fait l’objet des mêmes mesures de publicité que la séance publique (retransmission télévisée, compte rendu analytique, compte rendu intégral publié au Journal officiel Débats, en annexe au compte rendu de la séance publique au cours de laquelle s’est déroulé l’examen du fascicule budgétaire concerné).

Afin que l’expérience engagée se traduise par un accroissement des possibilités d’expression des députés, il a été décidé qu’outre la possibilité pour ceux-ci d’interroger les ministres lors de leur audition par la commission saisie pour avis, une procédure écrite prendrait le relais de celle des questions orales que les députés peuvent poser, en séance publique, dans la deuxième phase de l’examen traditionnel des fascicules budgétaires. Un quota de 22 questions a ainsi été prévu pour chacun des cinq budgets retenus au titre de l’expérimentation. Ce quota a été attribué aux groupes politiques selon une répartition proportionnelle corrigée par l’attribution initiale d’une question par groupe, ce qui aboutissait, pour chaque fascicule, à la répartition suivante : 8 questions pour le groupe socialiste, 5 pour le groupe RPR, 3 pour le groupe UDF et 2 pour chacun des groupes Démocratie libérale, communiste et radical, citoyen et vert (RCV).

Le Gouvernement disposait d’un délai d’une vingtaine de jours pour répondre à ces questions écrites budgétaires, les réponses devant être fournies avant la date d’examen du fascicule en séance publique (avant la date d’examen en commission pour le budget de la défense).

Ces questions et réponses ont été publiées ensemble au Compte rendu analytique, ainsi qu’au Journal officiel Débats, en annexe au compte rendu de la séance au cours de laquelle le budget correspondant a été examiné.

S’agissant de la séance publique, compte tenu des possibilités d’expression et de questions résultant des procédures précédemment évoquées, la discussion des fascicules retenus pour l’expérimentation a fait l’objet d’une organisation spécifique, destinée à resserrer et à solenniser le débat.

A cette fin, les discussions en cause ont été prévues à des moments de forte affluence dans l’hémicycle, les mardis ou mercredis après les questions au Gouvernement. Interviennent chacun pour cinq minutes et dans cet ordre : les rapporteurs, spéciaux et pour avis, un membre du Gouvernement, un orateur par groupe. Ces interventions précèdent l’appel des crédits et, le cas échéant, la discussion des amendements, ces phases de la procédure se déroulant dans les conditions habituelles.

B.- Une procédure dans l’ensemble bien perçue par les acteurs du débat

L’adhésion des députés à la procédure de la commission élargie et le bon fonctionnement de la procédure des questions écrites budgétaires paraissent l’emporter, dans le bilan, sur les quelques insatisfactions exprimées à propos du débat en séance publique.

Les réunions en commission élargie ont connu un vif succès, comme en témoigne le tableau suivant, tant en ce qui concerne la présence des commissaires que la participation des députés non membres des commissions concernées.

BILAN DES COMMISSIONS ÉLARGIES EN 1999

Commission :

Affaires culturelles, familiales et sociales

Affaires étrangères

Défense

Lois

Production et échanges

Budget :

Jeunesse et sports

Affaires étrangères

Défense

Justice

Logement

Durée :

3 heures 20

4 heures

4 heures

3 heures 55

4 heures

Députés présents :

42

47

49

56

52

dont non membres de la commission :

10

16

7

20

13

Députés étant intervenus :

20

24

23

19

18

dont non membres de la commission

3

8

3

5

6

Durée des interventions (1) :

 

 

 

 

 

– des ministres:

0 heure 50

1 heure 35

1 heure 05

1 heure 45

2 heures

– des présidents et rapporteurs des commissions :

0 heure 55

1 heure 05

1 heure 45

0 heure 45

0 heure 35

– des orateurs de la majorité :

0 heure 29

0 heure 35

0 heure 34

0 heure 44

0 heure 49

– des orateurs de l’opposition :

0 heure 28

0 heure 40

0 heure 32

0 heure 26

0 heure 28

(1) Le temps consacré à la phase de vote sur les crédits n’est pas ventilé entre ces diverses catégories d’intervenants. Le total des temps de parole figurant sous cette rubrique peut donc ne pas correspondre à la durée totale du débat.

Au total, présidents des commissions et rapporteurs compris, plus d’une centaine de députés ont pu s’exprimer au cours de ces réunions ().

Un manque de temps a été constaté à la Commission des affaires étrangères, où le ministre n’a pu répondre à tous les orateurs, et à la Commission de la défense, où le nombre des intervenants institutionnels – le président de la Commission et onze rapporteurs – a pesé sur l’organisation du débat.

Si, globalement, la répartition des temps de parole entre orateurs de la majorité et orateurs de l’opposition a été à peu près équilibrée, cet équilibre est notablement rompu si l’on prend en compte le temps de parole des orateurs institutionnels – 5 heures au total pour les présidents et rapporteurs des commissions –, 20 d’entre eux appartenant à la majorité et 4 seulement à l’opposition.

Plusieurs ministres – ceux-ci, il est vrai, ont disposé d’un temps de parole substantiel – se sont déclarés satisfaits de la procédure ().

S’agissant de la séance publique, les " règles du jeu " ont été globalement respectées, les dépassements du temps attribué restant limités pour les commissions (2 heures 17 pour 2 heures 10 de temps d’organisation, soit un dépassement de 5%) et les groupes (2 heures 50 pour 2 heures 30, soit +13%), seul le Gouvernement, comme c’est d’ailleurs le cas pour les discussions conduites selon la procédure traditionnelle, se signalant par des débordements importants (0 heure 55, pour 0 heure 25, soit un dépassement de 120%).

En définitive, cette expérience aura conduit à une réduction significative de la durée globale de la discussion des fascicules en séance publique : la discussion des cinq fascicules concernés, qui avait occupé 25 heures 30 de débats en séance publique en 1998, n’a nécessité que 7 heures 20 en 1999. Le " gain " de 18 heures ainsi constaté ne doit pas être considéré comme " perdu " pour l’expression des députés, car il a été plus que compensé par les quelque 19 heures de débat en commission élargie. Compte tenu, cependant, du fait qu’une durée correspondante a été neutralisée à des moments normalement consacrés à la séance publique, il convient de considérer qu’il y a eu " transfert " plutôt que " gain ".

Dans l’ensemble, la procédure paraît avoir été bien acceptée par les députés, l’appréciation positive de la procédure des commissions élargie l’emportant sur les inconvénients, parfois critiquée, de la limitation des temps de parole en séance publique.

Pour être en nombre limité, les critiques exprimées sont parfois vives : " par le biais d’une méchante réforme de procédure, qui nous a été imposée, le débat de la représentation nationale sur un budget essentiel qu’est celui de la défense aura été, cette année, saucissonné, tronqué, et dans l’hémicycle, réduit à sa plus simple expression () ".

Sur le même budget, un autre député observe : " le budget de la défense est le troisième de l’Etat. Il représente environ 200 milliards de francs. Chaque orateur doit donc justifier ou critiquer 40 milliards de francs en une minute " ().

D’une façon plus générale, un député a fait valoir : " je ne peux que m’indigner du rôle qui est désormais celui du Parlement. Si jusqu’à maintenant la Vème République était synonyme de parlementarisme rationalisé, on pourrait aujourd’hui davantage parler de parlementarisme minimalisé... J’en veux pour preuve... la nouvelle procédure d’examen budgétaire... Désormais le vote du budget se réduit à un simple exercice formel, laborieux, pour ne pas dire obscur () ".

Les critiques n’émanent d’ailleurs pas que des députés de l’opposition, mais aussi de certains élus de la " majorité plurielle " ; ainsi M. Yves Cochet, vice-président de l’Assemblée nationale, a-t-il estimé que " la nouvelle procédure d’examen contraint les élus de la nation à se contenter de la réponse écrite du ministre et, les excluant de tout débat oral, leur enlève le droit à formuler leur avis " ()

Ces réactions, très négatives, paraissent toutefois plutôt relever de l’incantation que traduire une réelle frustration. Une liberté totale de parole subsiste, en effet, à laquelle aucun député n’a finalement jugé nécessaire de recourir : le droit d’amendement – quasi-inconditionnel sous réserve de rentrer dans le moule formel et, au fond, peu exigeant de la recevabilité financière – offre, en effet, des possibilités d’expression infinies (). Or, l’application des nouvelles règles ne s’est pas accompagnée du dépôt d’amendements destiné à compenser la diminution des temps de parole : pour trois des cinq budgets en cause, l’examen des crédits n’a donné lieu au dépôt d’aucun amendement. Pour deux autres budgets, le nombre d’amendements a été extrêmement limité : quatre pour le budget des affaires étrangères et un seul pour le budget de la défense, qui a pourtant fait l’objet des récriminations les plus vives quant à la limitation des temps de parole.

La procédure des questions écrites budgétaires n’a suscité ni insatisfactions, ni difficultés particulières. Pour 110 questions susceptibles d’être posées, 99 seulement l’ont été, deux groupes (RPR et UDF) n’ayant pas utilisé la totalité de leur quota. Toutes les questions posées l’ont été dans les délais impartis, les réponses du Gouvernement ayant également été transmises dans les délais. On observera que la faculté de poser une question écrite n’a pas exclu une intervention en commission, une vingtaine de députés étant intervenus en commission tout en posant une question écrite. La publication des questions et des réponses en annexe au compte rendu intégral des débats, en caractères plus petits que les débats eux-mêmes, représente une quarantaine de page du Journal officiel Débats.

C.- La reconduction et l’élargissement de la procédure en 2000

La Conférence des Présidents, sur la base d’un bilan présenté par le Rapporteur général de la Commission des finances, a décidé, en juin 2000, que sept fascicules du projet de loi de finances pour 2001 seraient examinés selon la procédure expérimentale mise en œuvre en 1999.

Si, compte tenu des difficultés constatées l’année précédente, la Conférence des Présidents n’a pas souhaité reconduire l’expérience pour les budgets des affaires étrangères et de la défense, les trois commissions des affaires culturelles, des lois et de la production sont invitées, outre les trois budgets déjà examinés l’année précédente (respectivement : jeunesse et sports, justice, logement), à étendre l’expérience de l’examen en commission élargie à trois budgets supplémentaires (respectivement : enseignement supérieur, intérieur, ville) ; en outre, la Commission des finances participera à l’expérience pour l’ensemble des fascicules relatifs à l’économie et aux finances.

La procédure est reconduite pratiquement à l’identique, sous réserve de deux aménagements prenant en compte certains souhaits exprimés au cours des débats intervenus en 1999 :

– les réponses aux questions écrites budgétaires doivent être transmises préalablement aux réunions des commissions élargies, afin de permettre, le cas échéant, aux députés de " rebondir " sur les thèmes concernés lors de l’audition des ministres ;

– les temps de parole des ministres et des porte-parole des groupes au cours de la discussion en séance publique sont portés de cinq à dix minutes, le temps imparti à chaque rapporteur (cinq minutes) restant inchangé.

A l’issue de la discussion du projet de loi de finances pour 2001, le bilan de cette procédure, légèrement adaptée et recalibrée, sera crucial pour le devenir de l’expérience engagée en 1999.

On observera cependant, à ce stade, que la Conférence des Présidents a souhaité faire preuve de prudence. L’attachement des parlementaires aux interventions traditionnelles en séance publique reste fort, même si la nouvelle procédure offre des possibilités d’expression tout aussi significatives.

D’autre part, dans le contexte de " bataille contre le temps " () qui entoure le fonctionnement des assemblées parlementaires, nombre d’acteurs tendent encore à considérer comme du temps perdu les heures consacrées à l’examen des fascicules budgétaires en commission, puisqu’elles hypothèquent le temps consacré par l’Assemblée aux activités considérées comme les plus " nobles ", à savoir les débats en séance publique.

*

* *

La difficulté à réformer la procédure budgétaire est incontestablement significative de certain travers français : juridisme et formalisme ont trop souvent tendance à prendre, dans notre pays, le pas sur l’opérationnel.

A défaut d’une véritable culture de contrôle – l’accès, depuis 1973 des élus de l’opposition aux fonctions de rapporteur budgétaire a-t-elle véritablement transformé la nature de l’exercice ? – la liturgie longuement célébrée sur les sièges de velours rouge de l’hémicycle tente de masquer les carences que les élus eux-mêmes sont les premiers à reconnaître.

L’entreprise de rénovation engagée depuis deux ans, dont la réforme de la procédure budgétaire ne constitue que l’un des aspects, exigera de chaque parlementaire, ainsi que l’a souligné M. Didier Migaud, " une grande disponibilité temporelle et intellectuelle, ainsi que de l’audace… Les élus de la majorité devront comprendre… que le constat argumenté de l’inefficacité d’une politique, que la dénonciation d’un gaspillage, ne constituent pas une remise en cause de la solidarité qui doit unir, dans notre système institutionnel, le Gouvernement et la majorité dont il procède… Corrélativement, ceux de l’opposition devront s’efforcer… de considérer que, bien souvent, les errements qu’il convient de dénoncer et de corriger ne mettent pas en cause la seule responsabilité gouvernementale, ni la seule responsabilité de Gouvernement du moment " ().

L’effort de remise en cause est important ; il ne pourra porter que progressivement ses fruits, à la faveur d’expériences comme celle de la Mission d’évaluation et de contrôle.

Cette nécessaire " révolution culturelle " devra aussi s’appuyer sur une meilleure organisation du travail parlementaire. A cet égard, la session unique, mise en œuvre à partir de 1995, n’a pas vraiment atteint son objectif : la séance publique – il est vrai davantage concentrée sur trois jours utiles – continue à solliciter sans relâche des élus que le cumul, même limité, des mandats, condamne à une forme de " schizophrénie ".

L’établissement d’un rythme de travail parlementaire calqué, par exemple, sur celui du Parlement européen, réservant certaines semaines au travail des groupes politiques et des commissions, serait peut-être de nature à favoriser la nécessaire valorisation du travail en commission qui permettrait de recentrer la séance publique sur l’essentiel : le débat et la prise de décision politiques, au sens le plus élevé du terme.

________________

Renvoi et notes :

* Conseiller à l’Assemblée nationale.

 

() Pour une description de la discussion budgétaire, on peut se référer à l’étude d’Hervé Message, L’Assemblée nationale et les lois de finances, collection Connaissance de l’Assemblée, n° 3, édition 2000, mise à jour par Daniel Hochedez, Jean-Pierre Camby et Laurent Guellaën.

() Sur cette pratique, voir Jean-Baptiste de Montvalon, " Cet argent réservé au Parlement ", in Le Monde, 17 novembre 1998

() Thierry Bréhier, Le Monde, 17 novembre 1987.

() Cf. Hervé Message, " Peut-on mesurer le pouvoir budgétaire du Parlement ? ", dans cette Revue, n° 41, 1993.

() Cf. L’Assemblée nationale et les lois de finances, op. cit. pages 117 à 122.

() Cité in J. Caritey, " La crise des procédures parlementaires en matière budgétaire ", Revue du droit public, 1974, page 509.

() Ce temps n’est fixé, à titre indicatif, par la Conférence des Présidents que pour la première phase (générale) de la discussion

() Rapport du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, Assemblée nationale, Les documents d’information, n° 3, janvier 1999. Les documents parlementaires cités dans la présente chronique sont en ligne sur le site Internet : " http://www.assemblee-nationale.fr ".

() Daniel Hochedez, " La mission d’évaluation et de contrôle (MEC). Une volonté de retour aux sources du Parlement : la défense du citoyen contribuable ", dans cette Revue, n° 68, 1999.

() Document Assemblée nationale n° 2540 (11 juillet 2000).

() A l’automne 1998, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 1999, 131 députés (rapporteurs, orateurs inscrits dans la première phase et auteurs de questions) s’étaient exprimés en séance publique sur les cinq budgets concernés.

() Voir, par exemple, les déclarations de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice (JO, Débats AN, 9 novembre 1999, page 9101), celles de M. Louis Besson, secrétaire d’Etat au logement (JO, Débats AN, 16 novembre 1999, page 9422) ou encore celles de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports (JO, Débats AN, 18 novembre 1999, page 9637).

() Pierre Lellouche, JO, Débats AN, 23 novembre 1999, page 10 018

() Michel Voisin, JO, Débats AN, 10 novembre 1999, page 9200.

() Franck Dhersin, JO, Débats AN, 23 novembre 1999, page 10 018.

() Propos cités in " Les verts s’opposent à une nouvelle génération d’armes nucléaires ", Le Monde, 11 novembre 1999.

() Conformément au deuxième alinéa de l’article 42 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, il est possible aux parlementaire de se prononcer – et de s’exprimer – sur chaque chapitre budgétaire, alors même que le reste des crédits ne peut, normalement intervenir que par titre et par ministère. Il suffit pour cela de multiplier les amendements tendant à réduire les crédits, la seule condition de recevabilité étant de préciser leur imputation dans l’exposé sommaire. Or, nonobstant toute organisation du débat, chaque amendement ouvre à son auteur un droit de parole de cinq minutes.

() Michel Couderc, " La bataille contre le temps ", Revue française de science politique, 1981, page 85

() Rapport précité du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, pages 15 et 16.