ASSEMBLÉE NATIONALE

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FORUM

" ENJEUX ET DEFIS

DU NOUVEAU CYCLE DE NEGOCIATIONS

DE L’OMC "

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Mardi 9 novembre 1999

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PARIS

Sous le haut patronage de M. Laurent Fabius,
Président de l’Assemblée nationale

 

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Colloque organisé par :

Monsieur Alain BARRAU,

Président de la Délégation de l’Assemblée nationale
pour l’Union européenne

Monsieur François HUWART,

Secrétaire d’Etat
au Commerce extérieur

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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos de M. Alain BARRAU,

Président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne 9

Allocution d’ouverture de M. Laurent FABIUS,

Président de l’Assemblée nationale 13

Présentation de la journée par M. Alain BARRAU 17

Intervention de Mme Béatrice MARRE,

Rapporteur d’information pour la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne sur " les enjeux du cycle de négociations " 21

Intervention de Mme Catherine TRAUTMANN,

Ministre de la Culture et de la Communication sur " Exception et diversité culturelle " 27

 

Première table ronde : Libéralisation et régulation

Priorités et stratégies de négociation

 

Intervenants :

w  M. Pascal ROGARD,

Délégué général de l’Association des Réalisateurs Producteurs (ARP) 37

w  Mme Marie-Anne FRISON-ROCHE,

Professeur d’université 39

w  M. Marc MAINDRAULT,

Directeur général du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) 41

w  M. Patrick MESSERLIN,

Professeur d’université 43

 

w  M. Denis JACQUOT,

Secrétaire confédéral de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) 45

w  M. René PASSET,

Responsable du conseil scientifique de l’Association pour l’Action pour une Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC) 47

w  M. Jean-Paul BASTIAN,

Premier Vice-Président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) 49

w  M. Jean-Claude SABIN,

Premier Vice-Président de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA) 50

w  M. José BOVÉ, Cofondateur de la Confédération paysanne 51

w  M. Jean-François STOLL, Directeur des Relations économiques extérieures (DREE), Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie 54

Débat 56

Intervention de M. François HUWART,

Secrétaire d’Etat au commerce extérieur sur " les enjeux du cycle de Seattle " 61

 

 

Seconde table ronde : Un cycle multilatéral et transparent

 

Intervention de M. Pierre MOSCOVICI,

Ministre délégué, chargé des Affaires européennes 69

 

Intervenants :

w  Mme Laurence DUBOIS-DESTRIZAIS,

Déléguée permanente de la France auprès de l’OMC 77

w  M. Thierry NOBLOT,

Délégué général de l’Union des Industries textiles (UIT) 81

 

w  M. Daniel RETUREAU,

Collaborateur du département Europe de la Confédération générale du Travail (CGT) 84

w  M. Jacques MAIRE,

Délégué aux Affaires européennes et internationales du ministère de l’Emploi et de la Solidarité 86

w  M. Bruno REBELLE,

Directeur général de Greenpeace France 89

w  M. Yannick JADOT,

Délégué général de Solagral 92

w M. Hassan ABOUYOUB,

Ambassadeur du Maroc en France 94

Intervention de M. Pascal LAMY,

Commissaire européen chargé du Commerce extérieur 97

Conclusion des débats par M. Christian SAUTTER,

Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie 101

  1. AVANT-PROPOS DE M. ALAIN BARRAU,
    Président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne

     

    La mondialisation des échanges, qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en inquiète, est aujourd’hui une réalité. Aussi, il s’agit pour les responsables politiques de réfléchir aux meilleurs moyens de la soumettre aux valeurs des sociétés contemporaines, de la contrôler, de la réguler.

    Tel est le principal enjeu du nouveau cycle de négociations dont la conférence ministérielle de Seattle devrait fixer l’ordre du jour et le calendrier.

    A ce jour, nous ignorons encore si cette conférence engagera ou non un nouveau round car les positions des principaux négociateurs sont encore très différentes.

    L’Union européenne, pour sa part, souhaite que le cycle du millénaire soit à la fois court – trois ans – et global. Il s’agit pour l’Union de participer à des négociations transparentes, planétaires, qui n’oublient aucun sujet se rapportant aux échanges internationaux, qui ne négligent aucun participant, qui ne se résignent à aucune domination.

    Elle entend préserver son agriculture contre les offensives prévisibles des pays exportateurs et sa diversité culturelle en s’en tenant à l’exception culturelle. Elle défend aussi l’idée d’inclure les nouveaux sujets identifiés à la conférence ministérielle de Singapour en 1996 – l’environnement, la concurrence, le commerce électronique… – afin d’éviter, outre un protectionnisme déguisé, le morcellement ultérieur des négociations et le triomphe du bilatéralisme mettant en prise des partenaires inégaux. Elle veut également établir un lien entre les normes fondamentales du travail et le commerce et préconise la création d’un groupe de travail permanent permettant la rencontre entre l’OMC et l’OIT.

    Les Etats-Unis souhaitent au contraire limiter les négociations à quelques sujets – l’agriculture, les services, une liste limitée de secteurs industriels – et ne traiter les " nouveaux sujets ", tels l’environnement ou les normes sociales, que de manière incidente.

    Le rapport de force entre ces deux entités est très différent de celui qui prévalait lors du cycle de l’Uruguay. L’Union européenne paraît plus sûre de sa cohésion et est devenue une puissance monétaire avec la création de l’euro. La Présidence américaine est en fin de mandat et ne dispose pas actuellement de l’habilitation du Congrès qui lui permettrait de négocier librement.

    Mais l’Union doit aussi faire en sorte que ces négociations préfigurent l’émergence d’un monde multipolaire. Elle ne parviendra sans doute pas à faire prévaloir son point de vue si elle échoue à s’allier les pays en développement qui entendent bien faire entendre leur voix. Elle doit par conséquent ouvrir davantage son marché aux pays les moins avancés et expliquer pourquoi elle défend l’inclusion dans les négociations de sujets qui préoccupent les pays en voie de développement comme l’environnement ou les normes sociales.

    L’Union européenne est de taille à faire entendre sa voix, non seulement pour affirmer son modèle social, mais aussi pour promouvoir la multifonctionnalité de son agriculture et préserver la diversité culturelle. L’art et la culture ne doivent pas être assimilés à des marchandises, mais faire l’objet de règles distinctes, permettant de continuer à aider les créateurs.

    N’oublions pas non plus d’inclure les investissements dans ces négociations, pour écarter le retour de pratiques que nous avions condamnées avec le projet d’accord élaboré en toute discrétion dans le cadre de l’OCDE. Oui à l’ouverture sur une base multilatérale, non à l’absence de tout contrôle des Etats au seul profit des sociétés multinationales.

    La France, au sein de l’Union, aura un rôle essentiel d’impulsion et de proposition à jouer pour traduire sa conception d’un monde multipolaire.

    C’est pour discuter de tous ces thèmes que la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne a organisé un forum le 9 novembre 1999, sous le haut patronage du Président de l’Assemblée nationale, Laurent Fabius et avec le concours du Secrétaire d’Etat au commerce extérieur, François Huwart.

    Elus, ministres, représentants des organisations syndicales et professionnelles et de la société civile ont répondu, chacun à sa manière, aux questions que beaucoup se posent : comment aborder la négociation ? Que fautil négocier ? Quelles règles convientil d’établir ? Fautil renforcer l’OMC ? Quel équilibre instaurer entre libéralisation et régulation ? Comment améliorer la procédure de règlement des différends ?

    Sans dévoiler, dans cet avantpropos, les réponses qui ont pu être données, je me limiterai à évoquer la question implicite à laquelle le Commissaire européen en charge du commerce extérieur, Pascal Lamy, et le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Christian Sautter, ont répondu : pourquoi fautil un nouveau cycle de négociations ? Parce que les échanges sont un facteur de croissance et d’emploi, et qu’il reste beaucoup de barrières à démanteler. Parce que les entraves aux échanges sont multiples, complexes, opaques et protègent, paradoxalement, l’Etat qui se considère comme le chantre du libéralisme, les Etats-Unis. Parce que, enfin, les échanges ont besoin d’être régulés et requièrent des institutions équitables, impartiales, transparentes.

    Comme ces questions sont l’affaire de tous, la Délégation n’en restera pas là : elle suivra le processus jusqu’à son terme en multipliant les forums, auditions, déplacements, investigations, dans la ligne du triple coup d’envoi que constituent le rapport de Béatrice Marre (" De la mondialisation subie au développement contrôlé "), la résolution de l’Assemblée nationale et le présent colloque.

    Puissent les citoyens d'avantage peser, directement et par la représentation nationale, sur des enjeux et des rapports de force dont les résultats auront des incidences sur notre vie quotidienne.

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  2. ALLOCUTION D’OUVERTURE DE M. LAURENT FABIUS,
    Président de l’Assemblée nationale

     

    Je voudrais tout d’abord saluer chaleureusement le Président de la Délégation, M. Alain Barrau, le ministre, M. François Huwart et toutes les personnes présentes dans cette Assemblée.

    1. Un nouveau contexte de négociations
    2. Je me réjouis que cette réunion soit organisée aujourd’hui à l’Assemblée nationale, à l’initiative de la Délégation pour l’Union européenne. C’est une preuve supplémentaire que le cycle de négociations multilatérales au sein de l’OMC ne sera pas un débat entre seuls techniciens. Nous n’avons rien contre les techniciens, qui sont indispensables, mais, pour des raisons qui tiennent à une certaine conception de la démocratie et à ce qu’est l’Assemblée nationale, on comprendra que nous soyons heureux qu’il y ait une approche politique de ces questions. C’est d’ailleurs une première différence avec les cycles précédents, le Kennedy round et l’Uruguay round, qui avaient consisté en des négociations commerciales plus classiques dont les discussions avaient été pour l’essentiel limitées au cercle des experts. Les polémiques, qui avaient pu surgir entre la Communauté européenne et les Etats-Unis, ou tout autre groupe d’Etats, sur l’agriculture, avaient un côté attendu et étaient centrées uniquement sur les conditions économiques de production (subventions, taxes, quotas, organisation des marchés…). Seule la reconnaissance de l’exception culturelle à Marrakech a introduit un thème nouveau et majeur dans des discussions placées, jusque-là, sous les auspices austères de Ricardo. Encore cet élément avait-il été perçu surtout comme la traduction d'un litige entre Européens et Américains...

      Cette fois-ci, je pense qu’il y a un changement, non seulement de climat, mais presque de décor. Ces négociations, dès leur phase préparatoire, font l’objet d’une attention très vive, bien au-delà du cercle des spécialistes, et les discussions sont lancées avant même que leur agenda soit fixé. On sait qu’un millier d’organisations non gouvernementales seront présentes à Seattle, ainsi que beaucoup d’associations et de syndicalistes. Ces négociations font naître un véritable forum, une sorte de société civile internationale. C’est une bonne chose car il s’agit de sujets majeurs pour les populations.

      Dans ce contexte, il nous est indispensable que les Parlements, et en particulier le nôtre, prennent part au débat sur le cycle du millénaire et, pour cela, qu’ils soient associés par les exécutifs à son déroulement. Le Parlement européen a l’intention de suivre de près ces négociations. En France, notre Assemblée en a déjà débattu et elle continuera de le faire, avec vigilance. Des députés français seront présents à Seattle selon la volonté du Gouvernement, que je remercie, de nous associer au déroulement de négociations qui risquent d’être longues.

      L’importance du sujet exige qu’on ne se trompe pas sur son enjeu. Pour moi, le premier enjeu est l’approche même que l'on retient de la mondialisation. Souvent, en France, et réduit de façon simpliste le débat à l’opposition entre, d’un côté, des tenants de la mondialisation, qui seraient implicitement assimilés à l'ouverture et à la modernité, et, de l’autre, des nostalgiques du protectionnisme, qui seraient les partisans d’une sorte de " franchouillardise " attardée. La situation est en réalité différente. La mondialisation est aujourd'hui un fait, et toute réflexion utile doit se situer dans cette perspective. Mais il existe une différence véritable entre deux conceptions de la mondialisation.

    3. Deux formes de mondialisation
      1. La " mondialisation-domination "
      2. D’un côté, il y a la " mondialisation-domination ". Pour ses tenants, la logique impose une certaine uniformité, la diffusion des mêmes produits, des mêmes films, des mêmes " ersatz " alimentaires sur l’ensemble de la planète. Si la mondialisation devait suivre ce chemin, l’exacerbation de la compétition au profit des plus forts aboutirait, paradoxalement, à la disparition de la concurrence. Les disparités en seraient renforcées, alors même que 80 % des échanges mondiaux se font entre les pays les plus riches, et que tous les rapports récents démontrent l'aggravation des inégalités sur la planète. Ces dernières s'accroîtraient également au sein de chaque société nationale. Ce n’est évidemment pas la position que nous proposons de prendre.

      3. La " mondialisation-diversité "

      Une seconde version de la mondialisation relève d'une conception plus qualitative et respectueuse des diversités. Elle doit être organisée de manière à favoriser réellement les échanges, à intégrer d’autres critères que celui, même s’il est très important, du profit financier à court terme. Elle doit prendre en compte les aspects sociaux, écologiques, culturels. L’idée est simple : la compétitivité ne peut pas résulter de l’exploitation, de la pollution, de la manipulation ; il faut préserver la terre, les hommes et les cerveaux. Cette seconde conception, que je qualifierais de " mondialisation-diversité ", doit permettre de préserver la pluralité, et donc la liberté. Lorsque l’Europe et la France s’en font les avocats, elles ne défendent pas simplement leurs intérêts, elles défendent le droit de chaque Etat à la diversité au sein de cette mondialisation. L’Union européenne, en demandant que tous les sujets soient abordés et traités ensemble, a choisi cette approche. Il faudra bien sûr faire attention et ne pas laisser réintroduire l’AMI " par la fenêtre " après l’avoir fait sortir voilà quelque temps " par la porte ". Je souhaite que nous maintenions fermement le cap sur cette conception de la mondialisation, notamment pour ce qui concerne la dimension culturelle.

    4. La régulation
    5. Mon autre remarque concerne la régulation. Pour que la mondialisation soit orientée dans le bon sens, il faut évidemment définir et faire appliquer des règles du jeu. L’OMC va constituer un instrument d'arbitrage et de régulation, un élément de cette société internationale plus organisée et plus policée que nous voulons consolider.

      Mais il convient de faire attention. Ne laissons pas croire qu’on aurait résolu tous les problèmes - qu’il s’agisse de l’agriculture, du commerce, de l’environnement, de l’Internet ou des services –parce qu’on aurait précisé qu’on allait les soumettre à " régulation ", comme s’il s’agissait d’un terme " magique ". Car la régulation – comme les organismes qui la mettent en application – n’est pas désincarnée. Toute régulation s’opère au nom de certaines règles et c’est à l’autorité politique de les fixer. Les politiques peuvent certes confier à des autorités de régulation le soin d’appliquer les règles, mais ils ne doivent pas – sauf à récuser leur propre légitimité – s’en remettre à ces autorités pour leur détermination même, ni pour le contrôle de leur application. Il est donc nécessaire de poursuivre notre démarche par une " régulation de la régulation ", autrement dit de bien définir les critères en fonction desquels les règles seront appliquées par l’OMC et de vérifier si l’OMC les applique correctement. La concurrence n’est pas la seule règle à considérer : les exigences en matière de protection de l’environnement, de respect des normes sociales et sanitaires, de qualité et de réduction des inégalités, le soutien apporté à la création et à la diversité culturelle, sont aussi des règles que l’OMC devra respecter. Le démantèlement de toutes les règles ne peut pas constituer la règle ultime. Tel est l'enjeu éminemment politique du cycle qui commence.

    6. Conclusion

    Mondialisation et diversité, règles de la régulation ne se limitant pas à la loi du marché, il s’agit de rendre possible ce que j’appelle un " nouveau développement ", centré davantage sur la personne humaine, préoccupé de durabilité, qui n’échappe pas au contrôle du politique mais qui respecte au contraire les légitimités nécessaires au fonctionnement démocratique. Ce nouveau développement doit trouver sa stabilité sur trois pieds indissociables : la diversité, sans laquelle c’est l’ensemble de la société mondiale qui s'appauvrit sur le plan de la culture, de l'environnement ou des modes de production ; la solidarité, thème majeur car la réduction des inégalités excessives est la condition d’une croissance vraiment durable ; la créativité, source essentielle de formation de richesses.

    Le forum organisé aujourd'hui, comme les débats qui ont déjà eu lieu dans notre Assemblée, et auront encore lieu, sur l'OMC, montrent l'intérêt que l'Assemblée nationale porte à ces thèmes, en liaison avec le Gouvernement et les instances européennes. Je souhaite que vos discussions sur l'OMC enrichissent notre réflexion et contribuent à défendre les valeurs que ce cycle de négociations devra permettre de promouvoir.

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  3. PRESENTATION DE LA JOURNEE
    PAR M. ALAIN BARRAU,
    Président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

     

    Nous avons eu le plaisir de bénéficier du haut patronage du Président de l’Assemblée qui a bien voulu prononcer l'allocution d'ouverture. Ce forum a été organisé par la Délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, que j'ai l'honneur de présider, conjointement avec le Secrétariat d’Etat au Commerce extérieur. Il nous a semblé intéressant de prolonger, en lui donnant une dimension nouvelle, l'exercice, lancé par M. Dondoux et poursuivi par M. Huwart, consistant à consulter un certain nombre d’organisations avant même que la position sur le mandat de négociation de la Commission européenne ne soit définie.

    1. LE ROLE DE L’ASSEMBLEE NATIONALE DANS LA PREPARATION DES NEGOCIATIONS
    2. Depuis le début, comme Laurent Fabius vient de l’indiquer, notre volonté est de donner au Parlement une capacité de contrôle et de suivi de ces négociations économiques et internationales, contrairement à ce qui se passait précédemment. Notre Gouvernement l’a à la fois compris et admis. Nous voulons faire en sorte que le Parlement puisse suivre les étapes de la discussion et être le lieu où se rencontrent et s’expriment des opinions qui peuvent être contradictoires sur le sujet. D’où, dans un premier temps, les contacts pris par notre rapporteure, Mme Béatrice Marre, avec les organisations représentatives de l’opinion publique pour la préparation de son rapport et, dans un second temps, les invitations faites pour ce forum aux représentants des milieux concernés par la future négociation de l’OMC.

      Nous avons été saisis par le Gouvernement, sur la base de l’article 88-4 de la Constitution, du texte préparatoire de la Commission européenne afin que l'Assemblée nationale puisse définir sa position avant que le Conseil " Affaires générales " n'ait décidé ce que serait la position européenne. Un premier débat en séance publique a ainsi eu lieu en juin à l’Assemblée nationale, au cours duquel les différents groupes ont pu s’exprimer. Puis notre Délégation, dans le cadre de ses compétences, a nommé, Mme Béatrice Marre, rapporteure d'information sur la communication de la Commission européenne. Cette dernière a rencontré de nombreuses responsables et rédigé un projet de résolution qui a été adopté par la Délégation. Ce texte a été ensuite transmis à la Commission de la production et des échanges qui l'a examiné, sur le rapport de M. Jean–Claude Daniel : le texte, qui été adopté à une très large majorité par la Commission, est devenu la position de l’Assemblée nationale et cette position a été définie avant même que le Gouvernement ne définisse sa propre position; la résolution définitive a été ensuite transmise à tous les membres du Gouvernement, en particulier à M. Lionel Jospin et à M. François Huwart. Nous avons eu ensuite un second débat à l’Assemblée nationale en octobre sur la base de cette résolution, avec l’appui du Gouvernement, qui a permis à chacun des groupes politiques de l’Assemblée d’intervenir dans le débat.

    3. Le déroulement de la journée

    Je vous propose que nous travaillions de la manière suivante. Tout d’abord, Mme Béatrice Marre présentera une synthèse du rapport qu’elle a présenté à la Délégation. Ensuite, Mme Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, viendra apporter un éclairage spécifique sur cette partie importante des négociations de l’OMC qui concerne son ministère. Après une pause, nous tiendrons notre première table ronde qui aura comme thème : " libéralisation et régulation, priorités et stratégies de négociation ". Au cours de celle-ci, de nombreux intervenants prendront la parole, de même que les personnes de la salle le désirant. François Huwart conclura la matinée.

    Nous reprendrons par l’intervention de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes, puis nous engagerons la seconde table ronde " un cycle multilatéral et transparent " au cours de laquelle la salle pourra également intervenir. Ensuite, nous conclurons notre journée par deux interventions : l’une de M. Pascal Lamy, Commissaire européen chargé du commerce extérieur ; l’autre de M. Christian Sautter, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

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  4. INTERVENTION DE Mme BEATRICE MARRE,
    Rapporteure d’information de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne
    sur " les enjeux du cycle de négociations "

    Avant d’aborder le rapport lui-même, je voudrais vous présenter le contexte dans lequel s’ouvre ce nouveau cycle de négociations commerciales internationales, la position de l’Union européenne et la problématique de la négociation.

    1. Le contexte
    2. Je vous propose que nous travaillions de la manière suivante. Tout Nous ne sommes pas dans la même situation que lors de l’ouverture des sept précédents cycles de négociations, notamment du cycle de l’Uruguay qui s’était caractérisé par des affrontements très durs et une durée particulièrement longue. Ce dernier cycle a laissé des souvenirs amers aux Européens, aux Américains et surtout au reste du monde qui s’était senti totalement exclu de ces négociations. Aujourd’hui, la situation est fort différente. Les deux principales puissances que sont les Etats-Unis et l’Europe, sont, bien entendu, toujours présentes. L’Europe, grâce aux traités de Maastricht et d’Amsterdam, et surtout grâce à la mise en place de l’euro, a renforcé sa position et elle est donc aujourd’hui capable de faire valoir son point de vue de façon plus efficace que lors des rounds précédents. Mais il faut compter avec le reste du monde, et notamment les pays émergents, qui n’ont pas l’intention de rester à l’écart de cette négociation, ni même de son ordre du jour. J’en profite pour saluer M. l’ambassadeur du Maroc, pays ayant hébergé la conférence du " Groupe des 77 " à Marrakech, qui confirmera sans doute le point de vue des Européens, à savoir que s’organise dans d’autres régions du monde une capacité d’intervention et de participation à l’échange international.

      Enfin, un quatrième " acteur " prend une place prépondérante dans ce cycle de négociations : les opinions publiques. Comme l’ont souligné le Président Fabius et le Président Alain Barrau, il n’est plus possible aujourd’hui de concevoir les négociations économiques internationales comme des relations exclusivement diplomatiques. Il y a émergence des opinions publiques qui veulent un contrôle plus démocratique de leur avenir, comme le prouve la présence de M. José Bové sur les médias.

      De mon point de vue, nous n’allons pas à Seattle dans le même état d’esprit, et surtout dans le même rapport de force, que lors des cycles précédents. L’Union européenne dispose aujourd’hui de la puissance nécessaire pour rassembler autour d’elle. Encore faut-il qu’elle réussisse à convaincre tous les pays de sa bonne foi sur la nécessité d’aborder un certain nombre de questions, non pas dans le but de protéger son propre marché, mais parce qu’ils constituent des facteurs du développement. Nous avons d’ailleurs vu évoluer les choses ces dernières semaines. Les Etats-Unis, qui souhaitaient que les négociations soient exclusivement axées sur l’agriculture et les services, comme cela était prévu par l’Accord de Marrakech, ont ainsi pris conscience qu’il fallait ouvrir le cycle à des sujets plus nombreux.

    3. LA POSITION EUROPEENNE
    4. La position de l’Union européenne, définie à l’unanimité lors du Conseil " Affaires générales " qui s’est tenu le 21 octobre 1999 à Luxembourg, est simple. Elle consiste à demander l’ouverture d’un cycle large en termes d’agenda pour permettre des négociations équilibrées. Nous risquerions, sinon, de créer les conditions d’un affrontement similaire à celui du cycle précédent entre l’Europe et les Etats-Unis, excluant les autres pays. Il faut également que ce cycle soit court, sans pour autant que le délai de trois ans ne corresponde à une date butoir car cela mettrait en péril notre troisième volonté qui est d’avoir un accord global.

      Le problème central de l’aide aux pays en voie de développement doit aussi être discuté car nous ne pourrons promouvoir un développement durable de la planète que si les pays en voie de développement, en particulier les moins avancés d’entre eux, y participent. L’Union européenne est favorable à l’octroi d’aides techniques et financières aux pays en voie de développement et à la définition, dans les accords, de clauses particulières de dérogation et de délais de mise en œuvre.

      Enfin, nous avons une forte volonté d’assurer une cohérence entre les organisations internationales, notamment le FMI ou la Banque mondiale, et l’OMC. Nous voulons éviter les contradictions qui ont pu se produire par le passé comme, par exemple, lorsque le FMI demandait à un pays d’augmenter ses recettes douanières pour réduire sa dette alors que l’OMC lui demandait à l’inverse de diminuer ses tarifs douaniers. Cette absence de cohérence entre les organismes internationaux est un des obstacles au développement durable et équitable.

    5. LES PROBLEMATIQUES DE LA NEGOCIATION
    6. J’insisterai sur le dossier agricole qui constitue certainement un nœud important de la négociation. Nous savons que les Etats-Unis et les pays du groupe de Cairns ont la volonté d’accentuer la libéralisation de l’agriculture. Les accords de Marrakech ont mis fin à l’exception agricole, qui faisait qu’un produit agricole n’était pas un produit comme les autres. Cependant, pour avoir rencontré un certain nombre de partenaires, je pense qu’il existe des dissensions à l’intérieur des pays du groupe de Cairns. Certains d’entre eux sont particulièrement critiques à l’égard de pratiques des Etats-Unis, notamment pour ce qui concerne les crédits à l’exportation ou l’utilisation abusive de l’aide alimentaire. A l’inverse, les Etats-Unis dénoncent le fait que ces pays disposent de coopératives d’achats d’Etat, ce qui fausse toute possibilité de concurrence à l’importation.

      Les pays de l’Union européenne doivent défendre l’idée simple que l’agriculture n’est pas un secteur économique comme les autres car il est porteur de la souveraineté des Etats en matière de sécurité d’approvisionnement et de sécurité alimentaire : il est donc légitime que chaque pays puisse protéger sa propre agriculture. Il faut garder à l’esprit que les échanges agricoles ne représentent que 5 % de la production agricole mondiale. Si l’Union européenne fait des propositions de baisse de tarifs douaniers et de suppression de certains quotas à l’importation au profit des PMA, elle arrivera à mieux se faire comprendre de tous et à favoriser la protection et l’émergence d’une agriculture indépendante dans chaque pays.

      Il existe une confusion que nous, politiques et professionnels syndicaux et associatifs, devons faire en sorte d’éliminer : la mondialisation n’est pas inéluctablement une forme d’" américanisation " du monde. La mondialisation est d’abord un phénomène assis sur le développement du progrès technique et des échanges. Si elle est devenue une sorte d’américanisation, c’est parce qu’après la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis étaient le seul pays possédant les moyens techniques et financiers lui permettant d’orienter les cycles de négociations selon ses propres conceptions. Mais, depuis la chute du mur de Berlin émerge dans l’opinion publique la volonté de promouvoir une mondialisation reposant sur l’égalité dans les échanges.

      J’aimerais également évoquer le problème du bilan de l’application des accords de Marrakech. Un tel bilan est nécessaire, mais il n’est souhaité ni par les pays riches, ni par les pays pauvres car il aboutirait à constater que les accords ne sont pas pleinement respectés. Cependant, c’est en allant à Seattle que nous parviendrons à ce qu’un bilan soit réalisé : le moratoire n’est pas une bonne solution.

    7. LES TROIS PARTIES DU RAPPORT

    L’enjeu de l’OMC est, à terme, la " gouvernance mondiale ". Certes, l’OMC –  dont l’Union européenne, et particulièrement la France, ont facilité la création – ne doit pas tout réglementer. Mais il faut utiliser l’OMC, et notamment son organe de règlement des différends, pour faire appliquer les accords multilatéraux et les règles définies par les autres organisations internationales.

    Deuxième volet, l’Europe ne pourra convaincre que si elle aide les pays en voie de développement à s’organiser afin qu’ils puissent pleinement intégrer les relations internationales dans ce cadre multilatéral qu’est l’OMC.

    Dernier volet, la défense de notre modèle européen qui repose sur un certain nombre de principes que nous voudrions intégrer dans l’évaluation commerciale : le principe de précaution en matière alimentaire, la diversité culturelle, le développement durable de la planète et le respect des règles fondamentales de protection des individus.

    Alain BARRAU

    Je vous remercie pour cette actualisation du rapport.

    Je vais passer la parole à Mme Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication. Si vous en étiez d’accord, nous pourrions organiser ultérieurement une journée de débats sur le thème de la culture, comme sur les autres thèmes de négociation à l’OMC. Il me semble en effet intéressant de pouvoir évoquer ces sujets après la Conférence de Seattle.

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  5. INTERVENTION DE Mme CATHERINE TRAUTMANN,
    Ministre de la Culture et de la Communication
    sur " Exception et diversité culturelle "

     

    Je vous remercie de cette proposition. Je pense effectivement que la conférence de Seattle ne fera qu’amorcer un long cycle de discussions et je serai très heureuse de pouvoir soumettre dans le cadre de tels travaux l’évolution de nos réflexions et de l’avancée de nos contacts.

    Le colloque sur l’OMC qui nous réunit aujourd'hui me semble se tenir au moment opportun, à moins d'un mois de la conférence de Seattle qui devrait marquer le lancement d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, et dans un lieu approprié. Les enjeux de ces négociations sont fondamentaux, et il me semble important que les députés en discutent avec les ministres et professionnels concernés. Cette discussion a d'ailleurs été précédée d'un rapport de grande qualité réalisé par Mme Béatrice Marre et de conclusions sous forme d'une résolution, qui ont contribué à éclairer le Gouvernement et qui l'ont, pour ce qui concerne le secteur dont j'ai la charge, conforté dans l'idée qu'il apparaissait indispensable de préserver l'exception culturelle.

    1. l’IMPORTANCE DES ENJEUX
      1. Le respect de la diversité : une exigence proprement culturelle
      2. La mondialisation menace les identités culturelles et, si l'on n'y prend garde, engendrera une standardisation culturelle et une uniformisation des comportements et des modes de vie. Il importe certes de promouvoir des valeurs et des références communes à l'ensemble de l'Humanité mais, sans oublier les spécificités léguées par le temps, sans oublier le respect des identités, sans négliger la richesse de la diversité des cultures.

        Banaliser le traitement de la culture ne permettrait pas de préserver les identités linguistiques et culturelles auxquelles nous tenons. La nature particulière des biens et services culturels et audiovisuels doit dès lors être clairement reconnue, car ils véhiculent des idées et du sens. Les films, notamment, reflètent les valeurs d'une société, contribuent à former l'opinion, ou, de manière plus prosaïque, induisent des réflexes de consommation.

        D’où l’importance du soutien et l’attention toute particulière dont ont toujours joui les studios hollywoodiens à Washington.

      3. Affirmer l'importance de la diversité culturelle : une exigence économique
      4. L'importance de ces enjeux économiques impose d'apporter des correctifs à la logique du libre échange, qui impliquerait que la plupart des Etats renoncent à leurs industries culturelles et audiovisuelles, dès lors que des " produits " étrangers peuvent être importés à un moindre coût : les films hollywoodiens, par exemple, sont amortis sur un vaste marché avant d'être exportés à bas prix, sans subir l'obstacle de la langue.

        Mais, nous ne pouvons accepter une telle division internationale du travail qui aurait pour effet de marginaliser l'Europe. Les industries culturelles, les industries du savoir et de l'imaginaire sont des industries d'avenir, dont le poids est très important en termes d'emplois et de croissance économique. Il ne s'agit pas d'une attitude protectionniste, démentie par les faits, puisque la part de marché des films américains en Europe, oscille entre 65 % en France et 95 % dans les autres pays !

      5. La préservation de la diversité culturelle : une exigence politique essentielle

      La préservation et la promotion de la diversité culturelle sont essentielles puisqu'elles conditionnent le pluralisme de l'expression artistique et des idées. Préserver la possibilité pour tous les créateurs de s'exprimer, et celle des pouvoirs publics de les y aider, m'apparaît comme un impératif. La culture et l'audiovisuel ne peuvent être régis par les seules lois du marché. La défense du pluralisme des idées et des expressions artistiques impose une intervention publique régulatrice.

      Nous devons prévenir l’avènement d'un monopole sur les images et permettre l'accès de toutes les créations au marché, de manière équitable. J’observe d'ailleurs que les Etats-Unis, très attentifs à la prévention des abus de position dominante sur leur territoire, comme l'illustre en ce moment même le procès contre Microsoft, semblent moins soucieux de prévenir une telle situation au plan international. Or ne peut-on effectuer un parallèle entre le monopole d'une firme sur un marché et le monopole de produits qui, s'ils n'émanent pas d'une seule firme, produisent un effet similaire, dès lors qu’ils émanent d'un pays dominant le marché, ce qui a pour effet d'évincer les productions en provenance d'autres nations ?

      Le pluralisme des productions nationales m’apparaît donc comme un impératif. C’est le corollaire du droit de tous les citoyens à ne pas être dépossédés de leur culture et de participer à son expression. Ce droit est universel, dans la filiation des droits de l'homme : il vaut donc pour les citoyens de toutes les nations.

    2. LA PRESERVATION DE L’EXCEPTION CULTURELLE, NOTION COMPLEMENTAIRE DE CELLE DE DIVERSITE CULTURELLE
      1. L’exception culturelle, un moyen plus fiable que l'exclusion culturelle pour préserver les politiques culturelles
      2. Il ne suffit pas de prendre conscience de la nécessité d’une intervention volontariste des pouvoirs publics. Encore faut-il préserver et développer la possibilité pour les gouvernements de définir et de mettre en œuvre librement les instruments de leurs politiques culturelles et audiovisuelles.

        Il existe un moyen pour cela : la préservation de l'exception culturelle dans ces négociations. Cela signifie, d’une part, le refus de prendre des engagements de libéralisation et, d’autre part, le maintien des dérogations à la clause de nation la plus favorisée qui permettent de traiter certains Etats de manière préférentielle (accords de coproduction par exemple).

        Il ne faut pas se tromper. L’exception culturelle n’a jamais signifié une exclusion juridique pour les 134 Etats membres de la culture et l'audiovisuel de l'OMC. Cet objectif aurait été irréaliste et dangereux pour les politiques culturelles.

        Irréaliste car cela supposerait que tous les Etats membres de l’OMC se mettent d'accord. Il s'agit d'un traité liant des Etats souverains ; l'Union européenne ne peut donc disposer pour autrui. Une minorité d’Etats a souhaité libéraliser l’audiovisuel (19 Etats sur 134 ont fait des offres de libéralisation) et donc, pour eux, l’audiovisuel est dans l’OMC. Pour nous, en revanche, l’audiovisuel ne figure pas au nombre des secteurs relevant de la juridiction de l’OMC, car nous n’avons pas effectué d’offres de libéralisation. En clair, l’OMC est une organisation à géométrie variable : elle ne lie pas uniformément tous les Etats sur les mêmes engagements.

        En tout état de cause, rechercher l’exclusion et non l’exception aurait été dangereux. Outre le fait qu’une exclusion suppose un accord à 134 pays sur ce qu'il faut entendre par culture et audiovisuel, avec le risque d’en rester au plus petit dénominateur commun, il y aurait de grands dangers à le faire. En effet, l’OMC pourrait alors retrouver la compétence dont nous avons voulu la priver pour clarifier les frontières du secteur exclu. Nous ne pouvons prendre le risque d'un contentieux (un panel en jargon OMC), qui statuerait sur le point de savoir si nous sommes ou non dans le secteur exclu.

        En l’état actuel des choses, l’OMC ne peut rien contre nos politiques culturelles et audiovisuelles, car elle ne peut mesurer les restrictions au libre échange qu'au regard des engagements pris. S'il n’y a pas d’engagements, par définition il n’y à rien à mesurer ni à sanctionner. L’exception culturelle n’a donc jamais signifié à mes yeux l’exclusion juridique, faute de quoi elle aurait sans doute été mise à mal.

      3. La diversité culturelle ne s'est pas substituée à l'exception culturelle

      Pour ma part, je n’ai guère renoncé à la notion d’" exception culturelle ". J’ai d’ailleurs intitulé à dessein ma récente tribune dans Le Monde : " L'exception culturelle n'est pas négociable ". Cette expression est née lors du précédent cycle de négociations multilatérales qui s'est achevé à Marrakech en 1994. Elle signifie que la Communauté européenne et la plupart des Etats membres de l'OMC (113) ont refusé de prendre des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel, estimant qu’il était essentiel de préserver la capacité d’intervention des Etats contre d'éventuelles remises en cause par l’OMC. L’exception culturelle est donc la règle et doit le rester, la grande majorité des pays estimant que nous ne sommes pas en présence de marchandises comme les autres.

      La notion de diversité culturelle ne se substitue pas à celle d’exception. Il n’y a ni glissement sémantique dissimulant une réalité occulte, ni a fortiori abandon. Tout simplement, ces deux notions ne se placent pas sur le même plan. Par "  diversité culturelle ", il s’agit d'expliciter la finalité poursuivie dans la négociation. L’" exception culturelle " est donc le moyen juridique, à mes yeux non négociable, d'atteindre l'objectif de diversité culturelle.

      L'expression " diversité culturelle " est plus récente. Elle est le fruit de réflexions menées dans le cadre de l'UNESCO depuis la conférence de Stockholm en 1998. Cette nouvelle notion est positive. Elle exprime la volonté de préserver toutes les cultures du monde, et non seulement notre propre culture, contre les risques d'uniformisation. Elle n'est sans doute pas parfaite, mais elle a le mérite de sortir de la seule référence à l’exception culturelle, qui n'est qu'un moyen.

    3. Le mandat de la Commission : une bonne base pour préserver l’exception culturelle
      1. Un meilleur départ que lors du précédent cycle
      2. Il est en effet sans précédent que les Etats membres de l'Union européenne s'entendent aussi clairement pour que l'exception culturelle reste la règle. Les acquis du cycle de Marrakech sont bons, mais ils ont été obtenus in extremis, au terme d'une bagarre avec le Commissaire Leon Brittan, qui n'avait qu'une idée en tête : que la Communauté européenne renonce à utiliser les possibilités offertes par l'accord OMC sur les services de préserver certains secteurs de la libéralisation, c'est-à-dire la possibilité de ne prendre aucun engagement de libéralisation et de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée.

        Nous avons pris le risque, pour obtenir un mandat précis, de ralentir la préparation de la conférence de Seattle, en refusant un texte inacceptable lors du conseil affaires générales du 11 octobre. Le conflit aurait pu se prolonger plus longtemps, mais, heureusement, notre intransigeance et la pression conjuguée du calendrier ont porté leurs fruits. Les derniers réticents ont préféré ne pas prendre le risque de ruiner des mois d'efforts, par ailleurs très productifs, en s'opposant à nos légitimes revendications.

      3. Le mandat de la Commission : une très bonne base pour la négociation

      La version dite de " compromis " que nous avons refusée d'accepter le 11 octobre était beaucoup trop vague sur le point absolument essentiel qui est la référence à la capacité des Etats de promouvoir la diversité culturelle. Nous souhaitions avoir la garantie que les négociations seraient menées comme lors du précédent cycle de négociation car, pour certains Etats, des engagements de libéralisation partielle ne sont pas incompatibles avec la nécessité de préserver la diversité culturelle. Cette référence au précédent cycle de négociations a été difficile à faire admettre.

      Nous souhaitions aussi un maintien de l'exception culturelle quels que soient les thèmes débattus. C'est pour cela que s'imposait le recours à une formule plus large que la seule référence au cycle d'Uruguay. Nous devions obtenir que les négociations ne porteraient pas atteinte à la capacité de l’Union et des Etats membres de définir et de mettre en œuvre leurs politiques culturelle et audiovisuelle.

      Je crois pouvoir dire, à la lecture du texte adopté, que nous avons pleinement atteint notre objectif. Le texte retenu affirme en effet que : " L'Union veillera, pendant les prochaines négociations de l’OMC, à garantir, comme dans le cycle de l'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et ses Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en œuvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles pour la préservation de leur diversité culturelle ".

      Les orientations arrêtées par le Conseil répondent donc à mes préoccupations : des garanties sur les modalités de négociations – via la technique éprouvée de l'exception culturelle – et l'affirmation plus générale, compte tenu du champ des négociations qui ne couvriront pas, semble-t-il, les seuls services, de la nécessité de préserver et de développer la capacité des Etats membres et de l'Union à définir et mettre en œuvre les politiques culturelles.

    4. Conserver une extrême vigilance
    5. Contrairement à ce qu'ils laissent entendre, les Etats-Unis continuent en effet d’œuvrer en faveur d'une libéralisation des services audiovisuels. A en croire Jack Valenti, talentueux président de la Motion Picture Association of America, qui s'exprimait il y a peu de temps à Beaune, les Etats-Unis n'auraient désormais aucune mauvaise intention à notre égard. Ils accepteraient de nous laisser subventionner librement l'audiovisuel et n'auraient plus rien contre la directive " Télévision sans frontières " (TSF), qui prévoit des quotas en faveur des œuvres européennes (minimum 50 %).

      Ce discours est chaque jour contredit par les faits. Je vous laisse en particulier apprécier la nature de la pression qu'exercent en ce moment même les Etats-Unis sur les Etats qui demandent leur accession à l’OMC, pour qu'ils prennent des engagements de libéralisation concernant l'audiovisuel. Il s’agit évidemment, pour ce qui concerne les Etats qui auraient vocation à rejoindre l'Union européenne dans le cadre de l'élargissement, de faire en sorte que leurs engagements OMC soient incompatibles avec le respect des acquis communautaires en matière audiovisuelle.

      Si la directive TSF ne leur pose réellement plus de problème, pourquoi alors une telle pression ? Il est bien évident que l'objectif poursuivi est de rendre impossible le maintien en l'état de cette directive TSF après l'élargissement. C’est pourquoi la France est aussi vigilante sur les modalités de l’accession de la Croatie à l'OMC.

      En second lieu, ces bonnes intentions affichées ne valent que pour certains services audiovisuels. Or il faut à la fois préserver l’existant qui, contrairement à ces allégations, est bien menacé, et veiller aux risques de contournements, notamment via le commerce électronique. En effet, les Etats-Unis estiment que tout le commerce électronique doit être libéralisé. Pour eux, les réseaux numériques ne véhiculent que des " biens virtuels ", des marchandises immatérielles en quelque sorte. Les transactions relèveraient alors du GATT qui va plus loin dans la libéralisation que le GATS.

      Nous défendons au contraire l'idée, que je crois désormais partagée au sein de l’Union européenne, que le mode de transmission d'un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Dès lors, ces transactions électroniques doivent être qualifiées de services. Ce principe de neutralité technologique a été implicitement consacré lors du précédent cycle de négociation, dès lors qu'il était prévu que l'ensemble des services audiovisuels, sur tous supports, et donc à priori via Internet, sont couverts. De même, l’accord de 1997 sur les télécommunications de base distingue nettement le régime des contenus et celui des services.

      Pour autant, cette classification est contestée par un certain nombre d’Etats, qui sont exclusivement attentifs aux attentes des industries qui véhiculent les contenus. Mais pour les industries de contenu elle-même, pour tous les auteurs, ne faut-il pas avant tout veiller scrupuleusement à la protection des œuvres contre le piratage, au respect du droit de la propriété intellectuelle, qui garantissent l'intégrité et la valeur des œuvres ? Or on ne saurait réclamer pour de simples marchandises le même degré de protection que pour des services audiovisuels.

      Cette conviction a conduit la semaine dernière cinquante-huit ministres de la Culture réunis à l’UNESCO dans le cadre d'une table ronde sur " La diversité culturelle face à la mondialisation " à adopter des conclusions, à l'initiative de la France, qui manifestent leur attachement au principe de neutralité technologique. Là encore, nous avons posé un jalon, mais la vigilance reste de mise.

    6. La responsabilité de l’UNESCO

    Elle m’apparaît être l'enceinte appropriée pour réfléchir sans risque à la manière de préserver à l'avenir " le pluralisme culturel ". L’OMC n'est pas le cadre adapté pour discuter de ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés à la création d'un groupe de travail " culture et commerce " à l’OMC. Ce serait, pour reprendre l'expression de Louise Baudouin, ministre des Affaires étrangères du Québec, " introduire le renard dans le poulailler ".

    C’est aussi la raison pour laquelle une référence à la nécessité de préserver la diversité culturelle et la capacité des Etats à mener des politiques culturelles serait inopportune dans la déclaration ministérielle de Seattle, c’est-à-dire dans le texte qui devrait être adopté par les cent trente quatre Etats membres à Seattle pour servir de cadre au prochain cycle de négociation.

    En l’absence de travaux préalables sur les notions de diversité culturelle et de politiques culturelles, il apparaîtrait inéluctablement nécessaire de clarifier ces notions, ouvrant par là la voie à la création d'un groupe de travail. On peut se référer au précédent des normes sociales : lorsque l'inclusion de ce thème a été demandée à Singapour, la proposition a été accompagnée de celle consistant à créer un groupe de travail, pour clarifier les concepts.

    On prendrait par ailleurs le risque de démobiliser les pays soucieux de préserver la diversité culturelle, qui pourraient se croire protégés par cette référence et accepter de ce fait plus facilement des offres de libéralisation qui les exposeraient ensuite inévitablement à des panels. C'est l’UNESCO qu'il faut privilégier pour réfléchir à ces questions et non l'OMC où, à la différence de l'UNESCO, les politiques interventionnistes font l'objet d'une présomption de culpabilité.

    Nous œuvrons en ce sens, et les conclusions adoptées le 2 novembre l'attestent. Dans la lignée du rapport adopté en septembre à Oaxaca au Mexique, sur ma proposition, par dix-sept ministres de la culture, cinquante-huit ministres ont cette fois insisté sur la spécificité des biens et services culturels, y compris lorsqu'ils sont dématérialisés, dans la perspective des prochaines négociations de l’OMC.

    Ils ont aussi reconnu le droit pour les Etats de mener librement leurs politiques culturelles et audiovisuelles et ont souhaité que l’UNESCO les aide à l'avenir à définir la manière la plus adéquate de préserver la diversité culturelle face à la mondialisation. C’est assurément la voie qui me paraît la mieux adaptée .

    Voilà nos réflexions. Je voudrais dire devant cette assemblée combien le travail que nous menons avec François Huwart est positif. Au sein de notre Gouvernement, nous avons une identité de vision qui nous a donné, dans toutes les prises de positions et les négociations, une force très importante. Nous voulons défendre la liberté universelle en matière d’expression et de création pour tous, et non simplement pour notre propre vision nationale des choses. Cela suppose des règles, mais aussi que nous puissions continuer à réunir le plus grand nombre de pays sur des positions que nous souhaitons partagées.

    Alain BARRAU

    Je vous remercie de cet exposé très riche et très dense. Je retiens en particulier deux remarques que vous avez formulées : cette sorte de mise de côté de l’ensemble du commerce électronique, qui a l’air d’être considéré comme un banal support quel que soit le contenu qu’il véhicule, et surtout la stratégie américaine de contournement de l’Union européenne, qui reconnaît ainsi implicitement le rôle de l’Europe, mais qui complique le processus d’élargissement. Ce que vous avez présenté à propos de la Croatie se passe aussi avec un certain nombre de PECO avec lesquels nous avons mis en place des relations visant à leur intégration dans l’Union.

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  6. premiere Table ronde :
    Libéralisation et régulation
    Priorités et stratégies de négociation
  7. Alain BARRAU

    Je voudrais maintenant passer la parole à M. Pascal Rogard dont le champ de compétences couvre les thèmes évoqués par Mme Trautmann.

     

    INTERVENANTS

    Pascal ROGARD,
    Délégué général de l’Association
    des Réalisateurs Producteurs (ARP)

    Une grande partie de ce que je souhaitais dire a été très bien exprimée par Mme Catherine Trautmann dont nous approuvons totalement l'intervention. Nous avons particulièrement apprécié la fermeté du discours politique du Premier ministre, des autres membres du Gouvernement français et du Président de la République. Il faut se féliciter du consensus national existant sur la défense de l’exception culturelle.

    Le nouveau cycle de négociation ne sera pas de même nature que le précédent. Au moment du lancement de l’Uruguay round, nous n’imaginions pas que le secteur de l’audiovisuel serait concerné par les discussions. Il a fallu attendre 1992 pour découvrir que l'audiovisuel était un des secteurs clés de la négociation. Il nous était dit à l'époque que, si aucun engagement n'était pris par les Européens en matière audiovisuelle, la négociation échouerait et que nous serions alors responsables d'une chute de la croissance mondiale et de la perte de milliers d'emplois. Ces négociations ont finalement abouti à l'exception culturelle, que l’on nomme aujourd’hui " diversité culturelle ", même s'il s'agit en réalité de la même chose comme l'a dit Mme Catherine Trautmann. Ce concept signifie le refus de prendre des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel et le maintien de notre capacité à déterminer librement nos politiques culturelles. Il faut bien comprendre que les mesures prises en France et en Europe dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel pour se protéger de l’oligopole hollywoodien sont contraires aux sacro-saints principes de l’OMC, notamment au principe de traitement national et à la clause de la nation la plus favorisée. Il faut savoir également que les Européens n'auront rien à gagner dans les futures négociations, mais au contraire tout à perdre. En effet, le secteur audiovisuel américain, qui connaît un fort développement, n'est protégé par aucune barrière réglementaire, mais bénéficie de barrières structurelles très fortes. La part de marché du cinéma non-américain est inférieure à 5 % aux Etats-Unis. Le président de Miramax a même parlé de quotas secrets. Dans ces conditions, des négociations sur l'audiovisuel ne permettraient pas aux Européens d’améliorer leur pénétration dans le marché américain. Nos intérêts de négociation seraient strictement défensifs.

    Nous sommes satisfaits du mandat de négociation qui a été donné à la Commission européenne, grâce à la détermination du Gouvernement français. Cela constitue très grand progrès puisque, lors des précédents cycles, les questions de culture et d'audiovisuel n'étaient pas évoquées dans les mandats de négociation. Le mandat de négociation qui a été adopté affirme clairement la nécessité, d’une part, de protéger l’acquis communautaire, c’est-à-dire l’exception culturelle, et, d’autre part, de maintenir la libre capacité des Européens de déterminer leurs politiques en matière de commerce électronique au cas où des négociations seraient engagées dans ce secteur.

    En ce qui concerne la position américaine, il est vrai que cette dernière a changé et que l'on entend de plus en plus souvent un discours lénifiant sur le thème : " Ne vous inquiétez pas. Nous n'avons pas l'intention de vous déclarer la guerre comme en 1993. Vous pouvez déterminer librement vos politiques qui de toute façon ne vaudront bientôt plus rien avec le développement d'Internet qui permet de contourner les réglementations nationales ". Ce discours constitue une posture et une imposture. La réalité est que, comme l'a souligné Catherine Trautmann, les Etats-Unis exercent de fortes pressions sur les pays d'Europe centrale et orientale pour qu’ils prennent, avant leur adhésion à l'Union européenne ou à l'OMC, des engagements en matière audiovisuelle contraires à l’acquis communautaire. Il y a aussi une volonté très claire de l'administration américaine de parvenir à une libéralisation du commerce électronique, y compris celui des œuvres, comme cela a été d’ailleurs clairement indiqué par l’ambassadeur des Etats-Unis en France, dans Le Figaro.

    Le dernier sujet, plutôt consensuel avec la partie américaine, est celui de la protection de la propriété intellectuelle. Si l'on excepte la question des redevances sur les copies privées – qui oppose Européens et Américains, les premiers appliquant le principe de réciprocité, les seconds celui de traitement national – l'Europe et les Etats-Unis ont des intérêts identiques pour la protection des œuvres dans l’univers du numérique. La réflexion qui sera menée à l’OMC sur la propriété intellectuelle devra intégrer les nouvelles dispositions des traités de l’OMPI améliorant la protection des œuvres dans l’univers du numérique. On constate qu'une très forte piraterie s’est développée, depuis trois à quatre ans, dans le secteur de la musique et qu'elle devrait bientôt s'étendre au secteur de l’image. C'est ainsi que des internautes américains sont récemment parvenus à " casser " les codes de protection qui empêchent la copie des DVD dans les ordinateurs. L'Europe et les Etats-Unis partagent donc le même objectif d'une protection mondiale de la propriété intellectuelle. Mais, pour pouvoir partager, encore faut-il que nous ayons encore quelque chose à défendre. Pour que nous puissions soutenir les demandes des Etats-Unis en faveur d'un renforcement de la propriété intellectuelle, il faudra donc que nous conservions la capacité de produire des œuvres.

    Pour conclure, je dirais que nos bases de négociation sont bien meilleures que lors du précédent cycle. Nous sommes certains que le commissaire européen en charge des questions commerciales, qui est français, aura une attitude plus positive à l’égard de la culture et de l’audiovisuel que son prédécesseur dont le seul objectif était de lâcher sur l’audiovisuel pour obtenir des contreparties sur d’autres aspects de la négociation.

    Dernier point, je voudrais dire combien je suis gêné par l’aspect " marchandage " de ces négociations. Pendant le cycle de l’Uruguay, l’audiovisuel était en échange avec le transport maritime. Cette situation n'est pas agréable et peut devenir dans certains cas inacceptable. Cependant, nous sommes rassurés par le fort consensus politique existant en France, et qu'il convient de faire partager dans les autres pays européens, sur la défense de l’exception culturelle.

    Marie-Anne FRISON-ROCHE,
    Professeur d’université

    La " révolution " de l'OMC repose sur l'existence de ce qu'il faut bien appeler un tribunal, émettant ce qu'il faut bien appeler également des jugements, et ayant le pouvoir d’appliquer des sanctions. Or dans l’ordre mondial, l'OMC est le seul organisme ayant cet extraordinaire pouvoir juridique de contraindre à partir d'un organe juridictionnel.

    Cette situation n'est pas sans créer des déséquilibres par rapport à d’autres organisations internationales plus anciennes et légitimes, telle l'Organisation internationale du Travail (OIT), qui ne disposent pas d'un tel pouvoir. Un des enjeux est donc la mise en place d’une inter-régulation entre ces organismes et l’OMC, cette dernière étant pour l'instant en position dominante. Or cette entreprise se heurte à un double écueil. Soit on dit à l'OMC : " Il ne faut pas vous occuper des seuls problèmes commerciaux. Vous devez prendre en compte les autres normes existantes en matière de culture ou de travail ". Mais le risque est alors que l'OMC absorbe l'ensemble des formes de régulation et impose à tous ses règles grâce à son organe de règlement des différends. Soit on dit à l'OMC : " Vous êtes déjà trop puissant. Occupez vous de commerce et laissez les autres organisations internationales traiter les questions d'environnement ou de travail ". Mais dans ce cas, l'OMC devient une structure " borgne " contrainte à ne prendre des jugements que sur la base de considérations commerciales. Les solutions proposées jusqu'ici – et qui reposent sur l'échanges d'informations entre organisations – correspondent à un échec absolu.

    Comment faire pour mettre en place cette inter-régulation ? Une solution serait de juridictionaliser les autres instances. Mais il faudrait alors mettre en place un super-tribunal mondial des conflits et un système de sursis à statuer pour remédier aux conflits de compétence. Les juristes adorent ce genre de réflexions mais je ne suis pas sur que les Etats les aiment autant !

    Une autre solution consisterait à contraindre les panels de l’OMC à prendre en considération les doctrines, les principes et les interprétations élaborés par les autres organisations internationales dans les domaines non commerciaux. Du point de vue probatoire, on aurait ainsi un système dans lequel les panels ne pourraient pas édicter ou interpréter de manière autonome des règles portant sur des domaines non commerciaux, mais devraient prendre en compte le corps de doctrine des autres organismes internationaux. Comme ces organismes ne disposent pas d'organes juridictionnels, les principes qu'ils posent n'ont pas l'autorité de la chose jugée. Les panels de l'OMC pourraient donc prendre une certaine distance par rapport à ce corps de doctrine dès lors qu’ils le justifieraient. Ainsi, tout en cessant d'être borgne, l’OMC ne deviendrait pas ce super-Léviathan absorbant toutes les règles d’organisation mondiale des échanges économiques. La seule limitation au pouvoir des juges et des panels de l'OMC ne saurait être que l’obligation de motivation qui est une garantie procédurale et juridique nécessaire des Etats membres de l'OMC.

    Marc MAINDRAULT,
    Directeur général du MEDEF

    Je vais développer deux grandes idées :

    Ce que souhaite le MEDEF et ce qu’il ne peut accepter de la négociation du Millenium round.

    Le MEDEF souhaite en premier lieu que les accords de Marrakech soient respectés. Avant de songer à en élargir le champ, il faut être certain du respect des acquis de Marrakech. Dans cette optique, il serait désolant de ne pouvoir faire jouer les règles en usage dans l’OMC : si un acquis est renégocié, il faut pouvoir trouver les compensations adaptées pour les pays touchés par cette renégociation, qu'il s'agisse d'un meilleur accès aux marchés des pays souhaitant la renégociation ou d'une régulation des importations en provenance de ces pays.

    Le MEDEF poursuit deux grands objectifs.

    ·  la libéralisation des marchés

    Cette libéralisation doit couvrir les services, les marchandises et les investissements. Concernant les marchandises, nous souhaitons : une diminution des droits de douane en moyenne, assortie d'une élimination des pics tarifaires; l’instauration de taux de consolidation des droits de douanes plus significatifs que ceux actuellement admis, notamment dans les pays émergents; une éradication sensible des obstacles non-tarifaires qui freinent nos investissements et nos exportations à l'étranger; la prise en compte des nouvelles technologies, notamment du commerce électronique; et, enfin, une facilitation des échanges reposant sur une simplification des formalités et des procédures douanières.

    Nous souhaitons également une libéralisation du commerce des services qui, d'une part entérine le statu quo, d'autre part ouvre aux services qui n’ont pas été traités lors du précédent cycle de négociation des possibilités d'accès aux marchés des pays tiers. Le cas échéant, nous souhaitons que soient édictées des règles horizontales, dites proactives, permettant de réguler le domaine concurrentiel d’exercice de ces services. Enfin, dans le domaine des investissements internationaux, nous pensons qu’il faut améliorer l’acquis de Marrakech en posant un certain nombre de règles comme la transparence, le traitement national, la non-discrimination, l'application de l'organe de règlement des différends ou la protection des investissements.

    ·  une certaine régulation des échanges et des investissements internationaux

    La libéralisation des échanges et l’accès aux marchés portent sur les seules protections " primaires " des marchés. Or des protections renaissent au cœur même des systèmes. Il faut donc que l’OMC s’intéresse aux disciplines et réglementations internes mises en œuvre dans les pays membres. C'est pourquoi le MEDEF souscrit au lancement de négociations dans les domaines de la concurrence, de l’environnement, de l’éthique ou du social.

    Le MEDEF peut difficilement accepter, en revanche, certaines options figurant dans les textes qui sont en cours d’examen. Nous avons relevé sept déséquilibres.

    ·  Tout d’abord, nous observons que le projet de déclaration de Seattle est trop détaillée, contrairement au texte adopté à Punta del Este qui se contentait d'indiquer les rubriques à prendre en compte.

    ·  Ensuite, les textes en cours d’examen mêlent deux notions qui nous paraissent antinomiques : le " single undertaking " (ou engagement unique) qui est simplement cité et le principe du traitement spécial et différencié qui est mis en avant à plusieurs reprises dans les textes.

    ·  Le troisième déséquilibre résulte de la distinction faite entre l’action immédiate et l'action à moyen terme. Cette distinction implique que nous risquerions de faire des concessions dans des domaines essentiels comme la normalisation, le textile, la propriété intellectuelle, l’anti-dumping alors que nous devrions nous contenter de négociations à plus long terme sur des thèmes qui nous intéressent comme la facilitation du commerce, l’investissement international et la concurrence.

    ·  Il y a un quatrième problème crucial. On nous dit que les PVD ne disposent pas des infrastructures et des institutions nécessaires pour mettre en œuvre les acquis de Marrakech. Mais, dans ce cas, comment pourront-ils mettre en œuvre des accords dans des domaines aussi délicats que la concurrence, la facilitation douanière ou la gestion de l’investissement étranger ?

    ·  Le cinquième déséquilibre vient d'une application indifférenciée du principe de traitement spécial et différencié. Si ce concept est dans son principe parfaitement recevable, son application à l'ensemble des PVD, pays émergents inclus, constitue un véritable problème qui se pose au niveau politique.

    ·  Le sixième déséquilibre que nous relevons est le fait que les instruments régulateurs de la politique commerciale, que sont les mécanismes d’anti-subvention ou d’anti-dumping, risqueraient, si certaines options du texte actuel étaient adoptées, de devenir inopérants. Or il n'existe pas de substituts à ces instruments.

    ·  Enfin, le dernier déséquilibre concerne l’agriculture et l’agro-alimentaire. L'objectif devrait être de réconcilier les trois volets de la négociation que sont les restitutions, le soutien interne et l'accès aux marchés. Or, faute d’avoir une approche équilibrée de cette question, des problèmes risquent de se poser en termes d’approvisionnement en qualité et en prix des industries agro-alimentaires.

    Alain BARRAU

    Je vous remercie. Je passe la parole à M. Patrick Messerlin qui est l'auteur d'un certain nombre d'articles identifiables sur la libéralisation des échanges.

    Patrick MESSERLIN
    Professeur d’université

    Voilà une quinzaine d’années que je suis un observateur des négociations sur le commerce international. Je voudrais faire une présentation en trois points.

    Tout d’abord, je voudrais essayer de faire baisser le niveau d’adrénaline qui monte chaque jour dans notre pays à l’égard de ces négociations. En soulignant d’abord, avec un peu d’humour, que cette fois-ci, contrairement au cycle précédent, c’est la communauté européenne qui souhaite avoir des négociations globales, au contraire des Etats-Unis qui veulent des négociations limitées. Notre position est donc l'inverse de celle qui était la notre au moment du lancement du cycle de l'Uruguay. D’autre part, je voudrais vous faire comprendre qu'un cycle de négociation prend toujours beaucoup de temps. Il n’y a aucune chance qu’un accord sérieux soit signé en 2003 car il faut précédemment que l’Uruguay Round soit intégralement respecté. Cela suppose que la libéralisation du textile soit effective, ce qui ne sera pas possible avant 2005. Les négociations commenceront donc en 2000 et s’achèveront au plus tôt en 2005-2006. Les mesures les plus faciles ne seront appliquées qu’en 2006 ou 2007 et les plus difficiles aux alentours de 2010. Nous disposons donc de suffisamment de temps pour mener ces négociations.

    Deuxième point, si nous avons beaucoup de temps, nous avons également beaucoup de travail à réaliser. En effet, contrairement à une idée reçue, le niveau de protection reste encore élevé, et pas seulement dans les PVD. C’est ainsi que le niveau de protection dans l’agriculture n’a pas diminué. De même, certains secteurs industriels, comme le textile et les services, sont encore largement protégés. Une étude réalisée par le centre d’analyses économiques (CAE) montre ainsi que le niveau de protection représente environ 500 milliards d’euros par an, ce qui correspond au PNB de l’Espagne.

    Dernier point, les Français ont l’impression que l’OMC est un rouleau compresseur. Ce n’est pas le cas. Les négociations seront longues, de sorte que nous avons le temps nécessaire pour réfléchir à nos politiques. Je vais vous donner deux exemples. En Europe, nous avons une politique agricole commune qui a été conçue dans les années cinquante pour des exploitations qui étaient toutes du même type. Aujourd’hui, il existe toujours la même politique agricole, mais celle-ci s’applique à des exploitations totalement différentes. Ne faut-il donc pas réviser la PAC pour en faire deux ? L’une, prévoyant un niveau de protection plus faible, serait destinée aux grandes exploitations ; l’autre resterait à l’usage des petites ou moyennes entreprises agricoles. Sur l’audiovisuel, j’ai, comme beaucoup, été surpris par la position des entreprises américaines qui ne sont pas défavorables à la politique européenne des quotas. J’ai donc cherché à comprendre pourquoi il apparaît que les Américains pensent que la technologie permettra de résoudre de nombreux problèmes. Ils savent également que l’Inde, Hong Kong ou les pays d’Amérique du Sud sont de gros producteurs et que l’Europe est dans une situation à part. De plus, les PECO n’aiment pas du tout la politique audiovisuelle française. En effet, la France ne demande pas à ces pays l’application de la directive sur la télévision sans frontière, mais l’application " à la française " de cette directive. Enfin, je pense que les Etats-Unis acceptent la politique audiovisuelle française parce qu’elle ne marche pas et qu’elle a conduit à faire réaliser des films américains par des auteurs français !

    Alain BARRAU

    M. JACQUOT, pouvez-vous nous donner la position de la CFDT sur les normes sociales ?

    Denis JACQUOT
    Secrétaire confédéral de la CFDT

    Je voudrais évoquer trois points. Tout d’abord, je souhaite rappeler ce que sont les enjeux prioritaires de la négociation aux yeux des syndicats français. Ensuite, je tiens à réaffirmer la nécessité d’un débat sur les normes sociales au sein de l’OMC. Enfin, j’apporterai quelques réflexions sur les responsabilités de l’Europe.

    Concernant les enjeux, nous affirmons plusieurs éléments.

    ·  Il faut d’abord progresser, par des règles négociées, sur la voie d’une consolidation du cadre commercial multilatéral qui est la meilleure garantie contre des politiques de rétorsion unilatérale.

    ·  La conférence de l’OMC doit également préserver les chances pour l’Europe de construire son modèle de développement économique social, ce qui inclut nos réflexions sur l’intérêt des marchés publics ainsi que la notion de diversité culturelle. Il apparaît évident que cette dernière notion dépasse le simple cadre européen et qu’elle doit devenir un concept clé dans la construction de nouvelles règles multilatérales.

    ·  Cette conférence doit être l’occasion d’intégrer de manière décisive les pays les moins avancés dans le cycle de libéralisation et de régulation des échanges. Les négociations de Seattle doivent permettre à ces pays de faire un saut significatif dans le chemin vertueux du développement.

    ·  Il faut enfin respecter les exigences de concertation et de transparence. Si l’AMI a eu un impact positif, c’est qu’il a donné lieu à une multiplication des séances de concertation.

    Notre démarche se veut réaliste, mais aussi exigeante et efficace. Nous ne partageons pas la démarche des personnes qui souhaitent un moratoire, dans la mesure où cette démarche cache mal un aveu d’impuissance. Le débat des normes sociales n’étant pas une priorité, il faut réfléchir à trois aspects qui motivent leur discussion future :

    ·  une raison politique

    Depuis le sommet de Copenhague, les normes sociales fondamentales sont inscrites au cœur de la conception du nouveau développement. Tôt ou tard, l’OMC devra prendre en compte le débat sur la dimension sociale du développement en adoptant une approche progressive, incitative et coopérative. On est loin des sanctions unilatérales avec demande d’effet immédiat.

    ·  une raison économique

    Si rien ne permet aujourd’hui de dire que la non-application des normes sociales fondamentales entraîne des avantages significatifs en termes de part de marché, il existe des attitudes qui contreviennent au respect de ces normes. C’est ainsi qu’on ne peut admettre que des enfants fabriquant des tapis en Inde conduisent au chômage des personnes travaillant dans ce même secteur au Népal, ou que, dans certaines zones franches d’Amérique Centrale, il y ait des menaces sur les syndicalisations avec le chantage d’une nouvelle délocalisation. Les normes sociales sont un problème universel. Il faut que l’OMC accepte de débattre des relations entre échanges économiques et normes sociales. Il importe de réfléchir en quoi des politiques commerciales adaptées peuvent concourir au respect d’exigences fondamentales, notamment en matière de développement durable.

    ·  une raison éthique

    Comment imaginer que des normes universelles ne puissent s’appliquer à tous les pays, indépendamment de leur niveau de développement ? Comment concevoir que de telles normes relèvent de la seule compétence de l’OIT alors qu’elles concernent l’ensemble des organisations multilatérales ? Comment croire que ces normes sociales puissent être abandonnées au motif qu’elles ne concernent pas une organisation s’occupant du commerce ?

    La démarche ne sera pas obligatoirement couronnée de succès. Mais je crois que nous devons sortir de cet d’affrontement nord-sud qui est trop souvent entretenu par ceux qui ne souhaitent pas qu’il y ait d’avancée sur la question.

    Trois remarques peuvent être faites sur les responsabilités européennes dans ce nouveau round. Tout d’abord, je regrette qu’il n’y ait pas eu de démarche des ministres des Affaires sociales européens pour placer au centre du débat la question du statut d’observateur de l’OIT au sein de l’OMC. Ensuite, il me semble que la question des normes sociales et celle de l’appui spécifique aux PMA devraient être présentées dans le cadre d’un paquet intégré. C’est une des conditions à une sortie de l’aspect nord-sud du débat sur les normes sociales et à la constitution d’une alliance entre pays ayant une approche différente de celle des Etats-Unis, ces derniers recherchant principalement à augmenter leur part de marché. Enfin, il est nécessaire d’avoir une vision à moyen et long terme de l’évolution des négociations commerciales. L’objectif doit être de progresser vers un développement durable, c'est-à-dire respectueux de l’environnement, équitable, car accordant une place centrale à la réduction des inégalités, et solidaire, parce que l’interdépendance doit se décliner en termes de coopérations accrues. Cette vision à moyen terme, si elle s’inscrit dans une démarche de longue durée, n’en est pas moins nécessaire à court terme, sachant que se tiendra en juin prochain une nouvelle conférence des Nations Unies, qui fera un bilan des décisions prises précédemment sur le développement social. L’universalité reste à construire ; c’est ce qui donne tout son sens à la diversité.

    René PASSET
    Responsable du Conseil scientifique d’ATTAC

    Ce que je sais des accords me pose deux problèmes essentiels. D’une part, on nous présente des débats techniques, et on a l’impression que ce qui va se dérouler à Seattle ne met en jeu que les techniques de l’échange international. Or, la question que l’on peut se poser est de savoir s’il n’y a pas des enjeux sociaux plus profonds derrière ces débats techniques. Par exemple, alors que l’on ne parle que de produits agricoles, on n’évoque jamais l’agriculteur et les conditions économiques de sa production. Or cette simplification devrait nous être interdite : dans notre société d’interdépendance, la moindre production est un fait social mettant en jeu les hommes et les connaissances du monde. Il est difficile d’isoler un produit sans le mettre en rapport avec les hommes qui le produisent ou le consomment.

    Ma deuxième question concerne la clause de la nation la plus favorisée. Les négociations vont se dérouler sans tenir compte des lieux géographiques, des conditions économiques, des conditions humaines et des accords passés précédemment. Je me pose donc une question : qu’advient-il des accords de Lomé, de la convention de Rio et des accords sur la protection de l’environnement ? Est-ce à dire que la loi marchande devient supérieure à toutes les autres ? J’aimerais avoir quelques garanties sur ce point.

    Troisième question, le principe de traitement national ne va-t-il pas induire que toute mesure de protection sociale sera assimilée à un obstacle à la concurrence, et tout service public à un monopole ? La concurrence sera-t-elle totale entre les entreprises privées dans des domaines comme la santé ou la culture ? Dans ce cas, l’enjeu n’est-il pas la constitution d’un nouveau modèle de civilisation ? L’égalité des citoyens devant la santé ou l’éducation n’est-elle pas en menacée ?

    Mon autre impression est que la démarche a été inversée. On entend dire qu’il faut diminuer les protections tarifaires. Or, les avantages comparatifs n’existent plus entre nations. D’une part, parce que les deux tiers des échanges internationaux se font entre firmes transnationales. D’autre part, parce que l’une des conditions des avantages comparatifs est l’immobilité des capitaux qui n’existe plus aujourd’hui. Je ne pense pas que notre problème provienne de l’insuffisance de liberté des mouvements de biens ou de capitaux. Je constate plus souvent les problèmes humains posés par cette libéralisation excessive des échanges qui transforme le soulagement de l’homme par la machine en exclusion sociale, transforme le ménagement de la nature en épuisement et transforme l’élévation des niveaux de vie dans le monde en rupture de plus en plus accentuée entre les plus riches et les plus pauvres. J’ai le sentiment qu’il faut renverser la démarche. De ce point de vue, la terminologie "  exception culturelle " me paraît mauvaise car elle laisse à penser que tout le reste est la norme. Je préfère largement la terminologie "  diversité culturelle " qui est une norme à préserver. Il me semble que la meilleure démarche est de partir de la définition d’un certain nombre de normes humaines, environnementales ou sociales et de laisser alors jouer librement les échanges dans le cadre du respect de ces normes. Le marché peut avoir d’immenses mérites à condition que ce qu’il menace soit protégé.

    Pour conclure, je dirai que le fonctionnement de l’OMC soulève, de notre point de vue, un double problème. Nous estimons d’abord qu’il faut redéfinir la nature de la mission de cet organisme. Nous sommes favorables à une organisation qui aurait pour mission de faire respecter les droits humains et de contrôler les mouvements de marchandises et de capitaux dans la limite du respect des droits de l’homme, de l’environnement et de la vie.

    Nous demandons également que les conditions d’exercice de l’OMC soient contrôlées afin de s’assurer de la transparence de ses décisions.

    Alain BARRAU

    Parmi les nombreux points que vous avez évoqués, j’en retiens un qui anime notre démarche : la nécessité de montrer à nos concitoyens le caractère politique des enjeux.

    Je vais donner la parole à trois représentants du secteur agricole. Je répète que nous ferons sans doute un travail plus approfondi sur la question de l’agriculture, en présence du Ministre qui n’a malheureusement pu être présent aujourd’hui.

    Jean-Paul BASTIAN
    Premier Vice-Président de la FNSEA

    Je voudrais rappeler que la FNSEA, ayant tiré les conclusions de ce qui s’est mal passé à Marrakech, prépare ces négociations avec les agriculteurs et les partenaires européens depuis très longtemps.

    J’ai été impressionné par le discours du ministre de la Culture et de la Communication, et notamment par la stratégie d’alliances et de rencontres qu’elle a présentée avec d’autres partenaires. Par contre, la position de Mme Marre me crée plus de soucis lorsqu’elle évoque les discussions du groupe de Cairns ou le souhait des Etats-Unis de trouver des solutions. Je suis content qu’elle ne soit pas négociatrice. J’ai peur que le réveil soit douloureux le jour où le bilan de toutes les promesses qui ont été faites devra être tiré. Il ne faut pas se tromper d’allliances pour défendre les intérêts agricoles français.

    Concernant l’agriculture, nous pensons qu’il faut que tous les points soient discutés à l’OMC. Mais il ne faut pas oublier que la France est un grand pays exportateur et que l’Europe a besoin du marché mondial. Il ne faudrait pas que les accords internationaux empêchent la France et les autres pays européens de profiter de la croissance des marchés mondiaux prévue par les experts. Je rappelle d’ailleurs qu’il n’y a pas que les céréales et le lait qui sont concernés et que France est aussi un gros producteur de vin, de cognac, de sucre…

    Le modèle européen, c’est l’exportation et la multi-fonctionnalité. C’est dans cette perspective que nous avons participé aux négociations sur l’Agenda 2000 – qui ont débouché sur l’accord de Berlin – et fait des propositions. Nous avons accepté que des réformes soient menées dans un certain nombre de secteurs en contrepartie du maintient du statu quo dans d’autres secteurs, comme le sucre, le lait ou le vin.

    Maintenant, nous devons décliner concrètement nos idées générales. Que va-t-on négocier à Seattle ? Quels points ne sont pas discutables ? Nous disons qu’il ne faut pas aller plus loin que l’accord de Berlin. Cela signifie que nos négociateurs ne doivent pas prendre d’engagements internationaux, même à long terme, dans des secteurs que nous n’avons pas voulu voir réformer. D’un point de vue stratégique, pour défendre l’intérêt de l’agriculture française et européenne, il faut nous " arc-bouter " sur l’accord Berlin qui exprime une certaine unité agricole et qui lie les chefs d’Etat ou de gouvernement, qui auraient souhaité aller beaucoup plus loin en termes de libéralisation. Je rappelle que l’accord de Berlin contient une déclaration des chefs d’Etat disposant que cet accord doit être la base de la négociation à Seattle.

    Même si nous nous méfions toujours des Américains et du groupe de Cairns, il est évident que l’Europe est mieux préparée à la négociation. Une réforme a été mise en place préalablement aux négociations de Seattle. Toutefois, aussi longtemps que nous n’aurons rien signé, la FNSEA ne se prononcera pas.

    Jean-Claude SABIN,
    Premier Vice-Président de l’APCA

    Pour l’APCA, un aspect fondamental est que l’économie agricole ne peut être traitée comme les autres secteurs. Il ne faudrait pas reproduire l’erreur faite hier par les marxistes qui voulaient faire rentrer, de gré ou de force, l’agriculture dans un système bureaucratique et centralisé. Aujourd’hui, les libéraux semblent faire la même erreur. Or l’agriculture ne peut pas fonctionner au rythme des seuls marchés.

    En effet, l’économie agricole est une activité biologique qui ne peut fonctionner comme une industrie. En raison de la diversité des climats, deux agriculteurs engageant les mêmes facteurs de productions n’obtiendront pas les mêmes résultats suivant le lieu où ils exercent. L’agriculture est aussi le fait de millions de décideurs qui peuvent provoquer des effets d’emballements considérables en fonction des éléments de marché. De plus, l’activité agricole est annuelle, voire pluriannuelle. Alors que les industriels s’adaptent en fonction de l’évolution du marché, les agriculteurs sont souvent obligés d’attendre une ou plusieurs années pour corriger une mauvaise saison. Enfin, la nourriture des humains constitue un sujet sérieux. De nombreuses personnes pensent souvent que la nourriture est, comme l’air, un acquis. Ce n’est pas vrai. Il existe encore de nombreux citoyens de par le monde qui ne peuvent manger à leur faim.

    Les conceptions du rôle de l’agriculteur sont également fort différentes. Pour certains, ce n’est qu’un agent économique ; pour d’autres, c’est beaucoup plus. Quand un agriculteur conçoit son travail comme visant à conserver son patrimoine, il n’agit pas de la même façon que celui qui fait, comme c’est le cas dans certains pays du monde, de l’agriculture extractive, c'est-à-dire une agriculture ayant pour objectif la production la plus importante au meilleur coût à un moment donné. En France, nous pensons aux générations futures, ce qui a pour conséquence que nos agriculteurs ne peuvent avoir le même prix de revient que ceux d’autres pays. Quant au marché mondial, il est résiduel et n’a rien à voir avec le niveau de l’offre et de la demande.

    Nous demandons donc à nos négociateurs de faire attention au contenu de la déclaration de Seattle, qui doit tenir compte de cette spécificité de l’économie agricole. Comme dans une partie de rugby, le match risque d’être perdu s’il est mal engagé. Tâchons donc d’être convaincants vis-à-vis des autres partenaires : mondialisation ne peut signifier, en agriculture, banalisation. Il faut des régulations de marché concertées au niveau mondial, comme cela se fait en Europe. Je pourrais d’ailleurs vous démontrer que des régulations peuvent conduire à une diminution du poids des subventions à l’agriculture et à un paiement au juste prix des produits par le consommateur. Enfin, il faut bien indiquer que le marché a ses vertus, mais qu’il ne peut en aucun cas tenir lieu de politique agricole. Il faut trouver la limite entre, d’une part, le rôle des politiques agricoles, d’autre part, les conditions du marché qui doivent être le seul objet des discussions de l’OMC.

    La déclaration de Seattle devra donc spécifier ce qui distingue l’économie agricole des autres secteurs. Cela permettra d’avancer dans les négociations avec une base claire. Nous serons très attentifs à ce point. J’ajoute que nous avons intérêt à ce que nos produits puissent être exportés. N’oublions pas qu’un agriculteur français sur trois vit de l’exportation et, contrairement à une idée reçue, que ces exportations, en majorité à forte valeur ajoutée, ne sont pas majoritairement à destination des PVD. C’est une chance pour l’agriculture française.

    José BOVÉ
    Cofondateur de la Confédération paysanne

    Je n’ai pas du tout le même point de vue que ce qui vient d’être exprimé. Mon constat de départ est le suivant : l’agriculture est une production territorialisée, car 5 % seulement de la production agricole est échangée sur les marchés mondiaux. Le problème est que l’OMC voudrait que ces 5 % régulent toute l’agriculture de la planète. Ce point de vue me semble catastrophique.

    Il existe un certain nombre de pays, ou de groupes de pays, qui se situent dans la perspective d’une guerre commerciale et qui veulent faire de l’alimentation une véritable arme. Je pense aux Etats-Unis et à l’Europe, qui par leur politique de soutien aux exportations, ont vocation à détruire l’agriculture du reste du monde. Je vais vous donner quelques exemples pour l’Europe.

    ·  la viande bovine

    Les exportations subventionnées de viande bovine européenne en Afrique noire ont fait chuter les exportations traditionnelles du Niger, du Mali et du Burkina de 450 000 têtes à 250 000 têtes. Les quartiers avants, congelés et désossés, en provenance de l’Union européenne arrivent à Abidjan à 4,50 francs le kilo, grâce à la subvention de 13 francs par kilo accordée, pour être revendus à 10 francs le kilo. La viande locale étant vendue à 19 francs le kilo, on comprend pourquoi la production locale a été détruite.

    ·  le sucre

    Les subventions européennes pour l’exportation de sucre sont d’un niveau trois fois supérieur à celui du prix mondial.

    ·  le lait

    Alors que le Kenya produit du lait en quantité suffisante, du lait est importé d’Europe à un prix inférieur parce qu’il est subventionné. Comme, par ailleurs, les produits sont présentés dans des emballages attractifs, pourquoi le consommateur achèterait-il un produit kenyan ?

    Je pense que l’Europe a une lourde responsabilité dans le débat de Seattle. Elle devrait renoncer à toutes ses restitutions aux exportations, mais aussi remettre radicalement en cause la politique agricole à l’intérieur de l’Europe. En effet, il ne suffit pas de supprimer les restitutions aux exportations pour que la politique de dumping s’arrête. Il faut aussi remettre en cause la façon dont les aides de la PAC sont distribuées. Aujourd’hui, celles-ci ne sont pas plafonnées. Cela signifie que plus l’agriculteur dispose de surface, plus il reçoit d’aides. C’est une façon déguisée de continuer à subventionner de manière artificielle les exportations.

    L’Europe est donc mal placée pour aller à Seattle, parce qu’elle défend deux logiques incompatibles : une logique exportatrice et une logique de multi-fonctionnalité de l’agriculture. Il n’est pas possible de défendre tout et son contraire. Cela ne signifie pas que je sois contre les exportations. Il n’y a, par exemple, aucune raison de remettre en cause les exportations de produits comme le vin ou certains fromages qui ne sont pas subventionnées. De même, il ne faut pas oublier que 72 % des exportations de la France se font à l’intérieur du marché commun. Je suis simplement contre les exportations subventionnées qui sont des objets de dumping.

    Nous faisons donc trois propositions qui nous semblent fondamentales pour Seattle.

    ·  la souveraineté alimentaire comme principe de base

    Il est inacceptable que la souveraineté alimentaire soit remise en cause. C’est un principe fondamental et non négociable. Il faut donc permettre aux pays d’instaurer des barrières aux importations et de choisir son niveau de production agricole.

    ·  la question de la sécurité alimentaire

    Chaque pays a le droit de choisir les normes qu’il souhaite pour l’alimentation de ses habitants sans être ensuite traduit devant le panel. Ce n’est pas au Codex alimentarius, qui est l’otage des grandes multinationales, de fixer les règles de sécurité alimentaire. C’est lui qui a justifié le bœuf aux hormones, les OGM…

    ·  le brevetage du vivant

    Il est également fondamental de refuser le brevetage du vivant car le vivant est un bien commun à l’humanité et sa marchandisation une véritable aberration.

    Dernier point, nous assistons à une véritable révolution avec une nouvelle idéologie dominante qui est celle du marché. Je suis favorable au commerce, mais contre l’idéologie du marché comme seul régulateur du monde. Nous pouvons encore réagir. Le droit doit être le rempart face au marché. L’ONU a voté un certain nombre de chartes sur les droits collectifs des peuples au niveau économique, social ou culturel, qui doivent être le passage obligé pour la régulation du marché. Il me paraît indispensable de mettre en place un organe juridique autonome car on ne peut pas accepter que l’OMC soit à la fois l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il apparaît donc indispensable de mettre en place un contre-pouvoir judiciaire, composé de juges autonomes, vers lequel les pays et les individus puissent se retourner à partir de règles internationales admises.

    Jean-François STOLL,
    Directeur des Relations économiques extérieures,
    Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie

    La négociation de Seattle est devenue une obligation. D’une part, nous avons adopté lors de l’Uruguay round des clauses de paix qui viennent à échéance et pris des dates de rendez-vous prévoyant la réouverture d’un nouveau cycle de négociations. D’une part, depuis Marrakech, il s’est produit un changement de nature considérable dans la perception et l’organisation des grandes questions commerciales :

    ·  L’organe de règlement des différends est devenu beaucoup plus coercitif que certains auraient pu l’imaginer.

    ·  Dans certains domaines, nous vivons l’intrusion dans notre droit interne de règles qui " viennent d’ailleurs " .

    ·  Le rapport de forces est en train de changer avec l’émergence des PVD, l’absence de la Chine et la présence des entreprises dans le débat avec la possibilité qui leur a été refusée de participer au règlement des différends.

    ·  Enfin, nous assistons à une certaine banalisation des produits : Marrakech a conduit à l’introduction de l’agriculture ; aujourd’hui, on souhaite intégrer de nouveaux services, les questions culturelles…

    Non seulement nous n’avons pas le choix, mais je pense que nous avons intérêt à cette négociation. La France a énormément changé depuis Marrakech : le pays est économiquement décomplexé ; nos entreprises nous demandent à bénéficier d’une plus grande sécurité juridique pour leur internationalisation. Elles ont besoin de règles qui soient valables de la même manière à Buenos Aires, à Séoul ou à Kuala Lumpur lorsqu’elles décident d’investir. Pour ne citer qu’un chiffre, les biens et services environnementaux représentent près de 500 milliards de dollars de commerce dans le monde par an. Nous avons aussi intérêt à ce que ce cycle ait lieu car nous avons à faire valoir des postures technologiques modernes. Il existe ainsi en France une capacité de génie génétique. Sous réserve que cette capacité soit bien encadrée, nous n’avons pas intérêt à laisser " mourir " nos laboratoires.

    La posture de l’Union européenne est forte, anticipée, articulée et solidaire. Pendant l’ensemble des négociations, il n’y a pas eu de divergences fondamentales entre les Quinze, même s’il a fallu négocier au dernier moment deux clauses importantes, sur le problème social et sur le problème culturel. L’Europe est donc dans une position de relatif leadership à la veille de cette négociation qu’il serait dommage de ne pas exploiter.

    Il est vrai qu’un certain nombre de dissensions sont apparues entre Etats membres de l’OMC au cours des négociations sur le projet de déclaration de Seattle. Mais c’est tout à fait normal s’agissant d’un cycle qui commence et qui durera trois ans. Nous négocions un agenda, c’est-à-dire des rubriques, sans dire ce que celles-ci vont contenir. Une négociation se conduit lentement, et sûrement pas en mettant sur la table toutes ses positions de négociation. Je pense d’ailleurs que nous aurons à Seattle plus de résultats que ce que l’on espère aujourd’hui.

    Au total, la position communautaire sera jugée à la qualité du résultat que nous obtiendrons lors de la négociation de Seattle. Ce résultat sera à forte dominante de préoccupations de nature économique, parce que c’est la vocation de l’OMC, mais il devra aussi apporter des réponses, ce qui est nouveau et difficile, à des thématiques comme la sécurité alimentaire, l’environnement, la multi-fonctionnalité, la culture, la préservation de nos services publics communautaires… Toutefois, il serait illusoire de dire que ce qui a été écrit dans les mandats délivrés à Bruxelles sera le résultat final. Une négociation est un compromis. Si nous voulons, ce qui est légitime, intégrer un plus grand nombre de PVD dans le round, il faudra répondre plus fortement à leurs attentes dans le domaine de l’agriculture, du textile ou de l’anti-dumping. Chaque fois que nous demanderons quelque chose dans un sens, nous devrons être disposés à le payer dans l’autre sens.

    Ce round doit être ce que nous voulons. Il doit conduire à une organisation mondiale du commerce plus solide et plus forte parce que nous ne voulons pas d’unilatéralisme, plus utile parce que nous voulons de la sécurité juridique pour nos entreprises, plus cohérente, c'est-à-dire articulant mieux l’ensemble des normes qui " fleurissent " dans le monde, plus universelle, ce qui nous conduira à faire des efforts pour que les pays absents l’intègrent, mais pas à n’importe quel prix, plus généreuse, et plus légitime, pour faire plus de place aux préoccupations de la société civile. Nous réussirons si nous sommes plus communicants, c'est-à-dire si nous arrivons à mieux expliquer les avantages des négociations et les positions que nous sommes amenés à prendre.

    Alain BARRAU

    Avant l’intervention de François Huwart, je vous propose d’entendre quatre interventions de la salle.

     

    DEBAT

    Meredith AILLOUD,
    RONGEADE
    (Réseau des ONG européennes pour l’agriculture,
    le développement et l’environnement)

    Je voudrais revenir sur quelques propos qui ont été tenus ce matin.

    Mme Marre a indiqué qu’il n’y avait pas eu de bilan. Il faut toutefois savoir que le système de notification et le mécanisme d’examen de politique permettent d’analyser la qualité de mise en œuvre des obligations. Il est vrai que l’on ne parle pas assez des bilans économique et politique. Toutefois, M. Mike Moore disait que " toute forme de libéralisation des échanges n’est pas une fin en soi " et poursuivait par : " plus de trois milliards de personnes vivent dans la misère avec moins de deux dollars par jour ". Il indiquait également que " nous devrions être extrêmement préoccupés par le fait que les échanges des quarante-huit pays les moins avancés ne représentent que 0,5 % des échanges mondiaux ". Des bilans clairs existent déjà !

    Je pense que l’accord sur l’agriculture apporte suffisamment de traitements spéciaux et différenciés au profit des agriculteurs des pays riches. En effet, l’accord comporte une quinzaine de pages, dont la moitié concernent des exceptions. Si les règles étaient équitables pour tous, nous n’aurions peut-être plus besoin d’exceptions.

    Je pense qu’il faudrait pousser la logique jusqu’au bout sur les normes universelles, et inclure les questions de production. Depuis 1982, les pays pauvres ont demandé que l’OMC s’occupe des productions toxiques et dangereuses exportées par les pays riches sur leur territoire. Quelles sont les normes universelles régissant cette question ?

    Concernant le moratoire, la question qui se pose est de savoir quand aura lieu l’évaluation. Doit-on laisser le temps de mise en œuvre des obligations avant d’entamer des négociations ?

    Enfin, j’aimerais faire une proposition. Ce n’est pas la première fois que je participe à des consultations, et je constate à chaque fois qu’il y a très peu de personnes des pays du Sud. Les Américains expliquent qu’ils sont progressistes ; les Français disent que ce sont les Américains qui font un blocage. Chacun parle en permanence des intérêts des autres. Mais il serait bon de définir ce que sont les intérêts du monde.

    Guillaume MAUGARD,
    Les amis de la Terre

    Je voudrais d’abord remercier le Gouvernement d’avoir engagé cette démarche globale de concertation afin de faire oublier les mauvais souvenirs laissés par le projet d’accord multilatéral sur l’investissement. Cette démarche est d’autant plus appréciable que les enjeux de cette négociation sont beaucoup plus importants que ceux de l’AMI. Je voudrais évoquer trois points.

    Tout d’abord, comme l’ont souligné certains intervenants, il me semble nécessaire d’infléchir le cours actuel de la mondialisation pour l’orienter vers un développement durable, respectueux de l’environnement, mais aussi des diversités culturelles. Le respect de l’environnement est une préoccupation essentielle. En effet, la pollution que nous générons entraînera à l’avenir une limitation de notre espace habitable et le phénomène du réchauffement de la planète risque de devenir préoccupant lors du prochain millénaire. Le respect des diversités culturelles est également essentiel car c’est une garantie de paix et d’échanges fructueux entre les civilisations.

    Pour tendre vers ce développement durable, nous devons permettre aux pays en voie de développement d’accéder aux marchés des pays riches, et non l’inverse. Il faut laisser à chacun la possibilité de développer ses propres règles et de préserver sa propre culture. Il est aussi nécessaire d’assurer une meilleure coordination entre l’OMC et les différentes organisations internationales, de sorte que le droit commercial international ne prime plus sur les normes sociales ou le droit de l’environnement. Aujourd’hui, cette primauté est effective du fait que l’OMC est la seule organisation à disposer d’un organe de règlement des différends capable de faire appliquer le droit.

    Ensuite, je pense qu’il est nécessaire de faire un bilan des accords de Marrakech avant d’aller plus loin dans la libéralisation des échanges. On a vu récemment, avec la libéralisation des chemins de fer britanniques ou le scandale de la dioxine, que la libéralisation des échanges peut être un facteur de risques pour le consommateur. Il me paraît judicieux de faire un moratoire sur les nouveaux sujets et de dresser un premier bilan des résultats de la libéralisation dans le domaine des services, de l’agriculture et de la propriété intellectuelle, tout en sachant qu’il serait risqué de libéraliser les échanges dans le domaine du vivant tant que nous ne sommes pas encore certains de l’innocuité des OGM.

    Enfin, il faut assurer un contrôle plus efficace des multinationales en cessant de faire diminuer le rôle des Etats. Le risque est de laisser le consommateur seul face aux multinationales.

    Francis DELMOTTE,
    chef du service extérieur de l’Union des industries chimiques

    L’industrie chimique a toujours eu dans les négociations passées une position considérée comme singulière du fait qu’elle est fortement mondialisée et globalisée. Nous sommes donc concernés par tous les sujets de l’agenda de Seattle, que ce soit la propriété intellectuelle, l’investissement international ou les questions de sécurité des produits.

    Nous sommes en faveur d’une libéralisation maximale des conditions d’échange des produits, ce qui suppose une suppression, dès que possible, des tarifs douaniers. Nous aimerions savoir dans quelle mesure il serait possible de supprimer ces barrières douanières, dans certains secteurs, sans attendre la fin du cycle de négociations. Nous avons récemment adressé aux administrations compétentes une proposition visant à supprimer les droits de douane dans un secteur particulier, comme celui de la protection des plantes.

    Si nous sommes en faveur d’une ouverture des échanges, ces échanges doivent être loyaux. Par conséquent, nous sommes en faveur du maintien d’instruments de défense commerciale afin d’éviter toute approche discriminatoire ou abusive de la part de certains partenaires.

    Dans la proposition de déclaration qui sera présentée à Seattle, nous avons pu remarquer un certain nombre d’idées pour aider les PVD, comme celle les autorisant à ne pas appliquer certaines règles de l’accord de Marrakech. Pourquoi ne pas renverser l’analyse ? Pourquoi ne pas essayer d’utiliser des instruments de défense commerciale dans un but éducatif et économique ? Aujourd’hui, pour " punir " un pays qui fait du dumping ou qui subventionne ses exportations, on lui applique un droit tarifaire, c'est-à-dire qu’on permet à l’industrie exportatrice de vendre sans faire de marges et on prélève dans le pays d’importation un montant donné. Nous proposons d’inverser le système, c'est-à-dire d’imposer systématiquement, en cas de dumping avéré ou de subventions, un " engagement de prix " obligeant l’exportateur à respecter un prix minimum à l’exportation. Ce dispositif permettrait de maintenir une marge pour l’exportateur, afin de développer ses investissements et sa production, et ne rapporterait aucun bénéfice au pays dans lequel a eu lieu ce dumping. Cette mesure aurait aussi un rôle éducatif puisque les exportateurs seraient ainsi habitués à travailler avec des marges et à respecter des prix normaux.

    Philippe GUIBERT,
    Représentant des exportateurs français
    de produits de haute technologie

    Je voudrais revenir sur un point que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder dans le cadre du rapport d’information de M. Jean-Claude Lefort sur les des rapports transatlantiques. Nous avions exposé le problème posé aux exportateurs français de produits de haute technologie par les réglementations – et non les lois – administratives américaines, que nous sommes obligés de respecter, dès lors que nous utilisons des composants, des logiciels ou des technologies américains. Alors que nous sommes membres des mêmes organismes de contrôle, les Américains exigent que nous leur demandions une autorisation d’exportation dès que nous voulons vendre nos produits à l’étranger.

    Or ce problème n’a toujours pas été résolu, et s’est même aggravé récemment, car les Américains entendent appliquer leur réglementation à toutes les exportations. C’est une atteinte à notre souveraineté nationale. Nous aimerions que ce problème soit traité dans ces négociations afin que nous ne soyons pas obligés de demander deux licences pour un même produit.

  8. INTERVENTION DE M. FRANCOIS HUWART
    Secrétaire d’Etat au commerce extérieur ?
    sur " les enjeux du cycle de Seattle "

    Je voudrais tout d'abord remercier l'Assemblée nationale et le Président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Alain Barrau, d'avoir organisé ce forum avec la participation de différents représentants de la société civile.

    Il donne ainsi au Gouvernement, pour la troisième fois depuis le mois de juin dernier, l'occasion de s'exprimer au Parlement sur les négociations multilatérales, et de présenter ses orientations, orientations qui ont été enrichies par le remarquable travail que constitue le rapport de la Délégation présenté le 30 septembre par Mme Béatrice Marre.

    A l'issue de ce premier échange de vues, qui m’a paru très riche, autour du thème de la " libéralisation et régulation ", je voudrais essayer de tirer quelques enseignements. Tout d'abord, je voudrais répondre à quelques points soulevés au cours de la table ronde, ou plus généralement lors du débat public. Ensuite, je voudrais dresser l'état des lieux de la négociation et rappeler les principaux sujets sur lesquels portent les discussions du prochain cycle.

    1. Quelques observations
      1. Le rôle juridique de l’OMC
      2. Lorsque j'ai présenté la position du Gouvernement à l'ouverture du débat parlementaire du 26 octobre, j'ai indiqué que l’OMC n'était pas une organisation supranationale, mais une organisation interétatique, respectueuse de la souveraineté et fonctionnant sur le modèle du contrat social international.

        Un quotidien du matin, qui publie d'ailleurs tous les jours un très intéressant "  Journal de Seattle ", a jugé cette comparaison naïve. Je la maintiens néanmoins. En effet, les règles de l'OMC sont le fruit de la volonté des Etats : ce qu'ils n'acceptent pas n'a pas force de droit. L'OMC n'impose aucun engagement, sinon celui de respecter ses engagements librement consentis.

        Il s'agit bien du modèle du contrat, et nous en avons la preuve a contrario : les difficultés que nous rencontrons dans la préparation de la conférence de Seattle viennent de ce que les membres de l'OMC, les " contractants " de Seattle, ne sont pas d'accord, à ce stade, sur les clauses du nouveau cycle.

        Bien sûr, le fonctionnement contractuel de l'OMC appelle naturellement une fonction juridictionnelle, pour régler les différends dans l'application des clauses du contrat. Des critiques se sont exprimées sur le caractère interne, " endogène ", de l'organe de règlements des différends, qui, étant dans l'OMC, serait à la fois juge et partie. Cela mérite, me semble-t-il, une réponse .

        D'abord j'observe que beaucoup d'institutions internationales fonctionnent sur le même principe : la Cour de Justice des Communautés européennes, la Cour européenne des droits de l'Homme sont des juridictions endogènes par rapport à l'Union européenne ou au Conseil de l'Europe, ce qui ne semble pas remettre en question leur légitimité. Certains évoquent, par souci de cohérence des institutions internationales, un recours des décisions de l'ORD auprès de la Cour internationale de Justice. Permettez moi de remarquer que seulement un tiers des membres de l'Organisation des Nations Unies ont accepté que leurs différends soient normalement soumis à la Cour Internationale de Justice, alors que les 134 membres de l'OMC reconnaissent la juridiction de l’ORD. En termes d'efficacité, et par conséquent de légitimité, l'avantage est clairement en faveur de l'OMC.

        Je me suis déjà exprimé sur les évolutions que doit connaître l'ORD en termes de transparence, d'accès au droit pour les pays pauvres, d'évolution du système des sanctions, qui doit concilier efficacité et justice. Il n'est en effet pas normal que des secteurs, des entreprises, et en définitive des hommes et de femmes, subissent les conséquences de litiges auxquels ils n'étaient pas parties. Le recours à des compensations, voire à des astreintes, me semble devoir être étudié. Cette question sera l’objet de discussions dans le cadre du prochain cycle.

        Mais plus généralement, je voudrais souligner que l'existence de l'ORD ne doit surtout pas nous conduire à un gouvernement économique des juges au niveau international. L'évolution du droit de l'OMC, l'interprétation de ses règles, ne doit pas s'effectuer de manière seulement jurisprudentielle. Créer de nouvelles règles adaptées aux évolutions économiques et sociales, modifier les règles existantes, en préciser l'interprétation, relèvent très clairement de la souveraineté des Etats.

        C'est pourquoi ces derniers, certes instruits par la jurisprudence de l’ORD, doivent réexaminer périodiquement le cadre normatif sur lequel les juges s’appuient : c'est d’ailleurs une des activités fondamentales de l'OMC que de revisiter ses propres règles.

        En bref, la critique externe de l'OMC est stimulante, mais c’est de l'intérieur de l'OMC que l'on pourra vraiment faire progresser la régulation économique dont nous avons besoin.

      3. Le rôle économique de l'OMC

      On l'a senti ce matin, il y a une thèse et une antithèse. La thèse est celle de la théorie économique, en effet confirmée par beaucoup d'observations concrètes : en s'engageant dans l'échange international qui permet d'accroître la taille du marché, un pays peut réduire le nombre de biens qu'il fabrique tout en augmentant la variété de biens qu'il met à la disposition des consommateurs. Le pays produit plus, avec une meilleure productivité et avec des coûts plus faibles. Dans le même temps, les consommateurs bénéficient d'une gamme plus large de biens, à des prix moins élevés. Des études récentes portant sur un grand nombre de pays ont montré que les économies ouvertes bénéficiaient d'un taux de croissance supérieure à celui des économies fermées.

      L’antithèse considère que la logique du marché ne doit pas être la logique de la vie. C'est la différence entre l'économie de marché et la société de marché. L'homme ne peut en effet être réduit à une pure dimension d'agent économique voulant toujours plus de production ou de consommation. A l'individualisme du marché, on oppose, à juste titre, l'existence de communautés de vie et de traditions, propres à chaque pays, qui ne doivent pas se dissoudre dans la globalisation et l'uniformisation .

      Comment résoudre cette contradiction ? Comment trouver une synthèse entre ces points de vue ?

      Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques : un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n’exprime pas une tradition et n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays. Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation et les économies d'échelle sont globalement positifs. On peut en dire de même pour certains services, comme les services financiers.

      Mais pour d'autres biens, comme les biens culturels, l'éducation, les services publics, ou l'agriculture, le raisonnement froidement économique ne peut s'appliquer sans restrictions. Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut sérieusement être partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole. Mais dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.

      C'est ce qui inspire la position du Gouvernement dans les négociations de l'OMC : libéraliser, de manière équitable, ce qui peut l'être et protéger en même temps nos valeurs, notre organisation sociale, l'équilibre de notre territoire, dans la perspective d'un monde de diversité, d'un monde multipolaire, d’un monde plus sécurisé, aussi bien en ce qui concerne les investissements que l’alimentation.

    2. La préparation de la conférence de Seattle
    3. Pour simplifier, on peut répartir les positions en quatre catégories.

      1. Les pays les moins avancés
      2. D'abord certains pays en développement, et surtout les moins avancés, restent en marge du système multilatéral. Ces pays sont critiques à l'égard de l'OMC. Ils considèrent qu'ils n'ont pas retiré les avantages escomptés du cycle de l'Uruguay et sont donc réservés quant au lancement d'un nouveau cycle de négociations multilatérales.

        Nous devons donc à l'égard de ces pays examiner de près les problèmes de mise en œuvre des accords qu'ils rencontrent, et les aider à devenir des acteurs à part entière du système commercial.

      3. Les pays émergents
      4. Un deuxième groupe de pays en développement, qualifiés généralement de pays émergents, a commencé à s'insérer de façon positive dans les échanges internationaux. Ces pays ont des intérêts marqués : l'agriculture, le textile, mais aussi un accès au marché des pays industrialisés pour des produits élaborés. Ces pays sont soucieux de poursuivre la libéralisation qui améliore leurs capacités d'exportation. Ils demandent aussi un système multilatéral fort et efficace, qui les préserve notamment des pressions unilatérales. Ils sont aussi parfois disposés à examiner l'élaboration de règles dans le domaine de l'investissement et de la concurrence.

        En revanche, ils restent opposés aux thèmes de l'environnement et des normes sociales, qu'ils continuent de percevoir comme des menaces protectionnistes déguisées de la part des pays développés. Ils demandent du temps, des périodes de transition, mais ils sont conscients du fait qu'un système commercial renforcé est la meilleure garantie contre des acteurs trop puissants.

      5. Les pays industrialisés favorables à un cycle étroit
      6. Un troisième cercle se détache également dans la préparation de Seattle. Ce groupe, qui n’est pas le moindre en termes de poids économique, met l'accent sur la poursuite de la libéralisation et limite son ambition à un cycle étroit centré sur l'accès au marché. Il souhaite que l'agriculture soit banalisée et traitée comme les produits industriels. Ce groupe reste sceptique sur l'intérêt de compléter le cadre multilatéral existant afin de mieux réguler l'activité économique.

      7. L’Union européenne et ses alliés

    Le quatrième groupe, l'Union européenne et ses alliés, souhaite, un cycle large, une libéralisation maîtrisée, voire régulée, un renforcement du droit économique, la prise en compte des préoccupations de nos sociétés en matière d'environnement, de développement social et de sécurité alimentaire, et, enfin, une meilleure cohérence entre les différentes organisations internationales.

    Ce sont des objectifs ambitieux, que certains de nos partenaires considèrent comme des artifices pour allonger la durée du cycle. Nous devons sûrement mieux expliquer que ces différents thèmes ne sont pas des prétextes mais visent à rendre l'OMC plus légitime, plus efficace et donc profitable à tous, et que la globalité, et donc le caractère large du cycle, est le meilleur moyen pour tous les pays de l’OMC de trouver un intérêt dans le prochain cycle, ce qui n’a pas été le cas dans le précédent.

    Dans la préparation de Seattle, la difficulté, au demeurant classique dans les négociations multilatérales, est que lorsqu'un groupe commence à se rapprocher d'un autre, il s'éloigne en même temps d'un troisième.

    Nous pouvons avoir par exemple des convergences avec les Etats-Unis sur l'environnement et le développement social, mais elles sont mal comprises des pays en développement. Si nous sommes plus ouverts à l'égard de ces derniers sur l'usage de certains instruments de défense commerciale, par exemple l’anti-dumping, nous nous séparons des Etats-Unis, et ainsi de suite… C’est bien ce qui fait la difficulté de la préparation actuelle. Tout cela n'est pas inhabituel, mais tout de même un peu préoccupant à trois semaines de la réunion.

    Les jeux sont encore ouverts : les Etats-Unis n'ont pas intérêt à un échec et les pays en développement ou les pays les moins avancés n’ont pas intérêt à différer les bénéfices qu'ils pourront tirer du lancement du cycle.

    L'Europe est extrêmement solidaire et n'est pas isolée. Le Conseil " Affaires générales " du 15 novembre fournira l'occasion d'un nouveau débat entre ministres de l'Union. Il sera l'occasion pour la France de rappeler à ses partenaires ses conceptions. Il nous restera ensuite deux semaines pour que l'Union européenne joue le rôle qui doit être le sien comme premier acteur du système commercial multilatéral, celui d'un intercesseur entre les pays industrialisés et les pays en développement autour d'un système équitable.

    J'espère, et j’en suis intimement convaincu, que l’Europe saura tenir ce rôle. Nous veillerons, en tout état de cause, à ce que ce rôle soit tenu sans sacrifier nos ambitions et nos intérêts.

    Ce débat sur les enjeux de l’OMC et du commerce mondial est en train de se démocratiser. Nous en avons aujourd’hui une preuve évidente. Je crois qu’il faut s’en féliciter. Cela nous impose un effort de transparence, d’honnêteté dans l’explication de nos positions, et un effort de communication. Concernant ce dernier point, je vous signale qu’un site sur l’OMC a été installé à Bercy et que nous travaillons à l’élaboration d’un kit reprenant l’ensemble des éléments dont les citoyens intéressés pourraient avoir besoin avant la conférence de Seattle. Je vous remercie.

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  9. INTERVENTION DE M. PIERRE MOSCOVICI,
    Ministre délégué, chargé des affaires européennes

    Je voudrais tout d’abord remercier Laurent Fabius et Alain Barrau d’avoir pris l’initiative d’organiser cette journée de débats, entièrement consacrée aux prochaines négociations multilatérales qui s’ouvriront à Seattle dans exactement trois semaines.

    Conformément au vœu d’un très grand nombre de parlementaires, un débat a été organisé à l’Assemblée nationale le 26 octobre dernier. Ces échanges, au cours desquels je représentais le Gouvernement aux côtés de François Huwart, ont été d’une très grande qualité. Ils ont montré que la représentation nationale partageait largement les préoccupations du Gouvernement sur les perspectives du prochain cycle de négociations de l’OMC. Ce débat a eu lieu, mais je suis tout de même très heureux de venir une nouvelle fois devant vous pour aborder ces importantes questions, qui n’ont pas fini de nous mobiliser dans les prochaines années.

    Le Gouvernement souhaite encourager le débat public avant la conférence de Seattle, pendant celle-ci, et évidemment au-delà. Par ailleurs, je crois que nous percevons mieux qu’il y a une quinzaine de jours, les bénéfices que nous pouvons tirer de l’adoption du mandat politique, qui permettra à l’Europe d’apparaître réellement comme une puissance politique au cours des travaux du nouveau cycle. Enfin, les travaux préparatoires de Genève semblent être entrés dans une phase de décantation encore légèrement tactique, et ne trouvera son aboutissement qu’à Seattle.

    1. Une Europe unie
    2. L’Europe aborde le cycle du Millénaire, le Millenium Round, plus unie que ce n’était le cas lors du cycle précédent. J’ai la conviction que ce sera un atout déterminant.

      1. Un mandat politique pour parler d’une seule voix
      2. Nous souhaitions que le Conseil adopte un mandat politique avant de se rendre à la conférence de Seattle. Il ne s’agissait pas d’une obligation juridique au sens du traité. Mais les gouvernements, notamment celui de la France, ont estimé qu’un texte politique sur leur approche du cycle renforcerait la position de l’Union. A l’inverse, il est clair que l’absence de mandat politique nous aurait affaiblis. Ce texte, adopté le 22 octobre dernier, constitue une innovation par rapport au passé. Je pense que nous devons nous en féliciter. Un texte politique suffisamment dense, comme celui qui a été voté, doit permettre à l’Union de s’exprimer d’une seule voix lors de la conférence de Seattle.

      3. Une vision commune des négociations
      4. Le mandat politique consacre notre vision du prochain cycle de négociations. Nous souhaitons en effet que celui-ci soit un cycle global, ce qui signifie que rien ne sera décidé tant qu’il n’y aura pas d’accord sur l’ensemble des thèmes de négociation. Cette idée d’un engagement unique nous semble fondamentale. Nous voulons également qu’il s’agisse d’un cycle large, qui aille bien au-delà de l’agenda intégré de Marrakech, qui prévoit la réouverture des négociations sur l’agriculture et les services à partir de l’an 2000. Comme vous le savez, l’Union européenne souhaite y ajouter de nouveaux sujets, emblématiques des nouvelles régulations indispensables à la maîtrise de la mondialisation. Je pense notamment aux règles en matière d’investissements internationaux, à la protection internationale de la propriété industrielle, au droit de la concurrence, aux marchés publics, aux normes environnementales et aux normes sociales.

      5. Des consensus sur les sujets importants

      Sur les points les plus importants, une grande convergence s’est manifestée entre les partenaires européens lors de la préparation de ce texte. Je ne dis pas que celle-ci est apparue spontanément, mais nous avons pu trouver des accords sur la plupart des sujets.

      Je voudrais d’abord dire quelques mots sur la question agricole, sujet évidemment sensibles. Le texte du Conseil comporte de multiples références au modèle européen d’agriculture, fondé sur la multifonctionnalité. Il mentionne également l’importance du principe de précaution, dont l’actualité nous montre l’intérêt. Au cours des négociations, nous devrons non seulement affirmer ce principe, mais également déterminer comment le faire respecter. Le mandat précise enfin la stratégie de négociation de l’Union, qui s’appuiera sur les réformes de la PAC décidées à Berlin en mars dernier.

      Dans le domaine des services, le texte appelle à une ouverture croissante des échanges. Nous souhaitons évidemment promouvoir les avantages comparatifs de l’Europe dans le secteur des télécommunications, des services financiers ou des services environnementaux (traitement des eaux et des déchets…).

      Nous avons également réussi à convaincre nos partenaires européens sur la question des identités culturelles et sur celle des normes sociales fondamentales. Il a été plus long et un peu plus difficile de trouver un consensus sur ces sujets, mais nous y sommes parvenus. Je ne m’attarderai pas sur la culture, puisque Catherine Trautmann s’est déjà exprimée sur ces problèmes ce matin. Mais concernant les normes sociales fondamentales, je crois que le débat portait plus sur la sémantique que sur la substance. Nous avons contribué à ce qu’un consensus se forme au sein du Conseil, pour demander la mise en place d’un forum permanent et conjoint entre l’OIT et l’OMC.

      Pour ma part, je considère qu’il s’agit d’un bon mandat, qui manifeste que l’Union est plus unie qu’elle ne le fut, par le passé, à l’entrée de la négociation et qui lui donne une force importante.

    3. La constitution d’un second courant à GenÈve
      1. L’enjeu de Seattle : délimiter le " terrain de jeu " des négociations
      2. L’objet de la conférence ministérielle de Seattle est bien circonscrit. Il n’est pas question de commencer des négociations en profondeur sur tel ou tel sujet, mais d’adopter une déclaration ministérielle précisant l’agenda du prochain cycle, les règles de négociations, les objectifs et les bénéfices attendus pour l’économie mondiale d’un nouvel approfondissement du libre-échange.

        Pour bien comprendre les enjeux de Seattle, je dirais qu’il s’agit de délimiter le " terrain de jeu " sur lequel vont se déployer les négociations multilatérales qui dureront trois ans. Nous ne devons pas pour autant minimiser cette conférence, car il est évident que le périmètre ainsi défini conditionne en grande partie la suite des discussions et constitue donc en lui-même un enjeu de négociation. La conférence de Punta del Este, qui avait ouvert l’Uruguay Round en 1986, avait fortement contribué à orienter ce cycle d’abord vers les questions agricoles. De ce fait, l’Union européenne avait été contrainte d’adopter une posture nettement défensive.

        Il est important de prendre la conférence de Seattle au sérieux, parce que beaucoup de choses vont s’y jouer. Nous devons être vigilants, sans avoir d’appréhension particulière ou de réaction de tétanie. Nous ne devons pas nous comporter comme si l’Union européenne jouait son devenir économique et social pendant les quatre jours de la conférence de Seattle. Il est inutile de dramatiser à outrance une rencontre qui ne fera qu’ouvrir un processus de négociations appelé certainement à connaître bien des vicissitudes avant de trouver sa conclusion dans quelques années.

      3. La rédaction d’un contre-projet de déclaration
      4. A Genève, les travaux préparatoires ont déjà commencé, en vue d’établir un cadre de travail pour l’examen, à Seattle, du projet de déclaration ministérielle. Un premier projet a été mis en circulation au début octobre. Celui-ci, largement rédigé à l’initiative des Etats-Unis et du groupe de Cairns, nous a semblé très mauvais. Il prévoyait en effet de lancer un cycle de libéralisation à l’extrême, concentré sur l’agriculture et les services, en laissant de côté les besoins de nouvelles régulations que j’ai évoqués il y a quelques instants.

        Par la voix de son représentant à Genève, la Commission européenne a immédiatement récusé ce projet en bloc. Depuis la fin octobre, l’adoption formelle d’un mandat politique de l’Union nous a permis d’abandonner cette posture seulement défensive, pour affirmer de façon plus positive notre conception du prochain cycle de négociations multilatérales. Nous avons donc élaboré un contre-projet de déclaration, fidèle à nos vues et capable, selon nous, d’entraîner un mouvement d’adhésion de la part de certains de nos partenaires, qui apparaissent d’ores et déjà comme nos alliés potentiels. Je pense notamment au Japon, qui partage largement nos préoccupations, comme l’a confirmé la récente visite de Dominique Strauss-Kahn dans ce pays. Mais je peux également citer la Corée, la Norvège, la Suisse, les pays d’Europe centrale et orientale, qui sont entraînés par la Hongrie, et un certain nombre de pays qui seront des leaders importants du Sud pour ces prochaines négociations, comme le Mexique, le Chili ou le Maroc. Ce dernier pays, qui préside actuellement le groupe des 77, a réaffirmé, lors de la visite du Premier ministre Lionel Jospin à Rabat, sa volonté d’ouvrir l’espace de discussions aux nouvelles régulations.

        La mise en circulation d’un contre-texte, largement inspiré par l’Union européenne et qui, en tout cas, lui convient, signé par de nombreux autres pays, ne doit pas être analysée comme une volonté de notre part de formaliser nos points de désaccords avec des positions américaines qui sont connues. Nous avons seulement souhaité rééquilibrer le cours des discussions menées à Genève, qui tendaient à évoluer vers la présentation de la solution américaine comme la seule base de discussion possible.

        L’adoption définitive d’un mandat politique de l’Union a incontestablement constitué un tournant, puisqu’elle a permis de créer, pour simplifier, deux courants différents à Genève. Désormais, l’Europe apparaît pleinement porteuse d’une autre vision du prochain cycle de négociations.

      5. Un possible compromis à Seattle
      6. Nous pouvons essayer d’esquisser les contours de ce que sera la déclaration de Seattle, même si nous devons rester prudents, puisque la question va connaître de nombreux rebondissements dans les jours et les semaines qui viennent. Je pense qu’il sera difficile de trouver un compromis en amont, puisque nous disposons de peu de temps d’ici à l’ouverture de la conférence. Dans ces conditions, celle-ci ne pourra pas se contenter d’entériner un projet de texte préalablement élaboré à Genève. Elle devra réellement travailler à l’émergence d’un consensus.

        C’est pourquoi une partie importante de notre énergie doit être consacrée au dialogue avec les Etats-Unis. Les récents entretiens entre le Président de la Commission, M. Romano Prodi, et le Président Clinton et entre M Pascal Lamy et Mme Barchewsky ont montré qu’au-delà du style, parfois maladroit voire brutal, de l’administration américaine, il y avait place pour une vraie discussion sur le périmètre de la négociation à Seattle. Les Etats-Unis souhaitent, comme nous, la création d’un groupe de travail sur les normes sociales fondamentales réunissant l’OMC et l’OIT. Ils semblent ouverts à l’amorce d’une discussion sur le thème du droit de la concurrence, au moins en ce qui concerne la transparence internationale dans l’attribution des marchés publics. En matière de tarifs industriels, ils semblent aujourd'hui ouverts à une de discussion sur les bandes tarifaires conformes à l’approche européenne, sans pour autant renoncer à leur initiative portant sur huit secteurs spécifiques. Nous aurons immanquablement beaucoup de débats avec les Américains dans les années à venir. Mais je pense tout de même que nous devrions parvenir à un accord à Seattle, au moins sur le périmètre des discussions.

      7. Une question centrale : l’intérêt de ces négociations pour les pays en développement ?

      Nous connaissons les revendications essentielles des pays en développement, qui souhaitent d’abord revenir sur les problèmes liés à l’application des précédents accords, notamment celui de l’Uruguay Round. La plupart des pays en développement voudraient avoir une discussion de fond sur ce sujet lors de la conférence de Seattle.

      D’une manière générale, les pays en développement estiment que la mise en œuvre des accords pénalise à outrance leur développement. Certains d’entre eux, en particulier les pays asiatiques exportateurs de textile suivent une ligne dure envisagent en fait de rouvrir les négociations de l’Uruguay Round, ce que nous ne voulons pas plus que les Etats-Unis. Heureusement, un groupe plus nombreux de pays a adopté une attitude plus modérée et ne souhaite pas prendre en otage l’ensemble du prochain cycle en remettant en cause les négociations précédentes.

      L’Union européenne doit cependant s’efforcer de marquer plus nettement sa disponibilité vis-à-vis d’une discussion de fond sur la mise en œuvre des précédents accords. Il s’agit probablement d’un élément essentiel, si nous voulons bâtir un large consensus.

    4. Au-delà de Seattle : un monde qui change
    5. Pour finir, je voudrais vous inviter à élargir votre réflexion au-delà de la préparation immédiate de la conférence de Seattle. Par rapport à l’Uruguay Round, trois éléments sont de nature à transformer en profondeur la nature du prochain cycle de négociations.

      1. L’affirmation de l’Europe comme puissance politique
      2. L’Europe va pouvoir se poser comme une puissance ayant un poids politique et non seulement économique. Elle pourra peser plus lourdement dans des discussions internationales qui ne sont pas exclusivement commerciales et qui comportent une dimension stratégique majeure. Je me réjouis évidemment de cette affirmation de l’Europe, qui arrive à point nommé pour porter notre vision d’un nouvel ordre économique mondial, à la fois plus juste et plus stable.

      3. Une nouvelle sensibilité de l’opinion publique à l’égard de la mondialisation
      4. La société civile fait preuve d’une nouvelle sensibilité à l’égard de la mondialisation. Celle-ci est fortement relayée par les ONG et, plus largement, par tout le secteur associatif et les organisations syndicales. Elle est également très médiatisée.

        Nous constatons en outre que cette tendance se dessine dans l’ensemble du monde développé, y compris dans les pays réputés pour leur libéralisme. Les attentes des consommateurs américains, japonais ou européens sont sans doute plus proches que celles de leurs gouvernements respectifs. Nous devons tenir compte de ce phénomène, car à l’évidence, les Etats ne seront pas seuls à écrire les nouvelles règles du commerce international. S’ils le font en restant sourds aux demandes des populations, il est clair que les règles ainsi définies ne seront pas satisfaisantes.

      5. Une meilleure prise en compte des pays du Sud

    Le monde en développement connaît certaines fragmentations et certaines fragilités. Le prochain cycle doit donc se donner explicitement pour objectif de réduire les écarts de richesse. Trop souvent, la libéralisation des échanges a débouché sur une forme de marginalisation des pays du Sud. Nous devons rompre avec cette tendance détestable. L’ouverture des échanges doit permettre de faciliter le décollage économique, notamment en autorisant un meilleur partage du progrès technique. Il s’agit évidemment d’un impératif moral, mais également d’une nécessité pour la stabilité mondiale. Dans beaucoup d’endroits du globe, celle-ci dépend en effet d’une meilleure insertion des pays en développement dans les échanges internationaux.

    Ces réflexions vont au-delà de Seattle, mais je crois que nous devons absolument les garder à l’esprit en nous y rendant. Par ailleurs, je voudrais ajouter que nous avons tellement d’intérêts à la poursuite d’une ouverture maîtrisée des échanges, que toute thèse qui tendrait à dire que nous ne devons pas aller à Seattle serait, pour moi, une absurdité ou un contresens.

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  10. seconde Table ronde :
    UN CYCLE MULTILATERAL ET TRANSPARENT
  11. Alain BARRAU

    En intitulant notre seconde table ronde " Un cycle multilatéral et transparent ", nous voulions faire passer l’idée qu’une des questions centrales de la conférence de Seattle sera la place des pays en voie de développement, qu’il s’agisse des pays émergents ou des pays les moins avancés. Nous souhaitions également attirer l’attention sur cette demande de transparence qui anime les opinions publiques, en France et ailleurs. C’est d’ailleurs pour y répondre que nous avons décidé d’organiser ce forum à l’Assemblée nationale.

    Laurence DUBOIS-DESTRIZAIS,
    Déléguée permanente de la France auprès de l’OMC

    Le thème de cette table ronde, que vous avez choisi d’appeler " Un cycle multilatéral et transparent ", est finalement la seule chose sur laquelle il existe un consensus complet à l’OMC.

    Le problème est que tout le monde ne met pas la même définition derrière chaque mot. Les Etats-Unis se sont ralliés à l’idée d’un cycle, mais en lui-même, ce concept ne veut pas dire grand chose. Par contre, le caractère multilatéral des négociations semble aujourd’hui être une nécessité. Nous ne voulons plus d’accords bilatéraux comme ceux qui ont pu être conclus dans le cadre du GATT. Nous devrons donc nous entendre sur tous les sujets qui feront l’objet de discussions. En ce qui concerne la transparence du prochain cycle, il semble que personne ne s’y oppose. Je crois qu’il y a une réelle volonté d’associer la société civile aux débats et de lui donner les moyens de suivre ce qui se passe. Pourtant, tous les membres de l’OMC ne sont pas favorables à une complète transparence de cette institution, notamment dans le domaine du règlement des différends. Certains pays en développement sont tout à fait hostiles à l’introduction d’une plus grande transparence dans la procédure. Ce n’est évidemment pas la position de l’Union européenne, ni celle des Etats-Unis.

      1. L’élément nouveau : la présence des pays en développement
      2. L’OMC n’est pas le lieu d’un combat entre les Etats-Unis et l’Europe. L’élément nouveau de cette négociation est certainement la forte présence des pays en développement dans les négociations, ce qui n’était pas tout à fait le cas lors de l’Uruguay Round. Aujourd’hui, sur les 134 membres de l’OMC, nous comptons 90 pays en développement.

        Pendant longtemps, l’OMC a eu une approche plutôt paternaliste. Il s’agissait d’un " club de riches ", où les négociations ne rassemblaient, dans un premier temps, que les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon et le Canada. Ceux-ci consultaient ensuite quelques autres partenaires, comme le Brésil et l’Inde, puis tout le monde signait. Je caricature un peu, mais le système n’était pas très éloigné de ce mode de fonctionnement. Aujourd’hui, de telles pratiques ne sont plus du tout envisageables.

        Les pays en développement ne participent pas encore suffisamment aux négociations commerciales, mais ils sont présents. Ils veulent tous jouer un rôle dans les discussions de Seattle et intervenir dans la définition du périmètre de la négociation. C’est bien sûr la volonté des pays les plus actifs, comme le Mexique, l’Inde, l’Egypte ou la Malaisie. Mais nous constatons aussi que de petits pays, comme le Panama ou le Costa Rica, commencent à se plaindre de ne pas assister aux réunions restreintes, au cours desquelles nous essayons de faire avancer les choses, notamment en termes de rédaction. Il est clair qu’il serait très difficile de rédiger un texte avec les 134 membres.

      3. Quel intérêt des pays en développement vis-à-vis des nouvelles négociations ?
      4. Nous devons tenir compte de cette dimension nouvelle, qui est la présence des pays en développement. Or nous constatons que ceux-ci ne sont pas prêts à l’ouverture d’une nouvelle négociation. Ils ne sont pas vraiment hostiles à une négociation large, mais ils ne voient pas quel serait leur intérêt à s’engager dans une telle démarche. La situation est très différente de celle de Punta del Este, où les choses étaient relativement claires. Lors de cette conférence, nous avions offert aux pays en développement le démantèlement du secteur textile, qui présentait un intérêt pour la plupart d’entre eux, car ils sont souvent exportateurs de ces produits. En contrepartie, ils devaient s’engager à respecter un certain nombre de règles, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, des droits d’auteurs et de la contrefaçon. Les enjeux étaient identifiés et les résultats de la négociation semblaient apporter des éléments concrets.

        Les choses sont beaucoup plus complexes aujourd’hui. La notion de pays en développement recouvre des réalités très différentes, puisqu’elle s’applique aussi bien au Burkina Faso qu’à Hong Kong. Je mets de côté les PMA, qui sont dans une situation à part. Nous devons évidemment faire des efforts vis-à-vis d’eux, mais, à l’exception du Bangladesh, ils ne sont pas intégrés dans le commerce mondial ; de fait, ils ne participent pas aux travaux de l’OMC. La plupart d’entre eux n’ont même pas de délégation à Genève. Ils ne sont pas organisés en lobby et ne pèsent pas sur le contenu de la négociation.

        D’une manière générale, les pays en développement ne manifestent pas une grande envie de négocier. Pour de nombreux pays d’Asie, cette attitude tient d’abord à la conjoncture économique, qui ne leur semble pas très favorable. Le bilan de la mise en œuvre des accords précédents constitue également un frein à la reprise des discussions. Les espoirs nés à Punta del Este ne se sont pas vraiment concrétisés. Dans le domaine du textile, les gains de parts de marché sont restés limités. Si nous avons effectivement supprimé certaines barrières, nous en avons maintenu d’autres. Je pense notamment aux harcèlements juridiques, lorsque nous enchaînons les procédures anti-dumping sur un même produit, ce qui, de fait, ferme notre marché. Nous pouvions également réintroduire en quatre phases les produits textiles dans les règles normales du commerce international. Il est clair que pour les deux premières phases, nous n’avons pas choisi les produits les plus gênants pour nous. La phase sensible ne commencera qu’en l’an 2000, quand nous entrerons dans la troisième étape. Mais pour le moment, les exportations des pays en développement se sont assez peu développées.

        Or, les pays en développement ne sont pas opposés à l’ouverture de négociations, à condition que nous prenions des mesures leur permettant de profiter réellement des précédents accords. Ils ont fait un certain nombre de propositions, qui, très souvent, vont jusqu’à la remise en cause des accords en cours ou à la prolongation des périodes transitoires, ce qui leur permettrait d’échapper aux règles actuelles. Mais tout en étant très ouverts à l’idée de faciliter la mise en œuvre des accords, ni l’Union européenne ni les Etats-Unis ne souhaitent revenir en arrière et prendre le risque de se retrouver avec des accords moins engageants que ceux qui existent aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, ce débat pèse beaucoup sur le prochain cycle, car il constitue la clef de l’adhésion de ces pays à nos travaux sur les investissements ou sur la concurrence. Des sujets sensibles : l’environnement et les normes sociales.

        Les pays en développement se montrent plus réticents sur les questions environnementales et, plus encore, sur les normes sociales. Pour ce qui est de l’environnement, ils considèrent généralement que les dispositions prises dans ce domaine constituent en réalité un protectionnisme déguisé, qui nous permet de rétablir les barrières que nous avons été obligés de supprimer dans le cadre des accords du GATT ou de l’OMC. L’hostilité est encore plus prononcée en ce qui concerne les normes sociales. Elle s’étend même au-delà des pays en développement, puisque la Hongrie, au nom des pays d’Europe de l’Est, a pris une position extrêmement réservée sur ce sujet. Elle a déclaré que l’OMC ne pouvait pas être le lieu d’une telle discussion. Notre bonne foi n’est pas mise en cause, mais beaucoup de pays ont du mal à croire que les gouvernements occidentaux cherchent véritablement à améliorer les conditions de travail des salariés indiens. Ils y voient plutôt une façon de répondre à certaines préoccupations de la société civile, auxquelles nous devons faire face. Sur ces questions, nous revenons donc à un traditionnel débat entre le Nord et le Sud, avec les Etats-Unis et l’Union européenne d’un côté et les pays en développement de l’autre.

        Aujourd’hui, l’Union européenne doit maintenant se battre sur deux fronts. Nos partenaires du monde développé n’ont pas toujours les mêmes ambitions que nous. Quant aux pays en développement, ils sont réservés, voire hostiles, à l’égard d’un certain nombre de nos positions. Si nous voulons progresser, il me paraît urgent de mettre sur la table des éléments concrets, susceptibles de répondre à leurs attentes.

      5. Des sujets sensibles : l’environnement et les normes sociales

    Certains pays, comme l’Inde, sont particulièrement hostiles à des négociations sur l’investissement. Mais la plupart d’entre eux attendent surtout de voir ce que nous allons leur proposer en échange. Ils se montrent plus réticents sur les questions environnementales et, plus encore, sur les normes sociales. Pour ce qui est de l’environnement, ils considèrent généralement que les dispositions prises dans ce domaine constituent en réalité un protectionnisme déguisé, qui nous permet de rétablir les barrières que nous avons été obligés de supprimer dans le cadre des accords du GATT ou de l’OMC. L’hostilité est encore plus prononcée en ce qui concerne les normes sociales. Elle s’étend même au-delà des pays en développement, puisque la Hongrie, au nom des pays d’Europe de l’Est, a pris une position extrêmement réservée sur ce sujet. Elle a déclaré que l’OMC ne pouvait pas être le lieu d’une telle discussion. Notre bonne foi n’est pas mise en cause, mais beaucoup de pays ont du mal à croire que les gouvernements occidentaux cherchent véritablement à améliorer les conditions de travail des salariés indiens. Ils y voient plutôt une façon de répondre à certaines préoccupations de la société civile, auxquelles nous devons faire face. Sur ces questions, nous revenons donc à un traditionnel débat entre le Nord et le Sud, avec les Etats-Unis et l’Union européenne d’un côté et les pays en développement de l’autre.

    Aujourd’hui, l’Union européenne doit maintenant se battre sur deux fronts. Nos partenaires du monde développé n’ont pas toujours les mêmes ambitions que nous. Quant aux pays en développement, ils sont réservés sur un certain nombre de nos positions. Si nous voulons progresser, il me paraît urgent de mettre sur la table des éléments concrets, susceptibles de répondre à leurs attentes.

  12. Thierry NOBLOT,
    Délégué général de l’Union des Industries textiles

      1. La situation actuelle dans l’industrie textile européenne : un secteur en voie d’adaptation
      2. Je voudrais tout d’abord faire un constat de la situation actuelle. Nous en avons déjà parlé ce matin, mais à demi-mot et sans dire véritablement les choses.

        Comme l’a rappelé Laurence Dubois-Destrizais, l’accord de Marrakech prévoit qu’en dix ans, l’intégralité du commerce textile mondial doit réintégrer le champ des accords du GATT de 1994. L’échéance a été fixée au 31 décembre 2004. Cet accord n’a été très bien accueilli ni par les industries européennes ni par les industries américaines. Celles-ci considéraient en effet que la réintégration des produits textiles dans les règles normales du commerce international devait faire l’objet de contreparties. L’ouverture des marchés aurait dû être réciproque et simultanée, ce qui n’a pas été prévu par l’accord de Marrakech.

        L’Europe a tout de même pris la mesure des enjeux. Progressivement, les activités sont en train de s’adapter à la nouvelle donne concurrentielle de 2005. De nombreuses mesures ont déjà été engagées. Je vous rappelle que l’industrie européenne, qui compte deux millions de salariés, occupe actuellement la première place mondiale en ce qui concerne les exportations de produits textiles et d’habillement ; nous aimerions que cela ne soit pas oublié dans les enceintes internationales ! A l’avenir, il est clair que notre développement continuera à se faire à l’échelle mondiale, et non seulement sur le marché européen, où la moitié des articles textiles est déjà d’origine non européenne. Nous avons spécialisé notre production sur des produits à très forte valeur ajoutée. Nous demandons que tous les marchés soient également ouverts en 2005 : c’est peut–être là que le bât blesse.

      3. L’enjeu de Seattle : une ouverture réciproque et simultanée de tous les marchés
      4. Nous disons très clairement qu’il est impossible de continuer un commerce mondial à sens unique. Nous avons commencé à ouvrir nos marchés aux importations de produits textiles venant des pays en développement et nous continuerons à le faire jusqu’en 2005. Mais en contrepartie, nous n’arrivons pas à obtenir de ces pays un abaissement des barrières tarifaires à des niveaux comparables aux nôtres.

        Lors de la conférence de Seattle et au cours des négociations du prochain cycle, nous souhaitons que l'Union européenne soutienne l’ouverture réciproque et simultanée des marchés textiles. En 2005, l’ensemble des échanges sera réintégré dans les règles normales du commerce mondial. Les quotas n’existeront plus et les droits de douane de l’Union européenne seront en moyenne de 5 %. Nous ne refusons pas la mondialisation, parce que nous avons des atouts très importants dans un très grand nombre de spécialités. Mais nous voulons aussi bénéficier de l’ouverture des marchés des pays tiers.

        Ces pays tiers sont pour l’essentiel des pays d’Asie ou d’Amérique du Sud, qui nous opposent des droits de douane de l’ordre de 30 à 80 % pour les produits textiles et d’habillement. Dans ces conditions, leur marché est pratiquement fermé. Certains pays ont également mis en place des systèmes de licences discrétionnaires, voire d’interdiction des importations.

        Nous estimons qu’à l’horizon 2005, les avantages comparatifs des uns et des autres doivent s’exprimer pleinement. Nous n’avons aucune raison d’accepter de maintenir nos droits de douane à un niveau de 5 %, quand nous nous heurtons régulièrement à des barrières tarifaires de l’ordre de 30 ou 40 %, voire davantage. Ces pics tarifaires très élevés existent aussi aux Etats-Unis, où les droits de douane comportent 160 positions allant de 22 à 35 % sur certains produits textiles. Nous attendons de l’Union européenne, et du Gouvernement français, que les prochaines négociations permettent de revenir à une situation plus acceptable.

      5. Les propositions : plus de droits de douane supérieurs à 15 % en 2005

    Nous estimons que l’accord de Marrakech doit être respecté par l’ensemble des parties. Or je vous rappelle que l’article 7 de ce texte prévoit que tous les acteurs concernés doivent faire des efforts pour favoriser l’ouverture des marchés. Je me demande si certains pays ne l’ont pas oublié.

    A l’horizon 2005, nous considérons qu’il ne devrait plus y avoir de droits de douane supérieurs à 15 % sur les produits textiles. Ce niveau ne devrait pas poser de problème à des pays qui se disent extrêmement compétitifs dans le domaine textile. Il leur permettrait également de conserver des recettes douanières. Nous pensons par ailleurs qu’il est nécessaire de revoir le concept de traitement spécial et différencié des pays en développement. Il est normal que nous ayons des relations commerciales plus libres avec les PMA et que nous leur donnions la possibilité de vendre leurs produits sur le marché européen. Mais nous estimons que d’autres pays s’abritent derrière ce concept pour conserver des avantages commerciaux, qui nous paraissent totalement dépassés. Nous devons tenir compte des nouvelles réalités du développement.

    L’industrie européenne du textile et de l’habillement a largement fait les frais de la libéralisation des échanges et de la mondialisation, puisqu’elle a perdu environ un million d’emplois en dix ans. Il est important de garder cela en mémoire. Aujourd’hui, nous avons restructuré nos activités et nous sommes redevenus compétitifs, mais nous demandons une ouverture loyale de tous les marchés.

  13. Alain BARRAU

    Les normes sociales que nous souhaitons mettre en place ne répondent pas à un souci protectionniste. Elles constituent avant tout une caractéristique importante de la société européenne.

    Daniel RETUREAU,
    Collaborateur du département Europe de la CGT

      1. La protection des droits fondamentaux
      2. Le débat sur les normes sociales a évolué au fil des années. Il y a sept ou huit ans, l’idée des clauses sociales était plutôt perçue comme un élément de protectionnisme. Mais les choses ont beaucoup changé depuis cette époque. Les normes sociales fondamentales définies dans le cadre de l’OIT en juin 1998, qui sont regroupées dans une déclaration de principes fondamentaux sur les droits de l’homme au travail, renvoient à des droits de l’homme élémentaires. La prohibition du travail forcé, par exemple, n’est évidemment pas une norme protectionniste. La reconnaissance de la liberté syndicale n’a pas non plus d’effet directement protectionniste, même si elle peut être un moyen de répartir les fruits de la croissance attendue de la libéralisation du commerce.

        Nous ne pouvons pas accepter le raisonnement d’un certain nombre de pays en voie de développement. Plusieurs d’entre eux ont déclaré que nous souhaitions en fait un SMIC mondial, ce qui n’est pas réaliste dans l’état actuel des choses. Nous pouvons admettre que ces pays bénéficient d’un avantage comparatif dans le domaine des salaires. En revanche, il est inadmissible d’exploiter les enfants ou de développer le travail forcé. La violation des droits de l’homme les plus fondamentaux ne peut constituer un avantage comparatif dans le cadre des échanges commerciaux. Il s’agit d’un problème très important, même si certains avancent que le travail des enfants ne représenterait que 5 % du commerce mondial et que les produits ainsi fabriqués sont essentiellement destinés au marché intérieur. Je vous rappelle que l’agriculture, dont nous parlerons pourtant beaucoup au cours du prochain cycle, ne représente elle aussi que 5 % des échanges mondiaux !

        Nous parlons beaucoup de la situation particulière des PMA. Nous n’avons pas de difficulté à être généreux avec eux, puisqu’ils ne représentent que 0,5 % du commerce mondial. Mais nous ne devons pas considérer que leur permettre d’accéder à nos marchés sans droits de douane suffira à les développer. Il y a une vingtaine d’années, 17 ou 18 pays étaient considérés comme des PMA. Ils sont maintenant 48 et je n’ai pas l’impression que la liste va cesser de s’allonger.

      3. Des débats à replacer dans le contexte du développement durable
      4. Nos objectifs de négociation correspondent aux préoccupations des pays développés. La plupart des pays en développement ne sont pas concernés par les problèmes liés au secteur des services, à la circulation des capitaux ou à l’accès aux marchés publics. Il est évident que nous aurons du mal à les intéresser à ces sujets.

        En vue d’obtenir le règlement de leur dette, nous avons infligé vingt ans d’ajustement structurel aux pays en développement. Cette politique a remis en cause les quelques systèmes de protection sociale qui existaient et a considérablement affaibli les systèmes éducatifs. Nous devons nous interroger sur la situation de ces pays. Qu’est-ce que signifie l’ouverture pour eux ? Même si l’essentiel du commerce mondial se fait ailleurs, ces pays ont le droit de participer aux négociations. Ils ont également droit au développement, ce qui suppose notamment qu’ils aient un pouvoir de contrôle sur les investissements réalisés chez eux, qui doivent contribuer à la satisfaction de leurs besoins sociaux les plus fondamentaux. La question fait partie des enjeux des négociations.

        Je pense que l’importance du développement durable n’est pas suffisamment mise en valeur dans les négociations. Nous n’aurons pas l’adhésion de la société civile si ces discussions ne débouchent pas sur la mise en place de règles susceptibles d’assurer un progrès durable. Nous devons donc prendre en compte les dimensions environnementales et sociales.

        L’implication des pays en développement dans les négociations demande une générosité un peu plus forte que de se limiter au seul secteur textile. D’autres aspects devront être pris en compte. Nous devons également prévoir des compensations pour l’industrie textile, qui ne peut pas supporter toute seule le prix de la libéralisation des échanges. La perte d’un million d’emplois est un drame pour de nombreuses régions de la Communauté, et aussi en Europe de l’Est.

      5. L’implication de la société civile

    J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’intervention du secrétaire d’Etat au Commerce extérieur. Celui-ci nous a parlé de l’importance de la communication, ce qui, à mon sens, est insuffisant. La société civile demande plutôt à participer et à s’impliquer dans les négociations, au travers des Parlements, des organisations de salariés, des organisations patronales, des ONG, des associations de défense de défense des droits de l’homme… Elle est très mobilisée sur le volet du développement durable, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il s’agit tout de même de l’avenir de la planète.

    Hier, un article du Monde indiquait que, malgré le Plan Brady, qui devait permettre l’apurement de la dette des pays en développement, celle-ci se situe toujours au même niveau que dans les années 80. Nous devons donc trouver d’autres solutions. Toutes les questions politiques ne peuvent pas être résolues par le marché et par l’économie. Nous avons besoin de régulations qui traitent les problèmes jusqu’au bout. Il faut trouver des formes de commerce équilibrées.

    En ce qui nous concerne, nous nous rendrons à Seattle pour participer à des réunions parallèles. Une conférence syndicale y sera notamment organisée avec des représentants de très nombreux pays.

    Alain BARRAU

    Je vous rappelle que le point 12 de la Résolution votée par l’Assemblée nationale met l’accent sur un certain nombre de sujets que vous avez évoqués.

    Jacques MAIRE,
    Délégué aux Affaires européennes et internationales
    du ministère de l’Emploi et de la Solidarité

    A. Libéraliser ou harmoniser ?

    Les normes sociales sont un sujet conflictuel au sein de l’OMC. Mais si nous revenons en arrière, nous constatons que ce débat a également eu lieu en 1957 lors de la mise en place du marché commun européen. La question était alors de savoir s’il était préférable de commencer par libéraliser ou par harmoniser sur le plan social. La décision qui a été prise à l’époque a finalement été de ne pas attendre l’harmonisation sociale pour libéraliser. Nous pouvons nous féliciter de ce choix, car l’autre option nous aurait obligé à trouver un accord sur le degré d’harmonisation préalable à l’ouverture des marchés. Les choses auraient pris beaucoup plus de temps. Par ailleurs, nous avons pu constater que malgré cette décision, nous n’avons pas été envahis par les produits venus des pays du Sud.

    A l’échelle mondiale, la situation est différente, puisque l’harmonisation a commencé en 1919 avec la création du BIT. Les discussions multilatérales sur la libéralisation des échanges n’ont débuté qu’en 1944 ou 1945, avec les accords du GATT. Pourtant, il est peut-être un peu exagéré de dire qu’au niveau mondial, nous avons commencé par harmoniser avant de libéraliser. En effet, les processus ont toujours été conçus de manière très distincte. Ce dossier ne prend finalement une vraie actualité que depuis quelques années.

    B. OMC ou OIT ?

    Pour le Gouvernement français, le problème des normes sociales relève toujours de l’OIT. Nous ne sommes pas opposés à ce que le débat sur les normes sociales soit porté au sein de l’OMC, mais notre démarche a surtout pour objectif d’impliquer les pays en développement. La pression qui peut s’exercer au sein de l’OMC augmentera peut-être les chances de succès de l’opération de rénovation de l’OIT, qui a été lancée en 1998.

    Nous espérons que la déclaration sur les droits de l’homme au travail sera un instrument de revitalisation du processus normatif en matière de droits fondamentaux. Si les pays en développement jouent le jeu au sein de l’OIT, ils seront inattaquables lorsqu’ils auront des réserves sur l’intégration de la question des normes sociales dans les débats de l’OMC. Pour la France, il s’agit d’un enjeu de coopération extrêmement fort. Aux termes d’un accord signé avec le BIT en mars 1999, nous avons décidé d’apporter une contribution volontaire pour accompagner la mise en œuvre de la déclaration fondamentale. Sur ce sujet, nous nous situons maintenant au deuxième rang, derrière les Etats-Unis.

    Nous pouvons déjà constater que la déclaration a réussi à enclencher un début de dynamique. Le rythme de ratification des sept déclarations fondamentales élaborées depuis la création du BIT s’est accéléré. Nous considérons qu’il s’agit d’un point important. Les pays du Sud doivent comprendre qu’il est de leur intérêt de ratifier ces textes et de coopérer pour l’application des normes fondamentales. Nous pensons que le redémarrage des discussions de l’OMC peut permettre d’aller encore plus vite dans ce domaine, en apportant une nouvelle motivation aux pays en développement.

    C. Comment présenter le sujet des normes sociales à l’OMC ?

    Il me semble que nous devons présenter les choses sans aucune ambiguïté. Nous devons privilégier une approche coopérative avec les pays en développement, qui mette l’accent sur les incitations et non sur les sanctions. Les Etats-Unis réfléchissent aussi à la mise en place d’éventuels tarifs préférentiels.

    L’OIT restant l’institution compétente sur le fond de ce dossier, nous devons également prévoir un mécanisme d’articulation entre les deux structures. Je pense qu’il existe un consensus au sein des pays développés pour que l’OIT ait un statut d’observateur au sein de l’OMC. Malheureusement, ce consensus n’existe pas du tout entre les membres de l’OIT dans leur ensemble.

    Depuis plus d’un an, les Etats-Unis ont pris une position extrêmement volontariste sur la question des normes sociales. Leur attitude n’est peut-être pas exempte d’arrière–pensées protectionnistes ou électoralistes. La proximité des élections américaines n’est évidemment pas neutre dans ce débat. Mais je pense que les Etats-Unis ont aussi été marqués par l’échec de l’accord de libre-échange nord-américain, où l’absence de volet social a eu des conséquences très importantes pour plusieurs secteurs industriels.

    Il existe encore quelques différences d’ordre sémantique entre les approches européenne et américaine. Pourtant, d’une manière générale, je ne crois pas que les pays du Nord soient prêts à offrir des concessions commerciales aux pays en développement pour assouplir leur position sur le sujet des normes sociales. De telles contreparties seraient trop difficiles à supporter pour nos économies et réduiraient considérablement l’intérêt d’un accord. Nous ne considérons pas les normes sociales comme un enjeu des négociations commerciales, mais plutôt comme un élément essentiel du développement.

  14. Alain BARRAU

    La dimension environnementale est un sujet extrêmement important, d’autant plus que dans ce domaine, il n’existe pas de structure internationale ayant le statut de l’OIT.

    Bruno REBELLE,
    Directeur général de Greenpeace France

      1. L’effet dévastateur de la théorie des avantages comparatifs
      2. Je ne vais pas revenir sur le constat assez unanime des effets de la libéralisation sur le renforcement des disparités entre les pays riches et les pays pauvres. Mais je voudrais tout de même souligner que ce mouvement n’a fait qu’aggraver la dégradation de l’environnement. Il s’agit d’une des conséquences de la spécialisation des économies prônée par la théorie des avantages comparatifs, qui a fondé l’organisation du système économique international. D’après ce que j’ai pu entendre depuis ce matin, je n’ai pas l’impression que cette théorie soit remise en cause. Or elle a eu un effet dévastateur dans les pays en développement, où l’économie est très liée à l’exploitation des ressources primaires (agriculture, forêt, pêche…).

      3. Développement durable et équité : des concepts compatibles avec l’OMC ?
      4. Nous pouvons nous interroger sur la compatibilité réelle de l’OMC avec le concept de développement durable, même si ce concept est inscrit dans le Préambule de l’Acte de Marrakech. Pour reprendre l’image du bulldozer employée ce matin, peut–être faudrait–il se demander où est placé son frein, et si on peut en modifier le cours – c'est-à-dire changer le système d’organisation. Si les pays en développement s’opposent souvent à la prise en compte des questions environnementales, cette attitude nous renvoie directement à la responsabilité des pays du Nord, qui restent malgré tout les plus importants pollueurs et plus grands prédateurs des ressources naturelles.

        Nous pouvons également nous demander si l’OMC est réellement compatible avec la promotion d’une certaine équité dans les relations entre les pays en développement et les pays développés. Pour ma part, je suis tenté de dire que ce n’est pas impossible, à condition de réformer cette organisation en profondeur. L’ouverture d’un nouveau cycle de négociations constitue à cet égard une opportunité, d’autant plus que la société civile a fait son apparition sur la scène internationale et qu’elle entend rester à l’affût pour orienter les discussions dans un sens qui lui paraît plus favorable.

      5. Des changements d’approches nécessaires pour promouvoir le développement durable
      6. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il est préférable de cantonner l’OMC dans son mandat, qui est de faciliter le commerce international, de prendre en considération ce mandat, le contexte imposé par d’autres accords multilatéraux, notamment en matière d’environnement. Il nous semble absolument indispensable d’établir dans la pratique internationale une égalité de traitement juridique entre ces accords et les règles de l’OMC.

        Dans le domaine du règlement des différends, les propositions faites ce matin par Marie-Anne Frison-Roche nous paraissent intéressantes. Elles permettraient en effet d’aller vers davantage de clarté, notamment pour ce qui est de la non-prise en compte des accords internationaux sur l’environnement. Cela étant, il est indispensable de poursuivre les réformes de l’ORD (organe de règlement des différends). Nous ne comprenons pas pourquoi la seule sanction ne serait pas simplement de se conformer aux règles établies. L’acceptation de compensations est une porte ouverte à l’affirmation de la puissance des plus riches.

        Nous devons également cesser de prendre en considération les produits dans leur consistance de produits finis. Un madrier de bois dur venant d’une forêt secondaire française ne peut pas être comparé à un madrier de bois dur provenant de l’exploitation illégale de la forêt amazonienne. Il est nécessaire d’introduire la question des procédés et des méthodes de fabrication dans le règlement des différends, même s’il s’agit d’une question sensible pour les pays en développement et en particulier pour les PMA : à nouveau, les pays riches sont renvoyés à leur responsabilité dans le traitement de la question des pollutions. Nous devons promouvoir les types de production les plus respectueux du concept de développement durable, ce qui nous conduira à internaliser les coûts environnementaux, qu’ils soient locaux ou globaux. Je ne dis pas que ce sera facile, mais je pense que nous devons aller dans ce sens.

        La possibilité d’accepter des exceptions et des mesures unilatérales doit être maintenue pour permettre à pays en difficulté un rattrapage de leur développement ou pour préserver certains écosystèmes ou des zones particulièrement dégradées. Evidemment, ces dispositions doivent être encadrées. A notre avis, les considérations de durabilité et d’équité doivent primer, tout comme la mise en œuvre du principe de précaution. Je me félicite que le principe de précaution figure dans le rapport de Béatrice Marre. Pour notre part, nous souhaitons que celui-ci soit appliqué en inversant la charge de la preuve, ce qui n’est pas irréaliste, dès lors que l’irréversibilité des pollutions, les effets de seuil ou les effets de synergie sont autant de facteurs encadrant sa mise en œuvre.

        Il nous semble également nécessaire de respecter une plus grande cohérence dans les politiques de réduction des subventions. Certaines de ces dispositions sont importantes pour la protection de l’environnement, alors que d’autres ont au contraire un effet néfaste. Il est important d’en tenir compte.

        Nous demandons enfin aux puissances qui participeront aux négociations de ne pas s’engager dans des marchandages sordides, qui auraient tendance à laisser de côté certaines questions environnementales dont le caractère n’apparaît pas comme stratégique. Nous devons parvenir à une meilleure articulation des politiques commerciales et des politiques d’aide au développement ou de protection de l’environnement, qui, si nous n’y prenons pas garde, peuvent s’avérer tout à fait contradictoires. José Bové a montré ce matin l’incidence des restitutions de bas morceaux importés de l'Union européenne vers l’Afrique sur la désorganisation des agricultures africaines.

      7. L’ouverture plus large des négociations

    Les pays en développement doivent avoir la possibilité de participer réellement aux négociations, ce qui suppose qu’ils puissent s’appuyer sur leurs propres experts et y soient aidés financièrement. Certains pays n’ont peut-être pas compris l’intérêt de participer aux négociations, mais je crois aussi qu’ils manquent de personnes qualifiées pour y assister et pour défendre leurs points de vue.

    L’OMC pourrait également s’ouvrir aux ONG d’une envergure internationale. Elles auraient ainsi la possibilité de faire des propositions et de soumettre des recommandations. Aujourd’hui, le seul observateur qui siège à L’OMC est le Vatican ! Je pense que d’autres organisations non gouvernementales pourraient tout à fait avoir leur place dans ce cadre. Comme le disait Montesquieu, " le négoce civilise et réduit la tyrannie des Etats ". J’ai été choqué, moi aussi, d’entendre réduire le gain de légitimité que doit acquérir l’OMC à un problème de communication. La légitimité ne se construit pas seulement à coups de communication : elle suppose de combiner précaution et innovation, solidarité, équité et responsabilité. Nous ne sommes pas du tout contre le négoce, mais nous faisons la différence entre la société de marché et la société des marchands.

  15. Yannick JADOT,
    Délégué général de Solagral

    Depuis ce matin, nous avons beaucoup parlé de gouvernance globale et de développement durable. Mais il me semble que les consensus sur ces concepts cachent trop souvent des divergences sur leur contenu et sur les moyens à mettre en œuvre.

      1. L’agriculture : définir de nouveaux systèmes de régulation
      2. La question agricole est généralement présentée comme un dossier très balisé, du fait de l’accord de Marrakech et du compromis européen de Berlin. Il apparaît pourtant qu’elle pourrait payer le prix du cycle global, que souhaite l’Union européenne.

        La réduction des soutiens à l’agriculture n’est pas forcément illégitime, car beaucoup d’entre eux ne répondent pas vraiment aux besoins. En réalité, ce qui m’inquiète le plus est qu’il n’y a aucun débat sur le choix du modèle agricole que nous voulons défendre. Pierre Moscovici a indiqué que le modèle européen était fondé sur la multifonctionnalité. Or je ne suis pas sûr que la PAC soit réellement multifonctionnelle. Au fur et à mesure que nous approchons de Seattle, j’ai de toute façon l’impression que ces questions descendent dans l’échelle des priorités.

        Les soutiens légitimes à l’agriculture relèvent de choix publics, qui permettent la rémunération de ses fonctions non-marchandes, comme l’environnement, l’aménagement du territoire, l’emploi ou la sécurité alimentaire. Cette dernière constitue évidemment une dimension essentielle de la multifonctionnalité des agricultures des pays du Sud.

        L’agriculture ne devrait pas être le boulet des négociations. Elle devrait au contraire apparaître comme un secteur innovant dans la définition des nouvelles régulations du commerce international.

      3. Les droits de propriété intellectuelle : trouver un équilibre entre protection et accès à la connaissance
      4. Pour ma part, je considère que l’extension du brevet aux innovations biotechnologiques est allée beaucoup trop loin. S’il est normal de récompenser les efforts de recherche et de développement technologique, en leur apportant une protection, la généralisation des droits pose des problèmes, notamment en ce qui concerne les matières vivantes. Il existe évidemment des risques de concentration économique, d’abus de position dominante et de restriction de l’information. Cette situation pourrait déboucher sur un véritable verrouillage technologique, très discriminant pour les pays en développement.

        Il me semble nécessaire de trouver un équilibre entre la protection légitime de l’innovation et les droits, tout aussi légitimes, des usagers à y accéder.

      5. Les pays en développement : en faire des partenaires

    L’insertion des pays en développement dans le commerce mondial est un thème qui revient fréquemment dans les discours des pays du Nord. Pourtant, la convention de Lomé, qui régit les relations commerciales entre l’Union européenne et soixante-dix pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, repose sur un système de libre-échange. Si l’Europe veut réellement donner la priorité à la gouvernance globale et au développement durable, nous devons créer un rapport de forces international, qui permette de créer un nouvel ordre économique international. De ce point de vue, l’alliance avec les pays en développement est tout à fait essentielle.

    Nous devons d’abord définir très précisément quel modèle nous voulons défendre. Je pense que nous pourrions trouver des accords sur de nombreux points, comme les OGM, le principe de précaution… Mais il est indispensable de définir ces priorités au niveau international, sans chercher à imposer les préoccupations des pays du Nord. Nous devons également aborder le problème de la mise en œuvre des normes et de son coût. Ce n’est qu’à ce prix que les pays en développement accepteront d’aborder ces sujets dans le cadre des négociations internationales.

    Nous devons faire en sorte que les pays en développement deviennent des partenaires, ce qui ne correspond pas toujours aux habitudes culturelles de l’Europe. Il est indispensable de leur permettre de participer à la négociation générale, sans les enfermer dans des systèmes dérogatoires ou des compensations.

  16. Hassan ABOUYOUB,
    Ambassadeur du Maroc en France

      1. La position du groupe des 77 : des changements depuis Punta del Este
      2. La déclaration de Marrakech repose sur le postulat selon lequel la libéralisation des échanges est une force puissante et dynamique, capable d’accélérer la croissance et le développement. Pour la plupart des pays, il s’agit d’un changement majeur par rapport à la conférence de Punta del Este.

        Le texte insiste d’abord sur la symétrie entre les obligations contractées par les pays en développement et les fruits qu’ils tirent de ce nouveau système commercial multilatéral. En réalité, les différences par rapport au système issu des accords du GATT tiennent surtout à la présence d’un mécanisme de règlement des différends si l’on excepte la question des services et celle de la propriété intellectuelle.

        Je poserai à ce stade trois questions :

        – si cette réunion se tenait à Londres, dans un cadre comparable, entendrait–on les mêmes interventions ? Certainement non.

        – si l’on appliquait les contraintes de l’environnement pour opérer une distinction entre les aides à l’agriculture, prendrait–on en compte la part de ce soutien qui va aux activités polluant la qualité des eaux dans le Bassin parisien ? Que ce soit à Punta del Este ou à Marrakech, jamais la question de l’environnement n’a été posée dans le groupe Agriculture. Les documents diffusés à Genève par des ONG, européennes en particulier, insistent très peu sur le sujet.

        - les pays qui, à quelques-uns, ont bâti la réforme du mécanisme de règlement des différends ne se sont-ils pas trompés sur sa portée ?

      3. Le mécanisme de règlement des différends : un objet de convoitise
      4. L’OMC, parce qu’elle est la seule organisation multilatérale à disposer d’un mécanisme de règlement des différends, n’a–t–elle pas attiré les convoitises de la part de toutes les institutions de défense des intérêts les plus divers Pour cette raison, l’OMC devrait aujourd’hui régler tous les problèmes de normes sociales, d’environnement…

        Je pense que nous demandons à l’OMC plus qu’elle ne peut donner. Elle reste la somme d’engagements souverains sur des concessions tarifaires et sur quelques principes de base, comme la clause de la nation la plus favorisée. Toutes les règles définies dans le cadre de l’OMC ont pour seul objectif de gérer la mise en œuvre de ces concessions. Le mécanisme de règlement des différends doit permettre à l’état de droit de progresser au sein de l’institution et de faire respecter les droits des plus faibles. Comment créer des liaisons objectives entre des contraintes diverses, dans un système conventionnel bâti selon les principes de la common law anglo-saxonne ? Comment modifier l’organisme de règlement des différends de manière à ce qu’il ne soit plus, comme aujourd’hui, une source de jurisprudence, le moyen de poser des règles sur tous les sujets que les négociateurs n’ont pas pu régler ? Le consensus, qui est la règle constante de l’OMC, aura-t-il un pendant constitué par les panels qui composent cette juridiction originale qu’est l’organe de règlement des différends ?

      5. Les limites de l’intervention de l’OMC

    L’OMC n’a pas les moyens de mettre en œuvre et d’appliquer une philosophie de développement. Les budgets d’assistance technique ont été fortement réduits l’an dernier. Quant au secrétariat de l’organisation, il n’est même pas suffisant pour gérer les prochaines négociations multilatérales.

    Le seul travail de traduction des documents et leur mise à disposition dans des versions autres que l’anglais remet en cause l’égalité d’accès aux négociations. Il est évident que ce principe ne sera pas respecté. En ce qui concerne la transparence, nous constatons d’ailleurs que les traditions du GATT sont en train de faire leur réapparition. Je le souhaite, car elles ont permis d’avancer sur des sujets très sensibles. Mais malheureusement, ces modes de fonctionnement ne sont absolument pas transparents. Les accords de Marrakech ont été le résultat de la négociation entre une vingtaine de pays ; nous retrouvons aujourd’hui ces mêmes pays. Il n’est pas facile pour les pays en développement d’avoir la capacité d’accéder à l’information, de la traiter et de la transformer en demandes concrètes. Même certains pays développés n’ont pas les moyens de suivre réellement tous les débats qui ont lieu à Genève, où il faut vraiment entretenir de " super-ambassades ".

    Enfin, se pose la question du rôle du ministre chargé du Commerce extérieur dans la négociation internationale sur ce sujet. La contradiction, clairement apparue aujourd’hui, vient de ce que l’activité de ces ministres dépend beaucoup – je le sais pour avoir moi-même occupé la charge – de décisions et de négociations dont leurs collègues du Gouvernement sont responsables. Ainsi, la clé du problème du développement se trouve-t-elle à Washington, dans les institutions issues de Bretton Woods, et non à l’OMC. Les équilibres de pouvoirs et les hégémonies – que le ministre de l’Economie et des Finances me pardonne ! – se reflètent dans la conduite des négociations. Les ONG pourraient changer cet état de fait. Malheureusement elles ont choisi des angles d’attaque - l’environnement  et les normes sociales – que ni l’OMC, ni les délégations ne savent gérer. C’est au niveau national, ou à celui de l’Union européenne, que pourront être relayées ces préoccupations légitimes et fondamentales.

    Nous pouvons peut-être avoir un début d’espoir. Je souhaite que le consensus européen résiste à la participation aux négociations. Depuis Punta del Este, nous souffrons de l’absence d’une Europe forte, qui parle d’une seule voix. Si l’Europe parvient à rester unie, nous pourrons véritablement infléchir les traditions contestables respectées par l’OMC pour la fabrication des consensus. En revanche, si Bruxelles vacille, notamment sur les questions agricoles, je crains que nous n’ayons de réelles difficultés à Seattle.

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  17. INTERVENTION DE M. PASCAL LAMY,
    Commissaire européen chargé du commerce extérieur

     

    Je voudrais tout d’abord vous expliquer pourquoi le Millenium Round est à la fois nouveau, complexe et indispensable.

    1. Un cycle nouveau
      1. De nouveaux acteurs
      2. Les acteurs ne sont plus les mêmes que lors du précédent cycle, qui s’était déroulé de 1986 à 1994. Les pays en développement vont jouer un rôle qu’ils n’ont pas eu l’occasion de jouer jusqu’à présent. Compte tenu de leur importance et de leur poids économique, un certain nombre d’entre eux ont maintenant voix au chapitre. En outre, l’Uruguay Round a laissé de mauvais souvenirs à beaucoup de pays en développement, qui ont le sentiment, non sans quelque fondement, de ne pas avoir été réellement associés à la négociation et qui rencontrent actuellement des difficultés dans la mise en place des accords.

        La société civile pourrait également apparaître comme un nouvel acteur de ces prochaines négociations. La présence des représentants de nombreuses ONG dans ce forum est d’ailleurs un fait nouveau, qu’on n’aurait certainement pas constaté il y a dix ans lors d’un colloque sur l’Uruguay Round. Les ONG font partie des contrepoids nés de la globalisation et ne sont pas près de disparaître.

      3. De nouveaux sujets
      4. La libéralisation du commerce international et la globalisation, avec la juxtaposition de styles de vie nouveaux, conduisent certains secteurs de l’opinion à nous demander – cela fait partie du mandat donné à la commission – d’aborder des sujets nouveaux, qui étaient, lors de l’Uruguay Round soit seulement esquissés, comme l’environnement, soit à peine effleurés et en tout cas refusés, comme les normes sociales fondamentales, soit traités selon des modalités techniques très particulières, comme le principe de précaution et la sécurité alimentaire, qui n’étaient évoqués que de manière très partielle, dans la partie sanitaire et phytosanitaire des accords du GATT.

        L’apparition de ces nouveaux sujets n’est pas sans lien avec le fait que la société civile intervient davantage dans nos débats.

      5. De nouvelles situations pour les Etats-Unis et l’Europe

      Les Etats-Unis vont prochainement connaître de nouvelles élections, ce qui complique encore un certain nombre de positions prises par l’administration américaine. Il est toujours difficile de discuter des échanges commerciaux avec les Etats-Unis, car, d’après leur Constitution, la compétence de négociation extérieure appartient au Congrès, et celui-ci ne la délègue que très difficilement à une administration qui a souvent du mal à savoir où elle en est. Dans la situation actuelle, pour des raisons sur lesquelles je ne m’attarderai pas, les choses sont encore plus compliquées.

      En revanche, à la différence de ce qui s’était passé au moment de l’Uruguay Round, l’Union européenne a réussi à définir des positions communes. Les quinze Etats membres se sont mis d’accord assez facilement, afin de définir un certain nombre d’orientations pour la conférence de Seattle. Ils ont appris à vivre ensemble, et, sur la plupart des sujets, nos positions sont naturellement plus convergentes qu’elles ne l’étaient il y a quelques années. Je ne peux que ressentir cela comme une grande force.

    2. Un cycle complexe
    3. La coexistence entre les nouveaux acteurs et les nouveaux thèmes de négociation ne fait pas forcément bon ménage. Nos opinions souhaitent que nous prenions en compte les questions d’ordre environnemental ou social. Mais parallèlement, les pays en développement interviennent de façon plus importante dans les discussions. Il en résulte parfois une certaine forme de contradiction. Le problème des normes sociales fondamentales se heurte tout particulièrement à ces difficultés. Si nous commençons à progresser dans cette voie, un certain nombre de pays en développement se demandent jusqu’où nous irons dans l’imposition de standards sociaux occidentaux. Nous sommes également confrontés à des contradictions dans le domaine de la propriété intellectuelle : la brevetabilité du vivant apparaît aujourd’hui comme un dossier extrêmement délicat.

      Dans les sujets dits plus " classiques ", nous retrouvons les difficultés de l’Uruguay Round. En ce qui concerne l’agriculture par exemple, la question des avantages comparatifs n’a pas fondamentalement changé depuis cette période. Nous avons mis en œuvre les actions auxquelles nous nous étions engagés (diminution des aides à l’exportation, amélioration de l’accès à notre marché…), mais le rythme des évolutions n’est pas très rapide. Les Etats-Unis, après s’être engagés à ne pas toucher à cet aspect, ont recommencé à pratiquer une forte politique de soutien à l’agriculture. Les offensives des pays en développement ou du groupe de Cairns sont toujours très agressives, afin de réduire à néant les supports agricoles des pays développés et que l’agriculture puisse enfin être traitée comme un autre produit. Evidemment, si tous les produits étaient pris en compte de la même manière, ces pays pourraient avoir quelques problèmes, car les avantages comparatifs dont ils bénéficient dans le domaine agricole ne se retrouvent évidemment pas dans les secteurs industriels. La position européenne est beaucoup plus unie qu’elle ne l’était en 1986. Nous disposons d’une nouvelle marge de négociation, ce qui explique d’ailleurs l’attitude extrêmement agressive du groupe de Cairns, très compréhensible d’un point de vue tactique.

      Un certain nombre de sujets techniques, comme l’investissement, sont également très complexes. Mais nous souhaitons tout de même définir un socle minimum d’accords internationaux sur ce sujet, ce qui n’est pas forcément le cas des Etats-Unis. Ceux-ci sont généralement plus favorables à la signature d’accords bilatéraux, qui peuvent leur offrir des conditions plus intéressantes.

    4. Un cycle nécessaire

    Même si cela peut surprendre, je pense que la globalisation est plutôt une bonne chose, à condition toutefois de respecter un certain nombre de conditions. La théorie économique et l’histoire des civilisations montrent que la globalisation va dans le bon sens et qu’elle constitue un facteur de progrès. Mais elle doit être maîtrisée. Il faut des règles, qui peuvent être définies ou améliorées lors de la négociation multilatérale qui va s’ouvrir. Il faut des institutions pour les faire appliquer : à ce point de vue, l’instauration du mécanisme de règlement des différends représente certainement un progrès considérable. Il faut une certaine cohérence entre les règles et les institutions chargées de les faire respecter, en fonction des objectifs respectifs de ces institutions (FMI, FAO, CNUCED, etc.). Il faut conserver un cadre local fort et pertinent, le plus souvent national : beaucoup de problèmes que pose une globalisation mal régulée trouvent leur réponse dans la cohérence des politiques économiques et sociales nationales.

    Les difficultés de l’Uruguay Round expliquent pourquoi, en tant que négociateur, je bénéficie d’un mandat large. A la différence des Etats-Unis, enfermés aujourd’hui dans le court terme, nous pensons qu’il est nécessaire d’anticiper la situation politique que nous connaîtrons lors de la ratification des accords, qui interviendra probablement d’ici cinq ans. Nous serons jugés là-dessus, et non pas sur les débats de Seattle.

    Le prochain cycle sera très différent de ceux que nous avons connus jusqu’à présent. Comment articuler des systèmes de préférences collectives différents dans un monde qui s’intègre et que la libéralisation des échanges contribue à intégrer ? Comment bâtir ce monde de plus en plus interdépendant, mais qui présente également des cultures et des modes d’approche des problèmes très différents ?

    L’Union européenne aborde la négociation avec une certaine confiance, liée d’abord à l’existence du mandat, mais aussi à un certain savoir-faire européen. L’Europe est peut-être l’un des premiers produits de cette globalisation maîtrisée. Les difficultés que nous allons rencontrer lors des négociations pour articuler les préférences collectives dont je parlais tout à l’heure à l’intérieur d’échanges libéralisés sont finalement celles que nous avons connues il y a quinze ou vingt ans dans le cadre de l’intégration européenne. Nous avons donc un savoir-faire dans ce domaine, même si les choses sont évidemment plus difficiles à l’échelle mondiale. Voilà pourquoi j’ai quelque espoir à moyen terme, même si le court terme sera probablement difficile.

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  18. CONCLUSION DES DEBATS
    PAR M. CHRISTIAN SAUTTER,
    Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie

    Je voudrais d’emblée remercier Laurent Fabius et Alain Barrau, qui ont eu la très judicieuse idée d’organiser ce colloque sur les enjeux de Seattle et de permettre ainsi d’utiles échanges entre élus, experts et citoyens. A trois semaines du début de la conférence, alors que les discussions sont vives à Genève, il ne pouvait pas survenir à un meilleur moment. Nous sommes en effet dans la dernière ligne droite, même si la route qui nous y conduit est encore difficile.

    Comme vous le savez, j’ai la responsabilité de conduire la délégation française à cette conférence, qui va ouvrir les négociations multilatérales dans le cadre d’un nouveau cycle de négociation.

    Depuis la rentrée, nous assistons à une pléthore de discours et de jugements pessimistes sur l’OMC, bouc émissaire de toutes les difficultés. L’organisation aurait un effet néfaste sur la prospérité, la cohésion et les valeurs essentielles de la France, des conséquences négatives sur les économies des pays en développement et serait une simple caisse de résonance des seuls valeurs et intérêts américains. Ces critiques sont excessives.

    Je voudrais vous répéter ma conviction : à toutes les époques de notre histoire, il y a un parti du repli et un parti de l’ouverture. Le parti du repli fait fausse route ; sous couvert d’intérêt national, il cherche à préserver des rentes. C’est le parti de la modernisation et de l’ouverture, avec François Mitterrand et Jacques Delors, qui a mieux servi notre pays. Nous pouvons encore aujourd’hui faire le pari d’une insertion internationale réussie, s’appuyant sur une construction européenne renforcée.

    L’expérience du passé montre que la France a su s’ouvrir en gardant sa diversité et ses valeurs culturelles et sociales. Elle a su organiser sa mutation vers les secteurs d’avenir, surmonter ce qu’il y a vingt ans nous nommions la contrainte extérieure, beaucoup plus forte alors qu’aujourd’hui, affirmer sa présence internationale et retrouver le chemin de la croissance.

    Depuis deux ans et demi, notre pays connaît une croissance rapide, grâce au pari de l’ouverture maîtrisée. L’OMC n’est certainement pas la cause de la mondialisation. Elle peut, si elle est convenablement orientée, contribuer à remédier à ses maux.

    Je voudrais plaider pour une OMC plus " citoyenne ", plus généreuse pour les pays en développement et plus au cœur des nouvelles régulations dont le Premier ministre a rappelé récemment l’importance dans son discours de Strasbourg. Si nous orientons bien l’OMC, nous ferons en sorte que la mondialisation devienne un atout pour tous et qu’elle ne laisse au bord du chemin ni les pays pauvres ni les hommes les plus démunis.

    1. Vers une OMC plus citoyenne
    2. Avant la création de l’OMC en 1995, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée. La société civile, les élus et même les gouvernements, découvraient parfois, quelques années après, des résultats qu’ils n’avaient pas souhaités. Ce mode de fonctionnement est périmé. Nous devons aller vers plus de transparence dans les négociations.

      La transparence est d’abord affaire de volonté politique, mais les nouvelles technologies de l’information et particulièrement Internet donnent les moyens d’y parvenir. Le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie vient d’ouvrir, à l’intérieur de son site général, un site spécifique sur l’OMC et les négociations commerciales. Non seulement vous y trouverez des informations, mais vous pourrez y adresser vos contributions : elles donneront toutes lieu à réponse. Par ailleurs, un dossier complet sera mis à la disposition des journalistes dès la semaine prochaine. Il décrira, sans parti pris, la situation actuelle, afin que tout le monde puisse se forger son opinion en toute indépendance.

      La citoyenneté signifie aussi une meilleure consultation de tous les acteurs de la société. C’est ce que nous avons essayé de conduire depuis 1998. Pas moins de sept réunions ministérielles ont été tenues à Bercy par Dominique Strauss-Kahn et François Huwart, avec la participation de Jean Glavany, Catherine Trautmann et Dominique Voynet.

      Deux débats parlementaires ont déjà eu lieu. D’autres débats seront organisés au cours des négociations, afin que le Parlement soit pleinement impliqué dans cette négociation. La délégation officielle à Seattle comprendra onze parlementaires, qui pourront donc participer aux séances de travail. Il s’agira de la délégation parlementaire la plus nombreuse de l’Union européenne.

      Cela me permet de saluer l’excellent travail, très complet et très précis, que vient d’achever Béatrice Marre. Son rapport est un véritable document de référence, qui sert désormais d’outil de travail dans les services de mon ministère et qui séduit par son mélange d’exhaustivité et de clarté.

      Une OMC plus citoyenne, cela signifie aussi associer aux négociations la société civile et les ONG. Nous devons trouver ensemble les moyens d’associer les ONG à la construction de la position française au cours de la négociation, de façon que celles-ci ne soient plus réservées à une poignée de spécialistes initiés.

    3. Le rejet de l’unilatéralisme
    4. Bien évidemment, l’OMC n’est ni au service des Etats-Unis ni au-dessus des lois. Elle résulte de la volonté collective des Etats démocratiques, au premier rang desquels la France, de bâtir une organisation économique mondiale plus ouverte et assurant une égalité de traitement à l’ensemble des participants. L’égalité plutôt que l’hégémonie, l’arbitrage plutôt que l’arbitraire, voilà quels pourraient être les principes fondateurs de l’OMC que nous souhaitons. Il ne s’agit pas de supranationalité, mais simplement une acceptation par tous les pays membres de règles commerciales communes, puisque, comme vous le savez, les accords supposent l’unanimité.

      L’OMC doit mieux intégrer les aspects sociaux et culturels. La recherche de meilleures conditions de travail pour tous et dans tous les pays est un combat universel. L’OMC doit pouvoir apporter sa contribution à un meilleur respect des droits fondamentaux du travail, en collaboration avec l’OIT. Les Etats qui le souhaitent doivent pouvoir prendre des mesures incitatives au bénéfice des pays qui ne font travailler ni les enfants ni les prisonniers et qui respectent la liberté du travail et la liberté syndicale. Ces droits sont souvent inscrits parmi les principes fondamentaux de la législation de nombreux pays : il ne faut pas s’interdire de sortir du formel pour se rapprocher du réel.

      Par ailleurs, la diversité des approches culturelles, source de richesse pour l’humanité et moyen d’expression privilégié pour nombre de nos concitoyens, ne doit pas être étouffée par le commerce ni laissée aux seules forces du marché et du capital. Les règles de l’OMC doivent être suffisamment souples, pour permettre à chaque pays de définir librement leurs politiques culturelles et audiovisuelles.

    5. L’OMC, instrument d’une nouvelle alliance pour le développement
    6. Durant les vingt dernières années, certains pays parmi les plus pauvres ont pris encore du retard en raison d’une croissance particulièrement. Nous devons faire en sorte de briser ce cercle vicieux par une nouvelle alliance entre les pays développés et les pays en développement, particulièrement les moins avancés faible. J’emprunte l’expression au rapport de Béatrice Marre : il s’agit de passer de la mondialisation subie au développement contrôlé, ou au développement maîtrisé, comme l’a dit Pascal Lamy. Tel est le message que les Européens doivent porter à Seattle.

      Dans cette perspective, nous devons conjuguer le commerce et l’aide au développement. Notre pratique ancienne consistait parfois à compenser des réflexes protectionnistes par le financement de projets de développement qui n’étaient pas toujours calibrés au plus juste. A l’opposé, les tenants du libéralisme nous enjoignent de cesser l’aide et d’ouvrir nos marchés (" trade not aid "). La France veut le commerce et l’aide. Elle prône l’ouverture commerciale à la plupart des produits des PMA et elle restera généreuse pour l’aide au développement, comme en témoigne l’initiative du conseil européen de Cologne sur l’annulation de la dette des pays pauvres.

      Notre conception des pays les moins avancés, concentrés uniquement sur des exportations aléatoires sur les matières premières, doit évoluer. Il faut les aider à développer leurs activités agricoles et industrielles en développant leur marché intérieur et leurs exportations sur des bases compétitives. Pour cela, il faut soutenir sans réserve l’initiative généreuse de l’Union européenne visant à accorder un libre accès à la plupart des produits issus des PMA et encourager, s’ils le souhaitent, ces pays à s’engager dans des processus d’intégration régionale.

      Enfin, pour éviter que l’OMC soit, comme naguère le GATT, un lieu de discussion entre pays du Nord, il faut permettre l’accès à l’organisation de la Chine et de la Russie et trouver avec ces deux grands pays les moyens d’une intégration réussie.

    7. L’OMC au cœur des nouvelles régulations internationales

Comme l’a rappelé le Premier ministre, l’OMC est déjà un instrument de régulation, le premier rempart contre la loi du plus fort et contre l’unilatéralisme. La dernière décision qu’elle vient de prendre, en condamnant les avantages fiscaux accordés aux exportateurs américains pour des montants considérables, en témoigne.

Les premiers succès sont encourageants. Mais il faut aller bien au-delà, quoi qu’en pensent les tenants de l’ultralibéralisme.

Concrètement, cela signifie que l’OMC doit privilégier davantage l’environnement, pour que les ressources naturelles ne soient pas mises en péril par une expansion incontrôlée du commerce et pour que les engagements internationaux souscrits pour la protection de l’environnement soient tenus. Cela signifie aussi que les Etats doivent avoir la possibilité d’appliquer, de manière non-protectionniste mais rigoureuse, le principe de précaution, dès que les effets d’un produit sur l’environnement ou sur la santé suscitent un doute sérieux : nos concitoyens ont droit à la sécurité alimentaire. Cela signifie enfin que l’OMC doit prendre en compte, dans la future négociation agricole, les nouvelles dimensions de la politique agricole européenne, et notamment la promotion de la multifonctionnalité ou, pour parler plus simplement, d’une agriculture familiale de qualité, qui se met davantage au service des attentes des citoyens en matière d’environnement et d’aménagement du territoire.

Dans le domaine de l’investissement, nous souhaitons repartir sur des bases complètement différentes de celles de l’AMI, qui, à la faveur d’une négociation furtive, prévoyait en fait une libéralisation généralisée. Il s’agissait d’un accord taillé sur mesure pour les multinationales, qui leur donnait même la capacité d’attaquer juridiquement les Etats. La nouvelle approche, complètement différente, est transparente, beaucoup plus progressive, beaucoup plus respectueuse des équilibres entre les pays, où la libéralisation est choisie et maîtrisée et non brutale et subie. De la même manière, des disciplines internationales sur la concurrence doivent donner, si nécessaire, des armes aux Etats contre le pouvoir excessif des multinationales, qui, en raison de leur grande taille, pourraient être tentées de se soustraire aux règles nationales. La lutte contre les monopoles, illustrée par la décision prise récemment aux Etats-Unis à l’égard de Microsoft, est aujourd’hui fondamentale. On ne peut pas plaider pour la concurrence et, en même temps, laisser se constituer des entreprises hégémoniques à l’échelle mondiale.

Une OMC régulatrice, c’est également une organisation qui trouve sa place dans la nouvelle architecture internationale, plus légitime et plus démocratique, que la France a patiemment essayé de construire. Les 134 pays membres, qui seront bientôt rejoints par d’autres, sont une source de légitimité pour l’OMC. Cela doit nous conduire à trouver les modalités d’une coopération rénovée entre l’OMC et les institutions de Bretton Woods, que Béatrice Marre appelle la " gouvernance mondiale ". Entre l’anarchie du marché et l’administration complète, il y a place pour une intervention régulatrice dont cette expression trace bien les contours. La France soutient les initiatives que Pascal Lamy a déjà prises dès sa prise de fonctions comme commissaire européen et agira également dans ce sens au G8 et à Seattle.

L’OMC doit enfin travailler avec les autres organisations internationales responsables de la sécurité alimentaire et de la protection de la santé, et l’Organisation internationale du travail. La coopération doit se développer entre ces grandes institutions : il ne pourrait y avoir une loi commerciale qui serait supérieure aux autres règles internationales.

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L’enjeu des prochaines négociations est fondamental. Nous devons insuffler à l’OMC un nouvel esprit et faite en sorte que ce nouvel esprit change les relations commerciales internationales. De cette nouvelle approche, le citoyen sera le centre et les pays les plus pauvres seront les bénéficiaires.

La France adhère pleinement à l’idée d’un cycle large, soumis au principe de l’engagement unique, C’est le seul moyen de parvenir à un équilibre entre les différents sujets de négociation et entre les différents pays.

Nous voulons une OMC plus citoyenne, qui contribue en toute transparence à la prospérité, à l’équilibre et à l’équité de la société et de l’économie mondiales. Je le dis aujourd’hui devant vous, si ces conditions ne sont pas réunies à Seattle, l’échec pourrait être envisageable. Il dépend de nous, de notre volonté politique entre Européens, d’en faire les conditions du succès.

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Alain BARRAU

Nous allons créer les conditions pour poursuivre ce dialogue, parce que nous estimons qu’il est de la responsabilité du Parlement de le faire avancer et de permettre aux représentants des ONG et de la société civile de participer au débat. Il est essentiel de faire progresser le contrôle parlementaire sur des questions qui, comme nous l’avons vu, sont essentiellement politiques.