Mission
dinformation sur le Rwanda

SOMMAIRE DES
COMPTES RENDUS DAUDITIONS
DU 9 JUIN 1998 AU 25 JUIN 1998
Pages
Mardi 9 juin 1998 |
M. Pierre JOXE, Ministre de la Défense (janvier 1991-mars
1993), Premier Président de la Cour des comptes |
5 |
M. Marcel DEBARGE, Ministre délégué à la Coopération et
au Développement
(avril 1992-mars 1993), Sénateur de Seine-Saint-Denis |
5 |
Mercredi 10 juin
1998 |
M. James GASANA, Ministre rwandais de la Défense (avril
1992-juillet 1993) |
33 |
Mardi 16 juin 1998 |
M. Michel ROY, Directeur de laction internationale au
Secours catholique |
55 |
M. Régis DU VIGNAUX, Chef de service adjoint au
" service urgences " du Secours catholique |
55 |
Mme Alison DES FORGES, consultante pour Human Rights Watch,
professeur dhistoire dAfrique |
69 |
M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Ministre de la Défense
(mai 1988-janvier 1991), Ministre de lIntérieur |
85 |
M. Jacques PELLETIER, Ministre de la Coopération et
du Développement
(mai 1988-juin 1991), Sénateur de lAisne |
85 |
Mercredi 17 juin 1998 |
Général Jean-Claude LAFOURCADE, COMFORCES-Turquoise
(22 juin-21 août 1994) |
103 |
Colonel Patrice SARTRE, Chef du groupement Nord-Turquoise
(22 juin-21 août 1994) |
103 |
Lieutenant-Colonel Jean-Rémy DUVAL, Chef du groupe 2 COS-Turquoise
(22 juin-30 juillet 1994) |
119 |
Mardi 23 juin 1998 |
M. Jean-Pierre LAFON, Directeur des Nations Unies et des Relations
internationales au ministère des Affaires étrangères (mai 1989-avril 1994) |
121 |
M. Jean-Bernard MÉRIMÉE, Représentant permanent de la France
à lONU
(mars 1991-août 1995) |
137 |
Mercredi 24 juin 1998 |
M. Jean-Marc ROCHEREAU de la SABLIÈRE, Directeur des Affaires
africaines et malgaches au ministère des Affaires étrangères (août 1992-juillet 1996) |
151 |
Jeudi 25 juin 1998 |
Général Jean HEINRICH, Directeur du Renseignement militaire
(1992-1995) |
171 |
Audition de MM. Pierre JOXE, Ministre de la Défense (janvier 1991-mars 1993), Premier Président
de la Cour des comptes, et Marcel DEBARGE, Ministre
délégué à la Coopération et au Développement (avril 1992-mars 1993), Sénateur de
Seine-Saint-Denis
(séance du 9 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Pierre Joxe,
Ministre de la Défense de janvier 1991 à mars 1993 et M. Marcel Debarge, Ministre
de la Coopération davril 1992 à mars 1993.
Il a rappelé que dans laffaire rwandaise, de 1991 à 1993, la
France avait participé aux négociations qui avaient pour but de faire prévaloir une
solution politique pacifique, alors que sur le terrain la situation était fragile et
tendue, au point quil avait fallu, en juin 1992, envoyer une compagnie en renfort
pour protéger les ressortissants français. Il a ajouté que cette période avait été
marquée par lalternance des négociations, des cessez-le-feu et des combats, et que
deux grandes offensives lancées par le FPR, en juin 1992 et en février 1993, avaient
été difficilement contenues par les forces gouvernementales.
M. Pierre Joxe a souhaité, en guise de propos liminaire,
évoquer plusieurs points relatifs aux opérations extérieures. Il a estimé en effet que
linitiative prise par la Commission de la Défense pour savoir comment les forces
françaises avaient pu se trouver mêlées à des circonstances qui ont tourné à une
tragédie aussi épouvantable, devait faire réfléchir au statut de ces opérations
extérieures pour quà lavenir ce ne soit pas a posteriori, voire
longtemps après, mais au fur et à mesure de leur déroulement que le Parlement et, à
travers le Parlement, lopinion soient exactement informés des conditions dans
lesquelles, comme cela est arrivé souvent et arrivera certainement dans les années qui
viennent, les forces françaises sont engagées, seules ou avec dautres, dans des
opérations extérieures qui ne sont pas la guerre, et dont le statut juridique est
parfois incertain, quil y ait ou non mandat dune organisation internationale.
Il a expliqué que, ayant été Ministre de la défense pendant deux
années, il avait eu à connaître et à participer à lorganisation de différents
types dopérations extérieures : la guerre du Golfe, où la France
sinsérait, avec des unités assez importantes, dans un dispositif international à
prédominance américaine, la Somalie, où les unités françaises, assez peu nombreuses,
étaient insérées dans un dispositif également à dominante américaine, sur la base
dune résolution internationale moins précise, le Cambodge, où la France a été
mêlée à quinze ou vingt autres pays avec des effectifs assez limités, la Yougoslavie,
où elle a été lun des premiers pays à envoyer des troupes pour des missions de
maintien de la paix. Il a ajouté quil ne fallait pas oublier les anciennes colonies
françaises dAfrique, où la France avait mis en place depuis des lustres un
dispositif particulier, puisquy existaient en général des accords de coopération,
y compris de coopération militaire, avec parfois des clauses secrètes, et où, par
conséquent, le cadre général juridique des interventions extérieures était à la fois
incertain pour les responsables politiques sur place ou en France, peu connu par les
parlementaires et ambigu pour tout le monde.
Il a estimé que cette situation dimprécision devait cesser,
dans la mesure où la France se trouvait de plus en plus mêlée à des opérations
extérieures avec des forces armées de moins en moins nombreuses, et sest déclaré
certain que les travaux de la mission allaient contribuer à faire apparaître la
nécessité dune meilleure précision juridique en la matière.
Il a précisé que dans le cas particulier du Rwanda et, de façon
générale, celui les pays de lAfrique au sud du Sahara, une organisation
particulière, en cours de restructuration, celle du ministère de la Coopération avait
eu, sous différents noms, un rôle aussi géographiquement spécialisé que techniquement
multiple : coopération agricole, mais aussi coopération technique dans la police,
coopération pour léducation, coopération pour la construction de ponts,
coopération militaire et de gendarmerie. Sur ce point, il a rappelé que, dans le cas du
Rwanda, la coopération militaire, qui était au départ limitée à une coopération avec
la gendarmerie, avait été étendue lors dune négociation très rapide, menée à
chaud, à lensemble des forces armées et que, là aussi, le statut juridique de
laide militaire à ce pays était peu clair.
Evoquant le sentiment dhorreur qui prévalait lorsquon
pensait au Rwanda aujourdhui, il sest demandé pourquoi, à lépoque, on
avait fait si peu attention aux opérations quon menait dans ce pays. Il a rappelé
que lorsquil était Ministre de la Défense, il était venu à plusieurs reprises
devant la Commission de la Défense et que si des questions lui avaient été posées sur
les suites de la guerre du Golfe, sur le début ou le développement de laffaire de
Bosnie-Herzégovine, sur la Somalie, rien ne lui avait été demandé à propos du Rwanda.
Il a expliqué cette absence de questions par le fait quà
lépoque, la tradition dintervention, plus ou moins massive, de la France dans
ses anciennes colonies, ou dans des pays qui étaient danciens territoires coloniaux
de pays proches, pour stabiliser leur situation, était passée dans les habitudes. Il a
précisé que si lon pouvait discuter et critiquer ce type dopérations et
regretter peut-être quà un moment, le rôle de la France ait été de conserver
des situations acquises, dont on pouvait, le cas échéant, penser quelles ne
méritaient pas de le rester, le but de ces interventions était bien un but de
stabilisation.
M. Pierre Joxe a ensuite exposé que le tournant avait été le
discours prononcé par François Mitterrand à La Baule à loccasion dun
sommet franco-africain. Expliquant que ce discours était le résultat de discussions
antérieures intenses, publiques ou non, il a indiqué que celles-ci avaient abouti à ce
que le Président Mitterrand proclame, et que son gouvernement mette en oeuvre, un certain
nombre dorientations clairement renouvelées, aux termes desquelles la France allait
désormais encourager et soutenir lévolution démocratique, et donc plus
particulièrement les régimes et les gouvernements qui se réclamaient de ces principes
et les mettaient en oeuvre.
Précisant que cette orientation lui convenait très bien, il a ajouté
quil avait pu constater, durant cette période, que de telles politiques
dinstauration de la démocratie interne et du multipartisme se développaient
effectivement dans plusieurs pays dAfrique, dont le Togo, le Sénégal, le Bénin,
mais que parmi eux ne figurait certainement pas le Rwanda.
Il a conclu sur ce point que lintervention de la France au Rwanda
à cette époque se situait donc à lintérieur dun processus
historique ; il a ajouté quau fond, elle était marquée dune certaine
ambiguïté dans la mesure où si les forces françaises étaient là pour protéger les
ressortissants français, elles navaient sûrement pas cette seule perspective
puisque partout, la présence dune force militaire organisée, même modeste, même
composée seulement de quelques dizaines ou centaines dhommes, a un impact militaire
et un impact politique, et quen conséquence, la seule présence de ces forces
exerçait une pesée politique. Il a précisé que sa conviction était que cette pesée
politique seffectuait, là comme ailleurs, à légard dun chef
dEtat et en faveur dune évolution démocratique, et que si, dans ce cas
précis, celui-ci nen avait peut-être ni lintention ni les moyens, ce
mouvement se développait, là aussi, dans un contexte général éclairé et guidé par
la nouvelle orientation de la politique française. Il a précisé que, si lon
ajoutait les variations deffectifs pour faire face, en 1992, puis au début de 1993,
à des pressions qui venaient du Nord avec limplication plus ou moins établie
déléments basés en Ouganda, même si ceux-ci sont toujours restés assez faibles,
on pouvait parler dun appui à ce chef dEtat.
Rappelant alors quil avait vu sur place dans de nombreux pays,
pas au Rwanda où il nest jamais allé, mais en Somalie, au Cambodge, en Yougoslavie
et dans différents endroits, des militaires français engagés dans des opérations qui
ne sont pas des opérations de guerre mais quelque chose dintermédiaire qui tient
à la fois des opérations de police, de protection, dinterposition ainsi que
dassistance ou dévacuation, M. Pierre Joxe a alors entrepris une analyse
concernant les militaires français engagés dans ces opérations.
Il a expliqué que, lorsque la France envoyait des éléments
militaires dans ce genre dopérations, quils soient une centaine, comme
cest souvent le cas, ou plusieurs milliers, comme en Yougoslavie, ce nétait
pas pour faire la guerre, conquérir ou reconquérir un territoire, mais quil
sagissait dune sorte de mission de police internationale, cest-à-dire
de séparer les combattants, dempêcher une progression ou de protéger et
dassister les populations civiles, soit en les protégeant éventuellement les unes
des autres, ou de la panique, soit encore en leur fournissant des moyens de transport, des
abris, des vivres, des médecins, des médicaments.
Récusant le terme de droit dingérence, et rappelant quil
en avait combattu le principe, publiquement ou en privé, et que ce concept navait
aucun fondement juridique ni philosophique, il a considéré que le type de missions
quil venait dévoquer était mal défini juridiquement mais était en train de
progresser dans le droit public international, en se rattachant à lidée
dassistance, de sauvetage. Il a fait observer que les militaires qui participent à
ce type de mission ont le sentiment quils le font par devoir et sur ordre ; par
devoir, puisquils ont choisi le métier des armes ou, pour encore un temps,
quils sont appelés du service national, et sur ordre puisquils ont reçu une
mission du pouvoir politique. Il a également fait remarquer quà la différence des
forces armées qui participaient à des guerres coloniales comme conquérants, comme au
Niger il y a plus dun siècle, ou en luttant contre des révoltes coloniales, les
forces armées françaises aujourdhui, et depuis des années, participaient à des
missions qui navaient plus de militaire que linfrastructure, et, en même
temps, dont les personnels se trouvaient souvent dans des situations tellement
épouvantables que certains dentre eux en restent blessés, non pas physiquement,
mais psychiquement par les horreurs auxquelles ils ont assisté, et les massacres dont ils
ont été témoins et auxquels ils ont été empêchés, par les données de fait,
dintervenir.
Estimant que, dans la mesure où ce type dinterventions risquait
de se multiplier en raison des progrès du droit international et de lamélioration
du cadre juridique dans lequel elles sinscrivent, la France sera de plus en plus
confrontée à ce genre de situations du fait que le volume de ses forces, la qualité de
ses personnels, lensemble de son organisation militaire en font lun des rares
pays du monde qui ait la capacité dintervenir et qui puisse envoyer très
rapidement plusieurs centaines dhommes capables de faire face à des situations de
crise, il a indiqué quil faudrait en conséquence prendre de plus en plus garde au
fait quil y a là une vie nouvelle pour les forces armées françaises.
Rappelant en effet que, depuis des générations, la tradition
militaire française était une tradition de défense du territoire national, il a estimé
que devait se créer une tradition daction internationale, dopérations
extérieures, dopérations humanitaires, dopérations de police internationale
et quil faudrait pour ces opérations un statut juridique beaucoup plus précis. Il
a fait remarquer quà ce jour, le droit de la guerre nétait pas pertinent
pour les régir, aucune des grandes lois républicaines, sur létat de crise,
létat de siège, qui répartissent et organisent les rapports entre les
différentes branches du pouvoir politique, y compris le Parlement, et les différents
échelons des autorités militaires, ne sappliquant à ces situations.
Il a ajouté que, dans cette perspective, ce qui était sous-jacent au
travail de la mission dinformation, cétait le statut juridique des missions
de coopération militaire.
Il a estimé que, dès lors quun Etat doit avoir une armée, une
gendarmerie, la difficulté nétait pas que soient affectés des coopérants
militaires pour laider à constituer une armée ou une gendarmerie, à en former les
cadres, mais celle de savoir, en cas de troubles intérieurs, quel devait être le statut
de ces coopérants et la définition de ce quils devaient continuer à faire ou ne
plus faire. Il a précisé que la question se posait de la même façon lorsque ce pays
menait une action armée en réponse à une agression. Fallait-il considérer quil y
avait agression sil sagissait de rebelles, menant une action interne ; et
comment établir la nature de lagression ; comment savoir si elle vient non pas
de rebelles mais déléments armés étrangers agissant depuis lautre côté
de la frontière ? Il a enfin estimé que, même en cas dagression extérieure,
il fallait que laccord de coopération permette de déterminer les actes qui restent
permis aux coopérants.
Il sest alors demandé, en cas daffrontements, où
commençait pour les forces françaises la participation au combat. Il a fait observer que
si le combat se menait dabord sur le terrain, le combat dartillerie se menait
à distance et quen tout état de cause le combat se préparait dans les
états-majors. A cet égard, il sest demandé sil fallait considérer que
cétait seulement le fait du fantassin, qui est au contact, du grenadier voltigeur
du combat dinfanterie, qui participe au combat, ou aussi de son officier, et de
lartilleur, qui est beaucoup plus loin, voire de celui qui laide à régler le
tir. Il sest également interrogé sur ce quil fallait dire sur ce point de
lofficier qui travaille dans un état-major à établir les plans de défense ou
daction des forces, et encore de celui qui est ailleurs, éventuellement en France,
qui est un concepteur ou donne son avis.
Il a expliqué que cest un cadre juridique répondant à ces
questions qui devait permettre de donner des lignes daction aux coopérants
militaires, mais a fait observer que la France nen disposait pas. Il a ajouté que
cela valait aussi pour les règles douverture du feu. Il a cité lexemple de
la Yougoslavie, où les soldats français qui se trouvaient dans les Krajina entre les
deux camps ne disposaient pas de règles douverture du feu claires, et mis en
évidence que cétait leur talent personnel, leur conviction, leur sens moral, et
des principes moraux simples qui les avait amenés à poser comme règle quon ne
tire quen cas de légitime défense, et que, même dans ce cas, on nutilise
que la force minimum pour faire face à la situation.
Il a estimé que cest cette problématique qui était en jeu et
que les travaux de la mission aboutiraient à un progrès du droit : lemploi
par la France de ses forces armées pour préserver ou faire progresser le droit, y
compris le droit politique dans certains pays, supposant tôt ou tard linscription
de cet emploi dans un cadre juridique précis qui faisait aujourdhui défaut.
M. Marcel Debarge a exposé quayant exercé les
fonctions de Ministre délégué à la Coopération et au Développement davril 1992
à mars 1993, il avait eu à connaître des événements graves qui se déroulaient dans
la région des Grands Lacs et particulièrement au Rwanda au cours de cette période. Il a
précisé quaprès avoir rappelé le contexte général de la présence de la France
au Rwanda au moment où il avait pris ses fonctions, il évoquerait plus précisément les
circonstances et les conditions dans lesquelles se sont déroulées des deux missions
quil avait effectuées dans la région en mai 1992 tout dabord, puis fin
février-début mars 1993.
Il a alors indiqué quaprès le discours de La Baule prononcé en
juin 1990 par le Président François Mitterrand, le Président Habyarimana, dès le mois
de juillet, avait engagé dans le même mouvement une réflexion sur la démocratisation
du régime et des négociations avec lOuganda sur la question des réfugiés. Il a
fait observer que linvasion par les troupes du FPR, à partir de lOuganda, le
1er octobre, ayant bousculé ce mouvement, il était difficilement
concevable, au moment où des pressions étaient exercées sur le régime de
M. Habyarimana pour quil souvre vers le multipartisme, de permettre
quune agression militaire extérieure remette en cause le processus de
démocratisation. Il a ajouté quen tout état de cause, les autres partenaires
africains de la France ne lauraient pas compris, et ce dautant moins que
larmée rwandaise à cette époque ne disposait que de 5 000 hommes.
Il a précisé que, face à cette situation, les objectifs de la
politique française au Rwanda avaient alors été clairement fixés par le Président de
la République dans une lettre adressée au Président Habyarimana le 30 janvier
1991, où il précisait que le conflit ne pouvait trouver de solution durable que par un
règlement négocié et une concertation générale dans un esprit de dialogue et
douverture.
Il a ajouté quen conséquence, doctobre 1990 jusquà
larrivée de la mission dintervention des Nations Unies au Rwanda, la MINUAR,
en décembre 1993, la présence française, dans ses deux composantes, diplomatique et
militaire, loin de constituer un soutien unilatéral au Gouvernement rwandais, avait eu
pour objet dexercer des pressions sur chacune des parties : dissuader le FPR de
rechercher une solution militaire appuyée de lextérieur, pousser le Président
Habyarimana à accepter un partage négocié du pouvoir avec lopposition intérieure
et le FPR. Il a estimé que laction déterminée de la France avait ainsi permis
dorganiser la tentative de processus de réconciliation nationale avec, dans un
premier temps, des résultats significatifs. Il a énuméré ceux-ci : accord de
cessez-le-feu de mars 1991, nouvelle constitution de juin 1991, rencontres à Paris entre
émissaires du FPR et du gouvernement rwandais doctobre 1991 et de janvier 1992,
mise en place du gouvernement de coalition dirigé par le Premier Ministre Dismas
Nsengiyaremye, chef de lopposition, en avril 1992, accords de paix dArusha qui
organisaient définitivement le partage du pouvoir en août 1993, création de la MINUAR
par la résolution 872 du Conseil de Sécurité du 5 octobre 1993, et enfin retrait
des militaires français en décembre 1993 après le déploiement de celle-ci.
Il a précisé quil avait rappelé ces éléments pour bien
montrer quil ny avait jamais eu de dessein caché derrière
lintervention française. Il a ajouté que, bien au contraire, cette politique avait
toujours fait lobjet dexplications claires et quon pouvait se référer
à la presse de lépoque, qui avait connaissance tant de lexistence du
détachement Noroît que de celle du détachement dassistance militaire et
dinstruction, le DAMI.
Il a cependant fait observer que les résultats obtenus étaient
fragiles dans la mesure où, comme le génocide de 1994 la prouvé, les extrémismes
de tous bords navaient pas désarmé tandis que la communauté internationale, pour
sa part, manifestait peu dintérêt pour la région, même après lassassinat
du Président Ndadaye, le Président démocratiquement élu du Burundi, en octobre 1993.
Il a ajouté que le Président de la République avait conscience de cette fragilité
puisque, afin que les dernières objections émises à New York à la constitution de la
MINUAR soient levées, il écrivait au Président Clinton le 27 septembre 1993 :
" Si la communauté internationale ne réagit pas rapidement, les efforts de
paix que les Etats-Unis et la France ont, avec les pays de la région, fermement appuyés,
risquent dêtre compromis ".
Pour illustrer ces difficultés, M. Marcel Debarge a souhaité
évoquer plus précisément les deux missions quil avait effectuées dans la
région.
Il a dabord relaté celle quil avait effectuée en mai
1992. Il a indiqué quil avait été reçu à Kigali par le Président Habyarimana
ainsi que par le Premier Ministre, désigné depuis le 16 avril, et le Ministre des
Affaires étrangères, ces deux derniers appartenant au mouvement démocratique
républicain (MDR), parti de lopposition intérieure. Le contexte était délicat
car les mouvements politiques dopposition, désormais inclus dans le gouvernement de
transition, qui avaient espéré que la formation de celui-ci provoquerait une accalmie
dans les combats, constataient le contraire dans le Nord, dans la zone frontalière, où
le FPR accentuait sa pression ; de plus, la visite que venait deffectuer
M. Hermann Cohen, sous-Secrétaire dEtat américain à Kampala, avivait une
inquiétude générale et renforçait la conviction du Président Habyarimana que le
Président ougandais Museveni était le seul capable dexercer une influence réelle
sur le FPR.
M. Marcel Debarge a alors précisé que le message transmis
auprès du Président Habyarimana avait été ferme et celui délivré à légard de
lopposition interne rassurant, et quil avait pris conscience que les deux
parties tenaient le même discours sur laction de la France, toutes deux
considérant que son implication, y compris militaire avec la présence du détachement
Noroît, stabilisait la situation et permettait la poursuite du dialogue.
Il a ajouté que la visite dun ministre de la République
renforçait aussi lactivité déployée par nos diplomates qui poussaient à
louverture des négociations directes entre le gouvernement et le FPR, prévues le
24 mai à Kampala, mais que, sur ce point, il retirait en revanche des discussions
quil avait eues une impression de méfiance de ses interlocuteurs, expliquée par la
peur que les uns éprouvaient à légard des autres et surtout par
linquiétude sur les intentions réelles du FPR.
En matière de coopération civile, il a précisé quau cours de
cette mission, cest laccompagnement du processus de démocratisation qui avait
été retenu comme la priorité : avaient été évoqués lappui à
lorganisation des élections et au fonctionnement du futur parlement,
lassistance au système judiciaire, la question de lajustement structurel et
les négociations avec les institutions de Bretton Woods.
Il a ajouté que le gouvernement rwandais lui avait fait part de son
intention détablir une nouvelle carte didentité nationale ne faisant plus
apparaître de mention ethnique et de solliciter éventuellement pour cela la coopération
française et quil avait répondu que cétait effectivement une mesure
positive et que son département portait sur ce projet un préjugé favorable. Il a
indiqué quà sa connaissance, ce projet navait pas été suivi deffet.
Sagissant de la coopération militaire, il a exposé que son
déplacement intervenait juste après une mission du Général Jean Varret, chef de la
Mission militaire de Coopération qui en avait examiné les détails, et quil se
souvenait davoir marqué son accord à létude dun plan de
démobilisation, à lexemple de celui que la France avait engagé au Tchad et à la
poursuite des actions de coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Il a indiqué quafin de respecter un équilibre régional, sa
mission sétait poursuivie en Ouganda où il avait rencontré le Président
Museveni. Interrogé sur le point de savoir sil pouvait faire pression sur le FPR
afin daccompagner les efforts de paix, le Président Museveni, tout en répondant
quil prodiguerait des conseils, avait également, et assez longuement, évoqué sa
préoccupation à légard du Soudan. M. Marcel Debarge a expliqué quil
en avait retiré limpression quau-delà des amabilités protocolaires se
dégageait une volonté de ne pas paraître directement impliqué dans le processus de
négociation.
Abordant ensuite la deuxième mission quil avait effectuée au
Rwanda, M. Marcel Debarge a dabord exposé que, bien que le 10 janvier
1993, les négociations dArusha aient abouti à un premier accord de partage du
pouvoir entre le Gouvernement rwandais et le FPR, celui-ci avait lancé une offensive
générale le 8 février à partir de lOuganda. Il a indiqué quaprès
que la France eut condamné cette rupture unilatérale du cessez-le-feu, le Directeur des
affaires africaines et malgaches et M. Bruno Delaye, Conseiller du Président de la
République, sétaient rendu sur place et avaient constaté que le FPR était en
mesure de prendre Kigali par les armes, et en même temps que le clivage entre le
Président Habyarimana et ses partisans saccentuait, celui-ci voulant négocier avec
le FPR. Deux compagnies supplémentaires furent alors envoyées à Kigali, portant
leffectif du détachement Noroît à 800 hommes tandis quà lissue
dun conseil restreint la décision fut prise que le Ministre de la Coopération se
rende à Kigali et à Kampala. M. Marcel Debarge a alors indiqué que, une fois sur
place, le 27 février, il sétait rendu compte que les troupes du FPR étaient
à une vingtaine de kilomètres de Kigali et quelles avaient poussé devant elles
près dun million de réfugiés qui ne les avaient certes pas accueillies en
libérateurs ; le spectacle des collines dévastées, plantées de milliers de tentes
fournies par le HCR dans lindifférence de la communauté internationale, était
désolant et accablant.
Il a dit avoir réitéré au Président Habyarimana le message
indiquant que la présence militaire française sinscrivait dans le cadre des
accords de 1975 et de 1992, cest-à-dire quelle consistait à apporter une
aide indirecte et à protéger les ressortissants étrangers, tout autre objectif étant
formellement exclu. Il a ajouté que le Premier Ministre et les ministres
dopposition, tout en comprenant la position de la France, souhaitaient pour leur
part le maintien des troupes françaises afin déviter la chute de Kigali qui,
insistaient-ils, se traduirait par un massacre préalable des cadres de lopposition
et des Tutsis par les extrémistes hutus, et quils lui avaient précisé, à cet
égard, que la présence de militaires français aux postes de contrôle à lentrée
de Kigali sécurisait les populations. Il a conclu que tout cela montrait bien que,
contrairement à ce qui a été prétendu ici et là, les autorités françaises étaient
bien conscientes de la situation et que lactivité diplomatique et militaire
déployée visait bien à éviter les massacres.
Il a indiqué quil se souvenait également avoir prôné
lunité nationale et fait valoir que la constitution dune troisième force
serait illusoire face à la détermination et à lorganisation du FPR ; le
Président Habyarimana pour sa part était poussé dans ses retranchements et ne semblait
plus à même de contrôler les extrémistes du MRND, pourtant son propre parti, ou de la
CDR.
Il a précisé que le message transmis à Kampala, auprès du
Président Museveni, était non moins explicite : à cause des conséquences
prévisibles pour les populations, il nétait pas question de victoire des uns sur
les autres ; en conséquence, le FPR devait renoncer à loption militaire sans
quoi la responsabilité de lOuganda serait lourdement engagée. Il a ajouté que le
Président Museveni avait répondu que la France avait lobligation désormais de
pousser M. Habyarimana à mettre en oeuvre les accords dArusha et quil
sengageait, pour sa part, à convaincre le FPR de revenir aux positions militaires
antérieures à lattaque du 8 février.
Il a exposé que, de retour à Paris, il avait rendu compte de
limpossibilité pour la France de poursuivre sa politique dappui militaire
indirect dans un contexte où la tension sur le terrain impliquait désormais une
véritable force dinterposition pour soutenir le processus dArusha. Il a
ajouté que le Président de la République, partageant cette analyse, avait donné des
instructions, après consultation du Gouvernement, pour que les Nations Unies soient plus
impliquées et que, suite à cette décision, la France avait obtenu le 12 mars par
la résolution 812 du Conseil de sécurité létude du déploiement dune
force de maintien de la paix. Il a rappelé que, pour sa part, le FPR, sappuyant sur
les conclusions du rapport de la Fédération internationale des Droits de lhomme,
le 8 mars 1993, sétait opposé mais sans succès à la saisine de lONU.
Il a indiqué que dès la fin mars, la France avait retiré les deux compagnies
supplémentaires du détachement Noroît et entrepris de renforcer en même temps les
mesures humanitaires.
Concluant que lintervention française, avec la présence
dissuasive de Noroît, avait pu permettre provisoirement de stabiliser la situation sur le
terrain et la reprise des négociations dArusha jusquaux accords du
4 août et au déploiement de la MINUAR fin décembre, M. Marcel Debarge a fait
observer que les événements qui sétaient produits ensuite avaient montré que la
France avait eu à cette époque raison dinsister même si elle était restée
longtemps la seule à prendre véritablement la question en considération.
Il a ajouté que par son témoignage, il avait voulu montrer que les
efforts français déployés au cours de cette période grave de lhistoire des
Grands Lacs ont été animés de la volonté réelle, pugnace et persévérante
dobtenir une réconciliation durable entre les parties et quil ny a pas
eu de politique cachée mais, au contraire, la mise en oeuvre de principes clairs
consistant à favoriser la démocratisation dun régime, seule solution pour éviter
les massacres puis le génocide, face à une attaque extérieure menée avec
détermination. Il a affirmé quil ne voyait pas quelle autre solution aurait été
possible. Estimant que, dès 1990, laisser un Etat partenaire succomber dans
lindifférence générale eût été contraire au droit international et faisant
valoir quau même moment les énergies des grandes puissances se mobilisaient lors
de la guerre du Golfe au profit du Koweït envahi, il sest demandé sil
ny avait pas deux poids, deux mesures. Il a ajouté quon ne pouvait pas isoler
les événements du Rwanda de ceux qui se sont produits au Burundi, en Ouganda ou au Kivu
et que, si personne ne se souciait réellement des événements qui se déroulaient
actuellement dans la région, ceux-ci démontraient malheureusement que les rancoeurs et
les haines ne sy étaient pas apaisées.
Il a affirmé quil fallait également sinterroger
aujourdhui sur les tenants et les aboutissants de lautre partie au conflit, le
FPR, afin de faire la lumière sur les appuis dont il a bénéficié, y compris dans
lopinion publique française, et jugé quune véritable approche critique
était désormais nécessaire pour éclairer entièrement ce génocide que la mise en
oeuvre sans arrière-pensées du processus dArusha aurait vraisemblablement évité.
Il sest félicité, en tant que parlementaire, de la constitution de la mission
dinformation, celle-ci lui paraissant la formule dinvestigation critique et
objective la mieux appropriée.
Après avoir approuvé le point de vue de M. Pierre Joxe sur le
contrôle des opérations extérieures par le Parlement et indiqué que la Commission de
la Défense avait entamé un travail de réflexion approfondi sur ce sujet, le
Président Paul Quilès sest interrogé sur la justification des modifications
que les deux offensives du FPR, en juin 1992 et février 1993, avaient entraînées dans
lorganisation de la présence militaire de la France au Rwanda, le commandement des
opérations étant devenu dans ces deux occasions une structure autonome dépendant du
Chef dEtat-major des Armées et ne relevant plus, de ce fait, de lautorité de
lattaché de défense. Il sest aussi interrogé sur la définition des
attributions de ce que lon appelle le COMOPS -commandant des opérations- selon que
celui-ci est placé ou non sous lautorité de lattaché de défense, chef de
la Mission dassistance militaire.
Il a ensuite demandé à M. Pierre Joxe si, concernant le Rwanda,
il se souvenait dinformations qui auraient été transmises par la DRM, créée à
la suite de la guerre du Golfe.
M. Pierre Joxe a répondu que le commandement des opérations
était toujours placé sous le contrôle du Chef dEtat-major des Armées et que, de
ce fait, dans les pays du champ du ministère de la Coopération, si les attachés de
défense étaient à ce titre des collaborateurs de lambassadeur et relevaient
ainsi, à travers lui, du ministère de la Coopération pour leurs fonctions de chefs de
Mission dassistance militaire locale, ils relevaient du Chef dEtat-major des
Armées dès lors quils avaient un rôle opérationnel.
Précisant quil y avait là une situation évidemment
particulière et quon nimaginait pas que lattaché militaire français
dans un pays européen relève du Chef dEtat-major des Armées, il a indiqué que,
dans les pays avec lesquels des accords de coopération militaire prévoyaient une
présence déléments militaires, quil sagisse de faire de la formation,
de linstruction, de lentraînement ou de lintervention, on avait
véritablement affaire à un système de droit particulier puisque lattaché
militaire était aux ordres de lambassadeur, mais était aussi aux ordres de la
Mission militaire de Coopération et était également, en cas dopérations, aux
ordres du Chef dEtat-major des Armées. Il a ajouté que tel était le cas du
Rwanda.
En ce qui concerne le renseignement, il a répondu que la direction du
renseignement militaire avait bien été créée à son initiative après quon eut
constaté, pendant la guerre du Golfe, les graves lacunes de la France dans ce domaine,
qui la rendaient presque aveugle par rapport à ses alliés américains. Toutefois la
constitution de la DRM navait commencé à porter des fruits quaprès quelque
temps dans la mesure où elle avait résulté de la fusion de différents services déjà
existants dans les différents états-majors et du développement du secteur spatial, et
navait donc pas pu jouer de rôle significatif au Rwanda où cétait par
ailleurs traditionnellement plutôt la DGSE qui était implantée.
Il a ajouté que si, comme lavait dit M. Marcel Debarge,
beaucoup dinformations sur les risques, sur les tensions, les rancoeurs, les haines
ou les oppositions, y compris dans des documents écrits, avaient couru, il navait
malheureusement pas circulé suffisamment dinformations précises pour que lon
mesure tout ce qui pouvait se passer, et qui sest développé ultérieurement.
Estimant que si la mission dinformation sattachait à
éclaircir lenchaînement des faits qui avaient conduit au génocide, cela ne devait
pas lempêcher, à loccasion, de jeter un coup de projecteur sur ce qui
pourrait permettre de rendre impossible, à lavenir, un drame de cette nature. En
considération des propos de M. Pierre Joxe sur le statut juridique des interventions
des forces armées sur les théâtres extérieurs, M. René Galy-Dejean a
demandé à celui-ci quelle avait été la qualification juridique du fait générateur de
lenvoi des forces françaises, au Rwanda en juin 1992, lorsqua eu lieu
loffensive du FPR dans le nord et quelles instructions précises on leur avait
alors données.
Il a aussi rappelé quune des personnes auditionnées avait
estimé que la France portait une très lourde responsabilité dans le drame rwandais,
dans la mesure où, selon elle, les responsables politiques français, bien
quinformés du fait quil allait y avoir, sinon un génocide, du moins de très
grands massacres, navaient pas pris à temps la décision denvoyer sur place
des forces suffisamment importantes pour empêcher, physiquement, le déroulement du
génocide. Il a ajouté cependant que, dès le lendemain de cette audition, le Général
Mercier, actuellement Chef dEtat-major de lArmée de terre, interrogé, avait
répondu que, pour maîtriser physiquement tous ceux qui étaient armés à ce moment-là
et empêcher le génocide, il eût fallu 30 000 à 40 000 hommes au
minimuM. M. René Galy-Dejean a donc demandé à M. Pierre Joxe sil
pensait que lenvoi par la France dune pareille force eût été possible, eu
égard au fait quon avait eu du mal à mobiliser 15 000 militaires
français pour les envoyer dans le Golfe.
Enfin, il sest interrogé sur le contexte dans lequel la France
aurait pu inscrire lenvoi dune force aussi importante, dont il a estimé
quelle aurait eu toutes les caractéristiques dune force doccupation, et
sur la justification quon aurait pu donner à cette intervention en droit
international.
M. Pierre Joxe a répondu quen effet, pour disposer
dune force dinterposition dissuasive, pour dissuader sans combattre, il
fallait des effectifs très nombreux, et que la question était bien connue des services
de la police : pour encadrer une petite manifestation, quelques policiers
suffisaient ; pour faire face à une pression forte, il en fallait beaucoup
plus ; et quand il y avait risque démeutes et dagressions, il fallait
que les policiers soient en surnombre. Il a ajouté que le Général Philippe Mercier
pensait sans doute à ce type daction en évoquant un effectif de
30 000 hommes, et non à lutilisation par larmée française de ses
moyens véritablement militaires pour stopper loffensive du nord vers Kigali, dans
la mesure où pour une telle action un bataillon et quelques avions, cest-à-dire
une " petite guerre ", auraient, à son avis, probablement suffi.
En matière dinterposition, il a attiré également
lattention sur lintérêt que la force soit multinationale et dotée dun
mandat juridique par une organisation internationale.
Il a expliqué quen effet, lorsquun seul pays intervenait,
il pouvait toujours être suspecté davoir des intérêts particuliers, coloniaux,
stratégiques ou autres ; lorsque les pays intervenants étaient deux, on risquait
encore de dire quils sentendaient. Il a ajouté quen revanche, lorsque
dix, quinze ou vingt pays envoient des contingents, comme en Bosnie-Herzégovine
aujourdhui, ou comme au Cambodge, et quil y a un mandat international, chacun
des pays qui envoie des forces -et ses soldats eux-mêmes- sont en quelque sorte
protégés par le fait quils ne peuvent être considérés ni comme des agresseurs,
ni comme des néo-colonialistes, ni comme des revanchards, mais seulement comme des
" policiers " du droit international, sachant quen matière
dinterposition, il nest pas mené dopérations de contre-offensive, de
contre-attaques, qui sont en tout état de cause très rares dans les opérations
extérieures.
Abordant la qualification juridique de lintervention de la France
au Rwanda, il a précisé que celle-ci consistait en un soutien indirect aux forces
armées du Rwanda par la formation, lentraînement, la fourniture darmes et de
munitions. Il a précisé que lextension du champ initial de laccord de
coopération à lensemble des forces militaires et non plus seulement à la
gendarmerie datait précisément de cette époque.
Sagissant des instructions données aux forces, il a déclaré
quelles étaient parfaitement claires : pas de participation aux combats. Il a
ajouté que sa conviction rejoignait celle de lAmiral Lanxade, à savoir quil
ny avait pas eu de militaires français qui aient participé aux combats.
Il a rappelé cependant que, sans participer aux combats, on peut avoir
lair dêtre impliqué dans un conflit ; doù la nécessité
dune définition de lintervention en droit international et son souhait, à
lépoque, dun élargissement de la mission sur la base dune décision
des Nations Unies, élargissement qui sest finalement produit.
Réaffirmant clairement que les forces françaises avaient également
pour mission la protection des ressortissants et la préparation de leur évacuation
éventuelle, il a cependant remarqué que lexécution de ce type de mission
nallait pas sans au moins une difficulté : il a noté que si un pays voulait
pouvoir évacuer ses ressortissants, il fallait bien évidemment quil veille à
protéger laérodrome, faute de quoi, tout le reste de la mission, à commencer par
lévacuation des forces elles-mêmes, devenait impossible. Il a ajouté que cela
était toujours fait dans ce type dopération.
Or, a-t-il continué, protéger un aérodrome pour pouvoir sen
servir signifiait quil fallait bien évidemment ne laisser personne sen
emparer. Il a insisté alors sur le fait quune telle mission -dont les forces
françaises avaient lexpérience, puisquelles ont eu la garde de
laérodrome de Sarajevo pendant de très longs mois- était très difficile
puisquelle ne pouvait se faire sans lexpression dune détermination
absolue et quelle donnait lieu à des provocations. Dans le mesure où la moindre
intrusion risquait de provoquer des ouvertures du feu, la protection dun aéroport
pouvait donc être interprétée, plus que comme une garde statique, comme un acte de
souveraineté.
Il a conclu quon était là dans une situation juridique qui, de
la mesure purement défensive de protection des ressortissants,
" tournait " très vite à lemprise sur un morceau de territoire
national étranger, éventuellement dans des conditions conflictuelles, comme on avait pu
le voir à Sarajevo en particulier.
M. Pierre Brana a demandé si le Gouvernement français
considérait loffensive du FPR sur Kigali comme celle de réfugiés rwandais
contre le pouvoir hutu au Rwanda, donc comme une affaire intérieure à ce pays, ou au
contraire comme une offensive ougandaise contre le Rwanda.
Ensuite, il a rappelé que le 2 février 1991, le Président de la
République avait écrit au Président Habyarimana pour linciter à négocier avec
le FPR, à respecter les droits de lHomme, à participer à une conférence sur les
réfugiés, tout en accentuant le processus douverture politique intérieure,
indiquant que " Cest à ce prix seulement que laide militaire
française sera poursuivie ". Il a souhaité savoir si, en février 1993,
dans la mesure où lon avait envoyé trois cents hommes en renfort, on estimait que
les conditions fixées par le Président de la République en février 1991 étaient
remplies, ou si des éléments nouveaux étaient intervenus, justifiant que lon
vienne au secours du Président Habyarimana.
Enfin, citant un propos de M. Marcel Debarge aux termes duquel
celui-ci aurait demandé, le 28 février, aux partis dopposition à Kigali de " faire
front commun avec le Président Habyarimana contre le FPR ", il lui a
demandé si cette citation lui semblait exacte, et si dans ce cas, ce nétait pas
aller un peu loin dans les affaires internes du Rwanda.
Sur le premier point, M. Pierre Joxe a répondu que tout ce
que lon savait, cétait que loffensive du FPR créait un risque de
déstabilisation générale, alors même que la préservation de la paix était bien
évidemment une condition sans laquelle le progrès de la démocratie nétait pas
possible.
Il a indiqué, en réponse à la deuxième question, quentre
février 1991 et février 1993, on commençait à sapprocher du moment, quil
appelait de ses voeux, où un mandat international, donné par une résolution du Conseil
de sécurité des Nations Unies, fournirait un cadre nouveau à une action de
préservation de la paix au Rwanda ; il a précisé en effet que si, entre février
1991 et février 1993, il y avait eu aggravation de la situation sur le plan de
lordre public international, il y avait eu aussi une évolution vers
linscription des interventions armées dans un ordre juridique international. Il a
ajouté que cest ce à quoi on avait finalement abouti, mais trop tard.
Evoquant lune des ses auditions par la Commission de la Défense,
il a observé aussi que si, dans son intervention, M. Marcel Debarge avait dit que
lopinion internationale était peu attentive, lopinion nationale ne
létait pas plus et que la mobilisation était intervenue trop tard. Il a fait
remarquer que le même problème sétait posé dans dautres régions
dAfrique : quand les structures internationales parvenaient enfin à formuler
des objectifs, un mandat, une mission, à obtenir les moyens tant militaires que
financiers, souvent, il était trop tard.
Enfin, sur le point de savoir si la France, alors quelle était
seule engagée, avait eu tort ou raison dessayer de préserver la sécurité des
personnes, et non pas seulement celle de ses nationaux, il a estimé, à linstar de
M. Marcel Debarge, quelle avait eu malgré tout raison.
M. Marcel Debarge a répondu que, même si lon pouvait
regretter lattitude du Président Habyarimana vis-à-vis du FPR, le fait est que le
Président du Rwanda, cétait M. Habyarimana.
Il a ajouté quil avait peut-être pu conseiller la cohésion au
gouvernement rwandais, qui avait été élargi à des partis dopposition, pour
négocier avec le FPR, mais quen tout état de cause, ses déclarations devaient
être vérifiées.
Il a insisté sur le fait quen tout état de cause, les accords
dArusha étaient de bons accords, même sils nont malheureusement pas
été concrétisés, et que le but final était tout de même darriver
progressivement à faire vivre ensemble les composantes du peuple rwandais. Il a ajouté
que lambassadeur de Tanzanie en Ouganda, qui était le coordinateur des
négociations entre les différentes parties, disait lui-même que cétait un bon
accord. Il a fait observer que le problème, cest que laccord na pas
été appliqué.
Sur cette non-application et relevant quon avait dit que les
gouvernants français navaient pas suffisamment prévu ce qui pourrait survenir, il
a expliqué que cest en conséquence des discussions quils avaient eues avec
les dirigeants rwandais et ougandais quils avaient pensé, peut-être naïvement,
quil y avait une possibilité de solution et que, sils nétaient pas
arrivés à cette conclusion, ils nauraient pas consacré autant defforts pour
la conclusion de ces accords.
Il a en revanche affirmé que le terme de
" rancoeurs ", employé pour définir les relations entre les deux
ethnies, lui semblait faible. Il a ajouté que, même si cela nexpliquait pas tout
et nétait pas la seule raison du génocide, il avait eu clairement
limpression dune haine excessivement profonde et grave entre les deux
communautés.
Tout en exprimant son espoir quil ny aurait plus de
génocide en Afrique, il a aussi avoué sa perplexité sur cette question. Admettant que
les conditions des génocides tiennent quelquefois à la personnalité de ceux qui animent
tel ou tel mouvement, il a jugé quils avaient également des origines dans les
situations politiques et sest inquiété des conséquences dune certaine
vision de lAfrique qui a amené à proroger certaines limites ou certaines
frontières, à entraver une véritable coopération régionale et qui a abouti à ce que
certains Etats africains soient déséquilibrés.
Evoquant les événements du Togo et rappelant quil les avait
vécus sur place, il a assuré la mission dinformation que les séparations entre
les ethnies pouvaient être bien plus importantes que celles entre les Etats et a estimé
quil conviendrait de réfléchir à cette situation.
Il a insisté sur le fait que dans le futur, il faudrait en venir
dune coopération dassistanat à une coopération plus soucieuse de
solidarité, defficacité, dunion, de régionalisation, et plus préoccupée
des problèmes réels, comme par exemple linstruction ou le développement des
universités.
Il a estimé quune approche trop ancienne et trop rigide pouvait
engendrer un malaise chez certains peuples et quil ny avait pas quau
Rwanda quon avait pu en arriver ainsi à de grands massacres ou à un génocide. Il
a souhaité que les travaux de la mission permettent aussi den venir à la
préfiguration de solutions dans ce domaine.
Précisant que cela nexpliquait pas tout, quil ne
condamnait personne, quil naccusait personne, quil ne soupçonnait
personne, il a exposé quil faisait seulement état de ses impressions telles
quelles lui venaient à lesprit. Il a ajouté que, sagissant du Rwanda,
le Président de la République française disait, en substance, quil ne voulait pas
que larmée française en arrive, même dune manière indirecte, à participer
à une sorte de guerre civile, et que cette analyse et ce refus avaient été partagés
non seulement par son gouvernement dalors mais aussi par dautres par la suite.
Il a conclu quen passant du poste de Secrétaire dEtat au
Logement à celui de Ministre délégué à la Coopération, il avait rencontré de
grandes difficultés, tant les problèmes sont complexes et supposent du temps avant
quon ne commence à les appréhender, alors quen fait le temps manquait
toujours pour arriver à en prendre toute la mesure de manière fine et pertinente.
M. Jean-Bernard Raimond, approuvant M. Pierre Joxe
davoir mis laccent sur certains problèmes juridiques, a fait remarquer que
les interventions dans le Golfe, en Somalie et en Bosnie-Herzégovine avaient toutes trois
fait lobjet de mandats du Conseil de Sécurité et sétaient donc bien
inscrites dans un cadre juridique défini. Il a souligné en revanche que, pour chacune de
ces opérations, la chaîne de commandement avait été différente.
Il a indiqué que lors de la guerre du Golfe, celle-ci était en
réalité américaine, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Perez de
Cuellar, ayant dailleurs clairement indiqué quil nintervenait
absolument pas dans les opérations, mais seulement au niveau politique du Conseil de
Sécurité.
Il a observé quen Somalie, on avait abouti à un désordre
complet, puisquà un moment donné les Américains étaient intervenus
parallèlement aux Nations Unies.
Enfin, sagissant de la Bosnie-Herzégovine, il a remarqué que,
jusquen 1995, la chaîne de commandement, cétaient les Nations Unies, qui
avaient donc une responsabilité décisive, et que lopération était allée à
léchec, alors quà partir de 1995, les Américains étaient intervenus, à la
suite daccords qui transféraient définitivement la chaîne de commandement à
lOTAN, et donc dessaisissaient les Nations Unies, et quils avaient plutôt
connu la réussite.
Précisant que, pour sa part, il pensait que ce changement résultait
moins de lintervention des Américains que de la modification de la chaîne de
commandement, il a ajouté que cette analyse valait également pour lopération
Turquoise au Rwanda et que la faiblesse due au fait que la France y ait été la seule
puissance était compensée à son avis par le fait que la chaîne de commandement était
française et que, si lon pouvait critiquer lopération Turquoise, on devait
néanmoins reconnaître quelle avait été conduite efficacement.
Concluant que le problème de la chaîne de commandement, quil
soit juridique ou non, était capital dans toutes ces interventions qui, plus quau
maintien de la paix, correspondent à limposition de la paix relevant du
chapitre VII de la Charte, il a demandé à M. Pierre Joxe sil partageait
cette analyse.
M. Pierre Joxe a dabord précisé que la chaîne de
commandement de lOTAN était devenue en fait américaine. Il a ajouté que cela
avait été vrai dans le Golfe, non seulement pour des raisons politiques et pour des
raisons liées au mandat de lONU, mais aussi parce que sans le renseignement, on ne
peut pas commander. Or, il a jugé que les Etats-Unis avaient une telle supériorité en
capacités de renseignement sur tous les autres Etats réunis quils étaient
pratiquement les seuls à pouvoir exercer ce genre de commandement avec quelque chance de
succès.
Il a ajouté que dans le cas de la Somalie, sil y avait bien eu
commandement des Nations Unies et des Etats-Unis, à un moment, la France sétait
organisée de façon autonome. Il a précisé que, quoique hostile à lorganisation
de lopération, il sy était néanmoins plié, mais en demandant la permission
de la mener à sa façon et que, hormis les deux ou trois jours où la France avait eu
quelques éléments à Mogadiscio, où il y avait des troubles, et où les soldats
français avaient sauvé une jeune fille qui allait être lynchée, les forces françaises
avaient tenu la région dOddour, où elles avaient fait sans bruit du travail de
gendarmerie, la gendarmerie française se rendant très utile sans pour autant combattre,
notamment en garantissant lacheminement des semences et donc la récolte suivante.
Il a conclu quen loccurrence, la France navait été
sous commandement international ou américain que de façon théorique puisquen
réalité, elle était autonome dans sa zone, loin du tapage médiatique du débarquement
américain, et que cette décision dorganisation et de localisation lavait
aussi préservée des conditions de départ épouvantables des Américains ou de certains
de leurs alliés ou obligés.
Sagissant de lopération Turquoise, il a estimé que le
drame était son caractère tardif et que sil y avait eu une opération avec un
mandat des Nations Unies, préparée de plus longue date, plus large, avec les moyens
adaptés, on aurait peut-être pu éviter ce qui sest passé. Il a précisé
quil disposait cependant de moins déléments dappréciation,
nétant plus alors au gouvernement.
M. Pierre Joxe a alors ajouté que la difficulté de ce genre
dinterventions internationales, cest quelles nétaient pas
dessence purement militaire et classique.
Expliquant quune action militaire classique consistait par
exemple à reconquérir une position et dans ce but à étudier comment lopération
pourrait être réussie, si on en avait les moyens, si on était sûr dinfliger des
pertes lourdes à ladversaire et de le faire reculer, à moins quil ne meure
sur place, et, une fois ces données établies, lancer lopération, il a observé
que dans les opérations de maintien de la paix, cette remarque valant pour la Bosnie
comme pour le Rwanda, on ne faisait pas la guerre mais de la police.
Il a alors exposé que les techniques de police, de police nationale
comme de police internationale, loin dêtre des techniques de guerre, consistaient
à montrer sa force, pour ne pas sen servir, à se servir de sa force de façon
modérée pour ne pas sen servir davantage, et à éviter lescalade afin de
navoir pas à recourir aux armes. Il a expliqué que cétait la raison pour
laquelle le Général Mercier parlait de 30 000 hommes, et quen parlant
ainsi il parlait en commissaire de police internationale, alors que le militaire
quil est, pour rétablir une situation militaire, naurait guère besoin que
dun bataillon et dun appui aérien.
Il a fait valoir quen ce sens, les forces armées françaises se
retrouvaient petit à petit reconverties dans un système à dimension internationale, et
que cela avait pu être observé pendant lopération Turquoise, puisque certains des
militaires français avaient été conduits à participer à des opérations qui
navaient plus rien à voir ni avec la guerre ni même avec la police,
puisquelles consistaient à subir lenfer de devoir ensevelir des milliers de
gens.
Il a trouvé légitime, dès lors, que ces soldats puissent se demander
ce que faisait là un soldat. Rappelant que des militaires français étaient encore
blessés, psychiquement, en raison de ce quils ont été amenés à vivre à cette
époque, il a estimé quil fallait aussi penser à eux.
M. François Lamy a demandé à M. Pierre Joxe si, au
Rwanda, les missions de la DGSE se cantonnaient au seul renseignement ou si les services
de renseignement français étaient amenés eux aussi à " contribuer
indirectement " à des actions permettant la stabilisation du pays ?
Remarquant ensuite que la mission du détachement Noroît, même si
elle nétait pas politiquement très bien définie, était du point de vue militaire
tout à fait claire -sécurisation de laéroport, contrôle de points stratégiques
dans ou autour de Kigali-, il sest demandé en revanche si les militaires de la
Mission dassistance militaire, eux, étaient bien préparés aux situations
auxquelles ils pouvaient se trouver confrontés, telles que faire de linstruction
dans un pays en guerre à dix kilomètres du front ou moins, ou gérer des relations
diplomatiques ou politiques au sein détats-majors fortement politisés. Il
sest donc posé la question de savoir si, notamment au vu de ce qui sétait
passé au Rwanda, il ne serait pas plus clair que la Mission militaire de Coopération
soit rattachée une bonne fois pour toutes au ministère de la Défense, et quelle
soit gérée, aussi bien administrativement, techniquement que politiquement, en fonction
de missions définies à un niveau interministériel et à celui du Conseil de Défense.
Répondant à la deuxième question, M. Pierre Joxe a
exposé quen Afrique, dans les anciennes colonies, la France avait longtemps
poursuivi ses traditions coloniales et même colonialistes. Dans le passé colonial, le
gouverneur faisait couramment appel aux forces militaires présentes, qui étaient
chargées de faire régner lordre, parfois en recourant à des supplétifs. Il a
indiqué quil y avait ainsi une tradition très ancienne chez les puissances
coloniales, et particulièrement en France, qui faisait que dans les régions dominées,
vis-à-vis des sujets français -et non des citoyens français-, les fonctions civiles et
militaires interféraient et se confondaient.
Il a ajouté que cette longue tradition avait en quelque sorte été
" rénovée " par les accords de coopération au lendemain des
indépendances, les nouveaux Etats apparus dans les années 60 ayant tous signé des
accords militaires et ayant donné à lambassadeur le pouvoir quavait
antérieurement le gouverneur, y compris dans certains cas pour exfiltrer le Président
sil avait des ennuis.
Il a précisé que personnellement, il nétait jamais parvenu à
obtenir lensemble des clauses secrètes de ces accords, ajoutant quelles
étaient tellement secrètes quil ne savait même pas si quelquun les
connaissait toutes, mais quil savait quelles existaient parce quon lui
en avait parlé sur le terrain.
Expliquant que cette tradition coloniale était maintenant balayée par
lhistoire mais que lévolution était toute récente et que la réforme
actuelle de la coopération lavait menée à son terme, il a observé que la France
sétait très bien accommodée auparavant de la conservation de sa tradition
dimpérialisme sub-régional, considérant que si elle nétait pas chez elle
en Afrique, elle y était plus chez elle que dautres et quelle y avait des
responsabilités.
Il a fait remarquer que lun des éléments qui montrait
lampleur de la confusion tenait à ce que dans les pays dAfrique dans lesquels
la démocratie se développait, on sapercevait que de toutes autres missions que
celles dont on avait lhabitude étaient demandées en matière de coopération
militaire ou de gendarmerie, des missions dans lesprit dune police et
dune gendarmerie démocratiques, et donc des missions que les gendarmes ou les
policiers français savent très bien remplir, et préférent dailleurs remplir.
Il a affirmé quen revanche, la définition du moment où
lon passe de linstruction au combat était tout à fait claire. Il a exposé
que, dans le cas du Rwanda, il y avait eu un moment où les militaires français ont eu
pour mission de contribuer à assurer de lassistance indirecte, non plus à la
gendarmerie rwandaise, mais aux forces de larmée rwandaise ; il a estimé
quà partir de là, il y avait eu alors un appui militaire, même si cela ne
signifiait pas pour autant la participation directe aux combats. Sur ce point, il a
rappelé le nuancier, allant du soutien psychologique à laide au tir, quil
avait présenté dans son intervention liminaire.
Il a ajouté que, dans dautres cas, ce nest que sur place,
en interrogeant lui-même des officiers et des sous-officiers, quil avait appris
certaines des dispositions secrètes des accords de coopération militaire et les détails
techniques de lexfiltration envisagée de tel Président dans tel pays, incluant des
précisions architecturales comme la description des souterrains menant dun endroit
à lautre. Il a fait observer cependant que cétait là désormais sinon de
lHistoire, du moins du passé.
Pour ce qui concerne la DGSE, il a affirmé que là où elle était,
elle faisait du renseignement, ce qui paraissait logique, et quelle ny était
pas pour faire autre chose. Sagissant des militaires français intervenant au
Rwanda, il a ajouté que, dans larmée française, on donnait de longue date des
instructions écrites, claires et lisibles et que ces militaires étaient donc au Rwanda
dans un cadre précis, quils avaient des ordres, des instructions écrites très
précises, selon la règle, que le Général Schmitt, alors Chef dEtat-major des
Armées, y avait veillé, et que tout laissait penser quelles avaient été
respectées.
Rappelant que M. Pierre Joxe avait beaucoup insisté sur le fait
quon pouvait passer dune tâche dassistance militaire, prévue par un
accord de coopération, à des interventions plus ou moins directes, et notant quen
situation de crise, la Mission dassistance militaire passait en général
directement sous le commandement dun commandant dopération spécialement
dépêché à cet effet, M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si
larchitecture de coopération militaire française en Afrique ne pourrait pas être
simplifiée et la dichotomie, voire la duplication entre la Mission militaire de
Coopération et le ministère de la Défense, qui, parfois, en Afrique, posait quelques
problèmes, supprimée, et sest demandé ce qui interdisait à la France,
aujourdhui, de demander à ses troupes prépositionnées de conduire ces tâches de
coopération.
Il a ajouté que cette question se posait dautant plus que
700 millions de francs étaient destinés à la coopération militaire en Afrique
chaque année, et quau titre de la coopération militaire, qui relève de la
compétence de la Mission militaire de Coopération, la France avait plus de coopérants
en Mauritanie que dans toute lEurope centrale et orientale, alors même que la
hiérarchie militaire estimait que le développement de la coopération militaire en
Europe centrale et orientale pouvait être un excellent moyen de renforcer la présence de
la France à côté ou au sein de lOTAN. Il sest donc demandé si le transfert
vers des troupes prépositionnées de missions de coopération ne présenterait pas le
double intérêt de dégager des moyens qui pourraient être affectés sur dautres
zones qui deviennent stratégiques, tout en clarifiant considérablement le dispositif
administratif français et en résolvant les difficultés en matière de transparence de
la chaîne de commandement.
M. Pierre Joxe a répondu que lorganisation actuelle
compliquait les choses non pas un peu mais énormément. Il a ajouté que cela était à
rattacher à lambiguïté du statut de lAfrique, son ancien statut colonial
léloignant du Quai dOrsay pour la rapprocher des réseaux anciens, et ce
même dans le domaine militaire où il y avait une tradition de présence de troupes
prépositionnées.
Il a affirmé que cette situation sexpliquait par lancien
rôle de la France en Afrique, dont le bilan relevait maintenant de lhistoire.
Sagissant de la présidence de François Mitterrand, il a estimé que son sentiment
personnel était que la situation en Afrique francophone avait évolué plutôt moins mal
quailleurs pendant cette période.
Quant aux forces prépositionnées, il a expliqué que, dans cette
tradition, elles étaient là pour rétablir lordre. Cest pourquoi, si on
pouvait certes imaginer quelles fassent de la coopération, ce nétait pas
leur seul rôle. M. Pierre Joxe les a comparées à des sortes de compagnies
républicaines de sécurité, cest-à-dire à des forces mobiles prêtes à se
déplacer en tout lieu.
Il a estimé quen revanche, la réorganisation de la coopération
allait la faire sortir de cette période et remarqué que les forces prépositionnées
avaient déjà diminué ou quittaient certains pays.
Il a considéré que cette évolution posait désormais un autre
problème, celui du statut des militaires français à létranger.
Il a ajouté que si la question du Rwanda se posait aujourdhui,
si elle navait pas été posée plus tôt, dans dautres époques, pour
dautres pays -même si cela navait pas pris lampleur du drame du
Rwanda-, si, suite à dautres affaires du passé africain, on ne sétait pas
autant interrogé quaujourdhui à propos des responsabilités politiques
internationales, cest parce qualors ce nétait pas la fin dune
époque.
Il a précisé quune nouvelle époque se dessinait où les
coopérations régionales en Afrique pouvaient commencer à jouer un rôle ; il a
cité lexemple des détachements darmées nationales africaines dans certaines
interventions et a considéré que cela constituait un progrès important par rapport à
la situation où cétaient toujours des Français ou des Belges quon voyait
intervenir. Il a aussi estimé quau Rwanda, cest dabord parce
quils avaient limpossible mission de rétablir lordre dans une région
où ils apparaissaient comme limage même du colonialisme ancien que des paras
commandos belges avaient été littéralement lynchés.
Il a conclu quà son avis, cen était fini de cette
époque-là et que la France pourrait désormais participer à des opérations sous mandat
international, avec un statut juridique clair.
Sadressant à Marcel Debarge, M. Bernard Cazeneuve
lui a demandé quelles étaient les raisons qui avaient présidé à lavenant dont
laccord dassistance militaire de 1975 avait fait lobjet en 1992.
Concernant la politique daide au développement, il sest
étonné qualors quun ancien attaché de coopération au Rwanda,
M. Cuingnet, avait dit à la mission dinformation quen 1992 les
institutions financières internationales avaient décidé de suspendre leur aide au
Rwanda du fait quil avait par trop augmenté ses dépenses militaires, il apparaisse
quen 1992, onze cessions gratuites darmes étaient intervenues au profit de ce
pays, représentant un montant de 15 millions de francs.
Enfin, il a demandé quelle avait été la politique de développement
de la France en faveur du Rwanda en 1992-93, et en particulier dans quels domaines elle
avait été amenée à intervenir pour aider le Rwanda à se démocratiser.
M. Marcel Debarge, après avoir noté que la première
question intéressait le ministère des Affaires étrangères, a fait valoir quil ne
pouvait, de mémoire, répondre à la seconde qui exigerait des recherches précises.
Il a ajouté quen matière de coopération, il croyait se
souvenir que, quand le Chef détat-major de la gendarmerie rwandaise avait été
changé, un poste dassistanat judiciaire auprès de celle-ci avait été créé dans
le cadre dune conception démocratique de son fonctionnement ; il a précisé
que la coopération civile normale avait été maintenue.
M. Pierre Brana, souscrivant à lanalyse historique de
M. Joxe, lui a demandé quelle évolution on pouvait envisager, dans ce nouveau
contexte, concernant les mercenaires.
M. Pierre Joxe a dabord répondu quil ny
avait bien évidemment aucun parallèle à faire entre les mercenaires et les unités
militaires de pays comme la France, qui sont mises au service de missions de maintien de
la paix dans le cadre dun mandat des Nations Unies.
Il a ensuite ajouté quil était patent que le mercenariat se
développait, mais seulement dans de petits pays, lors de petites crises et quon
pouvait être certain que plus le droit international développera lidée que le
maintien ou le rétablissement de la paix à travers le monde est une mission
dintérêt général, plus les Nations Unies se verront reconnaître des moyens
juridiques et des moyens de coordination militaire, plus que de commandement, et moins on
connaîtra le risque dopérations de mercenaires.
Il a ajouté quun cadre international se développait où la
France pouvait jouer un rôle, puisquelle était un des pays qui a le plus de
personnels expérimentés en matière dopérations extérieures, et que, dans ce
domaine, les parlementaires pouvaient intervenir, tout dabord en travaillant à
soutenir la création de ce droit, ensuite en débattant publiquement des conditions dans
lesquelles on engageait les forces françaises.
Il a insisté sur le fait que la question majeure était
détablir dans quel but et avec quels moyens on engageait des forces et que les
militaires français allaient de plus en plus se poser la question de savoir à quoi ils
étaient désormais destinés : si la patrie nest plus en danger, il ne
sagit plus de défense nationale ; sil ny a plus de pays protégés
en Afrique, il ne sagit plus dopérations extérieures et de
prépositionnement, et si lEurope nest plus menacée par les Russes, on ne
risque plus davoir la guerre à lEst.
Il a estimé que, dans ces conditions, la question de savoir ce
quallait être la mission des forces armées françaises se posait : si elle
consistait à mener des opérations extérieures, il fallait se poser la question du
statut des officiers et militaires de larmée française.
M. Pierre Joxe a ajouté que, dans certains cas, la mission
restait claire : tel est le cas pour un officier du transport aérien militaire
sil sagit de transporter des vivres pour ensuite les parachuter, pour un
officier du service de santé des armées sil sagit de sauver des enfants
kurdes ou de vacciner des enfants cambodgiens, pour un officier de la Marine nationale
sil sagit de commander la manoeuvre dun chaland de débarquement.
En revanche, il a estimé que la mission de larmée de terre
supposait réflexion et que si sa mission devenait celle dune quasi-gendarmerie
internationale, cela méritait dêtre analysé, et il fallait alors définir dans
quelles conditions les hommes seraient engagés.
Il a rappelé que sil existait tout un corpus juridique, toute
une série de lois classiques sur la guerre, sur les crises, sur létat de siège,
cest parce que le problème de lemploi des forces, dans un pays démocratique,
était un problème juridico-politique majeur, en premier lieu parce que les armes de la
République ne doivent pas être retournées contre la République, et ensuite parce
quelles doivent être employées dans des conditions telles que tous les citoyens
puissent sy reconnaître.
Il a précisé que, sil nétait pas inimaginable en soi
quun officier puisse éventuellement être mis en cause devant des tribunaux pour
son action ou son inaction à une époque où il avait par exemple un béret bleu des
Nations Unies sur la tête, cela relevait dun domaine de droit, de politique ou
de justice qui navait plus rien à voir avec le règlement général demploi
des forces armées dans la République française.
Or, il a ajouté que cest dans ce type de situations quon
pouvait se trouver, en ex-Yougoslavie ou, demain, à Chypre ou au Kosovo. Expliquant
quil était évident que lampleur quavait prise laffaire du Rwanda
dans la presse montrait que létat actuel du droit et des institutions souffrait de
manques, il a insisté sur le fait quil fallait absolument y réfléchir et
progresser sur le statut juridique des forces et la question de savoir qui peut ordonner
quoi à qui.
Il a ajouté que pendant la guerre du Golfe, lun des aspects qui
lavait stupéfié, cest que le Général Schwartzkopf ait entrepris de lui
refuser certaines informations et que cela signifiait que, bien quon ait dit que les
Français avaient en charge un commandement opérationnel, la vérité était quils
étaient entièrement sous le commandement opérationnel des Américains qui, contrôlant
par ailleurs lespace aérien, avaient même tenté dempêcher la France, par
exemple, de faire sortir ses avions de reconnaissance pour prendre des photographies.
Il a précisé quen fait, dans laffaire du Golfe, la
chaîne de commandement ne montait pas à Paris mais sarrêtait quelque part en
Arabie Saoudite.
Il a ajouté que, dans des conditions dinterventions de ce type,
pour que la signification du commandement des armes par le pouvoir politique ait un sens,
il fallait que les mandats, les délégations de pouvoir, la place des officiers français
dans les états-majors, la place de la France dans le recueil, lexploitation et les
échanges de renseignements soient soigneusement établis.
Le Président Paul Quilès a relevé que la réflexion de
M. Pierre Joxe rejoignait létude lancée, au sein de la Commission de la
Défense, quant à la nécessité de redéfinir la légitimité des opérations
extérieures et les conditions dans lesquelles ces opérations peuvent être menées, et
que sagissant de la DGSE, mot rarement prononcé, un travail était également en
cours au sein de la Commission pour étudier les modalités dune association du
Parlement au suivi de ses activités.
Retour au sommaire des auditions du
Audition de M. James GASANA
Ministre rwandais de la Défense (avril 1992-juillet 1993)
(séance du 10 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. James Gasana,
Ministre de la Défense du Rwanda du deuxième gouvernement pluripartite du 16 avril
1992 et du troisième gouvernement pluripartite du 18 juillet 1993 où il na pu
exercer ses fonctions puisquil sest exilé en Suisse dès le 19 juillet
après avoir été menacé de mort. Membre de la tendance modérée du MNRD, M. James
Gasana a participé aux négociations des accords dArusha en tentant de faire
prévaloir une solution politique pacifique.
M. James Gasana sest déclaré convaincu que les
résultats des travaux de la mission permettront de jeter la lumière, non seulement sur
les causes du silence et de lindifférence de la communauté internationale qui ont
été responsables de la tragédie rwandaise de 1994, mais aussi sur son ampleur et sur
les acteurs rwandais et internationaux responsables de celle-ci. Il a rappelé que ce
drame avait eu lieu alors que la région hébergeait des troupes étrangères bien
équipées à qui rien ne manquait pour neutraliser les criminels qui lont
perpétré ; la MINUAR comptait 2 500 Casques bleus, les Etats-Unis avaient
un contingent de 300 marines basé à Bujumbura, lItalie disposait dun
contingent de même ampleur en Ouganda, la France et la Belgique avaient quant à elles
dépêché des unités pour évacuer les ressortissants étrangers.
Cest entre avril et juin 1994 que près de
600 000 personnes dethnie tutsie furent massacrées atrocement dans un
génocide qui ne sera jamais assez condamné, perpétré par des organisations politiques
de jeunesses extrémistes hutues. Latrocité et le caractère systématique de
lextermination des Tutsis ont été décrits par M. René Degni-Segui,
Rapporteur spécial de la Commission des Droits de lHomme : " Les
atrocités se révèlent davantage dans la manière de donner la mort aux Tutsis. Ceux-ci
sont le plus souvent exécutés à larme blanche, frappés à coups de machettes, de
haches, de gourdins, de barres de fer jusquà ce que mort sen
suive. "
Cependant, lampleur des tueries qui ont eu lieu depuis avril 1994
est plus importante que ce qui a été rapporté à la communauté internationale. Le
nouveau régime et ses alliés se sont efforcés détouffer la vérité sur la
gravité de la tragédie rwandaise. Cest ainsi, par exemple, que le rapport Gersony,
accepté par le Haut Commissaire pour les réfugiés qui lavait commandé, a été
mis sous embargo par le Secrétaire Général des Nations Unies pour des raisons
politiques. En travaillant sur un échantillon de trois communes, sur les cent
quarante-trois que comptait le pays, M. Gersony avait établi quentre juin et
septembre 1994, le Front patriotique rwandais avait déjà tué 30 000 personnes
dethnie hutue.
Par un exercice dextrapolation sur dautres communes de la
même région, on peut imaginer le niveau des dégâts causés par le régime du Front
patriotique à lensemble du pays.
Sur la base des données qui lui ont été communiquées par ses
informateurs au Rwanda et dans les anciens camps de réfugiés au Zaïre et en Tanzanie,
M. James Gasana a estimé quen une année le Rwanda avait perdu environ
40 % de sa population de 1994, le chiffre généralement avancé de 800 000 à
un million de victimes étant bien en deçà de la réalité.
En septembre 1994, déjà, le ministère de lIntérieur rwandais
du nouveau régime donnait un chiffre, plus proche de la réalité dalors,
denviron 2 100 000 victimes. En mai 1997, le recoupement de tous les
témoignages reçus permettait destimer le nombre des victimes du conflit à
lintérieur du pays et de lex-Zaïre à près de 3 150 000, chiffre
quil a publié au mois de mars de lan passé. La répartition régionale des
victimes à lintérieur du pays montre que la moitié de la population des seules
préfectures de Byumba et Kibungo a été décimée.
Il a souhaité faire part à la mission des questions importantes qui
se posaient encore à lui pour comprendre comment le Rwanda avait sombré dans ces
abîmes, dès le lendemain du 6 avril 1994. Il sest ainsi demandé ce
quétaient venues faire dans la région les unités militaires américaines et
italiennes avant le 6 avril, date à laquelle on avait déclenché le génocide en
perpétrant lattentat contre le Président Habyarimana et son homologue burundais,
Cyprien Ntaryamira, pourquoi la MINUAR avait été retirée au moment où, plus que
jamais, la population avait besoin de sa protection et enfin pourquoi le Front patriotique
rwandais avait sommé les forces étrangères présentes dans le pays de ne pas intervenir
sous peine dêtre traitées comme ennemies.
M. James Gasana a tout dabord précisé les attributions du
Ministre de la Défense du Gouvernement de transition démocratique du Rwanda, mis en
place le 16 avril 1992. Ce Gouvernement devait mettre en oeuvre un programme de
transition précis, convenu entre les cinq partis qui le composaient : le MRND, le
MDR, le PSD, le PL et le PDC. Il était très précisément prévu que les décisions du
Gouvernement devaient être prises par le Conseil des ministres et selon les règles du
consensus. Les décisions relatives à la défense et à la sécurité ne faisaient pas
exception. Les questions afférentes à la sécurité extérieure du pays étaient
débattues en pleine transparence. En matière de sécurité, les attributions du Ministre
de la Défense se limitaient à la sécurité contre les menaces extérieures. Il suivait
la politique gouvernementale dans ce domaine. Il a indiqué que lidée selon
laquelle les compétences du Ministre de la Défense étaient plus vastes venait de la
multiplication des rôles joués par la gendarmerie.
La législation prévoyait la possibilité pour le ministre de
lintérieur, le ministre de la justice, les préfets de préfecture et les officiers
du ministère public de recourir à la gendarmerie nationale. Toutefois la sécurité
intérieure et la tranquillité publique relevaient des attributions du Ministre de
lIntérieur.
M. James Gasana a ensuite défini quels étaient selon lui les
enjeux de la guerre doctobre 1990. Le 1er octobre 1990,
larmée ougandaise et les rebelles du Front patriotique rwandais ont perpétré une
agression armée contre le Rwanda dans le but de renverser ses institutions légales et de
donner le pouvoir à larmée des réfugiés rwandais tutsis. Il sagissait
dune agression dEtat par une section de larmée dun Etat voisin,
le Président Museveni dOuganda disait lui-même des agresseurs du Rwanda
quils étaient ses " boys qui ont déserté et qui devront être punis
". Sur le plan juridique, il sagissait dun conflit véritablement
international correspondant à la définition de la résolution de lAssemblée
générale des Nations Unies du 14 décembre 1974 : " emploi de la
force armée par un Etat contre la souveraineté, lintégrité territoriale ou
lindépendance politique dun Etat ou de toute autre manière incompatible avec
la Charte des Nations Unies. "
Lagression ougandaise mobilisait une large section de
larmée, qui comptait dans ses rangs des réfugiés rwandais tutsis, contre un pays
voisin avec lequel lOuganda navait pas de litiges. Il ne sagissait donc
nullement dune guerre civile, même si les agresseurs voulaient provoquer des
affrontements ethniques pour mieux semparer du pouvoir.
Les règles du droit international permettaient donc au Rwanda de
demander lassistance militaire de pays amis, que ce soit par la présence de
troupes, ou la vente darmes. Pendant la première semaine de la guerre, la France et
la Belgique ont envoyé des troupes pour mener une opération humanitaire de protection et
dassistance à leurs ressortissants et aux autres étrangers qui quittaient le pays
dans la panique. Des accusations outrancières émanant de certains milieux ont été
portées contre cette opération, mais il ny pas eu autant de voix qui se sont
élevées pour condamner une agression contre un pays qui vivait en paix avec ses voisins.
Il a alors rappelé lévolution sociopolitique du Rwanda.
LEtat sefforçait daméliorer les conditions économiques et sociales du
pays. La plus grande partie de ses ressources était consacrée à lamélioration de
linfrastructure sociale et éducative par la construction décoles, de centres
de santé et dhôpitaux. Linvestissement militaire par habitant était
lun des plus bas dAfrique. Toutes les composantes ethniques vivaient dans une
harmonie que lon navait pas connue durant plus de deux siècles. Les démons
ethniques sétaient profondément endormis depuis les années 1970. La liberté
dexpression et une diversification rapide de la presse indépendante enregistraient
de réels progrès.
Avant même le discours du Président Mitterrand à La Baule, une
énorme pression interne sexerçait en faveur de changements démocratiques au
Rwanda. Ces changements devenus irrépressibles devaient permettre, dune part, de
mettre en place un véritable Etat de droit, et dautre part de résoudre de façon
digne le problème des réfugiés que les gouvernements qui sétaient succédé
après lindépendance, nétaient pas parvenus à régler. Il a donc déploré
que lOuganda et le Front patriotique rwandais aient envahi le Rwanda dans une
conjoncture favorable aux forces de changement démocratique.
Il a déclaré que ce qui sest passé au Rwanda na pas
été leffet dune haine séculaire entre Hutus et Tutsis mais plutôt celui
dune guerre insensée imposée par lOuganda et le Front patriotique rwandais,
sans laquelle le génocide des Tutsis naurait pas été possible. Un certaine presse
internationale a souvent déformé la réalité en cherchant à valider les thèses
reposant sur les prétendus héritages de ladministration coloniale belge ou de
lEglise catholique.
La guerre doctobre avait manifestement pour objectif la prise du
pouvoir au Rwanda par la fraction rwandaise tutsie de larmée ougandaise. Il
conviendrait donc de sinterroger sur lorigine des moyens que lOuganda et
le Front patriotique rwandais ont utilisés pour mener le Rwanda au pire désastre de son
histoire.
Les récents événements et le changement intervenu au Congo
confirment que la tragédie rwandaise a été le résultat des choix arrêtés par les
puissances anglo-saxonnes et lOuganda daccorder un appui injustifiable à la
rébellion du Front patriotique rwandais qui voulait instaurer un pouvoir ethnofasciste.
Cet appui a été le facteur le plus puissant de la bipolarisation ethnique. Une très
forte ingérence externe sest développée et a fait sombrer le pays dans un marasme
sociopolitique sans précédent dans son histoire.
Lingérence des Etats-Unis et de lOuganda a été décrite
par M. Crawford : " Depuis la prise du pouvoir de la
NRA " donc larmée nationale ougandaise " en
Ouganda en 1986, le Front patriotique rwandais a commencé à opérer ouvertement. La
présence de Rwandais dans cette armée suscitait le ressentiment des Ougandais qui les
considéraient comme des étrangers indûment privilégiés. En plus, des critiques
concernant la taille de larmée étaient formulées, dans le pays et en Occident,
surtout après laccroissement de linsécurité dû aux mouvements de
dissidents au nord. Cest lors du processus de démobilisation, financé par
lOccident, que les bataillons du Front patriotique rwandais furent créés.
" Les militaires rwandais avec leurs collègues ougandais
étaient formés par les Britanniques sur la base militaire ougandaise de Jinja. Les
Américains ont lancé la formation des leaders du Front patriotique qui occupaient
également les postes de haute responsabilité dans larmée ougandaise. Paul Kagamé
fut formé à lécole militaire de larmée américaine à Leavenworth au
Kansas.
" Depuis 1989, les Etats-Unis ont soutenu les attaques
perpétrées conjointement par le Front patriotique rwandais et lOuganda contre le
Rwanda. Des télégrammes reçus par le département dEtat font référence aux
observations formulées par des experts militaires sur lappui de lOuganda au
Front patriotique rwandais. Le dossier relatif au département dEtat, ne comportait
pas moins de 61 rapports, en 1991. Entre 1989 et 1992, les Etats-Unis ont accordé à
lOuganda un montant de 183 millions de dollars daide financière, soit le
double de laide accordée au Rwanda. Parallèlement au renforcement des relations
américano-ougandaises et anglo-ougandaise, on assistait à une escalade des hostilités
entre lOuganda et le Rwanda. Entre 1990 et 1993, lOuganda a fermé ses
frontières au passage des marchandises destinées au Rwanda en provenance du Kenya.
" En août 1990, le Front patriotique rwandais préparait
déjà linvasion en pleine connaissance de cause et avec le feu vert des services
secrets britanniques. "
Cette aide financière apportée par les Etats-Unis ne pouvait servir
quà financer leffort de guerre de lOuganda en appui au Front
patriotique rwandais. Une analyse faite au Washington Post par M. Harrad Marwitz qui
montre que laide financière américaine à lOuganda sur la période en
question est égale à toute laide qui lui avait été accordée au cours des
vingt-sept années précédentes la confirmé. On y apprend, par ailleurs,
quen 1989 lorsquil était clair que lOuganda et le Front patriotique
rwandais menaient des attaques contre le Rwanda, un mémorandum interne à lUSAID
déconseillait laugmentation de laide militaire et de lassistance
économique à un pays qui finançait le renversement dun pouvoir légal par des
réfugiés.
Les crédits alloués à lOuganda par le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale dans le cadre du programme dajustement
structurel ont aussi constitué une voie de financement de la guerre. Les fonds des
institutions de Bretton Woods lui ont fourni la possibilité dimporter du matériel
de guerre au profit du FPR. Loctroi de ces fonds était subordonné à la réduction
des dépenses militaires. Le Président Museveni sen est donc fort habilement servi
pour démobiliser ses sureffectifs qui étaient une source de problèmes politiques
intérieurs. Il a détourné ces crédits pour financer indirectement leffort de
guerre du FPR.
Tout laisse à penser que, vis-à-vis des Français, certaines grandes
puissances alliées au FPR trouvaient par ce biais une voie non compromettante pour
laider efficacement à prendre le pouvoir. La politique dajustement structurel
sest révélée favorable à lOuganda et défavorable au Rwanda ;
lOuganda devait réduire la taille de son armée alors que le Rwanda ne pouvait pas
augmenter à son gré la taille de la sienne. Le Front patriotique rwandais se renforçait
donc à peu de frais : le trop plein des éléments rwandais de la NRA passait au
Front patriotique. Bien que le Rwanda ait lui aussi perçu des crédits internationaux, le
montant de ceux-ci étaient de loin inférieurs à ceux perçus par lOuganda, ce que
ne pouvaient pas ignorer les amis du FPR et de lOuganda.
Une analyse objective des facteurs qui ont conduit au génocide des
Tutsis et au massacre massif des Hutus de 1994 ne peut pas passer sous silence le rôle
particulièrement néfaste de laide financière indirecte des puissances
anglo-saxonnes et des institutions de Bretton Woods apportée par lintermédiaire de
lOuganda à la rébellion du Front patriotique rwandais. Les administrations de ces
pays et ces organisations nont pas mesuré les conséquences du fait dimposer
par les armes la domination dune minorité armée là où existaient des demandes
douverture démocratique. Sans leur appui, le Front patriotique rwandais
naurait pas pu financer la déstabilisation dun pouvoir légal, reconnu comme
tel par la communauté internationale, quelle que soit lappréciation portée sur la
manière de gouverner le pays.
Lanalyse américaine a placé la crise rwandaise dans le contexte
géopolitique de lAfrique orientale et centrale caractérisé notamment par la
menace de développement de lintégrisme islamiste dont la tête de pont était le
Sud-Soudan. Pour les Américains, il fallait soutenir lOuganda qui constituait la
prochaine cible de cet intégrisme. Plus la crise durait, plus elle devenait complexe. A
la dimension internationale de cette guerre est venue sajouter lopposition
interne au régime du Président Habyarimana qui cristallisait lantagonisme
régional entre le nord et le sud.
M. James Gasana a ensuite considéré que deux domaines devaient
être distingués dans la nature des opérations militaires menées par la France au
Rwanda : la coopération militaire et lopération Noroît.
La coopération militaire française comprenait un volet gendarmerie,
institué en 1975. La gendarmerie rwandaise a bénéficié de lassistance française
pour la formation de ses cadres. Elle était destinée aux jeunes officiers à
lissue de leur formation militaire. Ceux-ci apprenaient les techniques de maintien
et de rétablissement de lordre, la police judiciaire, la recherche du renseignement
judiciaire, la police technique, et le droit pénal. La France envoyait également des
instructeurs à lécole de gendarmerie nationale de Ruhengeri pour la formation des
sous-officiers aux fonctions dofficiers et dagents de police judiciaire. La
formation couvrait les domaines de la police judiciaire, le droit pénal, le maintien et
le rétablissement de lordre public, la recherche du renseignement, la police
routière etc.
En mai 1992, le Gouvernement rwandais a demandé à la coopération
française de laider à rendre la gendarmerie encore plus performante en matière de
maintien de lordre public, de lutte contre le terrorisme et de protection du
processus de démocratisation, suite à lintensification des attentats en février.
Des experts français ont aidé à former aux techniques denquête les agents du
centre de recherche criminelle et de documentation. Au cours de la même année, avec la
multiplication des manifestations et des émeutes organisées par les partis politiques et
des affrontements entre les organisations politiques de jeunesse, il a été demandé à
la coopération française une aide pour former un bataillon mobile spécialisé dans le
maintien et le rétablissement de lordre public.
La coopération française a permis à la gendarmerie daméliorer
ses performances pendant la période de grande tension politique et de guerre de 1991 à
1993. La gendarmerie sest bien comportée au cours des manifestations et des
émeutes grâce aux techniques apprises dans les programmes de formation, il ne lui a
été fait aucun reproche pour ses actions. Elle a respecté les règles du droit dans les
opérations de maintien de lordre public ainsi que les procédures formelles dans
lexécution des mandats délivrés par le ministère public.
Il a tenu à souligner que lapport de la France à la gendarmerie
avait beaucoup aidé le Rwanda dans le processus de démocratisation. Le Rwanda a ainsi pu
disposer dun corps professionnel de qualité qui a constitué un pilier important
dans la gestion de la transition démocratique. Lors des émeutes de 1992 et 1993, il
ny a pas eu de répressions arbitraires ou violentes grâce à laction de la
France qui a également fourni les moyens appropriés pour gérer ces situations évitant
ainsi des réactions maladroites dans des conditions de grande tension.
La France a été au premier rang de la coopération militaire avec le
Rwanda. Toutefois, celles de la Belgique et de lAllemagne nétaient pas
négligeables. Les Etats-Unis, dans une faible mesure, entretenaient aussi une
coopération militaire.
La Belgique est restée aux côtés des Forces armées rwandaises
pendant la guerre. En réalité les unités délite étaient formées par la
Belgique au centre commando de Bigowe, jusquà la crise davril 1994. Les
officiers suivaient des formations avancées en Belgique. Lhôpital militaire de
Kanombe, un des meilleurs quait compté le Rwanda, bénéficiait dun appui
technique et financier belge. Dans la défense du pays contre le Front patriotique,
laide belge à cet hôpital a sans doute été aussi déterminante que laide
française à lartillerie. Cest en reconnaissance du rôle joué par la
Belgique dans la défense du Rwanda que le Président Habyarimana a voulu quelle
fournisse un contingent important de casques bleus au sein de la MINUAR.
Le Gouvernement a veillé à ce que la coopération avec la France ne
soit pas un sujet de discorde entre les partis qui le composaient. Lopposition
nétait pas unanimement favorable à une victoire militaire des forces armées
rwandaises. Cela nécessitait de recenser des domaines de coopération militaire qui ne
soient pas sujets à controverse. Laccent a été mis sur le perfectionnement des
unités spécialisées de larmée rwandaise, notamment des bataillons
dartillerie et de parachutistes pour renforcer les capacités de défense. La France
sest efforcée déviter que ses actions de coopération ne perturbent le
processus de paix et elle a poussé le Président Habyarimana à négocier avec le Front
patriotique.
Un officier français a été placé auprès de létat-major de
larmée rwandaise en qualité de conseiller du Chef dEtat-major. Il ny a
jamais eu de conseillers militaires, ni auprès du Ministre de la Défense, ni auprès du
Président de la République, ni auprès du Premier Ministre.
Un détachement de coopérants militaires pour lassistance à
linstruction, qui nétait pas une unité combattante, comprenait des
instructeurs ayant pour mission de dispenser une formation destinée aux personnels des
unités dartillerie de campagne, aux pilotes de lescadrille daviation
-5 pilotes ont ainsi été formés, dont quatre brevetés- et à certains membres du
bataillon de reconnaissance. Bien que les instructeurs aient la possibilité de suivre
leurs élèves pour évaluer la formation et même leur prodiguer des conseils, il
ny a jamais eu dordre dopération pour larticulation des Forces
armées rwandaises avec le DAMI.
Depuis lentrée de lopposition au Gouvernement, certains
analystes de ladministration française sentaient quil ne serait pas facile de
maintenir la relation antérieure et quune solution militaire du conflit
navait pas de chance daboutir. Le conflit armé ayant divisé la classe
politique rwandaise, la France senfonçait de plus en plus dans un guêpier. Elle
déploya de vains efforts auprès de la Grande-Bretagne pour obtenir son concours auprès
de Museveni qui estimait, comme les Etats-Unis, que le rôle de cordon de protection
contre la poussée islamiste au Soudan de lOuganda était plus stratégique que la
paix au Rwanda. La France a donc appuyé la voie négociée tout en sauvegardant une force
gouvernementale politique et militaire. Néanmoins, elle sentait que le Gouvernement
rwandais ne verrait pas le bien-fondé des négociations si le Front patriotique
noccupait pas une partie de territoire. Ce raisonnement avait déjà permis au Front
patriotique, en mai 1992, de prendre une partie de la commune de Muvumba, les commandes
darmements passées à la France nayant pas été honorées à temps. En juin
1992, alors que les forces rwandaises venaient dacquérir des obusiers français de
105 mm, la France leur en a refusé lutilisation alors que les FAR étaient en
mesure de reprendre le contrôle des hauteurs des communes de Kiyombe et Kivuye. La perte
de ces hauteurs dont le FPR conservera le contrôle sera un des facteurs déterminants de
la suite de la guerre. Lautorisation dagir ne sera donnée que lorsque, après
avoir décidé dacheter des obusiers de 125 mm à lEgypte, les
instructeurs égyptiens arriveront à Kigali.
M. James Gasana a précisé que vers le milieu de lannée
1992, la NRA avait accru son ingérence dans la guerre et que le nombre des déplacés
avait atteint 350 000. Un des objectifs de la coopération avec la France sera alors
de contribuer à protéger les déplacés contre les bombardements du FPR et
déviter que lextension de la zone des combats naugmente leur nombre. A
la demande des autorités rwandaises, la France avait mis à la disposition de
larmée rwandaise des instructeurs pour améliorer la qualité de quelques
bataillons. Lintervention française sest limitée à cela et il na
jamais été question de demander une intervention des troupes françaises dans la guerre,
car dune part les forces armées rwandaises étaient politiquement plurielles même
si elles étaient supposées être non partisanes et une présence française au front
aurait pu être dénoncée par lopposition et aggraver la polarisation du
Gouvernement, et dautre part, une intervention étrangère directe nétait
plus envisageable après louverture des négociations de paix à Arusha.
Depuis 1992, les conditions de lappui que la France apportait au
Rwanda sétaient fortement modifiées, rien ne pouvait être fait sans un consensus
entre le Président et le Gouvernement de transition démocratique.
Il a déclaré quen ce qui concerne les matériels, la France
navait jamais pris en charge financièrement les achats darmes par le Rwanda,
que ce soit en France ou auprès dautres pays. Si dans les opérations dachat
effectuées en Egypte, le Crédit Lyonnais avait été impliqué dans les transactions, ce
fut un choix du fournisseur égyptien qui voulait couvrir ses risques par une banque
agréée par les deux parties et la Banque nationale du Rwanda. Cette couverture du risque
aurait pu être le fait de toute autre banque dans laquelle la Banque nationale du Rwanda
avait un compte. Ces garanties étaient exigées par tous les fournisseurs. Toutes les
opérations financières relatives à lacquisition darmes étrangères
transitaient par les organismes bancaires, depuis les cautions préalables aux livraisons
jusquau règlement des soldes après livraisons. Il a précisé quà
lexception de la fourniture de certaines armes lourdes dartillerie et
daviation, de la vente de certaines munitions et de certains équipements
spécialisés, comme le matériel de transmission, commandés auprès dentreprises
privées, la France navait pas figuré parmi les plus gros fournisseurs. Pour les
armes légères, les prix français étaient supérieurs à ceux de la concurrence. De
surcroît, les FAR nutilisaient pas darmes légères françaises. En outre,
depuis avril 1992, le Gouvernement respectait la législation rwandaise en vigueur
sur les marchés publics qui exigeait davoir au moins trois offres par lot de
commandes.
Abordant lopération Noroît, il a précisé quen
octobre 1990, la France, comme la Belgique, avait envoyé au Rwanda deux compagnies
de militaires pour assurer la protection des ressortissants français et étrangers et les
intérêts de la France. Les Français occupaient laéroport pour mieux contrôler
lespace aérien rwandais, les Belges assurant le contrôle du transport routier
entre laéroport et la ville de Kigali. Frustré par lespace occupé par les
Français dans les relations militaires avec le Rwanda et attaqué par son opposition, le
Gouvernement belge a très vite retiré ses troupes, imposé au Rwanda un embargo sur les
armes et même suspendu la livraison du matériel déjà commandé et payé.
En octobre 1990, les troupes françaises basées dans la capitale,
ont effectué des missions à lintérieur du pays pour regrouper à Kigali les
étrangers qui quittaient le pays ou la zone des combats. A chaque reprise des
hostilités, les troupes françaises effectuaient les mêmes opérations
dévacuation détrangers des zones situées au voisinage du front et de
protection des infrastructures aéroportuaires.
Il a indiqué que, lors de chacune de ces opérations, la France avait
toujours tenu informé le commandement du Front patriotique rwandais de la conduite des
évacuations et de leur durée. Il était clair que ces opérations étaient couvertes par
des déploiements de reconnaissance pour éviter le pire mais que, si ces reconnaissances
sen étaient parfois rapprochées, elles navaient jamais atteint la ligne de
front.
Il a estimé que la présence des troupes belges et françaises au
Rwanda, en 1990, dans le cadre dune mission humanitaire, avait permis au pays de ne
pas sombrer dans les affrontements interethniques. Abandonner le Rwanda à lui-même et à
laction combinée de larmée ougandaise et du Front patriotique, naurait
fait que contribuer à attiser la panique au sein de la population.
Il a estimé que les militaires français navaient jamais
dépassé le cadre de leur mission de coopération avec un pays souverain. Le Gouvernement
ne leur avait jamais demandé de participer aux combats ce qui ne veut pas dire quil
ny ait pas eu de situations où les risques daffrontements avec le Front
patriotique rwandais étaient grands, ni de circonstances dans lesquelles certaines
gesticulations pouvaient donner une impression de belligérance à un observateur non
avisé comme ce fut, par exemple, le cas lors des opérations dévacuation des
expatriés à Byumba et à Ruhengeri quand des militaires français, à la suite
dattaques des rebelles, ont failli se trouver encerclés. Pour éviter ce risque,
les troupes de reconnaissance pouvaient sapprocher du front en cas de besoin et
dautres couvraient les convois. Il ny a jamais eu, ni provocations, ni
affrontements.
Le risque daffrontement était si élevé, en février 1993, que
les militaires français ont failli entrer dans les combats pour protéger Kigali. Le
Front patriotique rwandais venait de violer le cessez-le-feu, tuant
40 000 personnes dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri, jetant ainsi
sur la voie du déplacement intérieur près dun million dautres Rwandais. Le
FPR menaçait dassaillir Kigali et était parvenu à quelques kilomètres seulement
de la capitale.
En conclusion, M. James Gasana a évoqué le rôle de la France
dans les négociations de paix et dans le processus politique. Le rôle joué par la
France au Rwanda après 1990 na pas toujours été à la hauteur de la complexité
de la situation. Le soutien à la démocratisation na pas répondu aux attentes
suscitées par le discours du Président Mitterrand à La Baule. Il ny a pas eu de
signes daccompagnement du processus de changement politique tels que le renforcement
de la société civile et lappui aux partis politiques dans lapprentissage de
la démocratie. Après le départ de lambassadeur Martre, il ny pas eu
defforts visant à amener le Président Habyarimana à composer avec les partis
dopposition au sein du gouvernement multipartite ce qui a été interprété comme
une caution politique de la France au Président Habyarimana et au parti MRND.
Alors que dautres pays comme les Etats-Unis, la Belgique, la
Tanzanie, formulaient des propositions pour faire progresser les négociations
dArusha, la France semblait mener une politique de réaction et non
dinitiative. Cest ainsi que daucuns ont eu, à tort, limpression
quelle mettait en avant les solutions militaires.
Enfin, il a souligné que la coopération militaire franco-rwandaise a
été efficace, particulièrement pour la gendarmerie. Il a estimé que le rôle politique
de la France navait pas été à la hauteur des attentes des acteurs politiques
internes doù les critiques parfois outrancières et dénuées de fondement
dirigées contre sa présence militaire.
Evoquant des déclarations antérieures de M. James Gasana sur les
accords dArusha, le Président Paul Quilès a souligné que lanalyse
quil en faisait imputait leur échec au fait quils consacraient la
bipolarisation de larmée et, par là même, accentuaient celle du pays. Il a
souhaité savoir si une démilitarisation totale et définitive du pays sous légide
de lONU aurait pu conduire à une paix durable.
M. James Gasana a estimé que la bipolarisation de
larmée prévue par les accords dArusha était lun des facteurs
déchec de la mise en oeuvre de cet accord. La focalisation sur le rôle des forces
armées, na pas permis dapprofondir les réflexions sur la réconciliation
nationale ; les questions touchant à la réconciliation sociale nont
pratiquement jamais été abordées, or celle-ci était impérative pour permettre la mise
en oeuvre de laccord.
La bipolarisation nétait que leffet de la peur mutuelle
entretenue par les deux communautés. Le rôle des armées a toujours été -au Rwanda
comme au Burundi dailleurs- de protéger le groupe au pouvoir. La seule possibilité
de rompre ce cercle vicieux de peur mutuelle et de recherches de solutions dans
larmée, aurait été de démilitariser le pays pour reconstruire la confiance
mutuelle. Certes ce processus aurait pris beaucoup de temps mais il sagissait de la
seule solution pour les deux pays dans la mesure où larmée y était considérée
comme un instrument dexercice du pouvoir.
M. Pierre Brana a demandé quels étaient les principaux pays
fournisseurs darmes au Rwanda, quelle place occupait la France parmi eux et si la
France avait refusé de livrer des armes. Il sest interrogé sur le regard porté
par le Président Habyarimana sur le processus de démocratisation au Burundi depuis
1988 ; sagissait-il dun exemple et dun encouragement pour le
processus de démocratisation au Rwanda ou, au contraire, cette situation suscitait-elle
un sentiment de refus ? Enfin il sest inquiété dune éventuelle
utilisation par le Président rwandais de la solidarité francophone par rapport au monde
anglo-saxon symbolisé par lOuganda et le FPR.
M. James Gasana a précisé que les principales sources
dapprovisionnement en armes étaient lAfrique du Sud, lEgypte, la Chine
et ultérieurement la Pologne, voire dans certains cas la Grèce, Israël et, bien sûr,
pour des équipements spécialisés, la France. La France occupait certes une place assez
importante parmi les fournisseurs, mais pour ce qui est de la valeur de larmement,
elle ne figurait ni en première, ni en seconde position, car la plupart des dépenses
darmement concernaient les armes légères qui nétaient pas dorigine
française. Les FAR disposaient de kalachnikovs, de R4 sud-africaines, darmes
belges. En revanche, la France a été le plus grand fournisseur pour léquipement
plus lourd dartillerie, les FAR étant équipées dans ce domaine de matériels
français. Par ailleurs, la France a fourni gratuitement des armes au Rwanda dans des
situations particulières. Ce fut le cas lors dattaques surprises du FPR, pour parer
au plus pressé, en attendant que le Gouvernement rwandais mobilise ses procédures pour
effectuer les commandes. En situation normale, la France na pas procuré
darmes gratuitement. Dans certains cas, elle a même freiné les commandes, y
compris pour les armes dont elle était le seul fournisseur. Ainsi, au mois de mai 1992,
alors que le FPR avançait et menaçait dattaquer, le Rwanda a passé des commandes
de bombes rendues indispensables par le contexte tactique que la France na pas
honorées. Elle a laissé à dessein le FPR avancer et na fourni le matériel
commandé que lorsque que le FPR occupait déjà une partie du territoire. En juin 1992,
alors que le Front patriotique menaçait la préfecture de Byumba dans le nord du pays, la
France na pas non plus livré les matériels commandés, permettant ainsi
loccupation de près de 5 % du territoire rwandais, ce qui a conduit à
négocier avec les représentants français le passage de la ligne de stabilisation du
front. La France utilisait les livraisons darmement pour contraindre les parties
concernées par le conflit à négocier.
Il a fait observer que le Président Habyarimana, comme tous les autres
acteurs politiques au Rwanda, avait été encouragé par lexpérience de
démocratisation conduite au Burundi. Il a confirmé, pour lavoir lui-même entendu,
y compris en présence de certaines délégations françaises, que le Président
Habyarimana citait le processus burundais comme un exemple à suivre dans les
négociations dArusha. Il jugeait que ces négociations devaient permettre de
remettre la souveraineté au peuple en élaborant des modalités dorganisation
délections afin que les représentants du peuple soient des élus et non des
personnes convenues dans une formule arbitraire comme cela a dailleurs été le cas.
Il a affirmé que le Burundi constituait aux yeux du Président Habyarimana, un bon
exemple dexercice de la démocratie et quil sagissait de la meilleure
solution pour le pays. Il en allait de même pour lopposition à qui cette
expérience burundaise avait prouvé que des élections justes permettaient de participer
à lexercice du pouvoir.
Sur le fait de savoir si le Président Habyarimana avait joué de la
solidarité francophone, il a répondu que, dans la révolution que traversait le Rwanda
et le contexte historique du moment, cela apparaissait parfaitement. De grandes
solidarités sétaient en effet alors tissées dans la communauté francophone. En
revanche, il a estimé que le Président Habyarimana navait pas compris les
intentions, ni les moyens du monde anglo-saxon, en dépit des efforts que certains groupes
avaient consentis pour lamener à sallier à son homologue ougandais. Il a
cité les contacts établis notamment par le groupe Prayer Breakfast pour linciter
à entrer dans cette alliance anti-islamiste contre le Soudan à laquelle on avait pensé
lintégrer. Sil avait perçu limportance quattachaient les
Américains à cette action, la suite des événements aurait été différente. En effet,
cest lorsque les Américains ont jugé que le Président Habyarimana tardait à
concrétiser cette alliance avec Museveni quils ont dû arrêter leur choix et
décider de renforcer la position du Président ougandais. Ayant lui-même appartenu au
groupe international Prayer Breakfast et ayant suivi la négociation, il a considéré que
les informations quil venait de livrer à la mission nétaient pas
contestables. Deux rencontres ont été organisées entre les Présidents Museveni et
Habyarimana : une première à Arusha, à la fin du mois de janvier 1992 et une
seconde, en décembre de la même année.
Revenant sur les cessions gratuites darmes par la France, M. François
Lamy sest enquis des canaux suivis, des interlocuteurs contactés et des délais
dacheminement.
M. James Gasana a indiqué que ces livraisons concernaient
surtout des armes destinées aux unités dappui car les FAR sefforçaient de
détenir des stocks durgence pour larmement léger. Les armes dappui
étaient utilisées avec lautorisation de la France, lorsque les circonstances
lexigeaient. Ce contrôle seffectuait à travers la gestion des stocks. Il
convenait alors de convaincre les représentants de lautorité française, attaché
militaire et ambassadeur, que le Rwanda subissait une agression et que son armée ne
pouvait réagir en raison de linsuffisance de ses stocks. Il na pas pu
préciser la provenance des livraisons mais a précisé quelles nintervenaient
pas toujours aussi rapidement que le contexte laurait exigé. Toutefois leur volume
permettait à chaque fois de rétablir le niveau des stocks, ce qui maintenait en
permanence un équilibre militaire entre les parties aux négociations.
Après avoir rappelé que les procédures de livraisons darmes de
la France au Rwanda faisaient normalement lobjet de dispositifs légaux très
précis, M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si les livraisons françaises
correspondaient à des commandes antérieures en attente qui étaient débloquées en
raison des situations de crise ou si les armes étaient livrées en dehors des commandes
effectuées selon des procédures normales.
M. James Gasana a précisé que ces livraisons ne
correspondaient pas à des commandes car le Gouvernement rwandais était alors engagé
dans le processus de négociations dArusha et quil se trouvait de fait dans
limpossibilité de passer des commandes darmement. Les demandes visaient à
reconstituer les stocks de munitions pour permettre une fixation du front et le maintien
dun équilibre des forces.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité compléter sa question en
demandant si les armes, destinées à maintenir un stock en cas dagression, étaient
cédées à titre gratuit.
M. James Gasana a indiqué que les apports durgence aux
unités dappui nétaient pas payés mais que les commandes concernant les
équipements radio ou les munitions pour les mitrailleuses létaient
puisquelles étaient passées aux fabricants, les procédures étant alors
différentes.
M. Bernard Cazeneuve a précisé que dans ce dernier cas, les
commandes de lEtat rwandais faisaient lobjet dautorisations dans le
cadre de la procédure dexamen par la CIEEMG. Il a également indiqué que,
notamment en 1992, alors que M. James Gasana était Ministre de la Défense, onze
cessions gratuites étaient intervenues, à hauteur de 15 millions de francs, ce qui
avait vraisemblablement permis de reconstituer les stocks sous contrôle conjoint.
M. James Gasana a répondu par laffirmative en
précisant que ces fournitures étaient consécutives à louverture
dhostilités par le FPR, souvent dailleurs en violation de laccord de
cessez-le-feu.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité avoir confirmation du fait
que lutilisation des armes fournies était soumise à un contrôle.
M. James Gasana a confirmé que leur utilisation était
rigoureusement contrôlée et même souvent à outrance. Il arrivait que les autorités
rwandaises ne comprennent pas pourquoi ce contrôle était imposé alors que les rebelles
avançaient. Pour illustrer ces propos, il a rappelé que le 5 juin 1992, les FAR
disposaient déjà dune batterie de mortier 105 mm dont les utilisateurs
nétaient pas encore formés. A la même date, lors de négociations à Paris, le
Gouvernement rwandais avait demandé à la France une aide à la formation des hommes et
sétait vu opposer un refus. Alors que le FPR attaquait et que les combats se
poursuivaient, la France avait maintenu sa position, conduisant le Rwanda à passer
commande dune batterie de mortier à lEgypte. Ce nest que lorsque la
batterie égyptienne et ses instructeurs sont arrivés que la France a accepté de former
lunité rwandaise, y compris pour lutilisation du matériel égyptien.
Revenant à la première question posée par le Président Paul
Quilès, M. Bernard Cazeneuve sest interrogé sur la cohérence du
raisonnement de M. James Gasana qui face à la thèse de linvasion étrangère
appuyée, depuis lOuganda, par les Américains parvenait à la conclusion un peu
singulière pour un Ministre de la Défense quil fallait démilitariser le pays, ce
qui lexposait à des risques considérables.
M. James Gasana a tout dabord expliqué sa position en
sappuyant sur le fait que le Rwanda était un petit pays confronté à de difficiles
problèmes internes et quil ne pouvait pas maintenir une armée pour se protéger de
ses quatre voisins. Si lon excepte la situation actuelle où le Zaïre a été
attaqué par dautres puissances, à travers le Rwanda, il a souligné quil ne
lui apparaissait pas possible, sans mobiliser dalliances exceptionnelles, que le
Rwanda puisse sortir vainqueur dun conflit avec ses voisins et a ajouté que, pour
gérer une menace interne ou parer aux conséquences dune menace externe, le Rwanda
navait pas besoin dune armée supérieure à quelques milliers dhommes.
Il a par ailleurs indiqué que, jusquà lagression
dun pays voisin en 1990, pendant les trente années qui ont suivi
lindépendance, le Rwanda navait jamais connu de problèmes extérieurs. Les
difficultés auxquelles il sétait trouvé confronté jusque là étaient
dordre interne et cest pour y faire face que larmée avait été
formée. Il a estimé que pour régler les problèmes internes qui sont plutôt
dordre social et politique, larmée ne se justifiait pas mais quil
suffisait de forces de police ou de gendarmerie.
Soulignant que M. James Gasana était Ministre de la Défense lors
de la négociation des accords de coopération, M. Michel Voisin a souhaité
connaître qui avait pris linitiative du réexamen des accords et sur quoi portaient
les modifications.
M. James Gasana a indiqué quil pensait que les accords
antérieurs étant arrivés à échéance, il fallait absolument prévoir un avenant,
dautant plus que le contexte intérieur du pays avait beaucoup évolué. La
situation imposait dadapter la gendarmerie à un contexte de pluripartisme, alors
quelle avait été bien formée grâce à lappui français sous un système de
parti unique dans lequel le pays ne connaissait pas démeutes, ni de manifestations
politiques. Face à ce genre de situations, les moyens dintervention, soit
nexistaient pas, soit étaient inopérants faute de personnels formés pour les
gérer. La gendarmerie devait donc travailler autrement, ce qui explique que laccent
a été mis sur une meilleure formation à la manipulation des outils juridiques, comme
sur la collaboration avec une société pluripartite. Le terrorisme et les attentats à la
bombe constituaient des éléments totalement nouveaux pour le pays. Or ce terrorisme
sest intensifié en 1992 et le Gouvernement nétait pas préparé à faire
face à ce genre de situations et il a fallu solliciter laide de la France. Enfin,
le Rwanda comptait déjà en mai et juin 1992, environ 350 000 habitants
déplacés quil fallait protéger en renforçant les moyens de défense contre un
envahisseur qui ne cessait davancer, doù la nécessité de professionnaliser
larmée dans un contexte où il convenait de faire en sorte quelle ne soit pas
présentée comme larmée dune seule faction politique. Le Gouvernement devait
donc disposer dune force armée bien formée et disciplinée et non plus augmenter
à nouveau ses effectifs comme cela avait été fait en 1990 quand larmée était
passée de 5 000 hommes à plus de 25 000, au risque dêtre
confrontée à un manque dencadrement des troupes. Il a donc été décidé de
mettre un frein au recrutement, à laugmentation des effectifs pour privilégier la
formation, la professionnalisation de larmée et également son adaptation au
paysage politique. Cest dans se sens quont été modifiés les accords tout en
tenant compte des impératifs des négociations de laccord de paix.
M. René Galy-Dejean a souhaité savoir si, pendant la durée
des responsabilités ministérielles de M. James Gasana, les milices existaient
déjà, sil avait été conduit à quitter le Rwanda sous la pression de menaces et
sil se sentait encore menacé.
M. James Gasana a précisé quil avait préparé à
lintention de la mission dinformation un document intitulé " La
violence politique au Rwanda, 1991-1993 " qui constitue un témoignage
sur le rôle des organisations des jeunesses des partis politiques. Il a estimé
quil sagissait du document qui offre lanalyse la plus approfondie de la
situation des jeunesses politiques des partis et indiqué quil avait été élaboré
en réponse aux accusations portées contre la France sagissant de son éventuelle
implication dans la formation des milices. Il a souligné quil ressortait, à la
lecture de ce document, que la France nétait nulle part mentionnée dans le
développement de ces organisations de jeunesse car elle navait jamais rien eu à
voir avec elles. Il a déclaré que eux qui prétendaient le contraire étaient, soit mal
informés, soit de mauvaise foi.
Il a estimé que parler de " milices " avant la fin
de lannée 1993 constituait un abus de langage. Le terme de
" milices " a été utilisé prématurément parce que les partis
rivaux qui saffrontaient à travers les organisations politiques de la jeunesse
désignaient sous ce nom, pour se discréditer les uns les autres, lorganisation
politique de la jeunesse adverse. Ces organisations ne répondaient nullement à la
définition dune milice qui suppose davoir un minimum de formation,
déquipement et dorganisation militaires ce qui nétait, selon lui, pas
le cas des organisations politiques de jeunesse avant la fin de 1993. Des organisations
politiques de grands partis -le MRND, le MDR, le PSD et également, au début, le parti
libéral - saffrontaient. Elles étaient utilisées pour des activités
danimation politique dans les meetings populaires mais aussi dans les manifestations
et, par conséquent, lors des affrontements politiques entre partis, lors des émeutes. Il
arrivait que certains de leurs membres formés au maniement des armes commettent des actes
de banditisme armés mais à titre individuel et pas au nom dune organisation
politique. La gendarmerie a joué un rôle important pour empêcher les débordements de
ces organisations de jeunesse puisquelle était parvenue à les contrôler dans les
émeutes et les manifestations, surtout à partir du moment où un bataillon
dintervention spécialisé a été formé dans le cadre de la coopération avec la
France pour ce genre de situations.
Sagissant de son départ du Rwanda, il a précisé que sa
présence était considérée comme un problème pour lune des milices les plus
importantes, les Interahamwe, qui sétait vu, au début de lannée 1993,
obligée comme les autres à se conformer aux règles de bonne conduite. A cette époque,
plus dune centaine de ses membres étaient en détention, attendant que la justice
se prononce sur leur cas. Alors que des pressions sexerçaient pour obtenir leur
libération, il avait catégoriquement refusé que la gendarmerie consente à les
relâcher avant que la justice ne statue sur leur sort . Il a estimé que cette milice
était à lorigine des menaces dont il a été lobjet.
Il a ensuite considéré que le terme de milice pouvait être employé
à partir de la fin de lannée 1993, car, avec lassassinat du Président
burundais, en octobre 1993, il sest produit un retournement dans le paysage
politique. Jusque là les organisations de jeunesse émanant des deux grands partis hutus
en présence -MRND et MDR- saffrontaient sur des lignes politiques et non ethniques.
Elles ont alors conclu des alliances sur dautres bases que des bases politiques,
pensant quil y avait une menace régionale des groupes armés de lethnie
tutsie. Il en est résulté une bipolarisation " ethnique " qui a fait
disparaître les moyens dautocontrôle interne et ces groupes ont pu sarmer
devenant ainsi des milices à proprement parler.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité connaître le sentiment de
M. James Gasana sur léventuelle responsabilité dune fraction des FAR,
proche de la CDR dans lattentat contre lavion présidentiel. Il sest
demandé si cet attentat pouvait résulter des conflits très durs opposant les
extrémistes hutus dans les toutes dernières semaines précédant lattentat. Il a
également souhaité obtenir quelques éléments dinformation sur les relations
entre MM. Sagatwa et Bagosora.
M. James Gasana a rappelé que lattentat sétait
produit après son départ du Rwanda, mais que, compte tenu de son importance, il avait
effectué de nombreuses recherches sur le sujet. Il a déclaré que ses analyses et ses
connaissances antérieures de la vie politique rwandaises le conduisaient à considérer
que la thèse de la responsabilité des factions des FAR pro CDR, de la garde
présidentielle, ou des extrémistes hutus, nétait pas crédible. Tout
dabord, les membres des FAR nétaient pas formés à lutilisation de
missiles sol-air du type de celui qui a détruit lavion et ensuite le Gouvernement
rwandais navait jamais envisagé dacquérir des armements antiaériens puisque
le FPR ne possédait pas daviation.
M. Bernard Cazeneuve a fait remarquer que ce type de missile
était en dotation dans larmée ougandaise et que, compte tenu du fait que
lOuganda fournissait des armes au FPR, celles-ci auraient pu être récupérées par
les FAR à loccasion dune débâcle sur le théâtre dopération
militaire.
M. James Gasana a convenu de la possibilité de cette
récupération mais a souligné quil eût fallu, pour utiliser de telles armes,
avoir recours à des personnels formés et qualifiés. Or il sest déclaré en
mesure daffirmer quaussi longtemps quil avait exercé ses fonctions,
aucun militaire des FAR navait été formé à la manipulation des missiles
antiaériens. Le pays étant petit un tel entraînement naurait pu être pratiqué
sans que cela se sache. Par ailleurs, les FAR ont collecté les restes des missiles
utilisés contre laviation rwandaise mais nont pas trouvé de missiles non
utilisés. En octobre, lorsque la guerre a éclaté, le Front patriotique a abattu pendant
la première semaine un avion de reconnaissance rwandais et, durant le même mois, un
hélicoptère avec des missiles SAM 7 dont les restes ont été collectés et ont
dailleurs été montrés à la presse.
M. Bernard Cazeneuve a précisé quil se plaçait dans
lhypothèse où une partie des FAR, ralliée à lextrémisme hutu aurait
commis lattentat. Lattitude du Colonel Bagosora au lendemain de cet attentat
conduisait à se poser la question de savoir si la récupération des missiles et la
formation de miliciens pour les utiliser auraient pu se faire sans que le Ministre de la
Défense en exercice en soit tenu informé. Il a souhaité savoir si, en sa qualité de
Ministre de la Défense, M. James Gasana pouvait avoir la certitude quun
certain nombre de membres de larmée ralliés à lextrémisme nauraient
pas pu agir à son insu.
M. James Gasana a assuré quaussi longtemps quil
avait été en fonction, tout ce qui était contrôlable dans les unités et dans les
services était contrôlé. Cest dailleurs ce contrôle qui avait été à
lorigine de ses difficultés puisquil était si étroit que même le Colonel
Bagosora y était soumis. Il a affirmé connaître parfaitement les compétences et les
moyens dont les FAR disposaient, dans la mesure où il visitait les unités et que
larmée disposait de services de renseignements internes permettant de suivre
étroitement tout ce qui sy passait, y compris des mouvements plus imperceptibles
que ce genre de manipulations darmes.
Par ailleurs, il lui est apparu peu vraisemblable denvisager que
des conflits ayant pour source des désaccords stratégiques puissent conduire des gens à
séliminer sans avoir construit de perspective pour une action ultérieure. Il ne
peut être question de vouloir assassiner un président sans en prévoir le remplacement.
Si ce remplacement avait été prévu, les commanditaires de lattentat, auraient dit
le soir même : " Le président a été assassiné ; on met un
tel ou un tel en place ". Or, la succession des événements a permis de
constater que personne nétait prêt à saisir le pouvoir ; ce qui écarte
lhypothèse selon laquelle une faction aurait agi de façon criminelle pour
semparer du pouvoir. En outre, dautres éléments, que ce soit avant ou après
le 6 avril, montrent que ce sont plutôt dautres formations politicomilitaires
qui sont à lorigine de lattentat. Deux jours avant sa tenue, la conférence
au sommet de Dar Es-Salam nétait pas connue du Colonel Bagosora. Il faudrait
creuser un peu pour savoir qui la convoquée. Une délégation américaine a
entrepris un périple dans la région pour inviter les chefs dEtat à sy
rendre. Ses membres devraient savoir qui a ou non gardé le secret avec les chefs
dEtat contactés jusquà la tenue de la réunion.
Il a estimé que le groupe hutu extrémiste du Colonel Bagosora ne
devait pas avoir eu le temps matériel de sorganiser, dautant plus quil
ne connaissait ni lordre du jour du sommet de Dar Es-Salam, ni le moment du retour
du Président Habyarimana. Tout le monde sait par contre que les troupes du FPR avaient
fait mouvement le lendemain de lattentat, ce qui écarte, selon lui,
lhypothèse tendant à accuser les milices ou des groupes militaires pro CDR.
A M. Jacques Myard qui souhaitait savoir si les
allégations selon lesquelles des listes de personnes à supprimer avaient été
préalablement établies semblaient plausibles, M. James Gasana a indiqué que
le fait que les massacres aient été systématiques et rapides navait pas surpris
les populations car, depuis la fin de lannée 1993, la situation de tension était
bien connue, y compris de la communauté internationale. Il sest rappelé quun
document publié par quelques hauts officiers de larmée rwandaise avait circulé et
avait été envoyé à la MINUAR. Il y était précisé que la situation était très
explosive et que des opérations délimination se préparaient. Il semblerait donc
que les représentations diplomatiques, même si elles ont feint dêtre surprises ne
laient pas été réellement.
Il a souligné quà partir de 1991, certaines listes circulaient.
Elles comprenaient une vingtaine de personnes, dont des militaires. Il sagissait
surtout de listes établies par un parti contre le parti rival dans le cadre de luttes
politiques entre les factions sans quelles aient eu de caractère ethnique
systématique. Il lui a dailleurs été dit quen 1994, le Front patriotique,
à linstar des autres groupes, disposait ses propres listes de localisation des
personnes. Il semblerait donc que ces listes aient dabord été établies dans le
cadre de la lutte entre les factions politiques et quelles aient visé initialement
de hautes personnalités politiques, indépendamment des ethnies.
M. François Lamy a demandé à M. James Gasana ce qui
pouvait lui donner à penser que la France menait une politique de réaction face aux
accords dArusha et donnait limpression de favoriser le Président Habyarimana
et si celui-ci souhaitait véritablement la réussite des accords dArusha.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si larmée
française avait conduit des opérations à caractère secret en pénétrant sur le
territoire ougandais depuis le Rwanda et sil était possible que de telles
opérations aient eu lieu sans que les autorités militaires rwandaises en aient été
informées.
M. James Gasana a précisé quil navait pas voulu
dire que la France avait appuyé des groupes extrémistes dans le processus dArusha,
mais quayant participé aux négociations, il avait pu noter une certaine
inactivité, une certaine absence dinitiative chez le représentant français au
cours des négociations. En comparaison de lactivité déployée par les autres
observateurs sa présence ne se traduisait pas par des apports particuliers dans les
discussions. Il ny avait aucun rapport entre le niveau de la présence française au
Rwanda -quelle soit militaire ou autre- et le niveau de la présence française à
Arusha. Il y avait là un décalage quil a jugé inquiétant.
Ayant connu deux ambassadeurs au Rwanda -lAmbassadeur Georges
Martre et son successeur- il a estimé que, même si des initiatives spectaculaires
nétaient pas forcément prises, M. Georges Martre était au moins à
lécoute des différents acteurs politiques rwandais. Quel que soit le parti auquel
ils appartenaient, les personnalités politiques rwandaises labordaient car il
discutait, écoutait et réagissait, souvent à la plus grande satisfaction de tous.
Après son départ, ses interlocuteurs nont pas retrouvé la même qualité
découte auprès de son successeur.
M. François Lamy a souhaité que soit mieux précisé le
rôle de la France, son ambassadeur nécoutait-il plus personne ou écoutait-il
plutôt une voix officielle ?
M. James Gasana a indiqué que les autres acteurs politiques
avec qui il sétait entretenu avaient eu limpression que la France avait
choisi découter davantage la tendance MRND que les autres, impression donnée par
la différence de comportement entre lattitude de lambassadeur Martre et celle
de son successeur.
Il a considéré que le Président Habyarimana voulait la réussite des
accords, puisquil ne la pas vu freiner leur mise en oeuvre, au contraire. Il a
pu noter son inquiétude devant le fait que sa demande de remettre la souveraineté au
peuple nait pas été prise en compte. Le Président déplorait le partage du
gâteau, le partage du pouvoir politique rwandais qui confiait tel nombre de postes à tel
parti et tel nombre de postes à tel autre. Si lon considère la suite des
événements, il ne peut pas lui être fait grief davoir mis laccent sur la
remise de la souveraineté au peuple et davoir privilégié lorganisation de
processus électoraux plutôt que les compromis avec les partis politiques.
Sagissant déventuelles opérations secrètes françaises
en Ouganda, il a estimé que les informations qui en faisaient état émanaient de
personnes de mauvaise foi. Lopinion a probablement confondu ces prétendues
intrusions avec les opérations conduites par une mission française en Ouganda et
convenues entre lOuganda, le Rwanda et la France, pour vérifier si la base des
attaques du FPR se situait en Ouganda. Cette mission baptisée MOF -Mission
dobservateurs français- sest rendue en Ouganda mais il sagissait
dune mission connue, qui a remis un rapport non seulement à la France mais aussi au
Rwanda et à lOuganda, conformément aux décisions convenues à Paris entre le
Front patriotique, lOuganda et le Gouvernement rwandais.
Audition de MM. Michel ROY, Directeur de
laction internationale au Secours catholique, et Régis DU VIGNAUX, Chef de service
adjoint au " service urgences " du Secours catholique
(séance du 16 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Michel Roy,
directeur de laction internationale au Secours catholique, et M. Régis du
Vignaux, chef de service adjoint au service urgences de cette même association.
Il a rappelé que le Secours catholique est un membre de
lorganisation Caritas qui a été très présente sur le terrain pendant la crise
rwandaise, en particulier dès le début des massacres en 1994.
M. Michel Roy a précisé en introduction que M. Régis
du Vignaux et lui-même nétaient pas des spécialistes du Rwanda, ni de la
politique française en Afrique, mais quils intervenaient en tant que responsables
du Secours catholique. Il a précisé quils navaient pas été témoins
directs de ce qui sétait passé, mais quils avaient recueilli de nombreux
témoignages de leurs partenaires locaux.
M. Michel Roy a indiqué que le Secours catholique intervenait à
la demande de la conférence épiscopale, approchée pour cette audition, mais que les
propos tenus nengageraient pas lEglise de France ni, à plus forte raison,
lEglise du Rwanda. Il a relevé toutefois que tous leurs propos seraient imprégnés
dune approche ecclésiale qui est celle du Secours catholique dans toutes ses
actions.
M. Michel Roy a signalé quil avait lui-même vécu trois
ans au Burundi, en milieu rural, dans lEst du pays à la fin des années 70 et que
cette expérience personnelle lui avait permis dentrer en relation avec des
réfugiés rwandais puisque lun de leurs principaux camps se trouvait dans cette
zone. Il a mentionné quil avait eu loccasion, en tant quenseignant de
travailler avec des enseignants réfugiés rwandais.
Il a fait valoir que les relations entre le Secours catholique et les
autorités françaises avaient été limitées aux contacts avec la cellule durgence
et quelles avaient toujours été empreintes de confiance.
M. Régis du Vignaux a précisé que le Secours catholique
était membre du réseau Caritas Internationalis qui regroupe 146 membres dans le
monde, ce qui lui permet dêtre représenté dans à peu près tous les pays où il
existe une Eglise catholique.
Les partenaires locaux du Secours catholique sont constitués par les
membres de ce réseau, cest-à-dire pour la zone des Grands Lacs, par les Caritas du
Rwanda, du Burundi, de Tanzanie et des trois diocèses du Kivu concernés par la crise du
Rwanda, à savoir ceux de Goma, Bukavu et Uvira.
Lengagement du Secours catholique, cest-à-dire de Caritas
France, au Rwanda est bien antérieur à 1994 et a consisté à conduire des actions de
développement avec Caritas Rwanda.
A partir du déclenchement du conflit rwandais en 1990, laction
de Caritas France a bien évidemment tenu compte des actions de guerre et de leurs
conséquences ; une aide a été accordée aux déplacés du Nord qui refluaient vers
Kigali et dans les environs. Il en a été de même pour les réfugiés burundais de 1993,
amassés dans la région de Butare, dans le sud. Caritas France a par ailleurs encouragé
des activités de développement classiques : soutien de femmes séropositives, prise
en charge des orphelins du sida à Kigali et Nyundo, amélioration de lélevage. Ces
actions sinscrivaient dans le cadre habituel de ses actions de développement.
A partir du déclenchement des massacres de 1994, laction de
Caritas France sest davantage orientée vers les actions durgence.
Davril à septembre, le génocide et la guerre civile ont jeté sur les routes du
Rwanda un habitant sur trois. La situation alimentaire de ces populations a revêtu un
caractère dextrême gravité et Caritas France a contribué, au sein du réseau, à
soulager la situation des déplacés dans le sud du pays, le centre-sud et le sud-ouest,
en organisant un approvisionnement à partir de Bujumbura au Burundi.
A la fin de 1994, après la normalisation de la situation, Caritas
France a contribué à réorganiser le réseau intérieur Caritas au Rwanda dont une
proportion du personnel que lon peut estimer entre un tiers et la moitié avait
disparu, quils aient été tués ou quils se soient enfuis à
létranger.
Après cette réorganisation, dans les années 1995 et 1996, Caritas
France a été amenée à appuyer deux types dactions. Lune, interne au
Rwanda, était la réhabilitation et la remise à niveau de nos partenaires autant
quil était possible de le faire à cette époque. Lautre, externe au Rwanda,
était laide aux réfugiés, un million et demi, qui étaient regroupés
essentiellement au Kivu et en Tanzanie.
Les Caritas européennes sétaient partagé la tâche et Caritas
France travaillait essentiellement avec les Caritas du Kivu du centre et du nord,
cest-à-dire Bukavu et Goma, tandis que Caritas Allemagne, par exemple, était
plutôt à Uvira.
Loffensive doctobre à décembre 1996 qui a conduit à
vider les camps de réfugiés du Kivu puis de Tanzanie et à provoquer le retour
denviron un million de réfugiés vers le Rwanda a été accompagnée dun
soutien immédiat, mais lidée et la politique de Caritas a toujours été,
daider les réfugiés, une fois rentrés " sur leurs collines ",
comme lon dit dans le pays, à se réinsérer dans la vie sociale.
Un immense travail de reconstruction a été commencé, qui se poursuit
aujourdhui car il est loin dêtre fini. Il concerne le rétablissement dans
une vie décente de familles qui ont été profondément choquées : rescapés des
massacres, souvent des femmes et des enfants seuls qui ont perdu lessentiel de leurs
familles, réfugiés qui sont rentrés et ont perdu tous leurs biens. Le problème
principal consiste à leur redonner un logement, et avoir les moyens dy vivre.
Cest le but de lessentiel des programmes de réhabilitation que Caritas France
développe actuellement.
Entre décembre 1996 et mars 1997, le réseau Caritas a essayé
cependant de suivre dans leur périple les réfugiés qui avaient choisi de fuir vers
louest et qui se sont perdus dans les forêts du Kivu avec les conséquences que
lon sait. Les résultats de ces efforts ont été peu probants.
Fin 1997, après que le problème des réfugiés eut été résolu pour
lessentiel, Caritas France sest recentrée sur le Rwanda et sa
réhabilitation. Chacune des Caritas européennes a accepté daccompagner plus
particulièrement un diocèse du Rwanda. Sur demande de Caritas Rwanda, Caritas France
sest retrouvée en partenariat avec deux diocèses du sud-ouest du pays, à savoir
Cyangugu et Gikongoro. Il sagissait de les accompagner dans le travail de
réhabilitation, de reconstruction et de remise en service de tout le système social qui
existait avant les événements.
Il a fallu réhabiliter les structures, à savoir le système de santé
et une partie du système scolaire, tout au moins la part qui dépendait de lEglise
et qui était importante dans ce pays. Cela sest fait progressivement de 1995 à
1997. A lheure actuelle, le système de santé dépendant de lEglise est
pratiquement réhabilité. La difficulté est de lui donner une pérennité. Le défi
majeur actuel est de pouvoir le faire vivre dans les années qui viennent en lui
permettant de retrouver une part de lautonomie quil avait avant la guerre.
Caritas France a envoyé dans le sud-ouest ainsi que dans le nord du
Rwanda du côté de Nyundu quelques personnels en renfort des partenaires locaux, sans
jamais se substituer à eux, pour remettre en service des systèmes de santé. Elle a
également contribué à aider en personnels les équipes internationales établies à
lextérieur du Rwanda dans des camps de réfugiés du Kivu. Leffort financier
nécessaire pour soutenir tout cela a représenté pour le Secours catholique, au cours de
ces quatre années de 1994 à 1998, un engagement de lordre de 65 millions de
francs français, ce qui, pour le budget de ce type dassociation, est considérable.
Les deux tiers de ces 65 millions de francs provenaient des fonds propres,
cest-à-dire de la quête dans le public. Durant les quatre dernières années, les
pays des Grands Lacs africains, et tout particulièrement le Rwanda, ont été les pays
les plus aidés dans le monde par le Secours catholique.
Le Secours catholique continue dêtre engagé auprès de
partenaires locaux au Rwanda. Il na pas dautre choix que de continuer à les
aider, il ne peut se retirer et il continue à travailler au Rwanda, au Burundi, en
République démocratique du Congo et en Tanzanie.
Lobjectif du Secours catholique au Rwanda est bien sûr la
réhabilitation socio-économique mais également ce que lon nose pas encore
appeler la réconciliation, mais tout au moins la cohabitation et le rapprochement des
ethnies.
Une autre priorité pour le Secours catholique est le Burundi où la
situation est peut-être encore plus critique quau Rwanda et plus difficile à
traiter parce que lon est en situation de guerre civile ouverte et quil y a,
parallèlement à cette situation, une situation durgence à traiter, qui
nexiste plus au Rwanda et qui est liée à des déplacements de population
nombreuse.
Le Secours catholique continue à soccuper de lappui aux
réfugiés dans les pays voisins, principalement les réfugiés burundais en Tanzanie qui
sont aujourdhui les plus nombreux.
M. Régis du Vignaux sest interrogé sur la pérennité des
résultats obtenus grâce à leurs efforts. Il a estimé quelle dépendra
essentiellement dune part de la transformation intérieure, personnelle, des esprits
et quà ce titre lEglise du Rwanda avait une part de responsabilité
essentielle, dautre part, de lémergence dune solution politique à long
terme. M. Régis du Vignaux a souligné que laction humanitaire naboutit
par elle-même à aucune solution car celle-ci ne peut être que politique.
Il sest ensuite efforcé de faire la balance entre les aspects
positifs et négatifs de lattitude des Eglises. Il a estimé que la responsabilité
des Eglises anciennes était évidente car elles nont pas cherché à susciter un
consensus interethnique durant toute la période allant de 1960 à 1990. Certains
personnels des églises ont été responsables dexcès, dans leur parole à
lévidence, dans leurs actes parfois.
Il a toutefois indiqué quil avait reçu de nombreux témoignages
selon lesquels certains membres de lEglise du Rwanda ont contribué à protéger des
victimes en 1994.
Un autre signe encourageant est lengagement de nombreuses
personnes dans une " pastorale ", comme lon dit en termes
dEglise, cest-à-dire dans une démarche fondée sur la reconnaissance des
responsabilités individuelles et devant déboucher sur un rapprochement avec autrui. Des
résultats existent, même sils demeurent discrets.
M. Michel Roy a souligné limportance de
linfluence de la crise du Burundi en octobre 1993 sur le comportement des forces
armées rwandaises et de ceux qui les dirigeaient.
En juin 1993, M. Ndadaye est élu président du Burundi. En
octobre, a lieu un coup dEtat militaire au cours duquel le Président est
assassiné. Suite à ces événements, de nombreux Tutsis sont massacrés par les Hutus.
Il semblerait que lhypothèse de lassassinat du président ait été
envisagée par les dirigeants hutus, ainsi que le type de réactions à organiser
immédiatement si cela se produisait, cest-à-dire le massacre des Tutsis.
Larmée burundaise, tutsie à 100 %, a ensuite déclenché une répression
féroce jusquen décembre 1993.
M. Michel Roy a estimé que la façon dont les accords
dArusha ont commencé à être mis en oeuvre a également contribué à créer une
zizanie institutionnelle entre les partis qui ont dû partager le pouvoir, ce qui a permis
aux plus extrémistes de préparer la suite.
Il a lu à la mission des extraits dun rapport dun de ses
collègues qui était présent au Rwanda en avril 1993 : " Si les
racines du mal demeurent bien le conflit Tutsi-Hutu, il ne faudrait pas sarrêter
là parce que cela arrange pas mal de gens. Il y a, en effet, un conflit
président-premier ministre et des luttes intestines au sein du gouvernement composé à
partir des cinq partis politiques, la plupart en opposition avec le président et, pour
certains, en cheville avec le FPR.
" Il y a un fossé nord-sud qui se creuse au sein même des
Hutus. Dailleurs, de nombreux Hutus menacés ou déçus rejoignent les rangs du FPR,
qui est désormais doté dune armée particulièrement disparate.
" Enfin, il y a le clivage riche-pauvre qui sest
fortement renforcé ces dernières années. La misère paysanne chasse les jeunes dans la
capitale. Des hordes de milliers denfants envahissent chaque matin Kigali gonflant
le petit peuple des enfants de la rue encore inconnu il y a cinq ans. Ils resteront.
" Que nous réserve le lendemain ? Lhorizon est
menaçant.
" Le vrai coupable apparaît bien être ces hommes au
pouvoir, indifférents aux intérêts de la nation et aux détresses des populations. Ces
gens nont plus guère de légitimité. Lexplosion pourrait-elle, dans ce
contexte, être évitée sans une intervention extérieure neutre au nom de la
justice et de la protection humanitaire ? LONU semble lunique
recours. "
M. Michel Roy a esquissé une première approche de la manière
dont les relations entre Tutsis et Hutus se reflétaient dans les mentalités. Il a
opposé le complexe de supériorité des Tutsis, minoritaires partout dans la région, au
complexe dinfériorité des Hutus, alors que ces derniers sont majoritaires. Il a
souligné combien il était difficile de pénétrer leur mode de pensée parce que le
Kirundi et le Kinyarwanda sont des langues dans lesquelles on sexprime beaucoup par
allusion, jamais directement. Les choses ne sont jamais dites clairement, en face.
Il a considéré que ce complexe dinfériorité ressenti par les
Hutus, largement manipulé par les extrémistes, est une des explications de leur volonté
dexterminer le peuple tutsi.
M. Michel Roy a distingué quatre types de comportements chez les
responsables chrétiens rwandais au cours des massacres de 1994.
Premièrement, une minorité sest opposée à ces massacres,
assumant le risque de mort. Cette minorité a le plus souvent été elle-même massacrée
et il existe des témoignages de ces actes de bravoure.
Deuxièmement, la majorité des responsables de lEglise du Rwanda
était opposée aux massacres mais sans vouloir sengager réellement, de peur des
représailles.
Troisièmement, certains religieux et religieuses, voire certains
évêques, se sont rendus complices des génocidaires par leur attitude ou leur parole.
Quatrièmement, certains, une dizaine peut-être, ont participé
activement aux massacres.
M. Michel Roy a estimé que, de 1990 à 1993, des interventions
françaises utiles ont servi à protéger des vies et quil en fut de même pour
lintervention Turquoise, même si elle a été trop tardive.
Il a comparé limpuissance de lONU avant et pendant les
événements à de la non-assistance à population en danger. Il a rappelé quen
1993, M. Gonzague de Roquefeuil écrivait : " Il y aurait bien une
solution de sagesse, la présence dune force dinterposition de lONU
dau moins 1500 soldats sur la frontière ougando-rwandaise. Elle assurerait le
déminage - cest une zone minée - et le retour des masses de paysans chez eux,
garantissant la sécurité. Le gouvernement français est favorable à cette solution car
elle est neutre; surtout, elle nest composée ni de Français, ni dAnglais, ni
de Belges.
" Malheureusement, les Etats-Unis et certains pays sy
opposent, lui préférant une force africaine, ainsi que les Anglais du fait de leur
passé colonial. Les forces du groupe observateur militaire neutre de lOUA, hélas,
nont pas la même confiance des populations que celles de lONU. "
Il a jugé que la non-intervention à Goma et Bukavu, en novembre 1996,
sassimilait à un manque de courage justifié par un manque de moyens. Le Secours
catholique avait demandé cette intervention mais il lui a été répondu quelle
était impossible et que laction de la France était paralysée.
M. Michel Roy a souligné quau Rwanda, comme ailleurs, les
interventions militaires qui nont un objectif quhumanitaire ne permettent pas
de résoudre les crises dont la nature est politique et dont les solutions le sont aussi.
Le Président Paul Quilès a demandé des précisions sur
lappréciation portée par le Secours catholique sur la nature des objectifs de
lopération Turquoise. Il a souhaité également connaître le point de vue de
MM. Michel Roy et Régis Du Vignaux sur la décision de créer une zone humanitaire
sûre dans la mesure où cette initiative a été critiqué au motif quelle
représentait un facteur de risque supplémentaire en concentrant encore davantage les
populations.
Il a souhaité savoir pourquoi lEglise catholique, dont
linfluence était si forte, na pas su jouer un rôle plus décisif
dapaisement et de médiation.
M. Régis du Vignaux a déclaré quil ne pouvait juger
lopération Turquoise sur ses objectifs, quil ignorait, mais sur ses
résultats. Dun côté, elle a permis à certains Tutsis, même si leur nombre est
limité, déchapper aux massacres. Cette attitude de protection à légard des
Tutsis a entraîné une modification très révélatrice de lattitude des
populations hutues à légard des Français car elles avaient cru au départ à un
soutien militaire de la France face au FPR. La déception a succédé à
lenthousiasme.
Mais cette intervention na pas permis de dégager de solution
politique. Elle a tout au plus permis de fixer temporairement des populations importantes
dans le sud-ouest qui se sont ensuite déversées dans la région du Kivu, lors du retrait
des troupes françaises, avec les conséquences que lon connaît.
Le résultat est donc mitigé : Turquoise était appropriée si
son but était de sauver quelques vies humaines ; elle a échoué si elle voulait,
mais cela navait pas été affiché, promouvoir une solution politique.
M. Michel Roy a regretté que lEglise nait pas
adopté une position plus ferme avant les événements de 1994. Le 11 mars 1994, une
lettre des évêques de la conférence épiscopale du Rwanda a dénoncé fermement les
fauteurs de troubles. Elle visait tout autant les soldats du FPR, les miliciens que les
forces armées rwandaises. Elle condamnait les tueries et les pillages perpétrés sous
luniforme militaire ainsi que lescalade vers la guerre civile et demandait aux
autorités politiques de prendre leurs responsabilités.
Force est de reconnaître quil ny a pas eu
dengagement suffisant de lEglise rwandaise pour essayer dinterrompre ou
simplement dempêcher les massacres. Avant le 6 avril, lEglise sest
contentée de déclarations, et uniquement de déclarations, et on sait bien que
larchevêque de Kigali était membre du parti unique du Président Habyarimana.
M. Régis du Vignaux a estimé quil fallait considérer
lEglise catholique rwandaise comme une part du peuple rwandais. Clercs, prêtres et
religieux subissaient le poids culturel de leur ethnie.
Ils ont réagi proportionnellement de manière plus favorable que le
peuple chrétien lui-même, mais il a existé parmi eux les quatre types de comportement
évoqués tout à lheure.
Aujourdhui encore, les quelque cent cinquante prêtres qui ont
survécu, soit 50 % du nombre initial, sont divisés entre Hutus et Tutsis, comme
lest le peuple rwandais. Ils ne trouvent pas de paroles fortes à dire.
Leur souci aujourdhui est de dépasser le clivage ethnique, mais
ils constatent eux-mêmes, et ils le disent, que cela leur est encore très difficile. Ils
pensent y arriver et ils y travaillent. Le plus souvent, le comportement dun prêtre
ne permet pas de distinguer sil appartient à lune ou lautre ethnie, et
cest rassurant.
M. Pierre Brana a jugé que lappartenance culturelle à
une ethnie ne pouvait justifier la transgression du commandement " Tu ne tueras
point ". Le fait que ce génocide se soit déroulé dans un pays réputé
profondément christianisé est un échec épouvantable pour lEglise du Rwanda.
Il a demandé si la notion de classe sociale, qui recoupait en partie
celle dethnie, a joué également un rôle. Il a questionné M. Michel Roy sur
son expérience au Burundi pour savoir sil avait le sentiment que la solidarité
entre ethnie, tutsie ou hutue, lemportait toujours sur la solidarité nationale,
burundaise ou rwandaise.
M. Régis du Vignaux a contesté que le peuple rwandais fût
profondément chrétien comme la prouvé son comportement qui doit être
interprété comme une démonstration par labsurde. Il a insisté sur le fait que
seule une petite minorité hutue du clergé sétait comportée de manière
abominable, quelques unités, même pas des dizaines. Il faut voir dans ce comportement
moins lexpression dune contradiction interne que la permanence de la nature
humaine chez les religieux.
Il a fait observer quil est difficile de parler dun
véritable recoupement entre ethnie et classe sociale. Certes, lethnie tutsie était
traditionnellement lethnie des élites, celle qui était la mieux éduquée, mais on
ne peut pour autant lassimiler à une classe sociale. Il existe de nombreux Tutsis
qui vivent sur les collines à côté de leurs voisins hutus, dans le même état de
pauvreté. Ils ne sen distinguent en rien, même pas par la langue, si ce nest
par lethnie. Une assimilation entre ethnie et classe sociale est donc à la fois
réductrice et simplificatrice.
M. Jacques Myard sest interrogé sur lexistence de
critères de différenciation ethnique qui ne seraient ni raciaux, ni linguistiques, ni
religieux, mais qui seraient néanmoins admis par tous.
M. Michel Roy a répondu quest tutsie une personne dont
le père est tutsi. La différenciation est liée à la filiation. Parfois, elle se voit
parce que le type physique est différent, mais pas toujours. On a conscience dune
différence, on sait que lon est différent.
M. Michel Roy a relaté lhistoire dune Tutsie ayant
recueilli des enfants de diverses ethnies, dont celle des Twa, qui est considérée comme
très " en dessous " des deux autres. Lorsquelle a donné à
manger à un enfant Twa, celui-ci est parti dans un coin avec sa nourriture et elle
la interrogé sur ce comportement. Lenfant a répondu : " Je
pars parce que je ne suis pas comme les autres. Je ne suis pas comme les enfants hutus et
tutsis, je ne peux manger avec eux. " Il ne se considérait pas vraiment
humain au même titre que les autres et il navait que quatre ans. Cela provenait
sans doute de ce quil avait vu depuis quil était tout petit. Une
différenciation similaire existe, à un moindre degré, entre les deux autres ethnies.
Il existait des familles mixtes au Rwanda, beaucoup plus quau
Burundi où la population était moins mélangée. Pendant les massacres, seuls étaient
tués les membres tutsis de la famille.
Cest la lutte pour le pouvoir qui a guidé et mené au génocide.
Ceux qui détenaient le pouvoir voulaient le conserver, les autres voulaient le reprendre.
Au sein même de lethnie hutue, ceux qui venaient du nord, dont était originaire le
Président Habyarimana, étaient avantagés. Le régime faisait donc des distinctions
selon beaucoup de critères : ethniques, régionaux, familiaux.
Un effort a véritablement été fait au Burundi pour favoriser une
intégration nationale après lindépendance. Néanmoins, la question de
lappartenance ethnique revenait régulièrement en certaines occasions. Par exemple,
en 1979 ou 1980, un Hutu a été nommé évêque de Ruyigi, ce qui a provoqué un vif
mécontentement chez les prêtres tutsis du diocèse. Ce mécontentement dure encore.
Prétendre reconstituer une nation burundaise ou rwandaise, après ce
qui sest passé, est une utopie à moins de raisonner à très long terme. Il faut
auparavant entreprendre un énorme travail de réhabilitation avant despérer y
parvenir et il faudra certainement plus dune génération.
M. René Galy-Dejean a rappelé que MM. Michel Roy et
Régis du Vignaux avaient semblé reprocher à lopération Turquoise davoir
été seulement humanitaire, sans ligne politique précise. Il leur a demandé quelle
politique aurait été la bonne à lépoque.
M. Jacques Myard a rappelé que loption humanitaire
était le plus petit dénominateur commun dintervention entre les puissances qui ont
du mal à saccorder sur des options politiques. Attendre un consensus politique
signifierait laisser se perpétuer les massacres sans intervenir.
M. Régis du Vignaux a précisé quil navait pas
reproché à lopération Turquoise de ne pas avoir doption politique mais
quil avait simplement dit que, sil en existait, il avait été incapable de la
discerner. Une opération à but exclusivement humanitaire aurait dû être mise sur pied,
non pas en juillet 1994, mais le 7 ou 8 avril 1994. Elle aurait réellement permis
larrêt des massacres.
Il a déclaré quil est incapable de définir ce quaurait
pu être la recherche dune solution politique pacifique à lépoque mais elle
aurait dû privilégier la construction dun consensus politique. Cest ce que
les accords dArusha ont essayé de faire, mais sans succès.
M. Michel Roy a rappelé par ailleurs que lONU était
présente lors des massacres et quelle na rien fait. Cest difficile pour
un pays comme la France de prétendre être le gendarme de quelque partie du monde que ce
soit, mais cest la tâche de la communauté internationale dintervenir
militairement pour défendre la paix et susciter des négociations pour que soit dégagée
une solution politique.
Après avoir rappelé que le Kosovo était exactement dans cette
situation, il a demandé si la communauté internationale avait lintention
dattendre que des réfugiés débarquent par milliers en Albanie avant de réagir.
Il a estimé que si les forces dintervention rapide, ou la force
africaine dinterposition dont on a parlé pour le Congo-Brazzaville, sont sans doute
faciles à mettre en place, la décision politique de les faire intervenir au bon moment
reste un point dinterrogation et que cest sur ce sujet quil faut
travailler.
M. Bernard Cazeneuve a rappelé que lon adresse des
critiques à la France pour lopération Turquoise, quelle a conduit quasiment
seule parce que personne ne voulait sengager, mais que nul ne reproche aux
Etats-Unis, qui jouent pourtant un rôle déterminant dans lengagement des
opérations de lONU, de ne pas avoir, à lépoque, pris leurs responsabilités
et de ne pas avoir poussé à la création dune force internationale,
éventuellement dinterposition, dans les semaines qui ont suivi lattentat
contre lavion du Président. Il a demandé à MM. Michel Roy et Régis du
Vignaux comment ils analysaient cette différenciation des critiques.
M. Jean-Claude Sandrier a souligné limportance de la
période qui va de la signature des accords dArusha à avril 1994 et la
contradiction quil y avait à espérer une solution politique dans une telle
situation de crise. Il a remarqué que les forces françaises partaient, alors même que
les attentats contre des personnalités importantes se multipliaient. Il sest
demandé comment il aurait été possible darrêter lengrenage.
M. Régis du Vignaux a estimé quil avait dans ce genre
daffaires une vision " à ras du sol " et quil ne savait
pas déceler les mobiles politiques des grandes puissances, préférant sattacher à
alléger sur le terrain le malheur des uns et des autres.
Les forces françaises ont été accueillies à bras ouverts par les
populations de la zone Turquoise parce que celles-ci pensaient quelles allaient les
protéger et apporter une solution militaire, et donc politique, à leurs problèmes.
Puis, ces populations ont "déchanté " quand elles se sont aperçues de
leur erreur. Le but de Turquoise était peut-être uniquement humanitaire, nul ne le sait,
pas plus quil nest possible de discerner le rôle des Etats-Unis. Ce
nest pas le contact sur le terrain avec des gens dans le malheur qui permet de dire
ce que lon aurait pu faire entre les accords dArusha et avril 1994. Il est
possible en revanche de témoigner quune part importante de la population souhaitait
un accord qui aboutisse à une solution. La radicalisation nest pas venue de la
masse mais dune élite qui a agi ainsi pour protéger son pouvoir.
A lévidence, dans lun comme dans lautre camp, il y
avait des gens qui ne croyaient pas aux accords dArusha et qui peut-être même ne
voulaient pas que cela aboutisse. La radicalisation de la position des uns et des autres a
été particulièrement visible au début de lannée 1994. Les appels au massacre se
multipliaient de la part des extrémistes des partis. On aurait pu alors exercer plus de
pressions pour que les accords dArusha soient mieux appliqués. On allait dans le
bon sens, mais on nest peut-être pas allé assez loin.
M. Jean-Bernard Raimond a rappelé la nécessité
dobtenir une couverture juridique de la part du Conseil de sécurité avant toute
intervention et a précisé que cest à lui de définir les objectifs politiques. Il
a par ailleurs insisté sur la supériorité dun commandement national par rapport
à un commandement de lONU pour toute intervention extérieure. Cela a été
démontré en Bosnie par les américains à partir de 1995 ; cest la raison
pour laquelle également lopération Turquoise a pu obtenir des résultats positifs
alors même quelle était contestée parce que la France y était allée seule.
M. Jacques Myard a demandé si la seule solution pour
rétablir la paix entre les deux ethnies, les deux communautés, ne consisterait pas à
les répartir chacune dans un Etat.
M. Michel Roy a répondu quil nétait pas possible
de séparer les ethnies. Elles ont la même langue, la même culture, la même terre. Il y
a une telle imbrication entre les deux quon ne peut les séparer. Il existe, par
tradition, une complémentarité socio-économique entre elles. Elles sont forcées de
vivre ensemble. On ne peut les déplacer chacune dans un pays. Cest impossible. Pour
construire une nation, la seule solution viable, même si cest idéaliste et
utopique, cest davoir du temps et la volonté de créer une véritable
égalité entre les différentes ethnies.
Lassassinat de M. Ndadaye au Burundi a été provoqué par
la crainte des militaires de se voir confisquer le pouvoir quils détenaient en tant
quarmée mono-ethnique. A lépoque où M. Michel Roy était présent, il
y avait très clairement une préférence ethnique en faveur des tutsis pour
linscription dans les lycées et cétait tous ces privilèges qui étaient
menacés. La construction dune Nation passe par un travail dans le sens de
légalité. Il y faut du temps, mais cest la seule solution. La séparation
des ethnies nen est pas une.
M. Régis du Vignaux a déclaré partager totalement ce
sentiment et a fourni un nouvel argument. Tant les Tutsis, même de haute classe sociale,
que les Hutus, sont très attachés à leur terre dorigine avec laquelle ils
entretiennent des liens très forts. Séparer ces gens et leur dire quils vont vivre
les uns dun côté, les autres de lautre, serait tellement contre nature que
cela ne pourrait quengendrer des idées de retour chez beaucoup dentre eux.
M. René Galy-Dejean a comparé le sort des Tutsis et des
Hutus, condamnés à vivre ensemble sans pouvoir cohabiter pacifiquement, à une sorte de
malédiction divine au sens grec du terme. Il a déclaré que lanalyse de
MM. Michel Roy et Régis du Vignaux le rendait très pessimiste pour lavenir.
M. Michel Roy a déclaré quil ne croyait pas à
linéluctable et quil existait dans ces pays des facteurs positifs et des gens
qui sont conscients que la seule solution est celle du rapprochement. Les conflits
récents sont dus tout autant à la volonté de prendre le pouvoir que daffirmer la
supériorité dune ethnie sur lautre. Il ne faut pas oublier que les luttes
passées entre Hutus du nord et Hutus du sud étaient aussi violentes que celles
présentes entre Hutus et Tutsis.
Il a estimé quil ne fallait pas avoir de vision pessimiste. Les
événements depuis trente ou quarante ans ont aggravé la situation en allant presque
tous dans le mauvais sens, jusquà cette immense catastrophe de 1994. Il faut
renverser le sens de la marche. Il nest pas inéluctable que les ethnies se
massacrent entre elles tous les dix ans. Il y a dautres solutions et les
responsables de lEglise du Rwanda et du Burundi y travaillent, même si elles
doivent dabord faire disparaître leurs propres contradictions internes pour ensuite
éliminer celles qui sont dans lesprit des autres. En attendant, il faut installer
un système politique qui permette une cohabitation.
Audition de Mme Alison DES FORGES
Consultante pour Human Rights Watch, professeur dhistoire
dAfrique
(séance du 16 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli Mme Alison Des Forges,
professeur spécialiste de lAfrique, quil a remercié davoir accepté de
venir de New York pour sexprimer devant la mission dinformation. Il a rappelé
que Mme Alison Des Forges, également consultante pour lassociation Human
Rights Watch, avait plus particulièrement fait porter sa réflexion sur le génocide
rwandais, ses origines, son déroulement et lattitude à son égard par la
communauté internationale et quelle avait de même étudié les déplacements de
populations provoqués par des affrontements au sein de la société rwandaise.
Mme Alison Des Forges a remercié le Président Paul Quilès de
lavoir invitée à venir exposer ses idées et sest félicitée, en tant que
citoyenne américaine, de la constitution de la mission dinformation. Elle a estimé
que les députés français avaient montré le chemin et a indiqué quaux Etats-Unis
lassociation Human Rights Watch essayait dobtenir louverture dune
enquête sur le comportement du gouvernement américain pendant le génocide. Elle a jugé
que le fait que la décision dentreprendre des enquêtes parlementaires ait été
prise en France et en Belgique donnait plus de force aux associations américaines pour
faire pression sur leurs représentants. Elle sest également réjouie de la
possibilité qui est offerte à la mission dinformation de clarifier certaines
données relatives au comportement du gouvernement américain ; elle doit avoir
accès à plus dinformations sur ce sujet que nimporte quel citoyen ou
organisation non-gouvernementale et elle doit les publier. Elle a fait observer que des
reproches graves avaient été formulés à lencontre des Etats-Unis par
lassociation Human Rights Watch ainsi que par la FIDH, qui ont toutes deux publié
des commentaires très critiques et sévères sur le comportement du gouvernement
américain. Elle a insisté sur la nécessité de disposer de données fiables et
détaillées en ce domaine et a cité lexemple des obstacles mis par les Etats-Unis
aux actions militaires de lONU, en indiquant quil fallait étayer ce type
dargument par des preuves, sans quoi il est difficile de parvenir à la vérité et
à lobjectivité.
Elle a indiqué que les données quelle allait présenter
étaient le résultat dune recherche conduite depuis trois ans sur le terrain par
une équipe de chercheurs de la FIDH et de lassociation Human Rights Watch et
quil sagissait dun projet commun dentretiens avec des personnes
ayant été la cible dassassinats mais qui avaient survécu, qui avaient tué ou qui
avaient dirigé les tueries, qui avaient sauvé des vies ou qui avaient assisté aux
massacres en essayant de ne pas voir. Elle a également mentionné comme sources de ses
recherches des documents administratifs officiels trouvés dans les préfectures et les
communes, qui avaient été traduits et analysés ainsi que des entretiens avec des
diplomates et des représentants de lONU.
Mme Alison Des Forges a estimé que le génocide nétait pas
inévitable et quil aurait pu être arrêté à son début. Ce ne fut ni un orage ni
une tempête ni le résultat de forces historiques impersonnelles, mais le fruit
dune décision politique prise par des hommes politiques qui voulaient garder le
pouvoir. Au départ, la stratégie -sauf peut-être dans la tête des plus extrémistes-
nétait pas celle dun génocide, mais plutôt une stratégie visant à attiser
les haines ethniques et à en jouer à un moment où le Président Habyarimana commençait
à se sentir en difficulté.
Mme Alison Des Forges a fait observer quil fallait nettement
distinguer les différents cercles politiques qui sétaient constitués autour du
pouvoir, à commencer par celui du Président Habyarimana, appelé lAkazu, du peuple
hutu en tant que tel. Certes, ces hommes politiques étaient des Hutus, mais lon ne
pouvait pas dire que le fait dêtre Hutu équivalait à représenter 80 % de la
population. Il sagissait en effet dun régime à la base assez restreinte,
qui, après vingt ans au pouvoir, était devenu de plus en plus concerné par ses
intérêts propres et qui sentait monter lopposition intérieure, en même temps
quintervenait une attaque extérieure.
Le régime a donc profité de la guerre pour essayer darrêter
leffondrement de sa base politique intérieure et de mobiliser la masse populaire
contre lennemi tutsi. Pour rendre plus fort et plus réel ce sentiment dune
menace venant de lintérieur même du pays, les dirigeants rwandais ont décidé de
sattaquer aux Tutsis de lintérieur, les accusant dêtre des
" Ibyitso ", des complices des attaquants de lextérieur. Ils
espéraient de cette façon sattirer le soutien de lensemble de la population
hutue.
Mme Alison Des Forges a estimé que cette stratégie
dincitation à la haine poussée à un tel degré avait été de toute évidence une
entreprise difficile. En effet, dune part, il existait de nombreux liens entre Hutus
et Tutsis ; dautre part, il y avait des divisions importantes au sein des
Hutus. Ce " travail dethnicisation " passait donc par
lexclusion des Tutsis et la réduction des causes de division entre Hutus. La grande
crainte de lentourage du Président Habyarimana était que certains opposants hutus
puissent sallier aux Tutsis et tout a été fait pour éviter cette alliance.
Lannée 1993 sest révélée particulièrement propice. La
guerre était devenue une menace des plus sérieuses après lattaque menée par le
FPR en février et la peur de beaucoup de Rwandais rendit plus facile laction du
régime. En outre, les accords dArusha, intervenus cette même année, effrayèrent
de nombreux Hutus, même parmi ceux qui nétaient pas proches du gouvernement. On
commençait à sinterroger sur les intentions du FPR, surtout après le succès
militaire du mois de février. Enfin, au cours de cette même année, lassassinat du
Président Ndadaye du Burundi, finit de persuader un certain nombre de Hutus que les
Tutsis nétaient pas des gens fiables avec lesquels il était possible de conclure
des arrangements politiques.
De surcroît, le fait que la communauté internationale nait pas
réagi aux massacres qui ont suivi lassassinat du Président burundais, alors que
ces tueries avaient concerné entre 20 000 et 30 000 personnes, a conforté
les extrémistes dans lidée de perpétrer des massacres équivalents au Rwanda,
sans plus de conséquences quau Burundi.
En même temps que progressait cette attitude qui conduisait les Hutu
rwandais à adhérer à la nouvelle idéologie du " Hutu Power " et
que lon assistait à une forte ethnicisation de la vie politique regroupant les
Hutus dun côté et les Tutsis dun autre, il y eut dimportantes
évolutions dans lencadrement de la population. Les dirigeants hutus se sont mis à
faire évoluer le système des milices, distribuer des armes, planifier un système de
forces dautodéfense civiles, les milices nétant pas tout à fait adaptées
à cette tâche. Les milices étaient, dans un premier temps, des instruments de violence
politique dans les luttes entre les partis. Or, pour créer une unité hutue contre les
Tutsis, il fallait une organisation dépassant les partis, sous peine dêtre
traversée par des divisions importantes. Au lieu de se fier aux seules milices, les
pouvoirs publics rwandais ont alors développé un système susceptible de fonctionner
dans un cadre administratif, et non dans un cadre politique, fondé sur un réseau de
responsables, par secteur, et non par parti politique. Il sagissait là dune
évolution très importante, qui permettait datteindre la population dans tout le
pays.
Mme Alison Des Forges a rappelé que le parti du Président
Habyarimana était en train de perdre le pouvoir, comme lavaient illustré les
quasi-élections de lannée 1993, le MDR ayant obtenu davantage de bourgmestres
élus que le MRND. Il est donc compréhensible que le MRND, parti au pouvoir, ait voulu
trouver un moyen de ramener à lui les électeurs du MDR et du PSD, en les attirant dans
dautres structures que celles des partis politiques. Cette organisation
nétait pas encore prête le 6 avril. Dans le centre du pays, région du MDR,
bien que de nombreuses personnes aient accepté lidéologie du Hutu Power, les
organisateurs et les planificateurs nétaient cependant pas certains que les gens
seraient prêts à mettre leurs idées en oeuvre. Dans dautres régions, dans le
sud, vers Butare, par exemple, et même vers Kibungo à lest, beaucoup
navaient accepté ni lidéologie du Hutu Power ni limplantation de la
nouvelle organisation.
Dans ce contexte, Mme Alison Des Forges a estimé quil
était fort possible que les extrémistes aient perpétré lattentat contre
lavion présidentiel. Cétait leur dernière chance daccéder au
pouvoir, après laccord donné par le Président Habyarimana de mettre en place le
nouveau gouvernement, ce qui leur faisait perdre le contrôle stratégique du ministère
de lintérieur sans lequel il nétait plus possible dutiliser les cadres
administratifs pour mobiliser la population. De même, cet accord signifiait pour certains
cadres militaires la perte immédiate de leur place et leur mise à la retraite.
Mme Alison Des Forges a toutefois précisé quelle ne disposait daucune
source confidentielle sur cette question, mais quelle voulait simplement soumettre
aux membres de la mission lidée que les extrémistes étaient contraints
dagir même sils nétaient pas tout à fait prêts. Elle a cependant
ajouté quil était tout aussi possible que ce soit le FPR qui ait commis
lattentat et a souligné tout lintérêt quaurait la publication de
données militaires indiquant que le FPR avait déjà donné des ordres de marche le matin
du 6 avril.
Mme Alison Des Forges a indiqué quaprès lattentat,
les massacres avaient été déclenchés par un groupe très restreint qui avait
décapité le gouvernement légitime pour pouvoir prendre le pouvoir. Ce groupe, qui
pouvait compter sur la garde présidentielle, soit 1 200 soldats, quelques
centaines de soldats réguliers et peut-être 2 000 miliciens environ, ne
disposait pas encore de lappui du reste du système militaire, ni du système
administratif, ni de certains partis politiques importants comme le MDR. Au cours des
premiers jours -les 7, 8 et 9 avril-, ce groupe a procédé à un recrutement
intensif, en commençant par les militaires. Mais certains dentre eux, hostiles à
ce mouvement, ont refusé le Colonel Théoneste Bagosora comme Chef dEtat qui a
alors décidé de créer un gouvernement fantoche. Mme Alison Des Forges a déclaré
que, parmi les militaires opposés aux tueries, deux ou trois lui avaient dit quils
avaient fait appel à la France, à la Belgique et aux Etats-Unis, mais que, sans réponse
ni encouragement, ils navaient pas osé sorganiser pour sopposer à la
force que constituaient les auteurs du génocide.
Composée de gens convaincus et organisés, la force responsable du
génocide a pu donner limpression dêtre beaucoup plus nombreuse quelle
ne létait en réalité. Elle disposait de collaborateurs au nord-ouest, à Gisenyi,
au sud-ouest à Cyangugu, au sud-centre, à Gikongoro, et à lest, à Kibungo. En
plusieurs endroits, elle avait agi tout de suite, quelques heures après lattentat.
Mais dans le reste du pays, tout était toujours calme. Après avoir reçu laccord,
peut-être passif, des structures militaires, elle a eu laccord de la structure
administrative.
Mme Alison Des Forges a mis en évidence lindifférence
internationale en soulignant dune part, que les soldats de lONU
sétaient retirés dans leurs casernes sur ordre de lorganisation,
dautre part, que les forces dévacuation, venues rechercher leurs
ressortissants, étaient reparties immédiatement. Elle a estimé que les extrémistes
hutus avaient ainsi pu bénéficier dun soutien militaire à lintérieur et
dun accord passif à lextérieur, et quils avaient disposé de la
structure administrative du pays et de laide de partisans des différents partis et
que la fin de la semaine -les 15 et 16 avril- avait été marquée par
lemploi de la force contre les opposants aux massacres. Une fois remplacés le chef
détat-major et deux préfets, les miliciens sattaquèrent aux îlots de
résistance et des annonces à la radio ciblèrent ceux qui étaient en train de
résister. Cette stratégie avait abouti au contrôle de la quasi-totalité du système
administratif, militaire et politique et avait donné à leurs auteurs la possibilité
dentrer en contact avec nimporte qui dans le pays, sans pour autant leur
donner la certitude dobtenir la participation de tous. Mme Alison Des Forges a
à ce propos distingué entre la possibilité qua une administration de toucher les
gens et de leur donner des ordres et la décision de la population daccepter ces
ordres. Pour chacun, ce fut une décision individuelle que de prendre sa machette. Chaque
jour, chaque matin, certains ont dû décider jusquà quel point ils allaient
collaborer et il y a eu des différences dattitude très marquées, certaines
personnes ayant été plus ou moins protégées par la communauté.
Les détenteurs du pouvoir ont, bien sûr, commencé par cibler les
personnes les plus faciles à attaquer, celles qui avaient des liens évidents avec le FPR
ou celles qui étaient supposées en avoir, comme, par exemple, les jeunes gens partis
suivre une formation politique. Puis, la population a été amenée à prendre des
décisions de plus en plus dures, au point daccepter de tuer les personnes âgées,
les enfants en bas âge, les femmes, qui, habituellement, étaient toujours protégés
lors de tels conflits. Cest par une campagne intensive de propagande de la radio
RTLM que les détenteurs du pouvoir purent mobiliser la population.
Mme Alison Des Forges a estimé que ses recherches avaient en
outre montré comment ces derniers avaient pu donner un caractère probant à leurs
mensonges en procédant à de véritables mises en scène avec force détails pour
convaincre la population et lui inculquer la peur des Tutsis en répandant des propos tels
que : " pourquoi a-t-on trouvé des armes derrière la
cathédrale de Kibongo ? Pourquoi a-t-on trouvé dans la maison dun tel des
plans de partage des terrains et des champs de tous les Hutus dans la commune de Ngoma à
Butare ? Pourquoi a-t-on trouvé des listes de Hutus à tuer ? Pourquoi les
Tutsis, qui se disent des réfugiés, font-ils des attaques pour tuer nos
militaires ? "
Mme Alison Des Forges a fortement insisté sur la peur que suscite
une telle attitude lorsquelle est affichée par des autorités que lon croit
légitimes et a souligné que le caractère convaincant de cette propagande venait
essentiellement de la légitimité attribuée aux autorités qui la répandaient.
Elle a rappelé que sils craignaient le FPR, les citoyens
ordinaires, les responsables de ladministration territoriale et ceux qui ont voulu
empêcher les tueries ont eu aussi peur des autorités elles-mêmes, des militaires, des
policiers, des gendarmes ayant été, dès le début, employés contre ceux qui
résistaient. Les militaires ont circulé sur les pistes pour dire aux gens quil
fallait tuer, quil fallait quils sorganisent, sans quoi ils
reviendraient les voir. De plus, les récompenses accordées pouvaient avoir une grande
influence, surtout pour des jeunes sans emploi : on leur donnait à manger, des
vaches, de la bière, des vêtements. On offrait à la population ordinaire. la
possibilité de piller. Dans une société dune pauvreté extrême, le fait de
pouvoir voler une fenêtre ou une porte représente quelque chose de très important. Et
surtout, on donnait aux cultivateurs, dans une société où il ny a jamais assez de
terre, la possibilité de disposer des champs des Tutsis tués, ce qui constituait une
forte récompense. A lélite, on offrait des voitures, des boutiques, des
ordinateurs, des postes de télévision.
Certains ont accepté tout de suite de participer. Il était facile de
recruter ceux qui étaient pauvres ou qui nourrissaient une haine très forte contre les
Tutsis. Pour dautres, cétait plus compliqué, doù le phénomène
notable de ces personnes qui, à la fois, sauvent des Tutsis et en tuent dautres.
Quand on sinterroge sur le fait de savoir sil est encore possible de créer
une Nation après de tels événements, il faut se rappeler que même certains meneurs du
génocide avaient des liens si forts avec des Tutsis quils en ont sauvé quelques
uns, ce quils essaient dailleurs aujourdhui de faire valoir pour se
disculper.
Mme Alison Des Forges a indiqué quà la fin du mois
davril, il y a eu un effort de prétendue pacification, le Gouvernement ayant
déclaré que tout était fini et que ceux qui se cachaient pouvaient sortir. De la part
de certains membres du gouvernement, il sagissait probablement dun piège pour
faire sortir les Tutsis et les tuer, mais il est aussi vrai que les autorités
commençaient à perdre le contrôle de la situation et que les assassins agissaient à
leur gré, notamment en tuant dautres Hutus. Dautres avaient, en outre, permis
à des Tutsis déchapper aux massacres, soit pour de largent, soit,
lorsquil sagissait de femmes, parce quelles avaient accepté
daccorder des services sexuels.
A la mi-mai, alors que la situation devenait plus difficile pour le
Gouvernement, les extrémistes ont relancé une politique de massacres généralisés et
fait rechercher tous les Tutsis qui pouvaient être encore en vie. Cest à ce moment
quils ont tué les femmes -les femmes tutsies de Hutus surtout-, qui jusque là
avaient été sauvées, et les enfants, et quils ont entrepris un ratissage intensif
pour trouver leurs victimes.
Mme Alison Des Forges a souligné limportance du rôle des
militaires dans ces événements. On se représente communément le génocide comme un
acte commis par des civils, avec leur machette. Si cette représentation correspond en
partie à la réalité, il convient cependant de ne pas oublier quavec chaque civil
il y avait un soldat. Lors de chaque massacre important, des militaires commençaient avec
des grenades, des mitrailleuses et même avec lartillerie. Mme Alison Des
Forges a récusé le propos de lAmiral Jacques Lanxade, selon lequel il
nétait pas possible de rejeter la faute sur la France ou dautres pays, sous
prétexte quil sagissait dun génocide commis avec des machettes ou des
gourdins. Si ces machettes et ces gourdins ont eu un effet si terrible, cest parce
que les attaques ont été préalablement lancées avec des armes à feu. Cependant, à la
suite des défaites militaires et des premières condamnations internationales, le
Gouvernement a perdu beaucoup de son autorité. En outre, les gens qui avaient eu le droit
de tuer commencèrent à sentre-tuer. Enfin, une grande partie de la population
avait fui et on commençait à refuser de faire des patrouilles pour garder les
barrières. Seul restait un noyau dur, qui essaya de tout achever.
La victoire du FPR mit fin au génocide. Mme Alison Des Forges a
fait observer à ce propos que, pour ce qui concerne lattitude du FPR, ses
recherches, pourtant minimes, indiquaient que ses troupes avaient commis dimportants
crimes contre lhumanité. Sil ne sagissait pas dun génocide,
certaines de ces opérations militaires avaient violé le droit international.
Evoquant lattitude de la communauté internationale avant le
génocide, Mme Alison Des Forges a rappelé quelle avait encouragé le
Président Habyarimana et dautres leaders politiques à progresser vers la
démocratie, mais quen même temps des pratiques totalement antidémocratiques comme
lusage des cartes didentité ethniques avaient été tolérées, ce qui
revenait à accepter que soit pratiquée une nette discrimination contre les Tutsis.
Après octobre 1990, la communauté internationale avait, en outre, toléré la violence
politique et ethnique, les nombreux massacres de Tutsis nayant pas provoqué de
réaction adaptée.
Mme Alison Des Forges a cité, dans ce contexte, la remarque
dun fonctionnaire français, faite le 31 mars 1993, quelques semaines après la
publication du rapport de la commission internationale denquête sur les violations
des droits de lhomme au Rwanda : " en dehors des zones de combat
militaire, les exactions étaient à un niveau très acceptable ". Or,
Mme Alison Des Forges a rappelé que, daprès le Ministre James Gasana entendu
par la mission le 10 juin 1998, il y avait eu des agents français au centre de
documentation, endroit bien connu de tous les activistes des droits de lhomme pour
être le lieu de torture de la gendarmerie et de la police rwandaise.
Cest en 1992-1993 que la communauté internationale sest
rendu compte quil fallait tout de même trouver une solution diplomatique ou
politique à la guerre. Le succès militaire assez dramatique du FPR au mois de février
1993 avait beaucoup aidé à faire progresser cette idée. Mme Alison Des Forges a
évoqué un entretien quelle avait eu avec M. Bruno Delaye au mois de décembre
1993 au cours duquel ce dernier avait fait valoir que lon était très satisfait en
France dêtre quitte du Rwanda parce quon avait la quasi-certitude que cela
allait mal tourner. Il semblerait que cette conviction ait été partagée en France et
Mme Alison Des Forges a indiqué quau mois de janvier 1993, une analyse avait
été faite par des fonctionnaires du ministère de la Défense montrant quen cas
dun nouveau conflit au Rwanda, des pertes sérieuses en vies humaines étaient à
craindre. De même, une étude de la CIA du mois de janvier 1994 indiquait également la
possibilité de violences au Rwanda et, avec une exactitude assez étonnante, estimait
que, dans le pire des cas, celles-ci pourraient conduire à des pertes de lordre
dun demi-million de vies humaines. Au mois de février 1994, une correspondance
entre certains diplomates belges et les représentants de la Belgique à lONU
faisait état dune menace de génocide et concluait à la nécessité de renforcer
et délargir le mandat de la MINUAR.
Mme Alison Des Forges a souhaité sarrêter sur la création
de la MINUAR ainsi que sur les ressources et les forces mises à sa disposition. Elle a
estimé étonnant que Français et Américains aient déployé tant defforts pour
obliger les deux parties à conclure les accords dArusha, mais que, lorsquil
sétait agi de constituer la MINUAR, les Américains aient milité pour une
limitation de ses effectifs en proposant 500 hommes alors que les experts militaires
en demandaient 8 000. Avec leffectif de 2 500 hommes, obtenu à titre
de compromis, il a fallu réduire le mandat de la force et limiter la portée des
engagements qui figuraient dans les accords dArusha. Au total, ces forces
nétaient pas suffisantes pour accomplir la mission qui leur était assignée.
Une fois la MINUAR mise sur pied, il y eut de nombreux avertissements.
Le fameux télégramme du 11 janvier nen était quun parmi une longue
série entre les mois de novembre 1993 et avril 1994. Ces avertissements neurent
cependant aucun retentissement, non quils ne furent pas entendus, mais les
Etats-Unis et le Royaume-Uni déclarèrent quil nétait pas question de
renforcer le mandat ni les effectifs. Il fut plutôt procédé à de petits
changements : le second groupe de soldats fut envoyé plus vite et certains
militaires furent déplacés de la zone démilitarisée vers la capitale. Le Général
Romeo Dallaire avait pourtant averti, dès le mois de février, que si lon
continuait avec de tels effectifs, la MINUAR serait tout à fait inefficace et quil
ne pourrait rien faire. Mme Alison Des Forges a affirmé quil aurait été
possible darrêter le génocide dès son commencement. Elle a insisté sur le fait
que les responsables du génocide étaient en nombre limité mais contrôlaient une
structure très centralisée et a indiqué que lestimation fournie par Général
Philippe Mercier selon laquelle une troupe de 40 000 soldats aurait été
nécessaire pour les neutraliser rejoignait celle faite par un général américain en mai
1998.
Mme Alison Des Forges a toutefois estimé quun tel effectif
nétait pas nécessaire, sauf à envisager une action militaire partout dans le
pays, au même moment, ce qui nétait pas nécessaire. Au début, il y avait dans la
capitale à peu près 7 000 hommes de larmée gouvernementale et
1 000 hommes du FPR, qui, avec cet effectif, avait réussi à tenir ses
adversaires à distance. Le FPR pensait quavec 900 hommes, il pourrait arrêter
les tueries. Il a donc, le dimanche 10 avril, suggéré à la MINUAR et à certains
militaires gouvernementaux de créer une force composée de 300 hommes appartenant à
ses rangs, 300 de larmée gouvernementale et 300 de la MINUAR pour faire cesser
les massacres. Le Colonel Marchal, qui était sur place, a également dit quà son
avis, il aurait été possible à ce moment-là darrêter les massacres en
réunissant les forces dévacuation et les forces de la MINUAR, ce qua
confirmé le Général Christian Quesnot devant la mission. Mme Alison Des Forges a
jugé quil serait nécessaire de connaître les détails de cet épisode pour savoir
qui avait fait cette suggestion de réunion des forces, qui lavait refusé et quand.
Elle a rappelé que le Général Romeo Dallaire nétait pas enthousiaste à
lidée dune force conjointe avec les forces dévacuation, estimant que,
logistiquement, elle serait difficile à mettre en oeuvre, mais quil avait
également dit que si on lui avait envoyé 1 800 hommes supplémentaires, il
aurait pu agir avec les forces de la MINUAR. Mme Alison Des Forges a fait observer
que toutes ces solutions avaient été refusées par les uns ou par les autres, sur place
et aussi au siège des Nations Unies à New York.
Sur place, 2 000 personnes furent ainsi laissées sans
protection à la suite du retrait dune centaine de soldats belges. Deux jours plus
tard, à New York, il fut discuté pendant trois jours de la possibilité de retirer
complètement toutes les troupes de la MINUAR, discussions dont la Belgique porte la
responsabilité à lextérieur du Conseil de sécurité, les Etats-Unis portant pour
leur part cette responsabilité à lintérieur du Conseil puisquils ont
soutenu cette idée du retrait.
Mme Alison Des Forges a rappelé que cétait le Nigeria qui,
avec les pays non alignés, avait fait le contrepoids. Elle a estimé que, même sans
examiner léventualité dune intervention militaire, la communauté
internationale aurait pu mener dautres actions qui nauraient rien coûté,
mais qui auraient pu influencer de façon importante la suite des événements. Elle
sest demandée pourquoi la France, les Etats-Unis, la Belgique et toute la
communauté internationale navaient pas conjointement condamné ce qui se passait au
Rwanda, pourquoi lengagement de ne plus donner dargent à un gouvernement
établi sur la base dun génocide navait pas été pris. Au Rwanda,
lassistance internationale avait un tel poids quelle était dune
influence capitale, même au niveau des communes. Les bourgmestres eux-mêmes avaient la
possibilité de négocier avec les missions de coopération des pays développés. Une
position internationale claire déclarant quun gouvernement responsable dactes
de génocide était condamné à léchec, naurait-elle pas facilité des actes
de résistance et de courage de la part de personnes qui se seraient rendu compte
quil sagissait dune aventure sans issue.
Mme Alison Des Forges a estimé que la participation générale de
la communauté internationale à cette mascarade de légitimité avait beaucoup aidé les
autorités à commettre le génocide. Sans envoyer de soldats, la communauté
internationale aurait pu également mener par exemple des actions pour interrompre la
radio RTLM, sachant que de très nombreux Rwandais lécoutaient.
Sagissant du rôle de la France, Mme Alison Des Forges a
insisté sur limportance que revêtait le fait davoir reçu à Paris, avec
tous les honneurs, lun des pires représentants dun gouvernement responsable
de génocide. Elle a également indiqué que la livraison darmes avait représenté
un encouragement. Elle a attiré lattention des membres de la mission sur une lettre
dans laquelle un militaire rwandais, Rwabalinda, faisant le rapport dune mission à
Paris, du 9 au 13 mai, indique à ses supérieurs que le Général Jean-Pierre Huchon lui
avait annoncé que des téléphones pour des communications secrètes avaient déjà été
envoyés dOstende, que les Français étaient prêts à apporter leur aide mais
quil fallait faire des efforts pour améliorer limage du Rwanda dans le monde,
la France ne pouvant aider un pays nettement condamné par les autres. Mme Alison Des
Forges a estimé que le message, tel quil était rédigé, ne faisait pas état de
la nécessité darrêter les tueries, mais de cacher les tueries. Elle a indiqué en
outre que, deux jours plus tard, juste après la mission de M. Rwabalinda, des
annonces avaient été faites sur la radio RTLM, dont des citations ont été publiées
dans le livre du professeur Jean-Pierre Chrétien, et dont la teneur était la
suivante : " nos amis, les Français vont nous aider mais ils nous ont
conseillé de ne pas montrer un comportement si désagréable ". Aussi la
radio RTLM avait-elle dit quil ne fallait pas de cadavres sur les routes, quil
valait mieux les cacher dans les bananeraies.
Mme Alison Des Forges a également déclaré quelle avait
trouvé dans les procès-verbaux des réunions de la commune de Bwakira à louest du
Rwanda des indications selon lesquelles le bourgmestre avait reçu un message de ses
autorités de tutelle affirmant que les Etats-Unis naccepteraient de reconnaître le
Gouvernement intérimaire que si les tueries cessaient. Elle a conclu son propos en
estimant que si les voix si timides des pays occidentaux avaient pu avoir un tel
résultat, leurs protestations auraient pu avoir un tout autre effet sils avaient
crié à haute voix.
Le Président Paul Quilès a demandé à Mme Alison Des Forges
si elle estimait que lapplication effective des accords dArusha aurait permis
dempêcher les massacres, même si elle pensait que le génocide avait été
largement planifié. Evoquant les mises en scène destinées à créer la peur et la haine
à légard des Tutsis, le Président Paul Quilès a voulu savoir à quel moment et
qui en avait décidé.
Il a ensuite fait référence aux analyses de Mme Alison Des
Forges relatives aux effectifs militaires qui auraient permis darrêter le génocide
et sest demandé pourquoi, si lon admet quapproximativement, un millier
dhommes aurait suffi pour y mettre fin à Kigali et, par voie de conséquence,
lempêcher dans le pays, le millier de militaires du FPR présent dans la capitale,
durant cette période, ne lavait pas fait.
Mme Alison Des Forges a estimé que, si les accords dArusha
avaient été vraiment mis en oeuvre avec une force militaire suffisante pour les
garantir, cela aurait certainement empêché les massacres. Elle a jugé que le fait
davoir contraint les parties à accepter ces accords, sans avoir accordé, par la
suite, les forces nécessaires pour les garantir, avait créé un contexte favorable au
génocide.
Concernant les mises en scènes orchestrées par le gouvernement pour
attiser la haine contre les Tutsis, elle a considéré que ces manifestations
fournissaient la preuve du caractère centralisé de ce génocide. Elle a rappelé que,
lors loffensive du FPR au mois doctobre 1990, le Président Habyarimana avait
également monté une mise en scène, faisant croire à une attaque à Kigali même pour
attirer lassistance militaire étrangère. Dès le commencement des massacres, il y
a eu des mises en scène identiques avec les mêmes mensonges répétés, les mêmes
prétextes invoqués dun coin à lautre du Rwanda.
Mme Alison Des Forges a indiqué à ce sujet que, dans les bureaux
communaux de Butare, lassociation Human Rights Watch avait trouvé un texte
extrêmement intéressant, probablement rédigé par une personne ayant fait un cursus
universitaire à Paris dans un séminaire où elle avait étudié les méthodes
dintoxication des foules. Il sagissait dun travail tout à fait
académique concernant loeuvre de M. Mucchielli, qui avait enseigné à Paris
et écrit près de 70 ouvrages sur ces méthodes. Ce petit résumé soulignait
clairement la nécessité dorganiser des mises en scène pour faire croire aux gens
de bonne volonté quils étaient attaqués et les pousser à commettre des actes
très graves.
Répondant à la question du Président Paul Quilès relative aux
effectifs militaires qui auraient été nécessaires pour arrêter les massacres et à la
raison pour laquelle le FPR navait pas utilisé ses hommes dans ce but à Kigali,
elle a indiqué que, si ceux-ci avaient sauvé beaucoup de monde, il était clair que leur
objectif principal était de gagner la guerre. Cest pourquoi, plus tard, lorsque le
FPR sest opposé à la MINUAR II, en affirmant quelle était inutile
puisque presque tous les Tutsis étaient morts le 30 avril, il sagissait en
fait pour lui dempêcher lintervention dune force qui aurait pu jouer un
rôle de force dintervention sopposant à son avancée militaire.
Le Président Paul Quilès sest déclaré peu convaincu par
cette affirmation car même si le FPR avait avant tout la volonté de gagner la guerre, il
lui est apparu étonnant que lon puisse considérer quil ait choisi de ne pas
intervenir pour défendre les Tutsis, au motif que cela ne faisait pas partie de sa
stratégie.
Mme Alison Des Forges a précisé que le FPR menait deux actions,
lune de protection des personnes et lautre de lutte militaire contre les FAR,
la seconde primant à ses yeux.
M. Pierre Brana, se déclarant très intéressé par la
distinction entre les milices créées dans le contexte des luttes violentes auxquelles se
livraient les partis politiques et la mise en place planifiée dans chaque commune, de
groupes destinés à mener un autre type daction violente, échappant au jeu
politique, est revenu sur le terme de groupes dautodéfense civile et a demandé à
Mme Alison Des Forges si elle avait trouvé ou eu écho de documents officiels
envoyés par le pouvoir central aux bourgmestres et notamment sil existait des
directives laissant prévoir à quoi ces groupes seraient effectivement utilisés. Il a
également souhaité connaître la date à laquelle aurait commencé lorganisation
de ces groupes et si elle coïncidait bien avec le début de la planification de la
préparation du génocide.
Mme Alison Des Forges a déclaré que cette idée
dautodéfense civile était apparue très tôt et quil convenait den
distinguer les différentes formes. Il y eut un premier effort dans le nord pour organiser
la population contre les attaques du FPR parce que lon navait pas assez de
soldats, ou parce que ceux-ci nétaient pas assez efficaces. Elle a précisé que
cest en 1991 que ce terme fut employé pour la première fois. Lidée était
de choisir une dizaine de jeunes, qui devaient être formés pour faire des patrouilles ou
de petites razzias avec un ou deux militaires. Lautre forme dautodéfense
civile, apparue en janvier-février 1993, fut de plus grande ampleur et marqua le début
dune véritable planification des massacres de Tutsis à grande échelle.
Mme Alison Des Forges sest déclarée réservée à
légard de lidée dune planification du génocide en tant que tel dès
ce moment du fait quil était très difficile détablir exactement quand est
apparu le projet de génocide. Elle a toutefois indiqué quil existait un document
important faisant état des premiers éléments de sa planification : il sagit
de lagenda dune personne très haut placée, évoquant, dune part,
lutilisation des structures administratives pour recruter des participants et,
dautre part, lemploi danciens soldats à la retraite qui résidaient
dans les communes pour former et commander les civils. Mme Alison Des Forges a
également indiqué quen janvier-février 1993, un groupe dofficiers avait
été créé sous le nom " dAmasasu ", ce qui signifie " des
balles ", et que ce groupe de militaires demandait la création dune
force dautodéfense civile. Elle a conclu de tous ces éléments que lidée
dautodéfense civile avait véritablement commencé à être mise en oeuvre en
janvier et février 1993. Elle a indiqué ensuite quau mois doctobre 1993,
sétait tenue une réunion entre certains militaires importants et des politiciens
pour discuter du système dautodéfense civile, quils présentaient alors
comme un système de " national guard ", avec le but officiel de
soutenir leffort de larmée au sein du peuple, alors quen réalité,
lidée était plus de tuer des Tutsis que daider les militaires dans leur
guerre contre le FPR.
Quand le génocide sest déclenché, le système
dautodéfense civile nétait pas encore complètement formalisé, mais déjà,
comme lattestent certains documents, des listes de soldats retraités étaient
dressées pour savoir où existaient des ressources. Au plus fort des massacres, dans les
deux ou trois premières semaines, le système administratif fut employé pour mobiliser
la population, commandée, dans la plupart des cas, par danciens soldats. Le
système en tant que tel ne fut formalisé que plus tard, au mois de mai, lorsquont
été élaborées des directives très détaillées, qui ont été retrouvées. Ainsi,
dès le début du mois davril, les idées et les moyens étaient là, mais ne furent
concrétisés que plus tard. Quand quelques militaires ont commencé à sopposer aux
massacres, ce système fut même présenté comme offrant la possibilité de prendre le
relais en cas de résistance de larmée.
M. Jacques Desallangre sest interrogé sur
lapparente discrétion des troupes FPR qui auraient pu venir en aide de manière
très efficace à la communauté tutsie gravement menacée. Il a relevé dans les propos
de Mme Alison Des Forges une apparente contradiction entre linquiétude causée
par les accords dArusha chez un grand nombre de Hutus et labsence
dadhésion massive et franche de la communauté hutue à la disparition de la
communauté tutsie.
Mme Alison Des Forges a précisé quelle avait voulu
dire que les accords avaient inquiété un plus grand nombre de personnes que le petit
noyau dextrémistes. Tout le monde était content de ces accords, qui avaient été
fêtés partout, mais certains restaient cependant réticents car ils avaient peur que le
FPR ait été trop avantagé. Mme Alison Des Forges a ensuite ajouté que le FPR
avait chassé les auteurs dactes de génocide et interrompu les massacres en cours,
surtout à lextérieur de Kigali, la lutte militaire primant à Kigali.
M. Jacques Myard a demandé à Mme Alison Des Forges
dapporter des preuves et de préciser ses propos quant à la présence de militaires
français au centre de documentation, qui était également un centre de torture. Il a
également interrogé Mme Alison Des Forges sur la logique du système quelle
avait décrit et sest demandé si, en affirmant quune intervention extérieure
déclenchée le 6 avril aurait arrêté les massacres, tout se passant à Kigali, on
ne fournissait pas la preuve a contrario que ce qui a été présenté comme une
machine infernale préparée à lavance, bien huilée, avec des listes de gens à
éliminer, comme un génocide pensé par avance, était en réalité un enchaînement
graduel, dont on ne pouvait pas prévoir quil dégénérerait en un génocide total.
Sagissant de la question relative à la présence de soldats
français au centre de documentation, Mme Alison Des Forges a indiqué
quelle avait simplement cité des données qui avaient été présentées devant la
mission par le Ministre James Gasana.
Le Président Paul Quilès a alors indiqué quil navait
pas le souvenir de déclarations en ce sens de M. James Gasana et que des
vérifications simposaient.
Mme Alison Des Forges, ayant déclaré avoir lu ces
informations sur Internet, sur le site de Médecin sans frontières, a reconnu
quelle en avait été étonnée.
Quant à la planification du génocide, Mme Alison Des Forges a
rappelé que dès le cinquième jour, le nombre de personnes tuées était évalué à
20 000 par la Croix Rouge Internationale, chiffre à rapporter à ce moment au
petit effectif des assassins qui ont agi rapidement et avec beaucoup defficacité.
Le fait que ces massacres aient été effectués à une telle vitesse, que la plupart des
personnes tuées aient été des Tutsis, que ces tueries aient été le fait
dautorités gouvernementales, quelles naient pas été spontanées,
quelles aient été commises en plusieurs endroits, tout cela aurait dû alerter la
communauté internationale sur la nature des événements et le caractère de génocide
des crimes perpétrés. Mme Alison Des Forges a ajouté que si lon prenait en
considération la propagande qui avait été faite pendant des mois et les attaques qui
avaient déjà eu lieu précédemment contre les Tutsis, et que si on lisait, par exemple,
les documents belges, on pouvait penser que, si les Belges étaient au courant, les
Français létaient également.
M. Bernard Cazeneuve a demandé à Mme Alison Des Forges,
sil lui était possible de transmettre certains documents quelle avait
mentionnés, notamment la liste des militaires et fonctionnaires rwandais qui avaient
résisté aux consignes données par le clan Bagosora au lendemain de lattentat pour
déclencher le processus dont lengrenage avait conduit au génocide, ainsi que la
lettre de lofficier rwandais Rwabalinda qui avait rencontré le Général
Jean-Pierre Huchon.
Mme Alison Des Forges a répondu que si la transmission de la
lettre de M. Rwabalinda ne posait aucun problème, il lui faudrait en revanche
veiller à garantir lanonymat de certains officiers qui avaient résisté et
quelle avait contactés, afin de protéger leurs vies.
Annexe au compte rendu de laudition de
Mme Alison DES FORGES
Buffalo, New York, le 1er juillet 1998
Monsieur le Président,
Je vous écris concernant laide apportée des experts français
aux agents du Centre de Recherche Criminelle et de Documentation au Rwanda dont jai
fait allusion au cours de mon témoignage devant la mission dinformation le
16 juin.
Sur question de Monsieur Myard, jai répondu que jai pris
connaissance de cette aide seulement par le témoignage de Monsieur Gasana, que jai
lu quelques heures auparavant. Personne parmi les membres de la mission nayant pu se
rappeler dune telle mention par Monsieur Gasana, jai cru me tromper. Mais en
lisant le document déposé devant vous par Monsieur Gasana " Déclaration faite
le 10 juin par James K. Gasana, ex-Ministre rwandais de la Défense, devant la
mission dinformation " je trouve le passage en question à la page 9.
" Des experts français ont aidé à former les agents du
Centre de Recherche Criminelle et de Documentation dans les techniques
denquêtes ".
Parce que je venais de prendre connaissance de cette information, je
nai pas pu faire dautre commentaire au moment de mon témoignage. Jai
fait depuis une petite enquête qui ma convaincu quil y a eu un changement
important dans le fonctionnement de ce Centre. Bien connu comme lieu de torture pendant
une certaine période, le Centre navait plus cette réputation sinistre après
linstallation du gouvernement de coalition en 1992. Daprès des témoins bien
informés, lamélioration dans le fonctionnement du Centre, y compris la fin de
lemploi de la torture, coïncidait avec la présence des experts français sur
place. Donc, il y a eu de la torture au Centre et il y a eu des experts français au
Centre, mais pas au même temps et, en plus, cest possible que cest la
présence française qui a contribué à faire cesser lemploi de la torture.
Veuillez apporter cette clarification à lattention de Monsieur
Myard et aux autres membres de la mission et les assurer que ma mention du rôle des
experts français est provenue du souci de la vérité, pas dun quelque complot
contre la réputation de la France.
En vous remerciant encore une fois de linvitation de déposer
devant la mission dinformation, Monsieur le Président, je vous prie de croire à
lassurance de ma considération distinguée.
Audition de MM. Jean-Pierre
CHEVÈNEMENT, Ministre de la Défense (mai 1988-janvier 1991), Ministre de
lIntérieur,
et Jacques PELLETIER, Ministre de la Coopération et du Développement (mai 1988-juin
1991), Sénateur de lAisne
(séance du16 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Jean-Pierre
Chevènement, Ministre de la Défense de mai 1988 à janvier 1991, et M. Jacques
Pelletier, Ministre de la Coopération de mai 1988 à juin 1991.
Il a rappelé quà cette époque, le Rwanda connaissait une crise
économique extrêmement sérieuse : le cours du café venait de
seffondrer ; sécheresse et famines se succédaient dans certaines régions.
Sur le plan politique, lassassinat en avril 1988 de Stanislas Mayuya, successeur
potentiel du Président Habyarimana, avait déclenché des tensions politiques fortes et
considérablement affaibli le régime. Dans le prolongement du sommet de La Baule la
mise en oeuvre des réformes démocratiques constituait un défi supplémentaire. Le
régime dHabyarimana se trouvait dans une situation difficile lorsque, en octobre
1990, lattaque du FPR a marqué le début de la crise qui a culminé avec le
génocide.
M. Jean-Pierre Chevènement a déclaré craindre de décevoir
quelque peu la mission. En effet, de lintervention française au Rwanda dans la
période où il occupait encore les fonctions de Ministre de la Défense, il navait
gardé quun seul souvenir, celui de son déclenchement : une matinée, dans le
Golfe, à bord de la frégate Dupleix, avec le Président de la République et
lAmiral Lanxade, son chef dEtat-major particulier à lElysée, assez
tôt, en compagnie du commandant de bord. A ce moment-là, a été apporté au Président
de la République un message chiffré qui, une fois décodé, faisait apparaître que le
Président Habyarimana demandait lintervention militaire de la France pour
laider à faire face à lattaque du FPR. Le Président sest alors
tourné vers lAmiral Lanxade et lui a demandé de répondre favorablement à cette
demande. LAmiral sest éloigné et a envoyé, au commandement opérationnel
des armées des directives qui ont conduit à lenvoi dune compagnie, dont la
mission était dassurer avant tout la protection de nos ressortissants.
La scène a été extrêmement brève. Ses protagonistes avaient alors
dautres soucis en tête car 1990 était une année de profonds bouleversements
géopolitiques. Cétait au lendemain de lunité allemande, peu de temps avant
la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe des 20 et 22 novembre
et M. Jean-Pierre Chevènement était fort occupé par la question du désarmement et
de léquilibre de forces. De lourds nuages apparaissaient dans le ciel avec la
perspective dune guerre dans le Golfe dont peu de gens pensaient quelle était
encore évitable.
M. Jean-Pierre Chevènement a ainsi rappelé que les forces
françaises avaient débarqué en Arabie Saoudite le 15 septembre, après
loccupation de lambassade de France au Koweït par les troupes irakiennes et
que le Président de la République avait prononcé au sujet de la crise du Golfe un
discours à lONU le 24 septembre. Le mois doctobre fut un mois de
relative accalmie avec la libération dun certain nombre dotages. On pouvait
espérer que les choses évolueraient dans la bonne direction. A titre personnel,
M. Jean-Pierre Chevènement sefforçait de faire entendre cette voix auprès du
Président de la République. Mais le discours du Président de la République à
lONU avait laissé apercevoir que dautres options étaient possibles.
A la fin du mois de novembre, le Conseil de sécurité a autorisé, non
pas lemploi de la force mais, à la demande de M. Chevarnadze, le recours aux
" moyens nécessaires " à la libération du Koweït, ce qui
signifiait assez clairement la guerre.
M. Jean-Pierre Chevènement a indiqué quil avait alors
envoyé la lettre dans laquelle il demandait au Président de la République dêtre
relevé de ses fonctions.
Remontant plus loin dans le passé, M. Jean-Pierre Chevènement a
évoqué des échanges assez vifs au sein du Gouvernement sur la politique quil
convenait de conduire en Afrique. Ces échanges avaient eu lieu en mai et avaient porté
leurs fruits dans le discours de La Baule du Président Mitterrand, dans lequel ce
dernier avait exposé des orientations sur lesquelles M. Jean-Pierre Chevènement se
trouvait en plein accord.
Le Ministre a souligné que, lors de la scène à laquelle il avait
assisté sur la frégate Dupleix, il navait pas été consulté.
M. Jacques Pelletier a exposé que son témoignage ne
porterait que sur la période où il avait exercé, avec un grand intérêt et une
authentique passion, la charge de Ministre de la Coopération et du Développement, à
savoir de mai 1988 à mai 1991.
Avant de parler de la région des Grands Lacs, il a rappelé quelques
éléments importants pour la compréhension du contexte de cette époque. Le Gouvernement
de Michel Rocard entendait suivre une politique dynamique en faveur des pays pauvres.
Conformément aux voeux du Président de la République, la France voulait maintenir des
liens étroits et une solidarité forte avec les pays dAfrique. En matière
daide au développement, la France consentait de gros efforts. Au cours des trois
années où il avait exercé les fonctions de Ministre de la Coopération, les crédits
budgétaires avaient beaucoup augmenté, pour se rapprocher du fameux seuil des 0,7 %
du PIB. Le Gouvernement français était le principal, pour ne pas dire le seul, avocat de
lAfrique au sein des instances internationales. Que cela soit pour la réduction des
dettes ou la renégociation des accords de Lomé, la France a dû montrer lexemple
et peser de tout son poids pour éviter que lAfrique soit abandonnée à elle-même.
De même, le ministère de la Coopération avait des discussions quasi
quotidiennes avec les experts du FMI et de la Banque mondiale, pour que les nécessaires
plans dajustement structurel nimposent pas des contraintes incohérentes ou
insupportables aux Etats africains. La situation économique était très
défavorable : les prix des matières premières, en particulier celui du thé et du
café, étaient à leur cours le plus bas, le franc CFA était cher, les investissements
privés peu nombreux.
Pour terminer de brosser à grands traits lenvironnement de
lépoque, M. Jacques Pelletier a évoqué une rupture majeure : la chute
du mur de Berlin à la fin de lannée 1989. Cet heureux événement a entraîné une
mobilisation de toutes les chancelleries pour maîtriser les conséquences de
leffondrement rapide de lEurope de lEst. Dans ce contexte,
lAfrique napparaissait plus prioritaire aux yeux de beaucoup et certains
Africains estimaient que lEurope allait les abandonner.
M. Jacques Pelletier répétait souvent à cette époque " le
vent qui souffle de lEst ne peut pas sarrêter aux portes de
lAfrique ". Le sommet de La Baule allait clairement fixer
lobjectif dune marche des pays dAfrique, chacun à son rythme et à sa
manière, vers la démocratie et lEtat de droit. En 1988, à son arrivée au
ministère, seuls deux pays sur un peu plus de trente du champ de la coopération
pouvaient être qualifiés de démocratiques : le Sénégal et lIle Maurice. Au
début des années 1990, lAfrique francophone ne connaissait pas une situation très
brillante, ni économiquement ni politiquement. Le désintérêt pour ce continent est
sans doute en partie responsable des drames qua connus lAfrique centrale.
Sagissant plus précisément du Rwanda, M. Jacques Pelletier
a fait valoir quil avait découvert ce pays dans les années 1984-1988 en tant que
Président du Groupe damitié France-Afrique centrale du Sénat. Il sest
demandé si lon aurait pu prévoir et, donc, empêcher le génocide qui sy est
déroulé.
M. Jacques Pelletier a exposé quà son arrivée rue
Monsieur, le Rwanda nétait pas une priorité pour le ministère et que sa
" réputation " était assez bonne. Ce pays était présenté comme la
" Suisse de lAfrique ". Son
" Président-paysan " au pouvoir depuis quinze ans était issu de
lethnie hutue, largement majoritaire (85 %), et soutenu par lEglise
catholique qui avait une énorme influence. Le Président semblait faire quelques efforts
douverture envers la minorité tutsie, à qui il laissait prendre des
responsabilités dans le domaine économique, mais pas dans le domaine politique. Par
ailleurs, en comparaison avec le Burundi, où lethnie tutsie, au pouvoir bien que
très minoritaire, avait provoqué des massacres en août 1988, le Rwanda apparaissait
comme un pays plus apaisé.
Cela ne voulait pas dire que la situation était bonne, loin de là.
Dès son premier voyage, il avait été impressionné par le travail des populations
locales qui cultivaient le moindre mètre carré, y compris dans les villes. Le Rwanda
était un jardin. Mais, en même temps, il avait été effrayé par la densité de la
population (plus de 300 habitants/km²) et par la pression que cette densité
entraînait sur le foncier. En dehors même des problèmes ethniques, cette situation
était très lourde de risques et M. Pelletier sest rappelé quil
employait souvent lexpression : " il y a là un baril de poudre ".
Dès son arrivée au ministère, il a fait accélérer les projets de
développement rural. Il a également essayé de favoriser une politique de contrôle des
naissances afin déviter que les difficultés continuent de saggraver. Lors de
ses entretiens avec le Président Habyarimana, en France ou au Rwanda, M. Jacques
Pelletier a toujours beaucoup insisté sur la nécessité douvrir le Gouvernement
rwandais à lopposition et à la minorité, bref de démocratiser son régime. Dans
leurs conversations privées, le Président ne se montrait pas hostile à cette
évolution. Il expliquait cependant quil ne pouvait pas aller trop vite, sinon il ne
serait pas suivi ; la suite des événements a prouvé quil navait pas
tort. Grâce à la coopération décentralisée, qui marchait bien, la France espérait
aussi montrer par lexemple ses vertus de ses principes politiques.
La question des réfugiés était également une préoccupation.
Pendant lété 1988, après les massacres au Burundi, beaucoup de réfugiés hutus
étaient arrivés au sud du Rwanda. Très rapidement, M. Jacques Pelletier a
déployé des moyens importants pour quils rentrent dans leur pays, car il estimait
que le Rwanda était incapable de supporter un afflux de population supplémentaire.
En revanche, il y avait un autre problème de réfugiés auquel
M. Jacques Pelletier a reconnu quil navait sans doute pas assez porté
attention, même sil nentrait pas dans son champ de compétences
-lOuganda nétant pas dans le " champ "-, cétait
celui des réfugiés tutsis, nombreux en Ouganda, qui semblaient relativement intégrés
dans leur nouveau pays, mais qui allaient être à lorigine des difficultés les
plus graves.
Le 1er octobre 1990, quelques milliers de réfugiés
rwandais dOuganda ont envahi le Rwanda, provoquant des massacres et une fuite de la
population. Le Gouvernement français a très rapidement réagi en envoyant, à la demande
du Gouvernement de Kigali, des munitions et une compagnie de parachutistes. Ce fut
lopération Noroît.
M. Jacques Pelletier a estimé que la logique de cette opération
était parfaitement claire.
Tout dabord, il était nécessaire de protéger et
dévacuer nos compatriotes qui pouvaient être menacés. Ensuite, il ne semblait pas
possible de laisser renverser un Gouvernement par une minorité menant une action armée
et violente en provenance et avec le soutien dun pays étranger.
Il faut en effet se rappeler que les rebelles du FPR étaient très peu
nombreux. Tous les rapports indiquaient, et lexode de la population prouvait,
quils nétaient absolument pas accueillis en libérateurs. Le caractère
" étranger " de cette invasion provenait également du fait que ses
chefs Fred Rwigyema et Paul Kagame étaient respectivement chef détat-major adjoint
et chef de la sûreté dans larmée ougandaise. II semblait normal dassurer la
sécurité dun pays avec lequel des accords de coopération nous liaient. Si la
France navait pas réagi, elle aurait perdu la confiance de la plupart des pays
dAfrique. Cest ce qui avait été décidé également lors des différentes
interventions au Tchad. Le principe de lintangibilité des frontières proclamé
régulièrement par lOUA semblait aussi menacé, la victoire du FPR pouvant conduire
à des réactions en chaîne dans toute la région.
Assurer la sécurité du Rwanda nétait pas le seul but du
Gouvernement. Il voulait également faire évoluer le régime afin déviter la
répétition de tels événements. Cest avec ce double objectif que M. Jacques
Pelletier a conduit, à la demande du Président Mitterrand, au début du mois de novembre
1990, une mission de bons offices au Rwanda et dans les pays limitrophes où il a pu
sentretenir avec tous les responsables, notamment tous les présidents.
De ce voyage, il est ressorti que les protagonistes étaient
daccord sur trois points : la nécessité dun cessez-le-feu et de la mise
en place dobservateurs ; la tenue dune conférence régionale pour
traiter lensemble des problèmes et notamment celui des réfugiés ;
louverture politique à lintérieur du Rwanda.
La négociation entre les parties au conflit fut difficile à mener en
particulier pour deux raisons. La position exacte des pays limitrophes du Rwanda
nétait pas toujours très claire et certains chefs dEtat, comme les
Présidents Mobutu et Museveni, par exemple, faisaient preuve dune grande
susceptibilité dans leurs relations mutuelles. Par ailleurs, il était difficile de
mobiliser rapidement le système des Nations Unies ou nos amis occidentaux pour envoyer
des observateurs ou pour accorder des contributions financières destinées à aider le
pays à panser ses plaies le plus vite possible. Ces deux difficultés se sont accentuées
lors des crises ultérieures.
M. Jacques Pelletier a souligné que le Gouvernement français
avait eu deux objectifs dès le début du conflit : un objectif très visible, à
savoir, aider un pays à assurer sa sécurité contre une agression extérieure, et un
objectif dont on a moins parlé mais qui était tout aussi important, faire évoluer le
régime en place. M. Pelletier a déclaré avoir personnellement exercé des
pressions très vigoureuses auprès du Président Habyarimana. Le Président Mitterrand
la rencontré également et lui a écrit pour linciter fortement à ouvrir son
gouvernement.
Cet engagement de la France a eu des résultats tangibles qui allaient
dans le bon sens. M. Jacques Pelletier a précisé que, quelques jours après son
voyage dans la région, en octobre 1990, des milliers de Tutsis qui avaient été
arrêtés au début de linvasion ont été libérés. A la fin de lannée
1990, un avant-projet de charte nationale a été publié et un poste de Premier Ministre
créé. Un cessez-le-feu a été signé en mars 1991 et une Constitution promulguée au
mois de juin 1991.
A son départ du ministère en mai 1991, M. Jacques Pelletier
nestimait pas que le problème était résolu, mais il pensait, très honnêtement,
que le plus grave avait été évité et quil fallait continuer à accompagner le
Rwanda dans son évolution. La voie était ouverte vers laccord dArusha,
signé en août 1993. Malheureusement, les extrémistes des deux bords ne se sont pas
réellement engagés dans cette logique de paix et cest ce qui conduira au drame de
1994.
Le Président Paul Quilès a observé, à propos de lattaque
qui sest déroulée à Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre, que certains
témoins ou analystes lont présentée comme une simulation mise en scène par les
autorités rwandaises pour faire pression sur la France et la décider à renforcer sa
présence et son intervention.
Il a demandé à M. Jean-Pierre Chevènement et à M. Jacques
Pelletier sils se souvenaient dinformations de cette nature. En effet, si les
différents documents, témoignages et opinions concernant cet incident sont
contradictoires, il semblerait néanmoins quune forte présomption conduise à
penser que les autorités rwandaises avaient pu grossir le danger pour pousser les
Français à renforcer leur présence.
Le Président Paul Quilès a également demandé si les ministres
avaient disposé dinformations particulières concernant le FPR et sils
avaient des contacts avec ce mouvement avant, pendant ou après lopération Noroît.
M. Jean-Pierre Chevènement a déclaré quil
navait disposé daucun élément dappréciation lui permettant de savoir
si lattaque des forces anti-gouvernementales étaient feinte ou réelle. La
décision de la France a été instantanée. Il navait pas dinformations
particulières sur le Rwanda.
Il a rappelé quil avait eu à connaître de troubles en Afrique,
notamment au Tchad, aux Comores et au Gabon, mais quà lépoque, ce qui
dominait avant tout, cétait leffondrement de lUnion soviétique et du
monde bipolaire. Ce qui se passait au Rwanda faisait lobjet dune communication
directe entre létat-major particulier du Président de la République et
létat-major des armées, le centre opérationnel interarmées et les forces
présentes sur le terrain.
M. Jean-Pierre Chevènement a expliqué quil ne savait pas
davantage si la Mission militaire de coopération et le ministère de la Coopération
étaient associés à la gestion de la crise rwandaise. Il na pas le souvenir
dun seul conseil restreint où cette question ait été inscrite à lordre du
jour, ni quelle ait été jamais évoquée dans les quelques mois qui ont suivi.
Cétait une affaire où le ministère de la Défense, en tout cas, na jamais
été amené à intervenir. La seule procédure par laquelle il était informé était
celle des comptes rendus que le ministre de la Défense a lhabitude de trouver sur
son bureau.
A propos de lengagement de lopération Noroît, M. Bernard
Cazeneuve a rapporté que des témoins politiques et militaires, ainsi quun
certain nombre de documents transmis à la mission indiquaient quau moment des
événements doctobre 1990, une cellule de crise avait réuni lensemble des
administrations concernées des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et
de la Coopération. Cette cellule a pris la décision de mettre en oeuvre un dispositif
destiné avant tout à évacuer les ressortissants français en cas de dégradation de la
situation, lévacuation militaire étant placée sous la responsabilité du Chef
détat-major des Armées et non de létat-major particulier du Président de
la République.
Il a demandé si le Président de la République, lors de la réception
de la dépêche sur la frégate Dupleix, avait donné immédiatement les instructions à
cet effet ou si un dialogue sétait engagé entre lamiral Lanxade,
M. Jean-Pierre Chevènement et le président de la République sur
lopportunité de lintervention.
Il a souhaité savoir si, une fois rentré à Paris,
M. Jean-Pierre Chevènement avait été amené à donner des instructions au Chef
détat-major des Armées concernant les objectifs assignés à lopération
Noroît et lesquelles.
M. Jean-Pierre Chevènement a précisé quil ny
avait eu aucun dialogue. Le Président de la République a donné une directive ;
elle a été exécutée immédiatement. Si une réunion sest tenue, ce fut hors de
sa présence et il nen a pas eu connaissance.
M. Jacques Pelletier a estimé que lattaque du mois
doctobre 1990 était bien réelle mais que le gouvernement et le président rwandais
en avaient probablement exagéré lampleur. La seconde attaque, début janvier, a
été plus forte.
Quant aux relations avec le FPR, il a rencontré en Tanzanie des
représentants de ce mouvement au cours de sa mission de novembre 1990, pour vérifier
sils étaient daccord avec les trois points de convergence quil a
mentionnés dans son exposé introductif.
Quant aux modalités dassociation des différents ministres à la
décision dintervention, M. Jacques Pelletier a confirmé le témoignage de
M. Jean-Pierre Chevènement : la décision a été prise par le Président de la
République hors de France de la façon qui a été décrite suite à une demande
transmise par la cellule africaine de lElysée.
Une cellule de crise a été mise en place, par la suite, pour veiller
notamment à la bonne évacuation des ressortissants français et des ressortissants
étrangers qui le souhaitaient. Elle fonctionnait normalement, avec lensemble des
partenaires habituels. Mais au départ, les ministres nont pas été associés, ni
le celui de la Défense ni le celui de la Coopération.
Le Président Paul Quilès a rappelé que, selon la Constitution,
le Président de la République est le chef des armées. Lorsquil sagit
dopérations, il a donc un rôle particulier à jouer. Ce nest pas en tant que
Président de la République quil agissait, mais en tant que chef des armées.
Savoir si la Constitution est pertinente ou pas sur ce point est un autre débat, mais
cest ainsi quelle fonctionne.
M. François Lamy a relevé les termes employés par
MM. Chevènement et Pelletier à propos du FPR :
" réfugiés ", puis, " invasion étrangère " et
enfin " forces antigouvernementales ".
Il a demandé si une réflexion a été menée à partir de 1990,
lorsque le problème sest posé réellement, pour analyser la nature de ce mouvement
et des problèmes, surtout politiques, que soulevait son action.
Par ailleurs, si la Constitution confère au Président de la
République des pouvoirs nettement définis en tant que chef des armées, les termes sont
moins clairs en matière de politique étrangère, même si lon a été amené à
parler à ce sujet de " domaine réservé ". M. François Lamy a
donc demandé des précisions sur la gestion dune crise comme celle du Rwanda entre
1988 et 1991 : comment les différents acteurs -le ministre de la coopération, le
premier Ministre, le ministre des Affaires étrangères, le Président de la République,
léquipe africaine de la Présidence de la République- définissaient leur rôle
les uns par rapport aux autres. Il a souhaité savoir qui donnait les orientations et qui
gérait au quotidien.
M. Jean-Pierre Chevènement a expliqué que le ministère de
la Défense nintervenait que dans le domaine strictement militaire. Il a eu, par
exemple, à connaître des conséquences de lassassinat du Président Abdallah aux
Comores. Cest larmée française qui, à lépoque, a permis une
transition pacifique, sans quune goutte de sang nait été versée. Ce succès
a été dû à la remarquable qualité et à lefficacité des troupes et des
officiers français qui ont su, en quelque sorte, prendre en main la garde prétorienne
constituée par Bob Denard.
Inversement à la même époque, au moment où Idriss Déby envahissait
le Tchad par lEst, les troupes françaises ont reçu la consigne de ne pas
sinterposer. La crise sest terminée par la démission dHissène Habré.
Au Gabon, lorsque des émeutes et des troubles ont éclaté à
Port-Gentil et à Libreville même, les forces françaises ont été dépêchées avec
mission dassurer la protection des ressortissants français. Elles se sont très
bien acquitté de cette mission, puisquil aurait pu y avoir mort dhommes dans
des conditions particulièrement atroces ; certains de nos compatriotes aspergés
dessence sont passés très près de la mort. La présence de larmée
française a été un moyen de contenir une crise qui aurait pu dégénérer en
affrontements graves.
Le problème des conditions dans lesquelles la France était amenée à
soutenir un certain nombre de régimes, alors quaucun mécanisme dévolution
démocratique du pouvoir nétait perceptible, a été évoqué. Cette situation a
entraîné un débat assez vif au sein du Gouvernement qui sest traduit quelques
semaines plus tard, fin juin, par le discours de La Baule, lequel a marqué une
réorientation de la politique africaine française.
M. Jacques Pelletier a estimé quil nétait pas
commode de définir les " réfugiés ", que lon a appelés
ensuite " éléments extérieurs ". Ils sagissait de personnes
réfugiées depuis longtemps, une trentaine dannées. On pensait quelles
étaient complètement intégrées en Ouganda. Le Président Museveni à qui lon
demandait de réduire laide quil apportait à ces
" réfugiés " ou ces " éléments extérieurs ",
était embarrassé car les Tutsis rwandais avaient contribué largement à son arrivée au
pouvoir. Il avait une dette de reconnaissance vis-à-vis de ces hommes quil na
pas empêchés de sarmer et de séquiper avec, probablement, des appuis
extérieurs.
Ils étaient réfugiés, mais on pensait quils étaient mieux
intégrés en Ouganda quils ne létaient en réalité. Ils avaient toujours
comme but de revenir chez eux, ce qui finalement paraît assez logique.
Quant à la gestion de la politique africaine, M. Jacques
Pelletier a déclaré quil ne sétait jamais trop posé de questions à ce
sujet car la coordination jouait à plein. Aujourdhui le ministère de la
Coopération est passé sous légide du ministère des Affaires étrangères mais,
à lépoque, il était relativement indépendant. Il fallait que lentente soit
parfaite entre le ministre de la Coopération et celui des Affaires étrangères mais
surtout entre celui de la Coopération et celui des Finances qui gérait plus des deux
tiers de laide publique au développement. La véritable difficulté résidait dans
la coordination des actions des ministères des Finances et de la Coopération, mais
sy attaquer était une partie très difficile, que tous les ministres de la
Coopération et des Affaires étrangères ont perdue.
Lors de son arrivée au ministère de la coopération en 1988,
M. Pelletier a demandé et obtenu quune concertation soit organisée
régulièrement entre les différents partenaires. Tous les quinze jours, une réunion se
tenait à cet effet à lElysée sous légide de lambassadeur Arnaud, qui
soccupait de la cellule africaine. Elle réunissait le directeur ou le
directeur-adjoint du cabinet du ministre des Affaires étrangères, le directeur de
cabinet du ministre de la Coopération, un représentant de la Caisse française de
développement, un représentant du Trésor et souvent un responsable du cabinet de
Matignon. De sorte que tous les quinze jours lensemble des problèmes qui touchaient
à lAfrique était examiné. Chacun faisait part de ses informations des quinze
jours précédents et les décisions étaient prises dans le cadre de cette réunion. De
sorte que pendant les trois ans où il a exercé les fonctions de ministre de la
coopération, M. Jacques Pelletier na pas constaté de dysfonctionnement.
Au moment des faits que rappelait M. Jean-Pierre Chevènement,
concernant le Tchad, le Gabon, les Comores, le ministère de la Coopération était un peu
en retrait et celui de la Défense exerçait une influence prépondérante. Toutefois,
même dans ces périodes de tensions militaires, une cellule de crise se réunissait
fréquemment pour essayer de bien cerner lensemble des problèmes et de définir une
position commune.
M. Pierre Brana a noté que le déclenchement de
lopération Noroît a été décidée par le Président de la République, chef des
armées. Il a cité à ce propos une déclaration du Premier ministre de lépoque,
M. Michel Rocard, qui, le 6 octobre 1990, déclarait sur TF1 : "Nous
avons envoyé des troupes pour protéger les ressortissants français, rien de plus.
Cest une mission de haute sécurité et un devoir républicain mais, en quelques
jours, les ressortissants qui le désiraient ont pu être évacués." A ce moment
la mission initiale était terminée ; or, les soldats sont restés. Il a demandé
sil y avait eu débat sur ce maintien des troupes et ce qui avait motivé à ce
moment-là le changement de perspectives de lintervention militaire.
Il a estimé que la différenciation sémantique entre
" rebelles étrangers " et " réfugiés " voulant
revenir par la force dans leur pays nétait pas neutre. Dans un cas, on est en
présence dune invasion étrangère, ce qui peut justifier une assistance ;
dans lautre, cest une guerre civile et un conflit
" rwando-rwandais ".
M. Pierre Brana a relevé que, contrairement à ce qui
sétait passé au Burundi après les événements daoût 1988, la guerre
doctobre 1990 au Rwanda navait pas abouti à un débat sur la réconciliation
nationale. Le Ministre Jacques Pelletier a beaucoup insisté sur ses démarches auprès
des différents protagonistes lors de sa mission de novembre 1990. M. Brana lui a
demandé à ce propos sil avait eu la possibilité de dire un peu brutalement au
Président Habyarimana quil lui fallait faire un effort en vue de la réconciliation
nationale sans quoi la France serait amenée à retirer ses troupes ou sil avait
jugé préférable de chercher à gagner du temps.
M. Jacques Pelletier a indiqué que lon avait envoyé au
Rwanda dabord 150 hommes, puis 300, enfin 600 en 1992-1993.
Le Président Habyarimana appelait le Président Mitterrand toutes les
semaines en lui demandant de ne surtout pas retirer les forces françaises. Ces troupes
nont pas participé à des assauts contre les rebelles qui entraient au Rwanda, mais
il est certain que leur présence, à côté des forces belges ou autres, a été
dissuasive. On la vu un peu partout, notamment au Gabon. Il est vraisemblable que le
Président Habyarimana tenait beaucoup à cet effet de dissuasion et souhaitait pour cette
raison garder au moins quelques soldats français sur son territoire. A cette époque, les
assistants militaires techniques étaient très peu nombreux : dix-sept environ.
Dans lhypothèse dune invasion étrangère, la position de
la France était justifiée. Il faut rappeler que les deux principaux chefs des rebelles
de lépoque étaient chefs détat-major adjoint et chef de la sûreté de
larmée ougandaise. On pouvait difficilement dire quil sagissait de
Rwandais qui revenaient chez eux étant donné les fonctions très importantes quils
occupaient dans larmée dun pays voisin.
M. Jean-Pierre Chevènement a ajouté que lon ne pouvait
pas parler de changement dorientations puisque le Président de la République
navait pas donné dorientations mais simplement linstruction de
répondre positivement à la demande du Président Habyarimana.
Quant au problème de savoir sil sagissait dune
guerre étrangère ou dune guerre civile, cela ne changeait rien du point de vue de
la sécurité des ressortissants français.
M. Jacques Pelletier a expliqué que le Rwanda était le pays
dAfrique où il sétait rendu le plus souvent : sept ou huit fois avant
dêtre au gouvernement et après. Il a connu beaucoup de Tutsis, de Hutus, de
dirigeants et de Français qui y ont travaillé. Il pouvait dire que, dans ses contacts
personnels, aussi bien en France quà Kigali, il avait été très ferme vis-à-vis
du Président Habyarimana, évidemment pas dans une conférence de presse, mais en privé.
Le président Habyarimana était un faible et un timide, qui était très vite repris en
main par son cercle familial et son entourage immédiat hostiles à toute renonciation à
des postes de pouvoir.
M. Bernard Cazeneuve a cité des extraits des télégrammes
relatifs à la visite à Kigali de M. Jacques Pelletier au mois de novembre 1990, et
notamment le passage suivant : "Nous avons évité le pire, à savoir la
guerre tribale, en aidant le Président Habyarimana à reprendre son pays en main... Ainsi
sexplique également quil nous demande dintégrer directement notre
assistance militaire dans les états-majors."
Ce même télégramme rendait compte dun entretien avec le
président Habyarimana au cours duquel effectivement M. Jacques Pelletier avait
exercé des pressions très fortes pour que le Rwanda démocratise son régime. Evoquant
la coopération militaire, lambassadeur notait: " M. Habyarimana a
demandé que celle-ci soit renforcée tant sur le plan matériel que sur celui de
lassistance technique. Il voudrait quun conseiller de haut niveau soit placé
auprès de son armée pour en diriger la réorganisation, notamment en ce qui concerne
lescadrille, les blindés et les parachutistes. M. Pelletier donne un agrément
de principe sur ce point."
M. Bernard Cazeneuve a demandé quelles étaient les raisons qui
avaient présidé à cet accord, quel était le rôle qui avait été assigné à
lofficier français participant aux réunions de létat-major rwandais et
sil avait été opportun daccéder à cette demande.
M. Jacques Pelletier a indiqué quà chaque fois
quil rencontrait le Président Habyarimana, celui-ci demandait des munitions et des
équipements supplémentaires. Il y avait en 1990 et 1991, dix-sept coopérants techniques
militaires. Certains de ces coopérants pouvaient être dans des états-majors,
dautres sur le terrain, mais cétait peu par rapport aux
5 000 militaires de larmée rwandaise dont le nombre est passé par la
suite à 20 000, puis à 30 000 ou 40 000.
M. Jacques Pelletier a souligné que les autorités françaises
navaient pas fait, au Président du Rwanda, le promesse formelle de lui accorder une
coopération militaire aussi renforcée quil le souhaitait.
M. Bernard Cazeneuve a précisé que les témoignages
recueillis par la mission et le télégramme quil venait de lire, confirmaient
quun officier français avait participé aux réunions de létat-major
rwandais jusquà la fin de lannée 1993.
A propos de la politique daide au développement, il a évoqué
le rapport de fin de mission de lAmbassadeur Martres qui soulignait
laugmentation très sensible des décaissements de la France au Rwanda entre 1989 et
1991. Ceux-ci sont passés dun montant denviron 120 millions de francs en
1989 à près de 192 millions de francs en 1991.
Il a demandé quelles étaient les raisons de laccroissement de
cette aide et sil se justifiait par la nécessité daccompagner la politique
dajustement structurel afin de faciliter les réformes démocratiques demandées au
Président Habyarimana.
Dans son rapport de fin de mission, lAmbassadeur Martres notait
également que deux concours exceptionnels de nature budgétaire ont été octroyés au
Rwanda en 1990 et 1991 : un premier de 70 millions de francs en 1990 pour
lachat de lavion présidentiel et un second, également de 70 millions de
francs, en 1991 pour participer au programme dajustement structurel.
M. Cazeneuve a souhaité savoir qui avait pris la décision
daffecter cette aide de 70 millions de francs à lachat de lavion
présidentiel, sil était judicieux de consacrer une telle somme à cet achat alors
que le Rwanda devait précisément conduire une politique dajustement structurel.
Il a rappelé quil avait été dit à plusieurs reprises devant
la mission dinformation quen novembre 1990, M. Jacques Pelletier, en
présence de Jean-Christophe Mitterrand, avait fait pression sur le Président Habyarimana
pour que soient supprimées les cartes didentité qui mentionnaient
lappartenance ethnique des Rwandais. Il a été dit également, mais sans que les
choses ne soient vraiment précisées, que le ministère de la Coopération sétait
engagé à assurer le suivi de cette affaire pour aider à létablissement des
nouvelles cartes.
M. Cazeneuve a demandé si cette question avait été
effectivement évoquée devant le Président Habyarimana, quelle avait été sa réaction
et quel suivi de lapplication dune éventuelle décision en ce domaine avait
été assuré par ladministration de la Coopération.
M. Jacques Pelletier a apporté des précisions à propos de
laide accordée au Rwanda. Il y avait dans ce pays à peu près 115 coopérants
qui faisaient partie du personnel de la Coopération. Les projets concernaient
essentiellement le domaine de la formation qui absorbait 40 % de laide, puis le
domaine rural qui en représentait 25 % et celui de la santé pour 10 %, le
reste était consacré aux routes, aux communications.
Tous les ans, en raison des difficultés économiques dues à la baisse
des prix des matières premières dans les différents pays, une mission étudiait, de
manière approfondie, le budget de chacun deux. Cette mission était composée de
représentants du Trésor, de la Caisse française de coopération et du ministère de la
Coopération. A leur retour de mission, ces trois personnes formulaient leurs conclusions
sur la procédure dajustement structurel et précisaient le montant de laide
quil fallait attribuer à tel ou tel pays. Pour le Rwanda, ce montant a représenté
à peu près 70 millions de francs.
La décision concernant lavion a été prise par lElysée.
Le Président Habyarimana disposait dune vieille Caravelle qui avait dû être
donnée du temps du général de Gaulle et qui avait fait largement son temps.
Lenclavement du pays nécessitait pour les déplacements de son président
loctroi dun avion. La décision a été prise par lElysée et un
" bleu " de Matignon a accordé à cet effet un budget de
60 millions de francs, imputable sur laide budgétaire, pour lachat
dun Falcon 50 doccasion et des pièces détachées correspondantes. La
décision prévoyait également la mise à disposition dun pilote, dun
copilote et dun mécanicien -qui ont été tués dans lattentat de 1994.
Laffaire a été confiée au ministère de la Coopération, car
les autres ministères ne souhaitaient pas sen charger. Celui-ci a donc acheté,
après pas mal dappels doffres, un Falcon 50, qui a été payé
57 millions de francs, les 3 millions de francs restants étant consacrés aux
pièces détachées.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si le contrat qui liait les
membres de léquipage au ministère de la Coopération, via la Satif, avait été
signé dès 1990.
M. Jacques Pelletier a déclaré, quà son avis, tous
les contrats avaient été signés en 1990. La décision de donner un nouvel avion au
Président Habyarimana a été prise au début de 1990, alors quil fallait le livrer
avant le sommet de la Baule, ce qui ne laissait que trois mois pour procéder à son
achat, à sa révision et à son envoi. Tous les contrats ont donc dû être signés à
cette époque.
A propos des cartes didentité, M. Pelletier a confirmé
avoir dit au Président Habyarimana en novembre 1990 que le fait quelles portent une
mention ethnique lui paraissait ahurissant. Le président Habyarimana trouvait cette
indication normale car il en avait toujours été ainsi. La pratique en avait été
établie du temps des Belges et lon avait continué. Le président Habyarimana lui
avait toutefois dit quil pensait que cette mention pouvait être supprimée. A la
connaissance de M. Jacques Pelletier, il ny a pas eu de demandes daide du
gouvernement rwandais pour la fabrication de cartes didentité sans mention
ethnique. On ne peut donc dire que le ministère de la Coopération ait renâclé.
M. Jacques Pelletier a précisé quil navait pas revu le Président
Habyarimana après la réunion où il a eu loccasion dévoquer
lindication de lappartenance ethnique sur les cartes didentité et
quon ne lui a plus parlé de cette question.
M. François Lamy a évoqué le témoignage de
M. Jean-Christophe Mitterrand selon lequel la principale fonction de la cellule
africaine à lElysée était une fonction dinformation et de conseil. Or, on a
pu lire aussi bien dans la presse que dans différentes publications quelle pouvait
avoir un rôle plus important.
M. François Lamy a également souhaité savoir comment se passait
la gestion dun dossier comme celui du Rwanda au quotidien, qui était amené à
prendre des décisions, que ce soit pour des détails ou pour des affaires plus
importantes, et si lon pouvait estimer quapparaissaient dans lappareil
dÉtat certains dysfonctionnements.
Il a également rapporté que la presse estimait que le Président
Mitterrand portait une attention très particulière au problème rwandais. Il a demandé
à M Jacques Pelletier, qui a indiqué que le Président Habyarimana appelait chaque
semaine le Président Mitterrand, ce qui pouvait expliquer cette attention du président
Mitterrand et quelles relations directes il entretenait avec le président du Rwanda.
M. Jacques Pelletier a confirmé que léquipe africaine
de lElysée était surtout chargée dinformer le Président et de prendre des
contacts à sa demande. En général, ces contacts étaient toujours répercutés au
niveau du ministère de la Coopération. Il ny a eu aucun dysfonctionnement pendant
les trois ans où il occupait ses fonctions. Il sest toujours efforcé de coordonner
les actions du ministère avec celles des autres acteurs sur le plan national, mais aussi
sur le plan international. Avant de partir en novembre pour sa mission dinformation,
par exemple, M. Jacques Pelletier a rencontré le ministre belge des Affaires
étrangères pour sassurer quils étaient bien sur la même ligne. A chaque
voyage dans un pays africain, il rencontrait toujours les chargés de mission des
différents pays de lUnion européenne.
En période de crise, la cellule de crise se réunissait parfois tous
les jours et même plusieurs fois par jour, surtout quand il sagissait de
lévacuation de Français. Ce fut le cas, comme le rapportait M. Jean-Pierre
Chevènement, à propos du Gabon, du Tchad et du Rwanda à deux reprises. Pour le reste,
la mission Noroît échappait au ministre de la Coopération ; elle relevait du
domaine militaire, cest à dire du Président de la République et du ministère de
la Défense. Pour ce qui est de la coordination de laide, budgétaire notamment,
accordée au Rwanda comme aux autres pays, il y avait bien sûr des procédures
régulières, qui ont bien fonctionné.
Quant à lattention particulière accordée au Rwanda par
M. François Mitterrand, M. Jacques Pelletier a estimé que les deux présidents
sentendaient bien. Lui-même sentendait également bien avec le Président
Habyarimana, alors quil nen allait pas de même avec le Président Mobutu.
Le président Habyarimana lui a toujours paru être un homme de bonne
volonté. Par comparaison avec le Burundi où il y avait eu, en 1988 notamment, des
massacres de dizaines de milliers de personnes, le Rwanda apparaissait plus calme et
lon avait limpression que le Président rwandais sefforçait
sincèrement de marier plus harmonieusement les deux ethnies.
Selon M. Jacques Pelletier, le drame du Burundi et du Rwanda
tenait à ce quil ny avait que deux ethnies. Dans la plupart des autres pays
dAfrique, il y en a au moins trois ou quatre. La situation est plus facile à gérer
parce quil y en a toujours une qui peut sinterposer en cas de conflit entre
les autres.
M. Pierre Brana a rappelé que M. Jean-Christophe
Mitterrand a rédigé le 19 octobre 1990 une note au Président de la République qui
comportait deux parties. La première visait à demander une concertation générale dans
la région, ce à quoi M. François Mitterrand a répondu positivement. Dans la
seconde partie, il était demandé si une présence militaire française devait être
maintenue aussi longtemps quune solution naurait pas été trouvée. La
réponse de François Mitterrand dans la marge fut " non ".
M. Brana a alors demandé si le Président Habyarimana avait été
mis en demeure de trouver rapidement une solution, faute de quoi la présence militaire
française ne serait pas maintenue.
M. Brana a demandé également si M. Jacques Pelletier avait
eu loccasion dévoquer à nouveau, après son entretien de novembre 1990, la
question des cartes didentités avec le Président Habyarimana et si notre
ambassadeur lui a rappelé la position de la France sur cette question.
M. Jacques Pelletier a déclaré quil pensait
quaucune demande daide pour la fabrication de nouvelles cartes
didentité navait été faite, mais que cette circonstance nétait pas,
en soi, étonnante. La modification des cartes didentité ne représentait pas une
dépense considérable et le Rwanda pouvait la prendre en charge sur son budget ou
sadresser à un autre pays parce que, heureusement, la France nétait pas la
seule à avoir une coopération avec le Rwanda. Il est vrai que le ministère aurait
probablement dû relancer laffaire, mais cela na pas été fait.
M. Pelletier na pas su si lambassadeur avait renouvelé la demande de
suppression de la mention ethnique sur les cartes didentité. On peut supposer que
le Président Habyarimana était de bonne foi mais que son entourage et son équipe
rapprochée de Hutus très durs se sont opposés à ce changement.
Il est certain que le Président de la République voulait quune
concertation sengage dans la région. En ce qui concerne sa présence militaire, la
France a exercé un peu de chantage sur le Président Habyarimana en lui disant
quelle voulait bien assurer la sécurité du Rwanda mais quune ouverture
démocratique de son régime était nécessaire. M. Habyarimana a accepté cette
demande. Des efforts ont été faits : il a libéré des Tutsis, il a nommé un
premier Ministre et promulgué une Constitution. On ne peut pas dire quaucune mesure
nait été prise, mais les changements nont pas été conduits assez
rapidement. De plus, il est probable quune entreprise de sabotage freinait toutes
les décisions douverture qui étaient prises et dont certaines auraient pu aller
plus loin.
M. Bernard Cazeneuve a demandé à M. Jacques Pelletier
sil avait participé à lentretien entre le Président Mitterrand et le
Président Habyarimana à Paris le 18 octobre et quels en avaient été le contenu et
lambiance.
M. Jacques Pelletier a répondu quil avait assisté à
cette rencontre, comme cétait lusage. Lambiance était bonne mais le
président Mitterrand a été très ferme vis-à-vis du Président Habyarimana à cette
occasion, comme dans les lettres quil lui a envoyées par la suite. Il le sommait
pratiquement de constituer un gouvernement aussi bien avec lopposition intérieure
hutue quavec les Tutsis de lintérieur et les rebelles de lextérieur
qui ne demandaient pas mieux.
Dans lultime gouvernement, sur vingt ministres, seuls cinq
appartenaient à lancien parti unique du Président Habyarimana. Les efforts
déployés pour la démocratisation du Rwanda avaient malgré tout payé, peut-être trop
tard. Il est certain que le Président Habyarimana, à la fin de lexercice, était
très " dévalué ". Il avait beaucoup moins dautorité, ce qui
a peut-être contribué aux événements de 1994.
M. François Lamy a demandé des précisions concrètes sur la
création en mars 1991 dun détachement dassistance militaire et
dinstruction (DAMI) qui dépendait administrativement du ministère de la
Coopération.
M. Jacques Pelletier a répondu que la création de ce
détachement a été décidée dans le bureau de lAmbassadeur Arnaud et
quensuite, la consigne a été donnée au ministre de la Défense de le mettre en
place puisque ces personnels sont pris sur ses effectifs militaires.
M. François Lamy a demandé sils étaient gérés
administrativement par le ministère de la Coopération.
M. Jacques Pelletier a précisé quils étaient payés
par le ministère de la Coopération. Il a expliqué quen février 1991,
lenvoi dun DAMI de trente hommes a été décidé pour renforcer les dix-sept
assistants techniques. Ces militaires étaient en principe envoyés au Rwanda pour une
période très courte, de quatre ou cinq mois, alors que les personnels dassistance
technique létaient pour plusieurs années.
M. François Lamy a observé que cette situation posait un
problème : les instructions initiales sont données par le chef détat-major
des armées et lon passe ensuite à une gestion administrative par le ministère de
la Coopération. Il a demandé quel était le rôle des militaires de la rue Monsieur et
leurs relations avec les militaires en coopération.
M. Jacques Pelletier a indiqué que le colonel Galinié était
chargé, à lépoque, de diriger à Kigali lensemble des personnels
militaires, aussi bien assistants techniques que membres du DAMI. Le général qui
commandait la mission militaire de la coopération à Paris et le colonel qui commandait
sur place correspondaient entre eux et étaient également en liaison avec
létat-major des armées, bien évidemment.
Audition du Général Jean-Claude LAFOURCADE,
COMFORCES-Turquoise (22 juin-21 août 1994), et du Colonel Patrice SARTRE, Chef du
groupement Nord-Turquoise (22 juin-21 août 1994)
(séance du 17 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Général Jean-Claude Lafourcade a dabord présenté la
situation au Rwanda au début de lopération Turquoise. Il a exposé que les forces
du FPR, qui sétaient engagées au Rwanda depuis lOuganda à la suite des
événements dramatiques davril 1994, avaient envahi en deux mois de combat
toute la partie est du pays. Il a ajouté que le 18 juin 1994, au moment où la
France décidait dentreprendre une opération humanitaire, les forces armées
rwandaises tenaient encore une partie de la capitale, Kigali, et laxe reliant
celle-ci à la ville de Kayanza, au Burundi, par Butare. Il a précisé que, dans
louest du pays, les bandes formées de civils ou de militaires hutus incontrôlés
continuaient à massacrer dans lexcitation leurs concitoyens, tutsis et hutus autres
quextrémistes. Des milliers de personnes hutues et tutsies avaient été
massacrées. Beaucoup dentre elles fuyaient les tueries comme elles pouvaient.
Certains de ces survivants avaient trouvé un asile précaire dans des camps placés sous
la protection symbolique dorganisations caritatives ou de congrégations
religieuses, dautres se terraient dans les villes et les campagnes en attendant la
fin des combats. Tous souffraient de maladies, de malnutrition et, parfois, de blessures
nécessitant soins et médicaments alors que toutes les organisations humanitaires avaient
quitté la zone à cause de linsécurité qui y régnait.
Après avoir indiqué quà Kigali les 400 Casques bleus de
la MINUAR navaient pas la possibilité dintervenir et ne pouvaient pas être
renforcés avant deux ou trois mois, et quun cessez-le-feu instauré le 15 juin
après-midi avait été rompu le matin du 16 par le bombardement du centre ville par le
FPR depuis les collines environnantes, il a rappelé que devant létendue de ces
massacres, les lenteurs de la mise en place de la force dinterposition renforcée de
lONU et limpact de ce déchaînement de violence sur lopinion publique,
la France avait proposé dintervenir au Rwanda et saisi les Nations Unies le
19 juin. Le 22 juin, par la résolution 929, le Conseil de Sécurité
donnait mandat à la France dintervenir au Rwanda. Les termes de ce mandat étaient " de
contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection "
des populations menacées au Rwanda. Lopération était placée sous commandement
national français et régie par les dispositions du chapitre VII de la charte des
Nations Unies, autorisant lemploi de tous les moyens nécessaires, autrement dit de
la force. La durée de lopération était limitée à deux mois, cest-à-dire
au laps de temps estimé nécessaire par lONU pour mettre sur pied sa force
dinterposition de 5 500 hommes, la MINUAR II, qui allait être
placée sous les ordres du Général Romeo Dallaire.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a fait deux observations sur ce
mandat.
Il a dabord estimé que la rédaction de cette résolution, dont
la diplomatie française avait eu linitiative, répondait pour la première fois aux
voeux des militaires en matière dinterventions extérieures, dune part parce
que la référence aux dispositions du chapitre VII de la charte de lONU
autorisant lusage de la force leur permettait non seulement de remplir leur mission
en neutralisant ceux qui voulaient sy opposer, mais surtout dassurer leur
sécurité et dautre part parce que la limitation de la durée de lopération
à deux mois évitait tout risque denlisement.
Ensuite, il a fait observer que si le mandat donnait au commandant de
la force une grande liberté daction, puisquil ordonnait dassurer la
sécurité et la protection des populations menacées au Rwanda, sans autres précisions,
il comportait aussi une gageure dans la mesure où, sachant le soutien que la France avait
apporté au gouvernement de ce pays les années précédentes, il disposait que cette
mission devait être menée de manière impartiale.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a alors présenté le dispositif de
lopération Turquoise. Il a indiqué quen tant que commandant de
lopération, il disposait dun poste de commandement interarmées de théâtre
(PCIAT), directement relié au centre opérationnel interarmées (COIA) de Paris,
cest-à-dire au Chef dEtat-major des Armées, lAmiral Jacques Lanxade.
Ce PCIAT devait être implanté à proximité immédiate du théâtre rwandais pour des
raisons opérationnelles et, en même temps, bénéficier des facilités daccès
indispensables à son fonctionnement, notamment dune plate-forme aérienne. Après
accord des autorités zaïroises, le site de Goma au Zaïre avait donc été choisi pour
son implantation.
Il a ajouté que le dispositif multinational Turquoise, placé sous
commandement français, avait regroupé 3 060 hommes dont 508 étrangers,
exclusivement des Africains du Sénégal, de la Guinée Bissau, du Tchad, de la
Mauritanie, dEgypte, du Niger et du Congo. Il a estimé que cétait
lhonneur de ces pays de sêtre joints à la France à ce moment-là.
Il a expliqué que le déploiement de la force sétait effectué
exclusivement par voie aérienne et souligné que la mise en place en une dizaine de jours
de plus de 3 000 hommes, de 700 véhicules et de 8 000 tonnes de
matériels avait démontré un savoir-faire militaire que peu de pays possédaient. La
majorité des moyens de combat avait été envoyée depuis des unités prépositionnées
en Afrique -en Centrafrique, au Gabon, à Djibouti- ainsi quà La Réunion ;
cette solution avait permis de gagner du temps et de disposer de troupes professionnelles
immédiatement entraînées et surtout acclimatées.
Il a ensuite précisé larticulation du dispositif déployé au
Rwanda.
Le dispositif avait dabord compris trois groupements, le
groupement des opérations spéciales, commandé par le Colonel Jacques Rosier, dans la
région de Gikongoro, cest-à-dire à lest, le groupement nord, commandé par
le Colonel Patrice Sartre, dans la région de Kibuye et le groupement sud, commandé par
le Lieutenant-Colonel Jacques Hogard, dans la région de Cyangugu.
Fin juillet, un cessez-le-feu étant intervenu et la situation
sétant stabilisée, le groupement des opérations spéciales a été rapatrié et
remplacé par le bataillon africain. Plus précisément, le groupement du Colonel Jacques
Rosier a été remplacé par des unités provenant du groupement nord du Colonel Patrice
Sartre et placées sous le commandement dun colonel, le Colonel Patrice Sartre
intégrant à son dispositif le bataillon africain et le Lieutenant-Colonel Jacques Hogard
conservant le groupement sud.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a alors décrit le déroulement de
lopération. Il a souligné que la période du 22 juin au 22 août avait
été marquée par lévolution rapide de la situation politico-militaire qui avait
imposé au commandement de lopération de procéder à des adaptations permanentes
des postures, du dispositif et des modes daction. Il a fait observer que la
définition du concept de zone humanitaire sûre en était une illustration, les
ministères des Affaires étrangères et de la Défense ayant mis au point ce concept face
aux événements, lorsque lopération sest trouvée confrontée au FPR.
Dans cette période, il a distingué une première phase, du 22 au
28 juin correspondant à la mise en place, par voie aérienne, au Zaïre du premier
échelon de la force, en même temps quétaient conduites au Rwanda des opérations
limitées, de façon à marquer au plus vite la détermination et le sens humanitaire de
lintervention, et arrêter immédiatement les massacres. Il a précisé que
cest ainsi que le groupement des opérations spéciales avait assuré, dès le
23 juin, la protection du camp de réfugiés de Nyarushishi, regroupant
10 000 Tutsis, à une dizaine de kilomètres de la frontière zaïroise, près
de Cyangugu. Il a ajouté que cette phase avait été particulièrement délicate, compte
tenu du faible volume des moyens alors engagés au Rwanda et de la nécessité
dorganiser, au même moment, lacheminement du gros de la force au Zaïre. Il a
fait observer que les forces engagées allaient vraiment dans linconnu,
puisquon ne disposait daucun renseignement précis sur la situation à
lintérieur du Rwanda et, notamment, sur lévolution des combats entre les
forces armées rwandaises et le FPR, et ce, alors même quil fallait éviter que
lopération aille au contact du FPR. Il a précisé quune autre difficulté
résidait dans la forte suspicion internationale dont lopération Turquoise faisait
alors lobjet ainsi que dans la grande hostilité que le FPR exprimait à son égard,
tandis quau contraire le Gouvernement intérimaire rwandais et les forces armées
rwandaises étaient convaincues que la France venait à leur secours ; il a expliqué
que, de ce fait, il avait fallu adopter des modes daction saffranchissant de
toute collusion avec ce Gouvernement intérimaire.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a distingué une deuxième phase,
du 28 juin au 7 juillet, caractérisée par lextension de laction de
la force Turquoise à lintérieur du Rwanda. Il a précisé que cette extension ne
faisait pas initialement partie de lordre dopération, qui se limitait à
linstallation de la force et à lenvoi dobservateurs à Cyangugu et à
Kibuye, mais que, sous leffet dune énorme pression internationale, politique,
médiatique, humanitaire, religieuse, du monde entier, la mission turquoise avait été
engagée plus à lest, à lintérieur de la zone gouvernementale, afin
dextraire les personnes menacées, darrêter les massacres en cours et de
protéger les populations. Il a précisé que, dans ce cadre, les unités avaient été
engagées, au nord en direction de Kibuye et au sud, à partir de Bukavu, dans le secteur
de la forêt de Nyungwe jusquà Gikongoro puis, jusquà Butare, doù le
3 juillet, à la demande des instances internationales, 1000 personnes dont
700 enfants avaient été évacuées vers le Burundi et Bukavu. Il a fait observer
que la rencontre avec le FPR était alors inéluctable et quil y avait
dailleurs eu un accrochage entre les forces de ce dernier et le groupement des
opérations spéciales au cours de lopération de Butare.
Il a souligné que pendant cette phase, la protection presque exclusive
des Tutsis, les opérations de désarmement des milices Interahamwe ainsi que le refus de
soutenir les FAR avaient entraîné une grande désillusion dans le camp du gouvernement
intérimaire et parmi la population hutue. Dès lors la force Turquoise avait dû faire en
sorte déviter une réaction armée hostile de leur part.
Il a estimé quaprès laccrochage avec le FPR à Butare,
limpartialité de lintervention et le refus de lui attribuer un rôle
dinterposition avaient été remarquablement concrétisées par la création de la
zone humanitaire sûre. Cette zone sinscrivant parfaitement dans le cadre juridique
de la résolution 929, permettait dassurer la protection denviron trois
millions de personnes, dont plus dun million de réfugiés qui fuyaient
lavance du FPR. Il a ajouté quelle sétendait sur
4 500 kilomètres carrés et épousait les limites géographiques des districts
de Cyangugu, Gikongoro et Kibuye. Son statut juridique impliquait linterdiction de
présence, de circulation ou de pénétration déléments armés et imposait de
désarmer lensemble des populations.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a alors présenté la troisième
phase de lopération qui avait duré jusquà la fin du mois juillet et avait
été caractérisée par le déploiement des différentes composantes de la force dans le
secteur de la zone de sécurité qui lui avait été assigné, par la prise de contrôle
de la zone et par lévacuation dencore 1 300 personnes en danger
immédiat. Il a ajouté que cette troisième phase avait été marquée par une succession
dactions dinterdiction armée face aux tentatives de pénétration du FPR dans
la zone et par la poursuite des opérations de désarmement des milices et des forces
armées rwandaises qui sy trouvaient.
Il a estimé que la détermination à consolider la zone de sécurité
et la fermeté face au FPR, marquée un temps par lengagement à titre dissuasif de
la composante aérienne, avaient contribué à rassurer les populations et à faciliter
finalement le désarmement des FAR et des milices et que la force avait ainsi créé
rapidement les conditions de sécurité permettant le travail des organisations
humanitaires, comme cétait sa mission.
Il a ajouté que, pendant cette période, le FPR avait continué sa
progression au nord de la zone humanitaire en direction de Goma et Gisenyi, bousculant les
FAR en déroute et poussant devant lui des populations terrorisées. Rappelant que les FAR
avaient alors proposé au FPR un cessez-le-feu, avec le soutien de la communauté
internationale en la personne du représentant spécial du Secrétaire général de
lONU à Kigali, il a souligné quil avait appuyé lui aussi cette initiative
par un message au Général Kagame où il lui indiquait les risques humanitaires
importants dune arrivée massive de réfugiés au Zaïre, mais que le chef du FPR
nen avait pas tenu compte et avait poursuivi sa progression jusquà la
frontière, ce qui avait provoqué lexode dun million de réfugiés dans la
région de Goma et la catastrophe humanitaire qui sen était suivie.
Il a précisé que la population zaïroise en avait ressenti un vif
ressentiment envers la France, quelle rendait responsable de cet afflux de
réfugiés. Son ressentiment avait cependant été vite dissipé grâce à la
participation exemplaire du personnel militaire de Turquoise à laction humanitaire
entreprise face à ce drame et à lépidémie de choléra qui lavait suivi.
Il a fait remarquer quau cours de cette troisième phase, il
avait été difficile de mobiliser les organisations humanitaires internationales et
certaines grandes ONG, par ailleurs aisément moralisatrices, pour quelles
interviennent dans la zone de sécurité.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a alors exposé quune
quatrième phase, jusquau 22 août, avait consisté à stabiliser la zone de
sécurité, à participer à laction humanitaire et à préparer la relève par la
MINUAR II, comme le mandat le précisait. Des structures administratives provisoires
ont alors été mises en place pour remédier à la défection de la plupart des anciens
responsables impliqués dans les massacres, qui sétaient en fait enfuis, pour
lessentiel, dès avant larrivée de la force Turquoise, et la sécurisation de
la zone a été poursuivie, favorisant larrivée des organisations humanitaires. Il
a précisé que la force avait participé activement au développement de laction
humanitaire avec ses moyens militaires.
Au cours de cette dernière phase, la population avait exprimé une
reconnaissance évidente à légard de la force et lui avait témoigné une
confiance croissante. Il a noté cependant quen revanche, la méfiance des Hutus à
lencontre de la MINUAR, et même du Général Romeo Dallaire, et leur peur que le
FPR ne procède, en entrant dans la zone après le départ de Turquoise, à des
exécutions et à des massacres, laissaient envisager un exode massif vers le Zaïre et le
Burundi. Faisant valoir quun exode vers Bukavu au Zaïre aurait abouti à la
reproduction du drame de Goma, il a précisé que de nouveaux modes daction avaient
dû être mis en oeuvre à léchelon des commandants de groupements pour
léviter. Il avait donc fallu convaincre les Hutus que la communauté internationale
empêcherait le FPR de procéder à des représailles à leur encontre. Ils sont
finalement restés dans la zone et lexode na pas eu lieu.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a ajouté que la planification du
désengagement avait été rendue particulièrement difficile du fait des incertitudes qui
régnaient sur les délais de déploiement de la MINUAR II et que cest
seulement grâce au maintien sur zone du bataillon francophone africain, intégré alors
à la MINUAR II malgré les réticences du FPR, que ce problème avait pu être réglé.
Finalement, le 22 août, le dernier soldat français quittait le Rwanda,
conformément au mandat donné par la résolution 929 de lONU.
Présentant alors le bilan de lopération, le Général
Jean-Claude Lafourcade a estimé que même si elle avait fait lobjet dune
forte suspicion internationale lors de son engagement, elle sétait terminée avec
succès. Il sest félicité que laction de la force Turquoise ait permis
datteindre, dans un environnement particulièrement difficile, les objectifs fixés
par le mandat de lONU. Il a ajouté quelle avait été placée sous le regard
permanent de plus de 200 journalistes internationaux, omniprésents pendant toute la
durée de lopération. Il a rappelé quelle avait mis fin aux massacres
perpétrés au Rwanda, et souligné quelle avait sauvé, par ses interventions
directes, 20 000 à 30 000 personnes, quelle avait protégé la
population réfugiée dans la zone humanitaire sûre, enfin et surtout quelle avait
empêché lexode de plus de deux millions de personnes qui autrement auraient fui au
Zaïre devant lavance du FPR, et ce dans les conditions dramatiques que lon
peut imaginer eu égard à ce qui sest passé à Goma.
Il a ajouté que la présence de la force Turquoise avait permis le
développement de laction humanitaire internationale, gouvernementale et non
gouvernementale, aucun organisme humanitaire nayant pu simplanter dans la zone
avant larrivée du contingent français en raison de linsécurité qui y
régnait, et précisé que la force sétait elle-même impliquée directement dans
laction humanitaire.
Le Général Jean-Claude Lafourcade sest ensuite inscrit en faux
contre lidée selon laquelle la zone humanitaire sûre aurait servi de refuge aux
FAR et aux Interahamwe et leur aurait permis de rejoindre en armes et en sécurité le
territoire zaïrois. Il a précisé quau contraire ceux qui traversaient la zone de
sécurité étaient désarmés par les Français et que cest pour cette raison que
les FAR, qui lavaient bien compris, avaient fait passer le gros de leurs troupes et
leur armement lourd par le nord du pays, en contournant la zone humanitaire sûre et en
évitant de traverser le dispositif Turquoise -et ce dailleurs en pure perte puisque
tout leur armement avait été saisi par les Zaïrois à la frontière du Zaïre. Il a
ajouté quil en avait été de même pour les miliciens qui, découvrant quils
étaient en terrain hostile dans la zone de sécurité, lavaient quittée
rapidement, la grande majorité dentre eux ayant pu être désarmée préalablement.
Il a également fait remarquer que lopération Turquoise avait
été soumise au contrôle de la représentation nationale, deux missions parlementaires
de lAssemblée nationale et du Sénat étant venues sur place vérifier
laction des forces et lui-même ayant été entendu après son retour par la
Commission des Affaires étrangères de lAssemblée nationale.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a alors récapitulé les éléments
essentiels du succès de lopération. Il a dabord rappelé que la
résolution 929 du conseil de sécurité avait autorisé lusage de la force
pour atteindre les objectifs qui lui étaient assignés. Il a associé à cet élément la
large initiative donnée au commandement de théâtre dans lusage de la force et
rendu hommage aux fonctionnaires et militaires des ministères de la Défense et des
Affaires étrangères qui avaient conçu ce dispositif.
Il a ajouté que la présence dune forte composante aérienne
avait également été un facteur de succès déterminant en raison de la sécurité
quelle avait apportée aux unités et de la menace dissuasive quelle avait
représentée. Il a précisé que, pour le commandant de lopération, le fait de
pouvoir disposer dune telle force dissuasive et de pouvoir ainsi bloquer net toute
initiative intempestive en la mettant simplement en mouvement avait représenté un
confort extraordinaire.
Il a estimé que la prise en compte, dès la planification, du facteur
humanitaire, avait donné demblée à lopération une forte crédibilité. Il
a indiqué que cette prise en compte sétait traduite par la mise en place
dune cellule chargée des affaires civiles humanitaires au sein du PC à Goma. La
présence dofficiers expérimentés et de représentants des ministères des
Affaires étrangères, de laction humanitaire et de la coopération dans cette
cellule, ainsi que la localisation de son lieu de travail à lextérieur du PC
militaire, lui avaient permis de jouer un rôle déterminant dans la coordination des
actions de tous les acteurs humanitaires et de nouer un dialogue confiant avec les
organisations humanitaires et les ONG. Se réjouissant que cette organisation ait ainsi
montré son efficacité, il a néanmoins regretté que les résultats naient pas
été à la hauteur des ambitions affichées.
Il a jugé cependant que cétait surtout la qualité des
personnels engagés dans lopération Turquoise qui constituait la raison majeure du
succès.
Insistant sur le fait que la condition indispensable pour répondre aux
objectifs politiques et humanitaires de lintervention et pour permettre, dans de
bonnes conditions, son suivi par les médias était de maîtriser et de contrôler en
permanence, et à tous les niveaux, jusquau soldat de base, lemploi de la
force, il a souligné quune armée, des soldats et des chefs de qualité en étaient
seuls capables.
Il a précisé que les conditions dengagement avaient été
particulièrement complexes, quelles avaient demandé, à tous les niveaux, de la
compétence, du sang-froid, une grande intelligence de la mission et des situations, une
capacité dadaptation permanente, ainsi que de la rigueur dans lexécution,
mais aussi de laisance dans lexpression, eu égard à la présence permanente
de la presse et des médias.
Il a tenu à rendre hommage devant la mission dinformation à
lexemplarité du comportement de tous les acteurs de cette opération, du soldat aux
commandants de groupement. Il a ajouté que, pour cette raison, la campagne de presse qui
insinuait que larmée française aurait pu avoir un comportement douteux, voire
condamnable au Rwanda, affectait profondément tous ceux qui avaient participé à
lopération, et ce dautant plus quils devaient se défendre de ces
insinuations, non seulement sur le plan professionnel, mais aussi sur le plan personnel ou
familial, certains militaires sentendant demander par leur famille la plus proche
quelles horreurs ils avaient pu commettre au Rwanda.
Il a conclu quen tant que commandant de lopération
Turquoise, il se portait garant devant la mission dinformation du comportement
remarquable de ses hommes, soulignant quils étaient la fierté de leur chef et
quils avaient fait honneur à la France.
Le Président Paul Quilès a remarqué que si lopération
Turquoise obéissait à un principe de stricte neutralité des forces vis-à-vis des deux
camps en présence, elle intervenait bien dans un pays en guerre. Il a alors demandé
comment sétaient passées concrètement les relations sur le terrain avec les FAR
et avec le FPR.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a dabord répondu que la
situation vis-à-vis des deux camps était différente puisque, sagissant du FPR, la
difficulté était de le convaincre que les soldats français venaient bien dans le cadre
dun mandat de lONU pour arrêter les massacres et quil ny avait
donc dans cette opération aucune ambition cachée de reconquête du Rwanda, tandis que,
sagissant des FAR, elle était de leur faire comprendre que Turquoise navait
pas pour but de les aider. Il a ajouté que cest cette dernière action qui avait
été la plus ardue et que convaincre les FAR de se laisser désarmer avait été une
tâche très difficile pour les commandants de groupement.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a précisé que, parallèlement aux
émissaires envoyés par Paris, il avait eu des contacts avec le FPR pour lui expliquer le
mandat de lopération. Il a expliqué quune cellule de liaison avait été
mise en place à Kigali au sein de la MINUAR, avec laccord du Général Romeo
Dallaire, pour établir et garder le contact avec le FPR et éviter les méprises, par
exemple sur les limites de la zone humanitaire sûre. Il a ajouté quen fait de
contacts, cette cellule avait dû se borner à transmettre quelques messages écrits de sa
part au Général Paul Kagame. Il a toutefois fait observer que le Général Kagame avait
assez rapidement compris que lopération avait vraiment pour seul but
darrêter les massacres et que, de ce fait, ce système de liaison avait évité de
prolonger la suspicion.
Il a précisé que le même système avait été de nouveau utilisé
lorsque le FPR avait voulu entrer dans la zone Turquoise ; il avait alors lui-même
fait passer au FPR un message qui rappelait la détermination de la force à faire
respecter le mandat qui lui avait été donné et prévenait que la zone était interdite
à tout élément armé. Dans le même temps, la force répondait aux quelques petits
accrochages déclenchés par le FPR. Le Général Jean-Claude Lafourcade organisait un
survol dissuasif de la ligne de contact par des avions de combat.
Il a ajouté quensuite il y avait eu dautres échanges
entre les forces françaises et le FPR pour préparer larrivée de la MINUAR II et
organiser ladministration du territoire mais que cest le groupement du Colonel
Patrice Sartre qui avait alors été en première ligne.
Le Colonel Patrice Sartre a exposé quil avait eu des
contacts avec chacune des deux branches du FPR, la branche armée et la branche politique.
Il a indiqué que, lorsque la limite de la zone humanitaire sûre sétait
stabilisée, après les accrochages évoqués, son groupement avait établi des contacts
de liaison quotidiens avec la branche armée du FPR, qui sappelait lAPR.
Il a précisé que ces relations avaient été très vite cordiales,
même si elles navaient pas duré assez longtemps pour devenir confiantes, et
quelles avaient permis de préparer la visite de la zone humanitaire sûre par les
autorités politiques du FPR, dans la perspective de leur installation administrative lors
du départ de la force. Il a ajouté quau moins le Ministre de lIntérieur et
celui de la Reconstruction du Gouvernement provisoire du FPR étaient venus visiter la
zone, sous la triple protection de Turquoise, dune garde appartenant à leurs
propres forces qui les accompagnait et de quelques Casques bleus.
Il a fait observer quen revanche, autant les relations avec la
branche armée étaient extrêmement cordiales, autant celles avec la branche politique
étaient relativement réservées et distantes. Il a ajouté que les politiques étaient
extrêmement tendus et avaient très peur que leur arrivée et lannonce quils
allaient administrer la zone sèment la panique dans les populations hutues, et estimé
pour sa part quils narrivaient en effet pas très bien à les rassurer.
Le Président Paul Quilès a alors demandé pour quelles
raisons on avait finalement décidé de créer une zone humanitaire sûre, sur quelles
bases elle avait été délimitée et jusquoù les forces Turquoise avaient
pénétré en territoire rwandais.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a expliqué que la force,
malgré sa prudence, avait fini par arriver au contact du FPR -notamment lors de
laccrochage dun groupement des opérations spéciales avec le FPR au moment de
lévacuation des orphelins de Butare-, et quà ce moment là, Paris avait eu
recours à ce concept juridique que lon connaissait déjà, puisquil avait
déjà été mis en oeuvre en Yougoslavie.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a exposé quon lui avait
alors demandé de faire des propositions de délimitation dune zone humanitaire
sûre. Il a précisé quune première proposition, qui correspondait pratiquement à
la limite de la progression de la force et qui barrait le Rwanda en deux du nord au sud,
avait été refusée par Paris et quil avait alors décidé de délimiter plutôt
une zone centrée sur lespace où la population était la plus nombreuse, dans le
sud-ouest. Il a ajouté que, sur ces bases, la force avait précisé les limites de la
zone de sécurité, en liaison avec le Général Romeo Dallaire et le Colonel Kagame et
quelles avaient finalement fait lobjet déchanges de documents faxés,
après quoi elles avaient été reconnues par le FPR. Il a indiqué que si quelques
incidents avaient pu avoir lieu ensuite entre le FPR et Turquoise, ils étaient dus à des
manques de précision dans la délimitation de la zone et que cela restait anecdotique.
A une question du Président Paul Quilès sur la façon dont
Turquoise avait pu assurer ladministration de la zone ainsi que la sécurité et la
protection des personnes, le Général Jean-Claude Lafourcade a répondu que
cétait les commandants de groupement qui avaient été directement confrontés au
problème et quil leur laissait la parole.
Le Colonel Patrice Sartre a indiqué que, dans les grandes lignes,
il avait eu à procéder de la même façon que le Lieutenant-Colonel Jacques Hogard,
sachant que la zone dont il avait la responsabilité avait connu moins de défections
parmi les fonctionnaires dans la mesure où elle était séparée du Zaïre par le lac
Kivu et que les infrastructures avaient pu y être maintenues en fonctionnement beaucoup
plus facilement.
Il a précisé que la particularité la plus notable de sa zone avait
été la personnalité du préfet de Kibuye, Clément Kayishema, qui après lui être
dabord apparu comme un personnage antipathique sétait avéré très
rapidement être gravement responsable de ce qui sétait passé auparavant, et
sétait enfui très vite au Zaïre, au contraire dune partie de son
administration, qui était restée. Il a ajouté que cet individu était actuellement
jugé par le tribunal dArusha.
A une question du Président Paul Quilès lui demandant si
lopération ayant reçu lapprobation du Conseil de sécurité, il rendait
compte à lONU, le Général Jean-Claude Lafourcade a répondu que non, et
que, sil avait tenu informé M. Khan, le représentant spécial du Secrétaire
général de lONU à Kigali lorsquil venait le voir, la France avait un
mandat, lopération était sous commandement national et que cest donc à
létat-major des armées quil rendait compte.
Citant le rapport de fin de mission du Général Jean-Claude
Lafourcade, M. Bernard Cazeneuve a évoqué plusieurs points.
Il a dabord noté que si le Général Jean-Claude Lafourcade
écrivait que " certaines des ONG qui avaient été critiques vis-à-vis de
notre action, reconnaissent volontiers publiquement lefficacité et la diversité de
laide apportée par les forces armées ", il poursuivait ainsi : " cette
notoriété reste fragile, vraisemblablement temporaire, et ne doit pas faire oublier le
faible succès des efforts déployés pour engager des ONG dans le cadre espace-temps de
la manoeuvre Turquoise. La cellule affaires civiles de Turquoise a manqué dans ce domaine
dinformations sur létat et la nature des tractations menées à
léchelon central. Dans un souci defficacité, quelques synthèses
épisodiques fournies par la cellule spécialisée du COIA auraient été
bienvenues. " M. Bernard Cazeneuve sest alors interrogé sur
cette contradiction.
Il a également remarqué que le rapport faisait état de la
difficulté détablir, en quantité et en qualité, les liaisons nécessaires avec
les groupements des forces, la cellule COIA et les correspondants civils à contacter pour
les évacuations.
Enfin, relevant que sur les conditions offertes par le milieu, le
Général écrivait qu" une monographie complète aurait dû être mise
à la disposition du commandant de la force dès le début de la planification, car les
indications fournies de manière informelle par les prétendus connaisseurs de la zone se
sont avérées inexactes -état des pistes, durée des trajets- ou incomplètes
-climatologie, réseau hydrographique, approvisionnement en eau potable, etc.- ",
il sest demandé pourquoi, alors que les forces françaises avaient été si
longtemps présentes au Rwanda entre 1990 et 1993 au titre de lopération Noroît,
lopération Turquoise avait dû être engagée dans des conditions de renseignement
et de communication aussi approximatives.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a dabord répondu
quavant lopération Turquoise, dans les années 1990 à 1994, la région qui
préoccupait les coopérants militaires français était évidemment la zone nord, où
avaient lieu les tentatives de pénétration du FPR tandis que le sud-ouest du Rwanda
nétait un enjeu ni tactique, ni opérationnel, ni stratégique.
Sur la prise en compte des questions humanitaires, il a expliqué que
cest avec lopération Turquoise que les armées avaient commencé à mettre en
place des cellules de coordination avec les organisations humanitaires internationales et
les ONG, tant à Paris, au COIA, quau siège du commandement de lopération et
quil nétait donc pas étonnant quà lépoque le commandement de
lopération nait pas eu dinformations venant de la cellule humanitaire
du COIA sur la coordination des actions humanitaires.
Il a ajouté que cette cellule du COIA était beaucoup plus structurée
aujourdhui et quelle travaillait notamment avec les Affaires étrangères, ce
qui la mettait en contact avec les réseaux adéquats.
A propos des difficultés de liaison, il a précisé quil
navait pas voulu dire que les liaisons étaient lentes à établir, surtout
lorsquil sagissait dévacuations sanitaires, ni non plus insuffisantes,
mais quen raison de létendue de la zone, il avait fallu mettre en place un
système de transmission nouveau, qui comportait notamment des liaisons par satellite. Un
tel système de liaison par satellite présentait cependant deux inconvénients,
dabord quil peut être saturé rapidement, notamment lors de la transmission
de fax, et que, sil nest pas protégé, il peut être écouté.
M. Bernard Cazeneuve a alors demandé au Général Jean-Claude
Lafourcade si, pour la préparation de lopération Turquoise, les attachés de
défense, les chefs de Mission dassistance militaire, qui avaient été en poste au
Rwanda entre 1993 et le départ de la représentation diplomatique française en 1994
avaient été contactés et si des réunions préalables de travail avaient été tenues
avec eux.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a répondu que, non seulement
lors de la préparation de lopération, le COIA avait eu recours aux anciens du
Rwanda, mais quon avait inclus dans la force des officiers qui connaissaient le
Rwanda et qui y avaient travaillé, et que cela sétait avéré très utile.
M. Bernard Cazeneuve a pris acte de cette réponse. Il a
toutefois rappelé que la France avait été très impliquée au Rwanda au titre de sa
coopération militaire pour la formation des forces armées rwandaises en application de
laccord de 1975, et ce, dune façon bien spécifique puisque, de la lecture
des télégrammes diplomatiques et des différents témoignages qui ont été portés à
la connaissance de la mission dinformation, il ressortait que, pendant toute
lopération Noroît, le FPR avait été désigné aux militaires français comme un
ennemi face auquel il fallait sinon résister, en tout cas, maintenir un équilibre pour
faciliter la négociation des accords dArusha. Il sest alors demandé si,
compte tenu du fait que des militaires impliqués dans lopération Noroît étaient
présents aussi dans lopération Turquoise, la conception générale qui avait
inspiré lopération Noroît navait pas été de nature à altérer, à
certains moments précis, lobligation de neutralité à légard des forces
belligérantes, qui constituait lun des points forts des règles qui avaient été
assignées à lopération Turquoise.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a répondu quen effet, le
Gouvernement a successivement demandé aux mêmes officiers, dans un premier temps de
contribuer à la formation des militaires rwandais contre le FPR, puis, brutalement,
dengager lopération Turquoise sur des bases dimpartialité totale, dans
un contexte où il ny avait plus dennemi et où il fallait éventuellement
discuter avec le FPR.
Précisant que ce changement navait pas été facile mais
quil navait eu aucun impact sur les opérations, il a insisté sur le
caractère exceptionnel de la discipline intellectuelle que cela supposait chez les
officiers et les militaires français, alors même que certains, après deux ou trois ans
de séjour aux côtés des FAR, devaient sûrement avoir des opinions personnelles sur la
situation du Rwanda. Il a de nouveau affirmé que si certains, à léchelon
individuel, avaient eu des états dâme, cela nétait absolument pas apparu
dans lexécution de la mission.
Il a précisé par ailleurs que les personnels qui connaissaient le
Rwanda avaient été constitués en une sorte de groupement, de petit conseil des
connaisseurs et que cela avait été extrêmement utile dans la mesure où il fallait
réellement connaître le terrain et les mentalités pour ne pas commettre dimpair
dans une mission aussi délicate.
Le Général Jean-Claude Lafourcade a souhaité également insister sur
les circonstances et le contexte de lépoque : cétait les premiers
jours ; la situation était extrêmement tendue ; très peu de moyens étaient
encore déployés au Rwanda ; les véhicules du groupement spécial étaient arrivés
la veille, le 27 ou le 28 ; on ne savait pas ce quon allait trouver au
Rwanda ; surtout, lanalyse de renseignement dont disposait le commandement à
lépoque était que le FPR, qui tenait une poche allant de la frontière près de
Gitarama jusquau col dEndaba, voulait foncer sur Kibuye. Si cette analyse
était bonne, le groupement était au beau milieu de la zone. Il a précisé la
situation : dans ce contexte, un groupe entend des explosions. Il ne peut distinguer
sil sagit de grenades ou dautres armes et on lui dit que cest le
FPR. Les directives étant quil était exclu daller au contact du FPR, la
consigne a été daffiner le renseignement en attendant un peu que le dispositif se
complète. Mais le renseignement lui-même était délicat à obtenir puisquil
était exclu, politiquement, daller au contact du FPR.
Le Président Paul Quilès, remarquant que lun des rapports
de fin de mission comportait des remarques dubitatives sur larticulation entre
laction humanitaire privée et laction humanitaire menée dans le cadre de
lopération Turquoise, sest interrogé sur les progrès qui pourraient être
réalisés dans ce domaine.
Le Colonel Patrice Sartre a répondu quà lépoque il
pouvait être difficile pour des militaires de bien apprécier ce qui pouvait être
demandé aux ONG, compte tenu de leurs contraintes de financement des personnels et de
bénévolat. Il a ajouté cependant quaprès bien des tâtonnements, auxquels avait
fait allusion le Général Jean-Claude Lafourcade, et parce que la connaissance
réciproque des ONG et des militaires sétait beaucoup améliorée, les militaires
disposaient désormais, dans la partie militaire du mécanisme de gestion des crises,
dune meilleure compréhension, et donc dune meilleure aptitude, à distinguer
ce quils auraient toujours à faire eux-mêmes dans lurgence, notamment
lorsque les conditions de sécurité étaient mauvaises, ce quils pouvaient faire en
cas de carence momentanée et locale des ONG, et ce qui ne relèvera jamais de leur
compétence, ainsi que dune meilleure maîtrise des mécanismes qui permettent de
coopérer avec les ONG.
Audition du Lieutenant-Colonel Jean-Rémy DUVAL
Chef du groupe 2 COS-Turquoise (22 juin-30 juillet 1994)
(séance du 17 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Lieutenant-Colonel Jean-Rémy Duval a tout dabord indiqué
quil était en retraite de lArmée de lair depuis deux ans, et que son
intervention serait brève car il souscrivait totalement aux propos précédents.
En 1994, il a précisé quil commandait lescadron
dintervention des commandos de lair, basé à Nîmes, et quà ce titre
il avait commandé le détachement du commando parachutiste de lair n°10 dans le
cadre de lopération Turquoise, aux ordres du Général Jacques Rosier.
La mission était de mettre fin aux massacres partout où cela était
possible, de mener des actions de reconnaissance et de prendre contact avec les autorités
locales, civiles et militaires. Elle avait été définie clairement et de manière
répétée. Il disposait pour cela dun détachement de cinquante hommes commandos de
lair, officiers, sous-officiers et caporaux-chefs engagés, dun armement
propre au détachement et dune dizaine de véhicules-radioarmés.
Les règles de comportement qui avaient été dictées consistaient à
adopter une attitude de stricte neutralité à légard des différentes factions en
conflit, à manifester la détermination de protéger les populations et donc à affirmer
le but humanitaire de lopération Turquoise, ce qui a été fait tout au long de
cette période.
Il a déclaré que le détachement des commandos de lair avait
été mis en place à Bukavu, via Goma le 23 juin et que le 24 juin, il avait
été héliporté à Kibuye, les véhicules narrivant que le 27. Immédiatement, le
détachement avait pris position dans les bâtiments dune communauté religieuse,
gravement menacée par la population locale, afin dassurer sa protection.
Du 24 au 27 juin, outre la protection de la trentaine de
religieuses de cette communauté, des contact avaient été pris avec les autorités
locales et le commando avait entrepris la reconnaissance des secteurs limitrophes de
Kibuye. Le 28 juin au matin, il a indiqué avoir procédé à une opération
dévacuation par hélicoptère des religieuses vers Goma et a précisé que le
29 juin le Ministre de la Défense, M. François Léotard avait visité les
installations du détachement. Du 28 juin au 2 juillet, un travail de
reconnaissance, dans une zone délimitée par les axes Kibuye-Kivumu-est de Gishyita,
avait été réalisé en vue dobtenir des renseignements sur les positions
du FPR et de rechercher les camps de réfugiés tutsis.
Le 3 juillet, la relève avait été effectuée dans le secteur de
Kibuye par un détachement du régiment dinfanterie de marine et son détachement
avait fait mouvement vers Gikongoro où il sétait mis en place le 4 juillet.
Du 4 au 27 juillet, il avait effectué les contrôles de la zone est de Gikongoro
(Gikongoro-Kinyamakara, jusquà la limite de la zone humanitaire de sécurité) et
fait procéder au rassemblement de protection de la population tutsie cachée dans les
collines et au contrôle de laxe routier Gikongoro-Butare. Il a précisé que ses
hommes avaient participé au désarmement de miliciens et de pillards hutus et que la
mission du détachement du commando de lair sétait achevée le
28 juillet.
Audition de M. Jean-Pierre LAFON
Directeur des Nations Unies et des Relations internationales
au ministère des Affaires étrangères (mai 1989-avril 1994)
(séance du 23 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Jean-Pierre Lafon,
Directeur du service des Nations Unies et des relations internationales au ministère des
Affaires étrangères, au moment où sétaient déroulés au Rwanda les événements
faisaient directement lobjet des investigations de la mission. Il a rappelé que
jusquà présent, la mission sétait attachée davantage à étudier le rôle
de la France au Rwanda, mais quil lui appartenait également danalyser le
rôle quont joué, et malheureusement parfois refusé de jouer, les Nations Unies et
dessayer déclaircir lattitude des grandes puissances face à ce
conflit.
M. Jean-Pierre Lafon a dabord précisé quil avait
été Directeur du service des Nations Unies de mai 1989 à avril 1994, avant dêtre
nommé Ambassadeur à Beyrouth. Il a indiqué quau ministère des affaires
étrangères, la direction des Nations Unies donne les instructions à lensemble des
ambassadeurs représentant la France auprès des différents organismes des Nations Unies
et quelle travaille donc étroitement avec eux, notamment avec le représentant de
la France auprès des Nations Unies qui pourra donner des indications complémentaires. La
direction travaille en coordination avec les autres directions du ministère des Affaires
étrangères, au premier rang desquelles la direction Afrique qui était, à
lépoque, sous la responsabilité de M. Paul Dijoud, puis de M. Jean-Marc
Rochereau de la Sablière, les instructions les plus importantes étant bien évidemment
soumises au cabinet du ministre, à lElysée et à Matignon.
M. Jean-Pierre Lafon a rappelé que les Nations Unies nont
été sérieusement saisies du conflit au Rwanda quà partir du début de
lannée 1993. Il a alors distingué la période précédant la signature des accords
dArusha signés le 4 août 1993, puis la période dentrée en application
de ces derniers jusquà lassassinat le 6 avril 1994 du Président
rwandais, enfin la dernière période, à compter du 7 avril 1994, qui a abouti au
génocide. Il a déclaré que la France avait entrepris la première, à New York, début
mars 1993, les démarches nécessaires pour impliquer lorganisation des Nations
Unies dans la recherche dun règlement du conflit qui était causé depuis un
certain nombre dannées par laffrontement du Front patriotique rwandais et des
forces gouvernementales rwandaises. Les partenaires de la France ont été saisis en
négociations informelles en mars 1993 et des instructions de la direction des Nations
Unies ont été envoyées à notre ambassadeur à lONU à cet effet. Cette
initiative est à lorigine de la résolution 812 du Conseil de Sécurité, dans
laquelle pour la première fois, il se montrait gravement préoccupé par le conflit, par
les conséquences quil pourrait avoir pour la paix et la sécurité, et alarmé par
ses conséquences humanitaires.
M. Jean-Pierre Lafon a souligné que, pour la première fois, le
Conseil de Sécurité exprimait son opinion sur la question du Rwanda. Il invitait le
Secrétaire général, avec un luxe de précautions qui allait beaucoup plus loin que ce
qui était souhaité, à étudier en consultation avec lOrganisation de
lunité africaine la contribution que les Nations Unies pourraient apporter " en
appui aux efforts de lOrganisation de lunité africaine ".
Les Nations Unies nétaient pas mises sur le devant de la scène, mais, pour la
première fois , était étudiée la possibilité détablir une force
internationale sous les auspices conjoints de lOUA et des Nations Unies, chargée de
lassistance humanitaire, de la protection des populations civiles et du soutien à
la force de lOUA. Il était aussi proposé que le Secrétaire général étudie la
création dune force permettant le déploiement dobservateurs le long de la
frontière entre le Rwanda et lOuganda. Il a réaffirmé limportance de cette
résolution 812 qui traduit la première implication des Nations Unies dans le conflit du
Rwanda à linitiative de la France, sur des instructions de la direction des Nations
Unies.
Ensuite, dans le droit fil de la résolution 812 fut adoptée, en juin,
la résolution 836 par laquelle le Conseil de Sécurité décidait la création dune
mission dobservation des Nations Unies à la frontière de lOuganda et du
Rwanda, connue sous le sigle francophone de MONUOR. Cette force marquant la première
implication sur le terrain des Nations Unies était déployée uniquement du coté
ougandais pour vérifier sil ny avait pas dassistance militaire de
lOuganda au FPR, mais elle avait été formée par consensus.
M. Jean-Pierre Lafon a ensuite abordé lévolution de la
situation après la signature des accords dArusha qui, très précisément
prévoyaient la mise en place dun gouvernement de transition jusquà la date
prévue pour les élections, une assemblée nationale de transition et surtout
lenvoi dune force internationale neutre pour faire respecter le cessez-le-feu,
assurer la sécurité du territoire et la démilitarisation.
M. Jean-Pierre Lafon a indiqué que, début septembre 1993, de
nouvelles instructions avaient été envoyées à lambassadeur représentant
permanent de la France auprès des Nations Unies pour quil prenne les contacts
nécessaires afin que, dans le cadre dArusha, puisse être mise en place une force
des Nations Unies car jusque là, malgré la résolution 812, il ny avait eu que la
force dobservation à la frontière. Ces contacts aboutirent à la résolution 872
du 5 octobre 1993 qui créait la mission des Nations Unies au Rwanda, la MINUAR, dans
le cadre des accords dArusha. La MINUAR avait pour mandat dassurer la
sécurité de Kigali par la création dune zone libre darmes, de superviser
laccord de cessez-le-feu par la création dune zone démilitarisée,
dassurer la sécurité du pays jusquà la date des élections
-cest-à-dire pendant tout le processus de transition prévu par les accords-, et de
contrôler le processus de rapatriement des réfugiés.
Les Nations Unies étaient donc le bras exécutif des accords
dArusha par lintermédiaire de la MINUAR. Le Secrétaire général avait
proposé un plan en plusieurs phases, dont la première était létablissement
dune zone de sécurité à Kigali, un retrait des forces étrangères,
larrivée de 1 500 militaires jusquà la mise en place dun
gouvernement de transition. La MINUAR devait, dans une deuxième phase, entreprendre
lintégration des forces armées une fois le gouvernement de transition mis en
place.
Conformément à ce plan, la MINUAR sest mise en place et son
commandant, le Général Romeo Dallaire, dorigine canadienne, est arrivé à Kigali
le 22 octobre 1993. Les premiers bataillons, un contingent belge de 420 hommes et un
contingent du Bangladesh de 560 hommes, furent déployés dans la capitale fin
décembre. Si les difficultés relatives à lapplication et à la mise en oeuvre des
accords dArusha et surtout à la mise en place du gouvernement de transition
étaient nombreuses, le processus de déploiement de la MINUAR se poursuivait et
2 500 militaires au total étaient présents fin mars 1994, avec des troupes
provenant essentiellement de trois contingents : la Belgique avec près de
400 hommes, le Bangladesh avec près de 1 000 hommes et le Ghana avec près
de 1 000 hommes.
M. Jean-Pierre Lafon a rappelé que le 30 mars 1994, à la
veille de la crise résultant de la mort des Présidents rwandais et burundais, le
Secrétaire général de lONU rédigeait un rapport qui faisait état des blocages
sur la mise en place des institutions de transition, puisque ni lassemblée
nationale ni le gouvernement de transition, navaient été créés à cette date,
mais qui tirait néanmoins des conclusions positives, soulignant que les parties
respectaient le cessez-le-feu et avaient témoigné leur attachement au processus de paix
défini par les accords dArusha. Selon M. Jean-Pierre Lafon, le Secrétaire
général des Nations Unies proposait la prolongation de la MINUAR car il nourrissait
toujours lespoir que lon pourrait appliquer les accords dArusha et donc
parvenir à un règlement politique de la question rwandaise.
M. Jean-Pierre Lafon a estimé que, bien évidemment,
lattentat -bien quil nait pas encore été prouvé- en tout cas, la mort
tragique du Président allait tout remettre en cause et provoquer une implosion de la
situation sur le terrain, entraînant lassassinat des dix Casques bleus belges, la
décision du Gouvernement belge de retirer ses soldats, ainsi que la demande du Conseil de
Sécurité de faire la lumière sur ce tragique incident. Cette demande naboutira
dailleurs pas et le Secrétaire général reconnaîtra, dans son rapport du
20 avril 1994, que les circonstances ne permettaient pas de faire lenquête
approfondie qui seule pourrait faire la lumière sur les circonstances de la mort des deux
Chefs dEtat. Le Secrétaire général dira ensuite quavec le temps les
témoins se dispersent et les éléments de preuve sévanouissent.
M. Jean-Pierre Lafon a admis quil y avait eu manifestement une période de
flottement dans le cadre des Nations Unies à la suite de la mort tragique du Président
rwandais et que la MINUAR nétait pas préparée à affronter de tels événements.
Ses effectifs ont été réduits et les Nations Unies ont décidé, au cours du mois de
mai, de créer une nouvelle opération renforcée de maintien de la paix, la
MINUAR II, en décidant de porter à 5 500 hommes la force des Nations
Unies au Rwanda.
M. Jean-Pierre Lafon est alors revenu à la position de la France
en précisant quil avait informé, dès mars 1993, lambassadeur auprès des
Nations Unies de la très grande préoccupation du Ministre des Affaires étrangères et
du Gouvernement français quant à la situation au Rwanda. Ce sentiment était dû au fait
que sur le plan militaire -cela figure dans une correspondance adressée à
lambassadeur aux Nations Unies- loffensive lancée par le FPR sur la ligne du
front avait conduit la rébellion à 25 kilomètres de la capitale et que, sur le
plan politique, depuis la reprise des combats, aucun des efforts entrepris en faveur du
cessez-le-feu et dun retrait des troupes navait abouti. A Kigali, le
Président et le Premier Ministre rwandais ne parvenaient pas à sentendre sur les
accords, sur lattitude à tenir, ce qui contribuait à affaiblir la cohésion et la
combativité de larmée rwandaise. Dans ses instructions à lambassadeur
auprès des Nations Unies, début mars 1993, la direction des Nations Unies écrivait que
toute lhistoire du Rwanda montrait quune prise de la capitale par la force
pouvait donner lieu à des massacres effroyables, pour reprendre le terme malheureusement
prémonitoire employé à lépoque, que les éléments hutus les plus radicaux au
sein de larmée étaient prêts, le cas échéant, à poursuivre la lutte, et que
les exactions commises dans le nord du pays, ainsi que les exécutions sommaires
perpétrées par le FPR depuis la reprise des combats préfiguraient une généralisation
de la violence.
Daprès linstruction donnée à la représentation
française à New York, la situation au Rwanda était considérée dès mars 1993 comme
une menace pour la paix et la sécurité de la région. Malgré les dénégations, il
apparaissait clairement que lOuganda apportait au moins un appui logistique à
loffensive lancée par la rébellion, les troupes du FPR ayant, dans le passé, fait
la guerre aux cotés du Président Museveni. Lambassadeur de la France devait
informer les membres du Conseil de Sécurité que, si le FPR poursuivait ses tentatives de
règlement militaire, les combats sétendraient dans la région et dans les pays
voisins. De plus, les offensives, à lépoque, avaient conduit à lintérieur
même du Rwanda à la fuite dun million de civils, qui étaient devenus des
personnes dites " déplacées ".
Il ny avait donc pas, aux yeux de la direction des Nations Unies
du ministère des Affaires étrangères, dautre solution pour la crise rwandaise
quun règlement politique. En même temps, des instructions avaient été envoyées
à lambassadeur à Washington pour quil saisisse au plus vite le département
dEtat en vue dobtenir le soutien américain au processus de saisine du Conseil
de Sécurité. Il était également demandé à lambassadeur de souligner auprès du
département dEtat que les forces françaises ne souhaitaient pas être impliquées
dans la crise et que la France désirait que les Etats-Unis puissent prendre le relais
afin de garantir la poursuite dun règlement politique et non pas militaire qui
naboutirait quà des massacres.
Cela étant, M. Jean-Pierre Lafon a indiqué que, dès cette
époque, des réticences que pourra confirmer lambassadeur auprès des Nations Unies
avaient été ressenties tant du côté du Secrétaire général adjoint parce quil
y avait des conflits interafricains dont il avait minimisé la gravité, que de la part de
nos partenaires occidentaux à propos dune implication des Nations Unies. La France
avait été étonnée de cette attitude du Secrétaire général adjoint, dans la mesure
où elle ne correspondait pas à la prise de position de M. Boutros Boutros-Ghali qui
était très conscient des dangers de la situation rwandaise. Lambassadeur français
aux Nations Unies avait rapporté que le représentant de la Grande-Bretagne sétait
interrogé sur lopportunité quil y avait pour lOrganisation des Nations
Unies à agir au Rwanda et estimait que la seule organisation concernée était
lOUA. Les représentants du Japon, de lEspagne et des Etats-Unis
sétaient aligné en partie sur lambassadeur de Grande-Bretagne. Pourtant,
quelques jours plus tard, M. Boutros Boutros-Ghali devait souligner, comme il
la toujours fait, que lOUA navait aucune efficacité et aucune
crédibilité sur le terrain.
En août 1993, la France a de nouveau fait part de son étonnement au
Secrétaire général quelques mois après ladoption de la résolution créant la
MONUOR, car personne navait été envoyé sur le terrain, et la France soupçonnait
lOuganda de manoeuvres de retardement. La direction des Nations Unies au ministère
a ensuite pleinement soutenu les accords dArusha et donné des instructions pour que
lONU intervienne dans leur mise en oeuvre, estimant que le Conseil de Sécurité
devait agir de manière tangible à cette fin et quil était souhaitable que le
bataillon français se retire pour ne pas être pris dans les conflits internes au Rwanda.
M. Jean-Pierre Lafon a alors souligné que, dans sa volonté
dimpliquer lONU, la France sétait heurtée, du côté de ses
partenaires occidentaux, non pas à des oppositions, mais à des objections techniques et
financières soulevées par les Etats-Unis, accessoirement par la Russie, sur le coût de
lopération pour les Nations Unies. Les Etats-Unis proposaient même quun
fonds de contributions volontaires soutienne la MINUAR, alors quil sagissait
dune opération de maintien de la paix relevant, comme toute opération de ce type,
de contributions obligatoires.
Enfin M. Jean-Pierre Lafon a souhaité tirer les enseignements sur
laction de la France durant toute lannée qui a précédé la crise du mois
davril 1994. Il a dabord souligné que la politique de la France avait été
constante vis-à-vis des Nations Unies, que la France souhaitait dès le départ un
engagement de lorganisation mondiale, à linverse de ses partenaires
occidentaux, afin daboutir à un règlement politique du conflit au Rwanda.
Cest pourquoi la France a été le fer de lance parmi les membres permanents du
Conseil de Sécurité et a pris linitiative de soumettre des projets, des
avant-projets de résolution, des textes, avant même quils ne viennent devant le
Conseil de Sécurité.
Il a estimé que certains résultats avaient été obtenus dans la
mesure où progressivement avaient été mises en place, dune part la MONUOR,
dautre part la Mission dAssistance au Rwanda, mais quils navaient
pas été obtenus dans les conditions où la France le souhaitait. Dabord,
lintervention de la MINUAR navait jamais été placée, comme cela avait été
envisagé dès mars 1993, sous le régime du chapitre VII de la Charte qui
nexclut pas la possibilité demploi de la force, et lorsque la crise du
6 avril a éclaté, les Nations Unies navaient pas les moyens juridiques
demployer la force. Par ailleurs, la mise en place de la MONUOR a été souvent
retardée par des manoeuvres de tergiversation et les Nations Unies navaient pas les
moyens logistiques nécessaires, notamment pour le transport. Il est frappant de voir que
les contingents du Tiers-Monde, africains notamment, qui constituaient lessentiel de
la MINUAR, étaient sous-équipés et navaient pas de matériel, comme le soulignait
le Secrétaire général dans son rapport du 30 mai : " les
éléments ghanéens ne pourront être déployés que lorsque le matériel indispensable,
en particulier les véhicules blindés de transport de troupes, auront été mis à leur
disposition ".
M. Jean-Pierre Lafon a estimé quil était difficile de
déterminer si les objections formulées par nos partenaires occidentaux relevaient
dun manque de volonté politique, dune désillusion sur laction de
lONU après les échecs de lopération de Somalie et les difficultés
rencontrées dans la conduite des opérations de lAngola ou du Mozambique, ou
dune crainte des engagements financiers qui pourraient résulter dune
intervention au Rwanda, les pays anglo-saxons étant notamment très soucieux de réduire
les dépenses des Nations Unies. Il a rappelé à cet égard que les contributions des
membres permanents du Conseil de Sécurité en ce qui concerne le maintien de la paix sont
supérieures aux contributions pour les frais de fonctionnement des Nations Unies. Pour ne
donner que lexemple des Américains, le rapport est de 25 % pour les frais de
fonctionnement et plus de 30 % pour les opérations de maintien de la paix. Les pays
occidentaux ne se sont pas véritablement sentis impliqués dans la logistique de
lopération des Nations Unies, à part les Belges, auxquels il faut rendre hommage,
car ils ont payé le prix du sang.
En conclusion, M. Jean-Pierre Lafon a estimé que les Nations
Unies ne sont que ce quen font la communauté internationale et les membres
permanents du Conseil de Sécurité. On ne peut pas, pour avoir vécu lOrganisation
des Nations Unies de lintérieur, accuser cette organisation en tant que telle.
Cest la volonté de la communauté internationale qui sexprime à
lintérieur des Nations Unies : elles ne sont quune caisse de résonance,
un instrument, le reflet de ce quest la communauté internationale.
Il a cité le Secrétaire général des Nations Unies indiquant dans
son rapport au Conseil de Sécurité du 30 mai que " la réaction tardive de
la communauté internationale à la situation tragique que connaît le Rwanda démontre de
manière éloquente quelle est totalement incapable de prendre durgence des
mesures décisives pour faire face aux crises humanitaires étroitement liées à un
conflit armé. Après avoir rapidement ramené la présence sur le terrain de la MINUAR à
son niveau minimum, puisque le mandat initial de celle-ci ne lui permettait pas
dintervenir lorsque les massacres ont commencé, la communauté internationale,
près de deux mois plus tard, semble paralysée, même sagissant du mandat révisé
établi par le Conseil de Sécurité. Nous devons reconnaître à cet égard que nous
navons pas su agir pour que cesse lagonie du Rwanda et que, sans mot dire,
nous avons ainsi accepté que des êtres humains continuent de mourir. Nous avons
démontré que notre détermination, notre capacité dengager une action était au
mieux insuffisante, au pire désastreuse, faute dune volonté politique
collective. "
Après avoir considéré que lintervention de M. Jean-Pierre
Lafon sachevait par une réflexion plus large que celle que conduisait la mission, le
Président Paul Quilès a souhaité prolonger les propos quil avait tenus sur
lattitude de lOUA, puisquen 1990, le président en exercice en était le
Président ougandais Museveni et quune solution pacifique au conflit aurait pu être
trouvée dans ce cadre. Il a demandé ce que la France, à lépoque, pensait
dune telle solution et comment sexpliquait limpuissance de lOUA à
intervenir positivement dans le règlement de la crise entre 1990 et 1993, en particulier
pour ce qui concerne la surveillance de la frontière entre lOuganda et le Rwanda.
Il a également souhaité savoir pourquoi il avait été décidé si tardivement, vers
février-mars 1993, de faire appel à lONU.
Sagissant de lOuganda, il sest interrogé sur le
soutien apporté par les Etats-Unis à ce pays. Evoquant le souhait des Etats-Unis de
trouver des alliés pour empêcher la poussée islamique dans le sud du Soudan et
indiquant que, de ce point de vue, lOuganda aurait été préféré au Rwanda, jugé
trop proche des Français, il a demandé si cette analyse avait pu conduire les
Américains à jouer un rôle spécifique vis-à-vis de lOuganda.
M. Jean-Pierre Lafon a répondu quen tant que Directeur
du service des Nations Unies il ne pouvait répondre à certaines questions, car ce
service ne connaît pas tous les aspects de la politique africaine, et il a estimé que
MM. Paul Dijoud et Jean-Marc Rochereau de la Sablière seraient mieux à même de
donner un éclairage. Cela étant, vu des Nations Unies, comme le répétait souvent le
Secrétaire général, lOUA na jamais donné la preuve, dans les conflits
africains, de son efficacité et de sa crédibilité, et cest pour cette raison que,
tant pour la Somalie que pour le Mozambique, pour lAngola et le Rwanda, il a été
fait appel à lOrganisation des Nations Unies. Néanmoins, un groupe
dobservateurs avait été détaché par lOUA, le GOMM -Groupe
dobservateurs militaires multinational- mais il sest révélé tout à fait
insuffisant pour prévenir en quoi que ce soit le conflit qui se dessinait depuis près de
deux ans.
M. Jean-Pierre Lafon a expliqué pourquoi il navait pas
été fait appel à lONU plus tôt par lhistoire récente lorganisation.
Il a souligné que lONU avait acquis un prestige très grand après avoir trouvé
une solution au problème de la Namibie, où dans les premières quarante-huit heures de
la période dobservation, les troupes sud-africaines avaient empêché celles de la
SWAPO dintervenir permettant ainsi à lorganisation de mettre en place son
dispositif. Il a indiqué que les Nations Unies nétaient pas équipées pour
intervenir dune manière rapide, opérationnelle et efficace face à une crise
soudaine. Il a rappelé que lintervention des Nations Unies en Irak avait été
programmée des mois à lavance, puisque la résolution du Conseil de Sécurité
prévoyait que, si à telle date, lIrak navait pas évacué le Koweït, elles
interviendraient. Les Nations Unies, avec derrière elles, les Etats-Unis massivement
engagés, ont pu intervenir et préparer leur intervention trois ou quatre mois à
lavance. Dans lopération de Somalie, qui fut déclenchée par le Président
George Bush, les Nations Unies sont intervenues au maximum de leur prestige. Ce fut une
opération tout à fait particulière à laquelle le Secrétaire général se réfère
lorsquil parle de lopération Turquoise. Les troupes américaines sont
intervenues aux côtés des Nations Unies, avec leur assentiment, mais en restant sous
commandement national. Or, cette opération somalienne a été un désastre, notamment sur
le plan médiatique, car les Américains ont vu leurs soldats morts sur tous les écrans
de télévision. Il sest alors produit dans lopinion américaine un
retournement vis-à-vis des interventions des Nations Unies, notamment en Afrique et il y
aurait beaucoup à dire sur les responsabilités de léchec de lopération de
Somalie, qui a eu une influence considérable sur la manière dont ont été perçues les
interventions des Nations Unies en Afrique, dans des conflits à caractère ethnique.
M. Jean-Pierre Lafon a estimé que programmer une nouvelle
opération des Nations Unies en Afrique dans un conflit ethnique et en faveur de régions,
notamment le Rwanda, dont il faut bien dire que les Anglo-Saxons ne les connaissaient pas,
savérait difficile. Il a rappelé que la France est perçue par les anglophones
africains comme voulant asseoir un protectorat et quil y a une certaine méfiance
vis-à-vis de ses initiatives en Afrique, même par lintermédiaire des Nations
Unies. A priori, la France nétait peut-être pas la mieux placée pour
programmer une opération des Nations Unies en Afrique aux yeux de lopinion
africaine anglophone. Malgré toutes ces réticences, cest la France qui a pris les
premières initiatives dimpliquer les Nations Unies au Rwanda.
M. Jean-Pierre Lafon a préféré ne pas évoquer la politique des
Etats-Unis à légard de lOuganda parce quil ne la connaissait pas
véritablement. Il a seulement indiqué que lattitude officielle des Etats-Unis,
notamment à la suite de la démarche faite à Washington sur instructions en mars 1993,
était dêtre coopératif. Mais sur le terrain, les Américains létaient
beaucoup moins lorsquil sagissait de mettre en oeuvre des résolutions. Les
interlocuteurs de la direction des Nations Unies au département dEtat étaient tout
à fait réticents vis-à-vis de limplication des Nations Unies dans des opérations
de maintien de la paix et vis-à-vis de toute nouvelle dépense des Nations Unies en ce
domaine, sauf peut-être si les Etats-Unis y avaient un intérêt direct.
Le Président Paul Quilès a rappelé quil ne sagissait
pas dune position circonstancielle des Etats-Unis, puisquil y avait une
directive présidentielle du 4 mai 1994 limitant les conditions dans lesquelles les
Etats-Unis pouvaient intervenir dans le cadre des opérations de maintien de la paix. Elle
a été explicitement appliquée la première fois lors des évènements du Rwanda, ce qui
explique non pas pourquoi les Etats-Unis ont été aussi distants dans la période
précédente, mais pourquoi le montage de lopération Turquoise a connu un tel
retard.
Evoquant les difficultés, y compris dordre financier, qui
opposaient lONU et des pays comme les Etats-Unis et la Russie, M. Pierre
Brana a souhaité des précisions complémentaires. Il a également demandé
des informations sur les débats, la position des représentants, les votes au Conseil de
Sécurité, après lattentat du 6 avril et la décision de retrait des Belges
de la MINUAR.
Enfin, à propos de lopération Turquoise, souvent présentée
comme faite par la France parce quelle avait mauvaise conscience de ce qui
sétait passé au préalable, il a souhaité connaître le sentiment de
M. Jean-Pierre Lafon sur ces reproches ainsi que sur les divergences qui seraient
apparues entre le Président de la République, M. François Mitterrand, le Premier
Ministre et son Ministre des Affaires étrangères, concernant la conception,
lorganisation, le champ daction de lopération.
M. Jean-Pierre Lafon a rappelé quil avait cessé ses
fonctions début mai, puisquil avait été nommé ambassadeur au Liban mais
quen revanche, au mois davril, il était encore à la Direction des Nations
Unies et des Organisations Internationales quand avait éclaté la crise du Rwanda. Il a
souligné que la lourdeur du système des Nations Unies devant une crise soudaine et
inattendue imposait, pour que lorganisation puisse réagir dune manière
efficace et opérationnelle, une volonté politique commune des membres permanents du
Conseil de Sécurité. Il a également fait observer que non seulement il y avait eu la
mort des Présidents du Rwanda et du Burundi puis les massacres, mais aussi la mort des
dix soldats belges des Nations Unies et la décision immédiate de la Belgique de retirer
son contingent de la mission. Or, il sagissait dun contingent délite,
le plus opérationnel, qui disposait des moyens logistiques de la mission. La France est
restée solidaire de la Belgique et na jamais critiqué lattitude belge, même
si, sur le moment, celle-ci déstabilisait la mission des Nations Unies au Rwanda. Si dix
soldats français avaient été tués au Rwanda, il a indiqué quil nimaginait
pas quelle aurait été la réaction du Gouvernement français. Le choc émotionnel était
très grave et les relations de solidarité avec les Belges, les seuls des occidentaux
impliqués sur le terrain, faisaient que ce nétait pas le moment de les critiquer.
M. Jacques Myard, souhaitant réagir à ces propos, a
considéré cet épisode proprement étonnant, et a regretté que le commandement des
forces de lONU ait laissé désarmer ses soldats et que ceux-ci se soient livrés
" la gorge déployée aux bourreaux ", alors que sils
avaient immédiatement fait usage de leurs armes en montrant quils allaient " défendre
leur peau ", peut-être les évènements auraient-ils pris une autre
tournure.
M. Jean-Pierre Lafon a rappelé quen mars 1993, la
France avait demandé à sa représentation permanente aux Nations Unies de voir si une
intervention pouvait être placée sous le chapitre VII mais aucune résolution ne
serait passée si lon avait parlé demploi de la force et jusquau
6 avril, aucune résolution ne permettait ce recours à la force, même en cas de
légitime défense. Seule une résolution postérieure avait prévu pour la MINUAR la
possibilité demployer la force en cas de légitime défense.
Il a confirmé lanalyse de M. Jacques Myard selon laquelle
les moyens demployer la force pour se défendre nont même pas été donnés
aux troupes des Nations Unies. Cette opération a toujours été conçue avant le
6 avril comme une aide et surtout une contribution au règlement du conflit et à
lapplication des accords dArusha : jamais elle ne la été comme
une opération devant faire face à une situation de crise.
M. Pierre Brana, après avoir indiqué quil comprenait
la réaction de la Belgique après que ses ressortissants eurent été tués dans des
circonstances atroces, sest demandé si des directives auraient pu être données à
nos représentants à lONU pour que le retrait des forces belges puisse être
immédiatement compensé par lenvoi dautres forces, étant donné la
déstabilisation catastrophique sur le terrain quavait entraîné ce retrait belge
de la MINUAR, et si un débat sétait engagé pour quon passe du
chapitre VI au chapitre VII et que le désengagement belge soit compensé.
M. René Galy-Dejean sest interrogé sur le comportement
de lONU au moment où cette organisation a eu précisément pour fonction de veiller
à lapplication de laccord international dArusha et sur sa
quasi-impossibilité, sinon son inaptitude totale, à sinterroger sur les auteurs de
cet attentat. Il a demandé à M. Jean-Pierre Lafon comment il expliquait cette
attitude, cet aveu dimpuissance sur le déclenchement dune enquête.
M. Jean-Pierre Lafon a indiqué quaprès la rupture du
cessez-le-feu et le retrait belge, aucune instruction navait été donnée pour
quil y ait de nouvelles troupes. Une déclaration du Président du Conseil de
Sécurité le 7 avril avait demandé au Secrétaire général de faire toute la
lumière sur les circonstances du " tragique incident " -termes
utilisés par le Président du Conseil qui ne se prononçait pas sur la question de savoir
sil y avait eu assassinat ou non. Le Secrétaire général avait indiqué dans son
rapport du 20 avril queffectivement, les circonstances navaient pas
permis de faire la lumière sur cet évènement. Dans un rapport ultérieur, trois
semaines plus tard, il avait confirmé la situation en disant : " les
circonstances éveillent les soupçons, mais nous ne sommes plus en mesure de faire la
lumière sur la manière dont sest passé cet incident ".
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir ce que signifiaient
exactement les propos : " les circonstances ne permettent pas de faire
une enquête " et sest demandé sils voulaient dire que
lon ne le souhaitait pas ou que lon ne pouvait pas. Si lon ne le
souhaite pas, pourquoi ? Si lon ne peut pas, qui vous en empêche ? Il a
considéré que les circonstances nempêchent jamais personne, mais sont le fait
dindividus, de groupes, de gouvernements, de militaires. Elles sont un résultat.
Il a demandé pourquoi la France navait pas fait denquête,
alors que deux chefs dEtat avaient été tués dans un attentat et que la direction
de lONU avait elle-même prévu que les événements à Kigali déclencheraient un
terrible bain de sang.
M. Jean-Pierre Lafon a reconnu quil en était réduit à
des conjectures. Il a souligné que la première préoccupation du commandement sur place,
le Général Romeo Dallaire, navait certainement pas été de mener une enquête,
mais de faire face à la situation, de sauver ses soldats et de faire respecter le
cessez-le-feu. Il a ajouté quil était tout aussi possible que faire la lumière
aurait pu ne rien résoudre et créer de nouveaux affrontements, et a douté des
résultats dune enquête menée au moment du déclenchement de massacres commis
notamment par la garde présidentielle et les milices. Il a estimé quune enquête
prenait du temps et a rappelé quà loccasion de ses fonctions
dambassadeur au Liban, il avait constaté quune enquête du Secrétaire
général des Nations Unies sur le massacre de Canna avait pris deux mois. La mission
denquête naurait pas été entreprise, compte tenu de la lourdeur des
procédures des Nations Unies et de lapprobation du rapport, avant une ou deux
semaines.
Il a précisé que le mot enquête navait pas été prononcé en
termes officiels et quil avait été demandé au Secrétaire général, sur
décision du président du Conseil de Sécurité, de faire la lumière sur les
circonstances de lincident.
M. Bernard Cazeneuve a demandé des précisions sur la date
des deux interventions du Secrétaire général concernant lattentat.
M. Jean-Pierre Lafon a cité le rapport écrit et public du
20 avril 1994 : " la cause de cet accident ne peut être
déterminée sans une enquête approfondie que les circonstances ont jusquà
présent rendue impossible ". Il a proposé de le communiquer ainsi que le
second rapport du 31 mai dans lequel le Secrétaire général parlait dun " incident
qui éveille les plus grands soupçons ".
M. Bernard Cazeneuve a demandé à qui ces deux rapports de
M. Boutros Boutros-Ghali avaient été envoyés.
M. Jean-Pierre Lafon a précisé que les rapports étaient
envoyés à tous les membres du Conseil de Sécurité, quils étaient publics et que
nimporte qui pouvait les consulter.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si ces rapports avaient
suscité des réactions de la part des membres du Conseil de Sécurité.
M. Jean-Pierre Lafon a indiqué quil navait pas
trouvé de correspondance en ce sens, mais que les rapports quil avait mentionnés
contenaient beaucoup de propositions sur le renforcement de la MINUAR et quils
avaient été à lorigine de la création de la nouvelle composante de la mission
des Nations Unies au Rwanda.
M. Bernard Cazeneuve a cité une lettre de M. Alain
Juppé, alors Premier Ministre, en réponse à une question posée par écrit : " sagissant
de labsence denquête par la France après lattentat contre lavion
du Président Habyarimana, dans lequel tous les membres français de léquipage ont
trouvé la mort, jai indiqué lors de laudition du 21 avril que la France
avait saisi dès le 7 avril le Conseil de Sécurité de lONU afin que soit
diligentée une enquête internationale. La France navait aucune légitimité à
mener de son propre chef, en tant que pays étranger, quelque enquête que ce soit dans un
pays souverain et indépendant; cette demande a été réitérée à plusieurs reprises au
cours des mois suivants auprès du Secrétaire général de lONU, la France
souhaitant que tout élément pouvant servir lenquête lui soit
communiqué. " Il a souligné que cela signifiait concrètement que la
France navait pas cessé, par des démarches diplomatiques officielles, de demander
à lONU et à son Secrétaire général daller plus loin dans les
investigations. Cest la raison pour laquelle il a demandé quelles avaient été les
réactions au sein de lorganisation après la publication des deux rapports du
secrétaire général et les démarches officielles de la France.
M. Jean-Pierre Lafon a rappelé quil y avait eu trois
rapports. Le premier, public, est une déclaration du Président du Conseil de Sécurité,
par laquelle le Conseil " regrette cet incident et invite le Secrétaire
général à recueillir toute information utile à ce sujet par tous les moyens à
sa disposition et de faire rapport dans les plus brefs délais au Conseil ".
Cest un document du 8 avril, après une séance du Conseil de Sécurité du
7 avril. La réponse du Secrétaire général se trouve dans les deux rapports déjà
mentionnés.
M. Bernard Cazeneuve a estimé quil serait intéressant
que lONU explique ce qui sétait passé entre le 7 et le 20 avril.
M. Yves Dauge a replacé la situation sur un plan général.
Il a rappelé que dun côté, la France avait saisi les Nations Unies parce
quelle se rendait compte de lextrême gravité de la situation et des risques
de massacres dans cette logique de guerre, mais que, par ailleurs, lintervention des
Nations Unies était considérée comme une mission quasi impossible. Il a approuvé les
propos de M. Jean-Pierre Lafon estimant que les Nations Unies ne sont que la somme
des volontés dun certain nombre de pays qui ne veulent pas intervenir ou qui
interviennent " du bout des doigts ". Il a toutefois regretté que,
dans le cas dune crise grave, le retrait des forces françaises puis la mise en
place dun dispositif international aient représenté la pire des solutions car le
dispositif opérationnel mis en place par lONU sest révélé totalement
inadéquat pour répondre à une situation de crise aiguë et à une logique de guerre.
LONU sest mise dans une situation qui était dores et déjà une
situation déchec, alors que la France avait correctement évalué la situation, car
elle était présente depuis des années au Rwanda et avait maintes fois posé la question
du risque de massacres en cas de prise de Kigali.
Il sest donc interrogé, quels que soient les faits et les bonnes
volontés des uns et des autres, sur cette contradiction fondamentale et sest
demandé sil aurait pu y avoir dautres moyens dintervention. Il
sest demandé si la France naurait pas dû rester et négocier avec les
Nations Unies un mandat direct dintervention, puisque des forces efficaces étaient
présentes.
Se disant soucieux de ne pas refaire lhistoire, M. Jean-Pierre
Lafon a indiqué que les Nations Unies navaient jamais voulu se placer sous le
cadre dune intervention disposant des moyens du chapitre VII de la Charte,
cest-à-dire lutilisation de la force et quun sondage effectué à
lépoque par la mission des Nations Unies, en mars 1993, avait montré que
cétait inenvisageable si on voulait impliquer les Nations Unies au Rwanda.
Jusquà léclatement de la crise, il était totalement exclu denvisager
de donner à lONU des moyens lui permettant dutiliser la force. Aucun des
partenaires de la France ny était prêt et les Africains non plus. Les Nations
Unies ont accepté, non pas de trouver une solution au conflit du Rwanda, mais
daider à lapplication des accords dArusha. Il ny avait pas
dautre solution à lépoque que daccepter dimpliquer les Nations
Unies dans lapplication de ces accords, au titre du chapitre VI, sans emploi de
la force. Lautre solution aurait été la solution militaire mais il ny avait
pas de possibilité dintervention unilatérale de la France au Rwanda. Il y aurait
eu une réaction très négative de la communauté internationale, sans aide des
partenaires anglo-saxons et des Africains anglophones. La France au Rwanda aurait été
impliquée dans un conflit interne et soupçonnée de néocolonialisme si elle avait
entrepris une intervention directe qui naurait pas eu la bénédiction des Nations
Unies.
Lespérance était que les accords dArusha puissent être
mis en oeuvre avec une force des Nations Unies dont il aurait fallu quelle soit
mieux équipée et envoyée plus rapidement sur le terrain. Cétait le vu du
Secrétaire général. Les Nations Unies ont prouvé en Afrique quil y avait des
possibilités daboutir à un règlement politique sur la base daccords tels
que ceux dArusha qui bénéficiaient dun consensus de la part des Africains.
Lexpérience de Somalie a certes été un échec, mais ce nest pas de la faute
des Nations Unies.
M. Michel Voisin a signalé quil avait constaté à
loccasion dune mission effectuée en Somalie une différence très sensible
des comportements sur le terrain entre les troupes présentes. Les troupes américaines ne
connaissaient pas la géographie politique et ethnique de la Somalie et avaient une autre
approche de la situation en comparaison des troupes françaises et marocaines dans le
secteur de Baidoa. Les Américains ne restaient pas cloîtrés dans leurs casemates, ils
sortaient et au premier coup de feu, ils répondaient, ce qui a entraîné la mort de
plusieurs soldats. Mais la non-connaissance du pays et lopération médiatique qui
avait été lancée lors du débarquement des Marines a certainement grandement contribué
à léchec des Américains.
M. Jean-Pierre Lafon a approuvé ces propos et a cité un
exemple de la manière dont procédaient les troupes françaises : dans le secteur de
Baidoa, les Français nont pas confisqué toutes les armes, ils ont laissé les
leurs aux nomades qui avaient lhabitude de les porter parce que cétait leur
mode de vie millénaire. En revanche, les bandes spécialisées dans la déstabilisation
de la Somalie ont été désarmées.
Il a souligné que les Nations Unies navaient pas réussi en
Angola, mais quelles avaient réussi au Mozambique où elles avaient permis de
résoudre le conflit que connaissait le pays. Il a indiqué quune opération des
Nations Unies en Afrique restait très difficile parce quil y a une interférence de
conflits ethniques et de conflits nationalistes. Il a estimé quon ne sétait
pas donné tous les moyens de réussir au Rwanda. La communauté internationale, les
Nations Unies, les membres permanents du Conseil de Sécurité ne se sont jamais mis dans
la situation dune crise où les parties ne coopéreraient pas, avec rupture du
cessez-le-feu, affrontements violents et massacres. Ils souhaitaient aider les parties qui
acceptaient de coopérer. Cest pour cela que le 6 avril, les Nations Unies ont
été complètement désarçonnées et ont mis beaucoup de temps à réagir. Permettre aux
troupes dutiliser la force au titre de la légitime défense ne figure que dans une
résolution adoptée trois semaines après. Il y avait un refus des membres permanents du
Conseil de Sécurité de se placer dans une situation où les Nations Unies
interviendraient avec emploi de la force.
M. Jean-Pierre Lafon a alors précisé que, pendant toute
lannée 1993, les troupes de lONU étaient intervenues dans le cadre du
chapitre VI pour aider à la mise en oeuvre et à lapplication des accords
dArusha, avec un mélange de pressions, de démarches collectives, dattention
de la communauté internationale et de présence sur le terrain.
M. Bernard Cazeneuve sest interrogé sur la cohérence
de la démarche de la France entre 1992 et 1994. Il a rappelé que M. Paul Dijoud,
Directeur Afrique à lépoque, avait indiqué aux Etats-Unis quil ne
souhaitait pas leur intervention du Rwanda, considérant quil sagissait
dun terrain privilégié dintervention de la France. Dans le même temps, la
France semble avoir tout fait au moment où la crise atteignait son paroxysme, pour que
les Etats-Unis interviennent et persuadent lONU denvoyer des troupes se
substituant aux siennes. Il a demandé à M. Jean-Pierre Lafon sil ne trouvait
pas que, sur la durée, il y avait quelque paradoxe à réclamer la gestion des
événements sans que les Etats-Unis interviennent et, au moment où les choses se
gâtent, à faire appel à eux pour quils exercent leur influence à la fois sur
lOuganda et sur lONU.
M. Jean-Pierre Lafon a indiqué quil nétait pas
responsable au niveau administratif de la politique africaine de la France mais de la
politique dintervention des Nations Unies sous le contrôle du ministre et de son
cabinet.
Il a ajouté que la saisine du Conseil de Sécurité des Nations Unies
sur un sujet aussi sensible que le Rwanda supposait une décision politique du ministre.
Il a précisé quil navait pas eu instruction de saisir lambassadeur
auprès des Nations Unies avant mars 1993 du dossier du Rwanda, avec la volonté de faire
aboutir un projet de résolution. Il a assuré que les directions dAfrique et des
Nations Unies travaillaient ensemble sans discordance et que tout désaccord était
arbitré par le cabinet du ministre.
M. Jacques Myard sest déclaré frappé de
lattitude des Belges dans cette affaire et sest interrogé sur les échanges
directs bilatéraux franco-belges.
M. Jean-Pierre Lafon a indiqué quil ignorait ce qui
sétait passé lépoque à New York, mais quil y avait certainement eu
des échanges téléphoniques entre les gouvernements français et belges et a précisé
que la décision de retrait avait été prise unilatéralement par Bruxelles.
Audition de M. Jean-Bernard MÉRIMÉE
Représentant permanent de la France à lONU (mars 1991-août
1995)
(séance du 23 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Jean-Bernard
Mérimée, ambassadeur représentant permanent de la France à lONU de mars 1991 à
août 1995. Il a rappelé que M. Mérimée avait eu à connaître plus
particulièrement de laction diplomatique que la France avait menée auprès des
Nations Unies, dabord, pour appuyer le processus dArusha dès février-mars
1993, puis, pour intervenir militairement à partir de la tragédie davril 1994. Il
a souligné que son audition revêtait une importance particulière pour comprendre pour
quelles raisons le Conseil de Sécurité avait été si lent à intervenir dans le cadre
du chapitre VII de la Charte afin de mettre fin aux massacres et pourquoi la France,
qui a finalement été la seule à agir, avait été lobjet de telles critiques.
M. Jean-Bernard Mérimée a confirmé quil avait en
effet représenté la France au Conseil de Sécurité durant cette période et que son
rôle avait consisté à faire accepter, sur le plan international, les orientations et la
politique du Gouvernement français. Cela sétait traduit par un certain nombre de
résolutions dont la plus significative, la résolution 929, a permis lopération
Turquoise.
Il a souhaité décrire ce quétaient les réactions de base des
membres du Conseil de Sécurité devant la politique française dans la région des Grands
Lacs. Il a tout dabord rappelé quAnglais et Américains, et ce quil a
appelé leur clientèle, considéraient que la politique de la France consistait à
conserver une influence prépondérante au Rwanda, en sappuyant sur un régime à
dominante hutue et, en particulier, sur le président Habyarimana. En fait, pour la grande
majorité du Conseil, la France menait une politique qui était, comme le disait
M. Jean-Pierre Lafon, présentée de façon caricaturale comme néocolonialiste, au
profit du Président Habyarimana, Hutu et francophone, qui luttait contre le Front
patriotique, Tutsi et anglophone. Ce dernier était censé mener une lutte de libération
contre cette entreprise néo-colonialiste et être favorable à la démocratie. Il a
estimé que, dans latmosphère du Conseil de Sécurité, la cause tutsie était
politiquement correcte, la cause Habyarimana ne létait pas.
Selon M. Jean-Bernard Mérimée, la politique du Gouvernement
français était assez simple dès le départ, cest-à-dire dès le moment où la
question a commencé à se poser. Elle consistait à réduire la présence militaire au
Rwanda, à se dégager du pays et à remplacer cette présence par une force militaire
dobservation ou dinterposition des Nations Unies et, en même temps, grâce
aux différents accords dArusha, à stabiliser la situation en organisant un partage
démocratique du pouvoir entre Hutus et Tutsis, accepté par les pays de la région, qui
aurait pour conséquence dapporter un peu plus de stabilité au régime politique du
Rwanda. Cette orientation ne coïncidait nullement avec celle du Front patriotique,
appuyé par lOuganda et la Tanzanie, sous loeil bienveillant de la
Grande-Bretagne et des Etats-Unis, et qui envisageait de mener une guerre de reconquête
sans que rien ne sy oppose. Dans cet esprit, toute présence internationale était
un obstacle, la survivance du régime dHabyarimana en était un autre, et les
accords dArusha également.
Face à ce tableau général simple, les principaux acteurs du Conseil
de Sécurité étaient parfaitement conscients des enjeux : pour la France, il
sagissait de se dégager du Rwanda en mettant au point un système qui permettait au
régime Habyarimana dévoluer selon des procédures démocratiques, avec présence
des Nations Unies, selon les accords dArusha ; la Grande-Bretagne, les
Etats-Unis et les pays non-alignés dans leur majorité souhaitaient supprimer tout
obstacle ou presque à la marche du Front patriotique dans la reconquête du Rwanda.
Cest dans ce cadre que sexplique la constitution de la MONUOR, mission
dobservation des Nations Unies sur la frontière entre lOuganda et le Rwanda,
ainsi que la mise sur pied de la MINUAR. M. Jean-Bernard Mérimée a relevé que, vu
du Conseil de Sécurité, il a été assez difficile de trouver des volontaires pour ces
deux missions. Il a rappelé les problèmes rencontrés par la mission dobservation
qui avait besoin de moyens matériels, notamment dhélicoptères alors que les
Etats-Unis faisaient toutes sortes de difficultés, arguant, bien entendu, de raisons
financières pour ne pas satisfaire à la fourniture de ces hélicoptères en nombre
suffisant. La MONUOR na jamais été une force dobservation efficace.
Puis M. Jean-Bernard Mérimée a souhaité replacer
lopération Turquoise dans son cadre. Il a rappelé que le 6 avril 1994,
lavion qui transportait le Président Habyarimana et le Président burundais avait
été abattu et que la mort du Président Habyarimana avait donné le signal des
massacres. Tout en partageant lidée exprimée par M. Jean-Pierre Lafon selon
laquelle il nétait possible que de faire des conjectures sur les responsabilités,
il a souligné que dans son esprit, il ny avait pas de doute que le Front
patriotique était à lorigine de cet attentat car cette hypothèse lui paraîssait
cohérente et logique. Tant quHabyarimana était au pouvoir, le Front patriotique
nétait pas certain de reconquérir le Rwanda parce que, dune part, il y avait
la caution démocratique des accords dArusha que lon ne pouvait complètement
ignorer et, dautre part, dans lesprit du Front patriotique, Habyarimana serait
soutenu par les Français qui ne labandonneraient pas. La possibilité
dinterventions françaises constituait donc un obstacle à la reconquête du Rwanda
par le Front patriotique.
M. Jean-Bernard Mérimée a relevé que la MINUAR nétait
pas intervenue pour arrêter les massacres et souligné quil ne se prononcerait pas
sur lattitude du Général Romeo Dallaire qui la commandait alors, car il a reconnu
ne pas disposer de tous les éléments pour apprécier son inaction qui, dailleurs,
était fondée juridiquement. Il a estimé que la France ne pouvait pas intervenir sauf,
comme elle la fait dans le cadre de lopération Amaryllis, pour évacuer ses
ressortissants et les ressortissants européens parce que, dans latmosphère du
Conseil de Sécurité, toute intervention, tout essai français denvoyer des troupes
pour arrêter les massacres aurait immédiatement été considéré et dénoncé comme une
opération de reconquête contre le Front patriotique. Les massacres auraient alors été
considérés par beaucoup au Conseil de Sécurité comme un simple prétexte invoqué par
le Gouvernement français.
Il a estimé quen décidant de modifier le mandat de la MINUAR et
den réduire la taille, le Conseil de Sécurité avait atteint des sommets de
lâcheté et de cynisme : lâcheté, parce que les pays avaient peur denvoyer
des troupes au Rwanda, des soldats belges ayant été massacrés et les Américains
restant affectés par le syndrome somalien ; cynisme, parce que toute présence
internationale était considérée par la plupart des membres du Conseil de Sécurité
comme un obstacle à la progression du Front patriotique. Le Gouvernement français, à
lépoque, ne pouvait pas faire grand chose, soupçonné a priori de saisir le
moindre prétexte pour envoyer ses troupes, qui auraient évidemment arrêté les
massacres mais qui auraient surtout été un obstacle pour le Front patriotique.
M. Jean-Bernard Mérimée a relevé que trois pays
essentiellement, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, avaient la capacité
denvoyer des troupes, de mener une opération militaire et de reprendre la situation
en main dune façon réellement efficace. Or, si les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne ne prenaient pas linitiative dintervenir, la France ne pouvait
le faire toute seule. Le Gouvernement français laurait fait si la possibilité lui
avait été donnée de se joindre à une action internationale, mais il ne pouvait en
prendre linitiative. Au bout de quelque temps, alors que la communauté
internationale se rendait compte de la gravité de la situation et que cette inaction du
Conseil de Sécurité commençait à peser de plus en plus sur lopinion publique, le
Gouvernement français a décidé dintervenir devant lampleur des massacres et
de lexode, et devant limpuissance de la MINUAR II.
M. Jean-Bernard Mérimée a alors abordé son rôle qui consistait
à faire en sorte que le Conseil de Sécurité donne au Gouvernement français
lautorisation de procéder à cette opération. Il sagissait, concrètement,
de faire voter une résolution autorisant le Gouvernement français et le Gouvernement
sénégalais, le seul qui avait accepté de joindre ses troupes aux troupes françaises à
agir. Il a jugé que cette résolution avait été la plus difficile à faire accepter par
le Conseil de Sécurité parce que pratiquement tous ses membres y étaient opposés, à
des degrés divers : les Anglais ou les Américains pour des raisons connues (non
seulement financières, mais liées à la directive du Président Clinton et au syndrome
somalien) mais aussi parce quils avaient le sentiment que la victoire du Front
patriotique nétait pas une mauvaise chose ; les non alignés endoctrinés par
le représentant du Front patriotique aux Nations Unies, M. Dusaidi ; et, parmi
ceux que lon appelle les non non-alignés, qui ne sont ni membres permanents ni non
alignés, il y a eu toutes sortes dopinions. La Nouvelle-Zélande était absolument
contre. Elle voyait là une attitude néocolonialiste de la part de la France et affirmait
défendre les prérogatives des Nations Unies sinterrogeant, en cas
dopération militaire, sur le bien-fondé de mettre les troupes sous commandement
français et non sous commandement des Nations Unies. La France répondait que les Nations
Unies étaient incapables de mener une opération militaire qui exige des décisions
rapides. Les Belges étaient, en fait, un peu honteux et nappréciaient pas que la
France prenne une telle initiative. Seuls étaient favorables, au début, les Espagnols,
par solidarité européenne, Oman, pour une raison inconnue, et Djibouti, par amitié pour
la France.
Selon M. Jean-Bernard Mérimée, la plupart de ses collègues du
Conseil de Sécurité pensaient quil sagissait pour Paris de constituer sur le
territoire rwandais une espèce de réduit, interdit au Front patriotique, à partir
duquel partirait la reconquête hutue. En fait, la France disposait dun délai assez
réduit pour agir, dans la mesure où la résolution devait être votée très rapidement
puisque lopération devait commencer un jeudi et que la résolution a été
présentée au Conseil de Sécurité un lundi. Elle a donc été votée en quarante-huit
heures. Il y avait eu bien sûr deux ou trois jours de travail préparatoire, mais,
généralement, une résolution au Conseil de Sécurité demande bien deux semaines de
préparation si elle est un peu délicate. Cette résolution a été votée par dix voix
et cinq abstentions : le résultat du vote a donc été très serré puisque la
majorité du Conseil de Sécurité est de neuf voix.
M. Jean-Bernard Mérimée a alors considéré quen menant
lopération Turquoise, la France avait sauvé lhonneur parce quelle
avait agi, dans des circonstances très difficiles, non seulement compte tenu du climat
qui régnait au sein du Conseil de Sécurité, mais de la difficulté de prendre la
décision politique, sans parler des risques militaires qui étaient grands puisquil
sagissait, avec une poignée dhommes, de faire face à une possibilité
daffrontement avec le Front patriotique, composé de 20 000 hommes bien
armés, bien entraînés, qui venaient de faire la guerre. La France a permis de sauver on
ne sait combien de dizaines, voire de centaines de milliers de vie, parce que les
réfugiés étaient plus dun million à cette époque, et mouraient
" comme des mouches ".
La France sen est tenue scrupuleusement aux conditions
quelle avait définies et, dans lesprit même de ceux qui étaient hostiles à
lopération, en a retiré un prestige particulier parce que chacun savait que peu de
pays auraient eu les moyens, et surtout le courage, de faire ce qui a alors été fait.
Le Président Paul Quilès sest interrogé sur la période
antérieure au génocide, après la signature du cessez-le-feu de Dar Es-Salam et
sest demandé si la France navait pas accordé trop dimportance à la
mission dobservateurs neutres, en délaissant la question de la force internationale
de maintien de la paix. Il a rappelé que la France avait déployé des efforts pour que
son contingent passe, après Dar Es-Salam, sous mandat de lONU, dans la MINUAR, et
sest demandé si elle avait eu des chances réelles datteindre cet objectif.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué que, selon lui, le
Gouvernement français avait estimé, à partir dun certain moment, que le Rwanda
nétait pas une cause dans laquelle il fallait sengager à fond et quil
convenait de prendre ses distances, sans toutefois abandonner le Président Habyarimana
mais en essayant de favoriser une solution pacifique et démocratique.
Le Président Paul Quilès sest demandé si la France
naurait pas dû alors se dégager plus rapidement. Un long délai sest
écoulé entre la conclusion des accords dArusha et la mise en place effective de la
MINUAR, ce qui a suscité des interrogations sur le maintien des troupes françaises.
M. Jean-Bernard Mérimée a répondu que ce long délai avait
été dû aux difficultés pratiques de constituer les contingents, les pays non alignés
acceptant de mettre des bataillons à la disposition des Nations Unies, mais à condition
quils soient équipés complètement, des " chaussures aux armes
lourdes ". Si la France avait envoyé un contingent important, tout le monde
aurait dit quelle se réintroduisait au Rwanda sous le parapluie des Nations Unies.
M. Pierre Brana a demandé à M. Jean-Bernard Mérimée
comment il expliquait que le mot " génocide " ne soit apparu dans une
résolution de lONU que le 8 juin, et plus particulièrement, que le rapport de
M. Boutros Boutros- Ghali du 20 avril, qui avait conduit au vote de la
résolution 912 organisant le repli de la MINUAR, ne fasse pas allusion aux massacres de
civils tutsis par les milices. Il a souhaité également savoir pour quelles raisons
lONU avait accepté de déroger à une règle qui semblait toujours appliquée
jusqualors, selon laquelle une puissance impliquée dans une zone ne participait pas
aux opérations de maintien de la paix dans cette zone, ce qui fut le cas de la Belgique
dans la MINUAR I ou de la France dans lopération Turquoise. Cette question
a-t-elle été soulevée ? A-t-elle fait lobjet de discussions au sein du
Conseil de Sécurité ?
Enfin, il a demandé si lattitude des Etats-Unis
sexpliquait par le traumatisme somalien ou, au contraire, par un désir plus ou
moins caché daider le FPR, et si les Etats-Unis avaient constitué un réel
obstacle à une réponse efficace de lONU.
M. René Galy-Dejean, revenant sur les réactions du Conseil
de Sécurité et des Etats-Unis à lattitude de la France, a souhaité savoir
comment M. Jean-Bernard Mérimée analysait la venue devant le Conseil de Sécurité
du Premier ministre Edouard Balladur, alors quil est rare quun chef de
gouvernement vienne plaider un dossier devant lONU, les ambassadeurs étant là pour
cela.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué que le mot
" génocide " était apparu si tard, parce que de nombreux pays et
notamment les Etats-Unis, sont signataires de conventions sur le génocide qui font
obligation dintervenir dès lors que des massacres atteignent une ampleur qui
justifient cette qualification. Les Etats-Unis ne souhaitaient pas, et aucun pays ne le
souhaitait, que lon qualifie dès le début les massacres de génocide en raison des
obligations quentraînait une telle qualification.
Selon M. Jean-Bernard Mérimée, la règle selon laquelle une
puissance impliquée dans une zone ne doit pas participer à une opération de maintien de
la paix nest pas une règle écrite. Il ne sagit que dune coutume, mais
il y avait alors urgence. Les Belges sétaient présentés pour faire partie de la
MINUAR et les Français étaient les seuls qui pouvaient assumer la responsablité de
lopération Turquoise. Cest la raison pour laquelle les rares pays volontaires
avaient été acceptés.
M. Boutros Boutros-Ghali a plusieurs fois, devant le Conseil,
remercié la France, parce quelle était la seule à intervenir, alors que tout le
monde se défaussait. Il appuyait donc la France mais avait confié à
M. Jean-Bernard Mérimée quelle aurait tout le monde contre elle parce
quelle mettait en évidence, soit la lâcheté, soit limpossibilité
dagir, des uns et des autres. M. Boutros Boutros-Ghali avait une vue
particulièrement lucide des Nations Unies, et spécialement du Conseil de Sécurité.
M. Jean-Bernard Mérimée a alors expliqué que la ligne politique
de tout Etat est le fruit dun faisceau de motivations et que le léchec de
lopération en Somalie a eu un impact très fort sur le public américain, donc sur
le Président. Le Président Clinton a rédigé une directive fixant les conditions dans
lesquelles une opération de maintien de la paix pouvait être approuvée par les
Etats-Unis. Lopération de maintien de la paix qui aurait été nécessaire au
Rwanda ne satisfaisait pas à ces conditions et les Etats-Unis ny étaient donc pas
favorables. Il a exprimé le sentiment quil fallait également prendre en compte
létat desprit décrit précédemment sur le bien-fondé de la victoire du
Front patriotique et les interrogations sur le rôle de la France.
En ce qui concerne la venue de M. Edouard Balladur, il a indiqué
quil avait voulu rassurer le Conseil de Sécurité, souligner dans quel esprit la
France avait engagé lopération Turquoise et réaffirmer que, conformément à ce
quelle avait dit, elle se retirerait au bout de deux mois. A ce moment-là, un
certain nombre de membres du Conseil de Sécurité, voyant que la France
noutrepassait pas son mandat, lui demandait de rester.
M. Pierre Brana a demandé qui avait effectué cette demande.
M. Jean-Bernard Mérimée a réaffirmé que la France a alors
été sollicitée pour poursuivre lopération et que si elle avait présenté à ce
moment-là un projet de résolution demandant une prolongation dun ou deux mois, il
aurait été adopté. Il a souligné que quelle que soit la capacité de conviction
dun ambassadeur, celle dun Premier Ministre est naturellement beaucoup plus
forte, la présence de M. Edouard Balladur lui-même devant le Conseil de Sécurité
ayant revêtu une signification particulière.
M. Jacques Myard a souhaité connaître, au moment du vote de
la résolution concernant lopération Turquoise, lattitude précise des
Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Il a par ailleurs demandé si le soutien des
Etats-Unis au FPR sinscrivait dans une stratégie ou était le résultat dun
engrenage.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué que les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne avaient voté en faveur de la résolution, alors quils ny
étaient pas bien disposés au début mais que plusieurs raisons expliquaient leur
changement dattitude. Dune part, des démarches avaient été faites auprès
de Washington sous la forme de contacts, de conversations, où les relations personnelles
jouent un grand rôle. Ces démarches font partie du travail dun ambassadeur aux
Nations Unies qui cherche à faire adopter une résolution. Les gouvernements britannique
comme américain se sont convaincus quil y avait une chance que la France soit
sincère, quelle veuille réellement arrêter les massacres, et quelle ait
finalement abandonné lidée -puisque le président Habyarimana était mort- de
sopposer au Front patriotique. Dautre part, existait ce sentiment diffus de
honte de nombreux membres du Conseil de Sécurité davoir laissé faire.
M. Jean-Bernard Mérimée a estimé difficile daffirmer que
lappui des Etats-Unis au Front patriotique relevait dun engrenage ou
dune stratégie. Il a indiqué, quà son avis, il ny avait pas eu un
plan structuré des Etats-Unis pour chasser les Français du Rwanda, du Burundi puis du
Zaïre mais que les occasions avaient été saisies et bien saisies, le sentiment
sinstallant quil valait mieux remplacer la clientèle de la France par une
clientèle des Etats-Unis. Il a décelé une mauvaise intention vis-à-vis de la France
mais non un plan en raison des aléas et des impondérables de telles situations.
Le Président Paul Quilès sest demandé comment lONU
avait pu laisser sécouler presque trois mois après le 6 avril 1994 alors que,
dès les premiers jours, elle a eu connaissance de massacres, quau mois de mai
certains ont reconnu quil sagissait bien dun génocide et que
lopération humanitaire na été décidée quà la fin du mois de juin.
M. Jean-Bernard Mérimée a rappelé que lONU est le
lieu géométrique des conflits dintérêts et quil est donc rare que la
communauté internationale, les cinq membres permanents ou le Conseil de Sécurité dans
son ensemble aillent tous dans la même direction. Il a condamné à titre personnel ce
retard mais a fait la distinction entre les membres des Nations Unies qui étaient
" au-dessous de tout " et linstitution qui est la somme
algébrique des volontés des pays qui la constituent, notamment des membres du conseil de
sécurité.
Il a expliqué lattentisme du Conseil de sécurité par le fait
que peu de pays voulaient participer à une opération. Parmi ce nombre réduit, la France
aurait éventuellement été disposée à intervenir, mais le Conseil de sécurité était
réticent à ly autoriser. Il nentrait manifestement pas dans la politique du
gouvernement français dagir de sa propre initiative sans lautorisation et en
dehors du cadre des Nations Unies, comme lavaient fait les Etats-Unis à Panama ou
à Grenade.
M. Pierre Brana sest étonné de linaction de la
communauté internationale, alors quaprès lattentat du 6 avril contre
lavion des deux présidents, quand la Belgique décida de retirer son contingent,
tout le monde devait savoir que les massacres continuaient et même samplifiaient.
Il a demandé sil ny avait pas eu de débat à lONU pour quune
force de remplacement soit mise en place très rapidement.
Le Président Paul Quilès a ajouté que le 17 mai, il avait
été décidé de porter les effectifs de la MINUAR à 5 500 hommes mais
quauparavant le Conseil de Sécurité avait décidé, dans un premier temps, de les
réduire très fortement.
M. Jean-Bernard Mérimée a répondu que, lorsquil a
été décidé de réduire les effectifs de la MINUAR, M. Boutros Boutros-Ghali avait
présenté trois options au Conseil : loption maximale visait à renforcer la
MINUAR en lui affectant de nouvelles troupes et en lui donnant éventuellement un nouveau
mandat, relevant du chapitre VII ; loption minimale consistait à évacuer
lensemble de la force ; loption intermédiaire permettait de conserver un
détachement. La majorité du Conseil ne souhaitait pas loption maximale et si la
France avait proposé une résolution avec loption maximale, elle naurait pas
eu la majorité.
M. Pierre Brana sest demandé pourquoi le feu vert avait
été donné pour lopération Turquoise quelque temps après.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué que le temps a joué, que
la communauté internationale avait éprouvé le sentiment de honte quil venait
dévoquer et que Kigali était aux mains du Front patriotique qui avait gagné
militairement.
Le Président Paul Quilès, a demandé si lon pouvait parler
de cynisme pour décrire lattitude de la plupart des membres du Conseil de
Sécurité qui considéraient quil était politiquement correct de laisser gagner le
FPR et qui ont autorisé Turquoise dès lors que sa victoire, fin juin, nétait pas
loin.
M. René Galy-Dejean sest demandé si, en fait, on
voulait bien empêcher le génocide, mais à condition de ne pas gêner le FPR.
M. Jean-Bernard Mérimée a confirmé quil lui était
apparu assez clairement quà mesure que le temps passait et que le Front patriotique
lemportait, puisque Kigali était tombée, il devenait de plus en plus difficile de
reconquérir le pays même si lon soupçonnait la France de vouloir constituer un
réduit à partir duquel les forces hutues se seraient reconstituées pour repartir à
loffensive.
M. Pierre Brana a demandé sil y avait eu une
proposition concrète dintervention de la France, sur le modèle de Turquoise,
immédiatement après le 6 avril.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué quil navait
pas le souvenir dune telle proposition de la France et a rappelé quil avait
expliqué les raisons pour lesquelles à cette époque-là elle eût été vouée à
léchec complet.
M. Jacques Myard a demandé à M. Jean-Bernard Mérimée
à quel moment il avait eu le sentiment que lopinion publique américaine
commençait à sinterroger et que les médias américains acceptaient lidée
dune intervention.
M. Jean-Bernard Mérimée a exprimé le sentiment que le
retentissement médiatique des massacres au Rwanda avait été moindre aux Etats-Unis, sur
CNN, que par exemple la famine en Somalie. Il sétait bien opéré une évolution
des mentalités, qui avait fait que les Etats-Unis ne sétaient pas opposés à
lopération Turquoise. Mais, dans ce cas précis, lévolution de
lopinion publique américaine na pas été déterminante.
Il a rappelé que pour les néo-zélandais, toujours pleins de bons
sentiments et qui aiment avoir une posture morale, il eût été correct que la France
mît à la disposition des Nations Unies ses troupes et que lopération Turquoise se
fît donc sous commandement des Nations Unies alors que cétait la vouer à
léchec. Il a souligné que pour les Etats du Pacifique, la France, qui a un passé
colonial, est facilement accusée davoir des regrets et des tentations
néocolonialistes.
M. Bernard Cazeneuve a indiqué que la mission avait
suffisamment entendu de responsables politiques, diplomatiques et militaires pour avoir
confirmation que la politique de la France pendant la période de 1990 à 1994 avait visé
à susciter le dialogue entre les différentes parties au conflit et que, tout en
laidant, la France avait fait pression sur le Président Habyarimana et son
Gouvernement pour linciter à démocratiser le régime rwandais et créer les
conditions dun dialogue avec lopposition, y compris lopposition armée,
le FPR, ce qui a permis daboutir aux accords dArusha. Il sest interrogé
sur le fait que, alors que la France avait déployé tant defforts qui ne se sont
pas déployés dans un contexte de silence diplomatique complet, elle continuait à être
suspectée de vouloir faire le jeu dun camp contre un autre après que le FPR eut
gagné.
M. Jean-Bernard Mérimée a confirmé que, vu des Nations
Unies, il ne sexpliquait pas ces accusations contre la France.
M. Bernard Cazeneuve a formulé deux hypothèses. La première
est que la France a entretenu un discours officiel que les faits sont venus contredire. La
seconde est quelle a tenu un discours officiel qui a été conforme aux faits mais
quelle a subi une gigantesque opération de désinformation de la part de puissances
qui avaient sur la région des visées non conformes aux siennes. Il a alors demandé à
M. Jean-Bernard Mérimée laquelle de ces deux hypothèses il privilégiait.
M. Jean-Bernard Mérimée a répondu quaux Nations
Unies, il lui était apparu rapidement que la France avait une politique cohérente et que
les faits, cest-à-dire les actions quelle menait, étaient en accord avec
cette politique, dans tout le déroulement des évènements : les accords
dArusha, la MONUOR, la MINUAR. Le Gouvernement français, comme le confirment les
instructions données, souhaitait que cette politique aboutisse. Il a nié pouvoir
apprécier dautres interprétations possibles de lendroit où il était. La
politique affichée du Gouvernement français correspondait à ses actes. Les décisions
et les mesures concrètes correspondaient à une opération de dégagement du Rwanda, qui
paraissait saine en elle-même, dans la mesure où elle ne laissait pas le pays aux mains
de forces déstabilisatrices mais sefforçait de remplacer la présence française
par celle des Nations Unies.
M. Bernard Cazeneuve a rappelé que la France avait eu un
rôle moteur dans laccomplissement de la logique dArusha, dans la négociation
des accords eux-mêmes et dans lacceptation de lidée quil fallait
absolument que le dialogue se noue, y compris avec lopposition armée, que le
pouvoir soit partagé, que se crée un Gouvernement à base élargie. Or, il a constaté
que, quelques mois après que la situation eut dérapé, sans quà aucun moment
notre volonté ne se soit manifestée, les parties anglo-saxonnes développaient un
procès contre la France que les événements les plus récents et la contribution de la
France au processus de paix auraient dû invalider.
M. Jean-Bernard Mérimée a estimé que dans les pays
anglo-saxons il y avait eu une opération de désinformation. Pour le Front patriotique,
la France avait aidé le Président Habyarimana, sétait à plusieurs reprises
opposée à sa victoire, était donc complice du Président Habyarimana, et partant,
complice du génocide.
M. Bernard Cazeneuve a admis ce point de vue du FPR mais
sest demandé sil fallait considérer quil était aussi
systématiquement celui des Américains et des Britanniques.
Le Président Paul Quilès a ajouté que le FPR avait apparemment
tenu un double langage puisque, à lissue des accords dArusha, il avait
envoyé, en août 1993, une lettre de remerciement à la France pour se féliciter du
rôle quelle avait joué.
M. Jean-Bernard Mérimée a confirmé quil
sagissait dun double langage, le Front patriotique nayant jamais eu
quune ambition, celle de reprendre le pouvoir et rejeter la responsabilité du
génocide sur la France afin davoir sur elle un moyen de pression qui aurait fait
couler une manne ininterrompue de crédits français. Il a indiqué que M. Dusaidi,
le représentant du Front patriotique aux Nations Unies, avait exactement présenté ainsi
la position du Front puisque, lors de leur première rencontre, il avait demandé que la
France reconnaisse sa responsabilité dans les massacres.
A une demande complémentaire de M. Jacques Myard sur la
date de cette rencontre, M. Jean-Bernard Mérimée a précisé quelle
avait eu lieu un mois après le début des massacres. Il a fait part de sa conviction
profonde que le Gouvernement Rwandais actuel haïssait la France, quil était
difficile davoir des relations normales avec léquipe actuelle.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir quelle thèse était
véhiculée le plus largement parmi les diplomates de lONU après lattentat
contre lavion présidentiel.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué que la première
réaction avait été daccuser les Tutsis, le Front patriotique, puis très
rapidement une deuxième réaction a visé les extrémistes hutus qui craignaient que le
Président Habyarimana ne veuille partager le pouvoir et qui donc souhaitaient
léliminer.
M. Bernard Cazeneuve a souhaité savoir si le manque de
renseignements sur le sujet, qui laisse libre champ aux hypothèses les plus fantaisistes,
provient du fait que les éléments dinformation disponibles sont détenus par
certains services américains.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué quil nen
avait aucune idée mais que cétait possible. Si les services anglais ou américains
avaient détenu la preuve que cétaient effectivement des extrémistes hutus qui
étaient responsables, ils lauraient dit, ce qui montre soit quils nont
pas de preuve, soit quils ont trouvé des preuves accusant le Front patriotique.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si les services de
renseignement auraient aussi fait part de leurs informations si la responsabilité de
lattentat incombait à des extrémistes hutus avec la complicité de mercenaires
venant dEurope.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué que cela naurait
pas été un obstacle dirimant.
Le Président Paul Quilès, évoquant le déclenchement du
génocide, a rappelé que la mission avait été informée darrivées successives à
lambassade de France de personnalités rwandaises qui cherchaient à y trouver
refuge, au moment de lopération Amaryllis et que, contrairement à ce qui a été
dit à notre représentation permanente à lONU par le secrétariat des Nations
Unies, lambassade de France navait pas été protégée par des gardes de la
MINUAR. Il a souhaité que M. Jean-Bernard Mérimée confirme cette information selon
laquelle la MINUAR aurait refusé de protéger et dévacuer des ressortissants
réfugiés à lambassade de France.
M. Jean-Bernard Mérimée a indiqué quil ne pouvait
apporter de précisions sur ce point, qui na été lobjet ni de débats ni
même de conversations du Conseil de Sécurité.
Audition de M. Jean-Marc ROCHEREAU DE LA
SABLIÈRE
Directeur des Affaires africaines et malgaches au ministère
des Affaires étrangères (août 1992-juillet 1996)
(séance du 24 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Jean-Marc Rochereau
de la Sablière, Directeur des Affaires africaines au ministère des Affaires étrangères
entre juin 1992 et mai 1996. Il a fait observer quil avait pris ses fonctions à un
moment décisif pour la période étudiée puisquen juin 1992, le FPR et le
gouvernement rwandais décidaient, à Paris, en présence dobservateurs français et
américains, de lancer le processus dArasha. Il a souhaité que M. Jean-Marc
Rochereau de la Sablière indique dans quelle mesure il en avait favorisé le bon
déroulement jusquaux accords dArusha daoût 1993 tout en indiquant que
la mission était disposée à entendre toute autre observation pouvant
lintéresser.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a confirmé quil
avait été Directeur des Affaires africaines et malgaches du mois daoût 1992 à
juillet 1996. Il a rappelé que plusieurs mois avant son arrivée, la situation politique
intérieure rwandaise avait connu une évolution majeure : la constitution dun
nouveau gouvernement dominé par lopposition traduisait une ouverture
politique ; le FPR occupait dans le nord une partie significative du territoire et
venait de mener une nouvelle offensive ; la France était présente à travers
lopération Noroît et le DAMI ; les négociations dArusha commençaient.
Il a souligné que, pendant la période où il avait exercé ses
fonctions, la crise rwandaise avait traversé diverses phases, chacune delles ayant
été dominée, pour le ministère des Affaires étrangères, par une préoccupation
particulière dans le cadre dune politique dont les grandes lignes navaient
pas varié. Il a souhaité évoquer les objectifs propres à chaque étape, confirmés par
les télégrammes, notes, rapports ou instructions du ministère, à travers une
présentation chronologique, en veillant à ne pas sortir, pour chaque période
considérée, du contexte historique afin de ne pas risquer dajouter de nouveaux
anachronismes à ceux très nombreux qui sont malheureusement faits sur cette
affaire.
Il a relevé que lobjectif de la France avait dabord été
de favoriser une solution politique et en a expliqué les raisons. Une solution militaire
présentait des risques de déstabilisation pour le pays et la région, et la France avait
déjà la crainte quune victoire militaire du FPR ne se traduise, compte tenu des
particularismes de cette région, non par un génocide que personne ne pouvait
imaginer mais par des exactions massives comme il sen était produit au Rwanda et au
Burundi dans un passé récent où des dizaines de milliers de personnes avaient été
victimes de massacres. La France avait alerté, en 1993, ses principaux partenaires
européens et occidentaux sur ces risques et ces deux préoccupations figurent
dailleurs en tête des instructions données en 1993 à lambassadeur de la
France à Kigali avant quil ne rejoigne son poste.
Il a rappelé quaider les autorités rwandaises à contenir
loffensive du FPR était cohérent avec la politique africaine de lépoque, le
Rwanda étant un pays " du champ ", qui sétait rapproché de la
France et la menace étant sérieuse. Le conflit avait une dimension à la fois interne et
externe, comme en attestent les liens entre le FPR et la NRA ougandaise, et la prise de
pouvoir par une minorité, en usant de la force, était en totale contradiction avec le
courant fort de démocratisation qui traversait lAfrique et incitait partout, avec
le soutien des pays occidentaux, à la tenue délections.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a alors fait observer que
donner sa chance à un règlement négocié impliquait que le front tienne sur le terrain.
Il sagissait dun objectif essentiel et même dune condition sine qua
non qui était remplie par une stratégie de soutien indirect à larmée
rwandaise, à travers des actions de formation, de conseils, de livraisons
déquipements, darmements et de munitions. La présence à Kigali du
détachement Noroît pour sécuriser les ressortissants français et lensemble des
expatriés avait un effet stabilisateur et avait bien été souhaitée par le Gouvernement
rwandais douverture constitué en 1992, comme le confirment plusieurs conversations
à ce sujet.
Il a indiqué que des pressions fortes avaient été exercées par la
France et par la communauté internationale pour que les négociations dArusha
aboutissent, même si les deux protocoles sur le partage du pouvoir et sur la constitution
dune armée nationale posaient problème. La négociation du premier protocole a
créé une très vive tension entre le Président et le Gouvernement, notamment le
Ministre des Affaires étrangères. Les reproches portaient en particulier sur la question
de la minorité de blocage que le Président aurait souhaité obtenir pour son parti, le
MRND, et sur la procédure " dimpeachment ". Les Hutus du sud
souhaitaient à la fois limiter les pouvoirs du Président et ne pas tomber dans les mains
du FPR. Celui-ci voulait avoir une forte participation dans la future armée et, grâce à
des alliances, contrôler lexécutif. Le Président Habyarimana était un homme
difficile à cerner. Il ne lui était pas facile dimposer des compromis à ses
partisans et tout au long de la négociation, il a rencontré de sérieuses difficultés
avec les extrémistes hutus, la CDR ayant dailleurs officiellement rompu avec lui au
début de 1993. Il défendait des positions dures, mais se distinguait des extrémistes
et, contrairement à ces derniers, il paraissait disposé à trouver une solution
négociée dès lors quelle lui garantissait de rester au pouvoir pendant la
transition et davoir une perspective électorale.
Des lettres ont été adressées au Président Habyarimana par le
Président de la République française, des émissaires ont été envoyés,
lambassadeur agissait quotidiennement. La France a poussé à cet accord, comme le
montre la correspondance, en demandant au Président de faire des compromis, en incitant,
surtout à partir de février 1993, le gouvernement dopposition à travailler avec
le Président et, enfin, en suggérant aux pays qui avaient de linfluence sur le
FPR, notamment lOuganda et les Etats-Unis, dinciter celui-ci à accepter une
solution politique.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a relevé que, dans cette
période de tension où la guerre a attisé les antagonismes ethniques, des démarches
avaient été faites lorsque des exactions graves avaient eu lieu, notamment lorsque des
massacres perpétrés par des Hutus extrémistes et dénoncés par la FIDH sétaient
produits dans le nord-ouest, en janvier 1993. De son côté, le FPR commettait aussi des
exactions, en particulier des exécutions sommaires, généralement ciblées et ses
offensives avaient créé une situation humanitaire grave avec le déplacement dune
population qui a compté jusquà 900 000 personnes.
Il a rappelé que le risque de ne pas parvenir à une solution
politique avait été très grand lorsque le FPR, qui cherchait dune manière ou
dune autre à aboutir à ses fins, avait rompu une nouvelle fois le cessez-le-feu,
le 8 février 1993, menaçant la capitale dont la chute aurait scellé sa victoire
militaire et engendré des massacres. La France avait dû à lépoque faire preuve
de beaucoup de détermination, renforcer le détachement Noroît et mener une campagne
diplomatique active auprès de lOuganda et des autres pays intéressés. Cette
action dissuasive a ouvert la voie à laccord de Dar Es-Salam du 9 mars 1993,
qui a été incontestablement un tournant : le cessez-le-feu a été rétabli ;
le FPR, qui sétait avancé jusquà 25 kilomètres de Kigali, est revenu
sur les bases qui étaient les siennes avant loffensive ; les renforts envoyés
dans le cadre de Noroît ont été rapatriés ; lidée dune force neutre
des Nations unies est apparue pour la première fois.
Laccord dArusha a été signé le 4 août 1993 et
lélection du Président Ndadaye au Burundi a certainement été un élément
important dans la décision du Président Habyarimana de laccepter. Laccord
qui était un pas considérable dans la voie de la réconciliation et représentait un
grand espoir, a été considéré à lépoque comme un succès diplomatique,
notamment pour la Tanzanie qui jouait un rôle clé dans la négociation.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a rappelé que des
remerciements avaient été adressés à la France par tous, aussi bien par le Président
Habyarimana que par le FPR qui a adressé à cette fin une lettre au Président de la
République. Cet accord était crédible et le fait que la négociation ait été
difficile ne signifiait pas quil ne serait pas tenu car dautres situations
extrêmement difficiles en Afrique, à lépoque, étaient en voie de règlement ou
faisaient lobjet de tentatives de règlement par la négociation, notamment en
Afrique du Sud, au Mozambique, au Congo, entre la Mauritanie et le Sénégal, etc.
Lidée dinstitutions intérimaires et dun partage du pouvoir précédant
des élections, était mise en oeuvre ailleurs de même que la fusion des forces
militaires en vue de la création dune armée nationale. Personne ne
sattendait à ce que la méfiance disparaisse rapidement, mais la présence des
troupes des Nations unies devait aider, selon un schéma classique, à la mise en
uvre de laccord. Le fait que la communauté internationale se mobilise enfin
apparaissait comme un atout important. Cela navait pas été facile et il avait
fallu beaucoup defforts, de convictions et dénergie, dont la correspondance
rend compte, pour pousser à cette mobilisation.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a fait observer que peu de
parties étaient initialement favorables à lintervention des Nations Unies, pour
des raisons différentes, le FPR par crainte dêtre neutralisé, lOUA pour
affirmer ses compétences, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne principalement pour des
raisons financières ainsi quune partie du secrétariat de lONU. La création,
sur linitiative de la France, dune mission dobservation à la frontière
du Rwanda et de lOuganda, discutée aux Nations unies à partir du mois de mars 1993
et décidée en juin, a été une étape importante dans la prise de conscience du
problème et a conduit à ladoption plus tard de la résolution créant la MINUAR,
le 5 octobre 1993. Lenvoi à New-York dune mission conjointe
FPR/Gouvernement, de même que lattitude finalement plus réaliste de lOUA,
qui a mesuré les limites de son action lorsque laccord a été en vue, ont
certainement joué un rôle dans lacceptation de la MINUAR par le Conseil de
sécurité.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a également indiqué
quà partir daoût 1993 la France avait été guidée par le souci
daccompagner la communauté internationale dans son action en vue de
lapplication des accords dArusha mais que, quelques mois après la signature
de ces accords, la situation sest à nouveau tendue. Les extrémistes hutus étaient
actifs, créant lodieuse Radio des Mille collines. Des assassinats dont celui de
M. Félicien Gatabazi, Ministre PSD, et, en rétorsion, celui dun responsable
de la CDR ont eu lieu en février 1994, de même que des troubles sérieux à Kigali qui
ont fait 200 blessés et 30 morts. Les rumeurs étaient multiples. La
prolifération des armes était inquiétante mais le FPR était aussi soupçonné de
cacher des armes en " zone tampon ". On a assisté à une montée de
lethnisme, à une division du MDR et du PL et à un changement de Premier Ministre.
Par crainte du FPR, des éléments de certains partis dopposition se sont
rapprochés du Président Habyarimana qui a favorisé ce mouvement. A la recherche de
personnes qui lui assureraient une minorité de blocage, il a retardé la mise en place du
gouvernement de transition. Mais ce retard est également dû au FPR qui acceptait mal les
évolutions politiques et refusait des compromis qui ne lui garantissaient pas le
contrôle de lexécutif. Le FPR renforçait son armée et laissait planer la menace
de revenir à loption militaire. La question de la participation à
lAssemblée de la CDR, qui se déclarait prête à accepter le code déthique,
a créé une difficulté supplémentaire, car le FPR la refusait en raison des positions
extrémistes de ce parti.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a alors souligné cinq
éléments marquants de cette période :
lassassinat, suivi du massacre de 50 à
100 000 personnes, du Président Ndadaye du Burundi, en novembre 1993, cinq mois
après son élection, a eu un impact très négatif sur la situation politique du Rwanda
en augmentant la méfiance du Président Habyarimana ;
la France a respecté ses engagements en rapatriant le
détachement Noroît. La date du départ de ce détachement a été arrêtée après
consultation avec le Général Romeo Dallaire, en tenant compte de la date darrivée
des premiers éléments significatifs du contingent belge pour éviter un vide
déstabilisateur à Kigali. Le nombre des coopérants a été ramené au niveau de 1990,
les modalités de la coopération devant faire lobjet, le moment venu, dune
discussion avec le gouvernement de transition ;
la communauté internationale, à travers les Nations
unies, sous lautorité du Secrétaire général et le contrôle du Conseil de
sécurité, avait désormais une responsabilité majeure, depuis ladoption de la
résolution 872. Un représentant du Secrétaire général, M. Jacques-Roger
Booh-Booh, avait été nommé à Kigali et la MINUAR avait reçu un mandat aux termes
duquel elle devait, entre autres tâches, contribuer à la sécurité à Kigali ;
la concertation des Nations unies et des pays représentés
à Kigali était constante. De nombreuses démarches collectives, auprès de toutes les
parties, ont dailleurs été faites à cette époque par les ambassadeurs des pays
occidentaux représentés à Kigali qui avaient pour préoccupation principale
lapplication des accords et, notamment la mise en uvre des institutions dont
tout paraissait dépendre. Le Conseil de sécurité a adopté des textes dans le même
sens. Des émissaires des pays occidentaux Américains, Belges, Français se
sont rendus à Kigali pour tenir le même langage;
enfin, si la situation était préoccupante, il y a avait
cependant des points positifs. Le cessez-le-feu se prolongeait alors que, tout au long de
la négociation dArusha, il avait été rompu à plusieurs reprises. Par ailleurs,
600 000 personnes déplacées étaient revenues sur leurs terres. Les
négociations pour la mise en place des institutions se poursuivaient activement et
lon pouvait espérer quelles aboutiraient. Cest dailleurs au
moment où un accord avait été trouvé et où les institutions allaient enfin être
mises en place que le Président Habyarimana a été assassiné.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a reconnu quil
navait jamais su quels étaient les auteurs de cet attentat qui avait déclenché
une effroyable tragédie. Selon lui, les deux hypothèses extrémistes hutus ou
FPR paraissent plausibles et, même si peu de gens savent la vérité, M. Paul
Kagame connaît certainement la réponse. Il a souligné quaprès lattentat,
la préoccupation principale de la France avait été dévacuer les ressortissants
occidentaux et estimé que lopération dévacuation, décidée le 7 avril
et exécutée dans lurgence, avait été sans doute parmi les plus difficiles que
larmée française avait réalisées en Afrique. Il sest déclaré choqué
dentendre dire quil y avait eu un " tri à
lambassade " et que le personnel local avait été sacrifié. Il a
affirmé que lambassadeur aurait évacué le personnel local, qui nétait plus
à lambassade, si celui-ci avait pu être joint et quil avait dailleurs
reçu un télégramme en ce sens.
Il a indiqué que dans la période suivante, laction de la France
avait été surtout inspirée par le souci de chercher à mobiliser la communauté
internationale, trop passive devant le génocide de la communauté tutsie. Lampleur
de la tragédie était apparue assez tardivement et il avait fallu des semaines pour se
rendre compte que lon était bien au-delà des massacres graves qui sétaient
malheureusement déjà produits dans la région, notamment après lassassinat du
Président Ndadaye.
Il lui a paru utile de souligner à propos de cette période plusieurs
éléments :
la France a été, par la voix de son Ministre des Affaires
étrangères, le premier pays à qualifier les massacres de génocide et sest
prononcée pour que ce terme soit repris par la commission des Droits de lhomme des
Nations unies réunie en mai ;
la France, favorable à une enquête sur lattentat du
6 avril, a été à lorigine de la déclaration du Conseil de sécurité
demandant au Secrétaire général de recueillir toutes les informations utiles sur le
sujet, par tous les moyens à sa disposition ;
la France a contribué à lactivité diplomatique
pour favoriser un cessez-le-feu sous légide des Nations unies et des pays de la
région. Lidée quelle exprimait et qui était partagée par les pays de la
région et les Nations unies était que le cessez-le-feu constituait une condition
indispensable pour arrêter les massacres, envoyer une aide humanitaire et reprendre la
discussion en vue de favoriser lapplication des accords dArusha. Le Président
Museveni a été reçu à Paris le 30 juin ou le 1er juillet et la
déclaration publiée à lissue de son entretien avec le Président de la
République marque un accord sur trois objectifs : obtenir un cessez-le-feu, traduire
en justice les responsables du génocide, selon des modalités à définir par la
communauté internationale et rechercher durgence un règlement politique.
la France na pas été favorable à la suppression
totale de la MINUAR I ; elle a co-parrainé la résolution n° 918, créant
le 17 mai la MINUAR II, dont elle a favorisé ladoption, et a demandé,
lors des consultations sur ce texte que la MINUAR II soit autorisée, dans le cadre
du chapitre VII, à utiliser la force pour protéger les populations. Le Conseil a
maintenu cette action dans le cadre du chapitre VI.
la France a multiplié les démarches et les actions pour
que la MINUAR II se mette rapidement en place, proposant même que lon
redéploie la force des Nations unies en Somalie et faisant part de sa disponibilité à
participer à lopération et à financer à hauteur de 20 millions de francs le
déploiement dun contingent sénégalais. Or, malgré les déclarations et les
massacres qui se poursuivaient, il ny avait pas de volonté politique de la
communauté internationale de mettre en place cette force. Les pays africains qui avaient
accepté denvoyer des contingents " se hâtaient lentement ";
les pays occidentaux ne répondaient pas à leurs demandes de transport et
déquipement. M. Boutros Boutros-Ghali, constatant lincapacité des
Nations unies à sengager dans lurgence, en avait dailleurs tiré les
conséquences en suggérant assez vite que les Etats membres interviennent directement,
avec laccord du Conseil de sécurité. Vers la mi-juin, seule la France a
considéré quil fallait réagir à la tragédie, en décidant une opération
humanitaire sous légide des Nations unies, mais limitée dans le temps.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a relevé que nombreuses
étaient les personnes en France qui étaient horrifiées par ce qui se passait au Rwanda
et scandalisées par la passivité de la communauté internationale. Sans doute, la France
et la Belgique étaient-elles plus sensibilisées, mais progressivement lampleur de
la tragédie apparaissait, notamment à travers ce que rapportaient les missionnaires et
les ONG.
Il a expliqué que la plupart des pays, en dehors de la France,
navaient pas jugé possible dintervenir en raison du traumatisme créé aux
Etats-Unis par laffaire somalienne, de celui créé en Belgique par
lassassinat des dix soldats belges de la MINUAR et, dune manière générale,
en raison de la très grande réticence de la plupart des pays à envoyer des contingents
dans des opérations risquées, en pleine guerre civile. Il a rappelé que les pays de la
sous-région étaient divisés et quil avait ressenti, comme directeur des Affaires
étrangères et malgaches, sous lautorité du Ministre des Affaires étrangères, la
décision de la France de sengager, avec dautres pays africains proches, dans
une opération humanitaire, comme une réaction morale devant lhorreur du génocide
qui se prolongeait et limpuissance de la communauté internationale. Le ministère
des Affaires étrangères a été, bien sûr, particulièrement attentif à ce que soient
remplies les conditions mises par la France à son engagement et énoncées par le Premier
Ministre à lAssemblée nationale. Il a alors rappelé ces conditions en décrivant
les caractéristiques de cet engagement, qui a pris la forme de lopération
Turquoise :
lopération turquoise était placée sous
légide des Nations unies. Elle a reçu un appui du Secrétaire général et a été
autorisée par le Conseil de sécurité. La résolution 929 qui porte cette autorisation
est directement liée à celle créant la MINUAR II. Conformément à ce qui était
demandé par la résolution 929, des rapports réguliers ont été remis par la France au
Conseil de sécurité. Le Premier Ministre, fait exceptionnel, sest rendu lui-même
au Conseil de sécurité. Le ministère des Affaires étrangères a veillé à ce que des
témoignages sur les crimes commis soient remis à la commission denquête créée
par les Nations unies. La France a fait savoir au rapporteur de la Commission des Droits
de lHomme que, sil souhaitait venir en zone humanitaire sûre, elle
faciliterait sa mission. Elle a également fait savoir au Secrétaire général et au
Président du Conseil de sécurité quelle se tenait prête à apporter son concours
à toute décision des Nations unies concernant des membres du Gouvernement intérimaire
qui se sont rendus peu de temps en ZHS (zone humanitaire sûre) où ils étaient, de notre
point de vue, tout à fait indésirables ;
Turquoise était une opération strictement humanitaire et
la France a été attentive à ce que la ZHS soit circonscrite au sud-ouest du Rwanda de
telle sorte quil ny ait aucune interférence avec les opérations militaires.
Cette zone a été créée, car les combats sétendant au sud, il a paru
indispensable disoler un espace où toute activité militaire serait interdite et
où les populations pourraient être secourues. Ce concept na pas été inventé de
toutes pièces. Il figurait déjà dans la résolution créant la MINUAR du 17 mai.
La ZHS a eu des effets très positifs sur le plan humanitaire : des milliers de
Tutsis ont été sauvés de la mort et le Burundi a évité larrivée de flots
considérables de réfugiés qui auraient accru sa fragilité. Enfin, il a été évité
que ne se reproduise à Bukavu la même catastrophe quà Goma où, à une certaine
période, seize mille personnes mouraient quotidiennement du choléra. Les personnes
stabilisées dans la ZHS ont pu bénéficier de secours. Ceux-ci ont tardé mais ont été
mobilisés après le cri dalarme du Ministre des Affaires étrangères, le
8 juillet ;
Turquoise était une opération limitée dans le temps et
la France a dû résister aux demandes de prolongement au-delà de la limite fixée par la
résolution du Conseil de sécurité, émanant notamment des Nations unies et des
Américains ;
Le contact a été maintenu tout au long de
lopération avec le FPR et le nouveau gouvernement constitué à Kigali, le
17 juillet ; une délégation du FPR a été reçue à Paris par le Ministre des
Affaires étrangères ; un diplomate a été envoyé à Kigali ; le Secrétaire
général du Quai dOrsay et un haut responsable de létat-major, le Général
Raymond Germanos, se sont rendus au Rwanda lorsque le nouveau Gouvernement a été
installé ; une antenne diplomatique a alors été mise en place dans la capitale
rwandaise ; des communications téléphoniques directes ont également été
échangées avec le Ministre des Affaires étrangères rwandais, ancien ambassadeur à
Paris. Ces contacts, pas toujours faciles selon les interlocuteurs, ont permis toutefois
dexpliquer lopération Turquoise, de limiter les difficultés sur le terrain
où un échange de tirs a cependant eu lieu, de lever les objections concernant la zone
humanitaire sûre, dorganiser le départ dans de bonnes conditions des troupes
françaises, cest-à-dire sans que se produise une fuite massive des réfugiés vers
Bukavu ; enfin, dobtenir que les contingents africains participant à Turquoise
restent dans la MINUAR II ;
Des éloges ont été adressés à la France, après
lopération Turquoise, notamment de la part du Secrétaire général des Nations
unies et de son représentant sur place, M. Khan.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a indiqué que la
principale préoccupation dans le deuxième semestre de lannée 1994 était
duvrer pour que la sous-région retrouve la stabilité car la situation
comprenait alors tous les éléments dun nouveau drame. Le problème majeur était
celui du retour des deux millions de réfugiés, entravé par des actions
dintimidation des Interahamwe et des anciennes autorités qui contrôlaient les
camps, surtout au Zaïre, ainsi que par lattitude du nouveau Gouvernement rwandais,
qui donnait des signaux négatifs aux réfugiés. Sy ajoutait une nouvelle
dégradation de la situation au Burundi liée à lévolution du Rwanda ainsi que
tous- les problèmes posés par labsence dautorité au Kivu, territoire
incontrôlé où les ex-FAR, restaient mobilisées. Enfin, on imaginait mal que la
communauté internationale pût maintenir longtemps laide considérable quelle
déversait sur les camps de réfugiés. Il fallait que cette aide se redéploie pour
accompagner des retours et favoriser le développement du Rwanda sinistré. Tous ces
problèmes étaient liés. Pour des raisons defficacité, il paraissait souhaitable
de les traiter ensemble dans le cadre dune conférence régionale sous légide
des Nations unies. Ce projet pris en compte par le Secrétaire général des Nations unies
et le Conseil de sécurité, et que la France soutenait, na pas vu le jour, le
Rwanda et lOuganda ny étant pas favorables.
Les relations de la France avec le nouveau gouvernement de Kigali
étaient complexes. Son représentant, devenu ensuite ambassadeur, avait sur place des
rapports normaux, même plutôt bons, avec ses interlocuteurs et plusieurs contacts
ministériels ont eu lieu. Le Premier Ministre Twagiramungu souhaitait se rendre à Paris
et renforcer les relations avec la France qui lui a fait part de son souhait de retenir
une approche progressive. Malheureusement, des attaques publiques et systématiques de
certains responsables contre la France rendaient ces efforts difficiles à concrétiser.
En conclusion, M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a souhaité
exprimer quelques remarques personnelles. Il a souligné quaujourdhui des
Rwandais continuaient de tuer des Rwandais et que lattitude de la communauté
internationale, lors des événements du Kivu, " navait pas été à la
hauteur ". Il a espéré que les Rwandais, à lexception des coupables
du génocide qui devraient être jugés et condamnés en respectant les principes
attachés à la justice, sauraient un jour trouver la voie de la réconciliation mais
celle-ci lui a paru cependant très peu probable, même à moyen terme. Il a fait observer
que les événements du Rwanda constituaient dabord une tragédie pour les victimes
tutsies du génocide mais que cétait aussi une tragédie pour toutes les victimes
des massacres. Cest un drame pour le Rwanda qui restera longtemps traumatisé, un
drame aussi pour les pays de la région et pour toute la communauté internationale.
Cest enfin, comme la dit M. Kofi Annan, un échec pour tout le monde.
Ceux qui sont restés passifs et ont manqué de volonté politique font lobjet de
quelques critiques et reproches ; ceux qui ont été actifs pour essayer de favoriser
une solution négociée et qui ont réagi à la tragédie en lançant, malgré le danger,
une opération humanitaire, sont lobjet dattaques violentes et partiales. Il
faut souhaiter que la France, conformément à sa vocation, aura toujours à lavenir
la volonté de jouer un rôle dans la prévention et la gestion des crises et de
participer à des opérations de maintien de la paix ainsi quà des opérations
humanitaires sous légide des Nations unies, même si elles sont difficiles.
Le Président Paul Quilès a demandé des précisions sur les
positions des observateurs américains et belges au cours des négociations dArusha.
Il a souhaité savoir si ces positions étaient différentes de celles des observateurs
français et se distinguaient delles par des nuances ou des clivages. Il a demandé
pour quelles raisons la Tanzanie avait été choisie comme pays facilitateur des
négociations de préférence au Zaïre et si ce choix reflétait une attitude
particulière à légard de la France. Enfin, rappelant que M. Jean-Marc
Rochereau de la Sablière avait insisté, à juste titre, sur limpact au Rwanda de
lassassinat du Président du Burundi, M. Melchior Ndadaye, et, soulignant que
cet assassinat navait pas été perçu comme porteur dautant de conséquences
négatives par la communauté internationale, il sest demandé si ce manque de
réactions avait pu être considéré comme une sorte de signal " favorisant "
le génocide rwandais et comment la direction avait analysé, à cette époque, cet
événement au regard de la situation dans la région des Grands Lacs.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a indiqué quil y
avait plusieurs points daccord, heureusement, dans les négociations à Arusha,
entre les Américains, les Belges et les Français, notamment sur la nécessité
dune solution négociée à la crise du Rwanda. Il ne se rappelait pas précisément
dans le détail la manière dont la concertation se passait à Arusha même et a précisé
quil faudrait consulter sur ce point le rapport de lobservateur français. Il
y avait une concertation, elle existait déjà à Kigali et sur place, la Tanzanie,
facilitateur, jouait un rôle majeur, comme dans beaucoup de négociations de ce type. La
France a donc agi sur place, bien sûr, mais surtout à Kigali, au moment où des
compromis se dessinaient mais posaient des problèmes dacceptation au Président
Habyarimana. Des actions collectives étaient menées par les pays occidentaux
représentés à Kigali, y compris avec lEglise catholique.
La Tanzanie a été choisie car, dans cette région où les pays
étaient divisés, elle était le seul qui avait une position neutre lui permettant de
jouer le rôle de facilitateur. Le Zaïre naurait pas pu jouer ce rôle ni
lOuganda : il ny aurait pas eu la confiance des deux parties. Lorsque les
accords dArusha ont été conclus, on a attribué avec raison ce succès
diplomatique à la Tanzanie.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a souligné que la
situation du Burundi et celle du Rwanda étaient différentes pour des raisons
historiques, même si la composition des populations était identique. Il y avait
néanmoins une interaction très importante entre les événements que connaissaient les
deux pays. Le Président Habyarimana, qui avait beaucoup cédé dans les accords
dArusha, gardait la perspective des élections. Quand le Président hutu Ndadaye a
été élu, en juin, au Burundi, dans une situation ethnique à peu près similaire à
celle du Rwanda, il a constaté que le Président tutsi Pierre Buyoya, qui avait pourtant
un prestige considérable et sétait lui-même engagé dans le processus électoral
en pensant gagner les élections, avait été battu. Lélection du Président
Ndadaye au Burundi a alors contribué à lui faire accepter les accords dArusha. De
la même manière, cinq mois plus tard, en octobre, lorsque le Président Ndadaye a été
assassiné, sa méfiance sest renforcée.
Cet événement a donc compliqué la mise en uvre des accords
dArusha, ce qui a sans doute retardé la mise en place des institutions. Le
Président Habyarimana cherchait, dune part à avoir une minorité de blocage au
gouvernement avec cinq places sur vingt ou vingt et une, et dautre part, il
craignait la procédure " dimpeachment ". Il a manuvré en jouant de
la division des partis, certains parmi les partis dopposition ayant peur du FPR et
sétant rapprochés de lui. Mais le FPR était également responsable de ces retards
car, avec lévolution des partis dopposition, il craignait visiblement de ne
plus pouvoir contrôler lexécutif sur la base des accords quil avait
acceptés à Arusha. Il a alors refusé des compromis dans la mise en place des
institutions.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a rappelé que les
difficultés sétaient développées au premier trimestre 1994. Quand la France est
partie, en décembre, conformément aux engagements prévus dans les accords
dArusha, la situation paraissait bonne : certes, des tensions étaient
apparues, mais elles ne paraissaient pas très dramatiques. Des points positifs
existaient, dailleurs soulignés par le Secrétaire général des Nations
unies : le cessez-le-feu navait pas été rompu ; une partie importante
des déplacés était revenue ; les contacts se poursuivaient pour la mise en place
du Gouvernement de transition et avaient pratiquement conduit à un accord. Ceux qui ne
voulaient pas de ces accords sont les responsables de lassassinat.
La direction des Affaires africaines et malgaches a vu les
conséquences de lassassinat du Président Ndadaye sur le Rwanda. Une partie du
Gouvernement du Burundi est venue se réfugier à lambassade de France. Nous avions
plusieurs préoccupations : dabord, la continuité des institutions malgré
lassassinat du Président ; ensuite, la protection des membres du gouvernement
et des bâtiments publics. Par la suite, dans le cadre de sa coopération avec le Burundi,
la France a assuré la formation des unités qui protégeaient le Président,
M. Ntibantuganya. Ultérieurement, il y a eu une concertation étroite aux Nations
unies ; plusieurs déclarations du Conseil de sécurité ont été faites, mais la
France a également incité les pays de lUnion européenne à prendre une position
commune, dans le cadre de ce qui fut appelé la déclaration de Carcassonne. Un
représentant spécial des Nations unies, M. Ahmedou Ould-Abdallah, Mauritanien, a
été nommé à lépoque. Cest un homme de caractère qui a fait preuve de
beaucoup de courage.
A la suite de lassassinat de M. Melchior Ndadaye, avait
été conclue au Burundi une convention de gouvernement entre les Hutus et les Tutsis avec
un partage du pouvoir extrêmement compliqué entre deux partis: lUPRONA, tutsi, et
le FRODEBU, hutu. Larmée était tutsie et les élections présidentielles avaient
été remportées par un Hutu, qui avait été remplacé par un autre Hutu. Lors des
événements rwandais, lUPRONA sest radicalisée. Voyant quau Rwanda,
les Tutsis reprenaient complètement la main, des mouvements extrémistes hutus sont
devenus plus actifs au Burundi. Lune des craintes de lannée 1995 était
quil y ait des liens au Kivu entre les ex-FAR et les extrémistes burundais. Toutes
ces questions étaient liées et la France estimait quil fallait une conférence
régionale pour les traiter. Une telle conférence supposait que des engagements soient
pris par les Rwandais, les Zaïrois, les Ougandais, les Burundais et que ces engagements
soient surveillés par la communauté internationale.
Le Président Paul Quilès, rappelant que M. Buyoya, un Tutsi,
sétait engagé dans le processus électoral en pensant gagner les élections
présidentielles, sest interrogé sur lapplication dans des pays comme le
Rwanda ou le Burundi du principe de type occidental " un homme, une
voix ". Il a souhaité savoir si M. Buyoya avait vraiment limpression
de pouvoir être élu.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a répondu quil
faudrait le lui demander et a constaté quil avait perdu, obtenant cependant
37 % des suffrages.
Le Président Paul Quilès a souligné que problème nétait
pas de savoir combien il avait obtenu de voix mais de savoir si des Tutsis et des Hutus
pensaient que le processus électoral pouvait être un moyen effectif darriver à un
gouvernement stable alors que beaucoup ont indiqué, sagissant du Rwanda, que
cétait un rêve, une illusion.
M. Bernard Cazeneuve, rappelant que la démarche française
consistait à considérer que la dimension politique du conflit prévalait sur sa
dimension ethnique et à favoriser dans cet esprit la conclusion des accords
dArusha, a demandé si elle avait été partagée par des acteurs locaux, y compris
ceux du premier plan.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a rappelé que toutes
les parties étaient favorables à laccord dArusha et que, parmi les pays qui
suivaient cette affaire, il napparaissait pas dautre solution. La France avait
le sentiment très clair quune solution militaire se traduirait par des massacres
comme il sen était produit beaucoup dans la région, même si elle ne prévoyait
pas le génocide, que personne ne pouvait imaginer.
Le Président Paul Quilès a souligné que trois types de
considérations présidaient aux analyses formulées dans les télégrammes diplomatiques
échangés entre notre représentation de Kigali et Paris entre 1990 et 1994. Le premier
angle danalyse consiste à dire quil ne sagit en aucun cas dune
affaire intérieure rwandaise et que lOuganda utilise des réfugiés tutsis rwandais
pour attaquer un pays voisin en vue de créer dans la sous-région une cohérence
politique à base ethnique. Le deuxième élément laisse penser que lanalyse
française de la situation rwandaise est essentiellement ethnique, tous les télégrammes
diplomatiques, signés par lambassadeur Georges Martres notamment, faisant
prévaloir nettement la dimension ethnique du conflit sur sa dimension politique. Une
troisième série de considérations tend à faire prévaloir la dimension politique et
intérieure du conflit sur sa dimension ethnique et étrangère et pousse la France à
faciliter la conclusion des accords dArusha.
Il a souhaité savoir lesquelles de ces trois thèses, une attaque
étrangère, un conflit ethnique et un conflit de nature politique qui appelle la
négociation avaient été privilégiées entre 1990 et 1994 selon les périodes. Puis il
a demandé si les acteurs politiques de la région avaient partagé des analyses
semblables.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a répondu que, selon
lui, le conflit avait deux dimensions, une dimension externe mais aussi une dimension
interne, les enfants des réfugiés chassés du Rwanda souhaitant y revenir et le
Général Habyarimana nayant pas traité leur problème.
M. Bernard Cazeneuve a souligné que le phénomène des
réfugiés rwandais relevait de la politique intérieure rwandaise et non de la politique
étrangère. Or, les télégrammes diplomatiques de lépoque considèrent quil
ne sagit plus dun problème de politique intérieure rwandaise, fût-il
ancien, mais dune attaque étrangère, le Président ougandais utilisant les
réfugiés comme instruments de son agression.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a souligné quil
ne fallait pas oublier les liens entre les principaux responsables FPR et le Président
Museveni, Fred Rwigyema et Paul Kagame ayant fait partie du petit groupe qui, en 1981, a
participé à la première opération militaire de Museveni, ni les liens évidents entre
la NRA et le FPR : il y avait entre 100 et 200 officiers ayant appartenu à la
NRA qui encadraient les troupes du FPR ; Paul Kagame avait été responsable par
intérim des questions de sécurité ; Fred Rwigyema avait été Ministre de la
Défense et commandant de lannée ougandaise. En 1986, 20 % de la NRA était
composée de réfugiés rwandais ; en 1990, il y en avait encore 10 %.
Cest une évidence que, pour une large part, le matériel utilisé par le FPR
provenait de lOuganda. Yoweri Museveni a apporté son soutien qui était tout
à fait évident, y compris sur le plan militaire. Lorsque la force
dobservation a été décidée, le FPR ne la souhaitait pas. Il déclarait alors,
directement et indirectement, quune force dobservation à la frontière le
neutraliserait.
La dimension externe du conflit paraît donc évidente, les deux
dimensions, ethnique et politique, également. A la division Tutsis-Hutus, sajoute
une autre division, également importante : celle entre Hutus du nord et du sud. A un
certain moment, certaines considérations lont emporté sur dautres. En 1993,
la France avait un double souci : celui de la stabilité et celui de la prévention
du risque de massacres. Elle a dénoncé ce risque aux Nations Unies mais personne ne
pouvait imaginer le génocide.
M. François Lamy, relevant quil est impossible de
récrire lhistoire, mais souhaitant au moins faire un constat, a mis en avant
léchec de certaines politiques : de la France, des Nations Unies, comme de
certains pays étrangers. Il a souligné que le but de la mission était de comprendre les
raisons de léchec.
Il sest interrogé sur la position de la France à lépoque
de la négociation des accords dArusha. Alors que la France cherchait une solution
négociée garantie militairement par lONU, se déroulait le conflit en Bosnie où
on constatait tant lenlisement de lONU que son incapacité à trouver les
formes dun engagement militaire et politique apte à régler les problèmes. Or la
France continuait parallèlement, dans dautres pays africains, à garantir
elle-même militairement certains accords par exemple au Tchad, sans se préoccuper
dune garantie de lONU.
Il a alors demandé pour quelle raison on sétait mis à la
recherche dune solution internationale au Rwanda alors que, pendant quatre ans, tout
avait été fait pour que ce soit uniquement la France qui favorise le règlement
politique du conflit. Il a également voulu savoir si le fait que la France se soit
engagée militairement, de manière indirecte, auprès dune des parties ne
lempêchait pas dêtre un élément stabilisateur et de garantie des accords.
M. Bernard Cazeneuve a considéré que, pour que les accords
dArusha aboutissent à un succès, il fallait que les Etats-Unis exercent la même
pression sur lOuganda que celle quexerçait la France sur Habyarimana, et que
les efforts conjugués de ces deux pays auraient permis aux deux présidents, parfois
tentés par des extrémismes inverses et symétriques, de calmer les excès. Il a
regretté que la lecture des documents diplomatiques de la période, en particulier les
notes émanant de lambassadeur de France à la direction Afrique, rappellent
clairement aux Américains quils se trouvaient dans la zone dinfluence
française.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a souligné que les
Nations unies avaient donné à la MINUAR I un mandat classique de force de maintien
de la paix et non pas de force dinterposition régie par le chapitre VII. Il a
rappelé quau moment où les accords dArusha étaient conclus, ils
paraissaient crédibles et solides mais avaient besoin dêtre accompagnés.
La mise en uvre de ces accords supposait la présence dune
force significative et neutre. Le mandat de la MINUAR I prévoyait notamment
quelle contribuerait à la sécurité à Kigali et assurerait la surveillance du
cessez-le-feu. Seules les Nations unies pouvaient constituer cette force. A
lépoque, lOUA avait bien créé un mécanisme de prévention et de gestion de
crise qui commençait à mener quelques opérations en Afrique, mais elle navait pas
la capacité dassurer une tâche telle que celle de la surveillance de la frontière
entre le Rwanda et lOuganda. Compte tenu des missions qui étaient demandées par
les accords dArusha, lOUA a très bien compris quelle ne pouvait les
assumer et sest retirée du jeu. De même, personne ne pouvait envisager une force
de la sous-région à laquelle participeraient à la fois la NRA et les Forces armées
zaïroises. Le mandat de la MINUAR aurait pu être meilleur, notamment pour permettre la
recherche des caches darmes. Mais il sagit dun mandat tout à fait
classique à une époque où laccord à accompagner était considéré comme
crédible et il ny a donc pas eu derreur commise au moment de la constitution
de la MINUAR I.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a ajouté que le grand
scandale se situait plus tard, plusieurs semaines après le début des massacres.
Cest dans le courant du mois de mai, que lONU et ses Etats membres ont su que
cet événement était différent, dans sa nature même, de ce à quoi on avait assisté
dans la région. La Commission des Droits de lHomme des Nations unies et la France
ont parlé de génocide mais il ny a pas eu de volonté politique de la communauté
internationale pour agir.
le Président Paul Quilès sest interrogé sur le changement
de ligne qui avait consisté à considérer que ce nétait pas le rôle de la France
que de faire de linterposition.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a rappelé
quaprès loffensive du FPR et la rupture du cessez-le-feu en mars 1993, la
capitale, Kigali, avait été menacée, le FPR se trouvant à 25 kilomètres. La
France menait une action diplomatique, intense et déterminée, auprès des Ougandais, des
Américains et de tous ceux qui pouvaient influencer le FPR. Lopération Noroît a
été renforcée avec un effet dissuasif. La décision française de demander
lintervention des Nations unies dans la gestion et le règlement de la crise
rwandaise se situe à lépoque de contacts pris au mois de février avec le
Président Museveni. Ce dernier a donné son accord pour la création dune mission
dobservation des Nations unies à la frontière et a dit quil donnerait des
instructions à lAmbassadeur dOuganda pour que les représentants ougandais et
français à New-York agissent de concert. En fait, le représentant ougandais auprès de
lONU na pas facilité les choses car le FPR ne souhaitait pas cette mission
dobservation des Nations unies qui a été créée par une résolution de juin.
Il a souligné que le choix des pays qui constituent une force de
maintien de la paix sous-chapitre VI doit être soumis à lapprobation des parties
et a indiqué que le FPR naurait pas accepté que la France y soit associée. Il a
estimé que le rétablissement de la coopération militaire, même réduite à quelques
dizaines de coopérants militaires, conformément aux accords dArusha, aurait pu
contribuer à la formation et la constitution de larmée nouvelle car il y avait un
accord de principe à cet effet dont les modalités devaient encore être discutées.
Il a rappelé que la concertation avec les Etats-Unis avait été
constante, tant à Paris quà Kigali où des démarches communes étaient
entreprises. Les directeurs concernés avaient des contacts bilatéraux à intervalles
réguliers avec leurs homologues américains, et des concertations tripartites sur le
Zaïre, le Rwanda et le Burundi avaient lieu entre Belges, Américains et Français. Le
Rwanda ne constituait pas un problème majeur pour les Américains avant le génocide et
il nétait traité quau niveau du Secrétaire dEtat adjoint. Les
Américains avaient de bonnes relations avec le Président Museveni car, dans la
stratégie américaine, lOuganda tenait une place importante en Afrique. Ils avaient
reçu Paul Kagame aux Etats-Unis, mais ils étaient favorables à un règlement négocié.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a souligné que les
Américains étaient traumatisés par laffaire de Somalie et que les réticences
quils exprimaient aux Nations unies à légard des opérations de maintien de
la paix étaient, pour lessentiel, dues à des considérations financières et aux
rapports entre le Président et le Congrès. Le Président Clinton avait fixé un certain
nombre de conditions pour répondre aux vux du Congrès concernant la création de
nouvelles forces des Nations unies. Les représentants américains à New-York étaient
réticents et ils cherchaient à jouer la carte de lOUA plutôt que celle des
Nations unies. Lorsquil devint clair que lOUA ne pouvait pas appliquer les
accords dArusha, lorsque les deux parties, FPR et Gouvernement rwandais, se sont
rendues ensemble aux Nations unies et, de la même façon, ont procédé à une démarche
commune auprès de la Banque mondiale, manifestant ainsi leur capacité à travailler
ensemble, il a été plus facile dobtenir que le Conseil de Sécurité décide
dintervenir.
M. Pierre Brana a souhaité savoir qui, pour la France, était
en relation avec le FPR. Il sest également interrogé sur le vote de la France en
faveur de la diminution de leffectif de la MINUAR après le départ du contingent
belge, et sur les débats qui avaient eu lieu à lONU à propos de la recommandation
de la France de passer du chapitre VI au chapitre VII.
Enfin, il a relevé linfluence considérable quavait eu
lassassinat dEmmanuel Gapyisi, le 18 mai 1993, et celui de Félicien
Gatabazi, secrétaire du PSD, le 21 février 1994, tous deux hommes politiques
influents qui essayaient de trouver une troisième voie de compromis entre le Général
Habyarimana, dun côté, et le FPR de lautre. Il a demandé si
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière avait des informations sur les auteurs
possibles de ces assassinats qui ont aussi une lourde responsabilité dans le triomphe des
extrémistes.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a indiqué que les
rapports de la France avec le FPR avaient été constants même sils ont dans
certaines périodes été moins fréquents. Plusieurs moyens de contacts existaient. Le
FPR avait une représentation à Bruxelles. Certains représentants téléphonaient ou
venaient de temps en temps à Paris. Il y avait des contacts à Kampala et à Dar
Es-SalaM. Les deux protocoles difficiles à accepter par le Président Habyarimana
concernaient le partage du pouvoir et larmée. Le protocole sur le partage du
pouvoir a été négocié à la fin du mois de décembre 1992 et au début du mois de
janvier 1993.
La France était contre la suppression ou le retrait total de la
MINUAR I, mais a accepté et voté la diminution de ses effectifs. Des massacres
importants eurent lieu à cette époque à Kigali notamment le meurtre du Premier
Ministre. Mais personne ne pouvait imaginer quil y aurait un génocide.
Lassassinat des dix soldats belges a conduit au retrait de la Belgique de la MINUAR
qui navait pas de capacité daction puisque son mandat nétait pas
adapté à la situation. Lidée qui a prévalu a été celle de diminuer
leffectif de la MINUAR à quelques centaines dhommes, de favoriser un
cessez-le-feu, puis de revenir pour accompagner sa mise en uvre et aider à
lapplication des accords dArusha.
Trois pays africains, dont le Nigeria, préconisaient le renforcement
de la MINUAR. Mais la plupart des autres pays étaient favorables à la diminution de ses
effectifs car ils ignoraient quils en étaient à lacte I de la
tragédie. La première préoccupation était de parvenir à un cessez-le-feu en espérant
quil puisse arrêter les massacres. Mais la diminution des effectifs de la MINUAR a
été décidée dans loptique dun renforcement ultérieur en vue de
lapplication des accords dArusha.
Au Conseil de Sécurité, la discussion ne se passe pas forcément dans
la salle des séances et certaines consultations précèdent ladoption des
résolutions. La France souhaitait placer la MINUAR II sous le régime du chapitre
VII. La solution retenue montre à quel point il existait des réticences de la part des
pays à envoyer des contingents pour intervenir. Dans la résolution du 17 mai, qui
crée la MINUAR II, la disposition prise dans le cadre du chapitre VII concerne
uniquement lembargo sur les armes. Une autre partie reconnaît " que la
MINUAR peut être appelée à mener des actions, en légitime défense, contre des
personnes ou groupes qui menacent les sites protégés et les
populations ". Autrement dit, le Conseil de Sécurité a considéré que,
dans le cadre du chapitre VI, les casques bleus pouvaient agir en situation de légitime
défense mais cétait insuffisant. Aussi, dans la résolution qui a ensuite
autorisé lopération Turquoise, la France a demandé quelle soit placée sous
le régime du chapitre VII.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a alors considéré que
certains assassinats ont joué un grand rôle dans laggravation de la situation mais
a indiqué quil ignorait qui en étaient les auteurs.
M. Jacques Myard a demandé à quel moment la direction des
Affaires africaines et malgaches avait pris conscience quun génocide était en
cours.
M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a répondu que
plusieurs semaines se sont passées avant que lon comprenne quil
sagissait dun génocide. Son évidence sest imposée dans le courant du
mois de mai à la suite notamment dinformations provenant des missionnaires ou
dONG. M. Alain Juppé a parlé de génocide vers le 15 mai, la France a
donc été la première à le dire, et des instructions ont été données à notre
délégation à la Commission des droits de lhomme qui allait se réunir pour que ce
terme soit utilisé. Mme Michaux-Chevry la certainement utilisé dans
lintervention quelle a faite devant cette commission et, entre mi-mai et
mi-juin, la communauté internationale connaissait la nature des crimes commis.
Audition du Général Jean HEINRICH
Directeur du Renseignement militaire (1992-1995)
(séance du 25 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli le Général Jean Heinrich,
Directeur du Renseignement militaire entre 1992 et 1995. Il a souhaité que le Général
Jean Heinrich précise dans quelle mesure ce service quil avait dirigé et dont la
création avait coïncidé avec lexacerbation de la crise rwandaise, avait pu
procéder à la centralisation et à lexploitation du renseignement recueilli par
les forces militaires françaises présentes dans le pays. Le Président Paul Quilès a
relevé que léquilibre des forces militaires en présence, les forces armées
rwandaises et le Front patriotique rwandais, avait naturellement revêtu une grande
importance pour la gestion de la crise et quil était essentiel pour les autorités
politiques de disposer en temps réel des informations les plus précises à ce sujet.
Le Général Jean Heinrich a précisé quil navait pas
été, en tant que Directeur du Renseignement militaire, un acteur direct des événements
au Rwanda à la différence de la Bosnie-Herzégovine, du Tchad ou du Liban, mais
seulement un observateur et lorganisateur des renseignements, non sur le terrain,
mais à Paris.
Le Général Jean Heinrich a fait observer que, globalement, pendant la
période durant laquelle la Direction du Renseignement militaire (DRM) sétait
occupée de laffaire rwandaise, soit de juin 1992, date de sa création, à
décembre 1993, date du désengagement de Noroît, un très bon niveau dinformation
avait été obtenu, mais quà partir de décembre 1993, ce niveau avait été un peu
inférieur. Il a indiqué que, dès la création de la DRM, des moyens
dinvestigations humains et techniques avaient été mis en place, ce qui avait
permis de disposer de centres situés à proximité géographique du Rwanda et
davoir un bon niveau dinterception. Le Général Jean Heinrich a ajouté que
la DRM disposait également dune équipe, et notamment dun expert de la zone
de très grande qualité, et que, lorsque la France avait, de manière ponctuelle,
procédé à des échanges de renseignements relatifs à cette zone avec ses partenaires
occidentaux ou étrangers, les services de renseignement français sétaient
rapidement rendus compte quils étaient parmi les mieux, voire les mieux informés
de la situation au Rwanda, leurs renseignements étant nettement supérieurs à ceux que
pouvaient avoir les Américains ou les Allemands.
Le Général Jean Heinrich a expliqué que linformation des
autorités françaises était faite quotidiennement et que tous les matins, à
8 heures 30, se tenait sous la direction du chef détat-major des armées
une réunion au cours de laquelle il commentait la situation dans les zones de crise, dont
le Rwanda. Il a ajouté que, tous les matins, la DRM adressait au Ministre de la Défense
une note denviron une page et demi sur les principales zones de crise, sous forme
synthétique et que, de ce fait, ce dernier recevait quotidiennement une dizaine ou une
quinzaine de lignes sur les points importants de la situation au Rwanda.
Le Général Jean Heinrich a également indiqué quen outre,
grâce à sa très grande qualité danalyse, la DRM faisait des notes de synthèse,
à intervalles irréguliers dès lors quelle estimait que les autorités devaient
être informées sur un point particulier, en présentant toujours une réflexion
prospective sur lévolution de la situation à court et moyen terme. Quant à savoir
si la DRM avait prévu les événements davril-mai 1994, le Général Jean Heinrich
a déclaré quelle ne les avait très certainement pas envisagés dans toute leur
ampleur, lirrationnel ne pouvant être totalement prévu, mais que les prémices de
novembre 1993 étaient annonciateurs au moins dexactions, le FPR ayant déjà à
cette époque commis des actions de ce type dans la région de Ruhengeri et de Gisenyi.
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir quelles étaient les
informations dont la DRM disposait concernant les effectifs du FPR, leur formation, leurs
armements et si elle disposait déléments sur le soutien direct de lOuganda
au FPR et sur le soutien indirect des Etats-Unis, à ce mouvement, par
lintermédiaire de lOuganda.
Le Général Jean Heinrich a répondu que la DRM navait
jamais eu dinformation sur une aide militaire que les Etats-Unis auraient apportée
à lOuganda pour des actions au Rwanda, mais quen revanche, elle avait
toujours considéré que lOuganda soutenait totalement le FPR, sans quil soit
toutefois aisé de distinguer le soutien des anciens Rwandais entrés dans larmée
ougandaise quelques années auparavant et le soutien direct de larmée ougandaise.
Il a indiqué que, pour cette raison, la DRM avait toujours insisté, dans ses notes, sur
la nécessité de prendre en compte, en matière darmements, ceux dont disposait le
FPR, quelle avait recensés, mais également ceux dont disposait lOuganda, qui
pouvaient présenter une menace notamment pour lArmée de lair française,
dans la mesure où ils comprenaient des SAM 7 et SAM 16.
Le Général Jean Heinrich a indiqué à ce propos que la DRM disposait
dindications très précises, voire de la preuve que des SAM 16 avaient été
achetés par le FPR et quils se trouvaient dans ses stocks. Il a précisé que la
DRM avait eu des preuves concrètes en ce domaine à une seule reprise, un véhicule
ougandais ayant été intercepté dans la zone du FPR au nord.
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir si la DRM avait pu
recueillir des informations sur les auteurs des attentats et sur les phénomènes de
déstabilisation qui sétaient déclenchés en 1992 et 1993, faisant observer que
ces éléments avaient manifestement contribué à créer un climat expliquant, pour
partie, le déroulement ultérieur des événements.
Le Général Jean Heinrich a répondu que la DRM navait pas
eu de renseignements précis sur les auteurs de ces attentats. Quant aux exactions dont
les preuves avaient été trouvées au nord du pays lorsque des charniers avaient été
découverts en 1992, le Général Jean Heinrich a estimé quelles avaient été
certainement le fait du FPR, tout en ajoutant quil ne disposait pas dautres
éléments que lexistence de ces charniers.
M. Pierre Brana a interrogé le Général Jean Heinrich sur
les mouvements darmes au Rwanda, en lui demandant sil avait des informations
sur leur distribution aux milices extrémistes par les autorités rwandaises.
Le Général Jean Heinrich a répondu que la DRM navait pas
eu dinformations à ce sujet, essentiellement parce quelle navait pas
cherché dans cette direction. Il a indiqué quà cette époque en effet, pour la
DRM, le renseignement à acquérir portait sur le FPR, sur lOuganda et sur
laide que ce pays accordait au FPR, et non sur les milices ou larmement de
larmée rwandaise, faisant observer que la présence française auprès de
larmée rwandaise justifiait cette priorité de recherche.
M. Pierre Brana a ensuite demandé au Général Jean Heinrich
sil disposait dinformations fiables sur lattentat du 6 avril 1994
contre lavion transportant le Président Habyarimana.
Le Président Paul Quilès a souhaité avoir sur ce sujet des
précisions sur des photocopies de photographies transmises à la mission
dinformation par la Mission militaire de Coopération. Le Président Paul Quilès a
indiqué que la mention de ces photos figurait dans le cahier denregistrement de la
DRM du 22 au 25 mai 1994. Il a précisé que ces photographies montraient des engins,
supposés constituer des " preuves ". Faisant remarquer que des
photocopies de photographies dont lorigine est inconnue ne pouvaient constituer une
preuve, il sest demandé comment être assuré que ces photos avaient été prises
au Rwanda les 6 et 7 avril 1994.
Le Général Jean Heinrich a répondu que ces photographies ne lui
évoquaient aucun souvenir précis.
Le Président Paul Quilès, soulignant que photographies montraient
des numéros dont il est possible de vérifier quils correspondent à une série
dengins dont disposait larmée ougandaise, a regretté leur arrivée, à la
DRM, sans mention de leur auteur et de leur date.
Alors que le Général Jean Heinrich confirmait ne pas disposer
déléments sur ce sujet, le Président Paul Quilès a fait observer que ces
documents étaient pourtant bien arrivés à la DRM, comme en atteste le cahier
denregistrement portant la mention " photos didentification
prises au Rwanda les 6 et 7 avril et transmises par la Mission militaire ".
Il a supposé que la Mission militaire de Coopération devait être en mesure de fournir
des précisions sur ces questions restées jusqualors sans réponse, ce qua
confirmé le Général Jean Heinrich.
M. Pierre Brana a fait observer que le Général Jean-Pierre
Huchon, Chef de la Mission militaire de Coopération à lépoque, avait dit aux
membres de la mission quil navait eu aucune information relative à
lattentat.
Revenant à la question de M. Pierre Brana sur
lattentat du 6 avril 1994, le Général Jean Heinrich a répondu
quil avait le souvenir que beaucoup de moyens avaient été déployés pour essayer
den connaître lorigine, bien quà ce moment-là, la France disposât de
très peu de moyens humains de renseignement sur place, ayant replié beaucoup
dhommes. Il a indiqué que la DRM navait aucune certitude, sinon quil y
avait de fortes chances que le missile ayant abattu lavion présidentiel soit un
SAM 16. Quant aux numéros du missile, le Général Jean Heinrich a estimé
quils ne disaient rien en eux-mêmes et que cest seulement au vu de la liste
des SAM 16 dont disposait lOuganda -dans des conditions qui restent à
éclaircir-, quil est apparu clairement que le numéro qui figurait sur la
photographie précédemment évoquée était à lévidence un numéro de la même
série.
M. François Lamy a fait observer quil serait
intéressant dinterroger le Général Jean-Pierre Huchon sur ces photographies,
transmises par la Mission militaire de Coopération à la DRM le 24 mai, étant
donné quil avait, le 19 ou le 23 mai, reçu lun des membres de
létat-major rwandais.
M. Jacques Desallangre sest demandé pourquoi, alors que
le Général Jean Heinrich avait souligné la qualité du renseignement militaire, la DRM
ne disposait daucune information sur les assassinats perpétrés au Rwanda.
Le Général Jean Heinrich a rappelé que, comme il lavait
souligné, la bonne période de renseignement sur le Rwanda sétait achevée en
décembre 1993. Il a fait observer que, dans la période difficile de lattentat, les
forces de renseignement rencontraient de grandes difficultés à se déplacer sur le
terrain et à faire leurs investigations sur place.
Alors que M. Jacques Desallangre précisait que sa question
portait non sur lattentat du 6 avril 1994, mais sur les assassinats qui avaient
eu lieu auparavant, le Général Jean Heinrich a répété que la DRM suivait alors
correctement la situation, et quelle avait signalé ces différents attentats et
exactions ; sans avoir prévu lampleur des massacres qui allaient avoir lieu,
les responsables du renseignement militaire avaient toutefois bien perçu la montée des
violences, et ce, nettement avant cette période.
M. François Lamy a demandé au Général Jean Heinrich si le
personnel dont disposait le renseignement militaire français au Rwanda était allé
chercher du renseignement au-delà de la frontière rwandaise.
Le Général Jean Heinrich a répondu que telle nétait pas
la mission de la DRM mais que la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)
devait avoir des personnels de lautre côté de la frontière rwandaise, en Ouganda.
M. François Lamy a ensuite interrogé le Général Jean
Heinrich sur les informations dont il disposait concernant le commencement de
loffensive du FPR entre le 6 et le 8 avril 1994, afin de savoir si ses troupes
sétaient mises en mouvement avant ou après lattentat.
Le Général Jean Heinrich a déclaré ne pas détenir
dinformation sur ce sujet.
Evoquant les affirmations publiées par la presse sur la livraison
darmes à laéroport de Goma à destination des forces armées rwandaises
pendant que troupes françaises étaient sur place, M. François Lamy a
demandé au Général Jean Heinrich sil disposait dinformations sur de telles
livraisons après avril 1994 et tout particulièrement au moment de lopération
Turquoise.
Le Général Jean Heinrich a indiqué que si elles avaient eu lieu,
ces livraisons nentraient pas dans le domaine dinvestigation de la
DRM. Sil sagissait de livraisons darmes au Rwanda et que les forces
françaises se trouvaient à côté, la DRM considérait quelle navait pas à
faire du renseignement sur ce sujet.
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir si la DRM disposait
dinformations sur lattentat qui avait coûté la vie au Président burundais
Ndadaye et comment le Général Jean Heinrich expliquait le fait que cet attentat, dont
les conséquences ont été graves non seulement pour le Burundi mais aussi pour le
Rwanda, nait pas suscité de réactions de la part de la communauté internationale.
Le Général Jean Heinrich a observé que, même si les
renseignements sur le Burundi nétaient pas aussi précis que ceux relatifs au
Rwanda, globalement, il disposait dun bon niveau dinformation sur ce pays et a
jugé que la communauté internationale était pleinement en mesure de voir la situation.
Evoquant les propos du Général Jean Heinrich, selon lesquels les
Américains et les Allemands semblaient moins bien informés que les Français, M. Pierre
Brana sest demandé si cette situation ne tenait pas simplement au fait que les
Américains notamment nétaient pas très intéressés par le Rwanda, sans quoi ils
auraient pu obtenir des renseignements de bonne qualité.
Tout en approuvant cette analyse, le Général Jean Heinrich a
toutefois estimé quil convenait de la nuancer : le système de renseignement
des Américains était totalement axé, à lépoque, sur le renseignement dit
technique, de très haute technologie, qui ne sest pas avéré très efficace dans
le conflit du Rwanda. Il a dailleurs noté que les Américains, sétant rendus
compte ultérieurement, en Bosnie des limites du renseignement technique, avaient ensuite
essayé de modifier leur système dinvestigation.
A M. Pierre Brana qui linterrogeait sur le
renseignement belge, le Général Jean Heinrich a répondu que les Belges avaient
toujours été très réticents pour échanger quoi que ce soit avec la France ou lui
communiquer des informations sur le Rwanda et que, dans cette affaire, il ny avait
pas eu de relations avec la Belgique, en dépit des efforts français. Il a indiqué que
la DRM avait considéré que les Belges avaient eux aussi trop de difficultés à
recueillir des renseignements.
M. Michel Voisin, évoquant lhypothèse selon laquelle
le FPR aurait été encadré par des militaires étrangers autres quougandais, a
souhaité avoir des éléments dinformation sur ce point.
Le Général Jean Heinrich a indiqué quil en avait entendu
parler, mais quil nen avait jamais eu la preuve, que ce soit par des moyens de
renseignement humains ou techniques. Il a précisé que la DRM, comme la DGSE, avait
toutefois tenté de faire la lumière sur ce point. Il a estimé possible quil y ait
eu des conseillers de nationalité non ougandaise auprès du FPR, mais il a souligné
quil existait une grande différence entre les fonctions de conseil en Ouganda et de
commandement sur place.
Il a également indiqué que les membres de la DRM avaient été
surpris par lintelligence des actions conduites par le FPR en comparaison de
laspect sommaire et sans imagination de celles menées par larmée rwandaise.
M. Pierre Brana a alors demandé au Général Jean Heinrich
sil avait le sentiment que le FPR était bien équipé, y compris en matière de
renseignement.
Le Général Jean Heinrich a estimé que sans être bien équipé,
le FPR arrivait toutefois à avoir un bon niveau dinformation en procédant par
infiltration. Le Rwanda étant un petit pays, le FPR infiltrait par la brousse des
informateurs, qui contournaient à pied les positions de larmée rwandaise et
obtenaient des renseignements de qualité auprès de la population. Cétait une
manière dacquérir linformation un peu sommaire mais efficace.
M. Pierre Brana a ensuite souhaité savoir si la DRM disposait
dun service pour décrypter les émissions radios en kinyarwanda et si, dans
laffirmative, les rapports transmis par ce service avaient été communiqués à
lambassade.
Le Général Jean Heinrich a confirmé quil disposait de
personnels sur place pour décoder ces émissions radio en kinyarwanda. Il a indiqué que
la DRM communiquait ces informations à lambassade si elle estimait quelles
présentaient un intérêt immédiat pour elle. Le reste des informations faisait partie
des synthèses communiquées chaque jour au chef détat-major et de la synthèse
quotidienne pour le ministre.
M. François Lamy a alors voulu savoir si la DRM avait pour
habitude darchiver ses informations et si tous les documents quelle recevait
ou établissait étaient conservés.
Le Général Jean Heinrich a jugé que, vue la masse
dinformations, les archives avaient dû être gardées un certain temps. Sil
sest dit certain que les notes de synthèse périodiques ou suscitées par un
événement notable avaient été archivées, il nétait cependant pas sûr que tel
ait été le cas de linformation quotidienne conservée un certain temps.
M. François Lamy a demandé au Général Jean Heinrich si
lAdjudant-Chef Didot, responsable des transmissions pour la Mission militaire de
Coopération, travaillait pour la DRM.
Le Général Jean Heinrich a fait observer que par principe et par
déontologie, il ne donnerait jamais le nom dun collaborateur de la DRM. Il a
néanmoins indiqué quen loccurrence, lAdjudant-Chef Didot ne
travaillait pas pour la DRM.
M. Jacques Myard a souhaité connaître lappréciation
que la DRM portait à lépoque sur la capacité militaire du FPR et de ses chefs,
notamment sur celle du Général Paul Kagame.
Le Général Jean Heinrich a répondu que la DRM observait
effectivement de très près la tactique du FPR et sa capacité militaire proprement dite.
Il a indiqué que, globalement, celle-ci lui paraissait réduite parce que son armement
était relativement sommaire et son entraînement relativement peu élaboré. Il a
toutefois reconnu que la tactique de débordement du FPR, consistant à ne pas affronter
de face ladversaire, mais à procéder par pénétrations, par infiltrations en
dehors des axes pour bloquer ensuite les principaux points de circulation et les villes,
était intéressante et constituait une méthode élaborée et intelligente. Il a ajouté
que le FPR avait un entraînement, une formation, un armement et une discipline très
nettement supérieurs à ceux de larmée rwandaise. Considérant létat de
larmée rwandaise, complètement désorganisée, mal commandée, où les chefs
étaient souvent absents, sans idées tactiques, il était assez clair que, sans aide
extérieure, le FPR semblait, surtout avec laide indirecte ougandaise, de taille à
lenfoncer rapidement.
Par ailleurs, le Général Jean Heinrich a estimé que la DRM disposait
dune perception relativement bonne des chefs qui semblaient être capables de
commander leurs éléments et davoir une certaine conduite sur le terrain, ce que
les Rwandais et larmée rwandaise nétaient pas capables de faire. Quant à
Paul Kagame, le Général Jean Heinrich a jugé que la DGSE avait sans doute une meilleure
approche de sa personnalité que la DRM.
Le Président Paul Quilès a demandé au Général Jean Heinrich
quelle était la nature des rapports entre la DRM et la DGSE.
Le Général Jean Heinrich a répondu que, si la collaboration
entre la DRM et la DGSE était bonne, la coordination faisait malheureusement défaut. Il
a précisé que la DRM avait donné à la DGSE tous les renseignements dont elle disposait
et estimé que celle-ci en avait fait de même. Il a insisté sur le fait quà aucun
moment, la DRM navait caché quoi que ce soit à la DGSE, mais quelle avait,
au contraire, fait appel à elle lorsquelle avait des difficultés.
Evoquant les propos du Général Jean Heinrich relatifs à la
supériorité du FPR sur les FAR en matière dentraînement, déquipement et
de discipline, M. Pierre Brana a souhaité connaître lexplication
quavait alors donnée la DRM sur une différence aussi importante entre deux armées
composées sensiblement des mêmes hommes.
Le Général Jean Heinrich a estimé que la supériorité relative
du FPR, qui nétait pas une armée de haut niveau mais mieux organisée que son
adversaire, tenait avant tout à sa composition. Le FPR comptait dans ses rangs des
soldats expérimentés, qui avaient fait leurs classes et leurs preuves au sein de
larmée ougandaise, qui sy étaient déjà battus, qui y avaient été
entraînés et formés, alors que les forces rwandaises navaient pas cette
expérience.
M. Pierre Brana a demandé au Général Jean Heinrich si la
DRM, bien que limitant son action à lintérieur des frontières du Rwanda,
disposait tout de même de certaines informations sur lensemble de la région des
Grands Lacs, notamment sur le Burundi.
Le Général Jean Heinrich a indiqué que, sans avoir placé de
personnels hors des frontières rwandaises, la DRM avait étendu sa zone
dinvestigation au-delà du Rwanda, au Burundi et en Ouganda. Il a toutefois indiqué
que ces informations étaient sans doute de moins bonne qualité et portaient moins sur
lOuganda que sur le Burundi.
M. Pierre Brana a voulu savoir à ce propos quelle
appréciation la DRM portait sur larmée burundaise, tutsie.
Le Général Jean Heinrich a estimé que larmée burundaise
paraissait un peu meilleure que les FAR, mais de moindre qualité que celle du FPR.
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