RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME I
RAPPORT (suite)

PREMIÈRE PARTIE : CONSTATATIONS ET DIAGNOSTIC (SUITE)

      II.-LES DÉFAILLANCES D'UNE JUSTICE CONFRONTÉE À LA MONTÉE DES PROCÉDURES COLLECTIVES (SUITE)

C.-  UNE JUSTICE DÉFAILLANTE ET SANS CONTRÔLE 2

1.- Des juges trop proches des justiciables : « du voisinage au cousinage » 2

a) Une carte judiciaire inadaptée 2

· La rupture de l'égalité 2

· Pas de garantie de qualité 5

b) Un recrutement discutable 7

· Une élection qui n'en est pas une 7

- L'élection du collège électoral 7

- L'élection des juges consulaires 7

· Un vivier de recrutement trop étroit 10

· Une représentativité insuffisante 11

· Un manque de disponibilité 12

c) Une formation notoirement insuffisante 13

· Une priorité ... oubliée 13

· Le manque de moyens matériels 15

· Une formation facultative 15

· Les conséquences d'une formation défaillante 15

- Le problème de la motivation des décisions 15

- Le non-respect du principe du contradictoire 16

- Les dénis de justice 17

d) Des incertitudes déontologiques 19

· La déontologie dans les textes 19

- L'abstention 19

- Les huit causes de récusation 19

- Renvoi pour cause de suspicion légitime 20

· La pratique : le juge consulaire est-il un juge impartial ? 20

- Une situation contraire à la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme 20

- La prééminence du président du tribunal de commerce 23

· Les contreparties de la fonction 23

e) Un contrôle disciplinaire défaillant 25

· Le régime disciplinaire 25

· La pratique : une procédure disciplinaire contournée 25

2.- Les greffiers  des tribunaux de commerce ou les gardiens du temple 26

a) Un statut anachronique 27

b) Un rôle exorbitant 28

· Les missions légales du greffier 28

- Des fonctions judiciaires et administratives essentielles 28

- Des fonctions étendues 31

· Une pratique extensive 31

- Mainmise sur les tribunaux 31

- Des contrôles nombreux en théorie, peu exercés en pratique 33

c) Des offices ministériels et publics très rentables 35

· Le prix des charges 35

· Un tarif obsolète et inadapté 37

·  Le pactole de la télématique 39

C.-  UNE JUSTICE DÉFAILLANTE ET SANS CONTRÔLE

1.- Des juges trop proches des justiciables : « du voisinage au cousinage »

L'un des arguments des défenseurs des tribunaux de commerce est qu'ils assurent une justice de proximité. Jugés par leurs pairs exerçant sur les mêmes marchés, les commerçants bénéficient d'une proximité à la fois géographique et sociologique.

Toutefois, comme le soulignait il y a quelques semaines le président du tribunal de commerce de Nanterre, M. Jean Barale, « il ne faut (...) pas trop exagérer dans le sens de la justice de proximité, afin qu'elle ne risque pas de devenir une justice de voisinage, voire de "cousinage" ou qu'elle en donne l'apparence »(1).

a) Une carte judiciaire inadaptée

Dans les dysfonctionnements constatés par la commission, c'est le système qui est en cause, bien plus que les hommes. Comme on l'a vu ci-avant (I-C-1) la carte consulaire, fossile d'époques révolues, n'a plus d'actualité, et n'a pas d'unité, partagée qu'elle est entre des systèmes contradictoires.

Deux conséquences en découlent : la carte ne permet pas d'assurer l'égalité de traitement des justiciables ; elle n'apporte pas les garanties minimales de qualité de la justice rendue.

Les problèmes naissent à la fois du nombre des tribunaux de commerce et de leurs disparités de taille : la France compte à la fois trop de tribunaux et trop de petits tribunaux.

· La rupture de l'égalité

La commission constituée en novembre 1973 sous la présidence de M. Monguilan dressait déjà le constat suivant :

« Depuis quatre siècles, l'implantation des tribunaux de commerce s'est faite au gré de circonstances diverses et leurs circonscriptions définies à l'échelle des problèmes économiques et commerciaux de l'époque.

À l'heure actuelle, des mutations économiques profondes sont intervenues et des centres, autrefois importants, ont perdu de leur importance. Les tribunaux de commerce qui s'y trouvaient ont vu leur activité diminuer pour devenir, dans certains cas, symbolique. Au surplus, certains offices de greffes ne trouvent plus acquéreurs après la démission ou le décès de leur titulaire, en raison du faible niveau de revenu escompté.

À l'inverse, les tribunaux de commerce situés dans des villes importantes, au coeur de régions en plein essor économique, connaissent, du fait de l'existence d'autres tribunaux de commerce à proximité, une assise territoriale qui nuit à leur rayonnement. »

Lors de l'audience de rentrée solennelle du tribunal de commerce de Paris, en janvier dernier, M. Jean-Pierre Mattei s'étonnait que vingt-cinq ans plus tard, le rapport Monguilan ait pu conserver une telle actualité. Si son diagnostic garde sa fraîcheur, c'est que personne n'a eu le courage politique de tenter la mise en oeuvre du traitement préconisé.

Aujourd'hui encore, comme le déclarait M. Philippe Lemaire devant la commission :

« On constate une diversité de juridictions commerciales que seule peut expliquer l'histoire, mais qui est rigoureusement incompréhensible pour nos concitoyens. Ainsi, vous êtes jugé par des formations différentes à quelques kilomètres de distance. Par exemple, Béthune, le plus gros TGI statuant commercialement, est distant d'à peine quarante kilomètres de Lille, qui est l'un des plus importants tribunaux de commerce de France. De la même façon, pourquoi à la Réunion y a-t-il un tribunal statuant commercialement à Saint-Pierre, alors que de l'autre côté de l'île, à Saint-Denis-de-la-Réunion, c'est un tribunal mixte de commerce, avec une chambre échevinée, qui est compétent ? Certains départements possèdent de très nombreuses et trop petites juridictions, notamment dans l'ouest de la France, alors que des régions entières n'ont aucun tribunal de commerce. »

- La première atteinte à l'égalité réside dans la coexistence, sans critère rationnel, de juridictions ne comprenant que des commerçants, avec d'autres composées de magistrats professionnels ou associant les deux catégories. À tort ou à raison, le demandeur peut craindre, soit la partialité des commerçants du cru, soit une vision par trop juridique s'il s'agit de magistrats professionnels.

- L'égalité est également menacée du fait des disparités de modes d'organisation entre tribunaux de commerce en fonction de leur taille. Celle-ci conditionne la fréquence des audiences mensuelles, le nombre et la spécialisation des chambres, l'accessibilité des juges.

La contribution du CNPF à la réflexion sur l'avenir de la justice consulaire d'octobre 1997 rappelle que 24 tribunaux, soit 10,5 % au total, ont 25 juges ou plus en application du décret n°91-692 du 18 juillet 1991, et rendent :

- 58 % des jugements contentieux ;

- 49 % des jugements de procédures collectives ;

- 63 % des référés ;

- 47 % des injonctions de payer.

Entre grandes, moyennes et petites juridictions, chaque échelle a ses défauts.

Dans les plus grands ressorts, les cadres dirigeants de grandes sociétés tendent à prédominer. De plus, comme le note M. Bernard Soinne, « les très grandes juridictions souffrent d'une déshumanisation de la justice. Les critiques à l'égard de ces juridictions ont conduit à l'éclatement de l'ancien tribunal de commerce de la Seine. En devenant énorme, la machine judiciaire devient impersonnelle; la bureaucratisation conduit à la déshumanisation. Il est quasiment impossible ou en tout cas difficile d'accéder au juge. Rencontrer le juge-commissaire auprès du tribunal de grande instance de Paris est une véritable gageure. L'auteur de ces lignes en a fait récemment personnellement l'expérience. Certes, l'information est parfaitement organisée ou orchestrée, mais il demeure à tout le moins un sentiment d'indifférence à l'égard d'une difficulté particulière qui, il est vrai, dans un ensemble aussi vaste, est insignifiante.(2) » En outre, le nombre des affaires traitées, leur complexité et l'importance des enjeux financiers compliquent singulièrement les contrôles, alors même qu'ils sont plus cruciaux.

Les tribunaux de taille moyenne paraissent plus équilibrés. Il ne leur est cependant pas toujours facile de disposer d'une composition réellement représentative : même si des juges issus des différents secteurs siègent, les entrepreneurs individuels et les cadres tendent à être sur-représentés, comme le Rapporteur a eu l'occasion de le constater lors de ses déplacements.

Ce sont les plus petits tribunaux de commerce qui présentent les principaux problèmes d'organisation de la justice consulaire. M. Bernard Soinne, dans l'article précité, considère même que « quelques juridictions consulaires n'ont actuellement qu'une existence de simple façade. » Cet aspect est à l'évidence le plus frappant et les différents observateurs ont multiplié les éclairages sur la partie basse du spectre d'activité.

Ainsi, M. Jean-Paul Jean a déclaré à la commission : « Les écarts sont de 1 à 226 entre la moins et la plus importante des juridictions consulaires, mais il faut surtout raisonner par écart des déciles extrêmes ; entre les dix plus importantes et les dix plus faibles, il est de 1 à 200. »

Le rapport Carrez avait dénombré, en février 1994, 71 tribunaux de commerce traitant à la fois moins de 200 affaires nouvelles de contentieux général et moins de 100 procédures collectives par an. Or rappelait-il, « à l'occasion de l'élaboration de la circulaire du 27 avril 1988 relative à la détermination des effectifs des tribunaux de commerce, la Chancellerie et la Conférence générale des tribunaux de commerce s'étaient accordées pour considérer que le niveau minimum permettant d'assurer un bon fonctionnement des juridictions consulaires, se situait autour de 500 affaires par an (10 affaires par juge et par mois pendant 10 mois par an pour un tribunal de 5 juges). »

Plus récemment M. Bernard Soinne(3), après avoir considéré qu'une trentaine de juridictions pouvaient être qualifiées de « très petites », a illustré son propos en indiquant pour la vingtaine des plus modestes en 1995 : le nombre de jugements d'ouverture de procédure, celui des injonctions de payer et celui des immatriculations et mouvements au registre du commerce et des sociétés (« chronos »). Cette énumération est éclairante.

Tribunal de commerce

Ouvertures de procédure

Injonctions de payer

« Chronos »

Auxonne

27

127

390

Bernay

30

189

797

Billom

16

58

350

Blaye

27

105

517

Brioude

15

82

645

Châtillon-sur-Seine

15

64

314

Clamecy

23

80

704

Condé-sur-Noireau

12

47

288

Die

37

131

589

Espailion

14

58

425

Flers

31

162

1423

Gray

24

166

678

Langres

18

102

538

Lodève

12

45

289

Louhans

29

140

743

Nuits-Saint-Georges

18

65

303

Paimpol

16

99

491

Saint-Affrique

6

27

511

Vimoutiers

9

87

398

Dans les petites juridictions, les audiences sont peu fréquentes, de l'ordre d'une par mois, et le problème de la viabilité économique de la charge de greffier se pose. D'ores et déjà plusieurs greffes se sont réunis, faute d'activité suffisante, pour cumuler les charges de deux ou trois tribunaux. Or, comme le souligne le rapport du CNPF : « Il est indispensable qu'un tribunal ait un nombre suffisant d'affaires et de juges et dispose d'un greffe équipé. »

- On observera enfin d'un mot que l'égalité n'est pas assurée en termes de proximité géographique. Un seul exemple suffit : deux tribunaux fonctionnent dans le Rhône, contre neuf en Seine-Maritime. Rien n'indique que cette pléthore soit ressentie comme un atout par les commerçants et les juges normands. Toujours est-il que, dans le cadre de la consultation nationale sur la carte judiciaire engagée en janvier 1997, les chefs de cour ont proposé la suppression de sept tribunaux sur neuf, au profit de ceux du Havre et de Rouen.

· Pas de garantie de qualité

Dans les plus petites juridictions, M. Philippe Lemaire pose crûment le problème du seuil de compétence : « On constate également que l'émiettement des tribunaux de commerce induit une charge trop faible d'affaires par juge pour que les décisions soient partout et toujours de bonne qualité. Je me permettrai de citer Robert Badinter qui, lors des débats parlementaires sur la loi du 25 janvier 1985, reprenant les propos de Jean Foyer, estimait que : " Une juridiction commerciale ne peut être bonne que dans la mesure où elle a des affaires suffisamment nombreuses à juger... De la même façon que l'on est grand chirurgien lorsqu'on opère souvent, il est rare que l'on puisse prétendre être un magistrat compétent lorsqu'on se prononce très rarement" ».

M. Jean Foyer indiquait également en 1970 : « L'observation m'a révélé (...) qu'il n'était pas raisonnable de conserver les juridictions consulaires dans des ressorts qui sont peuplés, non point de 4 000 commerçants, mais de 4 000 habitants, commerçants et non commerçants.(4) »

Allant plus loin encore, les chefs d'une cour d'appel cités dans le rapport de synthèse de la consultation nationale sur la carte judiciaire estimaient « qu'il existe une disparité trop importante entre la taille et les moyens de ces différents juridictions qui entraîne des différences inacceptables dans la qualité des décisions rendues par des magistrats élus, insuffisamment formés. »

Le problème de la compétence comporte trois facettes :

- dans un ressort trop étroit, le vivier des chefs d'entreprises aptes et volontaires est insuffisant ;

- « seule la multiplicité des affaires peut permettre d'acquérir expérience et compétence »(5) ;

- la formation permanente des juges est plus difficile dans un cénacle très restreint et les stages du centre de Tours n'ont pas une durée suffisante pour y suppléer entièrement.

Le problème déontologique de l'impartialité des juges est nécessairement posé dès lors que le ressort de la juridiction constitue un microcosme. Les déplacements de la commission en province ont montré que la menace est aussi réelle dans les ressorts de taille moyenne. Il n'existe certes pas de délit d'amitié, comme l'a fait valoir un juge consulaire de Toulon, mais lorsque les litiges commerciaux paraissent tranchés entre amis, des soupçons pèsent légitimement sur l'impartialité de la justice.

Le président du tribunal de commerce de Toulon considérait que l'amitié avec mandataires ou justiciables se heurtait au rempart protecteur de la déontologie des juges :

« Pour revenir sur le problème des mandataires, nous entretenons des relations courtoises avec eux. Parfois certains ont des relations d'amitié avec les mandataires. Mais je pense que le délit d'amitié n'existe pas. Nous avons une assez haute idée de notre fonction pour savoir que, quand on doit prendre une décision, il n'y a plus d'amis. Il y a le juge qui rend sa décision. Si un juge n'est pas capable d'assumer cela, il vaut mieux qu'il ne vienne pas au tribunal de commerce. Mais on ne peut pas nous empêcher d'avoir des amis.

Au parquet, les magistrats tournent. Au bout d'un certain temps, ils vont ailleurs. C'est vrai que nous sommes dans un milieu socioprofessionnel où on se connaît tous. Mais il n'empêche que, derrière ces amitiés, ces relations, quand nous rendons nos décisions, nous faisons fi de nos relations... Nous sommes des juges à part entière. »

Son prédécesseur, M. Jean Abran, a cependant décrit des relations personnelles très proches, qui méritent d'autant plus de retenir l'attention que ce tribunal de commerce se situe dans un vaste ressort : « Il y a 180 000 personnes à Toulon. On se connaît tous. On se connaissait avant. Certains, même, étaient sur les mêmes bancs d'école. Chacun ensuite est allé de son côté, a pris sa direction. Les mandataires ont été mandataires. L'immobilier, le comptable, chacun a pris sa direction. Après, tout le monde se connaissait. »

Ces propos sont évocateurs. Même si les juges consulaires sont conscients des devoirs de leur charge, de tels réseaux d'amitiés ne peuvent que faire naître le doute. Et ce doute est suffisant pour peser sur la crédibilité de l'institution.

Enfin, la dispersion des juridictions consulaires place, dans certains ressorts, le parquet dans l'impossibilité matérielle d'assurer convenablement ses missions de contrôle. En réponse au questionnaire de la commission, plusieurs présidents de petits tribunaux de commerce ont indiqué que la présence du parquet n'était effective qu'exceptionnellement, pour les affaires les plus importantes.

b) Un recrutement discutable

· Une élection qui n'en est pas une

Les juges consulaires sont désignés par une élection à deux degrés.

- L'élection du collège électoral

Ce mode de scrutin date du décret n° 61-923 du 3 août 1961. On a souhaité, par ce mode de scrutin, d'une part, accroître la participation aux élections désignant les juges consulaires, et donc la légitimité de ces magistrats, d'autre part éviter les changements brusques de composition du tribunal de commerce.

Tous les trois ans, les délégués consulaires sont élus en même temps que la moitié des membres des chambres de commerce et d'industrie (élus pour 6 ans), par le collège électoral prévu à l'article 6 de la loi n° 87-550 du 16 juillet 1987 auquel on ajoute les cadres employés par ces électeurs dans la circonscription de la CCI et exerçant des fonctions de direction. Les conditions d'éligibilité aux fonctions de délégué consulaire sont les mêmes que les conditions d'électorat, sauf interdiction pour un délégué consulaire d'être en même temps membre d'une CCI.

- L'élection des juges consulaires

Cette différence de collège électoral trouve son origine dans le souhait de la Chancellerie d'associer les cadres, du moins ceux exerçant des fonctions de direction, au fonctionnement des tribunaux de commerce alors que cette motivation n'était pas partagée en ce qui concerne les CCI.

Tous les ans, dans la première quinzaine du mois d'octobre, les délégués consulaires ainsi que les membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce et des chambres de commerce et d'industrie élisent les juges consulaires destinés à remplacer ceux dont le mandat est arrivé à expiration.

L'article L. 413-3 du code de l'organisation judiciaire relatif à l'éligibilité renvoie à l'article 7 de la loi de 1987 en ce qui concerne la détermination des personnes éligibles et ajoute des conditions supplémentaires tenant :

au rattachement territorial : les candidats doivent être inscrits sur la liste électorale prévue à l'article 7 dans le ressort du tribunal de commerce ou dans le ressort des tribunaux de commerce limitrophes ;

* à l'âge (30 ans) et à l'ancienneté de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou dans l'exercice des fonctions.

Peuvent dont être élus juges de tribunal de commerce, sous réserve de répondre aux conditions supplémentaires ci-dessus :

_ les commerçants inscrits personnellement au RCS ;

_ les chefs d'entreprises artisanales dès lors qu'ils sont inscrits au RCS.

_ les cadres des sociétés commerciales, mandataires sociaux ou non mandataires sociaux, à condition qu'ils exercent des fonctions impliquant des responsabilités de direction commerciale, technique ou administrative dans l'entreprise ou l'un de ses établissements.

La qualité de commerçant a donné lieu à une jurisprudence complexe autour de l'article premier du code de commerce. On peut relever qu'un pharmacien par exemple est commerçant s'il tient une officine (Cour de cassation. 13 mars 1962) et pourra à ce titre être élu juge consulaire mais qu'un architecte (Cour de cassation, chambre civile 12 décembre 1897) ou un vétérinaire (cour d'appel de Caen, 6 mai 1901) ne sont pas commerçants.

Les candidats à la magistrature consulaire doivent enfin remplir des conditions de nationalité, de capacité, ne pas avoir été condamnés à l'une des peines, déchéances ou sanctions prévues par les articles 192 et 194 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, ne pas faire l'objet d'une procédure collective ni être cadres dans une entreprise faisant l'objet d'une telle procédure.

Les contestations électorales de toute nature sont de la compétence du tribunal d'instance.

Le président du tribunal de commerce est élu pour 4 ans par l'ensemble des juges. Il doit avoir exercé des fonctions dans un tribunal de commerce depuis au mois 6 ans (article L. 412-11 du code de l'organisation judiciaire). Au bout de 14 années de fonctions judiciaires ininterrompues dans un même tribunal de commerce, le juges consulaires ne sont plus éligibles dans ce tribunal pendant un an.

Les juges consulaires tirent leur légitimité de leur compétence technique et de leur élection. Ce caractère de juges citoyens explique en partie que le tribunal de commerce soit la seule juridiction ayant survécu à la Révolution française. En effet, à l'époque, il s'agissait de déprofessionnaliser la fonction de juge. Aujourd'hui encore, l'élection des juges consulaires a sans aucune doute une valeur symbolique très forte. La réponse ministérielle n° 19187 du 13 février 1997 du garde des sceaux légitime cette élection qui « permet à des professionnels du monde économique d'être investis de la confiance de leurs pairs pour le règlement des litiges commerciaux ».

Mais dans la pratique qu'en est il exactement ? Le principe de l'élection a-t-il conservé toute sa force  et permet-il aux tribunaux de commerce d'être plus efficace ?

En réalité, le recrutement des juges consulaires pose trois problèmes. L'élection est devenue un système de cooptation, le vivier de recrutement s'avère trop étroit et la représentativité insuffisante.

La procédure de sélection des candidats n'est pas uniforme sur l'ensemble du territoire. Elle dépend de la taille de la juridiction, de la force des organisations patronales ou de la chambre de commerce, de la personnalité du président du tribunal de commerce.

Au tribunal de commerce d'Auxerre, c'est le président en fonction depuis trente-cinq ans qui recrute avec, pour unique souci, l'équilibre entre les différentes familles professionnelles.

M. Jacques Cazals, procureur de la République d'Auxerre, explique cette « élection » très originale : « Il convient de noter que le président est en fonction depuis trente-cinq ans. Il vous a certainement fait part de sa fierté d'être ainsi le plus ancien président du tribunal de commerce de France. Cela ressemble à un club. Il faut passer par le président Brochot pour entrer dans le club. Il a d'ailleurs dû vous dire qu'il considérait tous les juges consulaires comme ses amis. »

LA COOPTATION REMPLACE L'ÉLECTION

Le dialogue que votre Rapporteur a eu avec M. Gérard Le Bourhis, président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc, est à ce titre révélateur :

« M. le Rapporteur : Ce qui compte pour nous, c'est la façon dont on trouve les candidats. Les choisissez-vous ?

M. Gérard LE BOURHIS : C'est une sorte de cooptation.

M. le Rapporteur : C'est une fausse élection en quelque sorte ?

M. Gérard LE BOURHIS : Ne dites pas cela.

M. le Rapporteur : C'est plutôt un choix ratifié.

M. Pierre DANCHAUD : On peut plutôt dire cela.

M. Gérard LE BOURHIS : C'est un choix ratifié. Ceci étant, tout le monde peut poser sa candidature. »

Le président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc a indiqué tenir compte de plusieurs critères lors du recrutement : le secteur d'activité est là encore le premier critère de façon à « avoir un panel représentatif des professions » ; viennent ensuite la réussite professionnelle du chef d'entreprise, sa formation juridique, l'implantation géographique, l'équilibre entre les actifs et les retraités.

Dans les questionnaires envoyés aux tribunaux de commerce concernant le recrutement, il apparaît de façon évidente que l'élection est devenue un système de cooptation plus ou moins sophistiqué suivant les tribunaux. Ici, seules sont prises en compte les vocations suscitées par les juges consulaires en place, là les candidats sont présentés par les organisations patronales et/ou la chambre de commerce. La préoccupation première est l'équilibre entre les différents secteurs économiques ; par exemple, dans le Nord de la France, de très anciens accords tenus secrets prévoient une proportion prédéfinie d'industriels du textile, de la métallurgie, de banquiers au mépris du principe de l'élection.

D'autres critères de sélection sont parfois pris en compte : la probité, l'expérience professionnelle, la disponibilité, la formation juridique.

Le système qui prévaut au tribunal de commerce de Paris et dans ceux de la petite couronne est différent. Le Comité intersyndical des élections consulaires (CIEC), préside à la sélection des candidats. Cette structure représente 300 syndicats patronaux de la région parisienne. L'ensemble des branches professionnelles fait donc appel à candidature. Sept à huit cents candidats se manifestent chaque année dans le ressort de la cour d'appel de Paris. Une première sélection est faite sur dossier avec enquête de moralité. Suivent alors deux épreuves, un concours technique (connaissances juridiques, comptables) et enfin une sorte de grand oral devant l'ensemble des délégués consulaires réunis en forum. Dans d'autres régions enfin, des organisations patronales interprofessionnelles ont mis en place des dispositifs de sélection originaux. Par exemple, l'Union patronale des Alpes-Maritimes a-t-elle mis en place un dispositif destiné à permettre la présentation des meilleurs candidats aux élections de leur département.

Le programme de ces sessions, ouvertes aux cantidats postulants et éventuellement aux auditeurs intéressés, est établi par un comité de pilotage constitué des présidents en exercice des tribunaux de commerce du département, des présidents de l'Union patronale et de la CCI.

L'objectif est de sensibiliser les candidats potentiels à la fonction, de les tester pendant environ six mois dans une sorte de stage d'observation comportant : quatre séances d'information, une séance consacrée à une simulation d'audience dans la salle même du tribunal, enfin une épreuve écrite afin de tester les connaissances acquises.

Ce programme permet ensuite de choisir, selon un certain nombre de critères (compétence, disponibilité, sens des responsabilités, honnêteté morale et intellectuelle), ceux qui répondent le mieux aux exigences de la fonction. C'est le président du tribunal de commerce qui reçoit, en présence du président de l'Union patronale, les candidats éligibles et décide des candidatures définitives.

L'Union patronale des Bouches-du-Rhône a également mis en place, depuis de nombreuses années, un processus de sélection de même nature.

L'élection n'est donc que théorique, même à Paris, dans la mesure où le CIEC en se chargeant de la sélection des candidats est là pour arbitrer les éventuels différends entre unions patronales. En effet, ce qui frappe est le rôle essentiel joué par celles-ci dans la constitution des listes. Dans les réponses au questionnaire envoyé par la commission d'enquête, certains tribunaux se plaignent que des candidats qui n'ont pas fait l'objet d'une sélection par l'organisation patronale locale n'aient pratiquement aucune chance d'être élus.

Le déni du président de tribunal de commerce de Paris, Jean-Pierre Mattei, est infondé  : « Il n'y a pas à Paris de cooptation au sens strict du terme, mais cela peut être le cas dans les petits tribunaux de province ». La différence entre Paris et la province est le degré de sophistication du système et non sa nature.

En réalité, la cooptation est d'autant plus importante que le nombre de candidats est faible. Or, les tribunaux de commerce souffrent d'abord d'un bassin de recrutement trop étroit.

· Un vivier de recrutement trop étroit

Sur ce point, tous les intervenants au débat sur les tribunaux de commerce sont d'accord. Mme Élisabeth Guigou, garde des sceaux, l'a déclaré dans son discours pour le centenaire de la Conférence générale des tribunaux de commerce, le 24 octobre 1997 : « Chaque année, les élections aux tribunaux de commerce sont plus difficiles à organiser faute de candidatures suffisantes dans le ressort ». La chambre de commerce et d'industrie de Paris fait le même constat dans le rapport Courtière de mai 1997 concernant la réforme des tribunaux de commerce : « Les candidats à la magistrature consulaire doivent être assez nombreux  : il est en effet utile que les commerçants puissent choisir parmi un nombre suffisant d'éligibles ceux qui apparaissent les plus aptes, de par leur formation et leur expérience, à rendre des décisions justes et éclairées (...). Ce problème s'avère crucial à chaque renouvellement des effectifs. Dans certains tribunaux, des juges resteraient bien au-delà de la durée fixée par les textes ».

Le témoignage de M. Jacques Cazals, procureur de la République d'Auxerre, est éloquent : « Il est très difficile, du moins à Auxerre, de recruter des magistrats consulaires. La fonction n'intéresse pas (...). Il est certain, par conséquent, que les candidats présentés ne sont élus que parce qu'il n'y a qu'eux. »

L'insuffisance du nombre de candidats est liée à la carte judiciaire, c'est-à-dire à l'étroitesse même du ressort du tribunal de commerce. Dans le département de la Seine-Maritime, il existe, rappelons-le, neuf tribunaux de commerce ; on comprend alors le très faible nombre de candidats pour chaque juridiction consulaire.... M. Henri-Jacques Nougein, dans son rapport présenté aux assises nationales des tribunaux de commerce, le 24 octobre 1997, déclare : « C'est vrai qu'il n'est pas toujours aisé de trouver ces femmes et ces hommes qui doivent être probes, disponibles, compétents, désintéressés, alors que leur activité professionnelle, leur vie familiale, l'environnement social les absorbent chaque jour davantage (...). Disons nettement que la possibilité de choix devrait être la règle. Elle dépend de la dimension du vivier dans lequel on tentera de pêcher les meilleurs. »

Le vivier est étroit sur le plan géographique mais aussi sur le plan sociologique.

En effet, nombreux sont ceux qui regrettent que les artisans ne soient ni électeurs, ni éligibles alors qu'en matière de procédures collectives, les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître des défaillances de l'entreprise artisanale. Les réponses aux questionnaires vont dans le même sens, à savoir la participation des membres des chambres des métiers à la justice consulaire . Le rapport Nougein va plus loin en s'interrogeant sur l'élargissement de l'éligibilité aux agriculteurs.

À cette étroitesse du vivier s'ajoute l'absence d'information sur les élections consulaires et sur la fonction même de juge consulaire. La juridiction consulaire est mal connue et les candidats peu sensibilisés à la fonction. Le taux de participation à l'élection des délégués consulaires, de l'ordre de 20 %, est tout à fait révélateur. Les candidats se présentent le plus souvent à l'invitation de connaissances personnelles au sein du tribunal de commerce.

Ce système de cooptation, dû principalement à la taille réduite du bassin d'élection et à un défaut d'information, limite la représentativité des juges consulaires par rapport à leur électorat.

· Une représentativité insuffisante

Une enquête réalisée en février 1997 dans 196 tribunaux de commerce sur 227 par la Conférence générale des tribunaux de commerce, à la demande de la Chancellerie, montre les limites de la représentativité des juges consulaires.

Deux constats s'imposent :

· Le premier porte sur la diminution du nombre de commerçants individuels et de patrons de PME au profit des cadres en général et des cadres de grandes entreprises en particulier.

La répartition socio-professionnelle est la suivante :

_ 61,5 % de mandataires sociaux (dirigeants de sociétés) ;

_ 23,6 % de cadres non mandataires ;

_ 14,8 % de commerçants en nom.

Dans les grands tribunaux, les cadres non mandataires sont sur-représentés : ainsi, à Paris, les deux tiers des juges consulaires sont des cadres, un tiers sont des commerçants en activité et un tiers des chefs d'entreprises. La situation est très différente dans les petits tribunaux : à Auxerre, 6 juges sur 9 sont mandataires sociaux, 2 juges sont commerçants en nom, 1 juge est cadre non mandataire. À Saint-Brieuc, 85 % des juges sont des mandataires sociaux, seulement 10 % sont des cadres non mandataires, 5 % sont des commerçants.

Cette évolution doit être analysée au regard même de ce qui fait la justification des tribunaux de commerce. La représentativité n'est plus assurée pour trois raisons : l'accroissement du nombre de cadres se fait au détriment des commerçants individuels qui ne sont pas incités à se porter candidats en raison de la disponibilité demandée par la fonction ; les mandataires sociaux sont de plus en plus des dirigeants de grandes entreprises et les patrons de PME se font toujours plus rares.

Cette évolution a été permise par la loi du 16 juillet 1987 relative aux juridictions commerciales et au mode d'élection des délégués consulaires et des membres des chambres de commerce et d'industrie ; l'article 6 énumère les fonctions pouvant être exercées pour être éligibles : PDG, administrateur, directeur général, président ou membre du directoire, gérant, président ou membre du conseil d'administration...

La chambre de commerce et d'industrie de Paris regrette une telle évolution, M. Lucien Jibert, président de la commission juridique de celle-ci déclare devant la commission d'enquête : « Les tribunaux de commerce doivent compter davantage de patrons de PME. On remarque à cet égard une dérive du système. Au tribunal de commerce, aujourd'hui, sont représentées bien plus qu'auparavant de grandes entreprises qui sont soit des entreprises d'affacturage, soit des banques, soit des compagnies d'assurances, qui paient des cadres pour exercer la fonction de juge consulaire. En effet, un magistrat consulaire consacre beaucoup de temps au tribunal, souvent au détriment de sa propre entreprise. » Cette évolution est préoccupante au regard de l'indépendance qui doit s'attacher à la fonction de juge consulaire. Nous y reviendrons.

· Le second constat porte sur la sous-représentation des femmes. Celles-ci représentent 9,2 % des effectifs. Lors des élections d'octobre 1997, 372 juges ont été élus, dont 35 femmes, soit 9,38 %.

M. Henri-Jacques Nougein, président du tribunal de commerce de Lyon, le souligne dans son rapport à la Conférence générale : « D'expérience, nous n'avons pas le sentiment que le milieu consulaire soit plus mysogine que d'autres (ce qui n'est pas, en soi, une référence !), mais nous constatons que les charges de la fonction la rendent encore plus difficilement accessible aux femmes. On ne peut que le regretter car, sans opportunisme flatteur, nous perdons certainement un apport nécessaire ».

Là encore, il est fait référence à la disponibilité nécessaire pour exercer pleinement les fonctions de juge consulaire. Le manque de disponibilité est pourtant une des critiques majeures faites aux juges consulaires.

· Un manque de disponibilité

Les juges consulaires sont des juges bénévoles exerçant une activité professionnelle extérieure au tribunal. Beaucoup voient dans le manque de disponibilité des juges consulaires une des causes des dysfonctionnements actuels des tribunaux de commerce. Selon les réponses aux questionnaires, le temps consacré au tribunal par les juges fluctue entre 8 et 20 heures par semaine. La durée de travail varie suivant la fonction. Le président et le juge-commissaire consacrent à leurs fonctions deux jours au moins par semaine (étude des dossiers, rédaction des décisions, présence au tribunal). Là encore, les disparités sont très grandes suivant les tribunaux : à Bobigny, les juges travaillent en moyenne 25 heures par semaine, à Angoulême, 3 heures. À Paris, M. Jean-Pierre Mattei déclare consacrer 80 % de son temps au tribunal de commerce et 20 % à son entreprise...

Comment font des chefs d'entreprises qui veulent s'investir en tant que juges au tribunal de commerce dès lors que, ce faisant, ils risquent de mettre en péril leur activité professionnelle ?

Ce problème crucial de la disponibilité explique en partie la sociologie un peu inattendue des juridictions soulignée plus haut. En effet, l'époque où le magistrat était un notable semble révolue ; aujourd'hui le juge consulaire doit assumer la responsabilité judiciaire sur une très large partie de son temps. Aussi, les tribunaux de commerce comptent-ils toujours plus de personnes disponibles à temps plein : des salariés mais aussi des retraités. L'âge moyen est de 61 ans à Paris où 50 % des juges sont des retraités. C'est ce problème de disponibilité qui a conduit le tribunal de commerce de Paris à repousser la limite d'âge. En province, la situation est identique.

Outre les effets négatifs sur la représentativité et l'âge moyen, le problème de disponibilité fausse les relations des juges avec les auxiliaires de justice, les greffiers et les mandataires de justice qui sont les permanents des tribunaux de commerce.

Les greffiers qui ne devraient que seconder les juges ont parfois un rôle exorbitant et souvent la qualité d'un tribunal de commerce dépend avant tout de la qualité des greffiers (cf. ci-après C-2-b).

Plus grave est l'emprise que peuvent avoir les mandataires de justice sur les juges. Le témoignage de M. Jean-Luc Vallens qui a été magistrat dans une chambre commerciale en Alsace-Moselle pendant dix ans est à ce titre très instructif : « Dans les textes, ce sont les mandataires qui dépendent des tribunaux. Dans la pratique, les rapports sont parfois inversés parce que les juges ne sont pas disponibles, parce qu'ils ont leur travail, parce qu'ils viennent le soir ou en fin de semaine signer les ordonnances, parce qu'ils prennent connaissance des dossiers la veille de l'audience, parce que parfois, dépassés par leurs propres activités professionnelles, ils sont bien contents d'avoir des mandataires qui leur préparent leurs ordonnances et les dossiers ».

M. Pierre Lyon-Caen, ancien procureur de Nanterre, fait le même constat. Une administrateur judiciaire n'était jamais désignée par le tribunal de commerce de Nanterre car elle faisait l'objet d'une mise à l'index... par les autres administrateurs ; le président du tribunal n'avait rien à lui reprocher, M. Lyon-Caen explique : « Cette affaire me paraît révélatrice d'une réalité, aujourd'hui évidente pour moi : celle d'une espèce d'inversion de situation, en ce sens que les mandataires sont en réalité les mandants et les mandants en réalité les mandataires. Il n'y a pas de subordination du mandataire à l'égard du mandant ! »

Les juges, faute de temps, s'en remettent aux experts que sont les mandataires de justice, oubliant parfois leur mission juridictionnelle. À cet égard, il suffit de rappeler l'une des plus curieuses découvertes faites par votre Rapporteur lors de sa visite au tribunal de commerce de Saint-Brieuc : le jugement ordonnant la cession d'une entreprise, tapé sur une machine à écrire dans l'étude du mandataire-liquidateur et faxé au tribunal deux jours avant l'annonce de la décision ... (cf. ci-après C-1).

Pour éviter un tel abandon par les juges de leurs pouvoirs au profit des auxiliaires de justice, il existe plusieurs remèdes sur lesquels nous reviendrons, l'un d'entre eux est une formation exigeante. Or, celle-ci est à de nombreux égards défaillante.

c) Une formation notoirement insuffisante

Tous les intervenants au débat sur les tribunaux de commerce ont fait le constat de l'insuffisance de la formation qu'il s'agisse de la Conférence générale, du garde des sceaux, ou du CNPF.

· Une priorité ... oubliée

Selon M. Pierre Bézard, les connaissances juridiques des juges sont insuffisantes face au développement toujours plus complexe du droit économique : « Le droit des procédures collectives est sans doute trop complexe. La chambre commerciale compte cinq ou six spécialistes du droit des procédures qui ne font que cela. Devant ce monde d'une technicité extraordinaire, il faut vraiment des spécialistes qui se tiennent en permanence ouverts à l'évolution (...).

Il paraît difficile d'admettre, au contentieux, des juges sans connaissances juridiques a priori. »

Or, c'est ce qui se produit puisque la formation des juges consulaires est essentiellement une formation « sur le tas ». Les juges débutants sont formés par les « anciens » puis ils sont amenés à prendre en charge des dossiers simples, à donner leur avis, à proposer des jugements ; enfin, ils sont progressivement appelés à connaître des dossiers de plus en plus complexes.

Or, le contentieux commercial nécessite plus qu'une connaissance des usages du monde économique, il requiert une connaissance juridique pointue. Les chefs d'entreprises qui embauchent actuellement des juristes de très haut niveau seraient mal placés pour accepter que les juges n'aient que la seule connaissance des usages.

Pourtant, une formation initiale et continue n'a été mise en place de manière officielle qu'en 1989 !

À l'initiative de M. Jacques Bon, alors président du tribunal de commerce de Paris, a été créé un centre de formation à Tours, le Centre d'études et de formation des juridictions commerciales (CEFJC), fonctionnant sous le régime associatif. Le centre organise des cycles de conférences ou des séminaires de quelques jours au cours desquels des juges bénévoles (essentiellement parisiens) dispensent une formation à des juges consulaires récemment élus mais aussi à des juges confirmés.

Parallèlement, certaines cours d'appel ont pris l'initiative, dans le cadre de la formation déconcentrée des magistrats, d'organiser des séminaires ou des cycles de conférences régionaux, au bénéfice des juges consulaires du ressort, généralement animés par les magistrats de la chambre commerciale. De même, certains tribunaux de commerce, tel celui de Marseille, ont entrepris de mettre en place des formations locales. Enfin, les conférences régionales des tribunaux de commerce organisent des sessions de formation.

Ainsi, Saint-Brieuc a accueilli des sessions des formation organisées par la Conférence générale des tribunaux de commerce en février 1998. Ces sessions régionales occupent une ou deux journées par an.

L'ENSEIGNEMENT RÉGIONAL ORGANISÉ PAR LA CONFÉRENCE GÉNÉRALE

M. Pierre DANCHAUD, vice-président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc : La Conférence générale des tribunaux de commerce organise des sessions de formation dans chaque région. Et en février dernier, Saint-Brieuc a été chargé d'en organiser une. L'instructeur venait d'Angers.

M. le Rapporteur : Mais qui sont les professeurs dans les conférences régionales ?

M. Pierre DANCHAUD : Des anciens juges, des professeurs de droit qui viennent nous donner des cours. Il y a eu ici une formation à l'annexe de la faculté de droit de Rennes.

M. le Rapporteur : Une session en conférence régionale dure combien de temps ?

M. Pierre DANCHAUD : Elle dure en général une journée...

M. Gérard LE BOURHIS : ... une journée par an ou deux fois par an. Il y a également des formations par thème : une formation pour les nouveaux juges, pour les juges-commissaires...

M. Pierre  DANCHAUD : Le but de la formation de Saint-Brieuc était la rédaction des jugements.

Il me semble que des gens qui commencent à 8 heures 30 le matin, qui ont fait 150 kilomètres en voiture pour venir travailler un samedi sont motivés. Ils viennent là parce que cela les intéresse vraiment.

L'insuffisance de formation est particulièrement grave pour le juge-commissaire qui est un personnage clef de la procédure collective (cf. annexe 2) et dispose à ce titre de pouvoirs extrêmement importants. Il a en effet une mission juridictionnelle mais aussi une fonction de surveillance des mandataires de justice (il signe notamment les ordonnances de taxes, c'est-à-dire les notes d'honoraires des mandataires).

L'on constate que les juges-commissaires, même si cette fonction ne peut être confiée qu'à des juges ayant exercé pendant deux ans au moins des fonctions judiciaires (article 412-4 du code de l'organisation judiciaire), ne sont pas assez formés et ne peuvent jouer le rôle de contrepoids aux mandataires de justice.

· Le manque de moyens matériels

Le centre de Tours n'a bénéficié d'aucun financement de l'État jusqu'en octobre 1997. Le garde des sceaux s'est alors engagé à lui accorder une subvention d'un million de francs.

Le coût de formation des stagiaires s'est élevé à 908.500 francs en 1997.

Avant octobre 1997, le fonctionnement du centre était assuré par les subventions du conseil régional du Centre ; à partir de 1994, le centre a utilisé la possibilité pour les entreprises d'imputer les frais d'hébergement sur la participation à la formation permanente. Mais la Cour des comptes a considéré que le budget du ministère de la justice devait se substituer à ces subventions.

Le montant des crédits annoncés, un million de francs, est tout à fait insuffisant pour former plus de 3 000 magistrats. Par comparaison, le budget de fonctionnement (hors traitements versés aux magistrats-élèves) de l'ENM pour 1998 s'élève à 157 millions de francs (123 millions sont consacrés aux dépenses de personnel), l'ENM faisant de la formation initiale et permanente. Ainsi, même si le nombre de stagiaires augmente chaque année (241 en 1995, 309 en 1996, 379 en 1997), il est en réalité très faible puisqu'il représente environ 10 % de l'effectif des juges consulaires en exercice...

Ces chiffres prouvent, si besoin était, que le système de formation actuel est bien éloigné du projet de M. Michel Rouger, président du CEFJC, de création d'une école de la magistrature consulaire. En effet, celui-ci souhaiterait créer une véritable école, le plus important étant, selon lui, une formation initiale solide : « Il me semble que le système actuel visant à recruter d'abord les juges pour les former ensuite à une fonction judiciaire ne doit pas être conservé. Je crois préférable de former d'abord pour ensuite sélectionner et enfin recruter. » Les ambitions sont grandes mais les moyens manquent cruellement.

· Une formation facultative

L'autre carence, et non des moindres, de la formation actuelle est son caractère non obligatoire. En effet, la formation du juge consulaire débutant repose sur le volontariat. La formation s'inscrit dans l'esprit de la démarche volontaire qui guide le juge consulaire.

Un juge consulaire récemment élu sans aucune culture juridique ni maîtrise des règles procédurales peut donc exercer sa fonction avec pour seul bagage les conseils prodigués par ses pairs. Une telle situation ne peut perdurer et est à l'origine d'une des très grandes critiques faites aux tribunaux de commerce, à savoir la médiocre qualité juridique de leurs décisions.

· Les conséquences d'une formation défaillante

- Le problème de la motivation des décisions

De nombreux intervenants, essentiellement des magistrats professionnels, ont fait part à la commission d'enquête de leur inquiétude face à la qualité rédactionnelle, parfois médiocre, des jugements rendus par les tribunaux de commerce.

Ainsi, M. Pierre Bézard affirme : « De temps en temps, des juges proches de la qualité d'arbitre, en toute bonne foi, perçoivent la bonne décision et l'assènent sans pratiquement la motiver (...). Apprendre à motiver est essentiel car, faute de motivation, vous n'avez nulle possibilité de faire appel. La motivation est un élément fondamental de la défense des individus. On ne peut se contenter d'approximation. »

M. Guy Canivet, premier président de la cour d'appel de Paris, donne comme première cause de la réformation des décisions des tribunaux de commerce le défaut de motivation.

M. Jean-Luc Vallens, magistrat, est plus sévère dans son analyse. Selon lui, au problème de la motivation s'ajoute une absence de « réflexes procéduraux » devenus naturels chez les magistrats professionnels. Il déclare : « Des principes essentiels sont méconnus par les juges consulaires, alors qu'ils sont évidents pour les magistrats professionnels puisque d'une part, on les leur serine, d'abord tout au long de leurs études de droit, ensuite à l'École nationale de la magistrature (ENM) et que d'autre part, on leur dit qu'ils doivent rendre, motiver et notifier des décisions faute de quoi ils commettraient un déni de justice.

Toutes ces prescriptions qui sont relativement évidentes et intégrées dans l'enseignement du droit font très souvent défaut dans les pratiques judiciaires et j'en veux pour exemple un juge-commissaire qui m'avait dit qu'il ne voulait pas nommer de contrôleur : alors que je lui demandais naïvement comment il l'expliquait dans sa décision de rejet, il m'avait répondu qu'il n'était pas si bête et qu'il ne rendait pas de décision pour éviter de se voir reprocher d'avoir mal motivé ou de ne pas avoir notifié. »

- Le non-respect du principe du contradictoire

Plus que la compétence juridique, c'est essentiellement la compétence des juges consulaires en matière de procédure qui pose un grave problème. En effet, les juges consulaires ont une assez bonne connaissance du droit commercial mais ils ont tendance à négliger les principes généraux du droit, et surtout le plus important d'entre eux : le principe du contradictoire.

Les justiciables bien sûr sont les premiers à se plaindre de cette absence de contradictoire comme l'association SOS liquidation par exemple.

Cet avis est partagé par les avocats. M. Alain Cornevaux, ancien membre du Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris, membre d'une délégation du Syndicat des avocats de France a constaté qu'en matière de contentieux général les procédures sont différentes suivant les tribunaux de commerce :

DES PROCÉDURES VARIABLES SELON LE TRIBUNAL

M. Alain CORNEVAUX, membre du syndicat des avocats de France : Le tribunal de commerce de Meaux a des audiences « sauvages » et connues exclusivement de ceux qui le fréquentent, sans convocation et sans aucune explication des parties.

Un certain nombre de confrères de l'extérieur se sont rendus à Meaux pour apprendre l'après-midi qu'une audience s'était tenue le matin et qu'on avait renvoyé l'affaire.

M. le Président : Que voulez-vous dire ?

M. Alain CORNEVAUX : Cela signifie qu'il n'y a pas de procédure !

Il faut distinguer. Pour les règles de base, le principe du contradictoire est respecté et les règles du code de procédure civile sont, en principe, applicables. En revanche, il existe un livre des procédures du tribunal de commerce de Paris qui est inconnu, je l'imagine, de votre commission et de la quasi-totalité des avocats, à l'exception de ceux qui fréquentent habituellement le tribunal de commerce de Paris.

M. Christophe Delpla, avocat, président du Syndicat des avocats de France dénonce la violation systématique du principe du contradictoire en matière de procédures collectives :

L'ACCÈS AU DOSSIER

M. Christophe DELPLA, président du Syndicat des avocats de France : Si le juge-commissaire veut savoir si le gérant a commis des irrégularités - et il est tout à fait normal qu'il s'en assure -, il désigne un expert-comptable. Seulement, en tant qu'avocat du débiteur failli, vous n'avez pas le droit de prendre connaissance du document qui peut pourtant vous être utile pour engager une action contre des banques qui vous ont coupé les crédits ! Alors que l'expertise a été ordonnée judiciairement, ce document ne sera connu que si des poursuites sont engagées contre le gérant. (...)

M. le Président : Quand on dit que les juges consulaires n'ont pas de formation judiciaire, par exemple, on se réfère très souvent à leur absence de connaissance de la procédure civile qui s'applique partout. En particulier, le respect du contradictoire me paraît être une règle fondamentale du droit. Or dans plusieurs tribunaux, il ne semble pas que ce soit le souci premier des juges.

Dans le cas précis que vous citez, le principe du contradictoire a été allègrement violé, c'est-à-dire que des pièces ont été écartées (...).

- Les dénis de justice

Pour certains autres avocats comme Me Emmanuel Rosenfeld, cette procédure peut aller jusqu'au déni de justice : « L'une des difficultés auxquelles on se heurte avec les juridictions consulaires est précisément l'habitude de vouloir éviter de statuer en droit et d'imposer aux parties des processus qui s'apparentent davantage à la médiation ou à l'arbitrage qu'à l'exercice du pouvoir juridictionnel. C'est un procédé qui, par définition, est contraire à l'article 4 du code civil qui interdit le déni de justice et qui interdit au juge de se refuser d'appliquer la règle de droit. C'est pourtant une tendance extrêmement fréquente du tribunal de commerce ! »

Ces pratiques ne sont pas isolées mais plutôt généralisées. Au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan la commission est tombée sur un dossier dans lequel le délai entre l'audience des plaidoiries et les délibérés aurait été de trois années...

TROIS ANS ENTRE L'AUDIENCE ET LE JUGEMENT !

M. Gérard GOUZES, député : Par exemple, dans un dossier pris au hasard, votre jugement date du 27 mars 1998 et les débats à l'audience publique ont été datés du 24 novembre 1995. Cela m'apparaît considérable.

M. le Rapporteur : Un délai de trois ans.

M. Jean-Claude ANTON, président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan : Vous citez le cas d'un dossier.

.M. Gérard GOUZES : C'est un dossier que j'ai trouvé dans votre tribunal.

M. Jean-Claude ANTON : Oui, peut-être.

M. le Rapporteur : C'est quand même incroyable, monsieur le Président.

M. Jean-Claude ANTON : Je ne veux pas vous contredire.

M. Gérard GOUZES : Il y avait peut-être un problème particulier qui faisait qu'il fallait trois ans...

M. Jean-Claude ANTON : Je ne sais pas de quel dossier vous voulez parler. Je ne parlerai pas des délibérés parce qu'il n'en est pas question.

M. le Rapporteur : Le demandeur était Me Berthé, mandataire-liquidateur qui instrumentait au nom de la société dont il était liquidateur, la société Grand Écran. Le défendeur est la société Amados domiciliée à Aire-sur-Adour. Et le président, c'était vous. Vous aviez deux assesseurs MM. Serres et Palacin. Et nous voyons qu'il y a eu trois ans de délai dans cette affaire .

M. Gérard GOUZES : Ce fait nous a surpris.

M. Jean-Claude ANTON : Pas de commentaire.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne voulez-vous pas faire de commentaire ?

M. Jean-Claude ANTON : Parce que je n'ai pas à en faire.

M. le Rapporteur : Vous voulez nous expliquer, quand même ?

M. Gérard GOUZES : Vous avez peut-être une raison valable ?

M. Jean-Claude ANTON : Je n'ai rien à dire au sujet de cette affaire.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison ?

M. Jean-Claude ANTON : Parce que c'est le secret du délibéré.

M. le Rapporteur : C'est un secret qui a duré trois ans !

M. Jean-Claude ANTON : Vous me demandez les motivations sur le jugement.

M. le Rapporteur : Je ne vous demande pas de motivation. Simplement, je vous demande de nous expliquer pourquoi il faut trois ans pour régler une affaire de contentieux général. D'ailleurs, vous souveniez-vous des plaidoiries quand vous avez délibéré ?

M. Jean-Claude ANTON : Nous prenons des notes.

M. le Rapporteur : Cette question pose un problème de crédibilité du service public, reconnaissez-le ! Au moins reconnaissez-le, ça nous aiderait à travailler ensemble.

M. Gérard GOUZES : Reconnaissez-le !

M. le Rapporteur : Vous avez délibéré, monsieur le président. Ne dites pas : « Je ne le sais pas ».

M. Jean-Claude ANTON : Ce dossier, je ne l'ai pas en tête.

M. Gérard GOUZES : Vous dites, monsieur le président, que vous avez une mémoire suffisamment aiguisée, pour vous souvenir, grâce aux notes que vous avez prises, de tel ou tel dossier. Je note aussi que le jugement est du 27 mars 1998. Cette date me paraît suffisamment proche pour que vous puissiez, non pas nous donner les secrets du délibéré, mais pour que vous puissiez nous expliquer qu'il y avait peut-être quelque chose qui pouvait vous empêcher de prendre la décision de façon plus rapide.

M. Jean-Claude ANTON : Lorsque nous délibérons, lorsque la formation collégiale délibère après les plaidoiries, nous parlons des plaidoiries qui ont été faites, mais c'est au juge chargé du dossier que revient de rendre la décision.

M. le Rapporteur : Le juge rapporteur ?

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait. Je ne dis pas que je ne suis pas responsable. Je dis que ce n'est pas moi qui ai suivi ce dossier. Je ne l'ai pas en tête. Je ne vous dis pas que ce n'est pas vrai. Un délai de trois ans, c'est possible.

M. Gérard GOUZES : Cela vous paraît quand même excessif ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : Merci de le reconnaître.

d) Des incertitudes déontologiques

· La déontologie dans les textes

La déontologie est l'ensemble des règles de comportement propres à une profession. S'il est vrai que le juge consulaire n'est pas nommé mais élu, ce qui fonde sa légitimité propre, sa déontologie doit être celle de tout juge de l'ordre judiciaire.

L'exigence déontologique n'est que la contrepartie d'une fonction, celle de juge, qui donne à son titulaire un pouvoir immense.

Avant d'entrer en fonction, les juges des tribunaux de commerce doivent prêter serment et ce serment est celui des magistrats de l'ordre judiciaire. La formule est la suivante : « Je jure et promets de respecter religieusement le secret des délibérations et de me comporter en tout en digne et loyal magistrat ».

Les textes concernant la déontologie des juges consulaires sont donc ceux du nouveau code de procédure civile ; les articles 339, 340, 341 et 356 sur l'abstention, la récusation et le renvoi à une autre juridiction.

- L'abstention

Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir se fait remplacer par un autre juge que désigne le président de la juridiction à laquelle il appartient. Le remplaçant d'un juge d'instance est désigné par le président du tribunal de grande instance à défaut de juge directeur.

Lorsque l'abstention de plusieurs juges empêche la juridiction saisie de statuer, il est procédé comme en matière de renvoi pour cause de suspicion légitime.

- Les huit causes de récusation

La récusation d'un juge n'est admise que pour les causes déterminées par la loi (décret n° 78-330 du 16 mars 1978). Comme il est dit à l'article L. 731-1 du code de l'organisation judiciaire « sauf dispositions particulières à certaines juridictions la récusation d'un juge peut être demandée : 

« 1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;

« 2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties ;

« 3° Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement ;

« 4° S'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;

« 5° S'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties ;

« 6° Si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties ;

« 7° S'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;

« 8° S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties ;

« Le ministère public, partie jointe, peut être récusé dans les mêmes cas. »

- Renvoi pour cause de suspicion légitime

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est assujettie aux mêmes conditions de recevabilité et de forme que la demande de récusation.

L'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation des entreprises est particulier aux juges consulaires. Il stipule que toute personne ayant participé, à un titre quelconque, à la procédure collective ne peut se rendre acquéreur pour son compte, directement ou indirectement, des biens du débiteur.

En revanche, aucun texte général ne définit les obligations et les devoirs des juges consulaires ni ne fixe les règles spécifiques d'incompatibilités.

Comme en matière d'obligations déontologiques, les juges consulaires sont soumis aux mêmes incompatibilités que les magistrats professionnels.

Ils ne peuvent notamment remplir des fonctions publiques sujettes à comptabilité pécuniaire, ni d'autres fonctions de l'ordre judiciaire ou administratif, notamment celle de juré. Mais ils peuvent évidemment continuer à se livrer à leur commerce et remplir des mandats de sénateur, député, maire, conseiller général, conseiller municipal ou membre d'une chambre de commerce. Dans la pratique, cela est rare car le mandat de juge consulaire est très absorbant et l'exercer en même temps qu'une profession commerciale est déjà une charge suffisante.

L'exercice d'un mandat de juge consulaire est incompatible avec le mandat de conseiller prud'hommal et nul ne peut être simultanément juge consulaire dans plusieurs tribunaux.

Par contre, aucune incompatibilité n'existe par exemple entre les fonctions de président du tribunal de commerce et de président d'une chambre de commerce et d'industrie, ni, a fortiori, entre celle de juge et de membre d'une CCI.

Le corpus de textes est dans l'ensemble complet. Il reste maintenant à l'appliquer réellement. L'abstention, la récusation et la délocalisation restent des pratiques très peu courantes...

· La pratique : le juge consulaire est-il un juge impartial ?

- Une situation contraire à la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme

Le fondement même de la légitimité de la justice consulaire réside dans le fait qu'elle soit proche du justiciable. Les juges consulaires ont une connaissance pratique de la vie des affaires et des usages professionnels. Leur expérience et la diversité des secteurs au sein desquels ils évoluent constituent des facteurs permettant aux tribunaux de commerce de rendre des décisions adaptées aux réalités économiques. Mais ce réel atout, celui d'une justice de proximité, a aussi son grave revers.

Le rapport Nougein, présenté à la Conférence générale, souligne à juste titre cette difficulté consubstantielle à la fonction : « Un magistrat de carrière peut généralement assez simplement dresser un écran entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, sans que ni l'une ni l'autre n'aient à en pâtir. La situation du magistrat consulaire est beaucoup plus délicate, dans la mesure où c'est précisément sa propre expérience professionnelle qui constitue son apport à la fonction. Directement ou indirectement, il y a nécessairement interpénétration de ces centres d'intérêt, alors que l'on doit exclure toute confusion d'intérêts. La maîtrise de ce contexte ne peut donc être qu'exigeante et doit conduire le juge consulaire à dresser d'artificielles mais incontournables barrières entre ces deux temps de son activité. Des esprits mal éclairés ou mal intentionnés penseront que l'exercice est impossible. »

M. Pierre Bézard indique que l'indépendance dans ces conditions implique « une grande force, une capacité à se déporter. Les grands magistrats des tribunaux de commerce - il y en a, j'en ai connu et j'en connais encore - quand ils mettent leur robe noire, se dégagent de leur milieu. Ils rendent des décisions honnêtes. Mais l'effort à produire est certain. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours facile pour tous. »

De nombreux intervenants entendus par la commission d'enquête, comme M. Maurice Lafortune, avocat général à la Cour de cassation, pensent que la juridiction consulaire ne respecte pas l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme stipulant : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi ». Selon la jurisprudence, deux conditions doivent être remplies pour que la justice garantisse efficacement la sûreté personnelle et soit donc satisfaisante : d'une part, la justice doit être accessible pour le justiciable (elle ne doit pas être coûteuse et trop lente), d'autre part, le justiciable doit avoir confiance dans ses juges.

La confiance suppose l'indépendance à l'égard du pouvoir politique et l'impartialité des juges. Ainsi, pour assurer la sérénité des jugements, les juges doivent être protégés contre le pouvoir exécutif, mais aussi contre toutes les pressions qu'ils pourraient subir. Or, si le juge consulaire est en principe indépendant du pouvoir politique de par son statut d'élu bénévole, son impartialité pose problème pour deux raisons : la présence toujours plus grande de cadres parmi les juges consulaires qui en tant que salariés doivent rendre des comptes à leur employeur et la proximité qui fait que le juge connaît le justiciable, ce qui peut créer des conflits d'intérêts.

Le défaut d'impartialité est d'abord lié à la présence toujours plus importante de cadres d'entreprises qui aux termes de l'article 1384 du code civil sont des préposés. Un cadre doit rendre des comptes à son employeur. Paradoxalement, ces cadres sont le plus souvent des juristes de haut niveau et apportent une incontestable professionnalisation aux tribunaux de commerce. Mais les entreprises font en quelque sorte un « investissement » en plaçant ces cadres dans la juridiction consulaire ; il s'agit, surtout dans les grands tribunaux de commerce, de défendre la politique de l'entreprise, de s'informer de l'état du marché et des concurrents.

Lorsque les juges sont en majorité des cadres d'entreprise, la justice consulaire est une justice partiale et donc inéquitable au sens de la jurisprudence européenne. À Paris, les deux tiers des juges consulaires sont des cadres.

Au problème posé par la présence de salariés, s'ajoute celui de la proximité.

Étant donné l'étroitesse du bassin de recrutement, les juges consulaires sont trop proches des justiciables. Dans ces conditions, relations amicales et conflits d'intérêts sont choses courantes ! M. Jean-Luc Vallens décrit ainsi cette situation de dangereuse proximité : « le juge est lié au justiciable par des relations, soit professionnelles, soit amicales ou familiales : on chasse, on mange au même endroit, on fait partie de la même loge et on s'arrange entre soi dans les affaires qui sont à juger ». La justice consulaire devient alors une justice de « l'entre soi », une justice de connivence.

Les conflits d'intérêt sont donc nombreux. Le cas le plus fréquent est celui du juge consulaire cadre d'une banque créancière dans certaines affaires. De la même façon, un juge-commissaire peut être amené à rendre une décision mettant en liquidation judiciaire l'un de ses concurrents (voir encadré ci-après).

Il y a donc une complète confusion des genres, au moins dans l'esprit du justiciable, dans la mesure où il aura devant lui non pas un juge mais le chef du contentieux de la banque qui lui a accordé un crédit ou son principal concurrent !

Un adage britannique dit que « Ce n'est pas assez que justice soit rendue, il faut qu'on croie qu'elle a été rendue. » Dans les conditions actuelles, l'apparence d'impartialité n'est pas du tout respectée. Cette notion d'apparence fait partie de la jurisprudence européenne ; il s'agit de la théorie des apparences. Il ne suffit pas qu'un juge soit impartial, il faut qu'il apparaisse tel à ceux qui le voient agir. La situation des tribunaux de commerce est très éloignée de ces préoccupations et la confiance du justiciable est donc ébranlée.

Ce défaut d'impartialité est sans nulle doute la première critique adressée à la justice consulaire et la raison pour laquelle les juges-commerçants sont de plus en plus contestés et un climat de suspicion s'est développé.

La proximité, qui peut être considérée comme un réel atout, peut aussi devenir un défaut par nature. M. Jean-François Verny, vice-président de la commission juridique du CNPF résume bien cette problématique : il souligne l'intérêt qu'il y a à ce que la juridiction consulaire « ait la connaissance de ce qu'est une officine de pharmacie, une boulangerie ou une petite scierie de bois. En revanche, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire au bon fonctionnement et à l'image de la juridiction et l'acceptation des décisions qu'elle rend pour la collectivité des entreprises justiciables que le juge connaisse trop le boulanger, le pharmacien ou le scieur de bois ».

Le juge consulaire devrait également se poser la question de son indépendance intellectuelle, ce qu'il ne fait jamais par définition. En effet, plus les juges consulaires connaissent la matière, plus ils ont tendance à considérer qu'il est légitime qu'ils soient juges de cette affaire. Or, un juge consulaire aura-t-il toute la liberté d'esprit, toute la neutralité de pensée par rapport à un secteur d'activité dans lequel il est complètement impliqué ? N'aura-t-il pas tendance à défendre sa corporation ? Cet état de fait est décrit de manière éloquente par M. Jean-Luc Vallens : « Des avocats m'ont d'ailleurs dit à plusieurs reprises que lorsqu'ils vont plaider devant un tribunal de commerce, ils se renseignent sur l'activité du juge et de son conjoint et qu'ils dissuadent souvent leur client d'entamer le procès ou même de défendre en première instance au motif qu'ils en connaissent à l'avance le résultat ! »

La commission d'enquête a été étonnée d'être confrontée de manière aussi lourdement récurrente aux problèmes du conflit d'intérêt. Ce problème doit être impérativement résolu pour restaurer la crédibilité de la juridiction consulaire. En effet, le simple fait qu'il puisse y avoir des soupçons sur l'impartialité des juges est aussi dommageable pour l'institution que la révélation de manquements avérés.

    TRIBUNAL DE COMMERCE DE SAINT-BRIEUC :

    DIALOGUE ENTRE LE RAPPORTEUR ET LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SAINT-BRIEUC

M. le Rapporteur : Il est vrai que notre attention a été attirée d'abord sur une chose assez originale. J'ai cru comprendre que vous aviez fait vous-même une offre dans cette affaire Labbé, il y a dix ans. Quel était votre statut à l'époque ? Vous étiez membre du tribunal ?

M. Gérard LE BOURHIS : J'étais membre du tribunal mais je m'étais mis en vacance du tribunal deux mois avant. J'étais encore dans la banque à l'époque. J'ai quitté la banque pour cela. J'avais donc fait une proposition de reprise de cette affaire. Je ne participais pas à la procédure. Le parquet m'avait donné l'autorisation de le faire. Ceci étant, mon offre n'a pas été retenue. De ce fait, je n'ai pas eu à démissionner, ce que j'avais l'intention de faire. Je n'étais que juge à l'époque et je n'ai même pas mis les pieds au tribunal durant cette période, mais ce n'était pas interdit.

M. le Rapporteur : Vous comprenez bien que si votre offre avait été retenue, les justiciables auraient eu des choses à vous reprocher... Je vais vous dire mon sentiment : il est grave que les justiciables ne puissent pas croire en l'impartialité de leur institution judiciaire, fut-elle consulaire.

M. Gérard LE BOURHIS : Mais pas dans le cas présent...

M. le Rapporteur : Dans le cas présent, vous n'avez pas eu l'affaire et la question ne se pose donc pas, mais c'est un point intéressant que de réfléchir sur ce type de possibilité : est-il possible, même s'il se déclare démissionnaire, qu'un juge puisse faire une offre ? Si vous l'aviez obtenue - c'était votre objectif à l'époque -, je pense que cela aurait posé des problèmes vis-à-vis de votre concurrent, M. Gauthier, expert-comptable, qui a lui-même obtenu l'affaire.

- La prééminence du président du tribunal de commerce

Le tribunal de commerce est une institution présidentielle (cf. annexe 3) ; le président y a une place particulière en raison de son emprise sur l'organisation interne et de l'importance de ses pouvoirs juridictionnels.

Au sein d'un tribunal « ordinaire », il n'existe pas de principe hiérarchique entre le président et les magistrats au nom de l'indépendance personnelle, morale et intellectuelle du juge. Or, dans les tribunaux de commerce, le président bénéficie d'une réelle prééminence en raison de ses pouvoirs juridictionnels très importants mais aussi de sa main-mise sur l'organisation interne du tribunal : gestion quotidienne, « choix » des juges, affectation des juges, désignation des mandataires de justice, etc.

Cette prééminence s'explique surtout par la prégnance de la culture d'entreprise au sein du tribunal de commerce. Dans ce domaine comme dans d'autres, le tribunal de commerce est géré comme une entreprise, le président pouvant parfois ressembler à une sorte de PDG. Mme Anne-José Fulgéras, chef de la section financière et commerciale au parquet de Paris, évoque cette dichotomie totale entre la culture de l'entreprise et la culture judiciaire : « Pour avoir discuté avec certains vieux juges consulaires, il apparaît assez clairement que, dans l'esprit de certains en tout cas, l'indépendance du tribunal de commerce est une indépendance collective et non pas une indépendance individuelle. Pour nous, magistrats, le juge dispose d'une indépendance personnelle, lui permettant, dans tous les dossiers qui lui sont soumis, de prendre sa décision en fonction de son appréciation, de son analyse du droit et de ses convictions personnelles. Au tribunal de commerce, on a le sentiment que cette indépendance est plutôt vécue d'une façon collective avec un chef qui dispose d'un pouvoir prépondérant ».

Mme Éliane Houlette rapporte une conversation avec le président du tribunal de commerce de Paris révélatrice de cette différence culturelle : « je me souviens qu'au cours d'une conversation avec le président du tribunal, il m'a déclaré : "Que vous le vouliez ou non, nous sommes hiérarchisés". Ce sur quoi, je ne peux pas être d'accord avec lui. Aucun juge en France ne le peut. »

Ainsi, Mme Anne-Josée Fulgéras a donné des exemples de revirements de décision de la part de juges dus à une intervention du président. Ce type d'intervention existe également pour la nomination des mandataires de justice ; à Paris, ce système de prédésignation des mandataires limite beaucoup la marge de manoeuvre du juge-commissaire. Ainsi Mme Éliane Houlette déclare : « Dans les affaires importantes, au cours de ces dernières années, on a pu constater que la désignation était en fait effectuée par le président du tribunal. C'est ce sur quoi le parquet a tenté de s'élever à plusieurs reprises. »

· Les contreparties de la fonction

Les juges consulaires exercent leur fonction gratuitement. À la différence des conseillers prud'homaux, ils ne perçoivent aucune indemnité de fonction.

De nombreux juges consulaires entendus par la commission d'enquête ont insisté sur le fait que même leurs frais de déplacement pour se rendre à la juridiction ne leur étaient pas remboursés. Aucun d'entre eux n'a signalé la possibilité de déduire de leurs revenus professionnels, pour leur montant réel, les frais supportés à l'occasion de l'accomplissement de leur mandat ; les juges consulaires peuvent également substituer à cette déduction de leurs frais réels une déduction forfaitaire, fixée selon un barême tenant compte de la fonction exercée (instruction 5F-17-87 publiée au Bulletin officiel des impôts du 21 octobre 1987).

Pour certains observateurs, cette gratuité a un coût élevé. Les juges consulaires sont parfois tentés d'aller chercher leur rémunération ailleurs. Ils vont ainsi être désignés comme conciliateurs ou mandataires ad hoc dans des procédures de prévention ; la rémunération dans ces cas-là n'est pas tarifée à la différence de celle des mandataires de justice. Le président désigne un mandataire ad hoc et les honoraires sont fixés par les intéressés de manière conventionnelle. Dans la pratique, ce sont souvent, en tous cas dans les grands tribunaux comme Paris ou Lyon, d'anciens juges consulaires qui sont désignés par le président. Les mandats ad hoc ont évidemment augmenté avec le développement de la prévention et peuvent s'avérer très rémunérateurs. Cependant, le plus grand secret entoure cette pratique ; la commission d'enquête a eu beaucoup de difficultés à recueillir quelques informations précises.

Les propos de M.  Serge Armand, substitut général à la cour d'appel de Paris, devant la commission d'enquête sont révélateurs de la confidentialité attachée à cette pratique :

RÉTRIBUTION OU PRÉBENDE ?

M. Serge ARMAND, substitut général à la cour d'appel de Paris : (...) La prévention est, de toute façon, confidentielle. Le parquet est informé de l'existence de ces procédures mais il serait important qu'il soit présent pour veiller à la désignation - c'est un aspect très partiel - des mandataires ad hoc et je dirai même à leur rémunération, car ils jouissent d'une rémunération tout à fait libre dont il faut bien reconnaître qu'elle constitue, à Paris en tout cas, une prébende pour les magistrats du tribunal de commerce.

M. le Président : Le terme « prébende » est fort !

M. Serge ARMAND : On désigne principalement des magistrats et si j'emploie ce terme c'est parce qu'il concerne une fonction.

M. le Rapporteur : Ne vous excusez pas d'employer des mots forts !

M. Serge ARMAND : (...) je justifie l'emploi du terme puisque, pour moi, la définition de la prébende, c'est l'avantage que l'on retire d'une fonction.

M. le Président : On m'a pourtant longuement expliqué que les anciens magistrats du tribunal de Paris acceptaient de faire de la prévention, gratuitement insistait-on...

M. Serge ARMAND : Personnellement, je ne connais pas d'exemples de mandataires ad hoc qui ne seraient pas rémunérés. Mais il est bien certain que les anciens magistrats participant à la cellule de prévention du tribunal de commerce de Paris le font bénévolement ! En revanche, on m'a parlé de rémunérations de mandataires ad hoc qui sont telles que pour sauver l'entreprise il suffirait de les réduire...

M. Jean-François Verny, vice-président de la commission juridique du CNPF, dénonce cette pratique : « Le bénévolat, si l'on veut se conformer aux exigences actuelles de la société en général et plus précisément à celles des justiciables eux-mêmes, ne consiste pas seulement à exercer son activité sans rétribution immédiate mais aussi à faire en sorte que tout soit bien clair et qu'il ne puisse pas y avoir de contreparties, même différées dans le temps (...).

Nous visons, par là, très nettement, et nous le disons clairement, les fonctions d'expert que peuvent ensuite confier les tribunaux de commerce à d'anciens juges consulaires, ou les fonctions de mandataires ad hoc, pratique qui constitue une espèce d'entorse différée ou d'exception différée au bénévolat ».

Le procureur de Lyon, M. Christian Hassenfratz, a indiqué que dans son ressort la rémunération des mandataires ad hoc avait été tarifée, par le président Nougein, 1 000 francs l'heure. Il indiquait avoir eu connaissance d'honoraires s'élevant à 150 000 francs pour un mandat.

e) Un contrôle disciplinaire défaillant

· Le régime disciplinaire

La loi du 16 juillet 1987 a créé un régime disciplinaire des juges consulaires par l'institution d'une commission nationale de discipline.

Cette commission est présidée par un président de chambre à la Cour de cassation désigné par le premier président.

Elle est composée d'un membre du Conseil d'État désigné par le vice-président du Conseil d'État; de deux magistrats du siège des cours d'appel désignés par le premier président de la Cour de cassation sur une liste établie par les premiers présidents des cours d'appel. Chacun de ces derniers arrête le nom d'un magistrat du siège de la cour d'appel après avis de l'assemblée générale des magistrats du siège de la cour d'appel. Elle comprend enfin quatre membres des tribunaux de commerce élus par l'ensemble des membres des tribunaux de commerce.

Des suppléants en nombre égal sont désignés dans les mêmes conditions. Les membres de la commission sont désignés pour quatre ans.

Ainsi, la discipline des juges consulaires échappe-t-elle au conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature. La saisine de la commission appartient au garde des sceaux.

Pour délibérer valablement, au moins quatre des membres de la commission doivent être présents, dont le président. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Les décisions doivent être motivées et ne sont susceptibles de recours que devant la Cour de cassation.

La loi définit la faute disciplinaire comme un manquement à l'honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de la charge. Sur ce point la discipline des magistrats consulaires s'apparente à celle des magistrats de l'ordre judiciaire (ordonnance du 22 décembre 1958, relative au statut de la magistrature, article 43).

Les sanctions sont au nombre de trois :

- le blâme ;

- la décharge qui peut être prononcée soit par décision de la commission, soit édictée de plein droit ;

- la suspension provisoire qui ne peut excéder six mois et peut être renouvelée pour une durée maximale de six mois sauf en cas de poursuite pénale.

· La pratique : une procédure disciplinaire contournée

En pratique, la commission ne dispose pas d'un réel pouvoir disciplinaire car elle se trouve dessaisie par la démission du magistrat consulaire. De telle sorte que, jusqu'en 1996, la Commission nationale de discipline instituée en 1987 n'a été amenée à prendre de sanctions qu'à quatre reprises ! Il y a eu 63 procédures disciplinaires engagées depuis cinq ans : 12 en 1993, 10 en 1994, 10 en 1995, 14 en 1996, 17 en 1997 mais en l'état actuel des textes la démission du magistrat met fin aux poursuites. Sur 63 affaires disciplinaires, 4 ont été traitées par la Commission nationale.

M. Pierre Bézard, président de cette commission, déclare que le système disciplinaire actuel est complètement inutile : « Lorsque, l'année dernière, j'ai été renouvelé à la présidence, j'ai fait remarquer au directeur des services judiciaires que tout devait très bien se passer dans les tribunaux, puisque nous n'étions jamais saisis ». (...) Des problèmes existent, c'est évident ! Mais ils ne sont pas résolus par la sanction disciplinaire. Soit les intéressés sont envoyés en correctionnelle, soit on les fait démissionner ».

La Conférence générale, dans le rapport Nougein, reconnaît cette pratique de la démission pour éviter la sanction disciplinaire tout en essayant de la justifier : « La structure disciplinaire existe à travers la Commission nationale créée par la loi de 1987. Dans les faits, elle n'a eu que très peu d'occasions de se réunir, ce qui est un signe. Mais, pour certains, cette signification ne serait pas suffisamment éloquente, car elle marquerait, en réalité, la propension des juridictions consulaires à régler, en interne, les problèmes disciplinaires mineurs, leurs présidents obtenant la démission du juge défaillant. Nous reconnaissons volontiers que nous tentons, lorsque cela est possible, d'agir ainsi dans la discrétion et l'efficacité, mais, sauf erreur, ces habitudes ne sont pas notre privilège et nous apparaissent être assez répandues dans nombre d'institutions ou de corps constitués ».

La commission nationale, telle qu'elle existe aujourd'hui, n'est pas véritablement utilisée surtout si on la compare avec l'instance disciplinaire des magistrats professionnels, le Conseil supérieur de la magistrature, qui sanctionne entre 60 et 80 magistrats par an.

Une telle situation ne peut perdurer d'autant qu'un juge consulaire démissionnaire peut se représenter aux élections. Il n'existe aucun moyen de l'en empêcher puisqu'il n'a pas été sanctionné disciplinairement...

De surcroît, la Commission nationale n'est pas un conseil de l'ordre doté d'un pouvoir de contrôle.

Elle est uniquement saisie par la Chancellerie. Or celle-ci dispose de peu de moyens d'investigation et s'est peu investie en réalité dans le fonctionnement de la Commission nationale.

Cependant, la Chancellerie préfère paradoxalement « proposer » au juge consulaire une démission plutôt que d'engager des poursuites disciplinaires. Cela a été le cas par exemple pour M. Jean Abran, président du tribunal de commerce de Toulon, coupable de gestion de fait dans le financement du tribunal.

Les dysfonctionnements que la commission d'enquête a constaté pour les juges eux-mêmes sont-ils corrigés par la qualité des auxiliaires du juge consulaire que sont les greffiers et les mandataires de justice ? La commission a enquêté et là encore les conclusions auxquelles elle est parvenue ne laissent pas d'être inquiétantes.

2.- Les greffiers  des tribunaux de commerce ou les gardiens du temple

Le greffier de tribunal de commerce est l'héritier direct du greffier d'Ancien Régime, tel que créé par l'édit d'Henri IV de 1596. Son statut a peu évolué dans le temps, alors même que les tâches qui lui sont confiées ont été élargies, parallèlement à l'élargissement progressif des compétences des tribunaux de commerce.

Seul permanent du tribunal, le greffier a, parfois, tendance à exercer une influence exorbitante sur son fonctionnement, au détriment de ce que les citoyens peuvent attendre du service public de la justice. Personnage d'exception au service d'une juridiction d'exception, le greffier de tribunal de commerce a su cependant tirer bénéfice des nouvelles technologies, notamment grâce à la télématique, de telle sorte que certains greffes ont glissé vers des objectifs de rentabilité, là encore au détriment de l'esprit de service public.

a) Un statut anachronique

Il y a actuellement, selon le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, 264 greffiers et 1 800 emplois de greffes. D'ores et déjà, il faut remarquer que dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle, dans les départements d'outre-mer et dans les 23 tribunaux de grande instance statuant commercialement sur le territoire métropolitain, le greffe des juridictions commerciales est tenue par les greffiers des juridictions ordinaires, qui sont des fonctionnaires.

Sous l'Ancien Régime, officier nommé par le roi, le greffier pouvait transmettre sa charge. Il était chargé d'assister le juge dans la rédaction de ses décisions, d'assurer la conservation des archives.

D'officier royal, le greffier des tribunaux de commerce deviendra officier public et ministériel nommé par le garde des sceaux(6). Il peut à ce titre authentifier les actes et prêter son ministère aux particuliers pour l'exécution de certains actes, ainsi qu'aux juges pour la préparation et l'exécution de leurs décisions.

Son statut est fixé par les articles L. 821-1 à L. 822-7 et R. 821-1 à R. 822-19 du code de l'organisation judiciaire ainsi que par divers décrets portant sur des points particuliers, notamment par le décret n° 77-828 du 20 juillet 1977 relatif aux greffiers des tribunaux de commerce et par le décret n° 87-601 du 29 juillet 1987 relatif aux conditions d'accès à la profession de greffier de tribunal de commerce.

La principale caractéristique de ce statut est que le greffier de tribunal de commerce achète sa charge, ce qui représente pour certains greffes des sommes considérables, par conséquent un investissement financier important qu'il faut rentabiliser (cf. ci-après c).

Le greffier exerce une profession libérale. Il est donc soumis aux règles de fonctionnement d'une entreprise privée. L'État contrôle les conditions d'accès à la fonction, détermine les droits et émoluments de base, encadre les conditions d'exercice de la fonction.

Alors même que les greffes des tribunaux ordinaires ont été fonctionnarisés en 1965, ceux des tribunaux de commerce, exerçant une mission de service public, ont conservé un statut privé tout en détenant un monopole.

Un Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (article R. 821-26 du code de l'organisation judiciaire, décret n° 91-743 du 31 juillet 1991 relatif au Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce) est chargé d'assurer la défense des intérêts collectifs de la profession et de représenter l'ensemble des greffiers auprès des pouvoirs publics.

Ce statut est anachronique. Il n'est que le reliquat d'une justice d'Ancien Régime où les charges judiciaires s'achetaient, où les objectifs économiques l'emportaient sur le souci d'une justice impartiale au service du justiciable. Cet archaïsme se traduit également par le fait, comme l'a dit lors de son audition par la commission, M. Philippe Lemaire, sous-directeur à la direction des services judiciaires du ministère de la justice, qu'« il y a incontestablement des dynasties de greffiers de tribunaux de commerce ».

Au mieux, le greffe est une entreprise efficace, extrêmement rentable, fournissant des services rapides et coûteux à des entreprises qui ont des moyens importants, et constituant l'épine dorsale d'un tribunal de commerce en mal d'exactitude juridique et de permanence. Au pire, c'est une officine juridique, travaillant de manière poussiéreuse, reposant sur la seule personnalité du greffier qui a manqué le train de la modernité, qui refuse de céder sa charge, et qui travaille pour un tribunal lui-même dépassé par les progrès de la vie des affaires, ancré dans des relations de proximité, rendant, dans le meilleur des cas, la justice comme on dispense la charité à des connaissances qui ont du mérite mais pas les capacités à gérer une entreprise et à entrer dans le cercle des « commerçants respectables ».

L'anachronisme du statut accompagne l'archaïsme de la carte judiciaire. Il existe 227 tribunaux de commerce et donc 227 greffes. Les inconvénients de cette situation ont été palliés en partie par la création de « greffes binés », en vertu de l'article R. 821-4 du code de l'organisation judiciaire qui dispose qu'une « même personne peut être nommée greffier de plusieurs tribunaux de commerce dont le siège est situé dans le même ressort de cour d'appel ». Ce système qui réunit sous l'autorité d'un même greffier plusieurs greffes permet de rendre viables certains greffes dont la survie liée à l'activité d'un petit tribunal de commerce n'est pas assurée. Mais cette situation a conduit à renforcer la position de certains greffiers, position confirmée par l'interprétation extensive que les greffiers ont de leurs missions légales.

b) Un rôle exorbitant

Les greffiers (cf. annexe 4) représentent la force permanente du tribunal de commerce. Leurs missions sont très larges. Leur position les amène, notamment dans les tribunaux de petite taille, à jouer un rôle fondamental, voire exorbitant au regard de l'autorité judiciaire confiée aux juges consulaires.

· Les missions légales du greffier

Outre l'accueil du public, le greffier assure deux catégories de fonctions.

- Des fonctions judiciaires et administratives essentielles

Le code de l'organisation judiciaire, dans son article L. 411-1, dispose que les tribunaux de commerce sont composés de juges élus et d'un greffier. Il précise, dans son article R. 821-1, que le greffier assiste les membres du tribunal à l'audience dans tous les cas prévus par la loi.

Il assiste le tribunal en matière de contentieux général. Il enregistre les demandes présentées au tribunal sous forme d'assignation ou de tout autre acte introductif d'instance. Il « tient la plume » sous la dictée du président et note au plumitif les composants essentiels du dossier. Il met en forme les décisions, en effectue la diffusion, la conservation et la délivrance de titres exécutoires, conformément à l'article R. 821-2 du code de l'organisation judiciaire.

Dans les procédures collectives, le greffier organise le déroulement de la procédure par la convocation des parties en chambre du conseil ou devant le juge-commissaire, par les publicités auxquelles il est tenu de procéder lors des étapes principales du redressement ou de la liquidation judiciaires et par les notifications qu'il doit effectuer aux parties ou aux tiers. Le dossier constitué au greffe doit ainsi regrouper tous les actes de la procédure dont la publicité est assurée pour la garantie des droits des créanciers.

Le greffier assiste plus particulièrement le président. Le président du tribunal, sauf délégation expresse, statue en matière de référés ou en matière gracieuse. Le greffier assure les mêmes tâches qu'en matière de contentieux général : introduction de la demande, assistance à l'audience, exécution des décisions. Le président dirige la prévention et le traitement amiable des difficultés des entreprises ; le greffier joue le rôle de relais entre le président, le débiteur, le procureur de la République et, le cas échéant, l'expert, le mandataire ad hoc et le conciliateur ; il transmet au président les informations relatives à l'endettement des entreprises, notamment les créances du Trésor et de l'URSSAF et les chèques impayés.

La question du secrétariat du président du tribunal est particulièrement délicate. Avant les lois de décentralisation qui ont transféré à l'État la charge du fonctionnement des juridictions du premier degré de l'ordre judiciaire, des départements, des communes, des chambres de commerce et d'industrie, voire des associations avaient fréquemment mis à la disposition des présidents des tribunaux de commerce, en marge des greffes et sans qu'aucun texte ne les y oblige, des agents chargés de tâches de secrétariat.

La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 modifiée relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État a posé le principe de la prise en charge par l'État des personnes ainsi mises à la disposition notamment des tribunaux de commerce avant le 1er janvier 1987. Cette loi prévoyait en outre que ces agents, sous réserve de remplir certaines conditions, pouvaient demander leur titularisation, dans la fonction publique d'État. L'intervention de cette loi a donné lieu à des situations très diverses : certaines juridictions bénéficient ainsi, à côté du greffe, d'un secrétariat de présidence assuré par des agents n'appartenant pas au greffe ; dans d'autres tribunaux, ces tâches administratives sont directement assurées par le greffier.

Pour limiter les errements et les incertitudes liés à la prise en charge du secrétariat du président, un décret n° 95-832 en date du 5 juillet 1995 modifiant le code de l'organisation judiciaire et relatif aux greffiers des tribunaux de commerce a confié expressément le secrétariat propre du président du tribunal au greffier : règlement intérieur, rôles d'audiences, budget, archives, etc. Un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 18 mars 1997 a fixé la liste des tribunaux de commerce auxquels s'applique cette disposition. Le nombre de personnes affectées auprès du président et placé sous son autorité fonctionnelle est fixé par ce même arrêté : 1 ou 2 agents dans les tribunaux comprenant un effectif de 25 à 30 juges, 2 ou 3 agents pour les tribunaux ayant entre 31 et 40 juges, 3 ou 4 agents pour les tribunaux composés d'un effectif de 41 à 60 juges et 5 agents ou plus dans les tribunaux ayant un effectif supérieur à 60 juges.

Si ce système est adapté aux grands tribunaux, la plupart des tribunaux de commerce qui ont une taille moyenne ou modeste ne bénéficient pas de ces dispositions et le flou reste entier sur cette question.

Une circulaire en date du 22 mars 1997 a complété ces dispositions relatives au secrétariat du président.

Les problèmes ne sont pas entièrement réglés et, on l'a vu, tous les greffiers, compte tenu de relations parfois difficiles avec les présidents, n'ont pas mis tout le personnel à disposition tel que prévu par les textes (cf. II-B-3).

    LE SECRÉTARIAT DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AUXERRE

Lors de son déplacement à Auxerre, le 17 mars 1998, la commission a auditionné notamment M. Bernard Brochot, président du tribunal de commerce, et M. Philippe Decourcelle, greffier.

« M. le Rapporteur : S'agissant des moyens du tribunal, avez-vous toujours eu une secrétaire financée par le conseil général ? Vous nous expliquerez au passage comment le ministère de la justice rembourse le conseil général, car c'est un mécanisme compliqué aux yeux des parlementaires. À quel moment avez-vous jugé nécessaire d'avoir une secrétaire ?

M. Bernard BROCHOT, président du tribunal : Cela date de bien longtemps, c'est-à-dire de mon arrivée au tribunal. J'en ai alors fait la demande, en collaboration étroite avec les autres tribunaux de commerce. En effet, le tribunal de commerce d'Auxerre a appartenu dès l'origine à la Conférence générale des tribunaux de commerce de France. À l'époque, j'avais trente-cinq ans de moins, j'étais très dynamique et j'ai étudié toutes les possibilités de nature à aider le tribunal de commerce. Sur ma demande, ou plutôt sur celle du tribunal, mais c'est moi qui me suis occupé du dossier - Mme Bernot doit s'en souvenir, puisqu'elle était déjà greffière -, nous avons eu une personne à mi-temps. Nous en avons eu une autre, payée par le greffe. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, lorsqu'elle a pris sa retraite, j'ai demandé au conseil général que les deux mi-temps soient transformés en un emploi à temps plein, pris en charge par le conseil général et, certainement, par la Chancellerie. Pour ma part, j'ai surtout affaire à la préfecture et au conseil général. J'ai donc demandé une secrétaire à temps complet pour le président. Celle-ci se charge de mon courrier, assure la frappe des jugements de procédure collective et de liquidation. Bref, elle s'occupe du fonctionnement du tribunal.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas le greffe qui tape les jugements ?

M. Bernard BROCHOT : Non, c'est la secrétaire du tribunal. Mme Girard, la secrétaire du greffe, tape aussi des jugements ; Mme Caretta s'occupe des procédures collectives. Tous les jugements rendus en audience publique sont tapés par la secrétaire du greffe.

M. Jacky DARNE, député : Quatre personnes sont rémunérées par le greffe, une par le conseil général, votre secrétaire. Dans la vie courante, qui gère l'ensemble du personnel ? Concrètement, qui s'occupe des ordres de départ en congé, de la répartition des tâches ?

M. Bernard BROCHOT : Nous travaillons en étroite collaboration avec le greffe, qui me tient informé du fonctionnement du personnel. Ce n'est pas moi qui gère les vacances du personnel, les jours de repos, etc.

M. Jacky DARNE : Votre secrétaire est-elle incluse dans l'équipe du greffe ?

M. Bernard BROCHOT : Ils s'arrangent. Quand la secrétaire du tribunal est en congé, la secrétaire du greffe assure le fonctionnement du service du président. C'est une question interne au personnel dont je n'ai pas la gestion. Je m'occupe simplement du salaire de ma secrétaire, parce que la préfecture m'envoie un bordereau avec le nombre d'heures, que je signe.

M. Jacky DARNE : A-t-on une vue générale de l'ensemble des coûts d'activité, c'est-à-dire des salaires de votre secrétaire et de celles du greffe ? Le budget du tribunal inclut-il le greffe ?

M. Bernard BROCHOT : Pas du tout !

M. Jacky DARNE : Précisément, il y a forcément des budgets différents. Les quatre personnes du greffe sont payées par le greffe. La secrétaire est payée par le conseil général. Son salaire n'est pas inclus dans le budget du tribunal ?

M. Bernard BROCHOT : Non.

M. Jacky DARNE : Par conséquent, du point de vue juridique, le budget du personnel ne représente qu'une partie de l'outil de travail présent ici. Pour avoir une vue générale, il faudrait procéder à une sorte de consolidation de ces différentes dépenses.

M. Philippe DECOURCELLE, greffier : On pourrait même ajouter le temps passé par les greffiers à satisfaire aux demandes de leur président. »

- Des fonctions étendues

C'est dans ces fonctions que le greffier de tribunal de commerce joue un rôle original. Il maîtrise l'information économique nécessaire au bon fonctionnement du tribunal, et au-delà à la transparence de la vie économique.

Le greffier est au centre du système d'information sur l'identité des entreprises. La loi du 18 mars 1919 institua le registre du commerce et des sociétés. D'importantes réformes sont intervenues en 1953, en 1958, en 1967 attribuant la personnalité morale aux sociétés par l'effet de leur immatriculation, en 1978 élargissant le champ d'application du registre aux sociétés civiles, et en 1984. Le greffier reçoit les déclarations des entreprises sur leur identité et leur mode d'exercice depuis leur création jusqu'à leur disparition, et tient à jour l'extrait de leur inscription (dit « extrait Kbis »), qui constitue leur fiche d'identité. Il doit contrôler les déclarations : conformité des pièces justificatives, régularité des demandes. Dans ce contrôle, le greffier peut recourir à l'arbitrage du président du tribunal ou du juge commis à la surveillance du registre.

Les greffes sont centres de formalités des entreprises, notamment pour les sociétés civiles et les sociétés autres que commerciales, les sociétés d'exercice libéral, les établissements publics industriels et commerciaux et les agents commerciaux.

Le greffier est également le dépositaire légal des comptes annuels des sociétés par actions (depuis 1966), des sociétés anonymes à responsabilité limitée (depuis 1983) et des sociétés en nom collectif (depuis 1994), en vue de rendre publics les bilans des sociétés commerciales.

Enfin, il dispose d'informations sur l'endettement des entreprises. Depuis 1909, les privilèges du vendeur et le nantissement du fonds de commerce sont obligatoirement inscrits au greffe. Doivent être également déposés au greffe les informations relatives à un privilège spécial portant sur des biens déterminés de l'entreprise en garantie de sa dette (nantissements sur matériel et outillage et sur parts de société civile), à un privilège général s'appliquant à l'ensemble des biens meubles de l'entreprise (privilèges du Trésor et de la sécurité sociale), à la protection d'un droit de propriété (crédit bail, contrat de location, clause de réserve de propriété), à l'existence d'un impayé (protêt de traites et certificats de non-paiement de chèques).

Détenteur de nombreuses informations, le greffier est chargé d'en transmettre certaines à des organes institutionnels.

Ainsi, les différentes informations relatives à la vie de l'entreprise : immatriculation au registre du commerce et des sociétés, changement de propriétaire et conditions de la vente du fonds de commerce... (articles 2 et 3 du décret n° 67-238 du 23 mars 1967 modifié instituant un Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales) sont collectées par l'administration des Journaux officiels pour leur publication au BODACC. Il en va de même pour les décisions de procédures collectives (article 8 du décret précité).

Par ailleurs, l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) reçoit du greffier un double de toutes les déclarations faites au registre du commerce et des sociétés. Des relations bilatérales existent également avec l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) chargé d'attribuer le numéro d'identification des entreprises.

Ces transmissions ont été facilitées par la mise en place de réseaux électroniques de communication entre les différents acteurs, notamment entre les greffes et certains centres des impôts, ou certains établissements bancaires.

· Une pratique extensive

- Mainmise sur les tribunaux

Le greffier a en fait, surtout dans les petits tribunaux de commerce, un rôle plus important encore que celui qui lui est dévolu par les textes. Si l'électorat n'a pas choisi un président ayant reçu une formation juridique solide, le greffier, qui a nécessairement cette formation, est amené à exercer une influence certaine sur l'élaboration des jugements et leur « habillage juridique ». De sorte qu'en pratique, certains greffiers ne sont pas très loin d'accomplir mutatis mutandis une tâche analogue à celle qu'on attendrait d'un magistrat de l'ordre judiciaire dans le système de l'échevinage, à ceci près que le greffier ne devrait pas influer ainsi sur la fonction de juger.

Une pratique selon laquelle « les greffiers des tribunaux de commerce prennent parfois sur les juges consulaires un ascendant qu'il est important de cantonner à l'aspect strictement fonctionnel de leur ministère » et « la personnalité des présidents et la présence du ministère public suffisent généralement à replacer chacun des acteurs judiciaires dans son rôle »(7) ne saurait être satisfaisante.

De la même façon, le procureur du tribunal de grande instance de Nevers estime que « du fait de la disponibilité limitée et de la formation insuffisante de la majorité des juges consulaires, les greffes des tribunaux de commerce jouent un rôle important, parfois exagéré, dans le fonctionnement de ces juridictions ».

Sur le même registre, le procureur général près la cour d'appel de Caen précise que « certains greffiers rédigent encore parfois les jugements et participent officieusement au délibéré ».

Les greffiers outrepassent parfois leurs fonctions dans un autre domaine. Ainsi, il convient de relever l'existence de greffiers de tribunaux de tribunaux de commerce qui, dans le cadre de cession totale ou partielle d'une entreprise en redressement, étaient constitués séquestres ou « consignataires » des prix versés par les acquéreurs.

Or, ces officiers publics et ministériels n'ont aucune qualité pour encaisser à quelque titre que ce soit les sommes versées à l'occasion ou en exécution des plans de redressement par voie de cession totale ou partielle, des plans par voie de continuation, voire provenant de réalisation d'actifs dans le cadre d'opérations de liquidation, aux lieu et place de mandataires de justice qui sont, seuls, habilités, à les percevoir.

    LE FONCTIONNEMENT DU TRIBUNAL DÉPEND DE LA PERSONNALITÉ DU GREFFIER : L'EXEMPLE D'AUXERRE

Lors de son déplacement à Auxerre, le 17 mars 1998, la commission a auditionné notamment M. Jacques Cazals, procureur de la République à Auxerre.

« M. Jacques CAZALS, procureur de la République : À mon sens, un bon tribunal de commerce est un tribunal qui a de bons greffiers. Sans bons greffiers, le parquet peut donner quantité de bons conseils, solliciter un certain nombre de mesures, la compétence des magistrats consulaires a beau s'accompagner de beaucoup de bonne volonté, comme vous l'indiquiez, d'une certaine bonne foi, de bon sens, le résultat est mauvais. Je suis persuadé que la présence d'un greffe de qualité est nécessaire pour faire une bonne juridiction. (...)

Jusqu'en 1995, nous avons eu Mme Bernot, une femme dévouée, et son frère, un homme qui avait cédé à des penchants peu compatibles avec ses fonctions. Dans ces conditions, tout allait à vau-l'eau. La nomination de M. Decourcelle me paraît intéressante, parce qu'elle modifie quelque peu le comportement des magistrats. Les délais, les formalités et, d`une façon générale, les textes de loi sont un peu mieux appliqués.

M. Jacky DARNE, député : C'est relatif !

M. Jacques CAZALS : Il est dommage que vous ne soyez pas venus en inspection il y a quatre ans. Des décisions rendues jusqu'aux années 1993-1994 ne sont certainement pas définitives, parce qu'elles n'ont pas été signifiées. Dans des affaires de dépôts de bilan à répétition, sous une forme puis sous une autre, on s'est aperçu que la décision du tribunal de commerce d'un redressement judiciaire, par exemple, n'avait pas été signifiée. L'état du greffe était catastrophique. »

- Des contrôles nombreux en théorie, peu exercés en pratique

Cette pratique extensive a été notamment permise par une relative faiblesse des contrôles et par la quasi-inexistence des actions disciplinaires.

Depuis le décret n° 80-307 du 29 avril 1980 portant règlement d'administration publique fixant le tarif général des greffiers des tribunaux de commerce et modifiant l'article R. 821-2 du code de l'organisation judiciaire, le procureur général ou le procureur de la République sont tenus de vérifier, chaque fois qu'ils le jugent utile, les registres et documents de toute nature des greffes de leur ressort. Le président du tribunal peut procéder à la même vérification.

Le code de l'organisation judiciaire, dans son article R. 213-29, fait entrer l'inspection des greffes dans les pouvoirs des chefs de Cour concernant le fonctionnement des juridictions de leur ressort. Cette inspection a pour cadre la bonne administration des services judiciaires et l'expédition normale des affaires. Les chefs de Cour doivent rendre compte annuellement au garde des sceaux des constatations qu'ils ont faites.

Par ailleurs, conscient des difficultés, le législateur a tenu, dans l'article L. 821-2 du code de l'organisation judiciaire, à préciser que les greffiers sont également soumis à des inspections sous l'autorité du garde des sceaux, précisant qu'ils sont tenus de fournir tous renseignements et documents utiles sans pouvoir opposer le secret professionnel. Ces inspections sont conduites par le procureur de la République, assisté d'un ou plusieurs inspecteurs désignés parmi les greffiers en activité ou honoraires sur une liste de quarante noms établie chaque année par le bureau du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.

Toujours en vertu du code de l'organisation judiciaire (articles R. 821-5 à R. 821-8), chaque greffe doit faire l'objet d'une inspection au moins une fois tous les quatre ans ; il peut également être soumis à des inspections occasionnelles et inopinées ; l'inspection est prescrite par le garde des sceaux soit d'office, soit à la demande du président du tribunal de commerce. Il y a à l'heure actuelle une cinquantaine d'inspections par an. Elles sont réalisées pour la grande majorité d'entre elles par les professionnels eux-mêmes. Le Conseil national choisit les personnes qui vont prendre part au contrôle et dresse un programme en début d'année. Le greffier contrôlé sait à quel moment il va l'être et par qui.

Tout manquement d'un greffier à l'honneur, à la probité et aux devoirs de sa charge constitue une faute disciplinaire. Contrairement à ce qui se passe pour les magistrats consulaires, l'acceptation de sa démission ne fait pas obstacle au prononcé d'une peine disciplinaire, si les faits qui lui ont été reprochés ont été commis pendant l'exercice de ses fonctions.

L'action disciplinaire est exercée à l'initiative du procureur de la République devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel le tribunal de commerce a son siège. Elle se prescrit par dix ans. Les peines disciplinaires encourues sont l'avertissement, le blâme et la destitution. Cette dernière entraîne la radiation pendant cinq ans de la liste électorale prévue par l'article L. 11 du code électoral.

Le régime disciplinaire, tout autant que les contrôles, peuvent apparaître comme particulièrement sévères. Mais, de la même façon que celui prévu pour les mandataires de justice (voir ci-après), il est rarement mis en oeuvre. Il y a environ une cinquantaine d'inspections par an, toujours effectuées en présence d'un membre désigné par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. À ces inspections, s'ajoutent quelques inspections occasionnelles lorsqu'un problème est signalé. Très rares sont les sanctions disciplinaires. Ainsi un seul blâme a été prononcé en 1997, et deux suspensions provisoires ont été décidées, l'une en 1995 et l'autre en 1997, en raison de poursuites pénales en cours.

Là encore, la faiblesse des contrôles donne l'image d'un pan de justice abandonné par l'État.

c) Des offices ministériels et publics très rentables

· Le prix des charges

Les greffes des tribunaux de commerce sont des entreprises privées et ce sont souvent des entreprises très rentables. À lui seul, l'examen des prix de cession, dont la fixation appartient largement aux parties et est fonction du chiffre d'affaires(8), peut donner une idée de la valeur de ces entreprises, valeur qui s'est accrue régulièrement depuis quinze ans.

VALEUR DES OFFICES DE GREFFIERS DE TRIBUNAUX DE COMMERCE ÉVALUÉE À L'OCCASION DES CESSIONS

Arrêté

Greffes

Forme

Valeur

(en francs)

1995

Janvier

Vimoutiers (Orne)

biné avec Argentan

Individuelle

250 000

Mars

Compiègne (Oise)

SCP puis individuelle

2 320 000

Mars

Flers (Orne)

Individuelle

2 000 000

Mars

Laval (Mayenne)

SCP

4 000 000

Juin

Bourges (Cher)

SCP

5 564 000

Juin

Meaux (Seine-et-Marne)

SCP

14 528 700

Juin

Douai (Nord)

Individuelle

4 500 000

Juin

Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne)

Individuelle

2 800 000

Juin

Saint-Affrique (Aveyron) biné avec Millau

Individuelle

400 000

Juin

Paris

SCP

28 200 000

Juin

Condé-sur-Noireau (Calvados) biné avec Falaise

SCP

120 000

Août

Lons-le-Saunier (Jura)

SCP

3 500 000

Août

Brignoles (Var)

Individuelle

2 000 000

Novembre

Besançon (Doubs)

SCP transformée en SELARL

2 445 690

1996

Février

Castelnaudary-Limoux (Aude)

Individuelle

1 940 000

Mars

Louhans (Saône-et-Loire)

Individuelle

1 000 000

Juillet

Rouen (Seine-Maritime)

SCP

9 080 000

Juillet

Pontoise (Val-d'Oise)

SCP

25 000 000

Août

Auch (Gers)

SCP

3 052 000

Septembre

Cannes (Alpes-Maritimes)

SCP

7 438 070

Octobre

Angers (Maine-et-Loire)

SCP

7 142 720

Octobre

Bastia (Haute-Corse)

SCP

3 840 000

Octobre

Fréjus (Var)

SELARL

4 850 000

1997

Janvier

Bordeaux (Gironde)

SCP

18 000 000

Février

Auxerre (Yonne)

SCP

4 000 000

Juillet

Toulouse (Haute-Garonne)

SCP

13 395 000

Août

Toulon (Var)

SCP

12 000 000

Octobre

Pézenas (Hérault) biné avec Clermont-l'Hérault

Individuelle

1 500 000

Octobre

Montauban (Tarn-et-Garonne)

SCP

3 016 000

Novembre

Dunkerque (Nord)

SCP

3 000 000

Décembre

Châteauroux (Indre)

Individuelle

3 270 000

Décembre

Saint-Malo (Ille-et-Vilaine)

SCP

5 000 000

Même si le prix des charges est très variable d'un greffe à l'autre, l'investissement nécessaire à l'acquisition d'une charge explique que la recherche de la rentabilité des offices prime bien souvent sur le souci d'un même accès pour tous à la justice.

Selon l'avis de M. Jean-Luc Vallens, magistrat, « ce sont de véritables entreprises privées qui se financent, notamment par les consultations rémunérées des informations légales transmises par la voie télématique. Vous connaissez tous la publicité qui est faite autour d'Infogreffe et d'organismes commerciaux de même nature. Les greffiers des tribunaux de commerce sont suffisamment puissants pour empêcher la remise en cause de ce système qui fonctionne depuis plusieurs années sans l'accord de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et apparemment un tel état de fait ne gêne personne. » En effet, à côté du tarif élément traditionnel de la rémunération du greffier, est apparue depuis quelques années une autre source de revenus importants : la télématique.

· Un tarif obsolète et inadapté

Le décret n° 80-307 du 29 avril 1980 précise que les émoluments alloués aux greffiers sont constitués d'un droit prévu pour chaque acte, formalité ou procédure, égal soit au montant du taux de base, soit à un multiple ou sous-multiple de ce taux, fixé à 6,60 francs.

Le taux de base des émoluments n'a pas été modifié depuis le décret n°86-1098 du 10 octobre 1986 et la structure du tarif est restée grosso modo la même depuis 1980 alors même que les greffes se sont informatisés et que l'image de l'employé du greffe manipulant de lourds registres pour rechercher ou noter une information appartient au passé.

Les prestations donnant lieu à rémunération sont regroupées dans des tableaux annexés au décret. Six catégories de prestations sont ainsi identifiées :

- actes judiciaires (actes de greffe, décisions du tribunal, etc.) ;

- registre du commerce et des sociétés et registres des agents commerciaux : immatriculations, radiations, délivrance d'extraits, etc.. Ce poste constitue la part la plus importante de l'activité des greffiers ;

- privilèges et sûretés ;

- publicités diverses (crédit-bail mobilier, protêts, bateaux...) ;

- propriété industrielle (marques, dessins et modèles) ;

- divers.

Outre cette rémunération forfaitaire, les greffiers peuvent percevoir des honoraires libres. Cette faculté n'est néanmoins ouverte que dans deux cas précis : pour les dépôts de marques, dessins et modèles dans l'hypothèse où une partie demande expressément des diligences non prévues par le tarif, pour les renseignements et statistiques relatifs au registre du commerce prévus par des textes spécifiques ainsi que les certificats, copies ou extraits des inscriptions portées sur les registres.

Certaines activités ne sont pas tarifées, à l'exemple de l'activité de prévention des difficultés des entreprises qui relève de la compétence du président du tribunal de commerce mais à laquelle participe le greffier.

Il convient de noter que les greffes ont accompli d'importants efforts de productivité, grâce notamment à l'informatisation et à la diffusion des informations par voie électronique (voir infra). Cela leur a permis, en 1997, d'immatriculer 285 000 entreprises, d'opérer 630 000 modifications et près de 181 000 radiations. Les immatriculations ont lieu dans les 24 ou 48 heures de la réception par le greffe du dossier transmis par la chambre de commerce et d'industrie ou la chambre des métiers, en leur qualité de centres de formalités des entreprises.

Elément dont il faut tenir compte pour cerner les revenus des greffiers, l'occupation à titre gratuit des locaux appartenant aux tribunaux de commerce, donc au domaine public, permet à la fois au greffe de réaliser des économies mais souvent également au tribunal d'utiliser les infrastructures du greffe (photocopieuse, télécopieur, etc.).

Il reste que cette facilité ne peut s'étendre aux groupements d'intérêt économique localisés au siège du tribunal de commerce ou de son greffe et que l'utilisation des locaux situés dans les palais de justice doit donner lieu à l'émission d'un titre d'occupation et au paiement d'une redevance ou d'un loyer fixés par le directeur des services fiscaux et qu'une convention d'occupation doit venir préciser le montant de la participation de l'occupant aux charges d'exploitation du bâtiment. Or, la Cour des comptes a rappelé le caractère manifestement illégal de toute occupation ne s'inscrivant pas dans ce cadre.

Les revenus des études sont donc fonction à la fois des documents qu'elles délivrent immédiatement à leurs guichets et des prestations télématiques qui leur sont demandées.

    L'AVIS DE LA COUR DES COMPTES

Lors de sa réunion en date du 10 février 1998, la commission a auditionné M. Christian Descheemaeker, conseiller-maître à la Cour des comptes en charge du secteur de la justice.

« M. Christian DESCHEEMAEKER : Ce qu'il est possible de dire sur les greffes de tribunal de commerce, c'est d'abord qu'il s'agit d'entreprises qui sont actuellement extrêmement rentables ; ensuite que les greffiers sont des personnages contrastés : je veux dire par là qu'on trouve un certain nombre de greffiers qui ont l'esprit de service public, parfois même à un degré assez développé et qui sont fiers de vous dire qu'ils appartiennent à la troisième génération de greffier...

M. le Président : C'est cela l'esprit de service public ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Ce n'est pas suffisant mais j'ai vraiment rencontré des greffiers qui croyaient à ce qu'ils faisaient et qui étaient très fiers d'appartenir, avec un statut particulier, au service public de la justice.

A contrario, j'en ai vu d'autres qui avaient une vision un peu différente de leur métier, mais cela peut s'expliquer par le fait que lorsque l'on a hérité de sa charge, on a moins de préoccupations financières que lorsque l'on doit l'amortir sur quelques années. Or, certains greffiers sont visiblement très préoccupés d'amortir le coût d'achat de la charge qui représente une somme non négligeable.

M. le Président : On peut faire la même remarque pour les pharmaciens et les notaires.

M. le Rapporteur : Eux sont soumis à la concurrence...

M. Christian DESCHEEMAEKER : (...) J'ajouterai un mot concernant le barème. Tous les actes des greffiers sont rémunérés selon un barème ; c'est donc une justice payante.

Le barème qui remonte à 1980, un peu modifié en 1986, est maintenant complètement désuet, puisqu'il est antérieur à l'informatisation, pour l'essentiel, ce qui signifie que l'écart entre le tarif d'un acte et celui d'un autre n'est plus justifié aujourd'hui. Je prends un exemple : certaines formalités demandaient autrefois à un employé du greffe de sortir des registres d'un format assez étonnant, de les ouvrir, de pointer et de noter des chiffres, de prendre un autre registre et de répéter ces gestes plusieurs fois d'affilée, ce qui demandait de nombreuses manipulations et prenait donc un certain temps ; aujourd'hui, avec l'informatique, il suffit d'appuyer sur un bouton pour ressortir tous les éléments qui figurent parfois dans cinq ou six fichiers différents. La réponse est instantanée.

M. le Président : Et elle est payée comme autrefois ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Elle est payée comme autrefois !

Quand je dis que le barème est désuet, je le dis dans les deux sens : un jugement sera payé au même prix unitaire quel que soit le nombre de pages. Le barème auquel personne n'ose vraiment toucher est donc, je crois, assez éloigné maintenant des coûts unitaires des innombrables actes, puisqu'il y a plus d'une centaine d'actes qui sont répertoriés.

À côté de l'informatique utilisée dans le fonctionnement interne du tribunal, y compris la micro-informatique et le traitement de texte pour les jugements, il y a la télématique qui concerne essentiellement le registre du commerce. Suite à l'informatisation, les greffiers des tribunaux de commerce ont constitué trois serveurs Minitel dont le plus connu est Infogreffe, les deux autres étant Greftel et Intergreffe.

Ces serveurs sont considérés comme extrêmement performants, puisque leur mise à jour se fait dans les vingt-quatre heures, de sorte que, par la télématique, on a accès à des informations du registre du commerce très rapidement. Ces serveurs constituent une source de revenus considérables pour les gros tribunaux de commerce !

Les revenus sont fonction du nombre d'heures de connexion et, évidemment, si ces connexions dans certains petits tribunaux de commerce de Normandie - c'est là que se trouvent les plus petits - ne représentent que quelques heures par an, en revanche, celles des plus gros tribunaux peuvent engendrer des recettes télématiques qui frisent les 15 millions de francs par an. Il s'agit donc de recettes considérables !

M. le Président : C'est une recette pour le greffier ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Absolument ! Elle va intégralement au greffier. (...)

M. le Président : Vous avez parlé d'abus ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Des abus ou, pour le moins, des dérives ont effectivement eu lieu, puisqu'une confusion a été entretenue pendant un certain temps entre le greffier officier ministériel et le serveur. C'est-à-dire que l'on téléphone à un tribunal de commerce et que l'on commence par avoir un répondeur qui demande de se brancher sur le Minitel, ce qui est peut-être aller un peu loin !

Des abus, il y en a également eu dans la mesure où certains serveurs se sont mis à faire de l'analyse financière en retraitant les comptes des sociétés qui étaient obligatoirement déposés au registre du commerce. Faire de l'analyse financière sur un bilan, certains diront que c'est de la valeur ajoutée, mais cela peut aussi être assez contestable...

M. le Président : N'est-ce pas une violation de la confidentialité ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Cela peut être en tout cas une présentation subjective, puisque certains serveurs se sont mis à offrir à certains clients la possibilité de s'abonner à la mise sous surveillance d'une société ; c'est aller un peu loin par rapport à la transmission d'une information brute qui, elle, est normale et qui laisse à chacun le soin de juger de l'état de santé de la société concernée.

Par ailleurs, certains serveurs achètent à l'étranger de l'information sur des sociétés étrangères qui, par définition, ne déposent pas leurs comptes au registre du commerce français, pour pouvoir la fournir à leurs correspondants et, par là même, se sont mis à faire des actes de commerce dans la mesure où ils achètent de l'information économique pour la revendre. Dans ce cas, se posait la question délicate de savoir si un officier ministériel pouvait faire acte de commerce et la réponse, a priori, est non !

(...) Je vous ai précisé que dans certains cas, le chiffre d'affaires télématique pouvait atteindre 15 millions de francs ; c'est le cas de l'un des gros tribunaux de banlieue qui est cependant plus petit que celui de Paris.

M. le Président : Cela prouve qu'il y a des ressources pour faire fonctionner l'institution et la moderniser !

M. Christian DESCHEEMAEKER : En ce qui concerne la rentabilité des charges, on a atteint des résultats sur chiffre d'affaires qui oscillent, dans les greffes que nous avons contrôlés, entre 38 % et 72 %. »

·  Le pactole de la télématique

Les rémunérations tirées des services de diffusion électronique des informations du registre du commerce et des sociétés assurent l'équilibre financier de nombreux greffes et procurent un bénéfice non négligeable à certains d'entre eux (40 millions à Paris, 10 millions à Pontoise, 7 millions à Lyon par exemple).

Très tôt, les greffes ont mis en place des outils télématiques destinés au public soucieux de connaître la situation économique et financière des entreprises. Ces outils ont été constamment enrichis et perfectionnés. Ainsi, depuis octobre 1997, dans le cadre des redressement et liquidation judiciaires, le public peut consulter sur Minitel les fonds de commerce et les actifs à céder.

Greftel, Infogreffe et Intergreffe évoluent dans un secteur concurrentiel, les serveurs diffusant auprès du grand public des informations relatives aux entreprises étant nombreux. Le tarif pratiqué est particulièrement élevé, puisque le prix des services offerts par les serveurs des GIE formés par les greffes des tribunaux de commerce est de 9,21 francs la minute toute taxe comprise (code 3629), alors même que l'INPI diffuse les mêmes informations pour 5,57 francs la minute (code 3617).

M. Jean-François Verny, vice-président de la commission juridique du CNPF, a lui-même fait remarquer lors de son audition que : « Concernant Infogreffe, nous avons constaté que le tarif de consultation était absolument prohibitif (...) ce sentiment étant partagé par la Cour des comptes et la Chancellerie (...). Infogreffe est un très bon service mais je dois dire que, généralement, les informations convenables que l'on recueille sur Minitel ne sont pas facturées très cher, qu'il faut donc les ranger dans les informations convenables car c'est tout ce qu'il y a de plus convenable que d'accéder au registre du commerce. »

Le tableau ci-après portant sur un échantillon de greffes de tailles diverses montre à quel point les produits télématiques ont pris une part importante dans le chiffre d'affaires réalisé par les greffes, notamment pour les plus importants d'entre eux : ainsi à Paris, les produits de la télématique ont supérieurs à celui du tarif et représentent 55 % du chiffre d'affaires total !

RÉPARTITION DU CHIFFRE D'AFFAIRES ET RÉSULTAT NET DE DIFFÉRENTS GREFFES EN 1996 (9)

(en francs)

Greffes

Produits télématiques

%

Produits greffe

%

Chiffre d'affaires total

Résultat net

Paris

89 940 536

55

73 587 712

45

163 528 248

39 189 904

Lyon

10 122 000

34

19 785 911

66

29 907 911

6 741 403

Bordeaux

7 694 133

36

13 681 944

64

21 376 077

5 684 074

Pontoise

12 015 866

55

9 831 163

45

21 847 029

10 128 436

Grenoble

3 854 330

23

11 974 195

77

15 558 525

5 337 044

Montpellier

3 930 871

32

8 394 762

68

12 325 633

4 180 447

Perpignan

2 003 979

23

6 786 207

77

8 790 186

2 852 944

Béziers

1 056 913

20

4 623 587

80

5 320 500

2 703 623

Lorient

1 311 125

25

3 868 688

75

5 179 813

2 659 614

Caen

1 461 563

25

4 487 628

75

5 949 191

1 739 549

Valenciennes

957 937

24

3 058 286

76

4 016 223

1 520 519

Gap

481 695

19

2 113 305

81

2 595 000

958 837

Agen

617 419

27

1 697 988

73

2 315 407

739 410

Douai

792 728

26

2 240 867

74

3 033 595

919 171

Bergerac

400 310

22

1 384 392

78

1 784 702

497 666

Saint-Dié

301 300

18

1 350 890

82

1 652 190

539 400

Abbeville

287 139

21

1 110 934

79

1 398 073

421 808

Rochefort

298 328

17

1 456 380

83

1 754 708

818 321

Manosque

270 812

18

1 229 188

82

1 500 000

697 500

Elbeuf

253 252

25

759 096

75

1 009 348

383 047

Eu-Le Tréport

81 509

12

625 104

88

706 613

229 269

Gray

167 280

26

467 171

74

634 451

321 501

Die

106 916

30

391 550

70

498 466

118 967

Les greffes tenus par des officiers publics et ministériels sont devenus, pour les plus importants d'entre eux, des entreprises extrêmement rentables basées sur un monopole légal et dégageant des bénéfices de plusieurs millions de francs.

La diffusion de renseignements par écran visuel a été autorisée, pour le seul registre du commerce et des sociétés par un arrêté du 9 février 1988. Mais ce texte n'encadrait en aucune façon cette diffusion.

Les serveurs télématiques ont été mis en place par les greffiers au moyen de groupements d'intérêt économique (GIE).

Les greffiers peuvent créer de telles structures conformément à l'article L. 821-1 du code de l'organisation judiciaire. Mais en aucun cas (cf. encadré supra), ils ne peuvent exercer leur profession sous forme de GIE. En effet, ces groupements ne peuvent avoir la qualité d'officiers publics et ministériels. Leur activité ne peut avoir qu'un caractère auxiliaire par rapport à l'activité de leurs membres (ordonnance n° 67-821 du 23 septembre 1967 relatif aux groupements d'intérêt économique).

Groupements de moyens, les GIE ne peuvent être autorisés en tant que tels à diffuser des données publiques, mission réservée aux seuls greffiers agissant ès qualité.

Par ailleurs, plusieurs serveurs ne se contentent pas de fournir des données légales, telles qu'on pourrait se les procurer au guichet des greffes. Ils peuvent présenter, par exemple, des ratios, des chiffres-clés, voire des renseignements sur les entreprises non immatriculées en France. En donnant de telles informations, les greffiers sortent de leurs prérogatives et drainent vers leurs serveurs des clients qui ne sont pas à la recherche des seules données légales. Or, leur qualité d'officier public et ministériel est difficilement compatible avec la recherche de profits dépourvus de base légale.

La Chancellerie, dans une circulaire en date du 28 octobre 1997, a relevé que des publicités pour l'un des serveurs étaient diffusées sur du papier filigrané officiel utilisé par les greffiers, tandis que certains répondeurs téléphoniques ou messageries vocales des tribunaux de commerce étaient programmés pour orienter les usagers sur les serveurs télématiques.

À titre de comparaison, on peut relever que les greffes des tribunaux de commerce d'Alsace et de Moselle, en raison de leur statut fonctionnarisé, ne peuvent être rattachés au GIE constitué par les greffiers des tribunaux de commerce dans les autres départements. Les informations dont ils disposent sont adressées à l'INPI, lequel est chargé de centraliser le registre national du commerce et d'en assurer la diffusion par sa base de données Euridile.

La mise en place du réseau télématique de greffes s'est effectuée progressivement depuis 1970.

La Chancellerie a laissé faire pendant des années permettant ainsi aux greffes d'accroître considérablement leurs revenus qu'ils ont tendance à considérer aujourd'hui comme des droits acquis, ce qui rend d'autant plus difficile le rétablissement d'une situation conforme aux principes du service public de la justice.



© Assemblée nationale

() « La refonte de la carte des tribunaux de commerce est la clé de toute amélioration pour la justice consulaire », Les petites affiches - 22 avril 1998 - n°48.

() « La réforme de la carte des juridictions consulaires : le bon grain de l'ivraie », Les petites affiches - 10 octobre 1997 - N°122.

() Article précité, Les petites affiches - 10 octobre 1997 - N°122

() Cité dans L'histoire critique des tribunaux de commerce, d'Ithurbide, 1970, p.166-167.

() Bernard Soinne, article précité.

() Cf. décret n° 88-814 du 12 juillet 1988 relatif à la nomination et à la cessation des fonctions des officiers publics et ministériels.

() Réponse au questionnaire de la commission faite par le Procureur général près la cour d'appel de Besançon.

() Les cessions des offices des greffiers de commerce obéissent aux règles rappelées dans la circulaire du garde des sceaux aux procureurs généraux en date du 21 mai 1976 relative à la constitution des dossiers de cession des offices publics et ministériels. Contrairement au régime antérieur de la circulaire du 14 août 1946 modifiée, le régime actuel n'impose aucune règle précise permettant de calculer de façon scientifique la valeur d'un office. En effet, il a été décidé de laisser les parties déterminer librement le montant de la finance de l'office, ce qui implique que les parquets ne peuvent plus imposer aux parties de révision du prix de cession.

() Après acquittement des charges sociales des greffes.