N° 1771
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 juin 1999.
PROPOSITION DE LOI
visant à défendre et à promouvoir les langues
et
cultures régionales.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Jean-Jacques WEBER,
Député.

Culture.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La diversité culturelle et linguistique est un atout pour la France comme elle est une richesse pour l'Europe. L'Union économique et monétaire se construit sous nos yeux, elle doit renforcer la prospérité de ses pays. Mais quels qu'en soient les fruits, qui ne voit qu'elle ne suffira pas à elle seule à susciter l'adhésion des peuples. L'Europe ne doit pas se réduire à un simple marché économique unifié. Elle sera sans vie si nous ne savons pas aussi construire l'Europe de la culture. Il est urgent de mettre en place le dialogue des cultures de l'Europe, de toutes les cultures.
La France, fidèle à ses traditions, se doit d'y jouer un rôle de premier plan. Elle n'assurera pleinement ce rôle qu'en s'appuyant sur sa propre richesse culturelle et linguistique. L'idée fait son chemin mais il n'est pas toujours aisé de surmonter certains réflexes nés de plusieurs siècles de jacobinisme. L'unification du pays passait par l'usage universel du français sur le territoire national ; l'uniformité linguistique était au c_ur du projet politique de la monarchie. Chacun sait que la Révolution a ouvert la voie au parachèvement de ce projet. Que l'on se souvienne du rapport de l'abbé Grégoire, ennemi des langues régionales, qui présenta en mai 1774 à la commission de l'instruction publique de l'Assemblée nationale un « rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française ».
Cette politique a réussi à faire de la France une République une et indivisible et, depuis deux cents ans, la République française est assurée sur ses bases. Désormais, c'est sur le plan strictement culturel que se place le débat et le risque n'est donc plus grand de donner satisfaction aux associations et à tous ceux qui réclament un statut pour les langues régionales dans la vie publique, les médias et l'enseignement.
Bien sûr, les autorités publiques de notre pays - Président de la République, Premier ministre - reconnaissent l'évidence et la légitimité de ces revendications.
Des dispositions ont été prises un peu partout dans l'Hexagone : conventions pour la prise en charge des enseignants entre l'Etat et les écoles bilingues alsaciennes, basques, béarnaises, bretonnes..., signalisation routière bilingue, chèques libellés en langue régionale acceptés par certaines banques, émissions diffusées par le service public audiovisuel en alsacien, corse, breton ou basque...
Mais aujourd'hui, il est nécessaire d'aller au-delà des bonnes intentions pour faire vraiment accepter l'exigence des langues minoritaires dans la vie quotidienne de la population.
La défense et la promotion des langues régionales n'est pas une revendication passéiste. La plupart des élus des régions y voient un outil du développement local favorisant l'ouverture sur nos partenaires européens. En aucune façon, la reconnaissance d'une langue régionale ne constitue un obstacle à la puissance économique d'une région, comme le montre l'exemple de la reconnaissance du catalan par l'Espagne. Au contraire, elle participe de son dynamisme en redonnant aux citoyens, avec la conscience de leur identité, le goût de vivre ensemble. La pratique du bilinguisme ne peut être qu'un facteur d'ouverture et d'insertion de la France dans l'Europe : il est en effet admis que le bilinguisme prédispose à un meilleur apprentissage des langues étrangères.
Afin de mettre en _uvre une réelle politique de défense et de promotion des langues régionales, il est proposé de créer un établissement public dénommé « Institut national des langues et cultures régionales ». Doté d'une autonomie et de moyens financiers propres, cet institut sera le fer de lance de cette politique. Il sera à l'écoute de tous ceux qui se sentent concernés par le nécessaire sursaut à donner aux langues régionales. Il apportera notamment son soutien à la presse rédigée toute ou partie, et aux émissions de radio ou de télévision en langues régionales. En effet, la vie quotidienne apparaît être un enjeu essentiel pour les langues régionales.Ces langues sont des langues vivantes, il faut donc redonner aux citoyens l'occasion de les entendre et de les parler.
C'est pourquoi il est aussi proposé que les secteurs public et privé de l'audiovisuel aient une responsabilité particulière dans la défense des langues régionales. Ainsi, les conventions liant les radios privées devront mentionner expressément leur contribution à la défense des langues régionales. Quant aux sociétés nationales de programmes, leurs cahiers des charges respectifs devront comprendre la production et la diffusion d'émissions en langues régionales, sous la forme de « décrochages » régionaux.
Enfin, la région étant sans aucun doute le niveau le plus adéquat pour apprécier les besoins et l'efficacité des moyens mis en _uvre en la matière, chaque année un rapport sera soumis à chaque conseil régional.
Ces propositions répondront aux aspirations des populations concernées. C'est pourquoi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Il est créé un établissement public administratif de l'Etat, doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, dénommé Institut national des langues et cultures régionales.

Article 2

L'Institut national des langues et cultures régionales a pour mission de mettre en _uvre et de coordonner les actions de défense ou de promotion des langues et cultures régionales.
Dans le cadre des orientations définies par le Gouvernement, et en liaison avec les régions, il est chargé d'appliquer les recommandations du conseil national des langues et cultures régionales.
Il est consulté et émet des avis sur la politique menée par les différents départements ministériels dans son domaine de compétence.
Il apporte son soutien financier à toutes actions innovantes conduites par les collectivités publiques ou les personnes privées.
Il organise chaque année une conférence nationale sur les langues et cultures régionales.
Pour accomplir ses missions, l'agence dispose d'une délégation dans chaque région.
Un décret d'application fixe les conditions d'application du présent article.

Article 3

Le conseil d'administration de l'Institut est composé :
a) de représentants de l'Etat ;
b) de représentants du Parlement ;
c) de représentants des collectivités territoriales ;
d) de personnalités qualifiées et de représentants d'associations de défense et promotion des langues et cultures régionales.
Un décret fixe les conditions d'application du présent article.

Article 4

Les recettes de l'Institut national des langues et cultures régionales comprennent :
- des subventions de l'Etat ;
- des subventions des collectivités territoriales et de toute collectivité publique ou tout organisme public ;
- des libéralités, dons, legs et leurs revenus ;
- toutes autres recettes autorisées par les lois en vigueur (droits d'auteur, droits de diffusion, piges, etc.).

Article 5

Après l'article L. 4231-4 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 4231-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4231-4-1. - Le président du conseil régional soumet au conseil régional un rapport annuel sur les moyens et les actions engagées pour le soutien aux langues et cultures régionales. »

Article 6

L'article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 12° La contribution à la défense et à la promotion des langues et cultures régionales.  »

Article 7

L'article 48 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans le cadre de leur mission culturelle, elles ont une responsabilité particulière en matière de défense et de promotion des langues et cultures régionales qui se traduira notamment par la réalisation et à la diffusion d'émissions en langues régionales. »

Article 8

Les charges éventuelles qui découleraient, pour les collectivités locales, de l'application de la présente loi sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement et de la dotation générale de décentralisation.
Les dépenses qui incomberaient à l'Etat sont compensées, à due concurrence, par une augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
N°1771. - PROPOSITION DE LOI de M. Jean-Jacques WEBER visant à défendre et à promouvoir les langues et cultures régionales (renvoyée à la commission des affaires culturelles)


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