N° 2090
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 janvier 2000.
PROPOSITION DE LOI
visant à autoriser la libre critique des actes de justice
et des décisions juridictionnelles.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG,
Député.

Droits de l'homme et libertés publiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'article 434-25 du nouveau code pénal, qui reprend pour l'essentiel les dispositions de l'article 226 de l'ancien code pénal, interdit, en réalité, de contester un acte ou une décision juridictionnelle.
La décision juridictionnelle est non seulement celle qui émane d'une juridiction répressive, mais aussi de toute juridiction quelle qu'elle soit : civile, administrative, commerciale, etc.
Quant à l'acte de justice, il s'agit en particulier des actes d'instruction et des actes du ministère public (classement sans suite, réquisition prononcée à l'audience, etc.).
Cette protection légale concerne donc aussi bien les magistrats du parquet que ceux du siège, comme le souligne le Pr André Vitu.
Enfin, elle s'impose tout à la fois aux citoyens, aux justiciables et aux journalistes de la presse écrite ou audiovisuelle.
L'article 434-25 est ainsi rédigé :
" Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 F d'amende.
" Les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d'une décision.
" Lorsque l'infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
" L'action publique se prescrit par trois mois révolus, à compter du jour où l'infraction définie au présent article a été commise, si dans cet intervalle il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite. "
Certes - et c'est un premier progrès par rapport à l'article 226 de l'ancien code pénal -, le domaine d'application de cette infraction a été utilement réduit. En effet, l'article 226 ne faisait exception que pour les commentaires purement techniques ou les actes, paroles ou écrits tendant à la révision d'une condamnation. Pour sa part, l'article 434-25, à son deuxième alinéa, étend cette exception à ce qui tend à la réformation et à la cassation d'une décision, c'est-à-dire aux voies de recours habituelles (appel et pourvoi en cassation).
Mais à cette exception près (appel, cassation, révision), on ne peut critiquer avec force ou désapprouver résolument un acte ou une décision juridictionnelle sans risquer d'être poursuivi, puis condamné pour " discrédit " porté sur ceux-ci et " atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ".
Théoriquement, l'article 434-25 punit seulement le fait de jeter le discrédit et non l'exercice normal de la critique exprimée en termes modérés et sans vivacité excessive. Mais la frontière est difficile à établir entre l'une et l'autre. Comme l'écrit le Pr Vitu, " la violence des termes employés, le caractère injurieux des expressions dont le prévenu s'est servi ne sont pas choses indispensables ".
Créée par l'ordonnance n° 58-1298 du 23 décembre 1958 (art. 17), reprise à l'article 226 de l'ancien code pénal puis, aujourd'hui, par l'article 434-25 du nouveau code pénal, cette incrimination de discrédit a été maintenue avec difficulté.
Ignorée du projet gouvernemental tendant à la création d'un livre IV du futur code pénal, cette incrimination avait été cependant admise en un premier temps par l'Assemblée nationale, puis abandonnée par celle-ci en seconde lecture. C'est au Sénat et à la commission mixte paritaire qu'est finalement dû le maintien de cette incrimination dans le code pénal.
Cette disposition du code pénal paraît pourtant abusive, même aux yeux de beaucoup de magistrats. Les actes de justice et les décisions juridictionnelles ne peuvent être revêtus d'un caractère sacro-saint. La catégorie de l'intouchable et du tabou est un archaïsme, étranger à la démocratie.
Cet article tend à faire des magistrats un corps réputé infaillible et insusceptible de se tromper, dont nul ne pourrait réellement examiner et discuter les actes et décisions. Hormis un petit groupe de spécialistes, dont les commentaires strictement techniques échapperaient, eux, aux poursuites par l'effet de l'immunité prévue au deuxième alinéa.
Au demeurant, plusieurs juristes s'interrogent sur la compatibilité de cette infraction avec l'article 10, alinéa 1, de la Convention européenne des droits de l'homme : " Toute personne a droit à la liberté d'expression ".
Les décisions des magistrats ne doivent plus échapper à une libre critique. En République, la liberté d'expression, et notamment celle de la presse, ne peuvent s'arrêter aux portes des prétoires.
La magistrature n'est pas d'une essence particulière et ses décisions ne peuvent échapper au débat public et à la critique légitime. Celles-ci ne peuvent être soustraites au libre examen et à la libre discussion, notamment par voie de presse.
Au nom de l'autorité sacro-sainte de la chose jugée, Zola aurait-il dû accepter la décision du conseil de guerre qui condamnait Dreyfus et celle qui acquittait Esterhazy ? Aurait-il dû s'autocensurer et s'interdire de publier " J'accuse... " dans l'Aurore du 13 janvier 1898 ? Et, hier, au nom de ce même principe, fallait-il s'interdire de contester le verdict de la cour d'assises dans l'affaire Omar Haddad ?
Les citoyens et en particulier les journalistes doivent pouvoir commenter librement les actes d'instruction ou de poursuite et les décisions de jugement. En République, l'autorité judiciaire ne peut être un pouvoir intouchable, insusceptible de toute véritable critique, notamment par voie de presse.
Aucune institution, aucune personne - même la justice et les juges - ne doivent échapper au libre examen ni à la liberté du débat.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous présentons la proposition de loi ci-après.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

L'article 434-25 du code pénal est abrogé.


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