N° 2314
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 avril 2000.
PROPOSITION DE LOI
tendant à permettre la mise en cause de la responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Yves NICOLIN, Claude BIRRAUX, Bernard ACCOYER, André ANGOT, Gauthier AUDINOT, Jean-Louis BERNARD, Jean BESSON, Roland BLUM, Victor BRIAL, Antoine CARRÉ, Henry CHABERT, Jean-Marc CHAVANNE, Jean-François CHOSSY, Henri de GASTINES, Bernard DEFLESSELLES, Franck DHERSIN, Dominique DORD, Nicolas DUPONT-AIGNAN, René GALY-DEJEAN, Claude GATIGNOL, Germain GENGENWIN, Claude GOASGUEN, Louis GUÉDON, Lucien GUICHON, Gérard HAMEL, Pierre HELLIER, Pierre HÉRIAUD, Patrick HERR, Henry JEAN-BAPTISTE, Édouard LANDRAIN, Pierre LELLOUCHE, François LÉOTARD, Jacques LIMOUZY, Alain MARLEIX, Patrice MARTIN-LALANDE Gilbert MEYER, Michel MEYLAN, Pierre MICAUX, Jacques MYARD, Jean-Marc NUDANT, Bernard PERRUT, Jean-Luc REITZER, Marc REYMANN, Jean RIGAUD, Jean ROATTA, Joël SARLOT, Bernard SCHREINER, Michel TERROT, Guy TEISSIER, Jean UEBERSCHLAG, Léon VACHET, François VANNSON, Gérard VOISIN et Michel VOISIN,

Députés.

Droit pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Lorsqu'un caïd de banlieue peut, sans risque, intimer l'ordre à un policier de " quitter son territoire ", c'est l'intégrité et les missions de la République qui sont menacées. Or, malgré les ballets médiatiques que le Gouvernement organise périodiquement sur le thème de la sécurité, le chiffre de la délinquance juvénile dans notre pays continue son inquiétante ascension (+ 12 % depuis deux ans), se traduisant par la multiplication des actes délictueux dans les centres-villes (y compris des régions rurales), la violence et l'introduction d'armes à l'école, la banalisation de la criminalité dans les banlieues.
En attendant qu'un futur Gouvernement s'attaque aux causes économiques et sociales de l'insécurité et donne réellement à notre appareil policier et judiciaire les moyens d'un traitement spécifique de la délinquance juvénile, il importe de rappeler aux parents leur mission essentielle d'éducation envers leurs enfants.
C'est pourquoi l'objet de cette proposition est de permettre au Parquet cette mise en cause de la responsabilité des parents de mineurs délinquants pour défaut d'éducation, tel que défini à l'article L. 227-17 du code pénal.
1. La hausse continue de la délinquance juvénile appelle notamment de nouvelles réponses pénales
L'observation des statistiques publiées par le ministère de l'intérieur fait ressortir trois tendances significatives :
- La croissance continue et soutenue de la part des moins de dix-huit ans impliqués dans des crimes et délits : à structure constante, cette part dans le total des mis en cause est passée entre 1988 et 1998 de 12 % à 21,77 %. La proportion des mineurs dans la délinquance de voie publique, que nos concitoyens ressentent douloureusement, a augmenté au même rythme, de 33,5 % en 1997 à 36 % en 1999.
- Un rajeunissement des mineurs auteurs d'infraction, peu étayé par les statistiques, mais couramment mis en exergue par l'ensemble des observateurs de la délinquance juvénile.
- Une délinquance plus violente, le nombre des mineurs auteurs de vols à main armée et de vols avec violence augmentant de manière très alarmante au cours des vingt dernières années. Ainsi en 1970, 30 % des vols avec violence sans arme à feu imputables à un mineur étaient constatés contre 43,4 % aujourd'hui.
Il a été recensé 1 088 quartiers " difficiles ", dont 132 " cités interdites ", soit au total plus d'un million et demi de personnes directement touchées par ce type de délinquance.
Les diagnostics et les propositions se sont multipliés sur le sujet depuis le rapport Peyreffite de 1977, sans que l'Etat ne réussisse à enrayer ce phénomène. Les vraies causes sont pourtant fréquemment montrées du doigt : une urbanisation inhumaine et anarchique à la périphérie de nos villes, la crise d'intégration des étrangers et des enfants issus de l'immigration, la régression sociale des jeunes générations depuis vingt ans liée à une politique de désinflation compétitive, un laisser-faire dans les cités par le recul de l'Etat garant de la sécurité et de l'égalité des droits.
La question de l'adaptation de notre système répressif lui-même, au traitement des mineurs délinquants est clairement posée, ceux-ci ayant opéré un calcul de risque : risque d'être pris, risque d'être poursuivi quand on est pris, risque d'être condamné quand on est poursuivi, risque d'exécuter la peine quand on est condamné.
2. L'irresponsabilité pénale des mineurs n'a aucune contrepartie juridique
A l'heure actuelle, les mineurs délinquants de moins de treize ans sont pénalement irresponsables et ne peuvent faire l'objet que de " mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation ".
A partir de treize ans, l'article 2 de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante précise que le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs " pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant leur paraîtront l'exiger, prononcer à l'égard du mineur âgé de plus de treize ans une condamnation pénale ".
A l'irresponsabilité pénale des mineurs devrait répondre une responsabilité pénale des adultes ayant autorité sur eux et en charge de leur éducation.
L'article 1384 du code civil prévoit déjà leur responsabilité civile du fait de leurs enfants mineurs, la seule exonération possible nécessitant qu'ils rapportent la preuve d'une faute de la victime ou d'un événement de force majeure. (Arrêt Bertrand, Cass. 2e civ, 19 février 1997.)
Au plan pénal en revanche, prévaut le principe général de responsabilité personnelle (art. 121-1 du nouveau code pénal : " Nul n'est responsable que de son propre fait "), auquel il n'est dérogé que dans le domaine très spécifique de l'entreprise où une responsabilité pénale pour autrui pèse sur son dirigeant pour les infractions dont se sont rendus coupables ses préposés.
Or, les parents sont à l'évidence les premiers responsables de l'éducation et de la moralité de leurs enfants et, par conséquent, du comportement que ceux-ci adoptent, au moins au cours de leur minorité, à l'égard des autres et de la société. C'est pourquoi, parmi les réponses pénales à la délinquance juvénile, il apparaît aujourd'hui indispensable d'agir en amont, c'est-à-dire dans la famille, par une prise de conscience des parents de leur responsabilité vis-à-vis de leurs enfants, à l'instar des législations dont se dotent peu à peu plusieurs de nos partenaires européens.
Ainsi, la loi anglaise de 1998 a institué l'ordonnance parentale qui a pour but de responsabiliser les parents d'enfants mineurs ayant déjà fait l'école buissonnière ou commis un délit, ayant été reconnus coupables d'actes antisociaux ou d'agression sexuelle, en les incitant, au moyen d'une ordonnance délivrée par le tribunal, à exercer leur autorité parentale afin d'éviter que ces enfants récidivent. De même, un projet de loi espagnol envisage, lui, l'engagement solidaire de la responsabilité civile des parents d'enfants âgés de moins de dix ans commettant un délit.
3. La mise en _uvre par le juge de la responsabilité pénale des parents de mineur délinquant pour défaut d'éducation est quasi impossible
L'article 227-17 du nouveau code pénal fait peser sur les parents une responsabilité pénale dans les cas où ils se soustrairaient, sans motif légitime, à leurs obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de leur enfant mineur. Cette infraction est punie de deux années d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende.
Elle permet de protéger certains enfants contre l'abandon matériel et moral dont pourraient se rendre coupables leurs parents mais, beaucoup plus rarement, de protéger la société contre les mineurs dont la moralité et l'éducation ont été compromises au point de sombrer dans la délinquance.
Le Garde des sceaux a adressé le 15 juillet 1998 aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une circulaire relative à la politique pénale en matière de délinquance juvénile, invitant les magistrats du parquet à s'appuyer davantage sur l'article 227-17, comme ultime recours, pour sanctionner les parents défaillants.
Toutefois, le ministère public peut difficilement poursuivre les parents de mineurs délinquants sur la base de l'article 227-17 dans la mesure où il lui faut établir clairement l'existence d'un lien de causalité entre, d'une part, l'abandon, l'absence de soins ou d'éducation et, d'autre part, l'infraction commise par le mineur.
4. En cas d'infraction grave commise par un mineur, le(s) titulaire(s) de l'autorité parentale sera(ont) présumé(s) responsable(s) d'un défaut d'éducation.
A notre époque où avoir un enfant ou non relève du libre choix, le moment est venu pour notre pays également de faire prendre conscience à chacune et chacun de sa responsabilité morale de parent, d'abord envers leur enfant mais aussi envers la société qui s'apprête à l'accueillir.
Il est donc proposé de faciliter la mise en _uvre de la responsabilité pénale parentale prévue à l'article 227-17 du code pénal en posant une présomption simple de manquement des parents à leurs obligations légales de santé, de sécurité, de moralité et d'éducation à l'égard de leurs enfants lorsque ceux-ci se rendent coupables ou complices d'un crime ou d'un délit.
Cette présomption de responsabilité pénale des parents ainsi posée n'empêchera nullement le juge d'apprécier souverainement l'opportunité et l'importance de la condamnation, eu égard par exemple à une situation de misère matérielle et morale extrême, telle que rencontrée récemment dans une affaire jugée à Mulhouse.
La politique de prévention, la police de proximité et l'îlotage, les contrats locaux de sécurité sont indispensables à la lutte contre la délinquance des mineurs pour autant toutefois qu'ils soient conjugués à un dispositif répressif adapté.
Parce que le droit à la sûreté proclamé par la Déclaration de 1789 est la première des libertés, il nous appartient d'adapter notre législation pénale sur la responsabilité parentale, conscients que la répression est une composante essentielle de la prévention.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi qu'il vous est demandé d'adopter.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Après le premier alinéa de l'article 227-17 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
" Lorsque le mineur s'est rendu auteur ou complice d'un crime ou d'un délit, le manquement du parent titulaire de l'autorité parentale à ses obligations légales définies à l'alinéa précédent est présumé. "

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N° 2314.- Proposition de loi de M. Yves Nicolin tendant à permettre la mise en cause de la responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants (renvoyée à la commission des lois).


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