N° 2497
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2000.

PROPOSITION DE LOI
visant à assouplir le régime des reports d'incorporation au
service national et à
anticiper la suspension de la conscription.
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. Jean de GAULLE, René ANDRÉ, André ANGOT, Pierre AUBRY, Jean AUCLAIR, Gautier AUDINOT, Léon BERTRAND, Jean BESSON, Michel BOUVARD, Philippe BRIAND, Christian CABAL, Richard CAZENAVE, Philippe CHAULET, Jean-Marc CHAVANNE, François CORNUT-GENTILLE, Alain COUSIN, Jean-Michel COUVE, Arthur DEHAINE, Patrick DELNATTE, Xavier DENIAU, Jean-Michel DUBERNARD, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Jean-Claude ÉTIENNE, Jean-Michel FERRAND, Robert GALLEY, Michel GIRAUD, Jacques GODFRAIN, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Lucien GUICHON, Jacques KOSSOWSKI, Jacques LAFLEUR, Robert LAMY, Alain MARLEIX, Jean MARSAUDON, Patrice MARTIN-LALANDE, Jacques MASDEU-ARUS, Mme Jacqueline MATHIEU-OBADIA, MM. Gilbert MEYER, Jean-Claude MIGNON, Charles MIOSSEC, Jean-Marc NUDANT, Jacques PÉLISSARD, Pierre PETIT, Jean-Bernard RAIMOND, Jean-Luc REITZER, Michel TERROT, Jean UBERSCHLAG, Léon VACHET, François VANNSON et Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

Députés.

Défense.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
En organisant la suspension progressive de la conscription, la réforme du service national initiée par la loi n°97-1019 du 28 octobre 1997 a engendré un certain nombre d'incohérences, d'inégalités, voire d'injustices. Elles touchent en particulier les jeunes gens nés avant le 1er janvier 1979 qui restent soumis aux obligations du service national actif. Beaucoup d'entre eux, en effet, avaient crû pouvoir échapper à un appel sous les drapeaux par le jeu des reports d'incorporation pour contrat de travail, prévus par l'article L. 5 bis A du livre II du code du service national. Accordés au cas par cas par une commission régionale, ces reports d'incorporation visent à favoriser l'insertion professionnelle et la réalisation de la première expérience professionnelle qu'une incorporation immédiate pourrait mettre en péril. Renouvelés jusqu'à la suspension effective de la conscription, ils pouvaient être assimilés par leurs bénéficiaires à une véritable dispense.
Qu'il s'agisse de la définition du public concerné par ces reports d'incorporation pour contrat de travail ou de la définition des critères de leur attribution et éventuel renouvellement, les dispositions fixées par la loi et éclairées par plusieurs circulaires ministérielles ont crée des situations particulièrement complexes et souvent injustes.
Ainsi, à la différence des jeunes gens titulaires d'un contrat de droit privé à durée déterminée (tels les emplois jeunes), les jeunes gens titulaires d'un contrat de droit public à durée déterminée (tels les contractuels préparant un concours administratif) ne peuvent bénéficier d'un quelconque report pour contrat de travail. C'est également le cas des jeunes gens titulaires de contrat de travail temporaire, même de longue durée, et des jeunes gens qui exercent une profession libérale.
A côté de ces exclusions du bénéfice des mécanismes de report, difficilement explicables, il convient de noter également que l'interprétation très restrictive des conditions d'accès à ces reports ont conduit, ces derniers mois, les commissions régionales à refuser un grand nombre des demandes initiales et, plus encore, à rejeter quasi-systématiquement les demandes de renouvellement de reports. Ces décisions entraînent pour nombre de jeunes gens nés avant 1979 des situations souvent très délicates.Sur la foi des informations données par le ministère de la Défense, beaucoup d'entre eux pensaient pouvoir bénéficier d'une dispense, grâce aux renouvellements de reports jusqu'en 2003. L'inflexion sensible que l'on constate aujourd'hui et que rien ne leur permettait d'anticiper risque d'interrompre subitement le début de leur vie professionnelle et de porter atteinte à leurs chances de retrouver, le moment venu, un emploi valorisant cette première expérience. Enfin, ces situations sont bien souvent extrêmement préjudiciables aux entreprises qui les emploient, en particulier dans les structures les plus réduites.
Il est certes nécessaire de pourvoir aux besoins des armées pendant la phase transitoire conduisant à la professionnalisation, mais, au regard des incohérences, des différences de traitement, voire des iniquités qui peuvent être constatées, il est difficilement acceptable que les jeunes gens, en raison de leur seule date de naissance, en supportent toutes les conséquences.L'exigence de justice vis-à-vis des jeunes gens nés avant 1979 appelle donc plusieurs mesures d'adaptation et d'assouplissement :
1. Anticiper la suspension effective du service national pour réduire une période de transition riche en inégalités
Cette disposition entend limiter au plus vite les inégalités nées de cette période intermédiaire courant jusqu'à la suspension de la conscription, fixée au 1er janvier 2003 par la loi précitée du 28 octobre 1997. L'article 1er de la présente proposition de loi prévoit donc d'avancer d'un an, au 1er janvier 2002, la date d'application de la suspension du service national.Ainsi que l'ont montré de récentes études du ministère de l'Emploi, la conjoncture économique extrêmement favorable limite grandement les risques d'accroissement de chômage des jeunes que pourrait induire cette mesure d'anticipation. Bien au contraire, tout laisse à penser qu'en enrichissant substantiellement le marché du travail, son effet soit très bénéfique sur l'emploi et l'activité économique, notamment dans les secteurs actuellement confrontés à des pénuries de main-d'_uvre. L'armée, qui a déjà prouvé sa remarquable capacité d'adaptation saura sans nul doute, faire face à ce nouveau contexte en accélérant en conséquence le processus de professionnalisation.
Au-delà de cette mesure hautement symbolique, il apparaît nécessaire de proposer, en parallèle, quelques aménagements sensibles des dispositifs existants de report, en élargissant les conditions d'octroi et en assouplissant les critères d'attribution.
2. Assouplir les conditions d'octroi des reports d'incorporation pour contrat de travail
L'article L. 5 bis A du code du service national a prévu un régime particulier de report d'incorporation pour les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail de droit privé à durée indéterminée ou à durée déterminée (d'au moins six mois). Mais, le législateur a laissé à une commission régionale le soin d'apprécier au cas par cas, sur la base de critères peu explicites, l'opportunité d'un tel report et celle de son renouvellement éventuel.
Parce qu'il est tout aussi nécessaire d'en finir avec les différences de traitement selon les régions qu'avec certaines incohérences ou injustices fréquemment constatées, l'article 2 de la présente proposition de loi prévoit donc une refonte totale des règles encadrant l'accès à ce régime de report. Il suggère en particulier :
- l'attribution de plein droit d'un report d'incorporation pour contrat de travail à durée indéterminée pour une durée d'un an, renouvelable automatiquement sous réserve, pour le demandeur, de présenter chaque année au bureau du service national dont il relève une attestation dûment complétée par l'employeur;
- l'attribution, de plein droit également, d'un report d'incorporation pour contrat de travail à durée déterminée d'au moins six mois, dans la limite de dix-huit mois;
- la création d'un report d'incorporation supplémentaire qui pourrait être accordé par une commission régionale à tous les jeunes gens dont l'incorporation immédiate nuirait gravement à leurs perspectives d'insertion et d'évolution dans le monde du travail. Cette possibilité nouvelle, ouverte à tous, permettrait notamment d'éviter que les ruptures anticipées de contrat de travail ou les changements d'employeurs n'entraînent, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, la cessation du report et l'incorporation immédiate, aux conséquences parfois bien lourdes. Ce report supplémentaire serait en particulier accessible à tous les jeunes gens qui, à l'issue d'un premier report pour contrat à durée déterminée, n'ont pu obtenir de contrat à durée indéterminée. Il permettrait à ces jeunes gens, qui ont ainsi pris pied sur le marché du travail, de bénéficier d'une chance supplémentaire de valoriser cette première expérience et de confirmer leur intégration professionnelle. Enfin, ce report exceptionnel serait ouvert à tous les jeunes gens ayant épuisé leurs reports pour études (art. L. 5-2° et L. 5 bis du code du service national) mais dont l'incorporation immédiate nuirait sensiblement à la maîtrise de compétences fortement évolutives et, partant, à leurs chances de trouver, une fois le service national effectué, un emploi conforme à leurs attentes et à leur formation devenue en partie obsolète. C'est le cas notamment des jeunes gens diplômés en informatique.
3. Élargir les possibilités de reports d'incorporation pour motif professionnel aux jeunes gens exerçant une profession libérale, aux titulaires de contrat de travail temporaire et aux titulaires de contrat de travail de droit public à durée déterminée
Les reports d'incorporation pour motif professionnel sont actuellement limités aux seuls titulaires de contrats de travail de droit privé à durée indéterminée et déterminée.
Ce champ d'application limité exclut donc tous les jeunes gens ayant fait le choix d'un exercice libéral de leur profession. C'est le cas, par exemple, des jeunes infirmiers libéraux (à la différence de leurs collègues employés dans une clinique privée) ou des jeunes avocats non salariés (à la différence des juristes d'entreprise). L'article 2 (3°) de ce texte propose d'élargir aux jeunes gens exerçant une profession libérale depuis plus de trois mois le bénéfice d'un report d'incorporation de plein droit, renouvelable automatiquement chaque année.
Par souci de justice, cette proposition de loi prévoit également, dans son article 2 (2°) d'ouvrir un droit à report d'incorporation au bénéfice explicite des jeunes gens titulaires d'un contrat de travail temporaire d'une durée d'au moins six mois et des jeunes gens titulaires d'un contrat à durée déterminée de droit public. Il est proposé de faire bénéficier ces deux catégories, actuellement exclues du dispositif de report, du même régime que les titulaires de contrat à durée déterminée de droit privé.
4. Assouplir les règles de dispense du service national applicables aux chefs d'entreprise
En vertu de l'article L. 32 (8°), une dispense des obligations militaires peut être accordée aux jeunes gens, chefs d'une entreprise depuis deux ans au moins, sous la réserve expresse que leur incorporation entraîne la cessation de l'activité de l'entreprise et ait des conséquences sur l'emploi de ses salariés. A l'heure de la "nouvelle économie", certaines entreprises encore toute récentes, dirigées par de jeunes gens n'ayant pas encore satisfait aux obligations militaires, voient aujourd'hui leur existence remise en cause par la perspective de cet appel sous les drapeaux. Afin d'éviter des conséquences fâcheuses pour le dynamisme de notre économie et pour l'emploi, la présente proposition de loi entend assouplir, dans son article 3, les conditions d'accès à cette dispense, en ramenant l'âge minimal de l'entreprise à un an au lieu de deux.

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Ces dispositions de bon sens entendent rendre plus lisibles et plus souples les règles encadrant l'attribution des reports d'incorporation. Visant à répondre aux situations incohérentes et manifestement injustes qui ont pu être constatées ces derniers mois par un grand nombre de parlementaires, elles ont pour ambition de rendre la période transitoire conduisant à la professionnalisation des forces armées la plus équitable et la moins complexe possible. Compatibles avec les exigences de notre armée, elles répondent à une véritable attente des 300000 sursitaires, de leur famille et bien souvent de leurs éventuels employeurs, comme aux besoins de notre économie et du marché de l'emploi.
Pour toutes ces raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Dans le deuxième alinéa de l'article 2 de loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national, substituer à l'année : "2003", l'année : "2002".

Article 2

L'article L. 5 bis A du code du service national est ainsi rédigé :
"Art. L. 5 bis A. - Les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail de droit privé à durée indéterminée, obtenu moins de trois mois avant la date d'expiration du report d'incorporation qu'ils détiennent, conformément aux dispositions prévues par les articles L. 5 (2°), L. 5 bis ou L. 5 bis A (2°), bénéficient de plein droit d'un report d'incorporation d'une durée d'un an. Ce report est renouvelable automatiquement sous réserve, pour les bénéficiaires, de présenter, chaque année, au bureau du service national dont ils relèvent, une attestation dûment complétée par l'employeur. Ce report cesse dès qu'il est mis fin au contrat de travail en cours.
"Les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée de droit privé ou de droit public, ou d'un contrat de travail temporaire d'une durée au moins égale à six mois, conclu au moins trois mois avant la date d'expiration du report d'incorporation qu'ils détiennent conformément aux dispositions prévues par les articles L. 5 (2°) ou L. 5 bis, bénéficient de plein droit d'un report d'incorporation jusqu'au terme du contrat de travail, dans la limite de dix-huit mois. Ce report cesse automatiquement en cas de rupture anticipée du contrat de travail.
"Les jeunes gens qui relèvent, au mois trois mois avant la date d'expiration du report d'incorporation qu'ils détiennent conformément aux dispositions prévues par les articles L. 5 (2°) ou L. 5 bis, de la caisse nationale des barreaux français ou de l'une des sections professionnelles de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales, telles que mentionnées aux articles L. 642-1 et L. 723-1 du code de la sécurité sociale bénéficient de plein droit d'un report d'incorporation d'une durée d'un an. Ce report est renouvelable automatiquement sous réserve, pour les bénéficiaires, de pouvoir justifier, chaque année, auprès du bureau du service national dont ils relèvent, de cette affiliation. Ce report cesse dès qu'il est mis fin à l'affiliation à l'une de ces caisses de retraite et de prévoyance.
"Au terme des reports d'incorporation prévus par les articles L. 5 (2°), L. 5 bis A (1°, 2° et 3°) et L. 5 bis, un report d'incorporation supplémentaire peut être accordé par la commission régionale définie à l'article L. 32 (10°) aux jeunes gens dont l'incorporation immédiate mettrait en péril la réalisation d'une première expérience professionnelle ou nuirait gravement aux perspectives d'insertion et d'évolution dans le monde du travail, en particulier lorsque les compétences acquises par le demandeur lors de ses années d'étude ou de formation professionnelle sont fortement évolutives."

Article 3

Dans le huitième alinéa de l'article L. 32 du code du service national, les mots : "depuis deux ans" sont remplacés par les mots : "depuis un an".
2497 - Proposition de loi de M. Jean de Gaulle visant à assouplir le régime des reports d'incorporation au service national et à anticiper la suspension de la conscription (commission de la défense).


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