N° 2848
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 janvier 2001.
PROPOSITION DE LOI
relative à la sécurité dans les ensembles immobiliers.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Georges SARRE,
Député.

Logement.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le droit que tous les citoyens possèdent, en République, de vivre en sûreté, implique notamment que toute personne puisse jouir du logement qu'elle loue ou possède d'une manière normale, c'est-à-dire sans être exposée aux incivilités et aux nuisances occasionnées par d'autres occupants. Or, ces dernières années, et parallèlement à l'augmentation générale des actes d'incivilité, chacun a pu constater la dégradation des rapports locatifs, en premier lieu dans les grands ensembles immobiliers à caractère social, mais aussi, d'une manière plus générale, dans tous les types de groupes d'immeubles.
Les troubles les plus fréquemment constatés sont ceux liés au bruit, à la dégradation volontaire des immeubles et du matériel y afférant (ascenseurs, minuteries et digicodes), et au stationnement de groupes de personnes dans les parties communes des immeubles, présence prolongée qui revêt parfois un caractère d'intimidation, lorsqu'elle ne donne pas lieu à divers actes de petite délinquance. Ainsi, il est manifeste que dans certains ensembles immobiliers le sentiment d'insécurité engendre des logiques de ghettoïsation qui vont à l'encontre de l'objectif de mixité sociale des quartiers.
Face à cette situation, les organismes bailleurs sont singulièrement démunis. En effet, le règlement intérieur qui existe dans certains immeubles ou groupes d'immeubles n'a qu'une valeur juridique limitée, puisqu'il n'est pas annexé au bail. De plus, nombre d'actes d'incivilité, ressentis comme tels par les occupants, n'entrent pas dans le champ d'application du code civil ou du code pénal. Enfin, dans l'état actuel du droit, un bailleur ne peut se porter partie civile contre un de ses locataires que s'il a subi lui-même un préjudice direct, de sorte que les locataires victimes de violences ou d'intimidation, ne se sentant pas soutenus, hésitent à porter plainte par peur de représailles.
L'accord-cadre mis en place par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur, et l'Union nationale des fédérations d'offices HLM, le 21 mars 2000, « pour une meilleure sécurité des quartiers d'habitat social », visait clairement à établir une coopération renforcée entre les pouvoirs publics et les bailleurs sociaux pour garantir le droit à la sécurité des locataires. Il faut désormais aller plus loin par la voie législative.
La présente proposition de loi a un champ d'application étendu. En effet, la législation en vigueur ne distingue pas entre un bailleur social et un autre type de bailleur privé. Dès lors, et à juste titre, puisque les nuisances et incivilités n'épargnent pas les autres types d'immeubles, y compris « de standing », les dispositions de la présente proposition ont effet sur tous les ensembles immobiliers.
Que prévoit ce texte ? Tout d'abord, il établit l'obligation pour le bailleur de rédiger un règlement intérieur ayant valeur contractuelle, et pour le locataire de signer celui-ci en même temps que le contrat de location. Plutôt que de rédiger un règlement national qui aurait été décliné par chaque bailleur de manière particulière, avec les risques de contentieux qui en découlaient, il nous a semblé opportun de permettre au bailleur soit de se doter d'un règlement-type valable dans tous les immeubles qu'il gère, soit d'en établir un par groupe d'immeubles.
Ensuite, afin de conférer une portée réelle à ce règlement, les gardiens d'immeubles peuvent être assermentés, si le bailleur qui les emploie le désire. Ainsi, ils pourront dresser procès-verbal aux personnes qui contreviennent au règlement intérieur. Bien évidemment, le produit des indemnités perçues n'a pas vocation à alimenter la trésorerie des organismes bailleurs : aussi, il devra être affecté à un compte spécifique et utilisé uniquement pour des travaux d'utilité collective tels que la réfection, la rénovation, l'entretien courant et la sécurisation des immeubles.
Il est patent que dans certains immeubles ou groupes d'immeubles l'équilibre des relations inter-individuelles et la tranquillité des habitants sont parfois mis en péril par un très petit nombre d'individus, voire par un seul. Aussi, un autre point central du dispositif consiste à établir un mécanisme gradué de sanctions permettant au bailleur, en ultime recours, de prononcer la résiliation du bail et l'expulsion d'un locataire dont les agissements répétés dégradent la qualité de la vie dans un immeuble donné, et ce dans le respect des droits du locataire. C'est pourquoi, compte tenu de la gravité de la sanction finale possible, ce mécanisme doit être placé sous le contrôle du juge. Ainsi, dans un premier temps, le bailleur peut solliciter le juge d'instance pour qu'il intime l'ordre au locataire de cesser les troubles. Cette injonction peut être prononcée sous astreinte financière provisoire, le juge fixant une sorte de délai d'observation destiné à voir si le comportement du locataire change. Ce n'est qu'au terme de ce délai, et d'un délai de recours ouvert au locataire destinataire d'une ordonnance de résiliation du bail et d'expulsion, que celle-ci devient définitive.
La présente proposition entend également lutter contre l'occupation anormale des aires de circulation à l'intérieur des ensembles immobiliers, autrement dit contre les rassemblements prolongés d'individus qui stationnent dans les halls, les entrées, les parkings ou les autres parties communes, induisant un sentiment d'insécurité qui tient soit à leur attitude menaçante ou hostile, soit aux petites infractions et actes inciviques commis dans ce contexte. Un premier pas avait été franchi dans ce sens avec le vote de la loi du 6 janvier 1999 sur les chiens d'attaque et de défense, qui interdit leur stationnement dans les parties communes des immeubles. Il importe d'aller plus loin en qualifiant comme infraction punissable d'une contravention de la troisième catégorie tout rassemblement intempestif.
Il a également paru souhaitable de renforcer la protection et l'aide apportées aux locataires victimes d'agressions ou de nuisances en autorisant le bailleur à se porter partie civile par subrogation ou aux côtés de ceux-ci. De même, les dispositions tendant à faciliter la recherche de la preuve devraient permettre aux organismes bailleurs, par une coopération plus étroite avec la police, d'exercer leurs droits à l'encontre des fauteurs de trouble.
Ainsi, ces dispositions équilibrées, puisqu'elles respectent les droits des locataires et placent l'ensemble des procédures entre les mains du juge, devraient permettre l'amélioration sensible des conditions de vie dans les grands ensembles immobiliers, en particulier sociaux, de responsabiliser les citoyens qui y logent en réprimant des incivilités qui n'ont jusqu'à présent pas de qualification juridique, et d'éviter la dégradation matérielle sensible de certains grands ensembles dont les bailleurs ne peuvent plus assurer l'entretien normal.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir les adopter.

PROPOSITION DE LOI
Chapitre Ier
Dispositions générales
Article 1er

Tout locataire d'un ensemble d'habitation a le droit de vivre paisiblement et en sécurité à l'intérieur de son logement ainsi que dans les parties communes des immeubles collectifs. L'exercice de ce droit implique des droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires, qui doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives.

Article 2

Les dispositions de la présente loi sont d'ordre public. Elles s'appliquent à tous les rapports entre locataires et bailleurs, sans exception. Leur objectif est de lutter contre les troubles de voisinage et les incivilités.

Chapitre II
Règlement intérieur
des ensembles immobiliers - Assermentation des gardiens

Article 3

Chaque ensemble immobilier, ou chaque bailleur pour l'ensemble des immeubles qu'il possède, élabore un règlement intérieur ayant valeur contractuelle. Pour être opposable au locataire, ce règlement doit être inclus dans son intégralité dans le contrat de location et signé par le locataire à l'entrée dans les lieux. Toute modification ultérieure du règlement par le bailleur donne lieu à la signature, par le locataire, de l'avenant correspondant ou du nouveau règlement.

Article 4

Les gardiens d'immeubles pourront prêter serment devant le juge du tribunal d'instance dans le ressort duquel ils exercent et seront habilités à dresser des procès-verbaux à l'encontre des locataires qui contreviendraient aux dispositions du règlement de leur immeuble, à l'exception de tout autre type d'infraction. Le produit des indemnités, affecté à un compte spécifique ouvert par le bailleur, ne pourra être utilisé par lui qu'à des travaux de réfection, de rénovation, d'entretien ou de sécurisation des ensembles immobiliers lui appartenant.

Article 5

L'avant-dernier alinéa de l'article 4 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs est abrogé.

Chapitre III
Injonction judiciaire
Article 6

En cas d'infractions répétées au règlement, le bailleur pourra, par requête du juge d'instance, solliciter qu'il soit fait injonction au locataire de cesser les troubles.

Article 7

Si, au vu des documents produits, la demande lui paraît fondée, le juge d'instance rend une ordonnance portant injonction au locataire, sous astreinte financière provisoire, de cesser tout trouble de voisinage.
L'ordonnance mentionne en outre les lieux jour et heure de l'audience à laquelle l'affaire sera examinée, à moins que le demandeur n'ait fait connaître que l'injonction a été exécutée.
Un délai minimum de deux mois et maximum de quatre mois séparera l'injonction de l'audience, afin de permettre au juge d'apprécier si l'injonction a bien été observée.
Il appartiendra au juge, dans le cadre des dispositions de l'article 36 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, au vu des éléments du dossier, à la demande du bailleur, de rendre définitive l'astreinte dans le délai susvisé.
En cas de non-paiement de l'astreinte, le juge pourra de nouveau être saisi soit par le propriétaire, soit par le locataire. Au vu des éléments produits, le juge pourra prononcer, à la demande du bailleur, la résiliation du bail et l'expulsion.
Le locataire, destinataire de l'injonction, s'il entend contester les motifs de celle-ci, pourra, dans les quinze jours de la notification par huissier, à la requête du bailleur, saisir le tribunal d'instance par simple requête déposée au greffe. Dans ce cas, le juge statue comme en matière ordinaire, et, au vu des éléments produits, pourra soit mettre un terme à l'injonction, soit l'aménager quant à son montant, soit, à la demande du bailleur, prononcer la résiliation du bail et l'expulsion.

Chapitre IV
Contravention de 3e classe pour l'occupation anormale
des aires de circulation à l'intérieur d'un ensemble immobilier

Article 8

Les rassemblements ou attroupements qui troublent la tranquillité d'autrui ou lui causent une nuisance, lorsqu'ils se produisent dans les entrées, parties communes et aires de circulation d'un immeuble ou groupe d'immeubles, sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe. Les bruits ou tapages troublant la tranquillité d'autrui sont punis des mêmes amendes.

Chapitre V
Constitution de partie civile du bailleur
Article 9

Après l'article 2-19 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-20 ainsi rédigé :
« Art. 2-20.- En cas d'infraction pénale commise par un locataire au préjudice d'un autre locataire, d'un préposé ou d'un prestataire de service du bailleur, dans le périmètre d'application du règlement intérieur, le bailleur pourra exercer les droits reconnus à la partie civile au lieu et place de la victime, ou se constituer partie civile à ses côtés. »

Chapitre VI
Dispositions tendant à faciliter la recherche de la preuve
Article 10

A la demande écrite d'un bailleur, le commissariat de police compétent informera celui-ci, ou l'un de ses représentants, des différents rapports ou procès-verbaux dressés à l'intérieur du périmètre d'application du règlement intérieur.

Article 11

Au vu des éléments présentés, le parquet autorisera la communication des procès-verbaux ou rapports de police.

Article 12

Le juge d'instance saisi par requête pourra, à la demande du bailleur, ou d'un locataire, désigner un huissier constatant, avec pour mission de recueillir, à l'intérieur du périmètre d'application du règlement, toutes informations concernant les auteurs de troubles de jouissance, l'huissier conservant, au rang de ses minutes, un premier original du constat comportant l'identité des témoins, et ne délivrant, à la partie requérante, qu'un second original dépourvu de toutes identités des personnes entendues. La copie du premier original devra être transmise au parquet à sa demande. Ce constat ne constituera - dans le cas de son utilisation à l'appui d'une procédure pour trouble de jouissance - qu'un commencement de preuve.
2848 - Proposition de loi de M. Georges Sarre relative à la sécurité dans les ensembles immobiliers (commission des lois)


© Assemblée nationale