N° 3019
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 avril 2001.
PROPOSITION DE LOI
tendant à assurer les droits sociaux des marins.
(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. André ASCHIERI, NoËl MAMÈRE, Mme Marie-HélÈne AUBERT, MM. Yves COCHET et Jean-Michel MARCHAND,

Députés.

Transports par eau.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les conditions de vie et de travail des marins de commerce et de la pêche ne cessent de se dégrader au niveau international. Tel est le constat dressé par ITF (International Transport workers Federation) et les associations caritatives qui travaillent dans les ports.
Abandon d'équipages impayés sur des navires bloqués pour des raisons variables (abandons, saisies commerciales, détention pour des raisons de sécurité, arraisonnements) sont chaque jour les manifestations d'un non-respect des droits de l'homme qui cache une situation quotidienne dramatique : exploitation de l'homme au profit d'armateurs sans scrupules, maltraitance à la limite de l'esclavage.
La France possède la deuxième zone maritime économique exclusive mondiale : elle a un rôle majeur à jouer pour modifier cette situation au-delà de ses frontières territoriales. La réalité des conditions sociales des marins est méconnue et apparaît parfois au détour d'un autre événement, plus médiatique : le naufrage de l'Erika attire l'attention sur les compétences des équipages, l'échouage des réfugiés kurdes à Saint-Raphaël pose la question de la composition de l'équipage.
Cet aspect anecdotique d'un problème complexe cache une multitude de situations humaines et économiques : le devenir des marins abandonnés et de leurs proches après leur retour au pays d'origine, la situation des familles ayant perdu un de leurs proches en mer, les sévices et abus des marins à bord de navires de commerce et de pêche, la pêche illégale à la légine qui cause des cas répétés d'abus de marins, les bateaux ramasseurs au Sénégal embarquant des piroguiers dans des conditions peu sûres, des stewardess malgaches maltraitées, des équipages russes abandonnés en raison d'irrégularités contractuelles, ...
La France n'est pas épargnée par ce phénomène international. Le Kifangondo au Havre, l'Obo Basak à Dunkerque, l'Oscar Jupiter à Nantes, ou le City of London à Marseille, chaque année les noms de nouveaux navires abandonnés viennent s'ajouter à la liste des navires bloqués et abandonnés.
La France doit dépasser cet état de constat et organiser un travail de prévention et de contrôle sur les marins abandonnés et les droits sociaux des équipages en général. La législation sociale doit s'adapter aux réalités de la navigation maritime internationale et à la nécessité de mieux défendre les droits des marins évoluant dans ce contexte. Ainsi, nous proposons de renforcer les pouvoirs des tribunaux français pour que ceux-ci soient compétents pour juger des différends, et notamment des différends portants sur le versement des salaires entre les marins d'un navire étranger en escale dans un port français et leur armateur. Le juge français pourra ainsi statuer sur le respect par l'armateur des lois et règlements internationaux.
D'autre part, pour être efficace, les propositions françaises devront avoir un rayonnement international et en premier lieu européen. Ainsi, les mesures tendant à renforcer les contrôles dans les zones maritimes françaises et les possibilités d'arraisonner les navires qui ne respecteraient pas les normes internationales permettent autant que faire se peut de contrôler les nombreux équipages transitant par les eaux territoriales françaises. Enfin, la France prendra les initiatives nécessaires au plan européen et international pour promouvoir ces solutions et veiller à leur mise en application.
Enfin, la création d'un Observatoire des droits des marins renforcera tant le travail des autorités que celui des organisations non gouvernementales. Ce projet, porté par le Centre de droit maritime et océanique de l'université de Nantes, s'inscrira dans un réseau international et cherchera à se relier à d'autres initiatives similaires, en particulier les réseaux francophones existant depuis une quinzaine d'années en Afrique et dans l'océan Indien. Il sera chargé de rassembler toutes informations utiles sur la situation des marins aux niveaux national et international, particulièrement lorsqu'ils sont à bord de navires en état d'abandon ou en grande difficulté, et les diffusera pour faciliter la défense des droits des marins.
Il émettra des avis sur les projets de textes législatifs et réglementaires dont il sera saisi par le Premier ministre et présentera, de sa propre initiative, des recommandations sur les textes communautaires et internationaux relatifs à la protection des marins.
La composition et les modalités de fonctionnement de l'Observatoire des droits des marins seront fixées par décret en Conseil d'Etat.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Le Gouvernement français prendra des initiatives internationales, notamment au niveau des pays de la Communauté européenne, pour qu'à compter du 1er janvier 2002, au plus tard, l'accès des navires ne présentant pas de garanties sociales reconnues soit interdit dans les ports de ces pays et pour étendre, dans les plus brefs délais, les mesures de la présente loi aux pays de la Communauté européenne.

Article 2

Tout navire qui envisage d'entrer dans les eaux territoriales françaises pour transit ou pour escale doit transmettre aux services de sécurité les indications sur les contrats de travail de son équipage. Ceux-ci doivent être conformes aux règles du Bureau international du travail.
Si le navire n'est pas en mesure de produire les documents nécessaires, il peut être arraisonné et, le cas échéant, refoulé par les autorités maritimes.
Lors du contrôle d'un navire dans un port français, les inspecteurs devront vérifier les temps de travail, les temps de repos et les conditions de travail et de repos de tous les membres de l'équipage, y compris le capitaine du navire.
Un navire dont les membres de l'équipage, y compris le capitaine et ses adjoints, n'ont pas pris le temps réglementaire de repos prévu par la Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, telle que modifiée en 1995, ne pourra pas appareiller.

Article 3

Les tribunaux français sont déclarés compétents pour juger des différends, et notamment des différends portant sur le versement des salaires entre les marins d'un navire étranger en escale dans un port français et leur armateur. Le juge français pourra statuer sur le respect par l'armateur des règles fixées par le Bureau international du travail. Ils sont compétents pour élever les créances des marins afin d'en favoriser le recouvrement.

Article 4

Il est créé un Observatoire des droits des marins chargé de rassembler toutes informations, données, analyses, études et recherches sur la situation des marins aux niveaux national et international, particulièrement lorsqu'ils sont à bord de navires en état d'abandon ou en grande difficulté.
Il diffuse toutes informations permettant la défense des droits des marins.
Il émet des avis sur les projets de textes législatifs et réglementaires dont il est saisi par le Premier ministre et présente, de sa propre initiative, des recommandations sur les textes communautaires et internationaux relatifs à la protection des marins.
La composition et les modalités de fonctionnement de l'Observatoire des droits des marins sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Article 5

Dans les deux ans de la publication de la présente loi, le Gouvernement présentera un rapport au Parlement sur le bilan d'application de la présente loi, sur les moyens mis en _uvre pour assurer la formation des personnels chargés de l'inspection et du contrôle du travail maritime et des navires et sur les moyens de contrôle portuaires et leur éventuel renforcement.

Article 6

L'aggravation des charges de l'Etat, qui pourrait résulter de la mise en _uvre des dispositions prévues ci-dessus, est compensée par une augmentation, à due concurrence, de consommation sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
3019 - Proposition de loi de M. André Aschieri tendant à assurer les droits sociaux des marins (commission de la production)


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