Tome II : La lutte contre le blanchiment des capitaux en France : un combat à poursuivre Volume 1 - Rapport et annexes
(2ème partie).
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IV.- LA SITUATION DANS LE SUD-EST 162

A.- LE SUD-EST, TERRE D'ACCUEIL DE LA CRIMINALITÉ ÉCONOMIQUE 163

1.- Une économie infiltrée par les capitaux suspects 163

2.- Des professionnels encore trop peu concernés 168

a) Les agents immobiliers 168

b) Les notaires 169

3.- Des mécanismes juridiques pleinement exploités 171

a) La représentation fiscale 171

b) Le recours aux sociétés civiles immobilières 173

B.- DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES AFFAIBLIES 179

1.- La pénétration du sud-est par les organisations criminelles 179

2.- L'inamovibilité pernicieuse des magistrats dans le sud-est 185

3.- Une délinquance financière impunie 189

a) L'absence de priorité accordée à la lutte contre la délinquance financière 189

b) Des moyens insuffisants 191

4.- Une situation judiciaire très dégradée 196

a) Les dossiers s'enlisent 197

b) Les dossiers se perdent 206

c) Des dessaisissements inhabituels 209

propositions de la Mission pour renforcer la lutte contre le blanchiment 215

CONCLUSION générale 221

EXAMEN DU RAPPORT 237

EXPLICATIONS DE VOTE 243

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE U.D.F. 245

ANNEXES 247

IV.- LA SITUATION DANS LE SUD-EST

La France n'est pas à l'abri de l'infiltration de son économie par les capitaux d'origine crapuleuse. Le blanchiment qui se réalise dans notre pays est un blanchiment élaboré qui utilise des mécanismes juridiques et financiers qui vont permettre l'intégration finale, dans l'économie honorable, des revenus et avoirs issus d'activités criminelles.

Si l'on observe la répartition des principaux tribunaux destinataires des dossiers de signalement de TRACFIN, on s'aperçoit que les juridictions de la région parisienne sont très fortement sollicitées (65 % du total des affaires dont plus de 50 % pour Paris) et que viennent ensuite les tribunaux de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (20 % du total des affaires dont 12 % pour Nice) 1, puis ceux de Lille (4 %) et de Bordeaux et Strasbourg (3 %).

Comme le précise le rapport de TRACFIN, « ce constat ne saurait servir de base à une éventuelle cartographie du blanchiment en France, mais il permet au moins une approche partielle de la localisation de ce phénomène dans l'espace national. »

Ainsi, le Midi de la France constitue-t-il une des régions parmi d'autres touchées par le phénomène du blanchiment.

La lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux se pose avec une acuité particulière dans le sud-est. La pénétration criminelle dans cette région reste difficile à évaluer, mais elle est régulièrement dénoncée, depuis une dizaine d'années, par certaines autorités administratives ou judiciaires qui, par ailleurs, s'indignent des blocages ou des paralysies observés dans le fonctionnement des institutions de la République, chargées pourtant de combattre cette délinquance astucieuse.

On ne s'attardera pas sur les raisons qui conduisent à préférer le soleil du midi aux brumes du nord de la France, ni sur l'intérêt que peut présenter une zone frontalière pour les criminels.

On ne s'étonnera pas non plus de la très grande vitalité du secteur de l'immobilier et de la pression considérable qui s'exerce sur les valeurs foncières, lorsqu'on sait, de surcroît, qu'il est possible en France, grâce au mécanisme de la représentation fiscale, d'acquérir un bien sans faire apparaître l'identité de son véritable propriétaire.

C'est dans ce contexte géographique et juridique attractif que s'est développée, localement, une léthargie politique et institutionnelle assurant aux délinquants une inadmissible tranquillité.

On ne compte plus dans le sud-est le nombre d'affaires qui, sur le plan judiciaire, soit s'enlisent, soit se soldent par des décisions d'une mansuétude incompréhensible.

Il est vrai que la carrière de nombreux magistrats se déroule de manière fort heureuse, pendant trente ans, entre Nice et Marseille, avec un détour à Grasse ou à Aix-en-Provence. Nulle part ailleurs, en France, on n'enregistre, une telle stabilité. De ce point de vue, la longévité géographique des carrières des magistrats du sud-est est comparable à celle dont ont bénéficié les magistrats français détachés à Monaco, pérennité à laquelle le ministre de la Justice vient opportunément de mettre un terme, il y a quelques semaines.

Il est donc plus que temps, alors que des voix s'élèvent pour dénoncer la situation dégradée du fonctionnement de certaines juridictions dans le sud-est, de tirer les leçons de l'absence de mobilité de certains magistrats en poste dans le midi de la France.

Actuellement, la région du sud-est, devenue terre d'accueil des capitaux, d'origine criminelle, à la recherche d'honorabilité, connaît donc, non seulement une infiltration économique via un certain type d'investissements, mais se trouve de surcroît gangrenée au niveau institutionnel.

A.- le sud-est, terre d'accueil de la criminalitÉ Économique

Tout au long de ses travaux, la Mission a recueilli les témoignages de nombreux responsables inquiets de la présence de plus en plus perceptible de capitaux étrangers qui s'investissent massivement dans la région du sud-est et dont l'origine laisse souvent fort perplexe.

1.- Une économie infiltrée par les capitaux suspects

En octobre 1999, Mme Anne-Josée Fulgeras, entendue par la Mission, faisait état d'une « infiltration économique très sophistiquée dont [...] certaines organisations criminelles des pays de l'Est se sont fait une véritable spécialité », précisant que les experts évaluaient à plus de 40 milliards de dollars les seuls investissements russes en France, avant de conclure :

« Tous ces signes ne nous permettent pas d'évaluer exactement l'ampleur du phénomène et du danger mais, aujourd'hui - ce n'était pas le cas il y a deux ou trois ans - ils nous permettent d'être certains qu'il y a de véritables actions d'infiltration économique. »

En l'an 2000, les autorités russes ont, de leur côté, estimé à 100 milliards de dollars les activités financières non déclarées - soit 40 % du PIB - et les fuites de capitaux à plus de 25 milliards de dollars, dont la moitié proviendrait d'activités illégales.

Pour M. Pino Arlacchi, ancien responsable aux Nations unies du programme de lutte contre le blanchiment des capitaux, le blanchiment coûterait actuellement à la Russie environ 2 % de son PIB.

Ces estimations, toujours difficiles à établir puisqu'il s'agit d'appréhender des phénomènes occultes, permettent néanmoins d'affirmer, de façon concordante, que les montants à investir sont très élevés et que la France constitue une des destinations privilégiées pour ces capitaux qui trouvent refuge massivement en Ile-de-France et dans le sud-est.

La réalité observée sur le terrain conforte ces évaluations.

Lors de son audition par la Mission, M. Jean-Paul Decorps, Président du Conseil Supérieur du Notariat, a souligné le « professionnalisme » de ces blanchisseurs qui savent s'adapter pour échapper aux regards indiscrets et acceptent d'investir dans toutes les formes d'achats immobiliers.


Les blanchisseurs se replient dans l'arrière-pays

M. Jean-Paul DECORPS : TRACFIN a constaté qu'il existait une grande diversité d'opérations. A l'époque de la mafia italienne, dans les années quatre-vingt-dix, on avait localisé les investissements dans les constructions neuves. Puis, les propriétés de caractère furent très prisées, notamment sur la Côte d'azur. Aujourd'hui, on trouve toutes les formes d'investissements : des appartements anciens, des appartements neufs, des propriétés de caractère, etc.

En fait, plus les mailles du filet se resserrent, plus l'attention des blanchisseurs est éveillée et plus ils affinent leurs pratiques. Nous nous sommes rendu compte, par exemple, que les notaires du bord de mer n'étaient plus les seuls visés, et qu'un certain nombre de déclarations de soupçon émanaient de toutes petites études de l'arrière-pays - les blanchisseurs s'imaginant certainement qu'ils y seraient moins surveillés.

Aujourd'hui, de petites entreprises font l'objet de ces investissements ; c'est la raison pour laquelle les Italiens ont pris des mesures les concernant, les grosses propriétés et les grosses entreprises étant beaucoup plus repérables.

Il est donc difficile, aujourd'hui, de dire qu'il existe un type d'investissement privilégié par les blanchisseurs et c'est ce qui rend la lutte d'autant plus difficile.

Extrait de l'audition de M. Jean-Paul Decorps, président du Conseil supérieur du notariat, devant la Mission, le 27 octobre 1999.

Deux ans plus tard, la situation n'a guère varié, au contraire, et la progression des capitaux investis dans le sud-est ne cesse de se poursuivre, selon les informations obtenues par les services de renseignement.


L'inquiétante progression des capitaux russes

investis dans l'immobilier

Les pionniers sont arrivés il y a près de dix ans, renouant avec la tradition aristocratique de villégiature sur la Côte, qui remontant à avant la révolution de 1917. Aujourd'hui, ils investissent de plus en plus dans l'immobilier, au point de réactiver les soupçons de collusion avec des organisations mafieuses en Russie.

Une note de renseignement, datée 6 juin et transmise à TRACFIN, le service d'enquêtes des douanes sur le blanchiment d'argent, attire l'attention sur la multiplication d'achats de villas ou d'appartements - le plus souvent de luxe - enregistrée dans les Alpes-Maritimes et le Var au cours des derniers mois. Elle cite l'exemple d'une villa acquise au cap d'Antibes par une société civile immobilière (SCI) appartenant à un Russe, pour un montant de 20 millions de francs. Un Français, dirigeant de plusieurs sociétés dans le bâtiment et les travaux publics, y est désigné comme le coordonnateur « des affairistes slaves » sur la Côte d'Azur ».

Il investirait pour des Russes des fonds à l'origine suspecte, explique le document, à partir d'une procuration dont il dispose sur le compte d'une ressortissante russe qui vient régulièrement en France pour des séjours à Neuilly (Hauts-de-Seine) ou à Fréjus (Var).

Article de Pascal Ceaux dans Le Monde du 18 juillet 2001.

Monsieur Alain Bertaux, ancien directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, au cours d'un entretien en mai 2001 avec votre Rapporteur, a confirmé cette situation à la Mission.


La prolifération, dans les Alpes-Maritimes,

des patrimoines immobiliers détenus par des

sociétés de droit international

M. le Rapporteur : Je souhaiterais que nous abordions la question immobilière, sur laquelle nous avons déjà interrogé de nombreux magistrats du sud de la France et des pôles financiers. Ces derniers relèvent en effet de nombreux obstacles, de nature factuelle ou juridique, à l'identification des ayants droit économiques et des actionnaires se dissimulant derrière les écrans de sociétés civiles immobilières - qui sont monnaie courante dans les départements côtiers du sud de la France.

M. Alain BERTAUX, Directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes : Le département des Alpes-Maritimes est confronté de plein fouet au problème de l'immobilier qui constitue l'une des sources essentielles de la richesse de son tissu fiscal, que ce soit en termes d'assiette de l'impôt ou de rendement du contrôle fiscal. Nous gérons environ 20 000 sociétés civiles immobilières ; il s'agit de la principale difficulté que nous rencontrons lorsque nous voulons cerner les véritables détenteurs du parc immobilier des Alpes-Maritimes.

En effet, les investisseurs, que ce soit des personnes physiques ou des personnes morales, se dissimulent la plupart du temps derrière des sociétés écrans - dont des sociétés civiles immobilières - de droit français ou de droit international. Il s'agit là d'une réalité objective à laquelle nous sommes confrontés et qui, sans entraver complètement l'activité de contrôle qui relève de nos missions, est une source de difficulté notamment lorsque les patrimoines immobiliers, assis dans le département des Alpes-Maritimes, sont la propriété de sociétés de droit international.

M. le Rapporteur : Cela arrive-t-il souvent ?

M. Alain BERTAUX : Oui, très fréquemment. Les Alpes-Maritimes sont un département de prédilection pour les investissements d'origine étrangère, en particulier italienne ou russe, et des paradis fiscaux - Liechtenstein, Luxembourg.

M. le Rapporteur : Il y a donc des personnes morales de droit luxembourgeois ou liechtensteinois qui investissent massivement dans l'immobilier.

M. Alain BERTAUX : De plus en plus, oui. Mon collaborateur pourra y revenir. Il s'agit d'un gisement sur lequel nous travaillons depuis plusieurs années au travers de la mise en _uvre de l'article 164 C du code général des impôts qui établit une taxation égale à l'impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative réelle des immeubles possédés. Cela peut représenter parfois des montants très importants du fait de la consistance des propriétés qui, lorsqu'elles se situent sur les trois caps - cap d'Antibes, Saint-Jean-Cap-Ferrat et cap Martin -, atteignent des valeurs oscillant entre 50 et 400 millions de francs.

Les sociétés de droit international investissent de plus en plus, ce qui favorise un phénomène de blanchiment des capitaux. Nous savons, mes collaborateurs et moi-même, pour le connaître presque au quotidien, que beaucoup de ces propriétés sont acquises en totalité ou en partie au moyen de paiements en espèces.

M. le Rapporteur : Comment connaissez-vous ce phénomène ? Car il s'agit là de blanchiment absolu.

M. Alain BERTAUX : Ce phénomène peut être connu à la faveur de circonstances tout à fait conjoncturelles. Je ferai état, à titre anecdotique, d'une expérience personnelle : lorsque j'étais à la recherche d'un logement à Nice, je me suis déplacé avec des agents immobiliers, et au sortir d'un très beau domaine dans lequel j'avais visité une maison, l'agent immobilier me dit : « Permettez-moi de prendre quelques photos, j'ai un client intéressé par cette maison ». Il s'agissait en fait d'un client russe qui souhaitait acheter la maison évaluée 16 millions de francs ; ignorant quelle était ma profession, l'agent immobilier me confie que ce client voulait payer en espèces.

Nous avons également connaissance de ce phénomène dans le cadre des relations que nous pouvons avoir avec les notaires, certains, étant tout à fait conscients qu'ils ne peuvent pas détourner la législation, ne sont pas enclins à se prêter à ce type de procédés. Ce phénomène est régulièrement identifié au travers des opérations de contrôle fiscal que nous conduisons dans le secteur de l'immobilier. »

Extrait de l'audition de M. Alain Bertaux, directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, devant la Mission, le 14 juin 2001.

Le secteur immobilier constituant le domaine privilégié des candidats au blanchiment, la qualité de la réaction des professionnels intermédiaires de l'immobilier soumis à l'obligation de déclaration de soupçon est particulièrement importante.

Or, pour l'instant et indépendamment du fait que la législation est d'origine récente, la sensibilité des professions concernées par le risque de blanchiment dans le secteur immobilier demeure extrêmement faible en valeur absolue, même si TRACFIN constate, depuis ces deux dernières années, des évolutions positives encourageantes.

2.- Des professionnels encore trop peu concernés

a) Les agents immobiliers

Auditionné en décembre 1999 par la Mission, le président de la Fédération nationale de l'Immobilier (FNAIM), s'était engagé à mener une enquête auprès de l'ensemble de ses confrères de la région Provence - Alpes - Côte d'Azur afin de savoir si ces derniers avaient eu l'occasion, en application de la loi de 1998 étendant à cette profession l'obligation de déclaration de soupçon, d'alerter TRACFIN sur l'origine possiblement douteuse de fonds destinés à l'achat d'un bien immobilier.

Les résultats communiqués à la Mission, en mars 2000, montrent à cette époque une profession encore très peu sensibilisée au risque de blanchiment puisque, sur 210 réponses d'agents immobiliers, seuls 11 d'entre eux, soit environ un sur vingt, ont indiqué avoir eu des doutes sur l'origine des fonds.

A cette époque, TRACFIN n'est pas considéré comme l'interlocuteur approprié puisqu'aucun de ces professionnels déclarant avoir eu un doute sur l'origine des fonds ne s'est adressé à cette unité, préférant alerter la police ou les services fiscaux. En mars 2000, la législation française de 1998 apparaît donc comme totalement ignorée.

Enfin, à la question posée concernant l'élément faisant naître le soupçon, les professionnels de l'immobilier ont apporté des réponses très variées. On peut ainsi citer, parmi les facteurs déclenchant un soupçon :

- la demande faite à l'agent immobilier d'établir le compromis de vente sous seing privé ;

- la demande de confidentialité sur la transaction ;

- l'intervention de sociétés étrangères à la transaction ;

- la provenance géographique des fonds placés dans des banques ukrainiennes ou liechtensteinoises.

La contribution des intermédiaires de l'immobilier passe donc par une plus grande sensibilisation au danger de blanchiment, notamment chez les agents immobiliers qui n'ont pas tous encore mesuré pleinement à quel point ce secteur était recherché par les blanchisseurs.

Néanmoins, interrogé il y a quelques jours sur la participation des professionnels de l'immobilier dans le sud-est de la France, un responsable de TRACFIN a rappelé qu'il ne fallait pas sous-estimer les risques réels que peuvent encourir ces personnes, dont certaines ont été physiquement menacées par des investisseurs douteux qui n'entendaient pas voir leur cas évoqué chez TRACFIN.

Les professionnels de l'immobilier, moins protégés que les banquiers et moins organisés que les notaires, sont de ce fait moins engagés dans le processus de déclaration de soupçon.

b) Les notaires

Profession plus structurée que celle des agents immobiliers, les notaires semblent avoir pris conscience plus rapidement du danger de blanchiment au travers des transactions immobilières, comme l'a clairement déclaré à la Mission, en octobre 1999, le président du Conseil Supérieur du Notariat, M. Jean-Paul Decorps.

« Le blanchiment est une opération qui suit directement l'appréhension de revenus d'origine illicite, et l'immobilier est devenu une cible privilégiée du recyclage de l'argent sale. J'ai pris conscience de ce problème il y a huit ans, lorsque j'étais président régional des notaires de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence. »

Les notaires, sans doute impressionnés aussi par la condamnation judiciaire d'un de leur confrère du midi de la France pour non-déclaration de blanchiment, effectuent de plus en plus de déclarations auprès de TRACFIN, même si, au total, ce nombre reste toujours très faible, de l'ordre de quelques dizaines.

L'extrême modestie de ces résultats s'explique en partie par la difficulté à détecter un blanchiment possible car les indices d'un tel délit vont, comme en matière fiscale, à l'encontre de ce qui met en alerte les professionnels des opérations immobilières.


Le blanchiment se traduit souvent

par un prix exceptionnel

M. Jean-Paul DECORPS : S'agissant des vendeurs, il n'est pas simple pour eux de repérer une volonté consciente de blanchir. L'opération de blanchiment se manifeste souvent par un prix exceptionnel et ce critère est d'ailleurs retenu pour justifier une déclaration à TRACFIN. Si une propriété, qui ne se vend pas depuis un an, part d'un seul coup à un prix 20 % supérieur au prix de vente initial, il convient de se méfier ! Le vendeur a certainement reçu une offre intéressante de la part d'une personne « bien sous tous rapports » !

Toutefois, je ne pense pas que l'on puisse déceler, à partir du vendeur, une opération de blanchiment. Ce sont vraiment l'acheteur et les conditions de l'acquisition qui doivent mettre en éveil le professionnel chargé de la transaction.

Extrait de l'audition de M. Jean-Paul Decorps, président du Conseil supérieur du notariat, devant la Mission, le 27 octobre 1999.

Ce faible nombre de déclarations est, de surcroît, très difficile à exploiter pour les enquêteurs et les magistrats qui, très rapidement, se heurtent à des mécanismes protecteurs de l'identité des bénéficiaires de ces investissements.

3.- Des mécanismes juridiques pleinement exploités

Ces mécanismes ne sont pas une spécialité régionale, mais ils sont très largement utilisés dans le sud-est, terre de prédilection des investisseurs blanchisseurs.

a) La représentation fiscale

Les criminels organisés n'ont pas choisi par hasard le secteur de l'immobilier qui, en France, bénéficie du principe de la représentation fiscale fermement dénoncé par la juge d'instruction Eva Joly, auditionnée le 9 mai 2000 par la Mission.


La France accepte de ne pas connaître

le propriétaire d'un bien immobilier

Mme Eva JOLY, Juge d'instruction : En France, nous tolérons de ne pas connaître les propriétaires d'un bien immobilier. Le système dit « de représentation fiscale » permet de ne pas déclarer que vous êtes propriétaire d'un immeuble : il vous suffit d'acquitter un impôt forfaitaire de 3 % de la valeur du bien et l'on ne cherche pas à connaître votre nom. C'est un véritable défi adressé à toute politique efficace !

Les services fiscaux disposent d'un fichier qui vous indiquera, par exemple dans la presqu'île de Saint-Tropez, combien de villas sont détenues par des sociétés civiles immobilières (SCI). Les SCI à 10 000 francs sont françaises. En revanche, le financement qui a permis d'acquérir la villa à 50 millions de francs n'est pas français : ce financement vient d'Anstalts ou de fiducies quelconques des Iles Caïman ou des Caraïbes et a transité par plusieurs écrans avant de se transformer en recettes au compte de la SCI.

Dans le système suisse, pour détenir le moindre chalet, il faut se déclarer. Nous pourrions faire de même en France et obliger à déclarer le bénéficiaire économique final de la propriété. Ce n'est qu'un petit texte à rédiger, qui ne coûte rien et ne dépend que de nous. »

Extrait de l'audition de Mme Eva Joly, juge d'instruction, devant la Mission, le 9 mai 2000.

Cette taxe de 3 % prévue notamment par l'article 164 C du code général des impôts représente le prix, très abordable, de l'anonymat et le problème se pose avec une acuité particulière lorsque cette facilité est exploitée par les SCI monégasques. Dans ce cas, la convention du 18 mai 1963 qui régit les rapports entre Monaco et la France se révèle d'application délicate et sujette à interprétation favorable à la dissimulation d'identité.


Avec les SCI monégasques, nous n'avons jamais

de renseignement sur l'identité des porteurs de parts

M. le Rapporteur : Avez-vous une analyse particulière concernant les relations qui peuvent exister entre la Principauté de Monaco et le département des Alpes-Maritimes ?

M. Jean-Paul BIANCAMARIA : Les SCI monégasques sont composées d'associés, qui sont en général des sociétés ou des personnes physiques étrangères, qui investissent en France.

Nous n'avons pas évoqué l'ISF. Mais les personnes concernées paient soit l'ISF soit la taxe patrimoniale de 3 % - c'est-à-dire le prix de l'anonymat. [...]

M. Alain BERTAUX : En ce qui concerne le cas particulier des SCI monégasques, nous avons du mal à appliquer l'article 20 de la convention du 18 mai 1963 qui régit les rapports entre Monaco et la France. Selon les termes de cet article, la France est en droit de solliciter de l'autorité monégasque des renseignements sur l'identité des porteurs de parts des SCI monégasques détenant des immeubles en France soumis à la fameuse taxe de 3 % prévue par l'article 164 C du code général des impôts.

Les Monégasques nous répondent que l'article 20 de la convention ne prévoit de fournir des renseignements sur les porteurs de parts de SCI que s'ils sont utilisés en vue de définir l'assiette de l'impôt sur le revenu - et non pas pour appliquer la taxe de 3 % qui constitue un droit d'enregistrement. Tel est le niveau de subtilité où nous nous situons qui fait que nous n'avons jamais de renseignement sur l'identité des porteurs de parts.

M. le Rapporteur : Nous allons nous intéresser sérieusement à ce problème.

Extrait de l'audition, par la Mission, de M. Alain Bertaux, directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, accompagné de M. Jean-Paul Biancamaria, le 14 juin 2001.

b) Le recours aux sociétés civiles immobilières

La très grande majorité des sociétés civiles immobilières (SCI) se constituent à des fins de transmission patrimoniales, afin de bénéficier d'une fiscalité allégée.

Les SCI sont immatriculées au registre du commerce depuis 1978 ; elles doivent déposer leurs statuts au moment de leur constitution et, chaque année, déposer une déclaration fiscale.

Les notaires estiment recevoir environ 85 % des actes concernant les SCI, mais malheureusement, ce sont les 15 % restants qui sont potentiellement des vecteurs de blanchiment.

Il faut en effet rappeler que la constitution d'une SCI est dispensée de l'acte authentique et peut se faire sans avoir à passer par un notaire et que la cession de parts d'une SCI permet très facilement de transférer la propriété du capital en l'absence de tout contrôle public et de toute traçabilité de ces mouvements de fonds.

Entendu par la Mission en octobre 1999, le président du Conseil supérieur du notariat a longuement développé les risques liés à la constitution des SCI.


La France est vulnérable au blanchiment

du fait des SCI

M. Jean-Paul DECORPS, Président du Conseil supérieur du Notariat : Une société civile immobilière peut se constituer avec des hommes de paille ; les cessions de parts qui se déroulent ensuite sont des cessions en blanc, des sortes de bons au porteur - donc anonymes. Le cédant inscrit son nom, le cessionnaire est en blanc, on lui remet le document et les virements se font par des paradis fiscaux ; de ce fait plus aucun contrôle n'est exercé. Des immeubles de plusieurs millions de francs sont ainsi cédés sur la Croisette, la Promenade des Anglais ou les Champs-Elysées.

Ces mécanismes de blanchiment sont de surcroît source de fraude fiscale puisque aucun droit n'est perçu alors que des millions de francs sont transmis et de détournement de la loi car, dans ce cas, il est fait fi des droits de préemption des collectivités, des locataires, et de la législation immobilière concernant la superficie, l'amiante, etc.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous rappeler concrètement les conditions de la création d'une SCI ?

M. Jean-Paul DECORPS : Je prendrai l'exemple de Dupont, Durant, Popov et Tovaric. Dupont et Durand créent une société civile immobilière - aucun capital minimum n'est exigé - et s'immatriculent au registre du commerce, en désignant M. Dupont comme gérant. Il s'agit d'un acte sous seing privé qui ne les oblige pas à faire appel à un notaire.

M. le Rapporteur : Les statuts permettent donc d'identifier les fondateurs, donc les propriétaires du capital, même s'il est de 1 000 francs. Expliquez-nous comment ces personnes vont s'y prendre pour disparaître.

M. Jean-Paul DECORPS : En réalité la société civile sera elle-même composée de différentes sociétés - panaméennes, colombiennes, etc. - et sera immatriculée dans un registre des Caraïbes dont on ne détient pas forcément les éléments.

Revenons à notre exemple. MM. Dupont et Durant créent leur société, M. Dupont, gérant, vient signer un acte d'achat et cède immédiatement ses parts - sous seing privé, sans désignation du bénéficiaire - à Popov et Tovaric. M. Durant fait de même. Voilà une société qui sera immatriculée au nom de M. Dupont, gérant, mais dont la propriété sera celle de MM. Popov et Tovaric, qui d'ailleurs souvent cachent d'autres identités. Les opérations criminelles peuvent alors s'effectuer. [...]

Dans la mesure où une société civile est créée avec un faible capital, les apports nécessaires au financement des opérations sont effectués sous forme d'apports en compte courant, les cessions se font souvent au profit d'individus que personne ne connaît et se réalisent d'une façon non officielle, puisque les sociétés civiles ne sont pas tenues de déposer leur comptabilité au greffe du tribunal - contrairement aux sociétés commerciales. Ces comptes courants ne sont donc mentionnés nulle part et la comptabilité de la société civile est tout à fait occulte. [...]

La France est un pays vulnérable, s'agissant de l'immobilier, essentiellement du fait des SCI. Par ailleurs, il est sans doute plus agréable de vivre sur les bords de la Méditerranée qu'au fin fond du Danemark ou en Allemagne du nord !

Extrait de l'audition de M. Jean-Paul Decorps, président du Conseil supérieur du notariat, devant la Mission, le 27 octobre 1999.

La facilité avec laquelle les bénéficiaires réels d'un bien ou d'un investissement immobilier peuvent camoufler leur identité, en cédant non pas le bien lui-même mais des parts de SCI, est systématiquement utilisée par les délinquants. Le premier obstacle est celui de l'identification, comme l'a souligné à votre Rapporteur, le juge Jean-Pierre Murciano, dont l'analyse est confirmée par son confrère, le juge Philippe Dorcet, lui-même entendu par la Mission en mai 2001.


Sans formalisme, le vrai propriétaire

peut rester anonyme

M. le Rapporteur : Les mécanismes d'actes authentiques de conservation d'hypothèques ne permettent-ils pas de partiellement répondre à ce désir d'identification des véritables propriétaires des biens immobiliers ?

M. Jean-Pierre MURCIANO, Juge d'instruction : Les exigences du service des hypothèques sont que telle villa du Cap d'Antibes a été cédée par la SCI X à la SCI Y, mais les propriétaires n'apparaissent pas. Ensuite, la transmission de tous ces biens se fait par la vente des parts de société et non pas par la vente d'un bien immobilier.

Puisqu'elle a été jugée, on peut parler d'une autre affaire, celle de la villa du promoteur Pellerin où une SCI a été créée dans laquelle son nom n'apparaît absolument pas. Il suffit d'une cession de parts en blanc chez un notaire ou un conseiller juridique pour quelques francs pour vendre l'intégralité des parts de la société afin que le vrai propriétaire, M. Pellerin, redevienne le propriétaire de cette villa. Là encore, sans formalisme. Ce sont des biens qui peuvent changer de mains par une simple cession de parts, moyennant quelques milliers de francs de prix de cession.

Entretien du Rapporteur avec M. Jean-Pierre Murciano, Juge d'instruction, le 20 mai 2000 à Nice.

Il va sans dire, dans ces conditions, que l'établissement de l'identité du véritable propriétaire nécessite des mois ou des années de travail pour les magistrats instructeurs, dès lors qu'une procédure judiciaire est engagée et, malgré cela, il n'est pas certain que les commissions rogatoires qui sont lancées puissent aboutir.


Les blanchisseurs camouflent leur identité

derrière des SCI ou des sociétés étrangères

M. le Rapporteur : Un de vos collègues magistrats, en poste dans la région, nous a déclaré la chose suivante : « Il n'y a pas une personne qui compte dans la région qui soit propriétaire du bien immobilier où elle vit. Tout cela est toujours masqué derrière une société, une Anstalt, un trust ou une société fiduciaire en Suisse. Le premier obstacle est que l'on ne peut plus identifier, sauf à mener une enquête, fouillée et difficile, les propriétaires des biens immobiliers ». Confirmez-vous cette déclaration ?

M. Philippe DORCET, Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice : Oui, tout à fait. Il s'agit d'un signe clair que nous avons alors affaire à des personnes qui, soit blanchissent, soit sont elles-mêmes l'expression du crime organisé. Elles ne sont jamais propriétaires d'un bien immobilier sous leur nom propre ; elles le sont par le biais soit de SCI, soit de sociétés étrangères.

M. le Rapporteur : Comment faites-vous pour identifier qui se cache derrière un bien immobilier ?

M. Philippe DORCET : Rien, on ne peut pas remonter jusqu'à l'intéressé. On envoie des commissions rogatoires.

Extrait de l'audition de M. Philippe Dorcet, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001.

A ces facilités de fonctionnement et de constitution des SCI, s'ajoute également le fait qu'avant 1978, il n'existait pas, pour ces sociétés, d'obligation d'immatriculation au registre du commerce.

En conséquence, il y aurait, selon les estimations faites par les notaires eux-mêmes, environ 300 000 sociétés non immatriculées, constituées avant 1978, qui ne sont référencées ni au registre du commerce, ni à celui des sociétés, ni à l'INSEE, ni au registre SIREN.

Ces sociétés « coquilles vides » sont toujours extrêmement recherchées par les spécialistes du blanchiment qui n'hésitent pas à démarcher les professionnels.

Pour lutter contre l'utilisation de ces sociétés coquilles et, plus largement, contre l'usage détourné des SCI, la question s'est posée de soumettre à un acte authentique la constitution des SCI, ainsi que toute modification ultérieure survenant dans la vie de ces sociétés et, notamment, les cessions de parts.

Interrogé sur l'efficacité de l'acte authentique, M. Jean-Paul Decorps a estimé que cette obligation aurait d'abord une vertu préventive en rendant dissuasif le recours au mécanisme de la SCI pour procéder à une opération de blanchiment.

De surcroît, l'acte authentique devant notaire permettrait de disposer d'informations sur la traçabilité des mouvements de fonds, puisqu'à cette occasion, l'acte notarié pourrait viser, outre l'identité des parties, le nom de la banque et le numéro du compte utilisé pour l'opération.

L'obligation d'effectuer sous forme authentique la cession de parts de SCI a fait l'objet d'un amendement de la Mission lors de la discussion de la loi NRE. Cette proposition n'a pas été adoptée.

La Mission estime cependant que le débat reste ouvert sur cette question et qu'il est indispensable, à tout le moins si l'on ne souhaite pas imposer l'acte authentique, d'exiger sous peine de nullité, l'inscription au registre du commerce de toute modification des statuts ou de l'identité des propriétaires du capital.

La Mission retient également la proposition du Procureur Eric de Montgolfier qui suggère de rendre obligatoire la production de justificatifs de l'origine des fonds lorsque l'achat immobilier atteint un certain montant.


Le marché immobilier de la Côte d'Azur me laisse perplexe

M. Eric de MONTGOLFIER, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice : Le marché immobilier de la Côte d'Azur me laisse perplexe. On y voit des propriétés extraordinaires. Le législateur ne pourrait-il pas imposer quelques précautions qui, au demeurant, existent déjà dans le domaine des sociétés. Certaines règles devraient être imposées. Par exemple, rendre obligatoire la production de justificatifs à partir du paiement d'une certaine somme. Car je constate qu'en matière fiscale, nous arrivons toujours trop tard.

Il faut mettre au point un système un peu simpliste, certes pas très libéral. Mais le libéralisme et la délinquance financière, ne l'oublions pas, constituent un couple infernal. Pourquoi attendre que le mal se produise ? pourquoi ne pas prendre des précautions ?

Extrait de l'entretien du Rapporteur avec MEric de Montgolfier, le 11 juillet 2000.

La région du sud-est apparaît donc comme fortement perméable et exposée aux infiltrations délinquantes. Or, c'est dans ce contexte fragile que l'on constate, de surcroît, de graves dysfonctionnements de l'institution judiciaire.

B.- des institutions judiciaires affaiblies

« La difficulté à travailler dans le sud-est est réelle. Je l'ai ressentie... C'est un climat. Ce sont des petites choses qui font que, parfois, vous n'avez pas d'explications - rationnelles, logiques ou juridiques - sur la conduite d'un dossier. C'est ce que j'appelle ma difficulté à travailler. » (Isabelle Arnal, entretien avec le Rapporteur, le 20 juin 2001).

Ces propos impressionnistes exprimés de façon volontairement retenue, par Mme Isabelle Arnal, Substitut du Procureur à Grasse de novembre 1995 à novembre 1998, traduisent le climat de malaise profondément ressenti par un certain nombre de magistrats du siège comme du Parquet, venus s'exprimer devant la Mission en lui apportant des éléments d'information plus précis.

Le fonctionnement de l'institution judiciaire dans la région du sud-est, confrontée à une très forte délinquance financière, pâtit d'une absence de politique pénale claire définissant des priorités, d'une insuffisance de moyens, de surcroît mal utilisés, et de l'existence d'une magistrature trop intégrée au tissu économique, social et politique pour pouvoir exercer ses fonctions dans le respect des exigences d'impartialité et de rapidité que chaque citoyen est en droit d'attendre.

1.- La pénétration du sud-est par les organisations criminelles

L'appartenance éventuelle de telle ou telle personnalité à un club, une association, une amicale quelconque ou son engagement supposé dans la franc-maçonnerie relève pleinement d'un choix personnel et n'intéresse en rien la Mission.

En revanche, le fait que de telles structures se soient retrouvées possiblement infiltrées par des organisations criminelles qui, de façon délibérée, ont développé une stratégie de pénétration en y captant l'influence de personnalités représentant les institutions de la République, mérite un examen attentif.

Pour la Mission, c'est dans cette perspective que doit, par exemple, être analysée la déclaration du juge Philippe Dorcet au cours de son audition.


Le crime organisé a décidé d'entrer en maçonnerie

M. Philippe DORCET, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice : J'ai appris, en discutant, de manière officieuse, avec des officiers de police judiciaire, que la mafia calabraise est organisée selon un régime de loges - les cosche. Dans les Alpes-Maritimes, sept cosche sont établies, la cosca mère étant à Juan-les-Pins, et dépendent toutes de la cosca de Vintimille. Enzo Ciconte 2 cite trois raisons pour lesquelles le crime organisé a décidé d'entrer en maçonnerie : intégrer le tissu économique local, avoir des liens au sein des institutions et approcher les magistrats. [...]

[...] Ce n'est pas la franc-maçonnerie qui est en cause, mais je pense qu'à un moment donné, elle a été un réseau décisif où se sont croisées, à l'abri du secret, des personnes venant d'horizons très différents. Tout ce mixage entre gens qui n'avaient pas tous le souci de l'intérêt commun, a pu favoriser, à un moment donné, des dérapages importants.

Extrait de l'audition de M. Philippe Dorcet, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001.

Ainsi, l'existence, à Nice, de relations sociales parallèles qui se sont instaurées, par exemple, dans le cadre de certaines loges maçonniques où se côtoient, se fréquentent et s'entraident un certain nombre de personnes que tout devrait opposer dans la société civile, entrave le fonctionnement régulier des institutions de la République.

Entendu par votre Rapporteur l'été dernier, l'ancien directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, M. Alain Bertaux, s'est montré troublé par l'issue très favorable qu'ont pu connaître certains dossiers fiscaux qui méritaient, à l'évidence, un autre sort que l'abandon des poursuites.

Le témoignage de M. Alain Bertaux a paru suffisamment sérieux pour que la Mission décide de transmettre le compte rendu de son entretien, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, au Procureur de la République, M. Eric de Montgolfier.


Pour des raisons incompréhensibles,

des procédures fiscales n'aboutissent pas

M. Alain BERTAUX, Directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes : Il est un fait patent, c'est que dans un certain nombre de cas, on se demande véritablement pourquoi certaines décisions d'abandon pur et simple de procédures qui, fiscalement, tenaient la route, ont été prises. [...]

Les agents - les vérificateurs et leur chef de brigade - qui se sont investis dans les contrôles se posent des questions et se demandent pourquoi, sur des dossiers qui sont fiscalement bouclés, ils reçoivent l'ordre de dégrever totalement. Je pense à une affaire qui a été traitée notamment par M. Jean-Paul Biancamaria, dans laquelle il y a eu une tentative de corruption en cours de vérification, le prix à payer était de 10 % du montant de la notification de redressement qui était de 40 millions de francs. On a donc offert à M. Biancamaria 4 millions de francs pour abandonner la procédure !

M. le Rapporteur : M. Biancamaria, vous pouvez confirmer ces faits ?

M. Jean-Paul BIANCAMARIA : Absolument.

M. le Rapporteur : Qui était le contribuable ?

M. Jean-Paul BIANCAMARIA : Une SCI. En cours de vérification.

Extrait de l'audition, par la Mission, de M. Alain Bertaux, directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, accompagné de M. Jean-Paul Biancamaria, le 14 juin 2001.

A Nice, « où le monde des voyous côtoie souvent celui des « honnêtes gens », la réalité est difficile à appréhender, comme l'a déclaré le procureur Eric de Montgolfier, entendu en juillet 2001.


A Nice, le maître mot est « arrangement »

M. Eric de MONTGOLFIER, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice : Je n'ai pas le sentiment de bien savoir ce qui se passe dans ma circonscription. J'y découvre chaque jour des choses très particulières, propre à une région où, c'est vrai, des gens se compromettent. Un exemple parmi d'autres : un dossier vient d'être ouvert sur un homme qui n'a pas une « surface » sociale considérable mais que l'on retrouve dans de nombreuses affaires où l'on se rend service... Je travaille dans une circonscription où le maître mot est « arrangement » et où le monde des voyous côtoie souvent celui des « honnêtes gens »... Dès lors, toute la difficulté de notre travail est de savoir à qui on s'adresse, de quel bord est tel ou tel. Cela, c'est très compliqué. Car cette situation a largement pénétré le Palais de justice lui-même. Voilà pourquoi ma mission est encore plus difficile. J'ai du mal à avoir une vision claire de la délinquance, car je ne sais pas toujours à qui poser les questions. [...]

Pour quelles raisons un juge peut-il s'intéresser à un dossier ? Il peut y avoir un intérêt intellectuel à traiter certains dossiers. Vous savez bien qu'à Nice, il est une question que tout le monde se pose : « Quel est l'intérêt ? » (Sourires) A cet égard, je ne partage pas l'analyse du garde des sceaux sur la théorie du jardin secret. A Nice, en particulier, il doit être plus réduit qu'ailleurs. L'avantage de Nice, c'est que les gens parlent de tout et qu'on finit par savoir des choses. On apprend ainsi un jour que tel juge qui instruit tel dossier appartient à telle ou telle loge. Faut-il alors décider de l'écarter du dossier ? Par principe, je crois que oui !

J'aperçois des man_uvres, des stratégies qui me paraissent grandement s'écarter du chemin judiciaire.

Extrait de l'entretien de M. Eric de Montgolfier, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice, avec le Rapporteur de la Mission, le 11 juillet 2000.

L'affaire dite du juge Renard illustre parfaitement cette dérive de l'institution judiciaire dont certains « dignes représentants » détournent la finalité en se servant de l'autorité qui leur est conférée à des fins partisanes qui n'ont plus rien à voir avec la défense de l'intérêt public commun.

Il a en effet été reproché au doyen des juges d'instruction de Nice, membre jusqu'il y a peu, de la Grande Loge nationale de France (GLNF), qui a admis les faits, d'avoir fait établir un relevé intégral des fiches de casier judiciaire en attribuant faussement cette demande à des dossiers en cours et d'avoir transmis ces informations concernant une trentaine de postulants à la GLNF.


Le juge d'instruction Jean-Paul Renard admet avoir

communiqué des renseignements

à la Grande Loge Nationale de France

Attendu que les investigations menées dans le cadre d'une information suivie devant le juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Nice ont, en l'état, révélé que M. Jean-Paul Renard a communiqué à des responsables de la Grande Loge Nationale de France, dont il était membre, des renseignements sur une procédure pénale jugée, intéressant un candidat à l'adhésion à ladite loge, que concernant une trentaine d'autres postulants, il a fait établir un relevé intégral des fiches de casier judiciaire, appelé bulletin n° 1, qui n'est délivré qu'aux autorités judiciaires, ces demandes faites par télécopie étant faussement attribuées à des dossiers dont il était saisi avec l'indication qu'elles étaient destinées à un débat contradictoire, qu'enfin il s'était fait adresser un autre bulletin n° 1 de casier judiciaire pour permettre à une personne de constituer un dossier d'affiliation à la même loge maçonnique ;

Attendu que M. Jean-Paul Renard, qui admet la réalité de ces actes, expose avoir agi à des fins strictement personnelles afin de s'éviter la fréquentation d'initiés douteux lors des réunions de la loge et que, si ces pratiques se sont poursuivies postérieurement à son retrait de celle-ci, en 1998, elles ont procédé de la même préoccupation dans la perspective d'une éventuelle réintégration ;

Attendu que par de tels actes, M. Jean-Paul Renard a frauduleusement utilisé les pouvoirs qu'il tenait de ses fonctions à des fins privées étrangères à ses missions ; qu'il doit être disciplinairement sanctionné par une réprimande avec inscription au dossier.

Extrait de la décision du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en conseil de discipline, du 9 janvier 2002.

Le Conseil supérieur de la magistrature s'est finalement prononcé pour une simple « réprimande » avec inscription au dossier, alors que la Chancellerie avait demandé le déplacement d'office du juge d'instruction niçois.

Alors que l'intéressé a reconnu les faits et que le Conseil supérieur de la magistrature a considéré que le juge Renard a frauduleusement utilisé les pouvoirs qu'il tenait de ses fonctions, comment ne pas s'interroger sur le sens d'une telle décision de clémence. Celle-ci manifeste, au mépris de la réalité des faits à sanctionner, la volonté de protéger les intérêts particuliers de certains représentants de la magistrature aux dépens de la justice républicaine.

On ne déplorera jamais assez, au vu de décisions de ce genre, l'échec de la réforme visant à modifier profondément la composition du Conseil supérieur de la magistrature.

Cette instance, à l'évidence, n'a pas été insensible à l'intervention favorable de M. Yves Le Bourdon, Président de la Chambre d'accusation d'Aix-en-Provence.


Je suis allé dire au Conseil supérieur de la magistrature

que l'on faisait un mauvais procès au juge Renard

M. Yves LE BOURDON, Président de la Chambre d'accusation d'Aix-en-Provence : [...] Je suis allé le défendre sur le problème de la suspension provisoire, car je pense que l'on a voulu créer une situation, comme je l'explique dans ce que j'ai dit devant le CSM, qui n'aurait pas dû se présenter dans les termes dans lesquels on l'a présentée.

Dans mon rôle de président de chambre de l'instruction, je suis allé dire au CSM que l'on était en train de faire un mauvais procès à un juge qui a peut-être failli personnellement mais qui, pour ce qui est des procédures que j'ai pu voir, avait travaillé tout à fait normalement. Il me paraît être un magistrat tout à fait compétent, et ce n'est pas moi qui le dit, ce sont tous les présidents de chambre de l'instruction qui m'ont précédé depuis des années et, il a, me semble-t-il, été désigné à la vindicte publique d'une manière tout à fait anormale. [...]

C'est une procédure que je n'accepte pas en tant que magistrat président de la chambre de l'instruction et eu égard, en plus, à ce que l'on faisait à M. Renard, car qu'il ait péché éventuellement, et même certainement puisqu'il est sanctionné, mais qu'on le traîne publiquement et de manière répétée dans la boue, ce n'est pas supportable. [...]

Extrait de l'entretien du Rapporteur avec M. Yves Le Bourdon, Président de la Chambre d'accusation d'Aix-en-Provence, le 28 février 2002.

Ces appréciations personnelles du Président de la Chambre d'accusation d'Aix-en-Provence, à propos du juge Jean-Paul Renard, sont pourtant lourdement contredites par d'autres magistrats 3.

On constatera que, par cette surprenante décision, M. Jean-Paul Renard, dont l'essentiel de la carrière s'est déroulé ces dernières années entre Nice et Grasse, conserve son poste de doyen des juges d'instruction et se voit conforter dans son implantation locale, ce qui, aux yeux de la Mission, est inacceptable. Une réforme de la composition corporatiste et monosyndicale du CSM est à imposer d'urgence.

2.- L'inamovibilité pernicieuse des magistrats dans le sud-est

La Mission, lors des précédents rapports qu'elle a consacré notamment au Liechtenstein et à Monaco, avait mis en évidence, dans ces petits territoires géographiques, l'obstacle constitué, dans ces univers clos, par la très grande proximité entre responsables économiques, responsables politiques et autorités judiciaires dont les représentants ne se renouvellent pas.

Le sud-est de la France, depuis des décennies, reproduit cette réalité puisque le déroulement, pendant trente ans dans cette même région, de la carrière de nombreux magistrats, place de fait ces derniers dans un rapport de proximité, voire de familiarité, avec l'ensemble des personnalités économiques ou politiques locales.

Des voix se sont élevées contre ce principe d'inamovibilité qui place in fine en porte à faux les magistrats face aux justiciables.

Selon les informations recueillies par votre Rapporteur sur l'état de la délinquance et la corruption dans le sud-est, la mobilité exigée partout ailleurs des magistrats pour progresser dans leur carrière n'est pas nécessaire dans la région du midi.

Cet aspect est particulièrement préoccupant et constitue un élément objectif qui paralyse le fonctionnement normal de l'institution judiciaire.

A cet égard, le Midi, et plus particulièrement la région niçoise, ont une spécificité, celle des carrières au long cours.

Une simple observation de la carrière des magistrats niçois ou toulonnais suffit pour se rendre compte que leur mobilité est quasiment nulle.

On peut faire toute une carrière à Nice et sa région. On connaît plus d'un magistrat qui, débutant comme substitut à Nice, a été ensuite promu premier substitut à Grasse, pour revenir comme Vice-président à Nice, puis repartir comme premier Vice-président à Grasse, etc. Les exemples de ce type abondent. Il en est qui totalisent plus de trente ans de fonctions dans le même ressort, dans le même département, voire la même juridiction.

La mobilité, exigée ailleurs pour avancer, n'existe pas ici. Certes, le climat y est agréable mais pour réaliser ce tour de force, il faut des appuis politiques. Il faut, pour cela, avoir rendu bien sûr des services et, surtout, ne pas avoir montré un zèle intempestif dans l'exercice de la répression. Ainsi, le temps qui se prolonge et les relations qui se nouent entre les politiques locaux et les magistrats, renforcent des liens qui, parfois, tournent à la collusion. Ainsi, se créent des réseaux d'influence et des échanges de bons services, avec la complicité des tribunaux de commerce, des syndics et des notables locaux.

Ce problème a été soulevé devant votre Rapporteur par le Procureur Eric de Montgolfier, dont les interrogations de bon sens ne peuvent que gravement inquiéter la Mission quant à l'indépendance de certains magistrats sur la Côte d'Azur.


Je suis étonné du train de vie de certains magistrats

sur la Côte d'Azur

M. Eric de MONTGOLFIER, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice : Il faut sortir d'un tel système pernicieux. Il faut en finir avec l'inamovibilité. Plus de dix ans de carrière à Nice, je ne suis pas persuadé que cela soit une bonne chose. Le système est d'autant plus corrupteur qu'il est agréable. A tout prendre, on préfère avoir une villa avec piscine, mais il faudrait sans doute prendre quelques précautions s'agissant de certains magistrats dont les signes extérieurs de richesse me laissent parfois songeur.

M. le Rapporteur : Certains juges vivraient-ils au-dessus de leurs moyens ?

M. Eric de MONTGOLFIER : Je suis étonné du train de vie de certains magistrats, en effet. Sur la côte d'Azur, une villa avec piscine, c'est très cher ! Mais peut-être nomme-t-on à Nice des gens qui disposent déjà d'une importante fortune personnelle... Quoi qu'il en soit, je crois qu'il serait utile d'examiner tous les cinq ou six ans le train de vie de certains magistrats. Les services financiers pourraient mettre au point un plan de contrôle des ressources. Si l'on gagne au Loto, tant mieux, mais c'est facilement vérifiable.

Extrait de l'entretien de M. Eric de Montgolfier, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice, avec le Rapporteur de la Mission, le 11 juillet 2000.

La dépendance de la carrière des magistrats à l'égard des pouvoirs économiques et politiques locaux constitue le problème de fond. Une carrière assurée sur place passerait-elle inévitablement par « un sens de l'opportunité » des poursuites adapté à la réalité régionale ?

Comme l'a souligné M. Etienne Ceccaldi, les dossiers qui traitent de la délinquance financière ou du blanchiment ne mettent pas en cause le délinquant lambda. Cette criminalité astucieuse est l'affaire de professionnels qualifiés et fait apparaître à un moment ou à un autre, au gré d'opérations complexes, une personnalité ou un notable.


En matière financière, on s'attaque aux gens de pouvoir

M. Etienne CECCALDI, ancien Substitut général à Aix-en-Provence : C'est le problème de fond de la délinquance financière : qui attaque-t-on en matière financière ? On n'attaque pas le maghrébin lambda en situation irrégulière, on attaque le Président de la Chambre de commerce de Nice. Je cite cet exemple particulier par référence à ce dossier de la SPAN, mais ce sont toujours des notables, des PDG, des dirigeants de société. Ce sont des gens qui ont le pouvoir et, ayant le pouvoir, ils ont le contact avec le pouvoir politique. [...]

Si je veux rester à Nice tranquillement, y faire carrière, nécessairement, il faut que je ne dérange personne, il faut que je manifeste que j'ai un « sens de l'opportunité » des poursuites, adapté à la situation.

Tous ces gens qui font carrière sur place, ne la font que parce qu'ils trouvent le moyen au moment où se pose le problème de leur avancement, d'avoir le relais. [...]

Le problème de fond est celui-là : la dépendance de la carrière à l'égard du pouvoir politique. [...]

Si l'on veut rester sur place et ne pas se faire d'ennemi, il faut forcément ne pas ennuyer les gens importants. C'est évident. [...]

Extrait de l'entretien de M.. Etienne Ceccaldi, ancien Substitut général à Aix-en-Provence, avec le Rapporteur, le 7 juin 2001.

Dans un tel contexte où notables, gens de pouvoir et représentants de l'autorité judiciaire entretiennent d'étroites relations, les affaires de délinquance financière ou de blanchiment qui sortent et qui aboutissent sont des denrées rares.


Les affaires de blanchiment n'aboutissent pas

dans le sud-est

Mme Isabelle ARNAL : [...] La dispersion de l'information, notamment en matière de blanchiment d'argent, est trop importante. Ce n'est un secret pour personne : on ne peut que s'étonner du résultat judiciaire des informations ouvertes en matière de blanchiment d'argent. [...] En trois ans à Grasse, je n'ai personnellement soutenu l'accusation pour aucun dossier de blanchiment d'argent.

Extrait de l'entretien du Rapporteur avec Mme Isabelle Arnal, le 20 juin 2001.

3.- Une délinquance financière impunie

Il ressort des investigations menées par la Mission auprès des magistrats financiers, insatisfaits de leurs conditions de travail dans le sud-est, qu'une première série de difficultés vient de l'absence de volonté clairement énoncée de faire de la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment une priorité de la politique pénale dans la région et qu'une deuxième série de causes tient à l'inertie d'une partie de l'appareil judiciaire, peu empressé de voir sortir des affaires financières qui sanctionneraient des notabilités locales.

a) L'absence de priorité accordée à la lutte contre la délinquance financière

Le contexte précédemment décrit conduit actuellement un certain nombre de magistrats à s'interroger sur l'utilité qu'il y aurait encore, dans ces conditions, à poursuivre la lutte contre la délinquance financière.

Le témoignage devant la Mission du juge d'instruction, Philippe Dorcet, est tout à fait significatif de ce désarroi.


Un certain nombre de magistrats pénalistes se demandent

aujourd'hui à quoi ils servent

M. Philippe DORCET, Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice : Monsieur le Rapporteur, je suis juge d'instruction à Nice depuis deux ans, mais j'ai été substitut du procureur - toujours à Nice - de 1992 à 1999 ; je pense donc avoir un certain recul sur le phénomène pénal dans les Alpes-Maritimes et en particulier dans le ressort de Nice.

En tant que juge d'instruction, je ne peux qu'approuver votre démarche, car nous sommes parfois inquiets et surpris de constater que ce que nous voyons au quotidien, en matière de délinquance financière, n'est pas suivi d'effets. Un certain nombre de magistrats pénalistes des Alpes-Maritimes se demandent en effet à quoi ils servent, notamment en matière de lutte contre la délinquance financière.

Monsieur Jean-Pierre Murciano - qui est toujours sous les feux de l'actualité -, a été beaucoup critiqué, mais il a été le seul, pendant des années, à posséder certaines informations lui donnant la possibilité de comprendre les mécanismes permettant d'éluder certaines responsabilités pénales, notamment en matière de délinquance financière et de blanchiment. Aujourd'hui, certains magistrats pénalistes se demandent qui fait quoi en la matière et s'interrogent parfois sur ce que font les juges d'instruction de Nice ou de Grasse, qui s'occupent de ces affaires.

Extrait de l'audition de M. Philippe Dorcet, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001.

La lutte contre la délinquance financière repose sur la volonté d'en faire un objectif prioritaire.

Comme le soulignait le Procureur Eric de Montgolfier, un tel choix suppose beaucoup d'énergie et de détermination de la part de la hiérarchie judiciaire : « Si l'on veut avancer en matière de délinquance financière, il faut être présent, dynamique et actif ».

En effet, à la différence des dossiers de droit commun qui arrivent, pourrait-on dire d'eux-mêmes, jusque dans les bureaux de la justice, les affaires de délinquance financière nécessitent d'être débusquées et demandent du temps et de l'obstination.

Or, cette volonté de poursuivre en matière de délinquance financière semble particulièrement défaillante aux dires des magistrats entendus par la Mission.

Pour Philippe Dorcet qui s'est étonné de l'ignorance de la justice sur l'implantation du crime organisé sur la Côte d'Azur, « la lutte contre la délinquance financière souffre du très faible nombre d'affaires qui sortent grâce à l'action des services de police ou du Parquet. »

Isabelle Arnal a, quant à elle, fait part de sa perplexité face à l'absence de stratégie judiciaire face à des phénomènes observés de délinquance financière dans le midi.

« On lit beaucoup de choses sur les investissements russes dans la Côte d'Azur. Quiconque s'y promène peut constater que de nombreuses personnes des pays de l'est y vivent avec beaucoup d'argent. Or quelle est la stratégie judiciaire par rapport à cette situation ? Je me suis souvent posé cette question. »

Ce sentiment d'une absence de volonté d'aboutir sur les dossiers économiques et financiers s'explique largement par la proximité, certains sont allés jusqu'à dire la collusion, entre le monde délinquant, le monde politique et celui de la justice, mais cette faiblesse du nombre des poursuites et des affaires qui sortent, résulte aussi d'un manque de moyens adaptés pour lutter contre cette délinquance astucieuse qui fait véritablement appel à des compétences techniques.

b) Des moyens insuffisants

Ce discours sur l'insuffisance des moyens a été régulièrement tenu aux membres de la Mission et la région du sud-est, où la situation est particulièrement tendue, n'échappe évidemment pas à cette revendication.


Nous finissons par nous demander si

un tel dénuement de moyens n'est pas volontaire

Cela fait de nombreuses années - bientôt douze ans en ce qui me concerne - que nous attirons l'attention sur cette difficulté, sans être vraiment entendus. Cela nous désespère et nous amène parfois à nous demander si ce n'est pas volontairement qu'on nous laisse dans un tel dénuement de moyens. D'autant que cela se répercute sur les services de police qui connaissent les mêmes problèmes d'effectifs.

Cela aboutit à la situation actuelle à Grasse où chaque juge doit avoir plus de 220 dossiers en stock, c'est-à-dire parfois le triple de ce qui est constaté sur le territoire national en moyenne. Non seulement, nous avons du mal à traiter dans des délais raisonnables nos procédures, mais nous devons parfois abandonner certaines prérogatives aux enquêteurs auxquels nous délivrons des commissions rogatoires sur lesquelles nous avons peu de contrôle.

Extrait de l'entretien du Rapporteur avec M. Jean-Pierre Murciano, juge d'instruction, le 20 mai 2000 à Nice.

Deux points sont particulièrement signalés par les magistrats en poste dans le midi, celui des moyens de la police judiciaire et celui des assistants spécialisés.

Ainsi, Marc Cimamonti, Procureur adjoint au Parquet de Marseille, a souligné la difficulté d'obtenir, dans les conditions de rapidité exigées par les investigations en matière financière, le concours des officiers de police judiciaire.

« Notre seul interlocuteur valable en matière économique et financière est la division économique et financière du SRPJ de Marseille, c'est-à-dire, en tout et pour tout, soixante officiers de police judiciaire... En pratique, cela veut dire que, quand vous confiez une procédure d'enquête à un officier SRPJ, avant d'enclencher effectivement les investigations, des mois - voire une année - peuvent s'écouler. C'est une situation qui n'est pas acceptable. » (Audition de M. Marc Cimamonti, Procureur de la République adjoint au Parquet de Marseille, devant la Mission, le 9 mai 2000).

Interrogé précisément sur l'évaluation des besoins en OPJ par votre Rapporteur, Marc Cimamonti a estimé qu'il faudrait une augmentation de 30 à 40 % des effectifs des OPJ pour enclencher des enquêtes d'initiative, faire des recoupements entre délinquance financière et criminalité organisée, s'intéresser aux agissements financiers de certaines personnes, etc.


Il faut attendre un an avant que les

investigations commencent

M. le Rapporteur : J'aimerais savoir à quel nombre vous évaluez vos besoins en OPJ. Si, en ce moment, une grande réforme de la police est en cours - c'est la mise en place d'une police de proximité, qui répond à des attentes concrètes de nombre de nos concitoyens -, il est vrai que certains offices, comme l'OCRGDF ont perdu des moyens au cours des années récentes. Les SRPJ ne voient guère leurs effectifs augmenter. Vous parliez de soixante OPJ pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur : à combien estimez-vous l'augmentation nécessaire pour ne plus avoir à attendre un an avant que les investigations commencent ?

M. Marc CIMAMONTI, Procureur de la République adjoint au Parquet de Marseille : Il me paraît important qu'au-delà de l'augmentation purement quantitative, nous ayons la possibilité d'avoir recours à plusieurs services - c'est-à-dire que des moyens de police judiciaire financière soient, par exemple, véritablement dévolus aux services de gendarmerie.

J'estime qu'il nous faut une augmentation de l'ordre de 30 à 40 % des effectifs pour enclencher directement les investigations. Car, bien souvent, nous avons besoin de deux, trois voire quatre OPJ travaillant en parallèle sur un dossier déterminé, pour concentrer les investigations préliminaires. Actuellement, nous n'en avons qu'un pour traiter l'intégralité du dossier.

Il faut aussi et surtout diversifier les services. Cette diversification est en cours avec les OPJ des douanes. Au contact quotidien d'un assistant spécialisé inspecteur des douanes, j'ai mieux perçu l'utilité de ce service. Il représente un apport substantiel à notre action, surtout dans une ville portuaire comme Marseille.

M. le Rapporteur : Voilà qui est clair.

Extrait de l'audition de M. Marc Cimamonti, Procureur de la République adjoint au Parquet de Marseille, devant la Mission, le 9 mai 2000.

Ce manque de moyens et d'effectifs, également dénoncé par le Procureur Eric de Montgolfier, soulève le problème de l'appréciation effective de la charge de travail des services de police judiciaire et du risque d'un transfert de prérogatives des magistrats au profit des Officiers de police judiciaire (OPJ).

« Lorsqu'on ouvre une enquête, ne l'oublions pas, les plans de charge sont inconnus du fait de la structure même de l'instruction judiciaire. Le SRPJ de Marseille, par exemple, est également compétent pour Nice, les Alpes de Haute-Provence et le Var. Lorsque l'on s'adresse à lui pour une affaire trop compliquée, il nous répond toujours : « on a trop de travail ! » Comment puis-je contrôler cette affirmation ? Dans les faits, aucun service de police judiciaire ne nous apporte son aide. Voilà pourquoi nous sommes si peu efficaces. Je n'ai pas d'autres explications, plus techniques ou politiciennes pour comprendre cette situation. J'affirme simplement que nous n'avons aucun service de police judiciaire dont nous pouvons mesurer la charge effective de travail. Lorsqu'ils sont à cheval sur plusieurs ressorts, c'est encore plus vrai. » (Eric de Montgolfier, entretien avec le Rapporteur, le 11 juillet 2000).

« Les enquêteurs étant eux-mêmes surchargés, ils traitent dans l'ordre qu'ils veulent bien ces procédures, en privilégiant éventuellement celles qui, à leurs yeux, méritent l'attention et qui ne sont pas forcément celles qu'aurait traitées en priorité le magistrat. Il y a tout un transfert de prérogatives qui se fait au profit des OPJ, ce qui pose de nombreux problèmes. » (Jean-Pierre Murciano, entretien avec le Rapporteur, le 20 mai 2000 à Nice).

Cette question de l'arbitrage à effectuer entre les différentes missions de la police judiciaire - police de proximité, police financière, etc. - se pose d'une façon générale qui dépasse le cadre géographique du sud-est. Néanmoins, ce problème prend ici une dimension particulière, compte tenu de l'existence dans cette région d'une criminalité économique et financière importante.

C'est cette nécessité d'opérer un choix qu'a soulignée le procureur Eric de Montgolfier, qui considère d'une part que la délinquance financière, compte tenu de ses caractéristiques, ne peut être correctement traitée dans les petites juridictions et, d'autre part, requiert l'assistance d'experts spécialisés en plus grand nombre, malgré l'avancée que constitue la création des pôles économiques et financiers.

« A Nice, en particulier, la situation est pire que tout, alors que l'attente de la population en matière de justice, on le sent bien, est très forte. Pour ma part, je ne vois pas comment la satisfaire sans compromettre une branche d'activité. Actuellement, la justice consiste à faire des choix de pénurie : faut-il ne plus s'occuper de la petite délinquance ? Faut-il abandonner le traitement de la délinquance financière ? En fait, celle-ci n'est pas traitée dans les petites juridictions qui n'en ont pas les moyens. La délinquance financière, ne l'oublions pas, demande du temps, des compétences et suffisamment de fonctionnaires. S'agissant des magistrats, chacun se plaint de ne pas en avoir assez - c'est souvent vrai. Par contre, ce qui est incontestable, c'est que le traitement de la délinquance économique et financière manque singulièrement d'assistants.

Nous avons donc besoin de gens compétents, de gens qui pourraient être détachés du Trésor ou des services fiscaux. [...]

Là où il y a des contentieux financiers, fiscaux et comptables complexes, nous devrions disposer d'une personne compétente. C'est très important. Certes, certains dossiers sont relativement simples, mais on a toujours besoin de savoir ce qui se cache derrière. Comment traiter ce type de dossier ? Faut-il commencer par un balayage interne qui nous permettrait de déterminer clairement ce que nous voulons ? Quelles doivent être les priorités du dossier ? Peut-on se passer de l'aide de la police judiciaire et financière ? »

L'attention de la Mission a enfin été attirée sur les structures de contrôle qui interviennent en amont de l'institution judiciaire. Le procureur Marc Cimamonti a ainsi rappelé l'importance des marchés publics dans les affaires financières que les magistrats du sud-est sont amenés à traiter. Il a indiqué par exemple que le bureau de contrôle de légalité de la préfecture des Bouches-du-Rhône ne disposait, en l'an 2000, que de cinq fonctionnaires seulement pour analyser et décortiquer environ 5 000 marchés publics.

Dans ces conditions, il est très difficile, voire quasiment impossible, d'étudier correctement la passation de ces marchés et d'informer, le cas échéant, le procureur, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, de tout fait susceptible de constituer une infraction.

« Le bureau de contrôle de légalité de la préfecture des Bouches-du-Rhône compte cinq fonctionnaires pour près de 5 000 marchés publics à analyser et à décrypter très précisément. Ils n'en ont pas les moyens. Sans doute serait-il nécessaire d'étudier comment des conseillers de chambre régionale des comptes ou de tribunal administratif pourraient être détachés ou mis à disposition de ces services pour les épauler.

Il en est de même des chambres régionales des comptes. Au regard des missions qui leur sont confiées, il faut se poser la question de ce qu'elles font. On s'aperçoit qu'elles ont à contrôler des entités qui, finalement, n'offrent que peu d'intérêt du point de vue de l'utilisation des fonds publics - je pense aux associations syndicales et à diverses associations qui représentent près d'un tiers des comptes qu'elles ont à contrôler annuellement. Il faut donc aussi se poser la question de l'utilisation de ces corps de contrôle. L'améliorer aura des conséquences sur les saisines des parquets. »

Ajoutés les uns aux autres, ces différents éléments du puzzle créent une situation insatisfaisante dans laquelle les institutions de la République peinent à fonctionner correctement.

4.- Une situation judiciaire très dégradée

Le mélange de facteurs structurels - manque de moyens et d'effectifs, nécessité d'arbitrage entre les objectifs de la police pénale, etc. - et de facteurs régionaux - absence de mobilité des magistrats, proximité des relations sociales, présence de réseaux structurés, etc. - a pour résultat de faire du sud-est de la France une région où la criminalité économique et financière et le blanchiment bénéficient d'une quasi impunité.

L'information est insuffisante et mal coordonnée, le temps manque aux magistrats pugnaces, à moins que la hiérarchie judiciaire ne décide elle-même de dessaisir tel juge, trop obstiné, du traitement d'une affaire financière quelque peu délicate ou politiquement sensible.

Inversement, ceux qui préfèrent éluder les problèmes jouent à loisir des délais dont ils disposent, au point même que certains dossiers acquièrent la faculté de disparaître.

a) Les dossiers s'enlisent

En matière judiciaire, les ressources ne manquent pas pour faire traîner les affaires en longueur et cette stratégie est fréquemment utilisée, comme le déplore le Procureur Eric de Montgolfier.


Pourquoi certains dossiers mettent-ils

tellement de temps à sortir ?

M. Eric de MONTGOLFIER, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice : Dans l'image populaire de la justice, il y a le bon - le juge - et le méchant - le procureur. J'ai l'impression qu'à Nice, l'ordre des choses est inversé. Je ne suis pas sûr de n'avoir en face de moi que des « bons ». Cela pose d'énormes problèmes car lorsqu'on ouvre une information, on doit être certain qu'elle aboutisse sans qu'il y ait des interventions ou des interférences. Or à Nice, il faut constamment rester attentifs et souvent rappeler au président que telle ou telle affaire est à risque, car entachée par des relations personnelles.

Il existe une règle assez tranchée dans notre droit, celle selon laquelle le juge, lorsqu'il est saisi d'un dossier, est le seul à décider du moment de sa fermeture. Selon moi, c'est une règle abominable, car on peut être très présent, prendre des réquisitions, mais si le juge ne veut pas s'arrêter, il ne s'arrêtera pas. Comment sortir d'une telle situation puisque le juge ne peut pas être contraint ! De surcroît, il est inamovible. Or, il se trouve que j'exerce dans une région ensoleillée où l'inamovibilité est plus poussée qu'ailleurs. Pourquoi certains dossiers mettent-ils tellement de temps à sortir ? Pourquoi faut-il parfois tant d'énergie pour obtenir des mises en examen ? Je pense en particulier à un dossier financier concernant le président du Conseil général des Alpes Maritimes. [...]

Extrait de l'entretien de M. Eric de Montgolfier, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice, avec le Rapporteur de la Mission, le 11 juillet 2000.

Il semble qu'il y aurait comme une « tradition niçoise » à travailler les dossiers dans la durée, si l'on en juge par le témoignage d'Etienne Ceccaldi, qui n'a pas oublié l'affaire du parc d'attractions de Nice, dont il a eu à connaître au début des années 1990.

La Société du Parc d'Attractions de Nice, la SPAN, créée par le maire de l'époque, Jacques Médecin, avait, en deux ans, laissé un passif de 100 millions de francs, malgré des recettes et diverses rentrées d'argent importantes et avait donné lieu à un dépôt de bilan.

Dans cette affaire, la ville de Nice, en tant que caution, avait dû rembourser 30 millions de francs.

Pour Etienne Ceccaldi, à l'époque Substitut du Procureur général à la Cour d'Aix-en-Provence, « il y avait en filigrane des détournements et des abus de biens sociaux considérables. » Or, le peu d'empressement du Parquet de Nice à traiter le dossier a fini par avoir raison de cette affaire, qui n'est jamais sortie.


Le temps a passé, tous les prévenus ont été relaxés

sans que le Parquet général ait été informé

M. Etienne CECCALDI, ancien Substitut général à Aix-en-Provence : Pour ma part, informé de ce dossier qui recelait à l'évidence des infractions, c'est du moins l'estimation que j'en faisais et je ne me suis pas beaucoup trompé d'ailleurs, j'ai donné instruction que l'on nous rende compte régulièrement de l'évolution du dossier. Mais ces comptes rendus et rapports ne m'arrivaient guère et quand ils arrivaient, ils étaient assez lacunaires, sans aucun renseignement sur le fond même de l'affaire et les responsabilités éventuelles : « J'attends le rapport d'expertise ordonné par le tribunal de commerce... ».

Quatre mois plus tard, j'ai demandé au Procureur de Nice où en était le dossier. Habituellement, cela ne fonctionne pas ainsi, ce sont les parquets qui rendent compte, sans que l'on ait besoin de les solliciter, surtout quand ils savent que c'est une affaire qui est « suivie ». J'ai donc, à plusieurs reprises, envoyé des dépêches demandant à être tenu informé de l'évolution du dossier. On me répondait, M. Durand et, avant lui, M. Scholem, toujours par des rapports d'attente...

On me répondait donc que l'on attendait le rapport d'expertise ordonné par le tribunal de commerce, etc. Puis, un beau jour, le Parquet de Nice m'a écrit que le rapport avait été déposé, qu'il faisait apparaître quelques infractions et que l'on allait faire une citation directe.

J'ai alors demandé que l'on m'envoie le rapport d'expertise comptable, car je voulais moi-même connaître la réalité du dossier. On m'a répondu que celui-ci était très volumineux, qu'il fallait faire des photocopies et que la machine était en panne. Bref, malgré plusieurs relances, je n'ai jamais eu ce rapport de l'affaire SPAN, la société qui gérait le parc.

En même temps, [...] on m'écrivait que l'on allait faire une citation directe. Dans une affaire d'infraction sur une société, j'avoue que la citation directe est rarissime, ou alors c'est l'affaire de l'épicier du coin qui a déposé le bilan en emportant la caisse ou en s'achetant une Ferrari. Mais, dans une affaire de cette nature, avec de vraies infractions financières, cela ne se voit pas et je ne l'ai personnellement jamais vu, sauf dans ce cas à Nice.

A réception de cette dépêche, j'ai donc écrit, sous la signature du Procureur général en personne cette fois, parce que je trouvais que cela faisait beaucoup et que je sentais bien des résistances, en donnant instruction expresse d'ouvrir une information judiciaire, c'est-à-dire de saisir un juge d'instruction. Habituellement, les Parquets exécutent ce genre d'instructions. Le temps a passé. Six ou sept mois après, n'ayant pas de nouvelles informations, j'ai encore relancé le parquet de Nice sous la signature du procureur général en personne. [...]

On m'a répondu que la citation directe avait été lancée, que l'on n'avait jamais reçu les instructions du parquet général recommandant l'ouverture d'une information et que tous les prévenus avaient été relaxés et que le délai d'appel était expiré, évidemment.

Le Parquet de Nice n'avait rendu compte de rien car même d'un point de vue strictement professionnel et indépendamment des instructions reçues dans une affaire signalée, à supposer même que les instructions ne soient pas arrivées, il fallait rendre compte de la condamnation et demander si l'on souhaitait faire appel, quitte à laisser le Parquet Général exercer son droit d'appel propre...

M. le Rapporteur : Vous considérez que c'est là une méthode utilisée par des magistrats du parquet de Nice, puisqu'ils ont en charge l'action publique, pour empêcher la découverte d'infractions graves qui pourraient mêler un certain nombre de notables politiques.

M. Etienne CECCALDI : Bien sûr.

M. le Rapporteur : Je peux résumer la situation ainsi.

M. Etienne CECCALDI : Bien sûr.

Extrait de l'entretien de M.. Etienne Ceccaldi, ancien Substitut général à Aix-en-Provence, avec le Rapporteur, le 7 juin 2001.

Le Procureur Eric de Montgolfier a également fait état, devant votre Rapporteur, d'une prescription d'action concernant Anthony Tannouri, escroc local, objet de maintes poursuites judiciaires et actuellement en fuite.


Pendant quatre ans, le dossier n'avait connu

aucune activité

M. Eric de MONTGOLFIER, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice : Cet escroc international avait en effet réussi à construire illégalement une villa du côté du Cap d'Antibes qui empiétait sur le domaine public. Or à la fin de l'année 1999, j'ai découvert que nous avions ouvert un dossier qui, pendant quatre ans, n'avait connu aucune activité. Je décide d'en savoir plus. Le procureur général me demande alors d'interroger le magistrat chargé du dossier. Celui-ci m'affirme qu'il n'arrive pas à expliquer cette situation, alors que dans le même temps, le maire qui avait déposé plainte m'affirme qu'il a insisté à de multiples reprises pour que l'affaire avance. Mais il est vrai que dans cette histoire, le procureur était âgé et à la veille de la retraite...

Extrait de l'entretien de M. Eric de Montgolfier, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice, avec le Rapporteur de la Mission, le 11 juillet 2000.

A l'évidence, Anthony Tannouri aurait fait l'objet d'un traitement de faveur de la part de certaines autorités judiciaires qui laisse songeur le juge d'instruction Philippe Dorcet.

« Prenez l'intégralité de la carrière pénale de M. Tannouri à Nice depuis 1990. J'ai fait condamner M. Tannouri à plusieurs années d'emprisonnement et je ne peux que m'étonner de la mansuétude dont il a pu parfois bénéficier ; mais est-ce que cette mansuétude a été calculée ? Je ne sais pas. » (Audition de M. Philippe Dorcet, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001).

Le souvenir d'Etienne Ceccaldi, chargé à l'époque de suivre un dossier dans lequel Anthony Tannouri était impliqué dans une importante affaire d'escroquerie au riz malgache, illustre à point le type de dysfonctionnement qui caractérise l'institution judiciaire dans le midi.

Anthony Tannouri ayant promis une livraison de riz à l'Etat malgache ne fait livrer qu'un dixième de la quantité promise et fait valoir que, pour obtenir le solde de la livraison, il lui faut pouvoir remettre aux banquiers, qui cautionnent l'opération, 30 à 40 millions de francs or. Cette somme se volatilisera et vaudra à Anthony Tannouri d'être poursuivi en justice.


La commission rogatoire exécutée par la Suisse

est restée bloquée quatorze mois au Parquet de Nice

M. Etienne CECCALDI, ancien Substitut général à Aix-en-Provence : En revanche, sur cette affaire du riz, je peux vous décrire un autre dysfonctionnement que j'ai constaté de mes yeux : Tannouri, quand il a été inculpé, et d'ailleurs détenu, a soutenu comme le prétendent tous les escrocs, qu'en réalité, avec l'or qu'il avait obtenu, l'opération devait aboutir mais qu'elle n'avait pas pu se faire parce que des intermédiaires avaient détourné les lingots d'or. Une commission rogatoire a donc été envoyée en Suisse pour essayer de déterminer quel avait été l'usage des fonds provenant de l'or négocié.

Quand le dossier est arrivé à la cour d'appel d'Aix sur un appel de Tannouri qui, entre-temps, avait été condamné assez lourdement et qui est libre puisqu'il a pris la fuite, j'ai appris incidemment, par un contact indirect avec le procureur général de Genève, que cette commission rogatoire qui devait déterminer l'usage des fonds, et dont j'avais l'original mais pas les pièces d'exécution, le juge ayant estimé qu'il pouvait clore son information sans que la commission rogatoire soit rentrée, j'ai donc appris que cette commission rogatoire qui était quand même importante pour un abus de confiance ou une escroquerie, avait été, en fait, exécutée. Le Parquet Général de Genève m'a donné les caractéristiques de cette pièce de justice et la date de l'envoi au Parquet de Nice.

Comme je devais soutenir ce dossier à l'audience en appel, j'ai donc écrit au parquet de Nice pour réclamer les procès-verbaux d'exécution en Suisse de la commission rogatoire, en indiquant ce que je venais d'apprendre et en demandant si ces informations que je tenais de Genève étaient exactes. En retour, j'ai reçu la commission rogatoire que M. Durand, car c'est lui qui a traité l'affaire, avait depuis treize ou quatorze mois sous le coude. Sans explication aucune sur les raisons de cette carence, ni réponse à mes questions.

Ce sont des choses qui surprennent qu'un procureur adjoint garde ainsi pendant treize ou quatorze mois une commission rogatoire, exécutée sur une affaire de cette nature qui était suivie à la Chancellerie, au ministère des Affaires étrangères et au parquet général, et dont les éléments étaient capitaux parce qu'à Genève, les Suisses avaient tout de même établi que l'argent provenant des lingots d'or avait servi à l'achat d'une sorte de Mystère 20, un avion à réaction d'affaires, aménagé somptueusement par Tannouri. Donc, grâce à ces pièces, tout le système de défense de Tannouri qui prétendait être victime d'intermédiaires ayant détourné l'argent des lingots d'or, s'effondrait. Cette preuve accablante pour le prévenu est restée treize mois au parquet de Nice avant qu'il me la fasse parvenir à ma demande !

M. le Rapporteur : Vous voulez dire que Tannouri a réussi à capter la bienveillance des magistrats du parquet de Nice ?

M. Etienne CECCALDI : Je ne sais pas. J'ai poussé des cris.

M. le Rapporteur : Que vous a-t-on répondu ?

M. Etienne CECCALDI : Eh bien, ce n'est pas moi qui suis allé à l'audience ! L'affaire a été confiée à M. Denis Mondon, qui venait d'arriver à Aix. Ce dernier trouvait cette attente de treize mois scandaleuse, disait qu'il fallait la dénoncer. Je lui ai répondu qu'ayant pour ma part été dessaisi de l'affaire, c'était à lui, qui se rendait à l'audience, de le faire. On n'a rien fait.

Extrait de l'entretien de M.. Etienne Ceccaldi, ancien Substitut général à Aix-en-Provence, avec le Rapporteur, le 7 juin 2001.

Aujourd'hui, Anthony Tannouri continue d'alimenter la chronique judiciaire locale. On vient aussi d'apprendre que Maître Michel Cardix aurait servi de banquier à Anthony Tannouri et se trouve désormais mis en examen pour blanchiment.


Anthony Tannouri, un escroc protégé

par le monde judiciaire

En 1998, le juge niçois Jean-Pierre Ferry estimait, dans un jugement, que l'homme d'affaires franco-libanais, alors condamné pour fraude fiscale (il devait 124 465 912 francs au fisc), pouvait bénéficier d'une semi-liberté, au motif qu'il « appartient à une race, au sens noble de ce terme, pour laquelle la « parole donnée » revêt une importance quasi-religieuse ; qu'au surplus, homme d'affaires international, Tannouri ne peut se permettre, dans ce monde des financiers internationaux où la confiance revêt une importance capitale dans les rapports commerciaux, de donner l'image d'un renégat ». On sait ce qu'il advint de la parole de Tony le Magnifique, en fuite depuis 1998. A ce jour, l'homme comptabiliserait treize condamnations, notamment pour escroquerie ; le fisc n'a récupéré qu'un centième des 44 millions d'euros qu'il lui réclame. [...]

Ouverte fin 1997 chez le juge Jean-Pierre Rousseau, l'instruction montre que certains chèques de Caprotti à Tannouri ont atterri sur le compte Carsan 4 de Maître Cardix, compte établi au nom du frère, Icham. Avec ce compte normalement réservé à des actes liés à des procédures judiciaires, Maître Cardix a payé une Ferrari (officiellement destinée à Icham), une facture de bijouterie, des notes d'EDF et d'eau et, surtout, le rachat en sous-main, par Anthony Tannouri, de sa villa de Cap-d'Ail. Vendue aux enchères le 26 septembre 1996 pour 15,3 millions de francs, à la demande des créanciers désireux de récupérer un peu d'argent, la Colombe est rachetée, dix mois plus tard, et pour 4 millions de francs de plus, par Anthony Tannouri, via une SCI montée par son avocat libanais et son beau-frère. « Oui, j'ai payé [ce rachat], et sur instruction d'Anthony Tannouri, reconnaît Maître Cardix. Je n'ai jamais essayé de dissimuler ça. »

Article de Michel Henry dans Libération, du 7 mars 2002.

Par des « hasards heureux », certains passent ainsi au travers des mailles du filet de la justice qui sélectionne les informations ou les personnes qui feront ou non l'objet de poursuites. Le dossier de l'OPAM HLM dans les Alpes-Maritimes illustre une telle pratique.

En s'élevant à l'audience, au nom du Parquet, sur la façon dont avait été traitée par l'instruction cette affaire de corruption, Philippe Dorcet a déclaré devant la Mission avoir eu le sentiment d'être « à la limite de la correction judiciaire et d'avoir évité de justesse la procédure disciplinaire. »


On nomme une enquêtrice à quart temps

sur une affaire importante

M. Philippe DORCET, Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice : Je me suis élevé publiquement au nom du parquet sur la manière dont avait été traité un dossier concernant la corruption au sein de l'OPAM HLM dans les Alpes-Maritimes. Un substitut d'audience qui déclare ce que j'avais déclaré à l'époque - je m'étonnais de voir qu'une telle affaire se terminait sur le renvoi en correctionnel de quatre musulmans et d'un SDF - est à la limite de la correction judiciaire. Si M. de Montgolfier n'avait pas été nommé procureur de la République à ce moment-là, je pense que j'aurais pu m'exposer à une procédure disciplinaire ou en tout cas à des remontrances en règle. [...]

M. le Rapporteur : Si vous êtes là, c'est parce que nous nous intéressons à des dysfonctionnements et que nous voulons épauler les magistrats courageux qui se battent et qui font vivre une certaine idée de la République que nous soutenons.

L'OPAM est un dossier que nous connaissons. Mais revenons sur ces faits qui sont très intéressants ; vous découvrez à l'audience - puisque vous n'aviez pas suivi ce dossier - que le dossier était curieusement équilibré. Nous possédons des informations montrant que le juge d'instruction n'a pas procédé à des poursuites alors qu'il avait eu sous le nez des informations prouvant qu'il existait des responsabilités d'une autre nature à rechercher. Comment expliquez-vous que le doyen des juges d'instruction, M. Renard, qui était chargé de ce dossier, ait pu fermer les yeux dans des conditions tout à fait curieuses ?

M. Philippe DORCET : Je me le suis également demandé ; j'en ai d'ailleurs fait part au tribunal. Mais j'ai été chargé de ce dossier la veille de l'audience. [...]

L'affaire était la suivante : des pauvres gens, qui demandaient des logements HLM, devaient remettre des enveloppes de 20 000 ou 30 000 francs. [...] Or j'avais été surpris du fait que personne n'était allé vérifier que ces personnes avaient retiré une telle somme et que les élus mis en cause n'avaient pas été entendus. Quelle que soit la qualité de l'enquêteur, c'est, là aussi, un problème de décision politique ; car lorsqu'on décide, sur une enquête de cette importance, de mettre une enquêtrice à quart temps, c'est difficile d'avancer !

M. le Rapporteur : Cela relève du pouvoir d'un magistrat du siège qui est le juge d'instruction et de l'absence d'énergie du parquet qui n'a jamais requis d'entendre les élus en cause.

Extrait de l'audition de M. Philippe Dorcet, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001.

Estimant que sa qualité de magistrat lui impose une certaine retenue, le juge Philippe Dorcet s'est défendu de préciser devant la Mission tous les dysfonctionnements notoires constatés dans cette affaire.


Un élu jamais entendu

[...] Le secret sur ces spécificités niçoises s'était entrouvert en novembre 1998, lors du procès d'une affaire de corruption à l'office HLM des Alpes-Maritimes (OPAM). Le président du tribunal correctionnel de Nice, Jean-Pierre Ferry, avait alors souligné, à l'audience, « les carences de l'instruction » et déploré sans ambages que l'ancien président de l'OPAM, le sénateur (RI) José Balarello, n'ait jamais été interrogé. Dans un rapport, daté du 10 juillet 1996, les policiers avaient pourtant constitué « à l'encontre de M. Balarello » les délits de « trafic d'influence » et d'« abus de confiance », signalant que l'élu avait excipé de l'immunité parlementaire pour ne consentir à être interrogé que par un juge. Mais le magistrat chargé de l'enquête - le doyen des juges d'instruction, Jean-Paul Renard - ne le convoqua jamais. Le 5 novembre 1997, les réquisitions du procureur adjoint, Didier Durand, exonéraient M. Balarello, concluant que « l'information n'[avait] pas permis de caractériser une infraction pénale [...] imputable à un dirigeant de l'OPAM ». Un mois et demi plus tard, le 22 décembre, le juge Renard ordonnait le renvoi de quatre prévenus, mais faisait l'impasse sur le sort du sénateur. [...]

Extrait d'un article d'Hervé Gattegno paru dans le Monde, du 13 novembre 1999.

Le traitement très « personnalisé » des dossiers financiers se révèle assez efficace, mais la solution plus radicale du dossier perdu est également très en usage dans les Alpes-Maritimes.

b) Les dossiers se perdent

L'activité judiciaire dans le sud-est et plus spécialement dans la région de Nice, outre qu'elle est particulièrement intense, est également riche en rebondissements. Parmi les événements notables concernant les affaires de délinquance financière, on peut citer la disparition des dossiers qui se révèle être une pratique relativement courante dans cette contrée.

La disparition des dossiers jusqu'à l'arrivée à Nice du Procureur général Eric de Montgolfier en 1999, apparaît comme une technique d'autant plus utilisée que les travaux entrepris au tribunal ont permis de justifier cette fâcheuse situation.

Le juge Philippe Dorcet a confirmé devant la Mission qu'il avait été obligé de reconstituer entièrement un dossier qui s'était perdu entre le bureau du Président du tribunal et le sien.


Mon dossier s'est perdu entre deux bureaux

M. Philippe DORCET, Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice : Un certain nombre de dossiers ont disparu au parquet. J'instruis en ce moment une affaire de faux ; je suis obligé de l'instruire au criminel parce que le dossier correctionnel a disparu.

M. le Rapporteur : Comment est-ce possible ? Les dossiers ne sont pas sécurisés ?

M. Philippe DORCET : Rien n'est sécurisé. Pour être précis, depuis que M. de Montgolfier est arrivé, certains dossiers sont dans un coffre et sont donc sécurisés. Mais quand on sait qu'en pleine nuit, en pleine enquête, des procès-verbaux disparaissent du siège de la police financière à Paris, rien n'est impossible !

M. le Rapporteur : L'inspection générale a-t-elle diligenté une enquête sur cette question ?

M. Philippe DORCET : Non, il me semble que cette question n'était pas encore à l'ordre du jour. Le fait que des dossiers avaient disparu n'était pas encore remonté à la connaissance du procureur puisque, de mémoire, M. de Montgolfier n'est arrivé qu'au début de l'année 1999, alors que l'inspection s'est déroulée en décembre 1998.

Le fait est que des dossiers ont disparu de manière tout à fait étonnante. Un dossier dans lequel étaient mis en cause la s_ur de Francis le Belge et M. Cossu - un autre voyou méditerranéen - n'est, par exemple, jamais passé aux assises.

A l'occasion de la réfection du tribunal - avec les fonctionnaires et les magistrats qui continuaient d'y travailler - plusieurs dossiers ont disparu, et le déménagement a eu bon dos pour justifier la disparition de quelques dossiers. Et vous ne pouvez pas savoir de quelle façon ils disparaissent car toute enquête s'avère impossible. Depuis que le procureur a fait quelques déclarations sur ces disparitions, je pense que ce sera moins facile.

En ce qui me concerne, j'ai eu à me plaindre d'un dossier qui m'avait été confié par le président et qui a disparu entre son bureau et le mien.

M. Jacky DARNE, Député : Vous avez pu reconstituer le dossier ?

M. Philippe DORCET : Nous avons demandé à la DDE - puisque cette affaire concernait un promoteur - de refaire des procès-verbaux, le parquet a repris un certain nombre de réquisitions, nous avons donc été obligés de tout refaire. D'ailleurs, parmi les moyens d'annulation de cassation évoqués par les personnes mises en examen, il a été fait état que le réquisitoire, daté du 25 janvier, était un faux puisqu'il y en avait nécessairement eu un avant.

M. le Rapporteur : Des enquêtes administratives ont-elles été diligentées après les disparitions ?

M. Philippe DORCET : En l'espèce, je puis vous affirmer que le président, à juste titre, a très mal pris la chose, le dossier était tout de même parti de son bureau. Je pense qu'une enquête a été menée, mais je n'ai eu aucun retour.

Extrait de l'audition de M. Philippe Dorcet, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Nice, devant la Mission, le 9 mai 2001.

Entendu par la Mission, Eric de Montgolfier a confirmé cette situation tout à fait anormale en la reliant aux manifestations d'intérêt exprimées par certains juges pour tel ou tel dossier. « Je pense à un dossier qui mettait en cause un promoteur et pour lequel un juge d'instruction avait manifesté son intérêt, alors même que le président du tribunal avait désigné un autre juge. Pour finir, le dossier s'est perdu... »

Aujourd'hui, la décision de placer les dossiers sensibles dans un coffre-fort évitera, il faut l'espérer, ce genre de désagrément.

Répartir les dossiers entre tel ou tel magistrat relève, à Nice, de la compétence du Président du tribunal. Or, s'il existe des critères objectifs d'attribution - un juge des mineurs n'instruira pas un dossier de délinquance financière - il y a aussi un réel pouvoir d'appréciation, comme l'a souligné Philippe Dorcet :

« Un président peut estimer qu'un dossier d'usure - un consommateur qui porte plainte en estimant que le crédit Cofinoga de 10,5 % qu'il a contracté aux Galeries Lafayette est usuraire - concerne un juge d'instruction financier alors que n'importe quel juge d'instruction doit pouvoir l'instruire sans avoir fait de hautes études financières. Au contraire, d'autres présidents vont considérer qu'est financier tout ce qui est relatif à des infractions proprement financières visées - loi sur le blanchiment, loi bancaire, droit pénal des sociétés - au réquisitoire introductif.

Maintenant, c'est un secret de polichinelle, un procureur ou un doyen des juges d'instruction peut toujours faire savoir au président du tribunal qu'il apprécierait la désignation de tel ou tel magistrat sur un dossier. »

Si d'aventure, tel ou tel magistrat se révèle ne pas convenir aux yeux de sa hiérarchie, il est toujours possible de le dessaisir.

c) Des dessaisissements inhabituels

A l'opposé de la stratégie de l'enlisement et de l'inertie pratiquée par certains juges d'instructions, existe aussi à l'encontre de magistrats plus pugnaces, qui se plaignent au contraire du manque de temps à consacrer aux dossiers financiers, la pratique du dessaisissement dont le juge d'instruction Jean-Pierre Murciano a fait l'objet à de multiples reprises.


J'ai été dessaisi quatre fois alors que j'étais

sur le point de démontrer l'infraction

M. Jean-Pierre MURCIANO, Juge d'instruction : « Il m'est arrivé au moins à quatre reprises de pouvoir conduire, à peu près jusqu'à la démonstration de l'existence des infractions, des dossiers de ce type dont j'ai été systématiquement dessaisi.

Ces quatre dossiers avaient, comme point commun, de concerner des affaires, soit de blanchiment, soit de détournement de fonds publics, impliquant des personnalités locales et relatifs à des infractions dont la connaissance n'était possible que par l'existence de réseaux extrêmement élaborés. » [...]

Par trois fois, la chambre d'accusation a ordonné les dessaisissements et une fois la Cour de cassation.

Dans le premier cas, la chambre d'accusation a évoqué, c'est-à-dire qu'elle a décidé de continuer elle-même cette instruction. L'instruction a été confiée au président de la chambre d'accusation qui s'est limité à retirer aussitôt la commission rogatoire qui avait été confiée aux gendarmes et à ordonner un non-lieu immédiat pour les personnalités politiques qui avaient été convaincues de détournement de fonds publics. [...]

La seconde affaire est celle de la villa Pellerin. J'en ai été dessaisi au moment où l'expert que j'avais désigné avait constaté non seulement l'existence de mètres carrés superflus, d'ailleurs reconnue par l'intéressé, mais surtout l'existence de fausses factures qui avaient permis de sortir de la BNP environ 160 millions de francs supplémentaires par rapport au coût réel des travaux. [...]

Le troisième cas concernait M. Claude Muller, qui est, par ailleurs, le beau-père de Christian Pellerin. Sans entrer dans les détails, cette affaire m'a été retirée le 7 avril 1994. La presse vient de relater la décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation datant de quelques semaines, qui enterre définitivement ce dossier dans lequel aucun acte supplémentaire n'a été fait depuis mon dessaisissement. [...]

Je pense que la chambre d'accusation est manifestement sujette à des pressions, notamment lorsque ce sont des hommes politiques qui sont en cause, ce qui était le cas des trois dossiers dont j'ai été dessaisi, sur environ 1 900 que j'ai traités pendant toutes ces années à Grasse.

En ce qui concerne mon cas personnel, je pense que ces dessaisissements correspondent également à la certitude pour la chambre d'accusation que, si elle m'avait laissé poursuivre ces dossiers, je n'aurais pas renoncé à les conduire jusqu'au bout. » [...]

M. le Rapporteur : Nous allons parler maintenant de la quatrième affaire dont vous n'avez pas encore parlé, l'affaire Mouillot. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir les motifs de votre dessaisissement et de savoir si des investigations supplémentaires et ultérieures ont eu lieu ?

M. Jean-Pierre MURCIANO : J'ai été dessaisi à la suite d'une requête en suspicion légitime présentée par un promoteur, M. Goslan, qui me reprochait devant la chambre criminelle d'avoir communiqué une attestation à M. Bernard Tapie, à la suite de propos qui m'avaient été tenus, non par M. Goslan, mais par l'ancien président de la banque SDBO qui, lui, ne se plaignait de rien, et ce en dehors de toute procédure.

J'ai su récemment que M. Goslan avait également adressé à la chambre criminelle un rapport émanant d'un détective privé, selon lequel on essayait de prétendre que j'aurais déjeuné avec M. Bernard Tapie à l'époque des faits.

Extrait de l'entretien du Rapporteur avec M. Jean-Pierre Murciano, juge d'instruction, le 20 mai 2000 à Nice.

Il ne saurait être question d'émettre ici une quelconque appréciation sur ces différentes décisions de dessaisissement prises par l'autorité judiciaire.

Votre Rapporteur, sur ce sujet, se bornera simplement à présenter les réflexions qu'elles ont suscitées de la part des différents magistrats entendus par la Mission.


Il est difficile d'expliquer les décisions

de dessaisissement successif

M. Eric de MONTGOLFIER, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice : « Lorsque je me suis exprimé sur cette affaire devant le CSM, c'était pour décrire le système local. J'ai également rappelé que plus le système était compliqué, plus nous avions le devoir de nous tenir dans des limites étroites. Je ne sais pas ce que seraient devenus les dossiers conduits par M. Murciano dans l'hypothèse où il aurait continué à les instruire. Je suis d'accord pour dire que s'agissant au moins d'un dossier, j'attendais mieux du passage de témoin. Cela dit, il faut bien reconnaître que le dossier tel qu'il est arrivé est infiniment compliqué. Lui-même s'en serait-il sorti ? Je n'en sais rien. J'essaie de me garder des analyses paranoïaques, bien que Nice soit une ville où on peut le devenir rapidement. Beaucoup de choses se passent, comme je n'en ai jamais vu. Il y a des comportements étranges. Si je pouvais faire la démonstration que ces comportements sont pénalement condamnables, je le ferais volontiers. Je ne le fais pas parce que je ne dispose pas d'éléments suffisants. Cela dit, la suspicion existe sur bien des points...

* *

*

Mme Isabelle ARNAL : Il faut recadrer les choses. Moi, je n'étais pas en charge de l'accusation du dossier.

M. le Rapporteur : Cela vous permet de parler librement.

Mme Isabelle ARNAL : Oui, mais je ne peux m'exprimer qu'à titre très personnel. Je n'étais pas le substitut en charge du dossier, et je n'ai pu faire que le même constat que vous : un dessaisissement. Cela dit, c'est une décision de justice : je ne peux pas la critiquer.

M. le Rapporteur : Mais vous pouvez l'expliquer.

Mme Isabelle ARNAL : J'ai du mal à l'expliquer. (Sourires)

M. le Rapporteur : Ah ! Voilà ce qu'il faut nous dire ! (Rires)

Mme Isabelle ARNAL : Je ne peux vous dire que ça.

M. le Rapporteur : C'est déjà pas mal ! La décision ne vous est donc pas explicable. »

Extrait des entretiens du Rapporteur avec M. Eric de Montgolfier, Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice, le 11 juillet 2000, M. Etienne Ceccaldi, ancien Substitut général à Aix-en-Provence, le 7 juin 2001, et Mme Isabelle Arnal, le 20 juin 2001.

La multiplication des incidents qui viennent d'être décrits dans un contexte économique ouvert à la pénétration des capitaux d'origine criminelle ne peut qu'aboutir à la mise en échec de la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux dans la région du sud-est de la France.

Consciente de la gravité de la situation, la Chancellerie avait fait procéder, en décembre 1998, à une première inspection des services judiciaires dont la Mission n'a pas eu connaissance, en dépit de la demande qu'elle a pu en faire.

Conformément au souhait du procureur Eric de Montgolfier et d'un certain nombre de magistrats niçois, une deuxième mission d'inspection est actuellement en cours et on ne peut, cette fois-ci, que souhaiter parvenir à un assainissement véritable de la situation.

Pour la deuxième fois en trois ans, l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) s'intéresse au fonctionnement du tribunal de grande instance de Nice. Il y a là une situation tout à fait exceptionnelle.

Depuis l'automne 2001, sept magistrats sont chargés d'enquêter et d'établir si les graves accusations régulièrement lancées contre la façon dont plusieurs dossiers délicats ont été traités.

L'IGSJ, à l'issue de ses investigations, doit rendre un rapport au Garde des Sceaux.

Or, début mars 2002, le procureur Eric de Montgolfier a été entendu à Paris par les services de l'IGSJ qui n'ont toujours pas indiqué la date de remise de leur rapport.

Il n'est plus possible de se satisfaire d'un tel délai, préjudiciable au bon fonctionnement de la justice - plus de six mois - alors qu'il est indispensable, dans un souci de transparence et de vérité, que les conclusions des magistrats inspecteurs soient connues de tous.

La Mission soutient pleinement la déclaration du procureur Eric de Montgolfier concluant ainsi son entretien avec votre Rapporteur.

« Je vous ai parlé du fonctionnement de la justice à Nice. Aucun juge digne de ce nom ne peut pas ne pas s'inquiéter de cette situation. Les choses doivent être dites, car la mort de la démocratie, c'est le silence. Plus on parlera, plus on aura la chance de modifier les choses. » (Eric de Montgolfier, entretien avec le Rapporteur, le 11 juillet 2000).

propositions de la Mission pour renforcer la lutte contre le blanchiment

Propositions Sort

Obligations de vigilance de la société civile :

graphique

1) Assujettissement à la déclaration de « soupçon »

des commissaires aux comptes, experts-comptables

externes, conseillers fiscaux et de certaines professions

juridiques indépendantes, conformément à la directive

2001/97/CE du 4 décembre 2001.

2) Dans la continuité de la suppression de l'anonymat

fiscal, suppression des bons et des contrats de capitalisation

anonymes.

3) Obligation d'effectuer, sous forme d'acte authentique,

toute cession de parts de société civile immobilière (SCI)

4) Création d'un comité de liaison associant, sous la Adoptée lors de la discussion

responsabilité de TRACFIN, l'ensemble des professions de la loi sur les nouvelles

soumises aux obligations de vigilance. régulations économiques (NRE)

(article L. 562-10 du code

monétaire et financier).

5) Assortir de sanctions pénales le manquement - Rejetée lors de la discussion NRE.

manifeste à leurs obligations de vigilance des

professions qui y sont soumises lorsque le blanchiment - Adoptée par la Conférence des

résulte d'une action intentionnelle. Parlements de l'Union européenne

contre le blanchiment

(proposition 53 de la déclaration

finale).

graphique
Le traitement du renseignement financier :

graphique

6) Développement du caractère multidisciplinaire des

équipes de TRACFIN, notamment par la mise à

disposition ou le détachement d'officiers de police

judiciaire et de magistrats.

7) Développement des méthodes et des outils de traitement

automatisé des données.

graphique
L'articulation entre le renseignement financier et la police judiciaire :

8) Recours à l'expertise de TRACFIN lors de

l'enquête judiciaire portant sur un dossier dont il

est à l'origine.

9) Information systématique de TRACFIN par le Parquet Adoptée lors de la discussion de

sur les suites judiciaires données aux dossiers la loi NRE (article L. 562-4 du

qu'il a transmis. code monétaire et financier).

10) Renforcement des effectifs de la police

économique et financière.

11) Mise à disposition d'officiers de police judiciaire

auprès des pôles financiers.

12) Renforcement des effectifs d'assistants spécialisés

auprès des pôles financiers.

Procédure pénale et criminalité organisée :

graphique
13) Extension du champ d'application de l'infiltration ou de

l'opération sous couverture, au-delà du trafic de stupéfiants,

aux infractions suivantes : enlèvement et séquestration,

proxénétisme, diffusion d'images pornographiques

de mineurs, vol en bande organisée, extorsion de fonds,

recel en bande organisée, blanchiment, trafic d'armes

en relation avec une entreprise terroriste, faux-monnayage,

association de malfaiteurs (possibilité de rapprochement

avec la liste des crimes et délits à la base du mandat

d'arrêt européen).

graphique

14) Irresponsabilité pénale des agents étrangers

autorisés à procéder aux opérations sous couverture

sur le territoire national pour les actes nécessaires à

l'exécution de leur mission et commis dans le cadre

de l'autorisation de l'autorité judiciaire.

15) Autoriser l'usage d'une identité d'emprunt pour les

agents infiltrés.

16) Possibilité, pour l'agent infiltré, de refuser son audition

par l'autorité judiciaire lorsque sa sécurité est menacée,

au profit de l'audition de l'officier de police judiciaire

responsable de l'enquête.

17) Coordination, au niveau national, des opérations

d'infiltration par l'intermédiaire des offices centraux.

18) Création d'un titre spécifique du code de procédure

pénale, consacré aux règles dérogatoires en matière

de poursuite et d'instruction des infractions relevant

de la criminalité organisée, qui aura vocation à devenir

le réceptacle des dispositions législatives

ultérieures dans ce domaine.

La traçabilité des flux financiers :

graphique

19) Permettre à la Commission bancaire d'interdire aux Adoptée par la Conférence des

établissements français de détenir, directement ou Parlements de l'Union européenne

indirectement ,des filiales, des succursales, contre le blanchiment

des bureaux de représentation ou des comptes de (proposition 29).

correspondants dans certains centres offshore ou territoires

non coopératifs.

20) Renforcement des obligations de contrôle des

banques françaises sur leurs banques correspondantes

ou partenaires, conformément aux recommandations

énoncées par le GAFI en février 2002.

21) Déclaration systématique des opérations faisant Adoptée lors de la discussion de

intervenir des fonds fiduciaires ou assimilés en cas la loi NRE (article L. 562-2 du

d'impossibilité d'identifier l'ayant droit économique. code monétaire et financier).

Adoptée par la Conférence des

graphique
Parlements de l'Union européenne

contre le blanchiment

(proposition 15).

22) Réglementation de la forme des fiducies Adoptée par la Conférence des

(documentation normalisée, interdiction de Parlements de l'Union européenne

clauses « suspectes »). contre le blanchiment

(proposition 16).

23) Obligation d'inscription des fiducies sur un Adoptée par la Conférence des

registre central et identification des bénéficiaires. Parlements de l'Union européenne

contre le blanchiment

(proposition 17).

24) Création d'une autorité mondiale de régulation

des registres du commerce permettant de normaliser

les règles minimales de transparence applicables

aux sociétés à vocation commerciale internationale.

graphique

25) Normalisation, au niveau mondial, de l'identification Adoptée par la Conférence des

du donneur d'ordre dans les messages financiers Parlements de l'Union européenne

internationaux (remise de fonds, compensation, contre le blanchiment

virements interbancaires). (proposition 21).

26) Renforcer le contrôle prudentiel et la Adoptée par la Conférence des

régulation, au besoin sur un plan international, Parlements de l'Union européenne

des activités des sociétés de compensation et de contre le blanchiment

règlement-livraison de fonds et de titres. (proposition 52).

La coopération administrative, policière et judiciaire :

graphique
27) Développement des échanges d'officiers de liaison

entre les services de police spécialisés dans la lutte

contre la délinquance financière.

28) Modification de la Convention du 26 juillet 1995

relative à Europol afin d'en renforcer la vocation

opérationnelle, conformément aux conclusions du

Sommet de Tampere (participation aux équipes communes

d'enquête et engagement des enquêtes).

29) Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui Adoptée par la Conférence des

permettant, au-delà de l'échange d'informations, de Parlements de l'Union européenne

demander aux autorités nationales compétentes de contre le blanchiment

déclencher et d'exercer des poursuites, de les assister (proposition 43).

dans ce cadre et de coordonner les enquêtes. En voie d'adoption dans le projet

de décision institutive d'Eurojust.

30) Ratifier rapidement la convention d'entraide

judiciaire en matière pénale entre les Etats membres

de l'Union européenne du 29 mai 2000 ainsi que son

protocole du 16 octobre 2001.

Les incriminations :

graphique

31) Définir une incrimination permettant le Adoptée lors de la discussion

renversement de la charge de la preuve de de la loi NRE (article 450-2.1

l'origine des capitaux pour des faits relevant de la du code pénal).

criminalité organisée. Adoptée par la Conférence des

Parlements de l'Union européenne

contre le blanchiment

(proposition 39).

32) Définir une incrimination d'appartenance à une

organisation criminelle.

CONCLUSION générale

La Mission, considérant que certains Etats avaient maintenu dans leur législation ou leur organisation institutionnelle des mécanismes susceptibles d'entraver sérieusement la lutte contre le blanchiment des capitaux, a publié périodiquement une série de monographies 5 identifiant les principales faiblesses des dispositifs mis en place pour prévenir et sanctionner cette forme de criminalité.

Depuis la parution de ces travaux, sous l'effet d'actions multipliées au niveau européen et international, une prise de conscience s'est progressivement opérée et des changements et modifications ont eu lieu dans les différents Etats étudiés par la Mission.

I.- Des avancées positives malgré des difficultés persistantes

La Principauté du Liechtenstein

Les critiques virulentes du GAFI, la dénonciation par les juges européens du refus de toute coopération judiciaire, la publication par les services de renseignement allemands d'un rapport accablant sur l'infiltration de l'économie financière liechtensteinoise par la grande criminalité, le rapport très critique de la Mission parlementaire 6, ont eu raison de l'inertie et de la complaisance des autorités de Vaduz qui ont accepté d'évoluer positivement depuis ces deux dernières années.

Sur le plan institutionnel, le Liechtenstein dispose désormais d'une autorité de contrôle prudentiel du secteur financier et, parallèlement, d'une cellule de renseignement financier - équivalent de TRACFIN - elle-même épaulée par une unité spécialement chargée de veiller à l'application par les acteurs financiers de la loi anti-blanchiment liechtensteinoise : la Stabsstelle Sorgfaltspflichten ou SPP, constituée de cinq personnes.

Le Liechtenstein a, par ailleurs, supprimé les comptes anonymes depuis le 31 décembre 2001 et exigé l'identification de leurs titulaires et de leurs ayants droit économiques.

Enfin, le nombre des déclarations de soupçon est en nette augmentation, passant de 77 en l'an 2000, à 150 en 2001.

Il convient néanmoins, en dépit de ces progrès, de rester encore extrêmement vigilant à l'encontre de la Principauté du Liechtenstein qui gère environ 60 milliards de dollars attirés à Vaduz par un secret bancaire strict et une législation fiscale séduisante.

Au classement des centres offshore, le Liechtenstein occupe la deuxième place derrière Jersey (70 milliards de dollars gérés) et se situe avant Monaco (45 milliards de dollars).

Deux aspects demeurent particulièrement préoccupants :

- le refus d'accorder l'entraide judiciaire pour des raisons fiscales - le Liechtenstein pratique, comme la Suisse ou le Luxembourg, la subtile distinction entre évasion fiscale et fraude fiscale ;

- l'absence de toute évolution concernant les Anstalt version liechtensteinoise du trust, deux instruments juridiques constamment utilisés par les blanchisseurs en quête d'anonymat que la Mission n'a eu de cesse de dénoncer.

La Principauté de Monaco

Depuis juin 2000, date à laquelle la Mission a publié la monographie qu'elle a consacrée à Monaco 7, la Principauté a, elle aussi, connu de multiples évolutions.

Sur le plan institutionnel, les effectifs du SICCFIN, l'équivalent de TRACFIN, ont été renforcés et cette autorité a conclu de multiples accords de coopération avec la Belgique (octobre 2000), le Portugal (mars 2001), le Luxembourg (avril 2001), la Grande-Bretagne (août 2001), l'Espagne (décembre 2001) et enfin la Suisse (janvier 2002).

Le nombre des déclarations de soupçon a également progressé.

La durée de la mise à disposition de magistrats français a enfin été limitée à trois ans renouvelables une fois.

La Mission estime toutefois que :

- la question des trusts, dont Monaco continue d'accepter l'existence, constitue toujours un obstacle sérieux à la lutte anti-blanchiment et considère que l'engagement des autorités monégasques de limiter l'utilisation des trusts à des fins patrimoniales demeure insuffisant ;

- l'absence de réglementation de la profession d'administrateur de sociétés constitue encore un « trou noir » dans le système et espère que les autorités monégasques apporteront une réponse législative à ce problème.

La Confédération helvétique

La Suisse, dont l'image se confond largement avec celle de ses banques, a réagi vivement aux critiques dont elle a fait l'objet - classement sur la liste des paradis fiscaux établie par le Fonds de stabilité financière, rapport de la Mission 8 - et les événements du 11 septembre ont joué un rôle d'accélérateur des récentes évolutions qu'a connues la Suisse en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.

L'année 2001-2002 devrait s'achever avec plus de 400 déclarations de soupçon qui proviennent à 75 % des banques, les intermédiaires financiers non bancaires se distinguant toujours par leur très faible taux de participation.

Pour la période 2000-2001, le MROS (équivalent de TRACFIN) a enregistré 17 déclarations de la part des fiduciaires, 12 déclarations provenant des gestionnaires de fortune, 7 déclarations venant des avocats et 2 déclarations seulement émanant des assureurs.

Cette contribution très marginale de la part de ces deux dernières catégories professionnelles identifiées par le GAFI comme des secteurs hautement vulnérables au risque de blanchiment est préoccupante.

Les déclarations de soupçon sont transmises de plus en plus fréquemment à l'autorité judiciaire, mais sur la centaine de cas qui, depuis 1998, ont fait l'objet d'une décision de justice, aucun n'avait abouti en décembre 2001 au prononcé d'une condamnation définitive.

Cette absence de sanction pénale ne peut manquer d'étonner et contraste avec les mesures de blocage des fonds suspects ordonnées par la justice (un milliard de francs suisses ont été gelés en 2001).

Sur le plan institutionnel et politique, la Suisse continue de croire au principe d'autorégulation.

Après le renvoi par les autorités suisses de l'ancien directeur, Niklaus Huber, de la Haute Autorité chargée de réguler le secteur non bancaire, le débat se poursuit pour savoir si certains intermédiaires financiers, tels que les courtiers en matières premières ou certaines structures juridiques comme les sociétés anonymes à actionnaire unique ou les sociétés unipersonnelles offshore intervenant en Suisse, doivent ou non se soumettre à la L.B.A., c'est-à-dire à la loi-cadre anti-blanchiment adoptée en 1997.

Sur cette question sensible, il sera très intéressant d'observer si les décisions d'assujettissement que prononcera la Haute Autorité continueront, comme par le passé, d'être invalidées par les autorités hiérarchiques supérieures, à savoir le ministère des Finances.

Il sera enfin très intéressant de suivre avec attention la création, à l'instar de la Financial services Authority (FSA) britannique, de la « super autorité de surveillance », préconisée par le rapport Zufferey afin de savoir notamment si cette autorité décide de soumettre à un minimum de réglementation certaines professions financières qui peuvent être aujourd'hui pratiquées en Suisse, en l'absence de toute exigence particulière.

Cette présentation des évolutions récentes intervenues pour améliorer, dans des Etats récalcitrants, les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux confirme l'utilité des pressions qui ont été exercées à l'encontre de ces pays par la communauté internationale et les opinions publiques.

Il serait toutefois fort imprudent de se satisfaire de ce constat car le territoire européen abrite toujours un certain nombre d'Etats qui ne satisfont pas encore pleinement aux exigences posées par la communauté internationale ou européenne et aux recommandations du GAFI.

II.- Des situations préoccupantes malgré des évolutions favorables

L'inscription de certains Etats ou territoires sur une des diverses listes noires élaborées par les instances internationales a contraint certains des pays visés à modifier à terme leur politique et leur dispositif juridique, mais certains d'entre eux continuent d'offrir encore de vives résistances et persistent dans des pratiques hautement dommageables.

La Principauté d'Andorre

Ainsi, dans la Principauté d'Andorre, malgré le démantèlement récent d'un réseau de blanchiment, les banques acceptent encore avec beaucoup de facilité d'importants dépôts en liquide et la grande vitalité du secteur immobilier que semble connaître actuellement cette Principauté en laisse d'aucuns perplexes.

Faute de temps, la Mission n'a pu mener d'investigations approfondies sur la situation en Andorre, mais les informations recueillies par le Président de la Mission et les graves lacunes mises en évidence par différents groupes d'experts justifieraient de mener, dans les prochains mois, une étude spécifique sur Andorre, Principauté fort peu disposée à s'engager résolument dans la lutte anti-blanchiment 9, et qui constitue sur le territoire de l'Europe une exception dommageable.

La Fédération de Russie

La Russie, qui figure depuis juin 2000 sur la liste noire du GAFI a, ces derniers mois, décidé de se doter d'un arsenal juridique anti-blanchiment 10, ce qui lui a permis notamment d'éviter d'avoir à subir l'effet de « contre-mesures » prononcées par le GAFI.

Parmi les principales mesures adoptées, on peut retenir :

· l'adhésion de la Russie à la Convention du Conseil de l'Europe, dite convention de Strasbourg, sur le blanchiment, le gel et la saisie des capitaux d'origine criminelle du 8 novembre 1990 ;

· la promulgation, le 7 août 2001, de la loi contre le blanchiment d'argent ; avec la création d'une agence, le « comité de monitoring financier », chargée du contrôle des transactions d'un montant supérieur à 600 000 roubles - environ 150 000 francs ;

· l'obligation d'identification de l'auteur de la transaction et de son lieu de résidence ;

· l'obligation pour les banques de déclarer toute opération suspecte à ce comité, sans qu'il leur soit possible d'invoquer « le secret commercial » ;

· l'interdiction des comptes bancaires anonymes.

Le « comité de monitoring financier », homologue de notre TRACFIN, est opérationnel depuis le 1er février 2002.

La Russie dispose donc théoriquement d'un dispositif plus performant pour combattre le blanchiment et la délinquance financière ; il reste maintenant à en assurer la mise en _uvre. Les autorités russes doivent désormais contraindre les principaux acteurs de cette lutte, à savoir les banquiers et les responsables financiers, à mettre en place des systèmes de prévention efficaces, et assortir ces nouvelles obligations de sanctions suffisamment dissuasives.

La France a déjà manifesté sa volonté d'aide et de coopération avec la Russie avec la création d'un groupe de travail bilatéral regroupant les représentants des différents services de police français et russes et l'arrivée d'un magistrat français de liaison à Moscou.

Il serait maintenant souhaitable d'établir, dans un futur proche, des contacts bilatéraux au niveau parlementaire pour traiter de ces questions de blanchiment et de délinquance financière.

La République de Chypre

La Mission s'est rendue en mars 2000 à Chypre où les autorités lui ont réservé un accueil très chaleureux.

L'économie du pays s'est développée, de façon délibérée, à partir d'un secteur financier offshore très dynamique - environ 40 000 entités offshore et de très nombreuses banques étrangères y sont implantées - et d'une législation anglo-saxonne qui reconnaît l'existence des trusts et facilite grandement la constitution de sociétés.

Cette situation, dont le pays a largement profité sur le plan économique, fragilise aujourd'hui Chypre qui souffre considérablement de cette réputation d'économie trop perméable à l'entrée de capitaux d'origine douteuse.

La République de Chypre a ainsi été très vivement critiquée par les Etats-Unis qui estiment que les capitaux de la mafia russe et les avoirs de Slobodan Milosevic et de son entourage ont trouvé refuge dans l'île sans difficulté.

Chypre, sur cette question, a indiqué en avril 2001 avoir été saisie par le tribunal pénal international de cinq demandes de coopération judiciaire visant à obtenir des informations bancaires ou tendant au gel d'avoirs détenus par d'anciens responsables yougoslaves.

Chypre a précisé qu'elle coopérait pleinement avec les autorités du tribunal pénal international sur l'ex-Yougoslavie.

Chypre prend aujourd'hui clairement conscience qu'il lui faut impérativement évoluer en renforçant son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et en renonçant, à terme, à continuer d'attirer les sociétés offshore sur son territoire grâce à une fiscalité très attractive et un environnement juridico-commercial fort peu contraignant.

Au Conseil européen de Laeken de décembre 2001, Chypre, dont la candidature à l'Union européenne a été acquise depuis fort longtemps, a été retenue naturellement parmi les dix pays pour lesquels il a été prévu une adhésion effective à l'Union européenne en 2004.

Afin de combattre de manière concrète les formes graves de criminalité organisée, le Conseil de l'Union européenne a prévu la signature d'un pacte de préadhésion sur la criminalité organisée entre les Etats membres et Chypre, que cette dernière a accepté.

Chypre s'est engagée dans le combat contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux.

Il serait intéressant de pouvoir, deux ans après la visite de la Mission, faire un bilan des réformes d'ores et déjà réalisées par Chypre et des résultats concrets obtenus en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.

III.- La Déclaration de Paris

Réunis à l'Assemblée nationale le 8 février 2002, les représentants des Parlements de l'Union européenne ont approuvé la Déclaration suivante.

PRÉAMBULE

1. Le blanchiment des capitaux d'origine criminelle et la délinquance financière n'ont pas cessé de se développer ces dernières années en exploitant les potentialités fournies par la mondialisation des marchés financiers ; ils représentent une menace directe pour la stabilité de l'économie globale mais aussi pour la sécurité de nos sociétés démocratiques.

2. Le financement du terrorisme repose sur des systèmes très variés dont certains relèvent de l'économie légale mais il est conduit à recourir aux mêmes instruments que l'ensemble de la criminalité organisée.

3. Sans une action globale et coordonnée des Etats, les autorités et services chargés de la prévention et de la répression ne pourront pas lutter efficacement contre ceux qu'ils poursuivent.

4. Dans la lutte contre le blanchiment et l'utilisation du système financier par les réseaux criminels, l'exemplarité de l'Europe doit être sans faille même si l'efficacité de son action dépend aussi de la prise de conscience et du soutien de l'ensemble des pays développés.

5. La persistance de mécanismes juridiques qui entretiennent l'opacité des transactions financières, l'utilisation des « trous noirs » du système financier international, les carences de la coopération entre les Etats membres de l'Union européenne, ne peuvent plus être tolérés.

6. L'Union européenne n'est toutefois pas restée inactive puisqu'elle a actualisé la directive contre le blanchiment et qu'elle a constamment travaillé à renforcer l'Europe policière et judiciaire qui demeure en retard par rapport à l'Europe économique et monétaire.

7. L'accord politique récent sur le mandat d'arrêt européen devrait aussi permettre d'accroître l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et la délinquance financière, sous réserve d'une application rapide.

8. Dans un cadre élargi, le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, a affiné les analyses du phénomène et a défini les critères permettant d'identifier les pays et territoires non coopératifs ou les lacunes des dispositifs des pays coopératifs.

9. Issus du suffrage universel, les parlements nationaux doivent nécessairement contribuer à orienter et stimuler l'harmonisation des législations et la coopération des États membres de l'Union européenne dans le respect des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des différences des systèmes juridiques nationaux.

10. Au terme d'un débat associant de nombreux experts européens, parlementaires mais aussi universitaires ou praticiens, la Conférence des parlements de l'Union européenne a privilégié quatre thèmes de travail et formulé des propositions de mesures concrètes tendant à améliorer l'efficacité de la lutte contre le blanchiment.

10bis. Afin d'assurer le suivi et l'actualisation des mesures qu'elle a préconisées lors de sa session constitutive, la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment a convenu de se réunir périodiquement.

La transparence des mouvements de capitaux

11. Une lutte efficace contre le blanchiment et la délinquance financière impose de pouvoir reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d'ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles, parmi lesquels :

12. l'opacité de certaines entités juridiques (fiducies, établissements, fondations, sociétés en commandite) et des comptes anonymes ;

13. l'opposabilité aux enquêteurs de différents secrets professionnels dont le secret bancaire ;

14. le fonctionnement de certains services financiers internationaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires) qui ne permet pas toujours d'identifier le donneur d'ordre.

Propositions :

15. Prévoir une déclaration systématique auprès de l'unité du renseignement financier des opérations menées avec des fonds fiduciaires ou assimilés, en cas d'impossibilité d'identifier l'ayant droit économique.

16. Réglementer la forme des fiducies (documentation normalisée, interdiction de clauses « suspectes »).

17. Prévoir l'obligation d'inscription des fiducies sur un registre central ainsi que l'identification des bénéficiaires.

18. Harmoniser les procédures de levée des secrets professionnels.

19. Généraliser l'accès des unités du renseignement financier aux informations détenues par les organismes financiers.

20. Créer un registre central des comptes bancaires.

21. Normaliser, au niveau mondial, l'identification du donneur d'ordre dans les messages financiers internationaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires).

22. Prévoir l'identification par les fournisseurs d'accès des auteurs de transactions financières sur Internet.

Les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs

23. L'identification des pays et territoires non coopératifs dans la lutte contre le blanchiment relève du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) dont les 40 recommandations constituent le standard international de référence. Ce processus doit garantir une évaluation objective.

24. La détermination et l'application des sanctions dépendent actuellement des États. Une action coordonnée de l'Union européenne dans ce domaine ne peut que renforcer l'efficacité de ces sanctions.

Propositions :

25. Renforcer les obligations d'identification de l'ayant droit économique par les organismes financiers avant l'établissement de relations avec des particuliers ou entités de ces pays et territoires.

26. Renforcer les mécanismes de déclaration ou prévoir une déclaration systématique auprès de l'unité du renseignement financier des opérations financières avec ces pays et territoires.

27. Renforcer les ratios prudentiels applicables aux opérations financières menées avec ces pays et territoires.

28. Assortir de conditions, restreindre, surtaxer ou interdire les opérations avec des particuliers ou entités situés dans ces pays et territoires.

29. Interdire aux établissements des pays membres de l'Union européenne d'ouvrir des filiales, succursales ou bureaux de représentation dans ces pays ou territoires ou d'y détenir des comptes de correspondants.

30. Interdire aux établissements financiers dont le siège social est implanté dans ces pays et territoires d'ouvrir des filiales, succursales ou bureaux de représentation dans l'Union européenne ou d'y tenir des comptes de correspondants.

La coopération judiciaire, policière et administrative

31. La lutte contre le blanchiment et la délinquance financière passe nécessairement par la coopération transfrontalière, judiciaire, policière et administrative en raison de l'internationalisation systématique de ce type de délinquance.

32. Le blanchiment repose sur des montages économiques et financiers qui franchissent les frontières.

33. Le groupe Egmont a jeté les bases de la coopération entre les unités du renseignement financier et la création de l'Office européen de lutte antifraude a apporté une première réponse communautaire. Néanmoins, la coopération policière et judiciaire demeure moins avancée.

34. Plusieurs instances internationales (ONU, OCDE, Conseil de l'Europe, Union européenne) ont proposé à la signature des États des conventions destinées à améliorer cette coopération. Au-delà de la nécessaire ratification de ces textes, leur application, souvent assortie de réserves, n'est pas optimale.

35. L'Union européenne s'est régulièrement attachée à promouvoir cette coopération. Dans cet esprit, après la création d'Europol qui a jeté les bases de la coopération policière, le Conseil européen de Tampere a notamment annoncé la création d'Eurojust confirmée par le Conseil européen de Nice. De même, l'accord politique récent sur le mandat d'arrêt européen est une étape importante qui doit être consolidée dans les prochaines années.

Propositions :

36. Développer les échanges d'information entre les unités du renseignement financier.

37. Ratifier, appliquer et renforcer la cohérence des conventions internationales destinées à faciliter la coopération judiciaire et à lutter contre le blanchiment et les organisations criminelles.

38. Harmoniser les incriminations en matière de délinquance financière.

39. Instituer un partage de la charge de la preuve de l'origine criminelle des capitaux, dans le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

40. Harmoniser les sanctions pénales en privilégiant notamment la confiscation du produit du délit et de l'instrument du blanchiment.

41. Reconnaître mutuellement les décisions de gel, saisie et confiscation des avoirs illicites et prévoir un mécanisme de partage entre les Etats des avoirs confisqués à l'issue d'une coopération internationale.

42. Veiller à l'application rapide du mandat d'arrêt européen, notamment en matière de délinquance financière.

43. Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'information, de demander aux autorités nationales compétentes de déclencher et d'exercer des poursuites, de les assister dans ce cadre et de coordonner les enquêtes.

Les règles prudentielles

44. La dérégulation mondiale des marchés de capitaux a compliqué la prévention du blanchiment et de la délinquance financière, notamment en raison de l'accélération et de la croissance des flux financiers internationaux qu'elle a générées. La sophistication des techniques et des métiers qui a accompagné la globalisation financière nécessite un renforcement des normes prudentielles et des obligations déontologiques des marchés.

45. Cet élargissement du contrôle et de la régulation financière devrait porter sur l'ensemble des prestataires de services financiers ou juridiques mais aussi sur les réseaux internationaux, qu'ils soient traditionnels et informels (de type « Hawala ») ou, au contraire, très intégrés aux marchés internationaux de capitaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires).

Propositions :

46. Limiter les paiements en espèces au-delà d'un certain montant.

47. Prévoir l'agrément obligatoire auprès de l'autorité de régulation des services financiers :

48. des agents appartenant à un réseau de transfert de fonds ou de valeurs, y compris les réseaux traditionnels, informels ou parallèles ;

49. des agents de création de sociétés ;

50. des bureaux de change ;

51. des intermédiaires financiers actifs sur Internet.

52. Renforcer le contrôle prudentiel et la régulation, au besoin sur un plan international, des activités des sociétés de compensation et de règlement-livraison de fonds et de titres.

53. Assortir de sanctions pénales le manquement manifeste à leurs obligations de vigilance des professions qui y sont soumises.

La Déclaration de Paris constitue la réponse des représentations nationales des pays de l'Union européenne aux magistrats signataires de l'Appel de Genève.

Expression d'une volonté politique, la Déclaration de Paris constitue également autour de quatre thèmes essentiels - la transparence et la traçabilité des mouvements de capitaux, l'efficacité des sanctions à l'encontre des pays non coopératifs, l'amélioration de la coopération judiciaire et policière, le renforcement des règles prudentielles - le programme de travail des Parlements de l'Union européenne qui se sont engagés résolument dans la lutte contre le blanchiment des capitaux.

A la demande de plusieurs délégations étrangères, la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment est amenée à se pérenniser afin d'assurer le suivi et l'actualisation des mesures qu'elle a préconisées lors de sa session constitutive.

Le blanchiment est en effet un phénomène très évolutif, tant dans ses méthodes que dans sa géopolitique. A cet égard, les comportements les plus inquiétants désormais ne relèvent pas d'Etats européens mais de territoires plus exotiques.

Du fait de la pression croissante de la communauté internationale, les centres offshore traditionnels sont peu à peu obligés de donner des gages et de procéder à quelques réformes. D'autres sanctuaires apparaissent alors, de manière tout à fait artificielle, dans des territoires, souvent îlots désolés du Pacifique, qui monnayent ainsi leur souveraineté. Les classiques Bahamas, Iles Vierges britanniques, îles Caïman, Antigua et Barbuda sont ainsi menacés par encore moins vertueux qu'eux, comme Nauru, Niue, Myanmar, nouveaux arrivés dans l'accueil et le recyclage des capitaux douteux. La vigilance de la communauté internationale doit donc être constante, si l'on veut parvenir à terme au démantèlement du réseau des territoires offshore non coopératifs.

Les démarches collectives n'empêchent pas les initiatives nationales et la Mission se réjouit de la proposition de deux sénateurs belges, MM. Jean Cornil (socialiste) et Jacky Morael (écologiste), de créer une commission d'enquête parlementaire afin d'examiner le fonctionnement des sociétés de clearing et de « routing » financier, telles que Clearstream, Euroclear ou SWIFT (Dépêche AFP du 29 mars 2002).

La Mission appelle pour sa part, à la création, au sein de l'Assemblée nationale, d'une structure permanente du type d'un office ou d'une délégation parlementaire, dotée de moyens d'expertise et de pouvoirs d'investigation renforcés, chargée d'observer l'évolution de la géopolitique et des techniques de blanchiment et d'élaborer des propositions pour perfectionner l'ensemble des mécanismes de lutte contre la délinquance financière.

EXAMEN DU RAPPORT

La Mission d'information a procédé à l'examen du rapport de M. Arnaud Montebourg au cours de sa séance du 3 avril 2002.

Après avoir remercié l'ensemble des membres de la Mission pour le travail accompli depuis près de trois ans, le Président, Vincent Peillon a rappelé l'originalité de la démarche qui visait à entreprendre une réflexion sur la lutte contre le blanchiment des capitaux dans un cadre européen.

Après avoir suscité au départ quelques réactions d'étonnement, l'objectif de la Mission a été, par la suite, bien compris et pleinement partagé par l'ensemble de nos partenaires européens, comme l'a montré l'adoption, le 8 février 2002, de la Déclaration de Paris par la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment des capitaux.

Le Président a également constaté avec satisfaction les efforts entrepris, depuis la création de la Mission, dans de nombreux pays et notamment dans certains de ceux qui ont fait l'objet d'une monographie, comme le Liechtenstein ou Monaco.

Il a ensuite indiqué que la France s'était dotée, depuis plus de dix ans, d'un dispositif juridique de lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux et a souligné le consensus qui s'était toujours réalisé sur cet objectif commun aux différentes majorités politiques.

Les faiblesses du système français rappellent, à bien des égards, celles de ses partenaires de l'Union européenne : la participation des banques est inégale et celle des acteurs non bancaires est insuffisante ; le nombre des condamnations pour blanchiment est très faible, quant aux sanctions, elles ne sont pas assez lourdes pour être dissuasives tant sur le plan financier qu'en terme de réputation.

Le Président a indiqué que la Mission avait choisi, après le travail d'investigation mené, sous une précédente législature, par François d'Aubert - également membre de la Mission - sur la présence mafieuse dans le sud-est, de s'attacher plus particulièrement à l'étude de cette région qui attire des investisseurs immobiliers dans des proportions surprenantes et où l'institution judiciaire souffre de dysfonctionnements chroniques.

Après avoir estimé qu'il était important de relater la situation dans le sud-est, le Président a conclu en déclarant que le travail de la Mission devrait, lors de la prochaine législature, être poursuivi et confié à une structure permanente, qui pourrait être un office parlementaire ou une délégation.

Le Rapporteur, Arnaud Montebourg, a souligné l'ampleur internationale prise au fil du temps par ce sujet et a estimé que les tragiques événements du 11 septembre avaient fait surgir à nouveau sur le devant de la scène la nécessité de réfléchir à de nouvelles régulations destinées à accompagner la mondialisation des échanges et la totale libéralisation des mouvements de capitaux.

Revenant à la situation française, le Rapporteur a indiqué qu'on ne pouvait se contenter d'un satisfecit délivré à notre dispositif juridique qui, sur le plan théorique, ne prête effectivement guère à la critique.

Comme toujours, la réalité est plus nuancée. On constate trop de disparités dans l'attitude des différentes banques, dont certaines ne font toujours aucune déclaration de soupçon. Le secteur de l'assurance reste encore trop peu engagé dans la lutte anti-blanchiment et certains professionnels du droit, comme les avocats, ont manifesté une opposition viscérale à l'idée d'être assujettis à l'obligation de déclaration de soupçon.

La nouvelle directive européenne, en distinguant clairement les fonctions de conseil et de défense, a tranché sur ce point. Le débat s'ouvre désormais sur la transposition de ce texte dans notre droit interne, que la Mission souhaite la plus rapide possible.

En France, le blanchiment de capitaux à grande échelle reste encore « un jeu d'enfant » pour qui sait utiliser les instruments financiers les plus élaborés. Cette affirmation assénée par un expert de la COB prend aujourd'hui une dimension toute particulière, alors que cette personne est actuellement mise en examen pour avoir, semble-t-il, elle-même utilisé son savoir-faire pour abuser du système.

L'insuffisance des résultats, sur le plan pénal, constitue une des principales faiblesses de la lutte contre le blanchiment des capitaux en France. Les sanctions sont trop insignifiantes et le nombre de condamnations définitives bien peu nombreuses.

Les obligations de vigilance imposées aux acteurs économiques et financiers ne sont pas assorties de sanctions pénales en cas de manquement et par ailleurs, les sanctions administratives existantes ne sont pas suffisamment élevées pour être dissuasives.

Le problème des sanctions administratives ou disciplinaires pose également celui du rôle des autorités financières de surveillance et de régulation et le Rapporteur a estimé à ce sujet qu'il était grand temps de s'interroger sur la création d'une autorité financière unique, aux moyens renforcés, du type de la Financial Services Authority (FSA), récemment créée par les Britanniques.

Le Rapporteur s'est ensuite interrogé sur la faiblesse des moyens accordés à la lutte contre le blanchiment des capitaux, en estimant qu'il convenait de maintenir un juste équilibre entre les moyens attribués à la police de proximité pour combattre la délinquance quotidienne et ceux destinés à la lutte contre la délinquance financière.

Il a néanmoins rappelé que la France s'était toujours trouvée à la pointe de ce combat qui, sur le plan européen, a enregistré un certain nombre de succès - installation d'Eurojust, élargissement de la compétence d'Europol pour lutter contre le blanchiment, engagements des pays de l'Union européenne pris à Tampere pour démanteler les territoires offshore et faciliter la coopération judiciaire - et a précisé qu'en application de la loi NRE, des mesures restrictives avaient été prononcées à l'encontre de Nauru, parallèlement sanctionnée par le GAFI.

Le Rapporteur a poursuivi en rappelant qu'il convenait plus particulièrement de s'attacher au problème des banques correspondantes et au fonctionnement des chambres internationales de compensation, telles que Clearstream, Euroclear ou SWIFT, en précisant qu'une commission d'enquête sur ce sujet venait d'être demandée au Sénat de Belgique.

Le Rapporteur a ensuite évoqué la situation dans le sud-est de la France où la multiplication de SCI abritant l'anonymat des détenteurs du capital est préoccupante et a vivement regretté l'échec de la réforme de la justice qui aurait permis, notamment, de remédier à certains dysfonctionnements constatés dans les juridictions de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Le Rapporteur a précisé par ailleurs que la Mission avait transmis au Procureur de Nice, Eric de Montgolfier, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, le compte rendu de l'audition de M. Alain Bertaux, directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes.

M. Charles de Courson a rappelé que la région du sud-est n'était pas la seule, en France, à être confrontée au problème de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux et qu'il ne fallait pas voir, dans ce choix, une stigmatisation, mais la mise en évidence, à partir d'une situation sur le terrain, de l'utilisation de certains mécanismes juridiques ou fiscaux qui garantissent aux propriétaires de capitaux cet anonymat qui constitue un obstacle majeur pour les magistrats et les policiers chargés des affaires financières.

M. Charles de Courson a fait part de l'approbation du groupe UDF sur les propositions de la Mission, à l'exception de l'assujettissement des conseillers fiscaux à l'obligation de déclaration de soupçon.

La Mission a, par ailleurs, accepté les amendements proposés par M. Charles de Courson, visant notamment à :

- introduire une condition d'intentionnalité pour l'application des sanctions pénales en cas de manquement aux obligations de vigilance ;

- limiter le renversement de la charge de la preuve aux seuls faits relevant de la criminalité organisée.

M. François d'Aubert a indiqué que le blanchiment était devenu un phénomène de plus en plus élaboré recourant aux instruments financiers et aux montages les plus sophistiqués.

Il a estimé que le coup de projecteur porté par ce rapport sur les sociétés civiles immobilières était une bonne chose, mais qu'il fallait également attirer l'attention sur l'usage détourné à des fins de blanchiment qui pouvait être fait des produits d'assurance.

Il s'est ensuite clairement prononcé pour la création, lors de la prochaine législature, d'un office ou d'une délégation compétente pour traiter de tous les aspects de la délinquance économique et du crime organisé.

Sur sa proposition, la Mission s'est prononcée en faveur de la création d'un délit d'appartenance à une organisation criminelle.

M. François Loncle est intervenu sur la situation de Chypre qui doit intégrer l'Union européenne à l'horizon 2004, pour rappeler les évolutions positives et les efforts engagés par ce pays pour lutter activement contre la criminalité financière et le blanchiment des capitaux.

Le Président, Vincent Peillon, a ensuite pris la parole pour déclarer qu'il approuvait le travail et les conclusions du Rapporteur.

La Mission s'est unanimement prononcée en faveur de la publication du rapport consacré à la France.

EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE U.D.F.

Le Groupe UDF se prononce en faveur des 4 axes de lutte contre le blanchiment des capitaux et la délinquance financière :

1.- Transparence et traçabilité des mouvements de capitaux.

2.- Efficacité des sanctions à l'encontre des pays non coopératifs.

3.- Amélioration de la coopération judiciaire et policière.

4.- Renforcement des règles prudentielles.

Cependant, sur les 31 propositions, le groupe UDF ne peut accepter un assujettissement à la déclaration de soupçon des conseillers fiscaux et de certaines professions juridiques indépendantes, comme les avocats, qui serait contraire à leurs règles déontologiques.

Plus largement, le groupe UDF réaffirme que cette lutte passe par un renforcement de l'Union européenne et une meilleure coordination internationale.

ANNEXES

SOMMAIRE DES ANNEXES

Pages

Annexe 1 : Compte rendu des travaux de la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment 253

Annexe 2 : Déclaration finale de la Conférence, dite « Déclaration de Paris » 333

Annexe n° 1

Compte rendu des travaux de la Conférence des Parlements

de l'Union européenne contre le blanchiment


Conférence des parlements de l'Union européenne

contre le blanchiment

Paris - ASSEMBLÉE NATIONALE

7 et 8 février 2002

Compte rendu des travaux

Liste des participants

I. Parlements des Etats membres de l'Union européenne 

Allemagne 

Bundestag

M. Frank HOFMANN, député

M. Andreas NOTHELLE, directeur adjoint, chef de la division des affaires interparlementaires

Mme Vesna POPOVIC, conseillère à la Commission des affaires européennes

Bundesrat

Prof. Dr Kurt SCHELTER, ministre de la justice et des affaires européennes du Brandebourg

Mme Dagmar ZIEGLER, ministre des finances du Brandebourg

Dr Marcus WENIG, directeur du Bureau de représentation du Brandebourg à Bruxelles

Autriche 

Nationalrat

Mme Maria Theresia FEKTER, présidente de la commission de la justice

Bundesrat

M. Ferdinand GSTÖTTNER, président de la commission de la justice

Belgique 

Chambre des représentants

M. Hugo COVELIERS, président du groupe libéral flamand (VLD)

M. Dirk VAN der MAELEN, président du groupe socialiste flamand

M. Olivier MAINGAIN, président de la commission des finances

Sénat

M. Hugo VANDENBERGHE, président de la commission du suivi en matière de criminalité organisée

M. Thierry DEWAELE, secrétaire de la commission du suivi en matière de criminalité

Danemark 

M. Karsten NONBO, député

M. Frode SORENSEN, député

Mme Lotte Vibilo SCHONAU, conseillère juridique

Espagne 

Congrès des députés

Mme Soledad BECERRIL, vice-présidente

Mme Silvia MARTIN, conseillère juridique

Sénat

M. José-Manuel BRETAL, conseiller juridique

France

Assemblée nationale

M. Vincent PEILLON, président de la mission d'information sur le blanchiment

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur de la mission d'information

M. François d'AUBERT, membre de la mission d'information

M. Michel HUNAULT, vice-président de la mission d'information

M. Jean-Pierre BRARD, député

M. Pierre BRANA, député

Sénat

M. Christian OUDIN, directeur adjoint

Grèce

Parlement hellénique

Mme Maria ARSENI, députée

M. Panagiotis NIKOLOUDIS, procureur national

Mme Eleni KONSTANTINIDOU, fonctionnaire

Irlande 

Chambre des représentants

M. Michael AHERN, député

M. Jim MITCHELL, député

Sénat

M. Michael FINNERAN, sénateur

Mme Marie FENNELL, secrétaire de la commission des finances et du service public du Parlement

Italie 

Chambre des députés

M. Donato BRUNO, président de la commission des affaires constitutionnelles, de la Présidence du Conseil et de l'Intérieur

M. Gianclaudio BRESSA, vice-président de la commission des affaires constitutionnelles

M. Pietro FONTANINI, vice-président de la commission des affaires constitutionnelles

M. Fabrizio CASTALDI, conseiller auprès de la commission des affaires constitutionnelles

M. Gianfranco NERI, fonctionnaire au bureau des relations avec l'Union européenne

Mme Cristina DI PIETRO, interprète

Sénat

M. Roberto CENTARO, président de la commission parlementaire d'enquête sur la criminalité mafieuse

M. Sebastiano CARDI, conseiller diplomatique du Président du Sénat

Mme Laura BOEZIO, attachée au protocole

M. Alessio COLARIZI, interprète

Luxembourg

Chambre des députés

M. Lucien WEILER, président de la commission des finances et du budget, président du groupe parlementaire CSV (chrétien social)

M. Jeannot KRECKÉ, président de la commission du contrôle de l'exécution budgétaire, président du groupe parlementaire LSAP (socialiste)

M. Laurent MOSAR, membre de la commission des finances et du budget

Pays-Bas 

Chambre des représentants

Mme Timeke WITTEVEEN-HEVINGA, députée

Royaume-Uni 

Chambre des communes

M. John MCFALL, président du « Treasury Select Committee »

M. Michael FALLON, vice-président du « Treasury Select Committee »

M. Alex KIDNER, secrétaire du « Treasury Select Committee »

Parlement européen 

Baroness Sarah LUDFORD, députée européenne

II. Pays candidats à l'adhésion et Russie

Bulgarie 

Assemblée nationale

Mme. Kamelia KASSABOVA, vice-présidente de l'Assemblée nationale

Mme Ina KILEVA, conseillère de la vice-présidente

Chypre 

Chambre des représentants

M. Marcos KYPRIANOU, président de la commission des finances

Estonie 

Parlement

M. Rein VOOG, député

Hongrie 

Parlement

M. Janos HORVATH, député, président de la sous-commission de l'intégration européenne

Lettonie

Parlement

M. Aleksandrs KIRSTEINS, député

Lituanie 

Parlement

Mme Giedré PURVANECKIENÉ, députée

Malte 

Chambre des représentants

M. Victor GALEA PACE, député

M. Gavin GULIA, député

Roumanie 

Sénat

M. Aristide ROIBU, président de la commission juridique

Slovénie 

Assemblée nationale

M. Jozef BERNIK, membre de la commission des finances et de la politique monétaire de l'Assemblée nationale

Turquie 

Parlement

M. Ahmet TAN, député, vice-président de l'assemblée parlementaire de l'OSCE

M. Nejat COSKUN, directeur du département d'enquête sur la criminalité financière au ministère des finances

Fédération de Russie 

Douma d'Etat

M. Nikolaï BROUSNIKINE, député

M. Mikail GRICHANKOV, député

M. Sergueï PARINOV, interprète

III. Experts

M. Bernard BERTOSSA, procureur général de Genève

M. Benoît DEJEMEPPE, Procureur du Roi à Bruxelles

M. Harlem DESIR, député européen

M. Dominique GARABIOL, ancien chef de l'inspection du Conseil des marchés financier

M. Gilles LECLAIR, directeur adjoint d'Europol

M. Jean de MAILLARD, magistrat

M. Patrick MOULETTE, Secrétaire général du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI)

M. Jean SPREUTELS, président de la Cellule de Traitement des Informations financières (Belgique)

M. Jean-François THONY, conseiller à la Cour d'appel de Versailles, expert auprès des Nations Unies

M. Samuel VUELTA-SIMON, chargé de mission à Eurojust

La séance débute à 9h05.

Ouverture des Travaux

Vincent PEILLON

Président de la Mission contre le blanchiment

Mesdames, messieurs, en ma qualité de Président de la Mission d'information de l'Assemblée nationale française contre le blanchiment des capitaux et la délinquance financière, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée Nationale pour cette ultime rencontre du Comité de pilotage après les journées du 3 décembre 2001 et du 14 janvier 2002. Cette réunion comptera plus de participants que d'habitude. Elle permettra par ailleurs de vérifier qu'un accord existe bel et bien sur le texte de la déclaration commune qui sera adopté demain. La quasi-totalité des parlements de l'Union européenne sera représentée, à l'exception de deux d'entre eux. Je salue également chaleureusement la présence parmi nous des nombreuses délégations d'observateurs, notamment les pays candidats à l'adhésion à l'Union, ainsi que nos amis de la Douma qui nous ont rejoint dès la deuxième séance de notre Comité de pilotage. Vous le savez, notre séance d'aujourd'hui a un double objectif.

- Apporter les ultimes ajustements à notre déclaration finale qui sera adoptée demain

Nous avons travaillé ensemble lors des deux précédentes séances du Comité de pilotage, nous avons cherché à prendre en compte toutes les remarques qui ont été formulées et vous avez reçu dans les derniers jours une version actualisée de ce texte. Vous avez été sollicités afin d'y apporter les modifications que vous souhaitiez. Il n'en reste pas moins que la journée d'aujourd'hui doit nous permettre d'avancer.

- Exposer le sens de notre démarche, son contenu et les raisons qui nous ont poussé à ces déclarations

Nous allons le faire dans la plus grande transparence puisque la presse assiste à nos travaux. Cela nous donne un devoir et une exigence de pédagogie.

Pour l'organisation de notre travail, il a été difficile de choisir entre la tribune et la salle. Chaque table ronde sera co-présidée par un député français et un député de l'une des assemblées de l'UE. Cependant, il est évident que l'ensemble des délégations, ainsi que l'ensemble des experts, seront en mesure d'intervenir à chaque étape du texte et autant qu'ils le souhaiteront afin de faire part de leurs remarques, de leurs approbations, de leurs réserves et de leurs modifications.

Le texte soumis aujourd'hui n'a été que très légèrement modifié par rapport à la dernière séance de travail. Il a été essentiellement modifié sur la proposition relative aux compétences d'Eurojust à la demande de la délégation italienne (alinéa 43 du thème 3)

Chaque délégation devra désigner un représentant qui participera à une ultime réunion en comité restreint en fin de journée afin de lever toute ambiguïté et de vérifier que nous sommes tous d'accord sur la déclaration qui sera adoptée demain. Nous disposons par ailleurs de traductions dans toutes les langues de l'Union.

Avant d'aborder le sujet n°1, je souhaite rappeler brièvement l'enjeu de notre réunion. C'est la première fois que des parlementaires de Parlements nationaux se réunissent sur le sujet de la lutte contre le blanchiment et la délinquance financière. Dans le cadre de différentes organisations européennes ou multilatérales, les échanges et les textes sont nombreux et nous devons souvent les transposer dans les Parlements nationaux, parfois avec retard. Je crois qu'il n'était pas possible, notamment après les événements du 11 septembre 2001, de ne pas afficher la volonté des Parlements nationaux d'avancer de concert sur les questions de régulation du système financier international, de coopération judiciaire et policière améliorée et de lutte contre toutes les formes de criminalité qui menacent nos démocraties.

Chacun sait que les souverainetés populaires s'expriment encore à travers nos différents Parlements et qu'il n'est pas possible, en dernier ressort, de laisser aux seuls organismes internationaux et multilatéraux (GAFI, UE, ONU), même s'ils ont fait un remarquable travail, la gestion de telles questions. En effet, il faut que les Parlements nationaux se saisissent aussi de ces questions. Nous avons souvent adopté des législations anti-blanchiment, mais nous ne le faisons pas ensemble et nous n'avons jamais affiché comme aujourd'hui notre volonté de cheminer le plus possible sur ces différents sujets.

Je vous remercie à cet égard au nom du Président Forni qui nous rejoindra demain matin en même temps que le Premier ministre Lionel Jospin qui ouvrira la matinée. Je vous remercie chaleureusement d'avoir tous réagi positivement à cette initiative.

Avant d'aborder le premier thème de la journée, je suis prêt à répondre à vos questions si vous souhaitez obtenir des éclaircissements sur le déroulement des travaux.

Nous allons pouvoir aborder la première ronde sur la transparence des mouvements de capitaux. Cependant, je souhaite tout d'abord que nous revenions sur le préambule. Je vais le relire dans son ensemble. Chaque délégation pourra ensuite intervenir sur ce préambule s'il elle le souhaite. Il a déjà été travaillé et modifié à maintes reprises.

1. Le blanchiment des capitaux d'origine criminelle et la délinquance financière n'ont pas cessé de se développer ces dernières années en exploitant les potentialités fournies par la mondialisation des marchés financiers ; ils représentent une menace directe pour la stabilité de l'économie globale mais aussi pour la sécurité de nos sociétés démocratiques.

2. Le financement du terrorisme repose sur des systèmes très variés dont certains relèvent de l'économie légale mais il est conduit à recourir aux mêmes instruments que l'ensemble de la criminalité organisée.

3. Sans une action globale et coordonnée des États, les autorités et services chargés de la prévention et de la répression ne pourront pas lutter efficacement contre ceux qu'ils poursuivent.

4. Dans la lutte contre le blanchiment et l'utilisation du système financier par les réseaux criminels, l'exemplarité de l'Europe doit être sans faille même si l'efficacité de son action dépend aussi de la prise de conscience et du soutien de l'ensemble des pays développés.

5. La persistance de mécanismes juridiques qui entretiennent l'opacité des transactions financières, l'utilisation des " trous noirs " du système financier international, les carences de la coopération entre les États membres de l'Union européenne, ne peuvent plus être tolérés.

6. L'Union européenne n'est toutefois pas restée inactive puisqu'elle a actualisé la directive contre le blanchiment et qu'elle a constamment travaillé à renforcer l'Europe policière et judiciaire qui demeure en retard par rapport à l'Europe économique et monétaire.

7. L'accord politique récent sur le mandat d'arrêt européen devrait aussi permettre d'accroître l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et la délinquance financière, sous réserve d'une application rapide.

8. Dans un cadre élargi, le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, a affiné les analyses du phénomène et a défini les critères permettant d'identifier les pays et territoires non coopératifs ou les lacunes des dispositifs des pays coopératifs.

9. Issus du suffrage universel, les Parlements nationaux doivent nécessairement contribuer à orienter et stimuler l'harmonisation des législations et la coopération des États membres de l'Union européenne dans le respect des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Au terme d'un débat associant de nombreux experts européens, parlementaires mais aussi universitaires ou praticiens, la Conférence des parlements de l'Union européenne a privilégié quatre thèmes de travail et formulé des propositions de mesures concrètes tendant à améliorer l'efficacité de la lutte contre le blanchiment.

Les modifications sont soulignées.

Souhaitez-vous formuler des remarques particulières sur le préambule ?

MmeTimeke WITTEVEEN-HEVINGA (Pays-Bas - Chambre des représentants)

Je vous remercie, Monsieur le Président. Je remercie également l'Assemblée Nationale française de son hospitalité et d'avoir pris l'initiative de cette réunion pour les Etats membres et les pays candidats de l'UE. Cela permettra de renforcer la dimension démocratique de l'Europe. Il est en effet important de lutter efficacement contre le blanchiment d'argent et contre le financement des activités terroristes. A cette fin, il faut une Europe très démocratique car nous sommes confrontés à des dilemmes et à des tensions dus au renforcement de certaines mesures et au maintien des normes et des valeurs de l'Etat de droit.

Concernant le préambule, il convient de voir dans quelle mesure il est possible d'assurer le suivi de notre texte. Cette excellente déclaration doit en effet permettre de prendre des mesures à l'avenir, mais certains éléments nécessiteront sans doute des discussions futures. Il faudra voir quels seront les effets pratiques de cette déclaration. A cette fin, il faudrait inclure un libellé dans ce sens au préambule et voir quels points devraient être mis en exergue pour l'application de toutes ces mesures. J'aimerais que l'accent soit mis sur le rôle des autorités de surveillance, les banques centrales, les compagnies d'assurance et les commissions de surveillance boursière notamment. Il faudrait, à ce titre, voir quel rôle la Banque Centrale Européenne (BCE) pourrait jouer sur ce plan. Au total, je souhaite que ces points soient davantage pris en considération dans le préambule.

Vincent PEILLON

Je vous remercie pour vos remarques. Treize délégations doivent se prononcer. Il convient donc de ne pas hésiter à formuler des propositions écrites afin d'avancer précisément. Si nous entrons dans un trop grand degré de précision dans certaines énumérations, nous rencontrerons un certain nombre de difficultés.

Le premier point que vous avez soulevé préoccupe tout le monde. En effet, il existe des écarts entre le vote d'une loi et son application. Cela ne doit cependant pas nous empêcher de commencer par le commencement, c'est-à-dire en l'espèce par nous mettre d'accord sur une déclaration. Ainsi, nous pourrions, comme vous l'aviez proposé, inclure dans un point 10bis l'idée suivante : « Afin d'assurer le suivi et l'actualisation des mesures qu'elle a préconisées lors de sa session constitutive, la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment a convenu de se réunir périodiquement ». Je crois que prendre un engagement formel de mise en pratique relève aussi de la déclaration. Cependant, prendre la décision que les Parlements continuent de travailler ensemble dans la durée peut constituer une bonne idée. Cette proposition de suivi et d'enrichissement est concrète. J'ajoute que se pose au Parlement français la question de transformer sa Mission contre le blanchiment en mission permanente. En effet, elle existe depuis trois ans. Cela lui permettrait de poursuivre ses travaux.

Ce point 10 bis permet de marquer notre détermination de poursuivre notre travail dans la durée et il permettra par ailleurs de rendre compte des travaux législatifs que nous menons dans nos différents Parlements.

Dr Kurt SCHELTER (Allemagne - Bundesrat)

Je n'ai pas de remarque spécifique à faire sur le préambule. Il s'agit d'un texte équilibré, et nous sommes également d'accord avec le point 10bis que vous avez soulevé.

Je souhaite soulever un problème de procédure. La version allemande n'est pas conforme à la version française. Afin d'éviter les problèmes au cours de la traduction, serez-vous en mesure de nous demander, au fur et à mesure, de faire des propositions de traduction plus exactes sans pour autant interrompre notre réunion ?

Vincent PEILLON

J'en suis désolé. J'espère que d'autres délégations n'ont pas rencontré le même problème. Il faudrait trouver un moyen de revoir la traduction dans le courant de la journée. Il conviendrait de désigner une personne de votre délégation afin de faire ce travail avant la réunion restreinte de 18h00. Cela ne doit cependant pas vous empêcher de signaler ces points lors de la discussion.

Mme Sarah LUDFORD (Parlement européen)

Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir invité des représentants du Parlement européen à participer à cette Conférence. Nous n'avons pas participé aux précédentes réunions, mais notre participation aujourd'hui montre que l'UE n'a pas été inactive, notamment sur le dernier thème.

A ce stade, je souhaite mettre en exergue un élément qui pourrait poser problème, notamment sur le premier point portant sur la transparence des mouvements de capitaux. En effet, le paragraphe 5 du préambule affirme que la persistance de mécanismes juridiques qui entretiennent l'opacité des transactions financières, l'utilisation des " trous noirs " du système financier international, les carences de la coopération entre les États membres de l'Union européenne, ne peuvent plus être tolérés. Le mot utilisé pour traduire le terme « opacité » en anglais n'existe d'ailleurs pas dans la langue anglaise. Nous devrons être plus explicites lors de notre première table ronde. En effet, il faut opter pour une approche scientifique. Rendre les transactions suspectes plus transparentes de manière généralisée pourrait être assimilé à une infraction à la vie privée ou la confidentialité de certaines informations. S'agit-il d'exiger le signalement des transactions suspectes ? Il reviendra à la première table ronde de réfléchir à cette question. L'absence d'accès aux connaissances sur les transactions financières constitue en soi un problème, mais il convient, à mon sens, de ne pas le formuler comme dans le paragraphe 5 du préambule. Je n'ai pas de nouvelle mouture à vous soumettre, mais j'estime que la formulation choisie suscite bien des interrogations. Le Royaume-Uni estime que le paragraphe 5 est trop vaste, voire trop vague. Il faudrait se concentrer sur les moyens d'accès à l'information portant sur les transactions financières lorsque cette information est recherchée.

Vincent PEILLON

Vous soulevez un problème de fond qui est au c_ur de nos réflexions. Nous savons ce que nous avons voulu dire. En effet, cela est explicité dans la suite du texte, qu'il s'agisse des sociétés écran ou qu'il s'agisse des secrets professionnels. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Vous exprimez-vous au nom du Parlement Européen ou au nom de la délégation anglaise ?

Mme Sarah LUDFORD

Je suis ici en tant que représentante du Parlement européen. Je suis également parlementaire britannique. Il est certain que mon approche est plutôt anglo-saxonne. La Directive européenne sur le blanchiment des fonds impose des obligations aux juristes et aux institutions financières. Il s'agit de déterminer les moyens d'accès à ces informations.

Vincent PEILLON

Je ne souhaitais pas faire une plaisanterie. Nous sommes bien entendu heureux de vous accueillir. Il s'agissait vraiment d'une question naïve afin de savoir quelle délégation vous représentiez. Les questions que vous soulevez sont d'ailleurs très intéressantes et au coeur de nos travaux. Nous allons y revenir point par point.

Mme Soledad BECERRIL (Espagne - Congrès des députés)

La version espagnole de la déclaration présente elle aussi un certain nombre de problèmes de traduction. Je pense donc qu'il convient de ne pas attendre la fin de la journée afin de comparer les différentes versions linguistiques de la déclaration. Dans certains cas, il ne s'agit que de questions de styles qui n'ont pas d'incidences sur le fond. Dans d'autres cas, les problèmes portent en revanche sur des termes précis qui importent avant l'adoption d'un tel texte.

Vincent PEILLON

Il s'agit de la deuxième remarque dans le même sens. Cela nous embarrasse. Nous vous présentons nos excuses. Il n'est pas possible de travailler avec des traductions insatisfaisantes dans la journée. Nous allons nous occuper de cette question. Des traducteurs seront mis à votre disposition. Il convient de désigner un membre par délégation afin de régler les différents problèmes de traduction avec les traducteurs. Il n'y aura aucun malentendu sur le plan des traductions avant la réunion de 18h00.

John McFALL (Royaume-Uni - Chambre des Communes)

C'est un véritable plaisir de participer à une nouvelle réunion sur ce sujet fort important. Ma collègue britannique Sarah Ludford a fait des remarques au nom du Parlement européen. Personnellement, je représente le Parlement britannique.

Lors de la dernière réunion, j'avais formulé un certain nombre de remarques. Sur un plan philosophique, je suis d'accord avec les propos de ma collègue britannique. Le préambule est à mon sens excellent, mais nous devons passer de la théorie à la pratique. Le système du Common Law britannique diffère des systèmes juridiques qui prévalent sur le continent. C'est pourquoi, il conviendra de prendre ces divergences juridiques en considération lorsque nous nous occuperons de la pratique. Le paragraphe 9 du préambule nous convient, mais il serait souhaitable d'ajouter, à la fin de ce paragraphe, qu'il existe des divergences dans les différents systèmes juridiques qu'il convient de prendre en compte. A part cela, nous sommes d'accord avec les principes généraux exprimés dans ce préambule.

Vincent PEILLON

Je vous remercie. Je ne vois pas de difficulté à ce que cela soit intégré dans le texte.

Jean-Pierre BRARD (France - Assemblée nationale)

Il convient de progresser vers plus de transparence et d'éthique. Le processus que nous entamons sera long. Je suis d'accord avec les interventions de nos deux collègues britanniques. Dieu merci, la langue de Shakespeare est au moins aussi riche que celle de Cervantes, de Goethe ou de Molière. Grâce au synonymes, nous pouvons nous sortir de la difficulté évoquée par Madame Ludford sur l'opacité. Ainsi, je propose le mot suivant en français : l'obscurité.

Je m'intéresse également au paragraphe 5 du préambule. Le travail que nous entreprenons est difficile. Il le sera d'autant plus pour les actuels pays membres de l'Union lorsque des pays désignés par le GAFI comme des pays qui n'ont pas des pratiques orthodoxes entreront dans l'UE. Je me demande si l'alinéa 5 ne devrait pas être amendé comme suit : « L'adhésion à l'Union des Etats figurant sur la liste du GAFI est suspendue ».

Vincent PEILLON

Il s'agit d'une proposition forte. Il convient donc de relever l'opinion des différentes délégations avant une éventuelle intégration au préambule.

Soledad BECERRIL

Cette proposition peut être étudiée. Nous pourrons peut-être en tenir compte, mais je ne crois pas que cela soit une bonne chose du point de vue de la procédure. En effet, je ne vois pas comment nous pourrions, à ce stade, ajouter une telle proposition. Cela sera peut-être possible ultérieurement. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas en mesure de nous y rallier pour l'instant.

Vincent PEILLON

Vous avez le courage de souligner, Madame Becerril, qu'il s'agit d'une proposition lourde pour adoption à ce stade de nos travaux.

Mme Marie-Theresia FEKTER (Autriche - Nationalrat)

En ce qui concerne le statut juridique de ce document, la délégation autrichienne n'est pas en mesure d'adopter un texte contraignant pour l'Autriche, même si nous sommes prêts à travailler de manière constructive avec vous afin de dégager une véritable majorité au Parlement autrichien en faveur de l'application de cette déclaration.

Roberto CENTARO (Italie - Sénat)

Je suis tout à fait disposé à donner mon accord sur le préambule. Cependant, il ne peut s'agir que d'un accord de principe. En effet, des contraintes constitutionnelles doivent être prises en compte et pourraient peser sur les décisions des Parlements nationaux et de nos gouvernements. C'est pourquoi nous devrions nous limiter à une déclaration de principe listant des hypothèses. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas en mesure de formuler des propositions concrètes étant donné que n'avons pas aujourd'hui d'obligation d'adhésion. En effet, la législation italienne n'a pas encore adopté les normes qui nous obligeraient à adhérer à ce préambule. Ce dernier aborde les questions de suivi et les hypothèses de travail. La proposition de travail est le fruit d'une décision qui repose sur nos normes constitutionnelles. Par ailleurs, les pays figurant sur la liste du GAFI ne sont pas cités sur la base de preuves concrètes. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous sentir liés à la liste du GAFI et les Parlements nationaux pourraient ne pas se sentir liés aux prescriptions du préambule. Comme je vous l'ai dit, nous devons respecter, au sein des Parlements, un certain nombre de normes constitutionnelles.

Vincent PEILLON

Il n'y a pas d'autre demande de parole. Nous allons pouvoir aborder le premier thème de la journée. Nous avons acté un certain nombre de modifications. En plus du rajout du paragraphe 10bis, il convient d'ajouter, conformément aux préoccupations de Monsieur McFall et de Monsieur Centaro, les mots suivants à la fin de l'alinéa 9 du préambule : « dans le respect des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des différences des systèmes juridiques nationaux ».

Je vous propose d'aborder la première table ronde portant sur la transparence des mouvements de capitaux.

TABLE RONDE N° 1 :
LA TRANSPARENCE DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX

M. Vincent PEILLON, Assemblée nationale (France), co-président ;

M. Hugo COVELIERS, Chambre des représentants (Belgique), co-président ;

M. Bernard BERTOSSA, procureur général (Suisse) ;

M. Jean de MAILLARD, magistrat (France).

Vincent PEILLON

Je salue Monsieur Coveliers, Cco-président de cette table ronde, Monsieur Bertossa, Procureur général de Genève et Monsieur de Maillard, Magistrat.

Le développement de la transparence des mouvements de capitaux est un objectif essentiel pour assurer le succès de la lutte contre le blanchiment. En effet, les enquêteurs se heurtent souvent à des obstacles insurmontables lorsqu'il s'agit d'assurer la traçabilité des opérations financières et des donneurs d'ordre qui est indispensable à l'identification des réseaux, des responsabilités et à leur mise hors état de nuire.

Tout au long de nos travaux en France et dans les différents pays européens, nous avons entendu de nombreux témoignages de magistrats, de policiers et de membres des services de renseignements financiers allant dans le même sens. En effet, ils ont tous mis en avant leur difficulté à tracer les mouvements de capitaux et à identifier les responsables. Ils ont tous clairement identifié les différents points de blocage. Nous avons cherché à y remédier. Nous avons, dans cet esprit, fait huit propositions.

L'utilisation dévoyée des fiducies ou des trusts a largement été constatée dans de nombreuses opérations de blanchiment. Dans son rapport annuel du mois de février 2001, le GAFI a indiqué que les fiducies sont de plus en plus perçues comme des dispositifs clés des mécanismes de blanchiment à grande échelle ou complexes. L'anonymat, apparemment inviolable, qu'elles offrent à leur propriétaire ou bénéficiaire réel, pose problème.

Nous faisons trois propositions pour réguler les fiducies :

- Déclaration systématique, auprès de l'unité du renseignement financier, des opérations menées avec des fiducies.

Une loi du 16 mai 2001 instaure cette déclaration systématique en France.

- Réglementation minimale de la forme des fiducies

Elle prévoirait l'interdiction de clauses particulièrement suspectes, notamment les clauses d'évasion qui ont pour objet le transfert automatique du siège d'une fiducie dès qu'elle fait l'objet d'une enquête judiciaire. Cette proposition a minima n'a pas besoin d'être justifiée.

- Inscription des fiducies sur un registre central dans chaque Etat membre de l'UE

Par ailleurs, nous avons proposé l'harmonisation des procédures de levée des secrets professionnels afin de faciliter le travail des enquêteurs. Il s'agit d'un sujet complexe qui pourrait relever d'une directive européenne. L'actualisation de la Directive sur le blanchiment a permis, après de longs et fructueux débats, de préciser les modalités de l'assujettissement des avocats aux obligations de vigilance.

La création, dans chaque Etat membre, d'un registre central des comptes bancaires nous paraît souhaitable. Ce dispositif existe en France et en Espagne par exemple. Il accélère considérablement les investigations des enquêteurs. Il ne constitue pas une violation du secret bancaire. En effet, l'accès à ce registre est limité aux services de police travaillant sous réquisition judiciaire.

Enfin, les nouvelles technologies de communication ne doivent pas faciliter davantage encore l'anonymat des transactions. Les services financiers qui transitent par des réseaux informatiques complexes ou à très haut débit doivent être enregistrés de manière aussi rigoureuse que les opérations plus classiques. L'identification du donneur d'ordre doit donc être assurée, normalisée et effective. L'exemple du service du virement interbancaire Swift est connu. Des déclarations indiquent que des pratiques différentes sont tolérées en fonction des opérations alors que le champ d'identification informatique existe bel et bien, mais n'est pas toujours utilisé rigoureusement. De la même façon, l'utilisation d'Internet pour des transactions financières, passant parfois par l'intermédiaire de casinos virtuels, est un autre exemple de ces pratiques dévoyées, même si l'identification des opérateurs par les fournisseurs d'accès peut se révéler malheureusement plus complexe à faire respecter.

Il s'agit des principales propositions de cette première table ronde. Je tiens à souligner qu'elles n'ont pas fait l'objet d'oppositions tranchées au sein du Comité de pilotage, même si plusieurs délégations ont dit leur scepticisme à l'égard de l'efficacité d'un registre central des comptes bancaires. J'espère que les différents praticiens pourront lever certains scepticismes et démontrer à quel point ces registres sont efficaces dans la lutte contre la délinquance financière.

Je conçois aussi que la régulation proposée pour les fiducies et les trusts soit plus difficile à mettre en place dans les pays qui les utilisent massivement. Il est de notre devoir collectif d'appeler chacun à ses responsabilités. Le fait que ces propositions soient faites par le GAFI dans un cadre intergouvernemental montrent que la volonté d'avancer est forte. Il serait bon que les Parlements puissent la relayer.

Ce que nous proposons aujourd'hui demeure raisonnable. Certains auraient souhaité aller plus loin dans la mise en place d'une transparence accrue. Ainsi, certains experts ont évoqué la possibilité de mettre en place une régulation financière européenne avec des autorités de contrôle européennes. A terme, cet objectif est souhaitable, nous aurons l'occasion d'en reparler, mais si nous pouvons avancer sur ces quelques propositions dans le cadre national, cela sera déjà satisfaisant.

Hugo COVELIERS (Belgique - Chambre des représentants)

Je tiens à m'associer à mes collègues qui vous ont félicité pour l'organisation de cette Conférence et pour la manière démocratique qui a présidé à la préparation des différents textes.

Mesdames et Messieurs, je viens d'un pays bilingue. Ainsi, je connais les problèmes de traduction des textes légaux. Il ne s'agit pas d'une question de traduction, mais de dire la même chose. Il convient donc de définir avec précision ce que nous voulons dire. Ensuite, il suffit de traduire dans sa propre langue. Comme ma langue maternelle est le néerlandais, je vais poursuivre mon exposé en néerlandais afin d'éviter un certain nombre d'erreurs d'expression. D'ailleurs, je tiens à vous remercier d'avoir ajouter le néerlandais sur la liste des langues de cette conférence.

Le premier thème de la journée se fonde sur l'idée que, si l'on ne connaît pas certaines transactions financières ou si le donneur d'ordre, l'intermédiaire ou le bénéficiaire ne souhaitent pas révéler leur identité ou si l'on souhaite cacher le motif de la transaction, on peut supposer que ces transactions sont suspectes et que les fonds ont une origine qui n'est pas légale.

L'argument présenté par Madame Ludford est à prendre en compte. En effet, il faut faire des choix et respecter le droit à la vie privée. Les autorités peuvent prendre des mesures dans l'intérêt général en détectant les agissements illégaux de certains citoyens. Jusqu'où est-il possible d'aller sans enfreindre le droit à la vie privée ?

Sur le point 15, nous nous sommes demandés dans quelle mesure il faudrait déclarer tous les mouvements financiers. Peut-être qu'une déclaration ne devrait intervenir que si l'on ne peut pas identifier le bénéficiaire économique. Faut-il pouvoir identifier toutes les transactions ou seulement certaines d'entre elles ?

La nature des fiducies (point 16) peut susciter un certain nombre de problèmes en raison de la variété des systèmes juridiques européens. J'espère que nous serons en mesure, au plan européen, de défendre l'idée d'adopter au moins une certaine réglementation en la matière. Pour certains collègues, il était évident, au cours des réunions préparatoires, que l'inscription à un registre central devrait être envisagée car il ne serait pas possible de comprendre pourquoi certaines fiducies s'opposeraient à une telle inscription à partir du moment où leurs activités sont légales. Y a-t-il des arguments qui plaideraient en faveur de la non-inscription dans un tel registre des fiducies ou des particuliers qui effectuent des transactions financières internationales ?

Enfin, je crois qu'il est difficile, mais nécessaire d'affirmer le principe selon lequel il est indispensable d'harmoniser les procédures liées à la levée du secret professionnel (point 18). Il faut tenir compte d'un certain nombre d'éléments. Je pense notamment à la profession d'avocat. Il faut tenir compte des droits de l'individu, de la défense, des libertés qui doivent être respectées mais aussi des droits des autres citoyens de se protéger contre ceux qui ne respectent pas les réglementations en vigueur.

Dans certains pays de l'UE, il est possible d'identifier le donneur d'ordre et le bénéficiaire de transfert de fonds. Lorsque l'on connaît ces deux personnes, il est plus aisé de savoir s'il s'agit ou non de blanchiment d'argent. Je pense que, dans un tel cadre, les donneurs d'ordre et les bénéficiaires seront beaucoup plus prudents. Cela est aussi lié au transport manuel de fonds.

Vincent PEILLON

Je souhaite vous rappeler que nous nous sommes calés sur deux propositions faites par le GAFI dans son rapport 2001 sur les typologies, tout en respectant les procédures nationales : réglementer la forme des fiducies grâce à l'introduction de documentations normalisées et rendre leur immatriculation obligatoire.

Bernard BERTOSSA (Suisse - Procureur général de Genève)

En ma qualité de praticien de la poursuite pénale, ayant conduit à Genève en l'espace de 12 ans des dizaines de procédures pénales en matière financière et des investigations sur des dizaines de milliers de comptes et des centaines de milliers d'opérations et de transactions financières, je me permets d'insister sur la nécessité de faire respecter la transparence dans ce domaine. Il convient de ne pas opposer l'opacité aux enquêtes.

Les difficultés auxquelles nous avons été confrontés et auxquelles nous sommes encore confrontés sont les suivantes :

- La conduite d'opérations conduites par des fiducies

Il s'agit d'institutions juridiques qui visent à cacher le réel ayant-droit économique de l'opération et de lui substituer un écran. L'objectif de ces institutions de droit anglo-saxon ou continental est de cacher le véritable opérateur.

- Les opérations de compensation

Il existe des sociétés spécialisées dans la compensation qui permet de rompre le paper trail entre opérations.

- Les différents secrets

Il s'agit des secrets professionnels, bancaires, de la défense et des secrets liés à l'immunité diplomatique. Un certain nombre de chefs d'Etat et de diplomates bénéficiant de l'immunité diplomatique prêtent leurs comptes pour cacher des opérations financières. Le secret bancaire ne pose quant à lui généralement plus un problème pour le juge pénal.

La nécessité d'instituer une transparence qui permette aux autorités de poursuite pénales de définir les réels ayant-droits économiques des opérations, de relever la traçabilité des opérations et de définir leurs véritables destinataires est absolument impérative afin de lutter contre la criminalité financière et ses conséquences.

Lutter contre le blanchiment permet de lutter contre le profit d'un crime. La commission de ce crime a des conséquences financières et des conséquences sur la vie des gens. L'implication dans un réseau de corruption au sein d'un Etat dont les richesses sont inégalement réparties entraîne des dommages non seulement économiques, mais aussi des dommages à la vie de l'ensemble des citoyens.

La Suisse avait la réputation d'être opaque en matière financière. Elle ne l'est pas en réalité. Si cela peut rassurer les Etats qui ont des places financières concurrentes de la Suisse, je dirais qu'en Suisse, il n'est pas possible d'ouvrir un compte bancaire, quel qu'il soit, sans indiquer l'identité véritable de l'ayant droit économique des comptes. Il convient donc de se rassurer au Royaume-Uni, au Luxembourg ou en Allemagne. Si la même direction était prise dans ces pays, cet argument ne pourrait pas être utilisé par la place financière suisse dans le registre de la concurrence.

Dr Kurt SCHELTER

Je souhaite poser une question. Il est inhabituel que les Parlements s'occupent d'une forme particulière de criminalité. Je pense que cela est nécessaire. Cependant, il convient de se demander si les propositions que nous soumettons sont praticables à la fois techniquement et juridiquement. Je crois que nous devons être à la hauteur de la réputation de nos Parlements. C'est pourquoi il faut éviter de faire des propositions dont les experts nous diront par la suite qu'elles ne sont pas applicables ou dont les juristes nous diront, par exemple, qu'elles sont utopiques par rapport aux règles du marché intérieur de l'UE. Ainsi, je souhaite demander aux différents experts s'ils ont évalué ces différentes propositions sur un plan juridique et sur un plan technique. Je crois qu'il est nécessaire de soumettre des propositions qui aboutissent à une modification des droits nationaux. Cependant, il convient d'éviter que nos propositions se heurtent à des obstacles constitutionnels et aux limites des traités de l'UE.

Vincent PEILLON

Vous soulevez, Monsieur le Ministre, une question essentielle. En effet, beaucoup des propositions que nous faisons existent déjà dans certains pays ou sont déjà adoptées par certains de nos gouvernements dans différentes organisations internationales, mais non relayées auprès des opinions publiques et des souverainetés populaires que nous représentons. Nos propositions ne visent pas, au fond, à être novateur, inventif, voire extrémiste. Il s'agit simplement de faire exécuter ce que nos différents gouvernements ont déjà adopté (Sommet de Tampere, GAFI, ONU) dans les différents Parlements nationaux qui restent dépositaires d'un pouvoir essentiel. La réponse, à ce stade, est précise. Je crois d'ailleurs que la République fédérale d'Allemagne vient d'adopter le registre des comptes bancaires. Toutes les propositions relèvent de la simple volonté politique et non pas de la faisabilité pratique ou juridique. Je partage, comme tous nos collègues, votre préoccupation. Si l'une de ces propositions pouvait se heurter à une opposabilité juridique forte et, par conséquent, n'était qu'un étendard, il faudrait alors la supprimer.

Jean de MAILLARD (Magistrat)

Permettez-moi tout d'abord, en tant que magistrat, de me réjouir de cette conférence qui réunit la plupart des Parlements de l'UE et le Parlement européen. En effet, les magistrats ont depuis de nombreuses années attiré l'attention des responsables politiques nationaux et internationaux sur la gravité des problèmes posés, notamment au travers de l'Appel de Genève dont deux représentants sont ici présents. Cette conférence constitue donc un événement important qu'il convient de saluer. Par ailleurs, nous nous réjouissons de sa pérennisation annoncée plus tôt.

Je souhaite vous faire part d'un sentiment général sur les déclarations qui résultent de la déclaration de Paris. Ensuite, je ferai des observations sur le thème n°1.

Je regrette le fait que le préambule, qui a, me semble-t-il, bien posé les enjeux du problème, ne se retrouve pas exactement dans les propositions. La difficulté à laquelle se heurtent les praticiens est celle de la traçabilité des flux financiers. Or ces derniers ne sont plus nationaux. Les législations et les réglementations nationales constituent non seulement des freins et des obstacles en matière de transparence financière mais sont parfois aussi les vecteurs mêmes de la dissimulation, notamment les fiducies et les différents secrets qui contredisent la notion de transparence financière.

Toute activité financière ne doit pas être mise sur la place publique. Personne ne le souhaite, ni ne le demande, mais aucune opération ne doit pouvoir se dissimuler au contrôle des différentes autorités fiscales, policières ou judiciaires. Les différentes propositions ne font pas assez apparaître cette dimension transnationale. Je comprends bien que l'exercice qui consiste à réunir des Parlements nationaux soit d'abord destiné à demander aux différents parlements d'adapter leur propre législation nationale, mais si ces progrès ne sont pas coiffés par un droit européen en la matière, ces efforts seront vains ou insuffisants. En effet, chaque pays légiférera avec ses propres instruments. Surtout, nous ne serons en mesure de mettre en place les instances de surveillance et de contrôle des flux financiers, qui sont tous transnationaux, au niveau adéquat, c'est-à-dire au moins au plan européen.

Je regrette, d'ailleurs, que la proposition de parquet européen ait disparu des propositions finales. En effet, nous en parlons depuis les Sommets de Tampere et de Nice. Par ailleurs, un livre vert de la Commission montre qu'il est possible de le mettre en place. Le recul enregistré depuis le mois de décembre 2001 sur ce plan traduit, à mon sens, une certaine régression et un engagement insuffisant dans la volonté de lutter contre le blanchiment et la criminalité financière. En effet, je rappelle que, dans le cadre des dernières propositions, les prérogatives du Parquet européen étaient limitées au budget européen et aux fraudes européennes. Cela permettait d'initier ce Parquet européen qui devra nécessairement voir le jour dans un avenir que j'espère proche.

Dans la ligne de ce que j'ai dit, je crois avoir compris que ma proposition portant sur la création, au sein des institutions européennes, d'un organe de supervision des chambres de compensation et du système financier chargé de fixer les règles de fonctionnement de ces organismes et d'en surveiller le respect n'a pas recueilli l'assentiment d'une majorité de délégations parlementaires. Je le déplore. J'estime, en tant que magistrat, qu'il n'est pas possible de lutter contre une criminalité quelconque sans fixer un certain nombre de règles du jeu, non pas pour les criminels, mais pour ceux qui ne veulent pas entrer dans le circuit de la criminalité. Or force est de reconnaître que ce qui peut empêcher quelqu'un d'entrer, au plan mondial ou européen, dans des circuits frauduleux est son seul sens de l'éthique. L'affaire Enron est à ce titre édifiante. En effet, l'existence de codes éthiques dans les grands groupes internationaux n'empêche pas d'enfreindre délibérément la loi que l'on s'est fixée à soi-même lorsque la supervision publique n'existe pas. Dans le même sens, j'aurais également souhaité l'existence de moyens d'harmoniser au plan européen les registres prévus dans le thème N°1. Des normes communes pour l'établissement de ces registres sont nécessaires, sinon les registres ne seront pas utilisables d'un pays à un autre. Il faut par ailleurs publier les comptes. Des pays comme la France obligent les sociétés commerciales à publier leurs comptes annuels qui sont publics. Je ne vois pas pourquoi une entreprise commerciale ne publierait pas ses comptes et ne les rendrait pas publics.

Enfin, concernant les virements interbancaires, notamment les virements Swift, il ne suffit pas d'identifier le donneur d'ordre et le bénéficiaire. En effet, il convient aussi d'identifier le motif de l'opération. Ces ordres de virement doivent d'ailleurs, sur un plan théorique, contenir une mention portant le motif du transfert. Cette pratique n'est malheureusement pas majoritairement suivie par les donneurs d'ordre. Ce moyen de contrôle est pourtant efficace.

Vincent PEILLON

Vos propositions sont fortes. Elles devraient susciter un certain nombre de remarques. Nous aurons l'occasion de parler du Parquet européen cet après-midi. La régulation au plan européen constitue une question importante. Certaines affaires transnationales montrent d'ailleurs qu'elle fait défaut. Nous avons trop tendance à considérer que les autorités de régulation nationales sont responsables de leurs systèmes bancaires alors que ceux-ci, notamment pour un certain nombre de petits Etats qui abritent de nombreuses banques, relèvent d'une responsabilité collective. De ce point de vue, les grands Etats, la France notamment, sont assez hypocrites. Il faudrait être capable de mettre en place cette autorité de surveillance transnationale, européenne notamment. Cependant, nous ne sommes pas un stade où nous pouvons avancer sur cette proposition.

Concernant, toutefois, les chambres de compensation, la perspective d'une régulation européenne est clairement évoquée dans le projet de déclaration. Il s'agit d'une ouverture qui n'est pas neutre. Je crois que, sur ce point, l'histoire cheminera.

Mme Sarah LUDFORD

Je souhaite tout d'abord revenir sur votre première question portant sur la provenance de mon mandat. Je dois dire que je me demande si je peux présenter ce texte devant mon Comité. Par ailleurs, je suis guidée dans mes propos par ce qui se passe au Parlement européen en la matière. Je crois qu'il existe différents points de vue possible : britannique, continental, libéral ou corporatiste. Il se peut que ma nationalité me pousse dans un sens plutôt que dans un autre. Il convient de prendre en compte toutes ces attitudes liées à la nationalité de chacun.

Concernant le point 18 portant sur la levée des secrets professionnels, le gouvernement incite en général les professionnels à déclarer les cas qui leur paraissent douteux. Une résistance à la levée des secrets professionnels s'est manifestée au Parlement européen, notamment en provenance des europarlemantaires continentaux et non pas britanniques.

Il me semble que le paragraphe 11 est cohérent avec le reste du texte. En effet, il indique qu'il s'agit d'être en mesure de reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. Nous pourrions ajouter des mouvements de capitaux douteux. Autrement dit, ce paragraphe met l'accent sur la traçabilité, ce qui est, me semble-t-il, satisfaisant. Cependant, je ne suis pas sûre que le reste du texte persiste à mettre l'accent sur la traçabilité lorsque nous parlons du registre unique qui contrôle certaines fiducies en prévoyant l'inscription des fiducies et qui la rend obligatoire. Je ne connais pas parfaitement bien tous les textes du GAFI, mais j'ai le sentiment qu'ils mettent surtout l'accent sur l'identification et sur ce qui permet de reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. L'accent doit être mis sur la vigilance, notamment par rapport aux transactions importantes avec l'obligation de dresser des rapports sur celles qui semblent douteuses.

Gardons-nous, enfin, d'une bureaucratisation excessive. Je ne suis pas sûre de la pertinence de l'idée d'un registre. En effet, cela risque de faire perdre de vue ce qui est important, c'est-à-dire la mise en place d'un système d'alarme en cas de capitaux douteux. Ce système sera-t-il efficace ? Permettra-t-il de reconstituer l'historique des mouvements de capitaux ? Le registre central ne le permettra pas. Il est en revanche important de disposer de dossiers complets. Les professionnels doivent être obligés de faire rapport et de disposer d'un accès octroyé aux autorités judiciaires. Or je ne vois pas cette possibilité d'accès aux dossiers pour la Justice. Par ailleurs, rien n'est dit non plus sur la protection des données. Au total, il convient de ne pas s'écarter de la notion de la liberté de contrat (paragraphe 16). A titre d'anecdote, j'ai perdu tous mes droits accumulés en 10 ans lorsque j'ai contracté une assurance automobile en Belgique. Je sais que ce n'est plus vrai, mais il me semble qu'il est important de ne pas entraver la liberté de passation de contrats différents. Il s'agit d'une attitude corporatiste. Je tiens à souligner que cela ne me paraît pas très efficace. En revanche, la bonne tenue des dossiers, la connaissance des clients par les professionnels et l'accès possible à ces informations par la Justice me paraissent constituer des points extrêmement importants.

M. Michael FALLON (Royaume-Uni - Chambre des Communes)

Monsieur le Président, je suis tout à fait d'accord. En effet, les recommandations doivent être d'ordre pratique et efficace. Au Royaume-Uni, nous ne sommes pas convaincus qu'il faille nécessairement recourir à la bureaucratie pour tracer les mouvements de capitaux. Des actions doivent être menées pour les comptes bancaires. Pourquoi certaines entreprises ne s'inscriraient-elles pas sur un registre ? Je me demande qui va enregistrer une opération malhonnête. Peut-être que certaines opérations moins honnêtes quitteraient nos pays, deviendraient des opérations extraterritoriales et ne figureraient plus dans un registre central.

Comme l'a dit Madame Ludford, il faut que la police et les autorités de surveillance puissent mener des enquêtes plus facilement et plus rapidement. Le Parquet et les tribunaux devraient également être en mesure de mener des enquêtes lorsqu'ils ont des doutes. Par ailleurs, des normes sont nécessaires au plan international comme l'a montré l'affaire Enron.

Cependant, il convient de ne pas répondre à ces questions par des dispositions purement bureaucratiques. Il faut veiller à ce que la police et la justice soient en mesure de mener des enquêtes rapides.

Frode SORENSEN (Danemark - Folketinget)

Je vous remercie de m'avoir invité. Cela nous permet de débattre d'un sujet qui nous concerne tous : la meilleure façon de lutter contre la criminalité organisée et le blanchiment d'argent.

La délégation danoise n'a pas été en mesure de participer aux deux premières réunions du Comité de pilotage, mais nous vous remercions de nous avoir fourni le projet de déclaration que vous avez rédigé. Il correspond aux propositions qui sont en ce moment même examinées par le Parlement danois.

Concernant le premier thème, je souhaite formuler des remarques sur les points 15 et 20. En ce qui concerne le point 15 portant sur la déclaration systématique auprès de l'unité du renseignement financier des opérations menées avec des fonds fiduciaires ou assimilés, la loi danoise prévoit que, lorsqu'il y a le moindre soupçon de blanchiment, un examen approfondi doit être réalisé, ce qui correspond à ce que disait la délégation britannique. Si ce soupçon se confirme, la transaction est gelée. Autrement dit, la police n'est pas informée de toute transaction liée à des fonds fiduciaires ou assimilés, mais il est possible d'agir dès qu'il y a un soupçon. Cela me semble correspondre au véritable objectif de la proposition. Au Danemark, nous ne comptons pas beaucoup de fonds fiduciaires, mais cela pourrait changer à l'avenir. La délégation danoise souhaiterait que le texte précise qu'il faut qu'une transaction soit suspecte avant de prévenir la police. Aussi, propose-t-elle le texte suivant : « Prévoir une déclaration systématique auprès de l'unité du renseignement financier des opérations suspectes menées avec des fonds fiduciaires ou assimilés ».

Le point 20 porte sur la création d'un registre central des comptes bancaires. Au Danemark, chaque banque dispose de son propre registre qui est utilisé pour informer les autorités fiscales. Nous ne disposons pas d'un seul registre fiscal. Nous pensons que l'enregistrement actuel des comptes danois ou des étrangers résidant au Danemark est suffisant. Il n'est pas nécessaire, à notre avis, d'aller plus loin.

Au total, nous ne proposons pas de modification du point 20, mais nous proposons une modification du point 15.

Mme Marie-Theresia FEKTER

La délégation autrichienne considère que le point 18 portant sur la levée du secret professionnel pose problème au regard du droit autrichien et est contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Nous avons affaire à des affaires pénales. Il faudrait dans ce cas accepter une levée du secret professionnel pour certaines professions, les professions juridiques notamment. Il nous semble qu'il conviendrait de remplacer le terme « levée » au paragraphe 18 par le terme suivant « harmonisation des procédures » en mesure d'application du secret professionnel. Ainsi, nous pourrions laisser entendre que nous ne voulons pas nécessairement une levée du secret professionnel afin, notamment, de respecter l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Par ailleurs, la création d'un registre central de comptes bancaires pose également problème. En Autriche, il existe un système d'identification et de communication des flux financiers douteux ou suspects. Cela nous permet d'obtenir rapidement des informations sur les comptes bancaires dès lors qu'il est soupçonné que les opérations financière revêtent un caractère criminel. Il ne faudrait pas prévoir un seul registre central. En effet, il existe d'autres solutions comme l'établissement de réseaux plus efficaces pour la répression. Il faudrait écrire « Créer et standardiser le recours rapide à toutes les informations sur les comptes bancaires d'origine douteuse ». Par ailleurs, je me réjouis la proposition qui a été faite sur le point 15 en proposant de le limiter aux opérations financières douteuses.

M. Bernard BERTOSSA

Je pense que Madame Fekter a raison sur le premier point. En effet, le secret de l'avocat doit être limité à l'exercice de la profession d'avocat. En ce sens, il n'y a pas matière à violer le secret, ce qui serait contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme et aux droits de la défense. En revanche, l'avocat qui utilise son titre pour conduire des opérations financières pose problème. Il n'est plus avocat dans ce cadre-là. En effet, il fait alors un autre métier qui ne présente aucun secret. Ainsi, Madame Fekter a raison. Plutôt que d'indiquer la levée des secrets, il conviendrait plutôt d'indiquer la limite des secrets professionnels. A titre d'exemple, cela ne pose pas de problème en Suisse. En effet, les avocats intermédiaires financiers ne sont pas en mesure d'invoquer un quelconque secret à l'égard des autorités de poursuite pénale.

Sur le point 20, je pense que l'existence d'un registre central des comptes bancaires est une très bonne initiative pour les autorités de poursuite. Il s'agit de savoir si telle ou telle personne mise en cause dans une procédure pénale détient ou non un compte dans un Etat donné et si oui auprès de quelle institution bancaire. Ce registre simplifie les recherches et évite souvent de se voir opposé, dans le cadre de procédures d'entraide internationale, le célèbre grief de la fishing expedition qui, en Suisse par exemple, nous interdit, pour le compte de juges étrangers de nous adresser à toutes les banques suisses pour savoir si une personne donnée, Oussama Ben Laden par exemple, détient un compte dans une banque du pays. L'existence de ce registre marquerait une avancée intéressante pour les autorités de poursuite. Il conviendrait cependant d'en limiter l'accès aux autorités judiciaires, comme l'a indiqué Madame Ludford.

Jean SPREUTELS (Belgique - Président de la Cellule de traitement des informations financières)

La matière est à la fois riche et importante. Elle fait l'objet de débats animés dans le cadre de la révision des 40 recommandations du GAFI.

Si vous le permettez, je ferais quelques observations sur les points qui ont été soulevés. Je pense que le texte que vous avez ajouté au paragraphe 9 permettra de calmer les inquiétudes exprimées par certaines délégations. En effet, si nous sommes tous d'accord sur le but à atteindre, il convient de tenir compte des spécificités nationales et des différences entre les systèmes juridiques. A titre d'exemple, il serait dangereux d'ajouter une restriction quelconque à l'article 19 comme l'exigence d'une ordonnance ou d'un mandat d'un juge afin d'avoir accès au renseignement puisqu'elle n'existe pas dans la plupart de nos pays. Cependant, grâce à la remarque générale du paragraphe 9, les pays qui connaissent ce système pourraient également se retrouver dans l'article 19.

Il en va de même pour le secret professionnel. En effet, le paragraphe 9 mentionne le respect des dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme.

En ce qui concerne le paragraphe 15 portant sur les déclarations systématiques, il est un fait que ce paragraphe est rédigé de manière assez large. Il serait possible de le restreindre en indiquant, par exemple, que cette déclaration systématique ne devrait se faire qu'en cas d'impossibilité d'identifier l'ayant droit économique. En effet, la première obligation de l'organisme financier porte sur cette identification. Je crois d'ailleurs qu'il s'agit aussi de la loi française.

Vincent PEILLON

Oui, tout à fait, mais il ne s'agit pas là de son plus grand mérite. Cette rédaction avait été établie par le Comité de pilotage, mais certaines délégations ont demandé un retrait de cette restriction. Je comptais vous le proposer dans le cadre de ma proposition de synthèse. Je vous remercie de l'avoir anticipé.

Jean SPREUTELS

La question du registre central des comptes est une question délicate. L'ensemble des unités de renseignement financier de l'UE se sont réunies à Bruxelles au mois d'octobre 2001 pour réfléchir à une riposte commune à la menace terroriste. Cette proposition a été faite à l'unanimité. En effet, nous nous sommes retrouvés face à des difficultés énormes, tout comme nos banques, pour déterminer rapidement si les personnes figurant sur les diverses listes publiées après les attentats du 11 septembre 2001 étaient au non titulaires de comptes bancaires. Ce registre central serait utile pour les autorités judiciaires et pour les unités de renseignement financier. Son usage devrait bien sûr être limité à la lutte contre le blanchiment des formes graves de criminalité.

Le Conseil de l'Union a pris une décision portant sur le gel des avoirs. Son application nécessitera des mesures des Etats membres sur un plan interne afin de répondre rapidement aux demandes d'entraide introduites par d'autres Etats membres. L'un des moyens de parvenir à cette fin est la création d'un registre central. Cela fonctionne ainsi dans les Etats membres qui disposent déjà d'un tel registre.

La création d'un registre des fiducies est également très débattue au sein du GAFI. A titre d'information, Jersey, territoire de Common Law, a instauré un registre central des trusts en raison des pressions internationales et des pressions britanniques. Cela doit donc être possible.

Gilles LECLAIR (Directeur-adjoint d'Europol)

Je souhaite aborder les points 18 et 20. En ce qui concerne le point 18, la notion de transnationalité est sensible. Il n'est pas question de revenir sur la Convention européenne des droits de l'Homme. Je souhaite insister sur la nouvelle directive de la Commission. De nouvelles professions sont soumises à obligation de dénonciation. Cela va dans le sens de l'identification des donneurs d'ordre des opérations et des opérations elles-mêmes. Certaines législations sont assez faibles sur la notion de partage de secret professionnel entre professions. Deux professions distinctes ne sont pas obligées, au plan national, de s'échanger des informations car elles peuvent s'opposer mutuellement le secret professionnel. Au plan européen, cela peut ajouter à la confusion dans l'identification des donneurs d'ordre et les bénéficiaires des opérations. Par conséquent, je propose d'ajouter à la proposition l'harmonisation des secrets professionnels et l'affirmation de la notion de partage dans chaque profession, ce qui peut permettre en amont l'identification de transactions suspectes entre professionnels eux-mêmes.

Concernant le registre central des comptes bancaires, il me semble que toute centralisation et toute interconnexion de systèmes d'enregistrement des comptes bancaires ne peut que favoriser la rapidité des investigations. Comme l'a dit Monsieur Spreutels, le terrorisme nous a préoccupé récemment, mais cela est valable pour tout type de crime. L'identification rapide des comptes bancaires favorise l'efficacité des enquêtes.

Jean-Pierre BRARD

Je partage l'avis de Monsieur Bertossa sur le registre central. Nos réticences sont parfois liées à la méconnaissance des pratiques de nos partenaires. En effet, j'ai travaillé sur la fraude. Je me suis rendu à Londres afin d'interviewer les douanes britanniques. Nos services français, qui sont parfois soupçonnés d'une inclination à l'indiscrétion fiscale, envieraient les prérogatives des douanes britanniques en matière d'investigation. Nous pourrions les considérer comme des atteintes aux libertés, mais elles protègent en réalité les citoyens britanniques contre des pratiques frauduleuses.

Le registre central devrait permettre de surmonter des différences de pratiques nationales qui bureaucratiseraient et altéreraient l'efficacité. La fraude intracommunautaire à la TVA souligne la nécessité de données centralisées. Nous ne pouvons pas nous en remettre à la seule fiabilité des établissements financiers. A titre d'exemple, le premier responsable d'un grand établissement bancaire français vient d'être mis en examen. Il n'allait pas signaler la démarche frauduleuse qu'il avait remarquée puisqu'il avait contribué à l'organiser en ayant pesé les risques. L'institution publique a ses responsabilités propres qu'elle ne peut pas partager avec les partenaires si nous voulons disposer d'une éthique partagée qui renforce l'autorité de la chose publique vis-à-vis des citoyens.

Vincent PEILLON

Je vous remercie, Monsieur Brard, pour cet hommage rendu aux services britanniques et pour les critiques dénonçant les limites du système français. Il convient de reconnaître que cela fait du bien dans ce type de réunion.

M. Arnaud MONTEBOURG (France - Assemblée Nationale)

Je souhaite insister, au nom de la délégation française, sur ce qu'a été dit par les différents experts sur la nécessité d'un registre central des comptes bancaires. Je ne pense pas qu'il s'agisse, comme l'indiquaient nos amis britanniques, d'un surcroît de bureaucratie. Il s'agirait plutôt d'un allègement de bureaucratie du point de vue des juges. Est-il possible, surtout depuis le 11 septembre 2001, d'obliger les magistrats qui s'efforcent de reconstituer des flux de capitaux à travers plusieurs territoires à interroger toutes les banques alors qu'il serait possible de le faire en quelques heures par une simple réquisition judiciaire par l'interrogation d'un registre central des comptes bancaires ? Cette revendication est centrale pour les magistrats qui luttent et qui mettent beaucoup plus de temps que les délinquants à reconstituer la circulation des capitaux douteux ou soupçonnés. Cette revendication est importante et de longue date de la part des magistrats, des policiers et des membres des unités de renseignement économique.

Mme Soledad BECERRIL

Je souhaite revenir sur le point 20 portant sur le registre central. Il convient d'être clair : il ne s'agit pas d'un registre central européen, mais de registres centraux dans les différents Etats membres. Par ailleurs, il convient d'indiquer que certains Etats membres disposent déjà de ce registre central. Cela est important. En effet, il ne s'agit pas d'une obligation légale visant à instaurer dans certains pays un deuxième registre. Il faut que cela soit clair dans le compte-rendu.

Le thème n°1 doit aussi viser à améliorer les systèmes d'information sur les mouvements d'espèces aux frontières. Nous savons parfaitement que certains de ces mouvements de capitaux correspondent à des agissements illicites. Ils échappent à toute procédure, bancaire ou autre. Ces fonds se déplacent en espèces sonnantes et trébuchantes dans des mallettes. Il conviendrait de suivre les recommandations du GAFI sur un système d'information portant sur ces déplacements de fonds entre les pays de l'UE et les pays limitrophes et les pays limitrophes et l'UE. Sur ce point, nous sommes prêts à nous incliner devant le souhait de la majorité.

Vincent PEILLON

Je vous remercie tous de vos remarques.

Des points sont lourds. Je crois que des explications ont été données sur certaines nécessités, sur des textes déjà adoptés ou sur des pratiques déjà existantes que certains ne connaissaient pas.

Les réserves portant sur la proposition n°15 sont compréhensibles. Cependant, si nous reprenions telle quelle la proposition de la délégation danoise, nous risquerions d'affaiblir terriblement la proposition. Dès lors qu'une opération est suspecte, quel que soit l'intermédiaire financier, l'obligation de déclaration est généralement prévue. La suspicion permet de déclencher la vigilance. Tout en gardant l'idée de le restreindre, car notre texte est trop large, je pense que nous pourrions revenir à une définition plus précise de cette restriction. Comme l'a proposé Monsieur Spreutels, je vous propose de revenir à ce que nous avions initialement écrit, en ajoutant au point 15 les mots suivants : « en cas d'impossibilité d'identifier l'ayant droit économique ». Cela marque l'opacité vis-à-vis de laquelle nous voulons intervenir.

Concernant les remarques formulées par la délégation danoise et par d'autres participants sur les secrets professionnels, notre référence à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen suppose que nous faisons la part des choses. Il est important que l'harmonisation ait lieu comme l'a souligné Monsieur Leclair. La Commission et le Parlement européen ont récemment fait un formidable travail sur ce sujet. La proposition sur le secret partagé de Monsieur Leclair est une demande fréquente. Cependant, certaines résistances ne pourraient pas être levées à ce stade. Par ailleurs, un tel degré de précision amoindrirait la force de notre demande d'harmonisation des procédures de levée des secrets professionnels. Si nous y parvenions entre pays européens assez rapidement, cela constituerait un progrès important sur le plan de la coopération.

Concernant la question du registre central, mon expérience, relayée par de nombreux intervenants, montre que la consultation du registre des sociétés et du registre bancaire, est toujours soumise au respect de la liberté des personnes et d'un certain nombre de principes élémentaires, et ne peut se faire que sous un contrôle juridictionnel. Nous ne pouvons plus nous passer de ce type d'instruments qui ne complexifient pas, mais, au contraire, simplifient le travail des enquêteurs.

Je propose, à ce stade, sous réserve de propositions de rédaction extrêmement précises que nous pourrions soumettre à l'ensemble de l'assemblée, de maintenir les rédactions adoptées jusque-là, en espérant que les interventions des différents experts sur le registre central des comptes bancaires ou sur le registre des sociétés vous ont convaincus.

Je tiens à ajouter que l'existence de registres constitue une condition minimum. En effet, ces registres contiennent souvent peu d'éléments. Autrement dit, le principe du registre ne constitue pas une garantie, mais une condition minimum de lutte efficace. Cela concerne moins le registre bancaire que le registre des sociétés. Il s'agit d'identifier l'ayant droit économique. Qui est derrière ? C'est là que se situe en général le point de rupture dans la chaîne de ces mouvements.

Je vous remercie de la qualité de vos interventions et je cède la présidence à Monsieur Hunault, vice-président de la mission française contre le blanchiment, ancien rapporteur de notre loi de 1996 sur le blanchiment et qui vient de rapporter devant le Conseil de l'Europe un texte contre le terrorisme. Il va présider la deuxième table ronde portant sur les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs.

TABLE RONDE N° 2 :
LES SANCTIONS CONTRE LES PAYS ET TERRITOIRES NON COOPÉRATIFS

M. Frank HOFMANN, Bundestag (Allemagne), co-président ;

M. Michel HUNAULT, Assemblée nationale (France), co-président ;

Mme Soledad BECERRIL, Congrès des députés (Espagne) ;

M. John McFALL, Chambre des communes (Royaume-Uni) ;

M. Laurent MOSAR, Chambre des députés (Luxembourg) ;

M. Gilles LECLAIR, Europol ;

M. Jean SPREUTELS, Unité de renseignement financier (Belgique) ;

M. Jean-François THONY, Magistrat et expert auprès de l'ONU (France).

Michel HUNAULT (France - Assemblée nationale)

Avant de donner la parole à mon collègue Frank Hofmann, je tiens à lui souhaiter la bienvenue ainsi qu'à Madame Becerril, Monsieur McFall, Monsieur Mosar, Monsieur Leclair, Monsieur Spreutels et Monsieur Thony.

Je cède maintenant la parole à Monsieur Hofmann, parlementaire allemand et co-président de cette table ronde portant sur les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs.

Frank HOFMANN (Allemagne - Bundestag)

Mesdames, messieurs, chers collègues, c'est un plaisir de pouvoir assurer la co-présidence de cette table ronde à Paris en tant que député allemand. Les événements du 11 septembre 2001 et leurs conséquences ont permis au monde entier de se rendre compte de l'importance des transactions financières internationales douteuses pour la sécurité de nos citoyens. La criminalité organisée et le terrorisme sont connus depuis fort longtemps. Certains pays et certaines places financières extraterritoriales ne font malheureusement rien pour lutter contre ces activités criminelles. Pendant longtemps, nous avons pensé qu'il s'agissait de thèmes exotiques dont s'occupaient quelques experts. Lorsque l'on essayait de s'y intéresser, on était immédiatement suspecté d'écrire un roman à la James Bond. Le 11 septembre 2001, la réalité a dépassé la fiction. Nous savons tous que le terrorisme peut être financé, non seulement par de l'argent sale, mais aussi par d'autres opérations financières. Les terroristes ne recherchent pas nécessairement la coopération avec la criminalité organisée pour financer leurs activités. Je crois que nous nous rendons compte, de plus en plus, que la criminalité organisée et le terrorisme sont liés. Certains Etats mettent tout en _uvre pour lutter contre cette peste, mais il faut aussi essayer de voir comment traiter ceux qui ferment les yeux ou ceux qui sont actifs en matière de criminalité organisée. Il convient de lutter contre le terrorisme international sur ce front et il faut absolument essayer d'éliminer les obstacles qui empêchent de suivre les opérations financières illégales. Ceci doit faire l'objet d'actions prioritaires au sein de nos Parlements. Nous, députés, devons veiller à ce que ces thèmes figurent à l'ordre du jour de nos travaux. C'est la raison pour laquelle je suis ici. En effet, je lutte ardemment contre le blanchiment de l'argent sale. Cette lutte revêt une importance capitale. Je suis le porte-parole du SPD au Bundestag. Par ailleurs, je me suis occupé d'un certain nombre d'affaires de financement de partis ou du scandale Elf Aquitaine en Allemagne. J'ai été en mesure d'étudier de près l'enquête menée par Monsieur Bertossa. Ainsi, j'ai pu comprendre les difficultés existantes et les instruments qui manquaient dans la lutte contre le blanchiment. Je souhaite promouvoir ardemment la lutte contre le blanchiment de l'argent. Il convient de réfléchir ensemble aux obstacles qui existent encore dans la lutte contre le blanchiment. Nous avons voulu créer un marché intérieur au sein de l'UE. Il convient donc de tout mettre en _uvre afin de cerner le problème et de garantir la stabilité de la démocratie et de l'Etat de droit. Un tel maintien est capital. C'est pourquoi il convient de lutter contre le blanchiment de l'argent sale.

Tout comme mes collègues italien et autrichien, je tiens à dire que je ne suis pas un représentant du Parlement allemand. Je suis simplement un député allemand très engagé qui souhaite travailler en étroite coopération avec vous dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de l'argent sale. Le GAFI constitue un instrument très important qui a dressé un certain nombre de recommandations, notamment à l'égard de pays et de territoires non coopératifs. Nous avons une mission à accomplir dans ce contexte-là. Je n'ai pas cité nommément certains pays. J'espère que des avancées pourront être prochainement enregistrées. Parfois, il est plus efficace de procéder de manière non diplomatique. Par conséquent, il convient d'appeler un chat un chat. Il faudra réfléchir tout haut à des sanctions. Cela permettra de faire avancer le dossier. Certains pays doivent s'engager à mener un certain nombre d'actions afin qu'il soit possible d'assurer un véritable contrôle financier et administratif de certaines opérations financières. Au sein de l'UE, des progrès devront être enregistrés, notamment dans nos Parlements respectifs. La délinquance financière internationale compte un grand nombre de zones grises. Elle est telle que nous ne pouvons pas nous permettre de ne rien faire.

Je ne sais pas si nous serons en mesure de citer nommément certains pays non coopératifs. Cependant, nous pourrons nous référer aux recommandations du GAFI. Il conviendra aussi certainement d'aborder la question des sanctions à l'égard des pays et des territoires non coopératifs. Le point 24 est très important. En effet, il appelle une véritable coordination au sein de l'UE dans ce domaine. Il mentionne également le renforcement de l'efficacité des sanctions.

Michel HUNAULT

Je vous remercie, cher collègue, d'avoir introduit cette table ronde. Vous avez indiqué la nécessité de réfléchir aux sanctions à l'égard des pays et territoires non coopératifs. Qui souhaite intervenir à ce stade ?

Jean SPREUTELS

Monsieur le Président, je tiens à souligner, comme Jean de Maillard, l'importance de cette initiative parlementaire pour les hommes de terrain et pour les experts que nous sommes. Les Parlements ont un rôle à jouer en matière d'impulsion politique. Par ailleurs, ils sont des organes légitimes.

Ce thème est le corollaire direct du premier thème et des autres thèmes d'ailleurs. En effet, il s'agit du bras armé de la riposte internationale. Il convient d'être en mesure d'agir directement contre les Etats et territoires qui, après l'échec d'un certain nombre de tentatives de conciliation, persisteraient dans une attitude qui n'est pas conforme aux règles internationales en la matière.

Le rôle de l'UE est essentiel dans ce domaine. Ainsi, le paragraphe 24 constitue un élément clé de ce thème, dans la mesure où il insiste sur la coordination au plan européen. Par ailleurs, le lien avec le GAFI est indispensable comme le rappelle le paragraphe 23. En effet, il convient de mettre en place des efforts concertés au plan mondial. Le paragraphe 28 va même plus loin. Certaines des contre-mesures envisagées, comme celles portant sur la restriction ou l'interdiction des opérations ou des flux, ont déjà été envisagées par le GAFI, mais il ne les a pas encore inclus dans son arsenal. Dans ce cadre-là, une impulsion politique des Parlements serait nécessaire.

Enfin, lors de deux Conseils européens Ecofin en octobre 2000 sous présidence française et en octobre 2001 sous présidence belge, nos différents gouvernements se sont engagés à mettre en _uvre de concert et sans délai les contre-mesures adoptées par le GAFI et à adapter, le cas échéant, leur législation. Lors du dernier Conseil, les Etats membres se sont engagés à veiller à ce que leur législation leur permettre d'appliquer les contre-mesures à partir du 1er janvier 2002. Par ailleurs, le GAFI s'est réuni il y a une semaine à Hong Kong afin de poursuivre ses travaux à l'égard des pays et territoires non coopératifs. Je suis le chef de la délégation belge au sein du GAFI. Nous avons à nouveau examiné la liste noire qui compte 19 pays et territoires. Malgré les progrès réels accomplis, nous avons estimé qu'aucun de ces territoires n'était en mesure d'être retiré de la liste. En ce qui concerne les pays candidats à l'UE, la Hongrie est le seul pays visé. Le GAFI s'est à ce titre félicité des progrès rapides et importants de ce pays visant à remédier aux défaillances identifiées. Toutefois, nous avons décidé de suivre pleinement les procédures strictes d'inscription et de retrait de la liste, notamment à l'égard de la Hongrie. Cependant, il est possible d'envisager le retrait de ce pays de cette liste lors de la prochaine législation plénière du mois de juin 2002. Nous sommes en train de vérifier que les lois votées sont vraiment appliquées.

En conclusion, jamais je n'aurais pensé que la communauté internationale allait se mobiliser de manière aussi vigoureuse et unanime afin de lutter contre les pays et territoires non coopératifs. Des progrès énormes ont été accomplis en l'espace de 2 ou 3 ans.

Pierre BRANA (France - Assemblée nationale)

L'Europe constitue, à mon sens, un cadre d'action adéquat pour agir de façon concertée contre les pays et territoires non coopératifs. Elle a été pilote au plan international en la matière. Les événements du 11 septembre 2001 ont d'ailleurs permis une impulsion nouvelle, notamment grâce à l'accord sur le mandat d'arrêt européen qui, il y a quelques mois encore, n'était pas envisageable à courte échéance. Il convient de profiter de cette impulsion afin d'aller plus loin. Cette conférence interparlementaire peut constituer un moteur dans cette perspective. La liste des mesures proposées dans le domaine des sanctions contre les pays et territoires non coopératifs par le projet de déclaration finale reprend, pour l'essentiel, les recommandations du GAFI. Elle pourrait être intégrée dans une future décision cadre et/ou directive.

Au-delà, l'établissement d'un véritable espace judiciaire européen constitue une véritable priorité. Nos efforts doivent viser au dépassement du blocage actuel de certains textes importants comme le projet de décision cadre relative au gel des avoirs et des preuves. Cela a d'ailleurs été possible pour le mandat d'arrêt européen.

Il faut par ailleurs s'orienter vers une définition plus opérationnelle des instruments de coopération judiciaire et policière, Europol et Eurojust, et s'efforcer d'harmoniser progressivement les sanctions pénales au sein de l'Union afin d'éviter que la criminalité soit en mesure de choisir son champ d'action. Ainsi, l'Europe pourra enfin jouer pleinement son rôle à l'encontre de la criminalité organisée dans le cadre de la mondialisation.

Michel HUNAULT

Je vous remercie, cher collègue. Je ne doute pas que vous serez entendu. Monsieur Brard avait souhaité que les pays candidats à l'adhésion ne figurent pas sur la liste noire du GAFI. Monsieur Spreutels lui a ensuite donné une suite favorable en indiquant que la Hongrie serait prochainement retirée de cette liste. Monsieur Brana, je ne doute pas que vous serez entendu sur votre volonté de créer un espace judiciaire européen.

Jean-François THONY (France - Magistrat)

Cette réunion des Parlements européens sur le blanchiment est pleinement satisfaisante. En effet, les Parlements peuvent jouer un rôle important d'aiguillon de nos gouvernements dans la lutte contre le blanchiment. Malheureusement, il convient de constater que les actes ne sont pas toujours, même en Europe, à la hauteur des paroles. L'enfer, c'est les autres. Lorsque nous abordons la question des sanctions contre les pays et territoires non coopératifs, nous pensons toujours aux autres et non pas aux pays européens. Cependant, un rapport de l'ONU publié par le programme anti-blanchiment en 1998, que je dirigeais à l'époque, avait repéré une quinzaine de paradis financiers au sein de l'Europe. Le concept de paradis financier allie à la fois celui de centre off shore et celui de paradis fiscal. Il convient donc de s'arrêter à la fois sur nos pratiques et sur nos législations.

Je crois beaucoup aux effets des sanctions contre les territoires et les Etats non coopératifs. En effet, ces sanctions revêtent un caractère dissuasif. A cet égard, la liste de pays et territoires non coopératifs du GAFI a permis à certains pays d'aller de l'avant dans la mise en place de législations plus conformes à nos standards de lutte contre les circuits financiers clandestins.

Il existe trois types de paradis financiers. Les sanctions ont des effets différents en fonction du type de paradis financier. En ce qui concerne les paradis financiers qui sont d'importants centres financiers internationaux, ils vont avoir à c_ur d'adapter rapidement leur législation. En effet, il est dans leur intérêt de se concentrer davantage sur l'argent licite qui est plus important en volume que l'argent illicite. Par ailleurs, certains pays ou territoires comme Nauru n'ont aucune tradition d'ingénierie financière et ne disposent pas de structures adaptées permettant le contrôle des banques off shore et des sociétés écrans qui y sont installées. Personne ne connaissait ces pays avant qu'ils ne deviennent de véritables pirates des temps modernes. Ils ne doivent pas trouver leur place dans le système financier international. Autrement dit, il faudra trouver une solution pour fermer ces centres off shore. Par ailleurs, il conviendra de trouver des alternatives économiques pour ces pays. Enfin, certains paradis financiers hésitent à entrer dans le système financier international licite en raison des possibles pertes liées à cette entrée et à l'instauration d'une certaine transparence financière.

Contre qui faut-il instaurer des sanctions ? Le rapport de l'ONU de 1998 a dressé une liste de 70 Etats répondant à la définition de paradis financier. Le GAFI a quant à lui dressé une liste de 19 pays ou territoires non coopératifs. Il faut reconnaître que les pays identifiés par le GAFI ne correspondent pas nécessairement à la cartographie traditionnelle des circuits du blanchiment. La tâche du GAFI n'est pas aisée. Elle a suscité un certain nombre de critiques. En effet, un certain nombre d'Etats se sont érigés en censeur de la lutte contre le blanchiment. Ces Etats ne seraient pas dénués d'arrière-pensées. Le problème se pose de savoir comment et qui doit décider des Etats qui doivent figurer sur cette liste. Il conviendrait de trouver des solutions pour que l'établissement d'une telle liste ne se heurte plus à de telles critiques.

Soledad BECERRIL

Monsieur Hofmann a abordé, à juste titre, le cas des pays non coopératifs en général et celui des pays qui ne coopèrent pas dans la poursuite des circuits du financement du terrorisme. C'est ce que j'ai retenu de son introduction. En tant que représentante du Congrès des députés espagnols, et je ne pense pas faire exception, il me semble que la poursuite du blanchiment d'argent sale doit aussi couvrir la lutte contre le financement du terrorisme. Cela est essentiel. En effet, nous souffrons tous de ce problème. Certains, d'ailleurs, plus que d'autres au sein de l'Union européenne.

Concernant la question des sanctions, je sais qu'il s'agit d'une tâche complexe. Il s'agit d'éviter que certains pays se mettent en marge de la transparence. Le GAFI, ce groupe d'action financière internationale dont nous avons parlé à plusieurs reprises déjà, a déjà fait _uvre utile en la matière. Sa tâche n'est pas aisée. Il a pourtant déjà beaucoup progressé. Je tiens à saluer les membres du GAFI présents ici. Ils savent mieux que moi combien leur tâche est difficile.

Des pays ne se plient pas aux règles de transparence. Il est difficile de savoir quels sont les agissements de ces territoires ou pays. Doivent-ils figurer sur la liste noire ? Quelles pressions pouvons-nous exercer sur eux ? Avec quels instruments ? Devons-nous nous doter de nouvelles sanctions ? Je pense que nous sommes en mesure d'obtenir des résultats.

Il me semble que les mesures qui figurent dans le projet de déclaration sont toutes judicieuses. Nous aurions pu inclure une autre mesure, même s'il est un peu tard pour le faire. Il s'agit d'une question qui intéresse particulièrement le GAFI : l'assistance technique à apporter aux pays et territoires qui ne se plient pas encore aux règles du jeu, mais qui ont indiqué qu'ils souhaitaient le faire. Il s'agit de pays qui souhaitent rentrer dans le rang, mais qui ne le peuvent pas en raison d'un certain nombre de déficiences techniques. Dans ce cadre-là, le GAFI prévoit une aide et un suivi pour ces pays.

Il convient de sanctionner, mais il faut aussi se doter des moyens de convaincre les pays concernés. Il faut être en mesure de les aider à procéder aux nécessaires changements. Il ne faut pas se limiter aux seules sanctions.

Toutes les propositions du projet de déclaration me paraissent à la fois utiles et intéressantes. Je souhaite mettre l'accent sur les points 28 et 29. Ils permettent de compliquer la vie financière des pays et des territoires non coopératifs en les coupant du marché financier international. Il s'agit-là d'un moyen de pression satisfaisant pour qu'ils changent d'attitude et qu'ils modifient leurs lois et réglementations en la matière.

Michel HUNAULT

J'espère que vous aurez des réponses sur votre interrogation portant sur l'assistance technique aux pays figurant sur la liste du GAFI qui souhaiteraient se conformer aux règles, mais qui n'y parviennent pas.

John McFALL

Je suis tout à fait ravi d'être ici à nouveau en tant que représentant du Royaume-Uni. J'ai noté les remarques de Monsieur Brard sur mon pays. Alors que j'étais à Paris il y a deux semaines pour assister à une conférence, Monsieur Brard avait alors fait des remarques plus acerbes sur le Royaume-Uni. Monsieur Brard semble avoir changé d'avis. J'en suis heureux.

Notre collègue a par ailleurs indiqué que nous ne sommes pas en mesure d'influer sur nos Parlements. Cela devrait être pris en compte dans nos délibérations. En effet, il convient de respecter à la fois les débats parlementaires et les différentes juridictions en Europe. Au Royaume-Uni, les principes du droit coutumier prévalent au Pays de Galle et en Angleterre, alors que le droit romain l'emporte en Ecosse. Ainsi, à l'intérieur même du Royaume-Uni, il existe plusieurs juridictions. Il en va de même ailleurs en Europe. Nous devrions aussi prendre en considération l'impact politique de ces propositions sur les différents pays. Or nous ne nous sommes pas vraiment appesantis sur cette question. Nous n'avons pas non plus abordé la question de l'analyse coût/bénéfice qu'il conviendrait de mener dans certains pays. En ce qui me concerne, je me méfie des propositions qui n'ont pas de coût. Il convient en effet de prendre en compte l'impact de ces mesures sur les contribuables. Par ailleurs, ces propositions auront un impact sur le plan administratif. Je suis conscient de toutes ces questions dans la mesure où je préside la Commission financière du Parlement britannique, qui est en train d'étudier les nouvelles agences financières du Royaume-Uni. En effet, une loi votée au mois de novembre 2001 a entraîné le regroupement des différentes agences en charge de la réglementation au Royaume-Uni dans un seul organisme. Cela pose la question de l'environnement statutaire. Nous devons changer notre législation au Royaume-Uni. Il s'agit aussi d'éviter de créer trop de bureaucratie afin de permettre aux marchés financiers de poursuivre leurs activités.

Je me félicite de l'existence du paragraphe 24 qui parle d'une action coordonnée de l'UE dans ce domaine. Cela ne peut que renforcer l'efficacité des sanctions.

Nous avons oublié de mentionner les Etats-Unis qui constituent le marché financier le plus vaste. Je me suis récemment rendu aux Etats-Unis en tant que Président de la Commission des finances du Parlement britannique afin de discuter de la nécessaire harmonisation et de la nécessaire coordination des réglementations américaines et britanniques. J'étais très conscient de cela.

Madame Becerril a parlé de la nécessaire aide technique que nous devrions accorder à certains pays. Il y a quelques années, je me suis préoccupé de ce qui se passait en Irlande qui ne dispose pas d'une bonne image en la matière. Les hommes politiques irlandais soulignaient qu'ils souhaitaient respecter les normes internationales en la matière, mais ils indiquaient également qu'ils avaient besoin de notre soutien. Il convient d'appliquer la politique de la carotte et du bâton en la matière.

Lorsque nous combattons le blanchiment de l'argent, il convient de garder à l'esprit qu'une masse importante d'argent sale devient propre et que cela a un impact dans toutes nos villes, sur nos jeunes qui souffrent de toxicomanie. Or, le lien entre argent sale et drogue est bien connu. Autrement dit, lorsque nous présentons des propositions, il faut se rappeler que le blanchiment de l'argent sale a un impact direct sur le citoyen.

A mon sens, le GAFI doit être soutenu et renforcé, surtout depuis le 11 septembre 2001. En effet, ses moyens ne sont pas suffisants. Nous devons tous nous présenter devant nos Parlements nationaux afin de faire en sorte que le travail assuré par le GAFI soit renforcé. Je me félicite par ailleurs de la mise en exergue de la transparence et de la nécessaire coopération dans cette section. Comme l'a dit un participant précédemment, nous devons appeler un chat un chat. En effet, ce projet de déclaration ne représente qu'une liste de souhaits. Nous devons nous assurer que ces souhaits puissent être exaucés dans le respect des traditions nationales et dans le cadre d'une réponse globale au blanchiment de l'argent sale. En effet, la société mondiale actuelle ne connaît plus les frontières internationales.

Il semble par ailleurs que notre forum va se transformer en forum permanent avec des réunions périodiques. Je serais ravi d'accueillir tous les délégués de cette conférence à Londres afin de poursuivre nos travaux sachant que Monsieur Brard nous facilitera le franchissement de la douane.

Laurent MOSAR (Luxembourg - Chambre des députés)

J'assiste à cette réunion avec un grand plaisir au nom de la Chambre des députés du Luxembourg. Le plaisir est d'autant plus grand que je viens d'un pays qui est souvent l'objet de critiques portant sur la lutte contre le blanchiment. Ces critiques sont à la fois exagérées et dénuées de fondement. Le sujet de notre table ronde porte sur les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs identifiés comme tels par le GAFI. D'après moi, il faut aborder le sujet sous trois angles différents. Il convient de distinguer les sanctions facilement applicables dans nos pays (pays membres du GAFI ou de l'UE) et les sanctions applicables dans les autres pays. En outre, je suis pour que certains des territoires visés soient considérés pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des nations ou des pays en désespoir de cause ou d'avenir. Ainsi, je suis favorable au renforcement des pratiques commerciales ou bancaires pouvant restreindre le recours à des sociétés off shore. Au Luxembourg, il est impossible d'ouvrir un compte pour une entité juridique relevant du droit de ces pays. Les seuls cas d'exception sont ceux pour lesquels le banquier peut avoir des assurances aussi bien sur un plan personnel que sur un plan déontologique. Il faut que le demandeur se situe au-delà de tout doute raisonnable quant au caractère de son activité et à l'origine des fonds qu'il entend déposer.

La surveillance étroite des transactions financières sans arrière-fond économique est à la fois possible et nécessaire. Les autorités luxembourgeoises compétentes prennent très au sérieux leurs missions de contrôle appliquées aux société, aux détenteurs de comptes luxembourgeois et étrangers et aux relations financières entre des entités de droit luxembourgeois et des entités de droit étranger. Nous constatons d'ailleurs au Luxembourg que toutes ces mesures de vérification et d'identification des bénéficiaires économiques des transactions financières douteuses et des activités les sous-tendant ont contribué à une nette diminution de l'intérêt des acteurs off shore et des entités anonymes pour notre territoire. Cela prouve l'efficacité du cordon sanitaire autour des opérations de la place. Nous avons d'ailleurs la ferme intention de poursuivre sur la voie engagée. Par ailleurs, nous invitons nos partenaires à se doter des mêmes règles et pratiques légales et prudentielles.

A ce titre, j'ai suivi avec attention les développements de Monsieur Peillon. Il a montré du doigt les petits pays qui comptent un grand nombre de banques et qui rencontreraient des problèmes de surveillance. Il me semble que les problèmes de surveillance ne concernent pas uniquement les petits pays. En effet, ils concernent également les grands pays.

Au total, je me rallie presque sans réserve à l'ensemble des propositions du deuxième thème de la déclaration finale. En revanche, la proposition relative à l'interdiction faite aux établissements financiers de l'UE d'ouvrir des représentations dans les pays ou territoires non coopératifs me pose problème. Je n'y suis pas foncièrement opposé, mais je considère que le contrôle est impossible à exercer de manière crédible dans ce domaine. En effet, un établissement financier désireux de créer ou de maintenir une présence dans un pays ou territoire non coopératif pourra toujours recourir à des sociétés écrans pour garantir sa présence, même si elle n'est plus identifiable comme telle à première vue. La forme administrative et judiciaire du contrôle prendrait alors vraisemblablement une envergure disproportionnée par rapport au succès à espérer. Je suis plutôt d'avis que le renforcement des obligations légales et prudentielles de surveillance au sein de l'UE permet de meilleurs résultats que les interdictions portant sur des activités situées en dehors du territoire de l'UE. Cette réflexion ne m'empêche cependant pas de m'accommoder de la présence de cette mesure dans le catalogue des actions proposées.

La question des territoires non coopératifs identifiés comme tels par le GAFI en désespoir de cause et d'avenir est une question qui me préoccupe. Pour étayer mon propos, je souhaite prendre deux exemples : la République de Nauru et l'île Niue. L'unique ressource de la république de Nauru, le phosphate, est épuisée depuis quelques années. L'histoire de l'extraction minière de ce pays a conduit à la ruine de ses propres perspectives de réutilisation du sol sur les 7/8è des 20 kilomètres carrés de l'île. En fait, à l'heure actuelle, Nauru n'a plus d'économie. Niue, île de dimension comparable, ne compte pas plus d'habitants qu'un village luxembourgeois. Elle n'a pas d'économie non plus, à l'exception d'un nouveau commerce portant sur les noms de domaine Internet en « nu ». Le contenu de ces sites n'est pas plus convenable que leurs exploitants. Que voulons-nous ? Comment les 20 000 ou les 10 000 habitants de ces pays peuvent-ils survivre avec les moyens qui sont les leurs ? J'ai pris ces deux exemples de pays figurant sur la liste du GAFI pour attirer votre attention sur l'inexistence d'une alternative de subsistance pour ces pays. Il en existe d'autres.

En conclusion, nous ne viendrons au bout du problème de la criminalité financière que si nous parvenons à une approche globale du phénomène et de ses causes.

Michel HUNAULT

Je vous remercie, cher collègue, de votre engagement fort sur la lutte contre le blanchiment de l'argent sale. J'ai relevé que vous n'étiez pas opposé à la rédaction du paragraphe 29. Par ailleurs, vous avez soulevé la question du contrôle. Cela donnera certainement lieu à un échange lors de la discussion.

Gilles LECLAIR

Nous avons tous buté sur certains territoires et sur certains pays lors de nos enquêtes. Il convient de relever l'importance, à ce titre, du point 24 qui envisage le renforcement de l'action coordonnée de l'UE. En effet, il revient à l'UE de montrer l'exemple en la matière. Il est fondamental que cet exemple soit suivi d'effet au sein même de l'UE. Par ailleurs, le lien de causalité entre les deux premières tables rondes est évident. Il est important de mettre en avant la manière dont les interdictions vont être contrôlées, comme l'a souligné le représentant du Luxembourg. Quoi qu'il en soit, ces interdictions vont dans le bon sens. L'UE doit être exemplaire. D'ailleurs, il me semble que cette interdiction devrait être étendue aux nouvelles professions mentionnées dans les nouvelles directives européennes. Certaines professions juridiques comptent des succursales dans un certain nombre de paradis financiers qui permettent un relais aisé de transactions plus ou moins noires.

En ce qui concerne le financement du terrorisme, il convient de mener une réflexion sur les Etats bienveillants. Il convient, certes, de faire la part des choses dans le terrorisme. Il existe, en effet, plusieurs types de terrorisme. Le terrorisme se finance parfois en recourant à des moyens propres au crime organisé. Par ailleurs, il se peut que le terrorisme se finance par du noircissement d'argent blanc, comme celui qui se rapporte aux événements du 11 septembre. Certains Etats bienveillants devraient faire l'objet de surveillance en la matière. Il revient aux Etats de l'UE de lever un certain nombre d'obstacles politiques et économiques dans la mise à l'index de certains Etats. Il convient de souligner que certaines actions terroristes sont financées par de l'argent détourné en provenance d'ONG.

Michel HUNAULT

Les sanctions ont-elles un effet dissuasif ? Quelles sont les incidences liées au fait d'être sur la liste noire du GAFI ? Je cède la parole à Monsieur Moulette que je remercie d'être parmi nous.

Patrick MOULETTE (Secrétaire général du GAFI)

Je suis très honoré de pouvoir assister à vos travaux. Les thèmes évoqués par la Conférence sont essentiels et se situent au c_ur des travaux du GAFI et de la lutte contre le blanchiment d'argent. D'ailleurs, le GAFI a été cité à de nombreuses reprises. Je m'en félicite. Je tiens par ailleurs à remercier Monsieur McFall qui a insisté sur la nécessité de disposer de moyens décents au plan international pour lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Je crois que sur ce point, comme sur d'autres, les Parlements peuvent nous aider de manière significative.

L'établissement de la liste des pays et territoires non-coopératifs constitue l'un des travaux prioritaires du GAFI. En effet, nous y consacrons beaucoup de temps dans nos réunions dans lesquelles de nombreux experts de nos pays membres prennent la parole. La liste des pays ou territoires non-coopératifs a été critiquée, mais moins que d'autres initiatives internationales comme celle du Forum sur la stabilité financière ou celle de l'OCDE. La liste du GAFI a été élaborée à partir de 25 critères objectifs qui définissent les défaillances des systèmes anti-blanchiment. Nous avons suivi une procédure transparente. Cette initiative a suscité des progrès sans précédent dans l'histoire de la lutte contre le blanchiment de l'argent. Il convient de le relever. Il a fallu un certain courage aux membres du GAFI pour s'engager dans une telle action. En effet, c'est la première fois, dans l'histoire, que des experts gouvernementaux d'un certain nombre de pays ont eu le courage d'identifier des pays non-coopérants dans la lutte contre le blanchiment de l'argent, c'est-à-dire des pays qui ne coopèrent pas à la lutte contre le crime organisé.

L'égalité de traitement est une question importante. Il ne faut jamais perdre de vue, lorsque l'on lutte contre le blanchiment de capitaux, qu'il convient en premier lieu de balayer devant sa porte. Ainsi, les pays membres du GAFI doivent respecter les règles qu'il édicte. Je crois que nous avons aussi exercé des pressions internes lorsque cela était nécessaire au cours des 10 premières années de l'histoire du GAFI. Ainsi, nous n'avons pas hésité à appliquer à l'un des pays membres une mesure identique à celles que nous appliquons aux pays figurant sur la liste du GAFI. En effet, la recommandation n°21 a été appliquée à l'Autriche à cause du problème des comptes d'épargne anonymes. Cette recommandation renvoie à la publication d'une déclaration publique qui souligne que le pays concerné n'a pas assez appliqué les mesures anti-blanchiment. Nous avions même menacé l'Autriche de suspension si elle ne réglait pas cette question qui soulevait des problèmes d'anonymat et se situe au c_ur de la problématique du GAFI.

La question de l'assistance technique a déjà été soulevée. Dans de nombreux communiqués de presse, les membres du GAFI s'engagent clairement à fournir de l'assistance technique, le cas échéant, à des pays qui ont décidé politiquement de s'engager dans la voix de la réforme. Cependant, cette assistance technique est fournie par les pays membres du GAFI dans la mesure où le GAFI n'est pas une véritable organisation internationale, mais un groupe d'action. Par ailleurs, le plan d'action de lutte contre le financement du terrorisme indique clairement que les pays qui désireraient changer leur législation afin d'adopter les 8 recommandations spéciales du GAFI portant sur la lutte contre le financement du terrorisme pourront, le cas échéant, bénéficier d'une assistance technique fournie pas les pays membres.

Dans le cadre d'un élargissement de son mandat, le GAFI a mis en place un dispositif de lutte contre le financement du terrorisme lors de la réunion de Washington du mois d'octobre 2001. L'exercice sur les pays et territoires non coopératifs est ciblé sur les défaillances des régimes anti-blanchiment et non pas sur les défaillances des mesures de lutte contre le financement du terrorisme. Je tiens à signaler à cet égard que les pays membres se sont engagés, à partir de la prochaine réunion plénière du mois de juin 2002, à initier un processus visant à identifier les pays qui ne coopéreraient pas dans le combat contre le financement du terrorisme, c'est-à-dire les pays qui n'auraient pas de mesures appropriées pour combattre ce phénomène. Nous discuterons alors des prochaines étapes, notamment d'éventuelles contre-mesures pour les juridictions concernées.

Karsten NONBO (Danemark - Folketinget)

Le Danemark est connu pour être un pays présentant un certain nombre de réserves juridiques. Dans ce cas précis, nous ne souhaitons pas présenter de réserves. Nous sommes en train de préparer une législation en la matière au Danemark, et nous appuyons cette déclaration sans réserve.

Michel HUNAULT

Je vous remercie de votre soutien. Je cède la parole à la délégation hongroise dont le pays est candidat à l'UE et figure sur la liste noire du GAFI.

Janos HORVATH (Hongrie - Assemblée nationale)

Il est vrai que la Hongrie a été citée. J'apprécie tout ce que Monsieur Hofmann a dit lors de son introduction. En effet, il a promis d'appeler un chat un chat. Les Hongrois apprécient cela.

En général, la Hongrie a l'habitude de figurer sur la liste des pays vertueux, et je n'arrive pas à comprendre que la Hongrie figure sur cette liste de pays non coopératifs. Nous avons certainement mal communiqué, et mal fait savoir combien nous étions vertueux. C'est pourquoi cette ombre est tombée sur nous.

L'activité économique de la Hongrie est plutôt satisfaisante. Il n'est pas nécessaire que je vous livre les chiffres de l'économie hongroise ici. Quoi qu'il en soit, l'argent illicite n'a rien à voir avec le développement de l'économie hongroise. La Hongrie est jugée de manière satisfaisante par la communauté des affaires : les investisseurs étrangers y sont nombreux. Ils viennent de nombreux pays du monde pour faire des affaires. En quelque sorte, le meilleur juge de la Hongrie est la communauté des affaires.

Mesdames et messieurs, je tiens à vous remercier de vos propos. Ils m'ont ravi. En effet, certains ont dit qu'ils ne savaient pas comment la Hongrie avait pu figurer sur la liste du GAFI. Le retrait de la Hongrie de la liste du GAFI est à mon sens essentiel.

Mesdames et messieurs, je souhaite à mon tour vous inviter dans mon pays. Il convient de voir par soi-même ce qui s'y passe. Je suis un bon citoyen du monde, de l'Europe et de la Hongrie. Je sais donc quels sont les sentiments que vous nourrissez dans l'exercice auquel nous nous livrons. Je suis convaincu que la Hongrie sortira de cette affaire. Elle en sortira complètement blanchie. J'apprécie l'occasion qui m'est offerte de vous livrer ces commentaires à brûle-pourpoint. Je m'en serais voulu de garder le silence.

Michel HUNAULT

M. Jean Spreutels vous a précédé dans votre souhait lorsqu'il a laissé entendre que la Hongrie pourrait bientôt être retirée de la liste noire du GAFI. Je vous remercie par ailleurs de votre invitation.

Mme Timeke WITTEVEEN-HEVINGA

Je me réjouis d'entendre que la Hongrie et le Royaume-Uni sont favorables à une conférence parlementaire permanente sur le blanchiment. Par conséquent, il faudrait établir une liste de points qui devront être développés et examinés à l'avenir.

Je me rallie par ailleurs à l'idée selon laquelle il faut continuer à discuter de la mise ne place d'une autorité de surveillance européenne des mouvements financiers. Nous avons déjà avancé en la matière. Les événements du 11 septembre 2001 ont d'ailleurs donné une nouvelle impulsion à nos initiatives. Un grand nombre de recommandations est en train d'être traduit dans la pratique. Rien n'est plus international que les mouvements de capitaux. Une régulation stricte peut exister au plan national, mais elle ne suffit pas. Une régulation européenne et mondiale est par ailleurs nécessaire. Il conviendra d'en discuter ultérieurement.

Concernant le point 29 de la déclaration, il faudra s'occuper de la surveillance de l'intégrité. Ce point 29 prévoit d'interdire aux établissement des pays de l'UE d'ouvrir des filiales, des succursales ou des bureaux de représentation dans les pays et territoires non coopératifs. Mais, que faisons-nous des établissements financiers qui ont leur siège principal dans l'UE et qui ont déjà des succursales dans ces pays ou territoires ?

Il faudra également surveiller l'intégrité des opérations au niveau du siège dans l'UE et dans les pays tiers. Une réglementation internationale s'appliquant aux filiales en dehors de l'Union sera certainement nécessaire. Ces points devraient être discutés lors des prochaines réunions à Londres ou à Budapest.

Il faudra envisager des sanctions ainsi que des aides à destination des pays qui souhaitent coopérer, mais qui ne sont pas en mesure de le faire. La position de certains pays en développement est très fragile. Par conséquent, il faudra les aider à mettre en place une infrastructure financière fiable et transparente. Dans ce contexte, l'UE pourrait accorder une assistante technique à ces pays. Cet élément pourrait être repris dans notre déclaration.

Pour le reste, je me rallie aux recommandations de la déclaration.

Michel HUNAULT

Le problème de l'assistance technique et de l'autorité de surveillance revient fréquemment ce matin. Ces pistes pourraient être approfondies lors de prochaines réunions.

Mme Maria-Theresia FEKTER

L'Autriche a été mentionnée directement par l'un des intervenants. Je récuse fortement l'idée selon laquelle l'Autriche pourrait faire partie des pays non coopératifs. Cela n'est pas le cas et cela n'a jamais été le cas. En effet, l'Autriche a toujours combattu le blanchiment efficacement. Le compte d'épargne anonyme a été supprimé il y a deux ans. Il est étrange qu'un expert du GAFI ne soit pas au courant de cette suppression. Il est étonnant qu'il envisage de faire figurer l'Autriche sur la liste. Il convient d'être un peu plus prudent et circonspect pour ce genre de mesure. Il faudrait, pour le moins, se renseigner auparavant.

Michel HUNAULT

Je ne sais pas s'il y a eu des problèmes de traduction, mais c'est exactement le contraire qui a été dit. En effet, il a été pris acte que l'Autriche avait supprimé le compte d'épargne anonyme, ce qui lui avait permis d'être retiré de la liste des pays suspects. Il convient de lever cette incompréhension.

Mme Maria-Theresia FEKTER

Ce n'est pas ce que j'ai entendu. En effet, le participant a indiqué que l'Autriche offrait toujours la possibilité d'ouvrir un compte d'épargne anonyme et qu'il était par ailleurs envisagé de faire figurer l'Autriche sur la liste du GAFI, ce qui m'a mis en colère.

Michel HUNAULT

Je suis certain que Monsieur Moulette a bien pris note de cette volonté de l'Autriche et de cette suppression des comptes anonymes.

Bernard BERTOSSA

Le Royaume-Uni a-t-il besoin d'une assistance technique pour que Gibraltar ne soit plus un paradis pour les comptes anonymes ?

Michel HUNAULT

Je m'efforçais d'être diplomate. Je regrette presque de vous avoir donné la parole, Monsieur Bertossa. Monsieur McFall peut répondre s'il le souhaite.

John McFALL

Juste un mot : poursuivons !

Michel HUNAULT

Je souhaite remercier les différentes délégations qui ont travaillé aux différentes propositions. Les points 24 et 29 sont particulièrement ambitieux. Il s'agit d'affirmer une volonté et de donner des suites concrètes à la Conférence d'aujourd'hui.

Frank HOFMANN

J'ai l'impression que nous souhaitons tous aller de l'avant. Nous voulons approfondir notre coopération dans le cadre du GAFI, même s'il existe quelques petits problèmes en coulisse, je pense à l'Autriche notamment. Je crois qu'il ne faut pas entendre les différentes interventions au pied de la lettre.

La séance est suspendue à 12h55. Elle reprend à 14h30.

TABLE RONDE N° 3 :
LES RÈGLES PRUDENTIELLES

M. François d'AUBERT, Assemblée nationale (France), co-président ;

M. Roberto CENTARO, Sénat (Italie), co-président ;

M. Harlem DESIR, Parlement européen ;

M. Dominique GARABIOL, ancien chef de l'inspection du Conseil des marchés financiers (France) ;

M. François d'AUBERT (France - Assemblée nationale)

La table ronde n°3 porte sur les nécessaires règles prudentielles et sur leurs insuffisances actuelles. En effet, la dérégulation mondiale des marchés de capitaux a compliqué la prévention du blanchiment en provenance de la délinquance financière, de la criminalité organisée et du terrorisme, notamment en raison de l'accélération des mouvements de capitaux et de la croissance des flux financiers. Par ailleurs, les systèmes de blanchiment mis en place sont de plus en plus sophistiqués. Les hommes qui les font fonctionner connaissent parfaitement bien les différences de règles du jeu entre les différents pays et jouent sur ces différences de réglementation ou de législation. Il paraît à beaucoup nécessaire de renforcer les règles du jeu, notamment les règles prudentielles et les obligations déontologiques des marchés.

Sur quoi peut porter cet élargissement du contrôle et de la régulation financière ? Sur l'ensemble des partenaires des services financiers ou juridiques et sur les réseaux internationaux traditionnels ou sur les réseaux de type Hawala ou sur les systèmes intégrés aux marchés internationaux de capitaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires...). L'une des questions posées est de savoir qui doit introduire ces règles prudentielles afin de parvenir à une harmonisation sur un socle minimum de règles, d'autant que chaque pays dispose de ses propres autorités de régulation qui sont souvent séparées les unes des autres. En effet, nous pouvons constater un émiettement des autorités qui édictent les règles prudentielles. En France, à titre d'exemple, nous pouvons citer la COB, la Commission bancaire, la Commission de contrôle des assurances. Néanmoins, nous pouvons relever une tendance à la centralisation des autorités qui édictent les règles prudentielles dans certains pays comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Nous pouvons par ailleurs nous interroger sur le rôle de la BCE qui, dès sa naissance, a été cantonnée à sa seule vocation de politique monétaire. En effet, elle n'a pas du tout été rendue compétente dans les questions prudentielles et de régulation. Ainsi, ce qui est réglé en France par la Commission bancaire, au sein de la Banque de France, a été exclu de la compétence de la BCE. Certains le déplorent. Il convient de réfléchir à cette question. En effet, si nous souhaitons disposer d'une BCE de plein exercice, il faudra qu'elle s'occupe, à l'avenir, des règles prudentielles.

Nous allons discuter des modes de paiement. Il s'agit de proposer une limitation des paiements en espèces au-delà d'un certain montant. Concernant les services financiers et les opérateurs, il est proposé un agrément obligatoire auprès de l'autorité de régulation des services financiers. Qui serait concerné ? Les agents appartenant à un réseau de transfert de fonds ou de valeurs, y compris les réseaux traditionnels, informels ou parallèles. En effet, certains agents sont multicartes et sont à la fois des agents de placement pour de l'argent honnête et pour de l'argent en provenance du crime organisé. Cela concerne peu d'agents, mais il convient de s'y intéresser. Sont également concernés les agents de création de sociétés qui sont des ouvreurs de portes, c'est-à-dire des intermédiaires entre particuliers, les bureaux de change et les intermédiaires financiers actifs sur Internet. Il existe un grand nombre d'inventions dans ce dernier domaine. Nous pouvons citer à titre d'exemple les jeux financiers pratiqués dans les casinos du net.

Nous proposons par ailleurs de renforcer le contrôle prudentiel et la régulation, si besoin est au plan international, des activités des sociétés de compensation et de règlement-livraison de fonds et de titres. Enfin, il est proposé d'assortir de sanctions pénales le manquement manifeste à leurs obligations de vigilance des professions qui y sont soumises. Ces points sont importants. Ils permettront de faire avancer notre volonté de lutte contre le blanchiment sur un plan mondial, notamment le blanchiment organisé par la criminalité organisée.

Je vais maintenant, céder la parole à Monsieur Centaro, co-président de cette troisième table ronde. Il est sénateur et Président de la Commission anti-mafia du Parlement italien.

Roberto CENTARO (Italie - Sénat)

Je souhaite la bienvenue à tous les participants au nom de la délégation italienne. Par ailleurs, je remercie Monsieur d'Aubert qui vient d'introduire cette table ronde au combien importante. En l'espace de quelques années, nous sommes passés d'une économie à échelle réduite à une économie totalement mondialisée avec ses propres règles. Par ailleurs, dans ce cadre là, certains pays utilisent les capitaux de manière un peu douteuse en recourant à un certain nombre d'intermédiaires pour leurs flux financiers. Ainsi, l'émergence de nouvelles règles s'est accompagnée de l'apparition d'opérateurs de moins en moins contrôlables. Par ailleurs, il convient aussi de prendre en compte le progrès technologique qui a permis le transfert de capitaux de plus en plus rapide d'un point du globe à un autre en quelques minutes.

Au total, nous sommes confrontés à une accumulation de capitaux et de transactions financières absolument extraordinaires dans tous les pays du monde. Les pays qui sont protégés de cette activité sont trop peu nombreux. De toute évidence, la criminalité organisée utilise au mieux les nouvelles technologies alors que les gouvernements ont du mal à suivre en la matière. Par ailleurs, l'accumulation des transactions pourrait même susciter une grave crise financière internationale.

Je crois qu'il conviendra ultérieurement de fixer des règles qui nous permettront de nous opposer aux transferts et aux trafics financiers. En effet, il est indispensable de mettre sur pied des règles qui permettent aux transactions financières de n'être réalisées que par des personnes homologuées et enregistrées dans des registres financiers approuvés par les gouvernements. Par ailleurs, il convient de réduire le nombre pléthorique d'organismes en charge de ces transactions dans toute l'UE afin de ne compter qu'un seul organisme central au sein de l'UE. Sinon, les nombreuses divergences entre les différentes législations nationales constitueront une brèche dans laquelle s'engouffrerait la criminalité organisée. Cela nous empêcherait de lutter efficacement contre cette délinquance.

De toute évidence, le marché financier n'est pas limité à la seule Union européenne. En effet, il existe un grand nombre de transactions financières de l'UE vers l'extérieur et de l'extérieur vers l'UE. Ces transactions doivent être gouvernées par des règles précises. Il serait inutile de réglementer les transactions financières à l'intérieur du territoire européen si nous ne faisions rien à l'extérieur. Il me semble que cet organisme central de contrôle est nécessaire afin d'effectuer des vérifications ponctuelles et précises des activités des intermédiaires financières. En effet, la seule inscription dans un registre financier ne peut en aucun cas constituer un sauf-conduit ou un chèque en blanc. Un contrôle avec des sanctions pénales est nécessaire afin de disposer d'un dispositif vraiment dissuasif. Notre objectif doit être de surmonter les divergences culturelles entre nos différents pays qui sont souvent réticents à abandonner leur propre système au bénéfice d'un système central européen comme la BCE par exemple. Il me semble que nous devons nous doter d'un organisme central de contrôle dans ce domaine.

Par ailleurs, il convient de limiter le nombre de transactions en espèces. En effet, le passage à travers le filet financier est d'autant plus facile que les transactions ont lieu en espèces. Elles sont très difficilement traçables.

Toutes ces questions devront être traitées sérieusement à l'avenir au sein de l'UE, alors que d'autres parties du monde s'apparentent souvent à des zones de non-droit, ce qui constitue un avantage indéniable pour une criminalité organisée de plus en plus aguerrie et de plus en plus riche.

Harlem DESIR (Parlement européen)

Je crois que la lutte contre le blanchiment de capitaux ne peut se concevoir de façon efficace que dans le cadre d'une très large coopération internationale. En effet, le marché financier n'est pas limité à la seule Union Européenne. Il convient donc d'impliquer le plus grand nombre possible d'Etats (OCDE, pays candidats à l'UE dont certains sont montrés du doigt par le GAFI, la Russie). Cependant, je pense que nous ne pouvons prendre prétexte de l'inertie ou de la complaisance d'un certain nombre d'autre Etats pour nous limiter à ce qui a déjà été entrepris dans l'Union Européenne. En effet, les places financières situées dans l'UE jouent un rôle très important et abritent une part considérable des transactions financières internationales. Nous pouvons penser aux deux grandes chambres de compensation, Clearstream et Euroclear, au système de compensation du marché des changes, Swift, au fait que près de la moitié des transactions du marché des changes mondial est effectuée dans des places situées dans l'UE, notamment celle de Londres. Par ailleurs, certaines places off shore, qui ont fait l'objet d'enquêtes de Monsieur d'Aubert, Monsieur Peillon et Monsieur Montebourg, dépendent d'Etats membres de l'UE. Au total, je crois que l'UE doit agir, y compris en pesant sur les récalcitrants afin de faire avancer la communauté internationale et pour montrer qu'il existe des voies et des moyens pour qui a la volonté de combattre les réseaux et les mécanismes du blanchiment d'argent. Je crois d'ailleurs que la réaction de la communauté internationale et des Etats-Unis a montré que la volonté politique pouvait faire avancer les choses (gel d'avoirs financiers notamment) et que les arguments selon lesquels la globalisation des marchés empêchait d'agir trouvaient leur limite.

L'application de règles prudentielles suppose non seulement de disposer d'instruments juridiques et réglementaires, mais aussi de moyens de contrôle efficaces. Nous touchons ici les limites de la seule coopération intergouvernementale au sein de l'UE. A titre d'exemple, nous pouvons citer l'application de la directive 91-308 portant sur le blanchiment de capitaux. Elle vient d'être révisée et renforcée. Cependant, les modifications introduites ne régleront pas à elles seules les obstacles auxquels nous nous sommes heurtés.

L'affaire Clearstream a conduit à la démission spectaculaire de son ancien directeur, André Lussi. Ce dernier a en effet été lâché par l'actionnaire principal de Clearstream, la Deutsche Boerse. Cette affaire a d'ailleurs fait l'objet d'un livre retentissant écrit par Denis Robert et Ernest Backes. Elle m'a conduit, en tant que parlementaire européen, à poser une question à la Commission sur les conditions de mise en _uvre des dispositions afférentes de la directive 91-308 par rapport à cette importante société de compensation. La Commission m'a répondu par écrit le 2 mai 2001 : « Il appartient à la Commission de vérifier la transposition correcte des directives communautaires par les Etats membres, ainsi que leur correcte application par les autorités publiques nationales. Le contrôle de l'application correcte par les particuliers et les entreprises de la législation nationale de transposition des directives est en revanche du ressort des autorités nationales des Etats membres. La Commission n'a, à l'heure actuelle, aucune raison de penser que les autorités luxembourgeoises n'interviennent pas avec rigueur ». Autrement dit, nous disposons d'un cadre réglementaire européen, mais le bras armé reste national. Ainsi, la Commission est réduite à constater la mise en _uvre de la transposition sans avoir les moyens d'aller plus avant dans la vérification sauf s'il est clairement établi que l'Etat membre a eu un certain nombre de manquements.

Je crois que nous devons répondre à la question de savoir si notre système peut rester à la merci de la plus ou moins grande détermination d'un Etat membre à prendre ses responsabilités parfois à l'encontre de l'idée qu'il peut se faire de ses propres intérêts, même s'il est regrettable de considérer que la protection des activités des organismes financiers non conformes à la réglementation communautaire relève de ses intérêts.

Par conséquent, je pense qu'il faudrait aller au-delà de l'inter-gouvernementalité dans ce domaine afin de nous doter d'un organe de supervision communautaire ou d'un mécanisme de supervision communautaire. Soit ce domaine relève de la compétence de la Commission comme la concurrence par exemple qui est dotée d'une direction générale en mesure de mener des enquêtes, soit il convient de créer un organe spécifique de compétence communautaire.

Il est par ailleurs indispensable de disposer d'un registre central des comptes des sociétés commerciales afin de vérifier en permanence en temps réel la transparence des comptes ouverts et des opérations. Enfin, j'avais proposé de surtaxer les transactions avec les places off shore et les paradis fiscaux. Cette proposition a d'ailleurs été retenue dans le projet de document. Je pense que, couplée à d'autres, cette mesure pourrait être efficace.

Pour conclure, il convient de choisir entre accommodement et assainissement. En effet, les pays de l'UE doivent aujourd'hui mettre autant d'énergie à lutter contre le blanchiment d'argent et les mécanismes de fraude fiscale qui utilisent le blanchiment en général qu'ils en mettent à lutter, à juste titre, contre les circuits de financement du terrorisme.

François d'AUBERT

De fait, la lutte contre le blanchiment entraîne un nouvel Etat de droit international. Nous demandons tous une concordance entre l'Etat de droit et l'effectivité de l'application du droit, ce qui n'est pas aisé. Avoir un Etat de droit homogène et efficace constitue une avancée importante.

Dominique GARABIOL (France - Ancien chef de l'inspection du Conseil des marchés financiers)

Je souhaite éclairer les différentes propositions du document par un rappel de ce qui est attendu par le dispositif prudentiel en matière de blanchiment. Lorsque ce dispositif a été mis en place il y a 12 ans (textes fondateurs du Sommet de l'Arche qui a créé le GAFI et de la directive européenne), la mission première de ces dispositifs était de protéger le dispositif financier contre son utilisation à des fins de blanchiment. Nous craignions à l'époque le passage de pans entiers du système financier sous le contrôle d'organisations criminelles internationales. Cette crainte s'est matérialisée de manière flagrante peu de temps après avec l'affaire de la BCCI. Il s'agissait par ailleurs d'assurer que ces dispositions n'entravent pas la libre circulation des capitaux. Il s'agissait d'assurer une bonne fluidité du marché intérieur européen. Autrement dit, ce système ne cherchait pas à combattre le blanchiment ou à attaquer les organisations elles-mêmes.

Aujourd'hui, cet objectif a manifestement changé. En effet, nous attendons du dispositif prudentiel, depuis les événements du 11 septembre 2001, qu'il affaiblisse les organisations criminelles et terroristes. Il convient donc de procéder à une réévaluation complète du dispositif afin de mesurer les insuffisances et d'attaquer la solidité financière des groupes criminels ou terroristes.

Il s'agit d'assurer la transparence des opérations et des acteurs. La question des organismes internationaux se pose par ailleurs de manière évidente. Leur statut est souvent incertain. Par ailleurs, leur contrôle n'est pas clair. Ces questions ont déjà beaucoup évolué. A titre d'exemple, il est acquis que les organismes de règlement livraison de titres doivent être contrôlés, enregistrés et dotés de statuts. Tel est le cas d'Euroclear et de Clearstream.

Par ailleurs, nous avons une pratique diverse en Europe, selon les pays, sur le plan des sanctions des manquements aux obligations de vigilance. Dans certains pays, cette sanction est professionnelle. Elle peut aller du blâme au retrait de l'agrément. Dans d'autres pays, la possibilité de sanction pénale existe. Compte tenu de l'objectif nouveau assigné au dispositif prudentiel, la sanction professionnelle apparaît inappropriée. En effet, il est difficile de démontrer la culpabilité en matière de blanchiment de tel ou tel organisme. Il est difficile de montrer le lien volontaire et intentionnel avec des opérations de blanchiment. La stratégie adoptée par ces organismes est celle de la négligence crédible. Il s'agit d'être négligent de manière crédible afin d'être en mesure d'expliquer ultérieurement qu'ils sont désolés de ce qui s'est produit. Il ne s'agit pas de viser l'incompétence ou la bêtise, mais des manquements intentionnels aux obligations de vigilance. De telles dispositions donneraient aux différentes autorités les moyens d'assurer l'intégrité du système financier.

François d'AUBERT

Je vous remercie d'avoir montré que nous sommes passés d'une phase défensive à une phase offensive afin de fragiliser plus avant les organisations terroristes et criminelles.

Frode SORENSEN

La délégation danoise ne souhaite proposer aucune modification du texte sur le sujet qui nous intéresse. Cependant, en ce qui concerne le point 51 (Internet), le Parlement danois est en train d'étudier une proposition de loi selon laquelle les expéditeurs doivent être identifiés afin d'être en mesure d'assurer la traçabilité d'une opération jusqu'à son origine. Cela me donne l'occasion d'indiquer qu'un nombre important de Danois est préoccupé par une nouvelle tendance sur Internet : l'établissement de casinos en ligne. Le Danemark dispose d'une législation très sévère en matière de jeux de hasard, mais elle ne s'applique pas aux casinos en ligne. Le fait que ces derniers puissent être utilisés en tant que centres de blanchiment d'argent nous préoccupe au Danemark. C'est pourquoi notre coopération devra à l'avenir veiller au contrôle du développement des casinos sur Internet. Nous devrions faire en sorte que ces casinos sur Internet ne poussent pas comme des champignons dans les pays non coopératifs. A ce titre, je souhaite indiquer que les autorités danoises estiment qu'une grande part du blanchiment d'argent au Danemark est réalisée dans les casinos physiques du pays. C'est pourquoi nous estimons que le développement des casinos sur Internet pourrait susciter un grand nombre de difficultés. Ceux qui proposent ce type de services sur Internet devraient être assujettis à un agrément préalable.

Il ne s'agissait que d'une observation. En effet, la formulation actuelle du point nous satisfait pleinement.

François d'AUBERT

Cette précision est importante. Il me semble qu'elle est couverte par le point 51. Cependant, la question des casinos Internet appellera sûrement des développements ultérieurs.

Mme Timeke WITTEVEEN-HEVINGA

Nous souhaitons appuyer les plaidoyers des deux co-présidents en faveur d'une supervision active. Il faudra par ailleurs réformer les différentes instances de surveillance. Certains pays ont déjà commencé de le faire afin d'être en mesure de s'adapter aux développements qui ont lieu sur les marchés financiers internationaux et qui sont liés à la délinquance financière. A ce titre, il est essentiel de savoir si les autorités de surveillance disposent des moyens en personnel et en compétences nécessaires afin d'identifier ces flux financiers. En l'espace de quelques années, les effectifs de l'autorité de surveillance hollandaise sont passés de 8 à 200 afin de faire face aux différents développements. Par conséquent, il convient de consentir d'importants efforts en matière d'investissement. Je dois avouer que les Pays-Bas ne comptent pas assez d'experts et de personnel pour faire face à ces développements qui nécessitent des moyens importants en personnel et en compétences.

Les recommandations du thème n°4 sont satisfaisantes. J'estime qu'il faudrait mentionner les transferts d'argent au point 50 (bureaux de change).

Jean de MAILLARD

Le point 52 répond, sous une forme atténuée, à la demande de Monsieur Désir et à celle que j'exprimais ce matin. Il serait cependant possible de rehausser la rédaction de ce point en remplaçant les termes « au besoin sur un plan international » par l'expression « y compris sur le plan européen ». En effet, le plan européen nous préoccupe avant tout. Par ailleurs, c'est celui sur lequel nous pouvons agir. S'il existe, depuis le scandale Clearstream, un début de contrôle des chambres de compensation au plan national, il n'existe toujours pas de contrôle communautaire sur les chambres de compensation.

En ce qui concerne le point 53, j'adhère aux propos de Monsieur Garabiol. Il a employé l'adjectif « intentionnel » à propos du manquement. Or le texte mentionne le terme « manifeste ». Je crains que l'adjectif « manifeste » soit trop vague et ne puisse pas permettre de fixer un terme commun dans les différents pays. Le terme « intentionnel » est également trop restrictif. En effet, il est difficile d'apporter une preuve négative, c'est-à-dire une preuve négative de l'intention d'une volonté qui n'existe pas. Je pense donc qu'il conviendrait de remplacer « manifeste » par « caractérisé », même si ce terme ne me satisfait pas pleinement.

François d'AUBERT

Une délégation voit-elle une objection au premier remplacement proposé par Monsieur de Maillard ?

Mme Soledad BECERRIL

Je ne souhaite pas formuler une objection importante. Cependant, je pense que si nous limitions au plan européen, nous limiterions nos propres possibilités d'intervention.

Dominique GARABIOL

Pour abonder dans le sens de la délégation espagnole, je crains que cette proposition ne rencontre des difficultés matérielles. En effet, le niveau européen dans les flux de compensation n'a pas de réalité. Les frontières de l'Europe sont aussi perméables que les frontières nationales en Europe. Dans les opérations suspectes, des flux quittent l'UE en direction des centres off shore ou vers des pays qui ne sont pas nécessairement non coopératifs. Quoi qu'il en soit, les circuits à l'_uvre sont très complexes. Monsieur Désir a parlé de Swift par exemple. Je ne conçois pas un contrôle strictement européen de ces flux, même si le siège social de Swift est situé en Belgique. Un tel contrôle ne serait pas efficace.

François d'AUBERT

Il est vrai qu'une rédaction contenant le terme « international » a l'air plus vague. Cependant, il se peut qu'elle soit plus opérationnelle compte tenu de la nature des transactions.

Harlem DESIR

Je ne pense pas que les parties de l'alternative soient exclusives l'une de l'autre. Ainsi, nous pouvons supprimer « au besoin » et indiquer : « Sur un plan international, y compris sur le plan européen ». Cela indiquerait qu'il convient de renforcer les contrôles prudentiels sur le plan européen également.

François d'AUBERT

Il me semble que cette proposition est satisfaisante.

Vincent PEILLON

Il est difficile de supprimer les mots « au besoin ». Chacun doit prendre l'engagement, au niveau des Parlements nationaux, de renforcer le contrôle prudentiel, la régulation et les moyens de contrôle sur les organismes en charge de ce contrôle. Ce point est important. Il relève de la responsabilité des Parlements nationaux.

Le caractère international englobe, dans notre état d'esprit, l'idée à terme d'une régulation sur le plan multilatéral et sur le plan européen. Ce passage a déjà longuement été débattu au cours des séances préalables. Par ailleurs, les experts ont longuement argumenté en faveur de cette formulation. C'est pourquoi, au nom de la délégation française, je propose un maintien de la rédaction telle qu'elle est.

François d'AUBERT

Le terme « international » inclut, par essence, le plan européen. Nous en restons donc à la proposition initiale qui n'exclut pas le niveau européen.

Concernant le caractère manifeste du manquement du point 53, qui souhaite intervenir ? Au regard des droits nationaux et de la jurisprudence, le caractère manifeste du manquement semble être le plus consensuel.

Dominique GARABIOL

Je crois que cette discussion nous renvoie à des questions de fond du droit pénal. L'ambiguïté des termes « manifeste » ou « caractérisé » peut laisser penser qu'un organisme qui aurait produit de tels manquements à son corps défendant serait sanctionable pénalement. La notion de manquement manifeste ou caractérisé renvoie à une appréciation factuelle indépendante de la volonté des personnes mises en cause. En revanche, le terme « intentionnel » peut paraître imprécis, mais il renvoie à des références claires en droit pénal. En effet, il n'y a pas de crime sans volonté de le commettre. Il s'agit d'en rester à cette notion connue. Le blanchiment constitue une faute pénale dans nos différents Etats. L'approche qui consiste à étendre la sanction pénale, qui existe déjà dans certains Etats, au manquement est une extension significative pour un certain nombre d'Etats membres. Pour être consensuelle, je pense que cette extension ne sera acceptable que si elle s'accompagne de la preuve de la volonté de manquement. Pour avoir été confronté à un certain nombre de cas de ce type, les manquements doivent être répétés et faire l'objet de publicité pour que les enquêteurs soient en mesure de les prouver. Par ailleurs, les différents rappels à l'ordre des autorités administratives et professionnelles doivent n'avoir pas été suivis d'effet. Nous avons les moyens de prouver l'intentionnalité du manquement.

Mme Sarah LUDFORD

Je n'ai pas suivi tous les débats sur ce sujet. Cependant, la question des sanctions en cas de délit dû à un manquement à l'égard d'obligations civiles ou administratives est importante. En effet, cette question a un grand nombre de liens avec d'autres questions. Il me semble même que cette question ne peut pas être étudiée isolément. A titre d'exemple, un accident ferroviaire met en cause les responsabilités de la société exploitante, de la compagnie de chemins de fer et de l'employé. La responsabilité directe ne nécessite pas de faire appel à la notion de négligence. Dans ce cas, le manquement à l'égard d'une obligation entraîne la responsabilité. Il s'agit d'un pas important à franchir. Je ne sais pas si c'est ce que le projet de document propose. Si tel était le cas, cela signifierait que la preuve de l'intention d'agir ainsi n'est pas nécessaire. Ces cas existent, même s'ils sont rares.

François d'AUBERT

Il n'est pas question de renversement de la charge de la preuve.

Hugo COVELIERS

Monsieur le Président, je crois que certaines versions linguistiques du projet de document maintiennent le terme français « manifeste », alors que d'autres ne le maintiennent pas. Cela est sans doute lié aux différences de droit pénal dans nos pays. D'ailleurs, l'intervention de Madame Ludford fait référence à ces divergences. Par ailleurs, il convient de recourir au terme « intentionnel » en droit pénal belge. En effet, le terme « manifeste » est trop subjectif. Il n'est pas possible d'interpréter ce qui est manifeste en droit pénal. C'est pourquoi je propose de recourir à un autre terme ou de supprimer ce terme. Ainsi, à titre d'exemple, le terme «manifeste » n'apparaît pas dans la version néerlandaise.

Mme Maria-Theresia FEKTER

Je crois que nous entretenons une confusion entre deux éléments pénaux : le manquement manifeste et la notion de culpabilité quel que soit le délit. Il me semble que le point 53 renvoie à la seule qualification du manquement. Les différentes versions linguistiques parlement de manquement grave, de manquement manifeste ou de manquement évident. Dans tous les cas, les manquements sont sévèrement qualifiés.

Par ailleurs, il convient également de se demander qui est coupable du manquement en question. Or le texte est muet sur l'auteur du manquement. Il me semble donc qu'il faudrait parler, au-delà du manquement, d'une infraction à une obligation. Je crois qu'il convient d'être plus précis dans les termes employés du point de vue pénal.

François d'AUBERT

La dernière version du texte, qui a reçu l'accord des différentes délégations, emploie le terme «manifeste ».

Roberto CENTARO

La question de la responsabilité dans le droit pénal passe par trois étapes : la responsabilité objective, la responsabilité au regard de la culpabilité et la responsabilité par négligence. Si le terme « manifeste » sous-entend une forme de volonté dans l'infraction, la responsabilité pénale existe lorsqu'il s'agit de manquements volontaires. Cependant, la sanction serait moins importante qu'en cas de manquement à l'obligation de vigilance. Il me semble que le manquement au devoir de vigilance doit être sanctionné. En effet, il me semble qu'il s'agit d'une faute grave.

Le recours à la volonté ou à l'intention signifie que la responsabilité objective est exclue. Dans un tel cas, nous nous limitons à la volonté de nuire. Je crois que cela n'est pas nécessaire. En effet, même dans les cas de négligence, il est nécessaire d'imposer une sanction pénale qui fasse en sorte que le devoir de vigilance soit exercé sérieusement et concrètement.

François d'AUBERT

Nous représentons des Parlements nationaux qui ont de nombreux liens, mais qui ne sont pas tombés d'accord sur un Code pénal unique. En effet, les cultures juridiques nationales se traduisent souvent par des jurisprudences et des textes différents. Nous cherchons aujourd'hui à parvenir à des dénominateurs communs qui n'ont pas tout à fait la valeur d'articles du Code pénal. Il s'agit de trouver des formules qui expriment une volonté politique forte aisément transposable en droit national.

M. Jean SPREUTELS

Je souhaite abonder dans votre sens. Le paragraphe 53 est essentiel dans la mesure où il est le garant de l'efficacité du système proposé, mais nous nous heurtons au manque d'harmonisation de nos droits répressifs (droit pénal, droit administratif). Il convient d'éviter d'entrer dans de subtiles querelles de pénalistes. C'est pourquoi je propose le texte suivant : « assortir de sanctions effectives, le cas échéant pénales, le manquement à leurs obligations... » (point 53). Cette formule permet d'évacuer le débat sur le caractère manifeste ou caractérisé du manquement.

François d'AUBERT

Il s'agit d'une proposition de compromis. Votre formule implique qu'il est possible de se limiter à des sanctions professionnelles ou administratives. Or notre texte va plus loin dans la mesure où il met l'accent sur les sanctions pénales. Par ailleurs, les sanctions professionnelles et administratives constituent déjà un acquis.

Dominique GARABIOL

S'il n'y a pas de sanctions pénales, il existe un certain nombre de sanctions depuis la première directive sur les obligations de vigilance. Le débat porte sur l'introduction d'un échelon de sanctions supérieur pour des cas par essence graves. Par ailleurs, les situations varient d'un pays européen à l'autre. En effet, certains pays ne disposent que de sanctions administratives alors que d'autres comptent déjà des sanctions pénales. Le débat portant sur l'intentionnalité renvoie à une éventuelle convergence des différentes législations européennes vers les sanctions pénales. A ma connaissance, aucun pays européen n'a de sanctions pénales fondées sur de simples manquements. Autrement dit, les pays européens qui comptent déjà des sanctions pénales les fondent sur des critères d'intentionnalité. Au total, l'objectif de la proposition vise à réaliser un alignement entre pays de l'UE sur un certain nombre de dispositions qui existent déjà dans certains Etats.

Vincent PEILLON

La France ne compte pas de sanctions pénales. En effet, nous avons récemment connu un échec sur ce plan. Un certain nombre de pays européens ont des sanctions pénales. Nous avons d'ailleurs constaté qu'un certain registre de sanctions, les sanctions pénales notamment, manque à l'efficience de notre système de vigilance. Je crois que nous avons une situation disparate en Europe. Il est bon de proposer l'alignement sur la question des sanctions pénales. Aucun expert n'a proposé le contraire. C'est pourquoi je souhaite que nous maintenions l'idée de la sanction pénale. Il s'agit d'un des progrès du texte. Le débat sur l'intentionnalité a très bien été posé par Monsieur Centaro. L'intentionnalité est toujours présente. En revanche, le caractère manifeste va au-delà. Pour trouver une proposition de compromis sur le texte initial, nous devons garder les sanctions pénales tout en restant à la conception intentionnelle. Je partage les remarques de notre collègue italien sur le fait que le terme « manifeste » irait plus loin et aurait du sens. Cependant, si nous parvenons à un accord sur les sanctions pénales caractérisées par le manquement intentionnel, nous aurions fait un progrès d'harmonisation. Il s'agit de la proposition de la délégation française.

Hugo VANDENBERGHE (Belgique - Sénat)

Il convient de prendre en compte qu'il s'agit d'exprimer un standard européen minimal sur le plan de l'application effective des règles prudentielles qui ne sont pas, par nature, pénales. Il s'agit de définir les critères qui font qu'un fait qui est une infraction contre la déontologie financière devient passible du Code pénal. Je crois que l'idée que le manquement est manifeste est naturelle au plan européen. Cela renvoie à l'idée du contrôle marginal des activités. Les mécanismes prudentiels de contrôle ont une capacité de jugement supérieure aux autorités et à la jurisprudence pénale. Le caractère manifeste exprime qu'il ne s'agit pas simplement d'une erreur de conduite, même si l'erreur est éventuellement intentionnelle et doit être poursuivie au plan national. Cela permettrait de donner une marge d'appréciation nationale aux autorités nationales. Il me semble que le caractère intentionnel du manquement renvoie à un grand nombre d'appréciations entre les différents droits nationaux. Le critère d'intentionnalité n'est pas, à mon sens, manifestement clair.

François d'AUBERT

Le critère intentionnel va de soi dès lors qu'il y a délit ou crime.

Dominique GARABIOL

L'intérêt du terme « intentionnel » est qu'il renvoie, dans chaque droit national, à quelque chose d'établi. Ce débat ne nous permettra pas de résoudre les divergences fondamentales entre les différents principes pénaux nationaux. L'exercice doit être modeste. Il s'agit de sanctionner criminellement un manquement volontaire aux obligations de vigilance.

François d'AUBERT

Une délégation s'oppose-t-elle fondamentalement à l'emploi du terme « manifeste » ? Je vous propose donc de maintenir cette version. Je cède la parole à la délégation du Royaume-Uni qui souhaite intervenir sur le point 46.

John Mc FALL

J'ai en effet besoin d'un éclaircissement sur le point 46. J'ai le sentiment que la limitation des paiements en espèces risque de perturber un certain nombre d'appels d'offres. En effet, certains n'ont pas de compte en banque. Par ailleurs, je me demande comment une telle limitation peut fonctionner dans la pratique. En effet, toute transaction peut, de facto, se subdiviser.

Dominique GARABIOL

Il est vrai que toute transaction est subdivisible. La subdivision constitue néanmoins une infraction. C'est le cas, par exemple, des dispositions prévues par une directive européenne en matière de surveillance des opérations d'espèces contre le blanchiment. Des montants sont fixés. Toute opération est fractionnable, mais le fractionnement est une faute sanctionable. Il faut arriver à le prouver, ce qui n'est pas aisé, mais cela est possible. Dans les pays qui disposent de ce type de règles, des enquêtes ont montré qu'il est possible de prouver que des paiements ont été effectués de manière fractionnée pour la même opération. Je pense que le fractionnement est un vrai sujet qui peut cependant être traité.

En revanche, il est vrai que la limitation des paiements en espèces nécessite de passer par des instruments de paiement d'autre nature (scripturale). Je vous rappelle à ce titre qu'il n'est pas nécessaire de disposer d'un compte en banque pour autant. En effet, il existe un certain nombre de systèmes de paiement qui passent par des organismes agréés et qui permettent de tracer les opérations. L'objectif du dispositif est de tracer les opérations.

François d'AUBERT

La limitation des paiements en espèces est fixée à 3 000 euros en France. Elle est d'ailleurs généralement respectée. Une autre délégation souhaite-t-elle intervenir sur l'article 46 ?

Donato BRUNO

La législation italienne limite également les paiements en espèces tout en imposant une obligation de signalement en cas de dépassement. En effet, si le montant est supérieur au seuil fixé par la loi, un signalement aux autorités est alors obligatoire. Par ailleurs, il faut également signaler les paiements fractionnés s'ils dépassent le seuil autorisé.

En Italie, je crois que le seuil autorisé pour les paiements en euros est de 10 000 euros. Cependant, ce seuil ne correspond pas nécessairement au seuil qui rend le signalement obligatoire. Je souhaite obtenir un éclaircissement sur cette différence.

François d'AUBERT

Tout d'abord, le montant n'est pas fixé, ce qui permet une souplesse dans l'harmonisation entre les différents pays que certains contestent même dans son principe. Seule une direction est indiquée. Ainsi, nous ne traitons pas la question du signalement, qui est une question très importante. Par ailleurs, il existe plusieurs techniques de signalement. La France compte un système de déclaration de soupçons qui n'est pas un signalement comme dans les législations américaine ou italienne. Autrement dit, il existe plusieurs techniques pour contrôler et sanctionner les dépassements dans les règlements en espèces. Il est sans doute prématuré d'entrer dans le détail technique de la gestion de cette question.

Dominique GARABIOL

Je crois que l'Italie dispose du système le plus poussé d'obligation de signalement. Il convient de distinguer deux niveaux d'analyse : la limitation des paiements en espèces et le signalement. L'objectif de la limitation du paiement en espèces est la traçabilité, ce qui n'implique pas le signalement. Cependant, en cas d'enquête, il sera possible de remonter la filière du paiement. Tel est l'objectif. A ce stade, cela ne préjuge pas de décisions qui seraient prises en matière d'obligation de signalisation. Nous visons simplement la traçabilité de la filière du paiement, ce qui est très précieux pour les enquêtes.

François d'AUBERT

Y a-t-il une objection de principe d'une délégation sur le paragraphe 46 ?

Mme Maria-Theresia FEKTER

Il conviendrait peut-être de mentionner les mécanismes de contrôle au point 46. En effet, je crois qu'il est parfois nécessaire de recourir à des paiements en espèces pour conclure des affaires très sérieuses.

François d'AUBERT

J'ai bien entendu, mais un certain nombre de pays appliquent déjà la proposition 46. Il n'est donc pas possible de leur demander de revenir en arrière. Quoi qu'il en soit, la formule de la proposition 46 donne une direction, mais elle ne traite pas des détails techniques. Si nous souhaitons vraiment limiter les paiements en espèces, il est évident qu'un système de contrôle est nécessaire. Cependant, il convient de parvenir à un dénominateur commun sur un sujet très sensible qui dépend de la culture de chaque pays. A titre d'exemple, la suspicion à l'encontre des paiements en espèces est très forte en France.

Dominique GARABIOL

La difficulté d'effectuer certaines transactions doit être traité. Il est traité par différents mécanismes mis en place par les banques ou le réseau postal. A ce titre, la convention de Genève du 19 mars 1931 prévoit les règles de fonctionnement du chèque. N'importe quelle personne est en mesure de se présenter à une banque, de lui remettre une somme en espèces et d'obtenir un chèque en échange. Cela ne demande pas de délai technique et est exécutable immédiatement. Ce type de mécanisme est d'ailleurs très usité en France pour les opérations immobilières par exemple. Les banques sont soumises à des obligations de vigilance. Elles devront donc effectuer un contrôle de vraisemblance sur l'origine des fonds. Il s'agit d'ailleurs de l'objectif de cette disposition.

François d'AUBERT

Je vous propose d'adopter l'article 46. Sans objection fondamentale, je considère que l'article 46, qui vise la limitation des paiements en espèces au-delà d'un certain montant, est adopté.

Je souhaite vous remercier pour la qualité des travaux et de vos remarques qui reflètent une volonté forte des Parlements nationaux de lutter contre l'argent sale. Ces travaux montrent combien il est difficile de parvenir à des harmonisations en raison des différentes cultures juridiques, sur le plan pénal notamment. Cependant, il est possible de parvenir à des dénominateurs communs en coopérant dès lors que nous nous entendons sur la philosophie qui peut être résumée en trois points :

- Trouver des parades efficaces et effectives contre le développement du blanchiment et contre les nouveaux mécanismes du blanchiment (casinos Internet...)

Il convient de s'adapter en permanence aux technologies du blanchiment.

- Protéger le système financier contre lui-même

Un système financier qui admet, même involontairement le blanchiment, finira par le payer un jour ou l'autre. Il suffit de constater les dégâts qu'entraînent de simples accusations de blanchiment, justifiées ou non.

- Fragiliser les organisations criminelles et terroristes

Il s'agit de les traquer là où elles se développent le plus secrètement et le plus efficacement.

Je crois que les Parlements nationaux sont parvenus à un consensus sur ce sujet majeur.

TABLE RONDE N° 4 :
LA COOPÉRATION JUDICIAIRE, POLICIÈRE ET ADMINISTRATIVE

M.. Arnaud MONTEBOURG, Assemblée nationale (France), co-président ;

M. Hugo VANDENBERGHE, Sénat (Belgique), co-président ;

Mme Maria ARSENI, Parlement héllenique ;

Mme Sarah LUDFORD, Parlement européen.

M. Panagiotis NIKOLOUDIS, procureur général (Grèce) ;

Arnaud MONTEBOURG

Je tiens à saluer Hugo Vandenberghe, sénateur belge, qui va coprésider cette dernière table ronde portant sur la coopération judiciaire, policière et administrative.

La question de la coopération judiciaire et policière a été soulevée pour la première fois par les magistrats signataire de l'appel de Genève il y a déjà 6 ans. Ce débat a progressé et à fait son chemin à l'intérieur des institutions européennes. Le Conseil européen de Tampere en 1999, qui a présidé à la création d'Eurojust, en est l'une des illustrations. Il est vrai que les Parlements nationaux, qui ont laissé leurs gouvernements négocier les accords diplomatiques dans le cadre européen ou dans les cadres multilatéraux divers, n'ont pas pris l'habitude de s'emparer directement de ces questions.

Le groupe Egmont a mené sur le terrain policier et sur le terrain des unités de renseignement un travail fondamental sur le plan de la coopération. Il s'agit là d'une première réponse communautaire. Néanmoins, les magistrats de toutes les nationalités continuent de nous signaler un grand nombre d'obstacles. Ils nous font part de manière récurrente de la difficulté de mettre en _uvre la coopération judiciaire dans la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière. Bien sûr, il existe un arsenal de textes de nature multilatérale et un certain nombre de conventions. Ils ont été proposés à la signature des Etats et à la ratification des Parlements nationaux. Leur ratification est nécessaire. Il convient d'ailleurs à ce titre de dresser la liste des retards et des nécessaires avancées qui doivent être accomplies sur ce plan. Il conviendra par ailleurs d'aller au-delà et d'affirmer, par la proclamation d'une volonté politique collective et concrète, un certain nombre de propositions. Après les événements du 11 septembre 2001, un accord politique est intervenu récemment sur le mandat d'arrêt européen. Il s'agit d'une étape fondamentale après la création d'Eurojust à Tampere qui a été intégré dans l'acquis communautaire lors du Conseil européen de Nice. Il s'agit d'une étape fondamentale dans l'arrestation des délinquants et dans la livraison des preuves aux pays demandeurs membres de l'UE.

Hugo VANDENBERGHE

Le thème de la coopération judiciaire, policière et administrative est celui qui a été le plus amendé au cours des travaux du Comité de pilotage. Je vais m'efforcer de retracer les différentes étapes qui ont abouti au texte actuel tout en précisant la portée de certaines recommandations.

Dans sa version initiale, la déclaration visait uniquement la coopération judiciaire et policière. Dès le début des travaux, il est apparu nécessaire de l'étendre à la coopération administrative, dans un souci d'efficacité. La dimension internationale de la délinquance financière nécessite en effet une amélioration de la coopération judiciaire, policière et administrative si nous souhaitons enregistrer des progrès significatifs dans la lutte contre ce fléau. L'un des fils conducteurs, au cours des débats, a été de privilégier l'amélioration des structures existantes plutôt que d'appeler à la création de nouvelles institutions ou à l'élaboration de nouveaux textes. C'est pourquoi il est fait référence, aux alinéas 33 et 34, à certaines structures existantes (OLAF) et aux travaux menés au sein d'instances internationales (ONU, UE, OCDE...). Cela permet aux Parlements nationaux d'affirmer leur rôle constitutionnel dans la lutte contre le blanchiment, sans nier l'apport et les réalisations des autres acteurs.

Après ce bref rappel du contexte général de nos travaux, je vous propose de parcourir les différentes propositions et de les commenter brièvement.

La proposition 36 appelle à développer les échanges d'informations entre les unités du renseignement financier. Chaque pays de l'Union dispose, à la suite de la décision cadre du 16 octobre 2000, d'une unité de renseignement financier. Les membres du Comité de pilotage ont estimé qu'il fallait encourager la collaboration entre ces unités. Cet élément est essentiel en raison du caractère transnational de la criminalité financière. Cet échange d'information doit également permettre d'aboutir à une meilleure perception du phénomène au plan européen.

La proposition 37 invite à ratifier, appliquer et renforcer la cohérence des conventions internationales destinées à faciliter la coopération judiciaire et à lutter contre le blanchiment et les organisations criminelles. De nombreux experts ont attiré l'attention des membres du Comité de pilotage sur le risque d'empilement. En effet, des textes sont adoptés, mais ne sont pas ratifiés. D'autres textes appellent à la mise en place de dispositifs complexes et très intégrés qui nécessitent des délais de réalisation très longs pendant lesquels rien ne bouge sur le terrain. Enfin, d'autres textes manquent de cohérence, ce qui rend leur mise en _uvre difficile. La recommandation 37 intègre ces différentes remarques.

La proposition 38 propose d'harmoniser les incriminations en matière de délinquance financière. Il s'agit d'aboutir à une législation homogène sur la criminalité organisée au sein de l'Union et de prévoir les sanctions afférentes.

La proposition 39 plaide pour l'institution d'un aménagement de la charge de la preuve de l'origine criminelle des capitaux. La proposition a suscité de nombreux débats. En effet, plusieurs délégations se sont interrogées sur la compatibilité de cette mesure avec la présomption d'innocence. Je pense que ces craintes reposaient sur un malentendu. En effet, la proposition vise à instaurer un partage de la charge de la preuve, ce qui n'équivaut pas à un renversement de la charge de la preuve. Il ne s'agit pas de contraindre l'accusé à se justifier lorsque l'accusation ne dispose d'aucun élément. Cette dernière doit apporter la preuve d'un faisceau d'éléments qui permettent de présumer l'existence d'un délit de blanchiment. Si l'accusation est en mesure de fournir cette preuve, il appartient alors à l'accusé de prouver son train de vie, l'origine légale de ses fonds...Comme l'ont souligné certains membres, la technique du partage de la charge de la preuve a déjà été appliquée par les directives européennes visant à lutter contre les discriminations. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme s'est exprimée sur plusieurs précédents en conformité avec l'article 6, paragraphe 2 sur la présomption d'innocence.

La proposition 40 demande d'harmoniser les sanctions pénales en privilégiant notamment la confiscation du produit du délit et de l'instrument du blanchiment. Un consensus s'est rapidement dégagé sur ce point. Il en est allé de même pour la proposition 41 qui propose quant à elle la reconnaissance mutuelle des décisions de gel, saisie et confiscation des avoirs illicites.

Par ailleurs, le Comité de pilotage est convaincu que le mandat d'arrêt européen présente un grand intérêt si nous souhaitons renforcer l'efficacité de la lutte contre le blanchiment au plan européen. Le texte de la proposition a été adopté lors du sommet de Laeken au mois de décembre 2001. Cependant, les membres du Comité étaient favorables au maintien de la « pression », malgré l'avancée politique incontestable réalisée sur ce point, en insistant sur la nécessité de l'entrée en vigueur rapide et concrète de cet accord politique, qui exige l'adoption de textes d'application dans nos différents pays. C'est l'objet de la recommandation 42.

La recommandation 43 appelle à consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'informations, d'assister les autorités nationales compétentes dans le déclenchement et l'exercice des poursuites, et de coordonner les enquêtes.

Pour bien comprendre la portée de cette recommandation, il est nécessaire de rappeler que la déclaration initiale plaidait pour l'institution d'un parquet européen. Cette idée a été largement débattue lors des travaux du Comité de pilotage. Plusieurs délégations ont attiré l'attention sur le caractère prématuré, voire contre-productif, de la proposition de création d'un parquet européen, compte tenu de la création récente d'Eurojust et de la diversité actuelle des systèmes judiciaires européens. Plusieurs membres ont également fait remarquer qu'il était difficile de plaider, dans un même document, pour le renforcement et la création de deux instances répondant à des logiques différentes, Eurojust et le parquet européen. En effet, le parquet européen s'inscrit dans une logique communautaire alors qu'Eurojust s'inscrit dans une logique de coopération judiciaire intergouvernementale. Dans ces conditions, il a été décidé de mettre l'accent sur la consolidation d'Eurojust en lui ouvrant la possibilité de déclencher et d'exercer des poursuites devant les juridictions nationales. Le fait que la création du parquet européen ne figure plus dans le texte ne peut cependant pas être interprété comme le rejet de l'idée même de l'institution.

Comme je vous le signalais dans mon introduction, le Comité de pilotage a opté pour une approche pragmatique des choses. C'est pourquoi il est utile de rappeler que le Comité de pilotage n'a pas retenu certaines propositions relatives à la coopération policière, judiciaire et administrative qui semblaient trop difficiles à réaliser. Je pense notamment à l'idée de prévoir un mécanisme de partage entre les Etats des avoirs confisqués à l'issue d'une coopération internationale.

Je pense que le texte qui sert de base à nos travaux est à la fois ambitieux, réaliste, équilibré et qu'il sera adopté avec conviction par l'ensemble des délégations.

Sarah LUDFORD

Je suis d'accord avec le co-président quant à la portée des nouveaux instruments européens qui ont fait l'objet d'un accord depuis deux ans. Le texte ne fait pas tout à fait justice aux progrès réalisés sur ce plan au sein des institutions européennes. Comme vous le savez, le Conseil européen de Tampere de 1999 a entraîné un changement profond dans la mise en _uvre du Traité d'Amsterdam, en ouvrant un large éventail de possibilités pour une coopération dans les domaines policier et judiciaire. Tampere a réuni, pour la première fois, les chefs d'Etat et de gouvernement des 15 sur les questions de justice et affaires intérieures. Ce sommet a permis d'engranger de réels progrès dans ce domaine.

Le paragraphe 37 plaide pour la ratification, l'application et le renforcement des conventions internationales. Il me semble qu'il convient de distinguer ce qui relève de l'Europe et de l'international. Par ailleurs, le paragraphe 33 souligne que la coopération policière et judiciaire est moins avancée. Cela est vrai, mais les progrès réalisés sur ce plan en l'espace de 2 ans sont absolument considérables. A titre d'exemple, lors du Sommet de 1998, les Etats membres ne faisaient qu'exprimer des réserves sur l'action conjointe en matière de confiscation des biens tirés des délits. Par la suite, de véritables pas de géant ont été enregistrés, avec notamment la décision cadre du mois de juin 2001. Cela est dorénavant véritablement enraciné dans le traité de l'UE. En effet, à titre d'exemple, des peines de prison d'un durée de trois ans sont prévues pour les cas avérés de blanchiment d'argent. Nous sommes allés au-delà d'un système purement international. Nous avons su créer le climat politique favorable à ce type de changements.

Il me semble, par ailleurs, qu'il convient de mentionner la directive blanchiment 2001 dans ce chapitre. En effet, les dispositions sont renforcées, avec notamment la mise en place d'un système de rapport sur les transactions douteuses. Cette directive va bien au-delà d'une simple convention internationale. Le Parlement européen vient de décider de faire de cette directive un véritable instrument juridique qui va entrer en vigueur. Ainsi, les extraditions vont dorénavant pouvoir se faire automatiquement en cas de délit de blanchiment d'argent sale. Je pense que nous ne sommes plus dans le système provisoire en vigueur en 2001.

Le mandat originel d'Europol prévoyait un simple échange d'informations en matière de blanchiment d'argent tout en considérant ce dernier comme secondaire par rapport à d'autres délits ou crimes comme le terrorisme ou le trafic de drogue. Cependant, depuis une décision du Conseil du mois de novembre 2001, il est possible d'intervenir dans les cas de blanchiment d'argent purs et simples.

Depuis le mois de décembre 2001, le Conseil a le pouvoir de geler les avoirs des organisations terroristes. Cette décision a été controversée au Parlement européen dans la mesure où ce pouvoir peut s'exercer sans consultation. Le Parlement européen s'est efforcé de freiner le processus en la matière.

Enfin, la décision d'assistance mutuelle du mois de mai 2000 doit encore être ratifiée par les Parlements nationaux. Par ailleurs, il existe un protocole additionnel sur l'accès aux informations portant sur les comptes bancaires et sur les transactions bancaires.

Je me suis efforcée de montrer que le projet de déclaration finale ne donnait pas l'exacte mesure des progrès réalisés depuis deux ans en matière de coopération judiciaire et policière, même s'il reste encore beaucoup de travail sur le plan de la mise en _uvre de ces progrès.

Arnaud MONTEBOURG

Le mot utilisé dans la proposition 39, qui peut conduire à un certain nombre d'ambiguïtés, renvoie à un allègement de la charge de la preuve. Je parlerais même, comme le Président Vandenberghe, de partage de charge de la preuve.

Mme Maria ARSENI (Parlement hellénique)

Si nous tenons compte de la conjoncture internationale, la Grèce considère que l'initiative consistant à réunir les Parlements nationaux de l'UE est très importante. Je tiens à préciser que nous avons participé à toutes les rencontres précédentes et que nous sommes d'accord avec l'ensemble des propositions émises.

La Grèce a mis en place un cadre juridique qui offre la possibilité aux autorités compétentes de collaborer sans limite avec tous les acteurs de cette question.

Il sera, à mon sens, nécessaire d'être plus souple à l'avenir et de coopérer de manière plus efficace sur le plan judiciaire. Il me semble que nous devons encore progresser sur le plan de l'échange de renseignements.

L'unité de renseignement grecque est tout à fait indépendante. Elle a un caractère mixte : elle est à la fois policière, judiciaire et administrative. Grâce à cette structure mixte, cette unité est en mesure de collaborer avec des services internationaux ou ses homologues européens en matière de blanchiment et de délinquance financière.

Si vous souhaitez obtenir des renseignements supplémentaires, je vous propose d'écouter Monsieur Nikoloudis, notre procureur national. Cela fait de nombreuses années qu'il travaille sur ces questions.

Panagiotis NIKOLOUDIS (Grèce - Procureur national)

Je vais intervenir sur deux sujets très importants à mon sens : le groupe Egmont et le renversement de la charge de la preuve.

Le groupe Egmont a travaillé avec succès, mais il compte des membres qui n'appartiennent pas à l'UE, ce qui limite considérablement la collaboration et l'échange d'informations. Les législations de tous les pays membres de l'UE protègent les citoyens européens sur le plan des données personnelles et de leur utilisation. Les autorités policières et judiciaires des pays de l'UE sont en mesure de coopérer en fonction de ces législations. Cependant, ce type de coopération policière et judiciaire n'est pas possible avec des pays qui n'appartiennent pas à l'UE, dans la mesure où cette confiance mutuelle n'existe pas et dans la mesure où la protection et l'utilisation des données personnelles ne sont pas régies par les mêmes lois. C'est pourquoi nous devons nous limiter aux frontières de l'UE et nous ne pouvons pas nous fier au groupe Egmont. Nous devons en revanche approfondir la coopération au sein de l'UE. J'appelle de mes v_ux une coopération plus efficace et qui va au-delà des compétences et des pouvoirs du groupe Egmont. Cependant, les idées développées au sein de ce groupe sont intéressantes. En effet, elles devraient permettre de donner des réponses pour ce qui n'est qu'une première étape de coopération policière, judiciaire et administrative. Le groupe Egmont a eu l'idée suivante : toutes les équipes qui travaillent doivent coopérer et échanger des informations, indépendamment de la nature des équipes en question, dans le domaine du blanchiment et de la délinquance financière. A titre d'exemple, l'unité de renseignement financier grecque revêt un caractère juridique, financier et administratif. Ce caractère ne doit pas l'empêcher de coopérer, en toute confiance et sur une base égalitaire, avec une unité d'un autre pays qui vise également à lutter contre le blanchiment même si ses caractéristiques sont différentes. Elle doit être en mesure de coopérer avec une entité étrangère policière ou administrative. Nous devons adopter une attitude constructive. Cette idée du groupe Egmont est tout à fait constructive. Nous devons établir une coopération au-delà des différences et à tous les niveaux (administratif, policier et judiciaire). Je me suis rendu compte à plusieurs reprises, lors de forums internationaux, que la confiance ne régnait pas entre des unités de nature différente et de pays différents. Je pense que les mêmes obstacles existent aussi pour les unités purement administratives. Dans le cas d'une coopération qui vise la lutte contre le blanchiment, il est important de bien choisir les unités et de bien définir leurs compétences. Au total, cette idée du groupe Egmont est tout à fait positive et doit être promue.

Par ailleurs, il me semble que le renversement de la charge de la preuve et la possible confiscation des avoirs résultant de la délinquance financière constituent le pas en avant le plus important et le plus spectaculaire qui résulte de cette initiative de l'Assemblée nationale française. Il s'agit d'un pas courageux. Je me trouve au c_ur de cette question. En effet, cela fait 5 ans que je préside l'unité de renseignement financier grecque.

Je souhaite vous donner un exemple afin d'illustrer ce pas en avant décisif et les obstacles que nous rencontrons quotidiennement lors de nos enquêtes contre le blanchiment. Supposons que nous arrêtions une personne qui est en possession d'un chargement de drogue et qui avait l'intention de vendre ce chargement. Ce dernier est confisqué, puis détruit. Les autorités compétentes peuvent par ailleurs prouver que cette personne possède plusieurs voitures, des comptes en banque et des avoirs immobiliers. Elles peuvent également prouver qu'elle n'a jamais occupé d'autre activité professionnelle et qu'elle n'a jamais déclaré ses avoirs au fisc. Sommes-nous en mesure à l'heure actuelle de confisquer ses avoirs ? La réponse est malheureusement négative en Grèce. Il me semble même qu'aucun autre pays européen ne serait en mesure de confisquer les avoirs d'un tel criminel. Cela est intolérable. Il convient de réaffirmer le besoin d'un aménagement de la charge de la preuve. Les difficultés sont bien sûr nombreuses. En effet, il n'est pas possible de renverser nos systèmes pénaux qui sont fondés sur la charge de la preuve. Cependant, dans le cas précis que je vous ai présenté, pour lequel la preuve du crime est évidente, je pense que le système actuel ne nous permet pas d'agir. Il convient donc de trouver des solutions afin d'accroître notre efficacité tout en respectant les droits de l'Homme. Au-delà de ces observations, la délégation grecque soutient les dispositions de ce texte.

John McFALL

Je souhaite intervenir sur le paragraphe 43 auquel nous pourrions ajouter deux mots. Comme vous le savez, Eurojust n'a pas de rôle opérationnel. C'est pour cela que les Etats membres, lors de la dernière conférence intergouvernementale, ont rejeté cette proposition. En effet, certains Etats craignaient une ingérence dans leur système de justice pénale. C'est pourquoi je souhaite proposer une reformulation du paragraphe 43. Nous pourrions indiquer qu'il s'agit de consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'informations, d'assister les autorités nationales compétentes lorsque cela est nécessaire dans le déclenchement et l'exercice des poursuites et de coordonner les enquêtes. Je vous propose d'envisager cet amendement.

Mme Soledad BECERRIL

Je tiens à souligner l'importance de chapitre sur la coopération policière, judiciaire et administrative. Toutes les propositions précédentes de contrôle ou de surveillance auraient une efficacité réduite si nous n'avancions pas, comme l'UE est en train de le faire, sur le plan de la coopération judiciaire, policière et administrative. La lutte contre les délits dont nous parlons est une lutte difficile à mener isolément. A mon sens, l'UE a fait de grands pas en avant récemment sur ce plan. Tout n'est pas encore en place. Eurojust, par exemple, vient seulement d'entrer dans sa phase de fonctionnement. De même, le mandat d'arrêt européen vient d'être lancé. Une fois en place, toutes ces initiatives porteront leurs fruits.

Le mandat d'arrêt européen permettra aux services policiers des 15 de disposer rapidement d'une information essentielle. A l'heure actuelle, cette information met au moins un an, parfois 18 mois, à parvenir aux services compétents après l'arrestation d'une personne qui a commis des délits graves. Cette information, qui tarde à parvenir à un autre Etat membre, perd de son efficacité au cours de ce long processus. Cela finit par empêcher le pays en question de prendre les mesures nécessaires afin d'empêcher un délit ultérieur qui aurait pu être évité si l'information avait été obtenue plus rapidement. Ainsi, je suis tout à fait d'accord avec les remarques formulées par le Procureur grec.

Par ailleurs, je n'ai pas tout à fait compris la dernière proposition du délégué britannique. Quelle est la différence par rapport au système actuel ? Monsieur McFall peut-il reformuler sa proposition ?

Enfin, nous comptons parmi nous des pays candidats à l'UE. Il est très important qu'ils soient là. Certains sont ici à titre d'observateurs, d'autres nous rejoindront rapidement. Je tiens à leur dire que la coopération policière et judiciaire en Europe est importante pour le maintien de l'Etat de droit et pour assurer un bon fonctionnement de la justice au plan européen. J'espère que l'élargissement nous permettra même d'aller plus loin dans la coopération policière, judiciaire et administrative.

Arnaud MONTEBOURG

Monsieur McFall est-il en mesure de préciser sa proposition à la demande de Madame Becerril ?

John McFALL

Eurojust n'a pas encore de caractère opérationnel. Il est donc important que la souveraineté de chaque nation soit préservée. En effet, il est dit qu'Eurojust assistera les autorités nationales. Cela laisse la place au doute. Il convient donc de le dissiper en insérant l'expression suivante : « lorsque cela est nécessaire » ou « le cas échéant » (point 43). Cela permet de préserver à la fois la souveraineté nationale et la nécessité de coopérer entre les différentes organisations lorsque cela s'avère nécessaire. Par ailleurs, certains pays comme les Pays-Bas ont indiqué qu'ils n'avaient pas assez de moyens. Ils pourraient ainsi demander de l'aide lorsque cela est nécessaire.

Sarah LUDFORD

Je ne suis pas experte en la matière, mais il me semble que votre propos montre que vous entretenez une certaine confusion. D'après ce que je sais, Eurojust vise à faciliter la coopération entre les enquêtes nationales et les procureurs nationaux pour les transactions transfrontalières. Votre préoccupation est typiquement britannique. En effet, vous ne souhaitez pas qu'Eurojust s'ingère dans des poursuites judiciaires purement nationales. Or le paragraphe 43 ne fait qu'aborder la question de la coordination d'enquêtes transfrontalières qui relève de la compétence d'Eurojust. Il convient donc d'en parler à un moment ou à un autre. Par ailleurs, le gouvernement britannique a signé l'accord portant création d'Eurojust. Il me semble que votre proposition d'amendement (« le cas échéant » ou « lorsque cela est nécessaire ») implique une notion d'avertissement qui n'est pas nécessaire pour les poursuites judiciaires transfrontalières. Vous souhaitez peut-être lancer un avertissement au plan national. Au total, je pense que vous devriez formuler votre amendement différemment.

John McFALL

J'ai consulté le gouvernement britannique à ce propos. Ce dernier est tout à fait d'accord avec moi pour dire que cette phrase du paragraphe 43 doit être plus claire. Mon amendement vise à rendre ce point plus clair tout en préservant les possibilités de coopération ultérieures. Je ne comprends pas pourquoi vous dites que je sème la confusion.

Benoît DEJEMEPPE (Belgique - Procureur du Roi à Bruxelles)

Je pense que nous nous dirons plus tard qu'une réunion comme celle-ci aura permis de faire un saut qualitatif en termes de coopération et d'harmonisation, mais pas en termes d'intégration. En effet, il existe des éléments positifs et des éléments qui le sont moins. Je me permettrais d'insister sur ces derniers.

Sur le plan de la coopération, il a été dit que les logiques d'Eurojust et celles de la constitution future d'un parquet européen n'étaient pas compatibles. Je pense que ces logiques ne sont pas identiques. Cependant, elles ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Il convient de ne pas se borner à des raisonnements binaires et de prendre du recul. Un parquet européen, s'il existe un jour, répondra à une forme de besoin et ne s'opposera pas à d'autres instances. Le parquet européen a été diabolisé dans la discussion. En effet, il a été dit que cette souveraineté doit rester nationale. Cependant, depuis le Traité de Rome de 1957, les Etats européens n'ont pas cessé de déléguer des morceaux de leur souveraineté. Comme le disait Monsieur Vandenberghe au sujet du partage de la preuve, nous vivons dans un régime européen de partage de souveraineté à tous les échelons. Il convient de s'en rendre compte dans le domaine judiciaire. Il est presque sûr que le parquet européen verra le jour à l'avenir. C'est pourquoi il convient, à mon sens, de le mettre à l'ordre du jour d'une prochaine réunion. L'UE a une vocation plus large d'intégration politique. Elle n'est pas seulement une zone de libre-échange. Le Parquet européen sera l'un des éléments qui concrétiseront cette volonté politique. Eurojust ne peut être considéré que comme une étape vers une forme d'intégration plus importante au regard de la fraude communautaire, et non comme un point d'arrivée. Il convient de faire un effort d'intégration.

Il n'est pas rare qu'il y ait des conflits entre tribunaux européens pour savoir qui doit se saisir des affaires de fraudes communautaires. En effet, aucune règle ne permet de régler ces conflits de compétence. A titre d'exemple, il a encore fallu négocier avec le directeur de l'OLAF, il y a une semaine, afin de résoudre un conflit de compétences entre Londres, Luxembourg et le parquet de Munich. Au total, l'affaire sera traitée au parquet de Bruxelles. Si nous n'agissons pas, le parquet de Bruxelles sera de facto le procureur européen. Est-ce bien ce que nous voulons ? Est-il possible de confier une tâche aussi importante à des représentants nationaux qui ne disposent pas d'une vraie légitimité au plan européen, qui n'en ont pas les moyens matériels et qui sont soumis aux aléas des considérations de politique nationale qui subsistent. Il y a un danger à ne pas vouloir ouvrir les yeux sur cette forme d'avenir. Le parquet européen n'implique pas une abdication des souverainetés nationales. Il permettrait au contraire d'enrichir les souverainetés nationales et de faire un bond sur le plan qualitatif.

Au-delà des labyrinthes législatifs et des différentes formes de coopération sur papier, la coopération se fait au cas par cas, dossier par dossier. Il faut que les dossiers en question soient le plus léger possible. Or la volonté politique de collaborer n'est pas suffisante pour que les dossiers soient le plus léger possible. Nous devons enregistrer des progrès sur ce plan au niveau européen. Chaque pays dresse ses propres priorités. Certains politiques font même des plans de politique pénale, dont la coopération internationale fait partie. Cela freine la coopération au plan européen. Il faudrait développer la coopération sur le terrain par des politiques pénales européennes plus homogènes. En effet, certains pays sont sensibles à certains thèmes et d'autres non. Je ne vais pas rappeler ici les différends de la matinée sur les enquêtes en matière financière ou sur le trafic de drogue.

Enfin, Eurojust va être créé en parallèle avec Europol. Ne conviendrait-il pas d'envisager un lien structurel de contrôle entre les deux  dans le cadre d'une Europe judiciaire, policière et du droit ? Il suffirait de rédiger la proposition 43 comme suit : « Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'information, d'assister les autorités nationales compétentes dans le déclenchement et l'exercice des enquêtes, de coordonner les enquêtes et de contrôler Europol ».

Arnaud MONTEBOURG

Je vais céder la parole à la délégation allemande. Je céderai ensuite la parole à Monsieur Leclair, Directeur adjoint d'Europol et à Monsieur Vuelta-Simon, magistrat membre du réseau judiciaire européen. La demande de clarification de la délégation britannique est légitime, mais elle ne doit pas donner l'impression d'une volonté restrictive de notre part. Il convient de ne pas formuler une proposition en retrait par rapport à ce que nos gouvernements nationaux ont déjà signé. De ce point de vue, je partage le point de vue de Madame Ludford.

Kurt SCHELTER

Vous ne serez pas surpris si je vous dis que le thème de la coopération policière, judiciaire et administrative permettra de mesurer notre volonté de nous attaquer au blanchiment. En effet, il convient d'afficher une véritable volonté politique de progresser dans la lutte contre la délinquance et la criminalité du point de vue judiciaire et policier.

Le texte a été amélioré au cours des dernières semaines, mais il peut encore l'être. C'est pourquoi je souhaite formuler 8 propositions.

Concernant le point 31, il convient de mettre en exergue le caractère transfrontalier de cette coopération. En effet, cette dernière est plus importante que la coopération nationale.

Le point 33 mentionne l'OLAF. Je me demande si cela est vraiment nécessaire. En effet, cela entretient une certaine confusion dans la mesure où nous donnons l'impression que la fraude communautaire relève du blanchiment, ce qui n'est pas du tout le cas.

Par ailleurs, je propose de mentionner de manière appropriée Europol au point 35. En effet, Europol est l'institution européenne qui a le plus lutté contre le blanchiment d'argent depuis le Traité de Maastricht. Europol a été constitué pour lutter contre le trafic de drogue et contre le blanchiment d'argent lié à ce trafic. C'est pourquoi il ne serait pas approprié de ne pas le mentionner alors que nous avons parlé d'OLAF. Il conviendrait d'ailleurs d'en parler de manière laudative et positive. Le point 35 rappelle que le Conseil de Tampere a créé Eurojust. Or c'est le Conseil de Nice qui a vraiment décidé de la création d'Eurojust. J'estime qu'il est dommage qu'Eurojust ne soit pas représenté aujourd'hui. En effet, au vu des ambitions affichées, il aurait été bon que la présidence espagnole de l'Union veille à ce qu'Eurojust soit représenté ici aujourd'hui.

Du point de vue allemand, l'aménagement de la charge de la preuve représente un problème constitutionnel énorme (point 39). Un renversement de la charge de la preuve n'est pas nécessaire. Par ailleurs, cela serait complètement irrecevable du point de vue de la Constitution allemande. C'est pourquoi j'appelle à une certaine prudence sur le libellé de ce point afin de ne pas se heurter à d'importants obstacles constitutionnels.

Concernant les pays candidats à l'adhésion, je vous propose de souligner que ces pays doivent être en mesure, avant l'adhésion, de participer à toutes les mesures administratives et opérationnelles. Ils doivent pouvoir participer à Europol dès que possible et participer aux travaux d'Eurojust, à titre d'observateurs. Si nous souhaitons vraiment instaurer un espace de liberté, de sécurité et de liberté en Europe, il est évident que les pays candidats à l'adhésion doivent être en mesure de participer à nos travaux dès que possible.

Les événements du 11 septembre 2001 nous ont appris qu'il existait un lien très étroit entre la criminalité organisée, notamment le blanchiment d'argent, et le terrorisme. Il me semble que nous serions bien avisés de souligner combien il est important, afin de lutter contre le terrorisme, de se préoccuper de l'interface entre le terrorisme et la criminalité organisée, c'est-à-dire le blanchiment d'argent.

J'ai constitué, dans le land du Brandebourg, une unité qui ne s'occupe que de l'interface entre le terrorisme et la criminalité organisée, c'est-à-dire le blanchiment d'argent et le trafic de drogue comme en Afghanistan.

Enfin, le point 43 sera un excellent baromètre permettant de juger de notre sérieux dans notre approche. Or ce point est manifestement insuffisant. Je pense que nous sommes sur le point de commettre la même erreur que pour Europol. Lors de la négociation de la Convention d'Europol en 1994, j'étais Secrétaire d'Etat. Lors de la présidence allemande de l'UE, nous nous étions querellés au sujet des compétences d'Europol. La délégation espagnole nous avait exhorté à faire en sorte qu'Europol soit en mesure de lutter contre le terrorisme. Elle pensait à l'ETA. La délégation britannique souhaitait, quant à elle, qu'Europol ne s'occupe surtout pas de terrorisme à cause de l'IRA. Ces querelles nous ont fait perdre un temps précieux en nous conduisant à faire des compromis boiteux. Les événements du 11 septembre 2001 ont enfin permis à Europol de s'occuper de la lutte antiterroriste.

En ce qui concerne Eurojust, il conviendrait de ne pas commettre la même erreur que pour Europol. Si nous souhaitons vraiment progresser, si nous voulons qu'Europol dispose d'un véritable rôle opérationnel et pratique, nous avons vraiment besoin d'un procureur européen. Cela n'entraînerait pas une quelconque perte de souveraineté nationale. En effet, en tant qu'Allemand, je suis au fait des subtilités d'une fédération.

Je souhaite que nous nous efforcions de présenter une proposition musclée, notamment au point 43, en allant jusqu'au bout de ce qui est acceptable afin de respecter les ambitions qui sont à la base d'Eurojust.

Arnaud MONTEBOURG

La proposition minimaliste est due à un certain nombre de divergences, notamment en provenance de la délégation italienne. En effet, cette dernière a fait valoir un certain nombre de questions. Il serait peut-être utile qu'elle puisse s'exprimer à ce stade de nos discussions.

Gilles LECLAIR

J'avais déjà dit lors des derniers groupes de travail que j'étais surpris de ne pas voir citer Europol. Le délégué allemand et la déléguée du Parlement européen ont souligné un certain nombre de points intéressants pour mettre en avant son rôle. D'importants progrès ont été réalisés depuis le sommet de Tampere. En effet, les ministres avaient décidé de nous confier le mandat pour le blanchiment d'argent et pour toutes les formes de criminalité. Cela a été fait à la fin de l'année 2000. Par ailleurs, cela fait maintenant plus de 5 ans que nous sommes engagés dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Ce point a été renforcé par les derniers événements. Nous jouons un rôle important dans la lutte contre le terrorisme, notamment depuis la dernière décision du Conseil européen du mois de septembre 2001. A ce titre, un groupe spécifique comptant une soixantaine de personnes travaille sur la question du financement du terrorisme en collaboration avec les Etats membres. Nous avons un rôle important dans la défense de l'euro. Il existe un lien indirect avec le blanchiment d'argent. Il est probable que les organisations criminelles utiliseront à l'avenir l'euro comme ils utilisent le dollar. Cela va entraîner d'importantes transactions suspectes au sein de l'UE. Europol doit jouer un rôle dans la détection des flux liés à la monnaie européenne.

Par ailleurs, il est bon de ne pas oublier qu'Europol et Eurojust doivent travailler en parallèle. Nous sommes complémentaires. Mais il me semble qu'il est trop tôt pour parler de contrôle. En effet, nous ne sommes qu'un service de renseignement et non pas encore un service de police doté de pouvoirs d'investigation. S'il convient de souligner l'intensification de notre rôle en matière de collecte de renseignements, il est trop tôt pour parler de contrôle d'Europol dans la mesure ou Europol n'a pas de rôle d'enquête directe.

J'ai rédigé un texte qui précise les rôles complémentaires d'Europol et d'Eurojust. Je le tiens à votre disposition.

Samuel VUELTA-SIMON (Chargé de mission à Eurojust)

En ce qui concerne l'avenir, c'est-à-dire le parquet européen, je ferai miens les propos du Procureur de Bruxelles. En effet, Eurojust n'est qu'une étape nécessaire permettant une véritable coopération opérationnelle au sein de l'UE. Ensuite, il conviendra de se poser la question de la création du parquet européen. La Commission a déjà lancé le débat. Il me semble qu'il est presque certain que le Parquet européen verra le jour.

Eurojust fonctionne depuis le mois de mars 2001 de manière opérationnelle. Cette unité résout des problèmes et coordonne des enquêtes au sein de l'UE. Eurojust aura bientôt la possibilité, dès le mois prochain, de demander aux autorités nationales de déclencher des poursuites. C'est pourquoi le libellé de la proposition 43 me semble être en retrait par rapport à la réalité. En effet, l'unité de coordination sera en mesure de demander aux Etats membres de déclencher des poursuites et de réaliser des enquêtes. Cette demande n'aura pas de caractère obligatoire. Cependant, si l'Etat refuse, il devra motiver son refus.

Enfin, consolider le caractère opérationnel d'Eurojust nécessite la transposition d'Eurojust en droit interne afin de donner à son représentant national le statut et les pouvoirs qui vont lui permettre de travailler.

Arnaud MONTEBOURG

Cette proposition peut être débattue. En effet, elle permet à la fois de répondre aux demandes de la délégation allemande et au besoin de clarification exprimé par la délégation britannique.

Roberto CENTARO

En ce qui concerne le point 31, nous pouvons supposer que la coopération judiciaire, policière et administrative porte sur la coopération transfrontalière. En effet, la coopération nationale est régentée par le gouvernement national. Il ne nous revient donc pas d'en parler. Par ailleurs, j'estime qu'il est nécessaire de mentionner Europol. En effet, Europol a bien joué son rôle et mérite d'être mentionné.

Je suis d'accord avec la remarque formulée par le Procureur grec. Le système de la prévention patrimoniale italien qui aboutit à la confiscation des biens de la mafia se fonde sur le renversement de la charge de la preuve et se base également sur le fait que la personne concernée est dangereuse et qu'il n'est pas possible de dissocier la personne de son patrimoine acquis irrégulièrement au regard de son revenu normal. Ce système fondé sur le renversement de la charge de la preuve a fonctionné de manière satisfaisante en Italie. Il permet de porter des coups violents au c_ur même de la criminalité organisée. Il permet aussi de mettre la main sur les biens de la personne concernée pendant qu'elle est en prison. Certains pays de l'UE ont des objections constitutionnelles par rapport au renversement de la charge de la preuve. Il conviendra de résoudre ce problème au niveau de chaque pays. Par ailleurs, le préambule indique la nécessité d'harmoniser les systèmes nationaux. Une clause de sauvegarde est toujours possible.

En ce qui concerne le point 43, il n'est pas possible de s'en sortir avec une simple déclaration de principe. En effet, dire que nous souhaitons l'instauration d'un parquet européen serait prendre nos désirs pour des réalités. Une telle création est tout simplement irréalisable. En effet, nous avons affaire à des organisations diverses des parquets européens. A titre d'exemple, en Italie, le Ministère public fait partie de la magistrature. Il est totalement indépendant de toute puissance politique, qu'elle soit exécutive ou législative. Dans d'autres pays, il existe un lien de dépendance entre le parquet et l'exécutif. En Italie, il est obligatoire d'engager des actions pénales. Par ailleurs, il existe un grand nombre de différences entre le droit fondamental et le droit des procès qui prévaut dans la plupart des pays de l'UE. Au vu de ces divergences, la constitution d'un parquet européen serait très difficile. Un parquet européen qui ne prendrait pas en considération ces divergences risquerait de supplanter les souverainetés nationales, ce qui entraînerait des conflits et une concurrence néfaste. Cependant, le parquet européen doit être un but pour nous tous in fine. Comme l'ont dit les orateurs précédents, il est nécessaire de consolider l'activité d'Eurojust. Une fois que nous aurons harmonisé les organisations et les procédures, nous pourrons envisager le parquet européen.

Je pense que la coordination des enquêtes nationales ou internationales ne peut pas être automatique. Sinon, il faudrait instaurer une instance spécifique qui serait responsable des enquêtes internationales. Il reviendrait aux autorités nationales de savoir si elles veulent participer à telle ou telle enquête. Cela serait réducteur. En effet, Eurojust est le lieu où se concentrent les informations en provenance des activités d'Europol. Eurojust devrait être en mesure de fournir des informations aux gouvernements et une aide très précieuse. Pour renforcer le rôle d'Eurojust, nous pourrions interpréter le terme « assister ». Eurojust pourrait donner des indications, voire une impulsion, qui permettraient aux autorités nationales d'aller de l'avant sur la base des informations recueillies auprès d'Eurojust. Je ne pense pas que nous pouvons aller au-delà. En effet, si nous allions au-delà, nous risquerions d'empiéter sur la souveraineté nationale.

Si le terme « assister » du point 43 signifiait qu'Eurojust fournit les informations utiles pour le déroulement de l'enquête, cela serait acceptable.

Arnaud MONTEBOURG

Deux points sont en débat : l'allègement de la charge de la preuve, qui renvoie au partage de la preuve et qui pose un certain nombre de problèmes constitutionnels nationaux, et le fait d'autoriser Eurojust à demander aux autorités nationales d'engager des poursuites.

Dans certains pays, comme l'Italie ou la France depuis peu, les mécanismes d'allégement sont entrés en vigueur et fonctionnent. Un document intéressant du groupe multidisciplinaire sur la criminalité organisée du Conseil de l'UE a procédé à l'évaluation du renversement de la charge de la preuve dans les pays membres. D'une part, cela va plus loin que ce que nous proposons. D'autre part, l'ensemble des praticiens considèrent qu'il s'agit de l'une des conditions préalables pour lutter efficacement contre la criminalité organisée. Je rejoins donc ce qu'a dit le Président Centaro. En effet, il sera un jour inévitable de faire évoluer nos droits positifs nationaux en compatibilité avec les exigences constitutionnelles. La jurisprudence des Cours constitutionnelles est évolutive et interprétative. Les exigences mondiales de la lutte contre le blanchiment nous permettront peut-être de convaincre les autorités constitutionnelles à ce sujet.

Par ailleurs, il est proposé qu'Eurojust puisse demander aux autorités nationales d'engager des poursuites. Il me semble que cette proposition permet de répondre aux exigences britanniques en matière de clarification du rôle au regard de la souveraineté nationale des pays membres ayant des magistrats au sein d'Eurojust. En effet, demander à une autorité nationale de déclencher, c'est respecter la souveraineté nationale de ce pays.

Enfin, je pense que nous pouvons tous nous entendre sur le parquet européen en tant qu'objectif. Savoir s'il est réalisable ou non est à mon sens superflu. En effet, nul se sait vraiment ce qui peut être réalisé dans les objectifs que nous nous fixons. L'histoire jugera. Quoi qu'il en soit, nous avons au moins le désir de tendre vers la création d'un parquet européen et, entre temps, d'aboutir à un renforcement des moyens d'Eurojust au travers de la proposition membre du réseau européen.

Je vous demande de réagir sur cette proposition de synthèse afin d'établir une rédaction plus forte marquant l'espoir d'un parquet européen.

Jeannot KRECKE (Luxembourg - Chambre des députés)

Nous préférons un texte annonçant le partage de la charge de la preuve plutôt qu'un texte prévoyant son renversement.

Dans le point 40, était prévu un mécanisme de partage entre les Etats des avoirs confisqués à l'issue d'une coopération internationale. Ce passage a disparu. Je n'ai pas très bien compris pourquoi. En effet, nous avons déjà appliqué cette disposition. A ce titre, nous avons opéré un certain nombre de partages qui n'ont pas encore donné lieu à des discussions. Si nous voulons tendre vers un tel mécanisme qui rend la confiscation possible dans tous les pays, il convient aussi de voir ce que nous allons faire du produit de la confiscation. La délégation luxembourgeoise souhaite que ce passage soit réintroduit.

Karsten NONBO

Concernant le point 43, la proposition de la délégation britannique est très proche de celle que nous allions faire. Par conséquent, nous soutenons la proposition britannique visant à consolider l'efficacité d'Eurojust en permettant, au-delà d'un échange d'informations, un soutien mutuel des autorités compétentes dans le déclenchement et la réalisation de poursuites judiciaires et par la coordination des enquêtes.

Eurojust vise simplement à aider les parquets nationaux, dans le cadre d'enquêtes et de poursuites judiciaires, par l'échange d'information notamment. Eurojust ne peut rien exiger des Etats membres dans le cadre de poursuites pénales. Les Etats membres définissent les prérogatives des membres d'Eurojust. Lors de la création d'Eurojust, le Danemark estimait qu'Eurojust ne devait pas avoir de fonctions opérationnelles. Cela reste le point de vue danois.

Mme Sarah LUDFORD

Je crois qu'il serait utile d'avoir le texte qui a procédé à la création d'Eurojust. Il faudrait savoir savoir ce qui incombe aux Etats membres lorsqu'il s'agit d'assister Eurojust et inversement. Cela n'est pas dit clairement dans le cadre de la proposition 43. Il ne faudrait pas proposer moins que ce qui existe déjà. Ce qui irait au-delà de ce qui existe déjà, comme l'ingérence dans les investigations nationales, nécessiterait la formulation d'une réserve (« si nécessaire »). Mais, je ne pense pas que cette expression puisse cadrer avec le mandat d'Eurojust et je crains que le terme « si nécessaire » soit trop restrictif.

Gilles LECLAIR

Je ne crois pas que le texte comporte l'expression « si nécessaire ». Le droit de demander au procureur de mener des investigations existe. Il ne s'agit cependant pas d'une obligation pour les Etats-membres, mais s'ils refusent, ils doivent motiver leurs refus. Europol et Eurojust ont les mêmes droits en la matière.

Mme Sarah LUDFORD

Vous ne devez pas attendre une requête des autorités nationales.

Mme Marie-Theresia FEKTER

Je souhaite intervenir sur le point 39. Afin d'éliminer les problèmes qui se posent à l'Autriche en ce qui concerne l'allègement de la charge de la preuve, je souhaite formuler une proposition. Il n'est pas possible de changer la charge de la preuve. Il s'agit d'un droit de l'homme qui figure à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH). Je crois que vous serez tous d'accord pour affirmer qu'il convient d'appliquer cet article. Ainsi, nous pourrions mentionner cet article de la CEDH au point 39 en indiquant que l'introduction d'une règle d'allègement de la charge de la preuve ne peut se faire que dans le cadre de l'article 6 de la CEDH. Cela permettrait d'établir un cadre européen pour l'allègement de la charge de la preuve. Je tiens d'ailleurs à dire que les traductions dont nous disposons peuvent donner lieu à diverses interprétations. En effet, les termes « allègement » et « aménagement » renvoient à des significations différentes.

Hugo VANDENBERGHE

La Cour européenne des droits de l'Homme a déjà plusieurs fois jugé que la présomption d'innocence et la preuve sont distinctes. En effet, la présomption d'innocence n'implique pas qu'il ne faut jamais rien prouver lorsque l'on est poursuivi. Le renversement du fardeau de la preuve peut se produire en fonction d'éléments matériels du dossier. La première affaire jugée en la matière par la Cour européenne des droits de l'Homme concernait la France au début des années 1990. Il s'agissait de la saisie d'une valise de drogue d'un passager à Orly. Le passager en question peut dire qu'il ne s'agit pas de sa valise ou que quelqu'un d'autre a placé la drogue dans la valise. N'y a-t-il pas, dès lors, renversement du fardeau de la preuve en fonction des éléments ? Il ne faut jamais demander au procureur de faire la preuve diabolique. Cela n'a rien à voir avec la présomption d'innocence. Il convient d'être humain. Des aménagements sont possibles en matière de partage de la preuve. Pour répondre aux diverses inquiétudes, il suffit de faire référence à l'article 6.2 de la CEDH au point 39. Dès lors, nous disposons des garanties constitutionnelles nécessaires.

Olivier MAINGAIN (Belgique - Chambre des représentants)

Concernant le point 43, personne ne plaide pour qu'Eurojust se substitue aux autorités nationales. Cependant, Eurojust ne doit pas uniquement jouer un rôle d'assistance à la demande. Eurojust joue aussi un rôle de signal d'alarme. Voilà pourquoi je propose que le point 43 soit rédigé comme suit : « consolider le pouvoir d'initiative et le caractère opérationnel d'Eurojust », ce qui soulignerait la dimension novatrice d'Eurojust au regard des textes adoptés.

Concernant le parquet européen, je rejoins l'analyse du Procureur du Roi de Bruxelles. Il convient de dissocier ce débat de celui d'Eurojust. Si nous laissons apparaître un lien entre les deux, nous faussons le débat. En ce qui concerne le parquet européen, l'UE doit avoir les moyens juridictionnels de la poursuite d'un certain nombre de manquements aux législations relevant du champ de compétence communautaire. En fait, les institutions européennes sont privées d'un moyen d'action par rapport à leur propre champ de compétence. C'est dans ce sens-là qu'il faut plaider pour le parquet européen et qu'il faut retenir un alinéa sur ce sujet.

Jean SPREUTELS

En ce qui concerne le partage de la charge de la preuve et la référence à l'article 6.2 de la CEDH, il se peut que le paragraphe 9 du projet de déclaration suffise. En effet, l'article 9 du projet de déclaration fait une référence générale à la Convention.

Concernant le paragraphe 33, il est vrai que le groupe Egmont a jeté les bases de la coopération entre les unités de renseignement financier, mais il n'est pas exact de dire qu'il ne s'agit que d'une coopération de nature administrative. En effet, ces unités sont par essence de nature juridique différente (administrative, judiciaire et policière). Le groupe Egmont vise, entre autres, à vaincre les obstacles juridiques créées par cette diversité juridique. C'est pourquoi je propose la suppression du terme « administrative ».

Concernant l'OLAF, il existe une Convention portant sur la lutte contre la fraude des intérêts financiers des Communautés. Les protocoles de cette Convention visent expressément le blanchiment des capitaux provenant de la fraude communautaire. Par conséquent, il est logique de mentionner l'OLAF dans les conclusions de cette conférence. Par ailleurs, une Directive tendant à élargir son champ d'action en la matière et à instaurer une coopération entre l'OLAF et les services nationaux compétents est en préparation. Il est aussi légitime de se référer à Europol dans les conclusions de cette journée.

Mme Soledad BECERRIL

Je souhaite indiquer au représentant allemand, en tout amitié, que la présence de membres d'Eurojust n'a rien avoir avec la présidence de l'UE. La présence d'une délégation espagnole lors de cette conférence résulte de l'invitation de l'Assemblée nationale qui organise la conférence. Vous n'êtes pas sans savoir que les Espagnols sont très disciplinés dans tous les domaines. L'Assemblée nationale a fourni une liste de noms. Nous sommes tous là. Seul un spécialiste anti-corruption n'a pas pu être parmi nous pour des raisons de calendrier. La présidence espagnole n'a fait aucune suggestion à ce propos.

Concernant le point 39, plusieurs intervenants ont indiqué qu'ils souhaitaient voir la mention de l'article 6 de la CEDH. Je ne suis pas contre si cela permet de rendre le texte plus clair. Cependant, le libellé du texte est délicat. Nous savons tous très bien ce que nous voulons dire. Nous savons quel est l'esprit dans lequel nous travaillons, mais ceux qui n'ont pas suivi tous nos travaux auront peut-être plus de mal à faire le lien avec la CEDH.

Arnaud MONTEBOURG

Si le représentant d'Eurojust nous a fait défaut à la dernière minute, cela relève de notre seule responsabilité.

John McFALL

J'ai écouté vos propositions. Nous sommes en train de débattre de deux questions distinctes. En effet, il convient de distinguer la question du Parquet européen, qui a été rejeté pour l'instant, et celle d'Eurojust sur laquelle il faut se concentrer. Certains collègues ont dit que chacun doit rester maître chez lui. Cela ne pose pas de problème par rapport au texte que j'ai proposé. Le problème que je soulevais se trouve au c_ur de la question constitutionnelle et judiciaire.

Je crois qu'il convient de maintenir l'ajout des deux mots que j'ai proposé, ainsi que la proposition d'amendement que vous avez formulée, Monsieur le Président. Ainsi, le point 43 serait rédigé ainsi : « Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'informations, d'assister les autorités nationales compétentes, le cas échéant, (ou lorsque la demande en est faite) dans le déclenchement et l'exercice des poursuites et la coordination des enquêtes et, le cas échéant, de demander aux autorités nationales de lancer la procédure ».

Je crois que cette proposition permet de couvrir tous les points de vue. En effet, l'intervention d'Eurojust est satisfaisante et les responsabilités de chacun sont clairement établies.

Arnaud MONTEBOURG

Je vous remercie tous. Je souhaite vous faire les propositions suivantes en tenant compte de l'ensemble des arguments échangés

- Paragraphe 31

Le mot « transfrontalière » serait ajouté après le mot « coopération ».

- Paragraphe 33

La suppression du terme « administrative » est proposée dans la première phrase du paragraphe.

- Paragraphe 35

Il est proposé d'ajouter les mots suivants dans la deuxième phrase du paragraphe : «, après la création d'Europol qui a créé les bases de la coopération judiciaire, ».

Il est proposé d'insérer les mots « confirmée par le Conseil européen de Nice », après le mot  « Eurojust ».

- Paragraphe 39

La rédaction suivante est proposée afin de surmonter les difficultés liées à la traduction : « Instituer un partage de la charge de la preuve de l'origine criminelle des capitaux dans le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales».

- Paragraphe 43

Je souhaite formuler la proposition suivante afin de répondre à l'ensemble des demandes et des objections : « Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'information, de demander aux autorités nationales compétentes de déclencher et d'exercer des poursuites, de les assister dans ce cadre, et de coordonner les enquêtes, en vue de la création future d'un parquet européen ». Cela nous permet de clarifier le rôle d'Eurojust, de ne pas oublier un objectif lointain et de placer l'initiative dans les mains d'Eurojust qui se contente de demander, d'assister et de coordonner en cas de réponse positive.

Roberto CENTARO

Je préférerait qu'Eurojust donne des indications pour déclencher les enquêtes. En effet, la demande d'enquête pourrait favoriser le fait qu'Eurojust promeut l'enquête. Le parquet national pourrait ne pas être d'accord. Il convient donc d'indiquer la nécessité de déclencher une enquête afin de préserver la souveraineté nationale.

En ce qui concerne la création d'un parquet européen, il serait plus satisfaisant d'indiquer qu'elle pourrait avoir lieu après l'harmonisation des droits essentiels et de poursuite.

Hugo VANDENBERGHE

Monsieur le Président, je trouve que votre compromis est très satisfaisant. En effet, il n'est pas possible de formuler des propositions en retrait par rapport à ce qui existe à l'heure actuelle en ce qui concerne Eurojust. Par ailleurs, la perspective d'un Parquet européen doit être retenue. En effet, il convient de ne pas donner l'impression qu'Eurojust est une fin en soi.

Mme Maria-Theresia FEKTER

J'ai sous les yeux le texte de Tampere. Le compromis qui vient d'être proposé n'en tient pas compte. Il me semble que nous étions arrivés à un consensus au cours des délibérations du mois de janvier 2002. En effet, nous étions d'accord pour ne pas mentionner l'idée d'un Parquet européen. J'ai l'impression que vous essayez de le réintroduire par la petite porte. Je trouve que cela n'est pas juste. Etant donné qu'il est fait mention du caractère opérationnel, que nous faisons référence à des poursuites pénales et à un Eurojust opérationnel, nous allons bien au-delà de l'esprit de Tampere. En effet, il y avait été décidé qu'Eurojust ne serait qu'un instrument d'échange d'informations. C'est pourquoi je vous demande d'abandonner la partie de votre compromis qui fait référence au Parquet européen.

Arnaud MONTEBOURG

Je vous remercie de cette franchise. Cela dit, il ne s'agit pas d'une petite porte, mais d'une perspective. Par ailleurs, je ne faisais que répondre à la proposition de la délégation italienne.

John McFALL

Monsieur le Président, je ne suis pas d'accord. Il ne s'agit pas d'une proposition qui vise à réintroduire le Parquet européen par la porte arrière, mais par la porte cochère. Je ne sais pas si vous avez bien suivi les débats cet après-midi. Si vous souhaitez dégager un consensus, il n'est pas possible de mentionner l'idée d'un Parquet européen. Il s'agit d'une régression et non pas d'un progrès.

Mme Sarah LUDFORD

Je crois en effet que cette phrase peut prêter à confusion. En effet, assister les autorités nationales compétentes va au-delà de ce que peut faire Eurojust et de son mandat. Il me semble qu'il faut consolider le caractère opérationnel d'Eurojust. Ainsi, nous nous limitons à une simple description du mandat d'Eurojust.

Il me semble que la proposition portant sur le Parquet européen est légèrement provocatrice. Le livre vert de la Commission européenne du mois de décembre 2001 sur le Parquet européen souhaite protéger les finances communautaires contre la fraude et la corruption. Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que cette mention soit capitale dans un document sur le blanchiment d'argent. Eurojust, dans votre proposition de compromis, risque de mettre en danger le consensus. Le paragraphe 43 doit indiquer qu'il faut renforcer le caractère opérationnel d'Eurojust. Il faut juste qu'Eurojust puisse se mettre au travail.

Arnaud MONTEBOURG

Je vous propose donc la formulation définitive suivante pour le paragraphe 43 : « Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'information, de demander aux autorités nationales compétentes de déclencher et d'exercer des poursuites, les assister dans ce cadre et de coordonner les enquêtes ». Le parquet européen n'est pas né aujourd'hui dans l'esprit parlementaire européen. Je vous donne rendez-vous dans peu de temps à l'invitation de la délégation britannique pour poursuivre nos travaux.

Roberto CENTARO

La perspective du Parquet européen doit être vue à plus long terme. Il est donc possible de retirer cette référence au Parquet européen. Cela créerait trop de problèmes. Il convient peut-être de mentionner l'harmonisation des droits de poursuite. Plutôt que de déclencher les poursuites, il faudrait peut-être trouver une autre formulation. En effet, déclencher les poursuites impliquer l'attribution d'un pouvoir fort. En revanche, l'indication d'éléments permet de fournir des éléments de connaissance afin de déclencher les poursuites. S'il y avait un refus de demande, ce refus ne devrait pas être motivé car Eurojust n'est pas soumis au Parquet national. Déclencher une action pénale relève du Parquet national. Il conviendrait de dire : « Donner des éléments pour déclencher des poursuites ». Ainsi, le parquet national décide seul des poursuites.

Arnaud MONTEBOURG

La rédaction proposée ne porte pas atteinte à la souveraineté nationale. En effet, il n'est pas dit, et il ne peut pas être déduit de la formulation proposée que l'autorité judiciaire nationale souveraine est obligée de justifier un refus. Il ne s'agit que d'une proposition d'Eurojust qui n'est pas rendue publique. En effet, elle est faite dans le cadre de la coopération secrète menée dans un cadre européen. Il est simplement proposé à l'autorité judiciaire d'y donner suite ou non. Il n'est pas demandé à l'autorité judiciaire nationale de justifier le refus. En effet, il y aurait alors atteinte à la souveraineté. Votre objection me semble être inopérante au regard de la proposition finale. Au total, il me semble que l'accord final, grâce à l'apport constructif de chacun, permet de donner une impulsion à Eurojust en allant au-delà de Tampere. L'accord final présente une certaine volonté politique.

John McFALL

Monsieur le Président, vous m'avez coupé l'herbe sous le pied. Je suis prêt à vous suivre en raison de l'esprit de consensus. L'esprit de mes remarques et de celles d'autres intervenants sur les questions de constitution et de souveraineté est sous-jacent au paragraphe 43. Je m'incline devant le texte que vous avez proposé.

Jeannot KRECKE

Si vous souhaitez conclure, Monsieur le Président, je souhaite obtenir une réponse sur ma proposition portant sur la réintroduction, dans le paragraphe 41, du partage des avoirs confisqués.

Arnaud MONTEBOURG

Ce point a rencontré un certain nombre d'objections sur le plan technique. Cependant, si aucune délégation ne voit d'objection fondamentale à sa réintroduction, il en est ainsi décidé.

Panagiotis NIKOLOUDIS

La réponse est claire sur le produit de la confiscation. Il s'agit d'une question qui est régit par des accords bilatéraux entre Etats. Cela peut constituer une solution satisfaisante.

Arnaud MONTEBOURG

Nous avons largement progressé. Nous pouvons dorénavant retourner devant nos Parlements nationaux. Je tiens à attirer votre attention sur le fait qu'une réunion d'harmonisation linguistique va avoir lieu immédiatement. Demain matin, la séance débutera à 9h00 du matin par une intervention du Premier Ministre français, Lionel Jospin.

La séance est levée à 18h35.

SÉANCE SOLENNELLE

Vendredi 8 février 2002

Liste des participants :

I) Etats membres

Allemagne

Bundestag

M. Frank HOFMANN, député

M. Andreas NOTHELLE, fonctionnaire

Mme Vesna POPOVIC, conseillère

Bundesrat

Dr Kurt SCHELTER, ministre de la justice et des affaires européennes du Brandebourg

Mme Dagmar ZIEGLER, ministre des finances du Brandebourg

Dr Marcus WENIG, dirigeant du bureau de représentation du Brandebourg à Bruxelles

Autriche

Nationalrat

Mme Maria-Theresia FEKTER, présidente de la commission des lois du Nationalrat

Bundesrat

M. Ferdinand GSTÖTTNER, président de la commission des lois du Bundesrat

Belgique

Chambre des représentants

M. Hugo COVELIERS, président du groupe libéral flamand

M. Dirk VAN der MAELEN, président du groupe socialiste flamand

M. Olivier MAINGAIN, président de la commission des finances

Sénat

M. Hugo VANDENBERGHE, président de la commission du suivi en matière de criminalité organisée

M. Thierry DEWAELE, secrétaire de la commission du suivi en matière de criminalité

Danemark

M. Karsten NONBO, député

M. Frode SORENSEN, député

Mme Lotte Vibilo SCHONAU, conseiller juridique

Espagne

Congrès des députés

Mme Soledad BECERRIL, vice-présidente

Mme Silvia MARTIN, conseillère juridique

Sénat

M. Alfredo PRADA, premier vice-président

M. José-Manuel BRETAL, conseiller juridique

France

Assemblée nationale

M. Vincent PEILLON, président de la mission d'information sur le blanchiment

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur de la mission

Sénat

M. Bernard ANGELS, vice-président du Sénat

M. Christian OUDIN, conseiller

Grèce

Parlement hellénique

M. Apostolos KAKLAMANIS, président du Parlement

Mme Maria ARSENI, députée

M. Panagiotis NIKOLOUDIS, procureur général

M. Andreas GIANNOPOULOS, conseiller spécial

Mme Maria APOSTOLOU, directrice du département des relations européennes

Mme Paraskevi DROSSOU, interprète

Mme Elli HASSAPOPOULOU, fonctionnaire

Mme Eleni KONSTANTINIDOU, fonctionnaire

Irlande

Dail Eireann

M. Michael AHERN, député

M. Jim MITCHELL, député

Seanad Eireann

M. Michael FINNERAN, sénateur

Mme Marie FENNELL secrétaire de la commission des finances et du service public

Italie

Chambre des députés

M. Donato BRUNO, président de la commission des affaires constitutionnelles

M. Gian Claudio BRESSA, vice-président de la commission des affaires constitutionnelles

M. Pietro FONTANINI, vice-président de la commission des affaires constitutionnelles

M. Fabrizio CASTALDI, conseiller auprès de la commission des affaires constitutionnelles

M. Gianfranco NERI, fonctionnaire au bureau des relations avec l'Union européenne

Mme Cristina DI PIETRO, interprète

Sénat

M. Roberto CENTARO, président de la commission parlementaire d'enquête sur la criminalité mafieuse

M. Sebastiano CARDI, conseiller diplomatique du Président du Sénat

Mme Laura BOEZIO, attachée au protocole

M. Alessio COLARIZI, interprète

Luxembourg

Chambre des députés

M. Lucien WEILER, président de la Commission des finances et du budget

M. Jeannot KRECKÉ, président du contrôle et de l'exécution budgétaire

M. Laurent MOSAR, membre de la commission des finances et du budget

Pays-Bas

Chambre des représentants

Mme Timeke WITTEVEEN-HEVINGA, députée

Portugal

Assemblée de la République

M. Antonio de ALMEIDA SANTOS, président de l'Assemblée de la République

M. José NIZA, attaché de presse

Royaume-Uni

Chambre des communes

M. John McFALL, président du « Treasury Select Committee »

M. Michael FALLON, vice-président du « Treasury Select Committee »

M. Alex KIDNER, secrétaire du « Treasury Select Committee »

Parlement européen

Baroness Sarah LUDFORD, députée

Mme Marie-Christine de SAINT-ARAILLE, directrice adjointe

II) Observateurs : pays candidats et Russie

Bulgarie

Assemblée nationale

Mme Kamelia KASSABOVA, vice-présidente

Mme Ina KILEVA, conseillère de la vice-présidente

Chypre

Chambre des représentants

M. Marcos KYPRIANOU, président de la commission des finances

Estonie

M. Rein VOOG, député

Hongrie

M. Janos HORVATH , député, président de la sous-commission de l'intégration européenne

M. Jozsef OROSZ, fonctionnaire

Lettonie

M. Aleksandrs KIRSTEINS, député

Lituanie

Seimas (Parlement lituanien)

Mme Giedré PURVANECKIENÉ, députée

Malte

Chambre des représentants

M. Victor GALEA PACE, député

M. Gavin GULIA, député

Roumanie

Sénat

M. Aristide ROIBU, président de la commission juridique

République de Slovénie

Assemblée nationale

M. Jozef BERNIK, membre de la commission des finances et de la politique monétaire

République Tchèque

Sénat

M. Janoslav PETRIK, sénateur

Turquie

Parlement de Turquie

M. Ahmet TAN, député, vice-président de l'assemblée parlementaire de l'OSCE

M. Nejat COSKUN, directeur du département d'enquête sur la criminalité financière au ministère des finances

Russie

Douma d'Etat

M. Vladimir LOUKINE, vice-président de la Douma

M. Mikail GRICHANKOV, député

M. Nikolaï BROUSNIKINE, député

Mme Natalia MIRZA, assistante

M. Vladimir OUSTINOV, conseiller parlementaire

M. Sergueï PARINOV, interprète

III) Experts

M. Bernard BERTOSSA, procureur général de Genève

M. Harlem DESIR, député européen

M. Jean-François THONY, conseiller à la Cour d'appel de Versailles

M. Gilles LECLAIR, directeur adjoint d'Europol

M. Jean SPREUTELS, président de la Cellule de Traitement des Informations financières (Belgique)

La séance est ouverte à 9 heures 11, sous la présidence de M. Raymond FORNI.

Raymond FORNI (Président de l'Assemblée nationale - France)

Je suis heureux d'ouvrir cette dernière journée de la Conférence européenne sur le blanchiment et d'accueillir à cette occasion Monsieur le Premier ministre, Lionel Jospin, les Présidents des Parlements de Grèce et du Portugal et les parlementaires de 33 assemblées venant de 25 Etats membres de l'Union européenne et pays candidats à l'adhésion, ainsi que les représentants du Parlement européen. Il nous a notamment paru intéressant que les pays désireux de nous rejoindre au sein de l'Union européenne nous fassent part des engagements qu'ils seraient prêts à prendre dans le domaine de la lutte contre le blanchiment. Nous nous réjouissons également de la présence de la Fédération de la Russie qui a adopté une loi importante contre le blanchiment, il y a quelques jours.

Je tiens à rendre hommage au travail accompli par l'ensemble des délégations et des experts européens depuis trois mois lors des deux réunions du Comité de pilotage. Les échanges fructueux qui se sont noués à ces occasions ont permis de parachever le texte qui vous est aujourd'hui proposé, tout en tenant compte le plus possible de vos suggestions.

Je rappelle les raisons de notre présence ici. Le blanchiment est une maladie de nos démocraties qui affecte depuis trop longtemps notre vie économique. Cette perversion des circuits financiers internationaux facilite le développement d'une criminalité grave liée aux fraudes, au trafic de drogue, aux activités mafieuses et à la corruption. Les attentats du 11 septembre ont en outre provoqué une prise de conscience internationale en faisant ressentir l'urgence qu'il y a à lutter contre le terrorisme, qui a parfois recours à des circuits identiques et à des méthodes semblables à celles du blanchiment pour son financement. Combattre le blanchiment, c'est aussi combattre le terrorisme. Ce combat nécessite de prendre des mesures fermes. Ainsi, il ne convient pas seulement de traquer quelques centaines de comptes suspects, mais de réexaminer plus globalement les règles qui régissent les mouvements de capitaux. Les chiffres montrent l'ampleur du mal et de la tâche. L'argent sale représente ainsi plus de 500 milliards de dollars. Quant aux paradis fiscaux, où plus de 4 000 banques off shore et plus de 2 millions de sociétés écrans ont été recensées, ils drainent plus de la moitié des avoirs détenus hors frontières.

Face à cette menace, les parlementaires que nous sommes doivent jouer pleinement leur rôle, mais ils ne le peuvent qu'en travaillant de concert avec les gouvernements, l'Union européenne et les instances internationales, comme le Conseil de l'Europe. Qu'il s'agisse de ratifier dans les meilleurs délais les conventions internationales ou d'élaborer des règles propres et compatibles entre elles au sein de l'Union, il est de notre responsabilité d'élaborer dans nos Assemblées l'instrument essentiel de la lutte contre le blanchiment : la loi.

Notre démarche s'inscrit dans la ligne du sommet de Laeken, au cours duquel les engagements pris à l'égard des orientations politiques et des objectifs définis à Tampere ont été réaffirmés. Ce sommet a également permis de ressentir la nécessité de donner de nouvelles impulsions. La conférence d'aujourd'hui en est l'illustration. Il a été demandé lors de ce sommet que les décisions prises par l'Union européenne soient rapidement transposées dans le droit national et que les conventions conclues depuis Maastricht soient ratifiées sans délai. Or, cette réunion des représentants des Parlements nationaux nous a permis de prendre conscience du retard pris en la matière, de façon sereine et sans détour. En tant qu'Européens, nous devons montrer la voie. Nous devons assumer notre part de responsabilité : plus de la moitié du blanchiment direct ou indirect des capitaux se produit au sein de l'Europe et dans ses territoires annexes. Nous ne pouvons plus traiter ce problème de manière isolée, car il exige un dépassement des clivages politiques traditionnels pour être appréhendé au niveau européen, dans le souci de bâtir un consensus le plus large possible. La diversité des interventions dont nous avons bénéficié hier le démontre. Nous pourrons dès lors, si vous le souhaitez, nous adresser d'une seule voix aux autres pays et organisations multilatérales, en vue de forger ensemble les instruments d'une nouvelle régulation.

Nous avons besoin d'un socle de mesures impliquant tous les secteurs et tous les acteurs concernés par le blanchiment. C'est pourquoi nous vous proposons aujourd'hui de devenir, dans vos Parlements et dans vos pays respectifs, les porte-parole de ce message exigeant que constitue « la Déclaration de Paris sur le blanchiment ». Nous vous proposons aussi de suivre la suggestion de la délégation néerlandaise, c'est-à-dire de prendre d'ores et déjà rendez-vous pour évaluer l'impact de nos engagements et de nos décisions dans le cadre de nos politiques nationales, puis de nous réunir régulièrement pour faire le point sur les avancées de nos travaux et de nos réflexions.

L'assemblée que vous formez aujourd'hui démontre que nous avons eu raison de parier sur la détermination des plus engagés des parlementaires de l'Union européenne et de la « Grande Europe ». Par cet engagement, nous pourrons en effet traduire en actes l'ambition que nous affirmons aujourd'hui et qui nous anime tous et toutes.

Lionel JOSPIN, Premier Ministre - France

Nous sommes aujourd'hui réunis pour évoquer un enjeu qui concerne l'ensemble de la planète : la lutte contre le blanchiment des capitaux. Cette préoccupation est déjà ancienne pour la communauté internationale. Elle consistait à l'origine à empêcher le recyclage de sommes d'argent considérables, drainées par le trafic des stupéfiants. Puis cette lutte s'est élargie au blanchiment des fonds provenant d'autres crimes : le grand banditisme, le proxénétisme, le trafic d'êtres humains et la corruption. Or, désormais, la globalisation rend possible le transit de plusieurs centaines de millions de dollars autour de la planète, en l'espace de quelques secondes, à l'occasion d'un transfert électronique, au cours duquel l'auteur ou le bénéficiaire est susceptible de revêtir de multiples identités. La lutte contre le blanchiment des capitaux doit donc changer de dimension. Plusieurs déclarations ont été faites en ce sens et la lutte contre le blanchiment est désormais reconnue comme un des volets essentiels de la régulation financière internationale.

Agissons-nous suffisamment ? Il est évident que nous ne pouvons espérer un développement économique durable sans un système financier sain, robuste et intègre. L'intégrité des systèmes financiers est un bien public mondial. Elle nécessite donc une action publique collective de régulation. L'Europe se situe à la pointe de cette action et la réunion d'aujourd'hui témoigne de notre mobilisation. Face au blanchiment, l'Europe doit parler d'une seule voix et affirmer ses positions sur la scène internationale.

La lutte contre la criminalité organisée et le renforcement de la régulation internationale font partie du projet européen. L'Europe ne se résume pas à un marché intérieur, disposant désormais d'une monnaie unique. Elle symbolise aussi une communauté de valeurs, dans laquelle la liberté, le progrès social et l'intégrité de la personne humaine sont essentiels. En tant qu'Européens, nous estimons que la finance est au service de l'économie qui est elle-même au service de l'Homme. Nous n'admettons donc pas que nos systèmes financiers puissent être utilisés à dessein de faire prospérer le produit du crime. Les Européens se doivent d'être exemplaires. C'est pourquoi je me réjouis des progrès sans précédent accomplis par le droit européen, entre 1999 et 2001, dans trois domaines essentiels : la prévention, la répression et la coopération judiciaire. L'appel de Genève n'est pas resté lettre morte et le sommet de Tampere marque une étape majeure dans la mobilisation de l'Europe contre la criminalité transfrontière, notamment avec la création d'Eurojust.

L'Europe ne peut tolérer l'existence d'entités opaques ou anonymes, comme les trusts, fiducies, fondations anonymes ou sociétés pour non-résidents, par lesquelles transitent des flux financiers considérables, sans rapport avec les échanges économiques réels et qui n'ont d'autre but que d'empêcher l'identification de leurs ayants droits économiques. Ces entités constituent fréquemment un vecteur très efficace des opérations de blanchiment. Elles sont également propices aux manipulations comptables, comme nous avons pu le constater à l'occasion de la débâcle d'Enron. Cette entreprise excellait dans l'affichage d'une rentabilité d'autant plus élevée que ses pertes étaient cachées dans des « véhicules spécialisés », c'est-à-dire des filiales le plus souvent localisées dans des centres financiers off shore. Aujourd'hui encore, il est possible de créer dans certains territoires, avec moins de 100 dollars et en 15 minutes, une « boîte à lettres » permettant d'abriter les activités financières les plus répréhensibles derrière l'écran de l'anonymat, du secret bancaire ou de l'absence de coopération administrative ou judiciaire. Nous devons mettre fin à ces facilités qui autorisent toutes les dérives, en agissant au préalable chez nous, en Europe. La création d'une norme minimale de transparence a notamment été identifiée comme une action prioritaire lors du sommet de Tampere. La Commission doit fournir un rapport sur cette question et proposer un dispositif précis, mais les progrès réalisés sont encore faibles, comme l'a constaté le dernier conseil JAI / ECOFIN. La France veillera à ce que de nouveaux retards n'affectent pas l'évolution de ces travaux de première importance, dont le GAFI (Groupe d'Action Financière) est également saisi.

Ce combat doit également être mené à l'échelle du monde, la qualité de la régulation internationale dépendant toujours du maillon le plus faible. Face à l'intégration croissante des marchés financiers, il est désormais crucial de s'assurer de la participation de tous à ce combat. Aucun pays ne doit fonder son développement sur des stratégies de « moins-disant » réglementaire. Une telle approche est en effet indéfendable, car elle fait payer à l'ensemble du système le prix des dérives autorisées par quelques-uns. Cessons donc toute complaisance à l'égard des centres financiers qui s'affranchissent délibérément des disciplines collectives. Lorsqu'un centre off shore continue à les ignorer malgré plusieurs rappels à l'ordre, il nous faut prendre des contre-mesures, comme l'a récemment fait mon gouvernement à l'encontre de la République de Nauru. J'ai en effet signé hier un décret en ce sens. Le combat doit être mené au niveau mondial parce que les effets déstabilisateurs et pervers de la criminalité financière sont universels et frappent les pays en développement plus durement encore que les autres pays. Je rappelle à ce titre que la lutte contre la délinquance financière est le combat du droit conte le crime et non des riches contre les pauvres. Parce qu'ils font preuve d'une vision commune des solidarités entre le Nord et le Sud, les Européens doivent veiller ensemble à ce que la lutte contre les flux financiers clandestins soit pleinement intégrée aux politiques de développement.

Je souhaite que l'Europe propose aux pays du Sud des stratégies de type « gagnant / gagnant », d'abord en les associant aux réflexions internationales sur les normes de sécurité contre le blanchiment. Les disciplines collectives sont en effet toujours mieux acceptées lorsqu'elles ont fait l'objet d'un débat collectif. Par ailleurs, l'Europe doit offrir son soutien aux pays qui s'engagent dans la voie de la conformité aux règles internationales, notamment en leur apportant l'assistance technique dont ils ont besoin. Ensuite, les Européens devront décider s'ils maintiennent une aide publique au développement pour les pays ou les territoires qui, après avoir reçu les avertissements nécessaires, continueraient d'enfreindre la discipline commune. Il convient en effet d'adopter une démarche cohérente. En ce qui le concerne, le gouvernement français a l'intention de suspendre les financements accordés à des pays en développement qui se seraient placés dans cette situation, excepté lorsque ces financements sont destinés à des projets bénéficiant directement aux populations. Mon gouvernement s'est également mobilisé pour que les institutions financières internationales, notamment le FMI et la Banque mondiale, intègrent la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme dans leurs activités et apportent leur assistance technique aux pays concernés. En définissant sa stratégie d'intervention en faveur d'un pays, la Banque mondiale devra désormais examiner les mesures à prendre pour renforcer la solidité et l'intégrité du système financier de ce pays. En travaillant dans ce sens, le FMI et la Banque mondiale _uvreront à la fois pour la stabilité financière et pour le développement, ce qui correspond à l'exacte définition de leur mandat.

Les progrès obtenus ces dernières années témoignent de l'importance de la volonté politique et de la force d'une action multilatérale étroitement coordonnée. Nous ne devons en aucun cas sous-estimer l'ampleur de la tâche qui nous attend, pour faire face à de nouveaux risques, mais aussi pour que le combat soit mené partout avec une égale détermination. Le monde d'aujourd'hui offre d'innombrables possibilités de recyclage de l'argent du crime. Certains centres financiers ne prospèrent que grâce à l'anonymat qu'ils garantissent à l'argent douteux. Les déclarations générales de participation à la lutte contre le blanchiment sont parfois peu suivies d'effet lorsque des intérêts économiques sont menacés.

J'appelle donc aujourd'hui avec vous à une mobilisation générale contre le blanchiment en proposant des actions concrètes définies autour de trois axes prioritaires qui visent à :

- renforcer la transparence du système financier ;

- associer de nouvelles professions à la lutte contre la délinquance financière ;

- approfondir la coopération internationale.

Nous devons d'abord renforcer la transparence du système financier international, même si cette transparence n'est pas une fin en soi. La confidentialité est nécessaire à la protection de la vie privée ou de certaines données importantes dans la concurrence économique, mais ces préoccupations légitimes ont trop souvent servi d'excuse au maintien d'une opacité en réalité propice aux activités criminelles. Chacun sait que le recyclage de l'argent sale se nourrit du manque de transparence, alors que celle-ci correspond à un principe essentiel, c'est-à-dire la connaissance du client et de l'ayant droit économique, condition non seulement de prévention, de détection des transactions suspectes et de traçabilité, mais aussi du renforcement de la coopération internationale face à la mondialisation du crime. Le GAFI se préoccupe actuellement de ces questions et la France participe très activement à ses travaux.

J'attends donc de vous que vous définissiez un standard de transparence qui serve de référence internationale. L'objectif recherché est clair : les autorités publiques investies dans la lutte contre le blanchiment doivent avoir accès aux informations relatives aux ayants droits économiques. Ces informations doivent également être accessibles aux institutions financières qui réalisent leurs obligations de vigilance. Dans ce combat pour la transparence, nous devons néanmoins conserver notre lucidité. Les Parlements peuvent légiférer, les gouvernements peuvent instaurer des unités de renseignements financiers (comme TRACFIN en France), les juges peuvent adresser des commissions rogatoires, toutes ces mesures n'auront qu'une efficacité limitée si l'utilisation de structures intermédiaires permet d'interrompre le fil des recherches, comme c'est le cas aujourd'hui. C'est pourquoi la France demande que la traçabilité des flux financiers soit une priorité politique absolue. Commençons par supprimer l'anonymat de certains virements internationaux, comme le propose le GAFI depuis le mois d'octobre 2001. Nous devons en même temps lutter contre les excès du secret bancaire. Si des progrès ont été accomplis pour que ce dernier ne soit pas opposable en matière de criminalité financière ou de financement du terrorisme, ce secret représente encore dans de trop nombreux pays un frein à la coopération internationale et à l'exercice des obligations de vigilance. Je souhaite que le Comité de Bâle puisse rapidement progresser sur les propositions françaises visant à permettre aux maisons-mères des groupes bancaires d'assurer un réel contrôle de la situation de leurs filiales dans des pays tiers. En effet, le risque de blanchiment doit désormais être apprécié non pas filiale par filiale, mais au niveau des groupes. Les mécanismes de contrôle interne doivent pouvoir s'exercer à cette échelle.

Le deuxième axe de notre mobilisation consiste à associer à la lutte contre le blanchiment les professions concernées. Chaque pays a défini selon ses propres traditions juridiques et ses propres choix politiques la nature des obligations qui pèsent sur les intermédiaires financiers : liste précise de diligences dans certains cas, obligation de vigilance dans d'autres, comme en France. Je sais que les professionnels de la banque et de la finance de notre pays y sont très attentifs. Néanmoins, l'internationalisation des flux financiers et l'usage des nouvelles technologies rendent de plus en plus difficile la détection de mouvements suspects. Il importe donc d'adapter les contrôles pour les rendre plus efficaces. Notre ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Laurent Fabius, a récemment engagé une réflexion avec les professions bancaires afin d'aboutir à l'élaboration d'un code de bonne conduite, notamment vis-à-vis de l'encaissement des chèques. Je souhaite que cette réflexion prenne rapidement forme et qu'une norme minimale de sécurité à respecter par les banques soit établie. Il va de soi que cette norme n'aura pas vocation à se substituer à une norme de vigilance générale qui demeure pleine et entière. Elle en facilitera néanmoins l'application par la définition de pratiques correctes. Je suis convaincu que les professions financières, pour lesquelles une suspicion généralisée serait infondée et dont je connais l'attachement à la lutte contre le blanchiment dans mon pays, adhéreront à cette démarche qui me semble répondre à leur attente.

Les résultats obtenus grâce à la vigilance du système financier ont permis de mettre à jour de nouveaux schémas de blanchiment qui mettent en cause d'autres professions, susceptibles d'intervenir dans les montages financiers ou d'être utilisées comme paravents par des criminels. Les exemples ne manquent pas de ces nouvelles pratiques qui rendent nécessaires un élargissement progressif des dispositifs de prévention et la participation de nouvelles professions. Les professions du chiffre et du droit se situent au c_ur des discussions et je me félicite de l'adoption récente de la révision de la directive européenne sur la lutte contre le blanchiment, puisque le résultat obtenu concilie le respect des droits fondamentaux, comme la relation privilégiée entre le client et son avocat dans le cadre d'une procédure judiciaire, et l'efficacité dans la lutte contre le blanchiment. L'Europe a pris une grande avance en la matière et je souhaite que nos partenaires internationaux puissent nous suivre prochainement dans cette voie.

Le troisième axe de notre mobilisation consiste à renforcer la coopération internationale. La lutte contre le blanchiment exige l'adhésion et la coopération des autorités publiques dans le monde entier. Il en va de même pour les actions entreprises pour éradiquer le terrorisme et réprimer la criminalité internationale sous toutes ses formes, qu'il s'agisse du trafic de drogue ou du trafic d'armes.

Cette dimension de la coopération me conduit à élargir un instant ma réflexion. Au lendemain des attentats du 11 septembre, nous avons manifesté une solidarité sans faille à l'égard des Etats-Unis et avons contribué à leurs côtés à la réponse qu'appelait l'agression dont ils furent victimes. Nous sommes d'ailleurs déterminés à continuer de participer à cette action commune contre le terrorisme. Cependant, nous devons réfléchir de façon lucide aux leçons qu'il convient de tirer des événements du 11 septembre. Nous ne pouvons en effet réduire les problèmes du monde à la seule dimension de la lutte contre le terrorisme, quelle que soit son impérieuse nécessité, ni compter uniquement pour les résoudre sur la prédominance des moyens militaires. Notre conception du monde vise à construire une communauté internationale plus équilibrée, un monde plus sûr et plus juste. Or cette conception se fonde sur la démarche multilatérale et mise sur toutes les formes de coopération qui permettent aux membres de la communauté internationale de s'attaquer ensemble aux problèmes de fond, car aucun d'entre eux ne peut prétendre les résoudre à lui tout seul. Qu'il s'agisse des négociations sur les armements, des accords sur la protection de l'environnement ou de l'émergence des règles du jeu nécessaires pour que la mondialisation bénéficie à tous grâce au développement, la France, avec l'Europe et avec ses partenaires dans le monde, s'est attelée à des chantiers d'avenir. Nous souhaitons que les Etats-Unis ne cèdent pas à la tentation forte de l'unilatéralisme et se réengagent avec nous dans cette voie, car, sans eux, les nouveaux équilibres que nous recherchons seront plus difficiles à atteindre. En ce qui nous concerne, nous continuerons à _uvrer pour répandre ces conceptions.

L'esprit de coopération est particulièrement valable pour la lutte contre le blanchiment. Agir ensemble nécessite des principes d'action communs. Or nous les avons : il s'agit des quarante recommandations du GAFI. Agir ensemble revient aussi à exprimer clairement notre détermination, ce qui implique le refus des hypocrisies. La régulation et la coopération internationales ont fortement progressé ces dernières années, grâce aux trois listes nominatives établies par le GAFI, le Forum de stabilité financière internationale et l'OCDE. En désignant publiquement les pays qui refusent de jouer le jeu, la communauté internationale a obtenu ses premiers grands succès. Nous devons maintenir fermement le cap. Je souhaite en particulier que le FMI accélère son évaluation des centres off shore les plus problématiques, déjà identifiés par la communauté financière internationale, qu'il fasse état des conclusions de ses analyses et que des conséquences en soient tirées, car un retard trop important a été pris dans ce domaine.

Lutter contre le blanchiment des capitaux, c'est rappeler que la liberté des flux financiers, utile du point de vue économique, n'est pas une valeur en soi. La transparence et la traçabilité sont les contreparties nécessaires de cette fluidité. La régulation du système financier est donc indispensable. La course à la rentabilité maximale, les facilités de la dissimulation, le défaut de contrôle ou les arrangements avec les contrôleurs ont conduit à des faillites spectaculaires, comme celles de la BCCI, de LTCM ou encore d'Enron. Ces faillites illustrent les dérives auxquelles le libre jeu d'un marché privé d'arbitre peut conduire. Malgré de récentes et réelles avancées, de nombreux efforts doivent encore être accomplis pour qu'à l'échelle internationale il soit matériellement impossible à des fonds d'origine criminelle d'emprunter notre système financier. La communauté internationale ne pourra pas franchir de nouvelles étapes dans la lutte contre la criminalité sans aborder de front le problème des structures opaques. Instaurons donc une traçabilité complète des flux financiers et attaquons-nous enfin à cette véritable « ingénierie de l'opacité » qui gangrène nos systèmes financiers. Cette difficile entreprise durera longtemps, car la négociation multilatérale s'effectue selon ses propres rythmes, mais je souhaite que nous agissions plus rapidement qu'auparavant en raison des dangers qui menacent nos sociétés.

Nous savons pouvoir nous fier aux Parlements d'Europe et aux opinions publiques pour nous aider à progresser. A cet égard, je souhaite rendre hommage au considérable travail de recherche et d'analyse réalisé sur ces questions par la mission d'information parlementaire française sur le blanchiment, présidée par Vincent Peillon, vice-présidée par Michel Hunault et Jean-Claude Lefort, et dont Arnaud Montebourg est le rapporteur. Je considère vos travaux d'aujourd'hui comme une étape très importante. Il est en effet remarquable, voire historique, que vous soyez parvenus à élaborer ensemble une déclaration commune, précise et concrète, que l'avenir connaîtra peut-être sous le nom de « Déclaration de Paris ». Vous donnez ainsi un signal politique fort de notre volonté commune d'agir contre le fléau du blanchiment et d'instaurer une meilleure régulation financière internationale. Sur ces sujets comme sur d'autres, quand l'Europe est unie, sa voix est entendue.

Raymond FORNI

Monsieur le Premier Ministre, nous vous remercions de votre venue et nous sommes sensibles à votre présence. Je vous remercie aussi pour les propos que vous avez tenus, qui ne sont pas des propos de circonstance, mais qui alimentent notre réflexion commune. Notre travail n'a de chance d'aboutir que si une étroite collaboration se noue entre les pouvoirs exécutifs de chacun de nos pays et les pouvoirs législatifs que nous représentons. C'est pourquoi j'interprète la présence du Premier ministre comme un encouragement à continuer notre action.

J'invite à présent les présidents des Parlements des pays de l'Union européenne ou leurs représentants, puis ceux des Parlements des pays candidats à l'adhésion, à exprimer leur opinion. Nous terminerons ces interventions par celle du représentant de la Douma, suivie de celle de la représentante du Parlement européen, avant de passer à l'adoption de la Déclaration de Paris.

Frank HOFMANN (Allemagne - Bundestag)

Monsieur le président, je vous félicite d'avoir eu l'idée d'organiser une conférence des parlementaires des Etats européens pour évoquer la lutte contre le blanchiment de l'argent. L'an passé, j'ai fait la connaissance de parlementaires français très engagés dans ce combat, comme Monsieur Montebourg. J'admire leur dévouement à cette cause et je souhaite les aider dans leur démarche. Nous avons déjà organisé trois conférences. La Déclaration de Paris pour la lutte contre le blanchiment de l'argent repose sur de nombreuses épaules européennes. Grâce à vous, l'Europe a effectué des progrès en matière de cohésion. Nous défendrons cette déclaration européenne au sein de nos Parlements respectifs et nous nous ferons les porte-parole de nos collègues des autres Parlements qui auront donné leur accord à cette déclaration.

Docteur Kurt SCHELTER (Allemagne - Bundesrat)

Je vous exprime tous mes remerciements pour cette conférence et vous félicite de son succès. Je m'exprime au nom du Bundesrat, l'Assemblée des Länder allemands. Ces derniers se sont prononcés en faveur d'un renforcement de la répression. Or la Déclaration de Paris comporte des éléments extrêmement concrets en la matière. Nous avons résisté à la tentation de truffer ce texte de lapalissades. Un ou deux points ne me satisfont pas pleinement. J'aurais notamment souhaité que nous mettions plus en exergue le phénomène du terrorisme, le rôle que jouent Europol et Eurojust, ainsi que celui que peuvent jouer les pays candidats en matière de prévention et de poursuite judiciaire dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Cependant, je suis convaincu que cette conférence est un succès retentissant et qu'elle permet d'adresser un signal important, puisqu'elle reflète la volonté politique de la part des Parlements de l'Union européenne et des pays candidats à l'adhésion. Ce signal ne doit pas être sous-estimé dans le cadre global de la lutte contre le blanchiment. Le Bundesrat ainsi que les parlementaires nationaux et européens continueront donc à vous prêter main-forte, comme ils l'ont déjà fait.

Mme Maria-Theresia FEKTER (Autriche - Nationalrat)

L'Autriche est membre des Nations-Unies, de l'Union européenne et du GAFI et, à ce titre, soutient de toutes ses forces la lutte contre le crime organisé. Nous nous félicitons des mesures prises pour lutter contre le phénomène du blanchiment d'argent et nous souhaitons renforcer ces mesures, à condition que les procédures et les décisions soient compatibles avec la convention des Nations Unies et correspondent au respect de la Convention européenne des droits de l'Homme. L'Autriche souhaite ainsi exprimer deux critiques à l'encontre de la Déclaration de Paris. Premièrement, nous souhaitons exprimer une objection d'ordre constitutionnel face à la levée du secret professionnel préconisée au point 18. En effet, concernant la procédure pénale, la levée du secret professionnel n'est pas conforme au respect des Droits de l'Homme et n'est pas compatible avec l'article 6 assurant un procès équitable. Nous exprimons donc notre désaccord avec cette mesure prévue par la Déclaration de Paris. Deuxièmement, la constitution d'un registre central des comptes bancaires, préconisée au point 20, risque d'ouvrir la porte à tous les abus et entraînerait des coûts trop élevés, même si l'objectif visé est tout à fait appréciable. Il est en effet évident qu'il est souhaitable d'avoir facilement recours aux informations relatives aux comptes bancaires approvisionnés par des fonds de nature criminelle et qu'il est indispensable de pouvoir identifier les ayants droits. En Autriche, nous avons déjà instauré cette procédure.

Ces remarques émises, l'Autriche se félicite du vaste consensus qui s'est dégagé lors de cette conférence en faveur de cette déclaration. Nous apprécions particulièrement le fait que ces travaux se soient déroulés dans le cadre du respect des Droits de l'Homme. Le point 39 prévoit ainsi l'allègement de la charge de la preuve pour les fonds d'origine criminelle, démarche qui facilitera le travail des juges européens. Mon collègue du Bundesrat, Monsieur Gstöttner, et moi-même vous remercions de votre invitation. Nous avons coopéré avec grand plaisir aux travaux de cette conférence, mais nous ne pouvons aujourd'hui adopter une déclaration contraignante, au nom du Parlement autrichien. Ce dernier adopte néanmoins une attitude positive. C'est pourquoi nous soumettrons ce texte au vote de nos collègues parlementaires en le soutenant de toutes nos forces.

Raymond FORNI

En ce qui concerne le v_u exprimé par l'intermédiaire de cette déclaration d'harmoniser les procédures de levée des secrets professionnels, il va de soi qu'il représente un socle de réflexion pour que chaque pays puisse adopter une stratégie identique, en vue de faciliter la lutte contre la criminalité. En outre, je rappelle que cette déclaration ne présente aucun caractère « contraignant », contrairement à un traité ou à une convention ratifiée par plusieurs Etats, mais qu'elle représente d'une certaine manière un engagement à défendre dans le cadre de leur action nationale les orientations qu'elle définit. Je retiens votre propos final, c'est-à-dire votre engagement à soutenir auprès de vos collègues cette déclaration, une fois adoptée.

Hugo COVELIERS (Belgique - Chambre des représentants)

Je vous remercie pour votre accueil et votre hospitalité. Nous avons disposé au cours de ces deux jours d'un laps de temps suffisant pour réagir aux propositions initiales et ainsi élaborer un texte de compromis. Il est bien entendu très tentant de relancer les discussions, après les interventions déjà exprimées, mais je n'y cèderai pas pour respecter le temps de parole de mes collègues. Je me réjouis de constater que le texte de la Déclaration reprend les principes de base pour lutter contre le blanchiment : déterminer l'identité du donneur d'ordre d'un transfert de fonds, évaluer la masse d'argent concernée, vérifier à quoi elle correspond, identifier le bénéficiaire du transfert et connaître la raison pour laquelle il perçoit cet argent. Ces éléments de base doivent nous permettre de maîtriser le problème. Il est parfois très difficile de distinguer le respect de la protection de la vie privée du respect de l'intérêt de la communauté. Il appartient à nos Parlements de veiller à toute dérive. Au Parlement belge, nous avons déjà transposé la plupart de ces mesures dans des textes législatifs, dont certains sont encore des projets de loi. Nous réexaminerons donc ces projets pour y intégrer d'éventuelles mesures supplémentaires prônées par la Déclaration de Paris. En effet, la lutte contre le blanchiment représente un facteur primordial dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. En agissant ainsi, nous pourrons préserver notre société et défendre les libertés qu'elle représente.

Hugo VANDENBERGHE (Belgique - Sénat)

Nous adopterons dans quelques instants une déclaration commune par laquelle nos Parlements s'engagent à renforcer la lutte contre le blanchiment au sein de l'Union européenne. Je tiens à remercier et à féliciter tous ceux qui ont contribué au succès de cette initiative que je soutiens avec enthousiasme. Je pense particulièrement au président Forni, l'instigateur de cette conférence. Je tiens aussi à saluer Monsieur Peillon pour la manière dont il a animé les débats au sein du Comité de pilotage.

Le blanchiment de l'argent sale a longtemps été considéré comme un épiphénomène principalement lié au trafic de stupéfiants. Au cours des années 1980, une prise de conscience progressive de l'ampleur du problème, de la criminalité organisée et de ses multiples ramifications, a conduit à une série d'initiatives visant à lutter de manière coordonnée et efficace contre le blanchiment des capitaux. La création du GAFI lors du sommet du G7 à Paris, en 1989, en est l'illustration la plus marquante. Cependant, alors que les structures de surveillance et de répression se mettaient en place, les techniques de blanchiment évoluaient, profitant au maximum des effets de la mondialisation financière et du développement des nouvelles technologies. Comme l'a démontré le professeur François Chenais dans son étude sur le blanchiment de l'argent sale et la mondialisation financière, le décloisonnement et l'internationalisation de nos systèmes financiers ont permis à l'argent sale de mieux se cacher, de mieux se mouvoir et de se mettre en valeur, parfois loin de son lieu géographique et social d'origine. Dans ces conditions, nombreux sont ceux qui estiment que la criminalité des affaires a pris une telle ampleur qu'elle représente maintenant un risque grave non seulement pour la stabilité économique et sociale de nombreux pays, mais aussi pour la prééminence du droit et de la démocratie elle-même. Face à cette menace, les régimes démocratiques doivent réagir avec fermeté et apporter des réponses. La déclaration que nous adopterons esquisse ainsi une série de mesures concrètes à mettre en _uvre. Le Sénat belge la soutient avec d'autant plus de conviction que la lutte contre la criminalité organisée et contre le blanchiment des capitaux représente l'une de ses préoccupations majeures depuis plusieurs années. Notre Sénat a en effet créé en juillet 1996 une Commission parlementaire chargée d'enquête sur la criminalité organisée en Belgique. Celle-ci a réalisé une véritable radioscopie du phénomène. Dans son rapport final de décembre 1998, cette Commission a notamment insisté sur le rôle que devait jouer le Parlement en assurant un suivi continu et un contrôle systématique de l'évolution de la criminalité organisée. Une Commission de suivi en matière de criminalité organisée a ainsi été créée. Le Sénat belge a donc institué une cellule permanente chargée d'étudier la problématique du crime organisé et de contrôler systématiquement, en concertation avec le pouvoir exécutif, l'efficacité des mesures prises pour lutter contre ce fléau. Cette expérience présente de nombreuses similitudes avec la démarche qui nous rassemble aujourd'hui.

Je tiens à rappeler que le combat contre la délinquance financière ne pourra se gagner sans y impliquer activement les Parlements nationaux. Or ces derniers sont trop souvent mis de côté, leur rôle se limitant à entériner des initiatives prises au sein d'instances internationales auxquelles ils n'ont pas été directement associés. La lutte contre la délinquance financière doit également s'accompagner d'une sensibilisation accrue des opinions publiques sur l'étendue de ce fléau. En tant que mandataires politiques, nous devons donc effectuer un véritable travail pédagogique face à un phénomène qui a la particularité de passer presqu'inaperçu. La conférence d'aujourd'hui représente à ces égards une avancée considérable.

Talleyrand a écrit : « Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l'Etat les fait mal ». Nous sommes tous ici conscients des difficultés liées à la réalisation des recommandations formulées dans la déclaration finale. Je pense cependant que le signal politique fort que nous lançons aujourd'hui témoigne de l'intention des Parlements des pays européens de veiller à ce que nos Etats n'admettent pas que des crimes menacent la sécurité de nos citoyens.

Karsten NONBO (Danemark - Folketinget)

Nous sommes satisfaits et heureux de la tenue de cette conférence, car elle représente l'occasion d'évoquer un sujet grave. Le résultat positif, orienté vers l'avenir, de cette conférence se reflète parfaitement dans la déclaration que nous adopterons. Monsieur Sorensen et moi-même ne représentons pas le gouvernement danois, mais les opinions que nous exprimons correspondent à celles des deux partis danois les plus importants du Folketinget, le Parlement danois. Dans notre pays, le ministère de l'Economie et du Travail est responsable de l'administration des règles de la lutte contre le blanchiment, mais le ministère de la Justice s'occupe du volet pénal. Un Secrétariat du blanchiment d'argent, qui dépend du procureur général à la criminalité économique, sert de point de contact national pour la prévention et la lutte contre l'utilisation du système financier pour le blanchiment d'argent. Du point de vue danois, la lutte contre le blanchiment d'argent est une question primordiale. C'est pourquoi nous prévoyons d'adopter d'ici à quelques mois la législation nécessaire pour nous assurer une réussite dans la lutte contre la criminalité. Nous sommes très satisfaits de la Déclaration de Paris et nous vous promettons de contribuer activement à la réussite de la poursuite de nos travaux.

Mme Soledad BECERRIL (Espagne - Congrès des députés)

Les pays de l'Union européenne ont accéléré au cours des dernières années leurs actions pour lutter contre le blanchiment d'argent. Les législations fiscales des différents pays, isolées, semblaient jusqu'à présent des instruments insuffisants pour alimenter cette lutte. Aujourd'hui, nous collaborons heureusement avec les institutions financières. Les Etats membres de l'Union, le Parlement européen, le GAFI ont accompli de grands progrès, grâce à l'adoption d'une nouvelle législation, de nouvelles directives et de nouvelles recommandations, et grâce à une coordination et à une harmonisation des efforts en matière d'identification, de suivi et de transparence. Toutefois, la suppression des barrières entre les pays, instituant la libre circulation des biens et des personnes, et l'extrême rapidité de fonctionnement des systèmes financiers conduisent l'Union européenne à renforcer ses actions pour lutter contre les mouvements de capitaux d'origine illicite. Ces capitaux continuent en effet de circuler en toute impunité et sont souvent à l'origine d'actes qui vont à l'encontre de la sécurité publique et des institutions démocratiques. En Espagne, nous sommes confrontés au terrorisme depuis des dizaines d'années. Ce terrorisme utilise des capitaux dont la provenance est illicite, puisqu'ils correspondent principalement à des fonds extorqués. Certains fonds proviennent aussi d'organisations qui affichent des buts culturels. Je pense donc que vous comprendrez tous à quel point nous souhaitons que parmi les textes de résolution de cette conférence soient évoquées des procédures et des méthodes pour lutter contre le financement du terrorisme. Ce dernier ne connaît pas de frontières. Par conséquent, il représente une menace pour tous les pays. L'Union européenne a franchi une étape importante, prévoyant la coopération policière et judiciaire à l'échelle européenne dans le cas de délits graves, grâce à la mise en place d'Eurojust et du mandat d'arrêt européen.

L'Espagne, qui assume la Présidence de l'Union européenne, juge prioritaire la lutte contre le terrorisme et ce, en vertu de textes comme la Convention internationale des Nations Unies, la résolution du Conseil de Sécurité et le plan d'action de l'Union européenne contre le terrorisme. Le gouvernement espagnol prévoit ainsi de préparer un projet de loi pour bloquer les mouvements de capitaux et geler les fonds lorsqu'il est avéré que leur origine ou leur destination est liée au terrorisme. Les travaux de cette conférence présentent un grand intérêt et une grande valeur, car ils incarnent une façon de stimuler les pays membres de l'Union européenne et, je l'espère, les pays candidats à l'adhésion, pour renforcer les mesures de lutte contre les délits graves commis à l'encontre des citoyens et des Etats de droit. Nous remercions l'Assemblée nationale française, Monsieur Forni, Monsieur Peillon et tous les participants qui auront accompli tant d'efforts pour que nous puissions approuver au final cette déclaration.

Alfredo PRADA (Espagne - Sénat)

Je tiens d'abord à féliciter Monsieur Forni et Monsieur Peillon pour la tenue de cette réunion. L'Europe se situe dans un processus de globalisation. Ce processus est ambivalent, car s'il promet un enrichissement et un progrès, il représente aussi un danger pour nos valeurs démocratiques, de justice et de liberté, valeurs auxquelles nous ne voulons ni ne pouvons renoncer. En tant qu'hommes politiques, nous avons le devoir d'améliorer le fonctionnement des institutions qui sous-tendent ces grandes valeurs et notre mode de vie, et de lutter contre les individus et groupes d'individus qui sapent ces valeurs. Ces groupes présentent la particularité d'utiliser de manière abusive les moyens techniques modernes, typiques de notre société du XXIème siècle. Ils constituent une véritable menace. C'est pourquoi nous devons former un front commun, comme nous le faisons aujourd'hui, réfléchir ensemble et nous doter de règles pour améliorer la lutte internationale contre ces délits. L'Espagne a pour objectif de faire avancer ce processus. En assumant la présidence du Conseil de l'Union européenne, l'Espagne a choisi parmi différentes priorités de mettre l'accent sur un problème dont elle pâtit depuis plusieurs années et qui est maintenant reconnu par tous comme un problème véritablement grave : le terrorisme. D'autres pays en souffrent, mais de façon moins directe. Ils se rendent néanmoins compte que pour maintenir des sociétés libres, nous devons instituer une lutte organisée et coordonnée contre cette plaie qu'incarne le terrorisme et qui, malheureusement, a pris une dimension universelle. C'est pourquoi nous avons demandé que soit inclus dans la déclaration le recours au mandat d'arrêt européen.

Lors de la chute du mur de Berlin, nombreux sont ceux qui pensaient que disparaitraient toutes les menaces qui pesaient contre nos systèmes démocratiques. Or les attentats du 11 septembre nous ont prouvé le contraire. Nous ne pouvons plus continuer à vivre en ignorant le terrorisme. Le monde s'est réveillé ce jour-là face à cette évidence que nous connaissons trop bien en Espagne. La lutte contre le terrorisme doit représenter une préoccupation quotidienne pour nos hommes politiques. Le terrorisme incarne en effet la seule menace contre le droit et la liberté. Il s'agit d'une maladie mortelle qui sape tous les systèmes démocratiques et qui nécessite de la part de tous les citoyens une grande persévérance dans la voie de la résolution. Nous ne pouvons pas mettre dans le même plateau de la balance la vie et la mort, la tyrannie et la liberté, le terrorisme et l'Etat de droit. Ces valeurs ne se contrebalancent pas. La lutte contre le crime organisé doit être mise en _uvre dans divers milieux. En Espagne, nous avons voté des lois spécifiques pour lutter contre le trafic de stupéfiants et le blanchiment d'argent et une Commission mixte, entre les deux Chambres, travaille à approfondir la lutte contre le trafic de drogue. Je formule le v_u que la réunion d'aujourd'hui soit une défense de plus de notre espace de liberté et d'Etat de droit pour l'ensemble des citoyens de l'Europe.

Raymond FORNI

Avant de céder la parole à Vincent Peillon, j'en profite pour le remercier du travail accompli au cours de la phase préparatoire et lors des débats d'hier. Je remercie également Arnaud Montebourg. Tous deux ont initié la réflexion au sein du Parlement français, sans laquelle cette réunion n'aurait jamais eu lieu. Je suis d'ailleurs particulièrement fier de présider l'Assemblée nationale, qui est l'institution représentant le plus directement possible le peuple.

Vincent PEILLON (France - Assemblée nationale)

J'ai été heureux d'entendre le Premier ministre évoquer l'appel de Genève de 1996, appel isolé à l'origine et initié par des magistrats qui s'attachaient à démontrer que la mondialisation favorisait ou était susceptible de favoriser davantage la criminalité que le droit et la liberté. En relayant dans les enceintes de nos Parlements cette préoccupation, nous faisons _uvre utile. Nous souhaitons en effet une mondialisation respectueuse de nos valeurs fondamentales, la liberté et la justice. Chacun d'entre nous sait que l'Europe a un destin et une responsabilité particulière. Nous défendons des valeurs démocratiques communes, qui doivent surpasser la terreur, la barbarie et le crime, à condition que nous ne désarmions pas nos volontés et que nous sachions travailler ensemble, comme nous avons su le faire au cours de ces deux jours. C'est pourquoi je tiens à remercier tous ceux qui ont fait en sorte que la Déclaration de Paris et cette conférence des Parlements existent et puissent continuer d'exister. Je remercie bien entendu le président Forni d'avoir relayé cette préoccupation essentielle auprès de nos collègues européens. Je salue également son équipe, et les fonctionnaires de l'Assemblée nationale. Nous avons choisi une méthode de travail originale, mais vous avez pu constater que la présence parmi nous de procureurs, de magistrats venus des quatre coins de l'Europe, de responsables des marchés financiers, de dirigeants d'Europol et d'Eurojust, de personnalités impliquées dans les offices de contrôle et les unités de renseignement financier, a permis d'élaborer un texte qui a une valeur technique et d'enrichir nos discussions. Mes remerciements s'adressent aussi à toutes les délégations. Nous avions fait le pari il y a quelques années de travailler au niveau de l'Union européenne, étant convaincus que nous étions désormais autant des citoyens européens que des citoyens de chacune de nos nations, et qu'il était indispensable de nous unir dans la lutte contre les crimes transnationaux. La qualité des débats que vous avez su mener, la chaleur et la volonté dont vous avez fait preuve durant tout ce parcours montrent que cette Europe existe réellement, qu'au-delà de nos origines géographiques et, parfois, politiques, nous partageons un socle de valeurs solide. Sur les quatre points que nous avons sélectionnés, cette déclaration surpasse la plupart des accords internationaux. Certains considèrent que ce texte ne prévoit pas des mesures suffisantes, tandis que d'autres le juge trop audacieux. Notre responsabilité consistait à fixer un « curseur » de référence pour la lutte à venir. J'ai notamment été heureux de constater hier que cette conférence de Paris sera pérennisée et je remercie à ce titre John Mc Fall pour son invitation au Royaume-Uni. Il est important de sortir des hypocrisies qui provoquent souvent trop d'écart entre les déclarations et les actes. Or nous avons pris l'engagement de nous revoir pour constater les avancées de nos travaux au sein de nos Parlements respectifs, par rapport aux objectifs que nous nous sommes fixés, et pour évoquer de nouveaux points. De tout cela, je vous remercie.

Bernard ANGELS (France - Sénat)

Au nom du président du Sénat français, je souscris pleinement à la Déclaration de la Conférence contre le blanchiment. En notre qualité de représentants des peuples de l'Europe, il est en effet de notre devoir d'_uvrer à la prise de conscience du danger que comporte une surveillance insuffisante des mouvements suspects de capitaux. Au lendemain des attentats du 11 septembre, nul ne peut prétendre qu'une attitude permissive au regard du contrôle de la déontologie fiscale et bancaire ne présente aucun risque. L'Europe a un devoir d'exemplarité. Tant les Etats membres que les pays candidats, dont aucun ne devrait plus apparaître sur la liste noire du GAFI, doivent travailler à la mise en place ou au renforcement des mesures nécessaires à la transparence des flux financiers. Nous demeurons par ailleurs optimistes quant à la mise en _uvre de la directive relative à la fiscalité de l'épargne. Nous savons que la lutte contre le blanchiment passe aussi par la sanction des délits fiscaux, comme le montre l'histoire de la lutte contre la grande délinquance financière aux Etats-Unis. Nous devons constamment garder à l'esprit que les mouvements de capitaux ont pour premier objet le financement de l'économie réelle et non l'alimentation de la spéculation ou le recyclage des bénéfices du crime. Les instruments au service de cette évidence ne manquent pas : l'OLAF, Europol, Eurojust, le GAFI, etc. En outre, plusieurs conventions ont été élaborées à l'initiative de l'ONU, de l'OCDE ou du Conseil de l'Europe. Je suis donc convaincu que cette conférence nous permettra d'exprimer une volonté commune de reconnaître, ratifier et utiliser ces instruments existants. Les intermédiaires financiers doivent quant à eux prendre conscience de leur responsabilité et s'engager pleinement dans la lutte contre la criminalité internationale, le terrorisme planétaire ou la délinquance transfrontalière. Le Sénat français encourage cette initiative et soutiendra avec force et conviction la poursuite de ces travaux.

Apostolos KAKLAMANIS (Grèce - Président du Parlement)

Je vous remercie pour l'organisation de cette conférence et vous félicite de cette initiative qui représente une première pour nos Parlements. Notre présence démontre que nos peuples et nos Parlements nationaux aspirent à consolider nos régimes démocratiques et à lutter contre la corruption et la délinquance économique. La Déclaration d'aujourd'hui contre le blanchiment en est la preuve. Je pense qu'elle sera acceptée par l'opinion publique de mon pays et le Parlement dans lequel _uvrent depuis plusieurs années des Commissions pour lutter contre le crime organisé et le trafic de drogue et pour obtenir une meilleure transparence. Le blanchiment ne constitue pas un crime économique isolé, mais se situe au c_ur d'un réseau d'activités criminelles, multiples. La lutte contre le blanchiment comporte de grandes difficultés politiques, car il nuit au noyau de nos systèmes politiques de représentation et sape la confiance de nos citoyens envers le monde politique et ses représentants. Aujourd'hui, la corruption menace toutes nos démocraties, cherchant à se confondre avec les intérêts légaux du monde des affaires et de l'économie et pouvant conduire un Etat à une situation de dépendance. En tant que parlementaires, nous essayons d'être à l'écoute de l'inquiétude de nos citoyens et nous devons prendre les mesures qui s'imposent pour protéger nos institutions politiques, notamment en améliorant la transparence pour tout ce qui a trait au fonctionnement de l'Etat, comme le financement des partis politique, de la presse, etc. La lutte contre le blanchiment ne peut être efficace sans une réelle coopération internationale. C'est pourquoi nous avons la conviction que des sanctions contre les pays et les territoires qui ne coopèrent pas représentent une condition sine qua non. L'application de ces sanctions nécessite bien entendu des procédures sûres, objectives et un contrôle et une évaluation prudents des menaces que peuvent constituer ces pays. Concernant le renversement de la charge de la preuve, nous estimons que des aménagements s'imposent dans les procédures pénales contre le blanchiment, dans le respect des droits du citoyen.

Al Capone avait déclaré : « La corruption est omniprésente dans la vie américaine. Il s'agit aujourd'hui de la loi suprême. Les députés de Chicago qui ne sont pas corrompus peuvent être comptés sur les doigts d'une main ». De tels hommes corrompus existent de nos jours, ils sont forts et représentent un danger sérieux pour nos régimes démocratiques. Il nous incombe donc de donner une réponse très forte à cette menace. Nous devons relever ce défi et nous unir face à tous ceux qui minent nos systèmes démocratiques.

Michael AHERN (Irlande - Dail Eireann)

Je rends hommage à l'Assemblée nationale française pour cette initiative. Jusqu'à présent, les mesures contre le blanchiment étaient prises au niveau international, à l'initiative du G7. Si ce processus est compréhensible dans le cadre de la mondialisation, il était néanmoins urgent que les Parlements des pays européens adoptent une position en la matière. Les parlementaires irlandais se félicitent donc de cette déclaration. A titre de préambule, il faudrait d'ailleurs souligner que le blanchiment n'a fait qu'empirer au cours de ces dernières années et représente désormais une menace globale pour nos économies et nos démocraties. Quatre secteurs sont mis en lumière dans la Déclaration, notamment la transparence des mouvements de capitaux, que nous considérons comme cruciale pour lutter contre le blanchiment. Je sais que le Conseil européen a récemment débattu pour déterminer des critères de transparence afin de mettre en évidence les mécanismes sous-jacents au blanchiment des capitaux. Cette lutte passe également par la dénonciation des pays non coopératifs. Nous nous félicitons à ce titre de l'action du GAFI. Il est essentiel que l'Union européenne accorde son total soutien à ses travaux. Le Parlement irlandais a ainsi récemment adopté une législation permettant d'appliquer toutes les mesures préconisées par le GAFI à l'encontre des pays qui ne seraient pas coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. Nous devons par ailleurs encourager la collaboration entre les autorités policières et judiciaires de chaque Etat membre, ce que souligne la Déclaration. Nous devons enfin lutter contre le trafic de drogue, un des problèmes cruciaux auquel sont confrontées les forces policières du monde entier. L'expérience nous prouve que les principaux acteurs sont distants des opérations quotidiennes. Dans certains pays, les trafiquants de drogue sont impliqués dans d'autres criminalités et peuvent profiter de leur butin au vu et au su de tout le monde. En juin 1996, une célèbre journaliste irlandaise a été assassinée à Dublin. Pour répondre aux préoccupations grandissantes de la population, le Parlement a depuis adopté une loi visant à identifier les criminels et à confisquer leur butin. Un bureau d'action pénale a été créé et il est habilité à confisquer les biens et le patrimoine des criminels suspectés. Depuis sa création, il a ainsi réussi à geler et à saisir plus de 20 millions d'euros de patrimoine et à récupérer plus de 37 millions d'euros d'impôts (sur les 47 qui auraient dû être versés). Ces opérations représentent pour nous des succès retentissants. Au nom du Parlement irlandais, je vous assure de notre soutien dans cette lutte contre le blanchiment.

Donato BRUNO (Italie - Chambre des députés)

Je remercie le président Forni en mon nom et au nom de mes collègues. Nous avons tous à c_ur l'avenir et le fonctionnement correct de l'économie et de la justice européennes. Le Parlement italien a toujours accordé une grande importance à la coopération instaurée entre les Parlements de l'Union européenne et a toujours travaillé à renforcer et promouvoir cette coopération. Nous sommes en effet convaincus que l'échange d'opinions et d'expérience et que la création d'une sorte de réseau parlementaire peuvent contribuer à renforcer le rôle que jouent les Assemblées représentatives de l'Union et à promouvoir la définition de pistes d'action communes. La coopération interparlementaire peut également passer par l'adoption de documents communs. Je rappelle que si de tels documents peuvent être adoptés, ils ne peuvent être considérés comme contraignants pour les parlementaires qui s'expriment en leur nom au sein des différentes enceintes. Ce principe est d'ailleurs explicité dans le protocole figurant en annexe du Traité d'Amsterdam. Nous considérons néanmoins que cette déclaration constitue un bon départ pour sensibiliser nos Parlements et les contraindre à considérer la lutte contre le blanchiment d'argent comme l'une de leurs priorités futures.

Roberto CENTARO (Italie - Sénat)

Je vous transmets les amitiés du Sénat italien et remercie Monsieur Forni pour cette initiative très intéressante. Le sénateur que je suis participe à ces travaux depuis le début et a contribué à la rédaction de cette déclaration. Devant une criminalité organisée de manière transnationale, nous sommes confrontés à une immense accumulation financière qui menace le fonctionnement de nos économies et de nos institutions démocratiques. S'il faut mettre au ban de la société les paradis fiscaux, il faut aussi identifier les mesures nécessaires pour lutter contre la délinquance financière. Le crime ne peut et ne doit pas payer. Le contenu de la Déclaration de Paris représente en ce sens un point de départ approprié pour guider nos travaux au sein de nos Parlements respectifs. Il est indispensable d'adopter ces mesures et d'en prendre d'autres, grâce à une intégration juridique renforcée des Parlements des pays européens, sachant que ce processus est une étape indispensable à une véritable intégration politique.

Lucien WEILER (Luxembourg - Chambre des députés)

Le Luxembourg exprime sa satisfaction devant le consensus assez large qui s'est dégagé autour du texte de cette conférence, texte auquel il souscrit pleinement. Après l'émoi provoqué par la teneur du rapport de la mission d'information commune sur la criminalité financière, il me semble important de confirmer la volonté du Parlement luxembourgeois de mettre un terme à la criminalité financière internationale. Ni le Luxembourg ni son Parlement ne bloqueraient des actions communes visant à éradiquer ce fléau. Cette hypothèse nous semblerait en effet aberrante. La Chambre des députés luxembourgeoise salue une implication parlementaire plus marquée dans le combat qui fait l'objet de cette conférence. Notre Parlement et notre gouvernement sont pleinement conscients des défis en la matière. Le cordon sanitaire légal que nous avons mis en place autour des activités de la place financière du Luxembourg a déjà fait ses preuves. Aucun compte lié à une activité terroriste n'a ainsi été découvert au Luxembourg dans le cadre des recherches sur les réseaux financiers terroristes, effectuées après les attentats du 11 septembre.

Une autre perspective de coopération parlementaire pourrait également nous rapprocher des racines du mal que nous évoquons aujourd'hui. Nous avons la conviction que les Parlements européens devraient à l'avenir s'impliquer avec davantage de détermination dans le combat contre les opérations et transactions qui génèrent les flux d'argent sale, c'est-à-dire le trafic de drogue, la pédophilie, le proxénétisme et le trafic d'armes. Nous ne devons pas nous méprendre sur notre adversaire et sur l'objet de notre lutte. Nous devons ainsi nous préoccuper des opérations situées à l'origine du phénomène qui nous intéresse aujourd'hui. La criminalité financière n'est le plus souvent qu'un crime collatéral à une criminalité de base, trop souvent liée au trafic des armements. C'est pourquoi je souhaite que les Parlements des pays européens donnent une nouvelle impulsion au combat contre le trafic des armements. Considérant le volume et l'ampleur du trafic d'armes sur notre continent, le défi est de taille. Ceci étant, le Luxembourg salue le signal politique fort qu'a évoqué le Premier Ministre français et qui émane de cette assemblée.

Timeke WITTEVEEN-HEVINGA (Pays-Bas - Chambre des représentants)

Je me réjouis de ce que nous ayons pu en si peu de temps mettre au point une déclaration commune et efficace, grâce à l'excellent travail réalisé par le Comité de pilotage et à l'initiative de Monsieur Forni. Les accords pris au niveau européen pour lutter contre le blanchiment permettront de s'attaquer de manière efficace à ce mal. Nous devons maintenant respecter le principe de l'Etat de droit, mais cette déclaration renforce le rôle de l'Union européenne. Les multinationales doivent assumer leurs responsabilités en matière d'intégrité et de transparence et les banques devraient se soumettre à un examen de conscience. Même si certaines dispositions risquent de remettre en cause notre position concurrentielle sur le plan mondial, le respect de la démocratie est primordial. Il est maintenant important de finaliser les accords conclus. Il faudrait revoir, à mon sens, le point 43 de la Déclaration, en ce qui concerne le rôle d'Eurojust. Je défendrai néanmoins cette déclaration devant le Parlement néerlandais, car elle doit inciter nos Parlements à tout mettre en _uvre pour lutter de concert contre le blanchiment.

Antonio de ALMEIDA SANTOS (Portugal - Président de l'Assemblée de la République)

Je vous remercie pour l'excellente organisation de cette réunion et votre accueil chaleureux. Je peux appuyer la Déclaration. L'effort accompli en valait la peine. Je rends hommage au président Forni, à l'initiative de ce projet, car nous disposons dorénavant d'un nouvel instrument de lutte contre le blanchiment. L'esprit qui anime ce type d'instrument lui confère sa valeur. Les représentants des Parlements de l'Union européenne font savoir à leurs pairs des autres démocraties qu'ils jugent indispensable de mener une croisade contre la passivité, la tolérance, voire la connivence, dont bénéficiaient jusqu'à présent les acteurs du blanchiment. Aucun responsable politique ne peut prétendre ignorer que si le crime organisé et le terrorisme représentent une telle menace et rencontrent un tel succès c'est en raison des budgets qu'ils génèrent, souvent supérieurs aux budgets des Etats. Nous savons également que cet argent sale non seulement finance des organisations criminelles qui agissent au niveau mondial, mais aussi investit le secteur économique légal, qui est ainsi converti en instrument de domination, notamment politique. Le « Big Brother » d'Orwell pourrait devenir réalité. Si nous n'agissons pas en amont, la répression en aval n'aura que peu d'effet. Se battre seul dans l'espace clos de nos pays contre des « pieuvres » qui agissent de manière sophistiquée dans un espace ouvert à tous revient à ouvrir la porte à l'impunité. C'est pourquoi je me réjouis des tentatives faites pour apporter des réponses au niveau supranational, réponses qui devront ensuite acquérir un caractère universel. Nous devons faire savoir aux pays complaisants à l'égard de ce fléau que l'Union européenne n'est pas disposée à assister de manière passive à la destruction des valeurs de sa civilisation.

Pour revenir au texte de la déclaration finale, je me déclare confiant en l'avenir. En effet, le moment viendra où les objections de principe encore soulevées aujourd'hui finiront par tomber face à l'accroissement des dangers auxquels nous sommes confrontés. Le crime organisé et le terrorisme visent précisément à détruire les principes qui nous sont les plus chers et dont le respect nous conduisent à rejeter le recours à certaines mesures pour les combattre. Mais cette démarche a-t-elle encore un sens si elle contribue à épargner les responsables criminels qui ont pour objectif de détruire ces principes ? Nous nous opposons ainsi à renverser la charge de la preuve en prévoyant un aménagement de la charge de la preuve de l'origine criminelle des capitaux. En tant que juriste et législateur, j'ai toujours été fidèle au principe selon lequel la charge de la preuve revient à l'accusateur. Cependant, les modalités actuelles de la criminalité organisée et les risques graves qui y sont liés me conduisent à douter qu'il soit possible de maintenir cette règle encore longtemps sans y prévoir une exception à caractère salutaire. Sans moyens judiciaires et juridiques efficaces, nous n'arrêterons pas les nouveaux ennemis de nos civilisations et nous devrons peut-être avoir recours à la guerre. Nous devons absolument éviter cette alternative.

John McFALL (Royaume-Uni - Chambre des Communes)

Je félicite le Premier ministre, Monsieur Forni et Monsieur Peillon pour la tenue de cette réunion après les attentats du 11 septembre. J'estime que les propositions définies ne sont pas « contraignantes », comme vous l'avez spécifié, mais que nous sommes tous obligés de saisir l'occasion de relayer le message dans nos Parlements respectifs. Le Royaume-Uni se sent parfaitement engagé dans l'esprit de cette déclaration. Il n'existe pas de plus grande menace pour la prospérité et la stabilité économiques de nos pays que le blanchiment d'argent, car il s'effectue au détriment de communautés entières et au prix de l'immense souffrance d'individus et de familles, prisonniers de cet atroce négoce. Nous ne devons pas limiter ce message à l'Europe, mais le diffuser sur la scène mondiale. Nous devons travailler main dans la main avec les Etats-Unis et le GAFI. J'aspire au jour où tous ces espoirs deviendront réels. Nous aurons alors apporté la preuve qu'un travail collectif, dans un esprit solidaire, aura fait la différence et nous nous souviendrons que la semence de ce succès aura eu lieu lors de cette conférence.

Mme Kamelia KASSABOVA (Bulgarie - Assemblée nationale)

Je souhaite remercier notre hôte, l'Assemblée nationale française. Nous apprécions beaucoup de pouvoir participer à ce type de discussion. Notre Parlement adoptera une attitude très positive vis-à-vis de la Déclaration de Paris, qui constituera une législation de base en matière de lutte contre le blanchiment. En 1997, notre code pénal a été amendé et a englobé des dispositions contre le blanchiment. En 1998, nous avons complété cette législation. En outre, nos statuts sont compatibles avec les législations des autres pays. Nous avons fondé un bureau de renseignement international en 1998 pour lancer des enquêtes et fournir des renseignements relatifs au blanchiment d'argent. En juin 2001, les pays de l'Union européenne ont félicité la Bulgarie pour ces dispositions. Nous avons déjà ratifié la convention de Palerme et, cette année, nous avons ratifié la convention internationale de New York relative à la lutte contre le financement du terrorisme. Le gouvernement bulgare a mis en place un programme spécifique qui a pour priorité l'amendement du code pénal et des procédures pénales, à l'encontre des acteurs du blanchiment et de leurs complices. Ce programme comprend aussi des mesures pour lutter contre le trafic de drogue, sur la base des dispositions de la convention de Vienne, comme la saisie et la confiscation de certains biens et revenus. Cette démarche est conforme aux engagements que nous avons pris dans le cadre de la convention de Strasbourg. Nous avons donc l'intention de contribuer aux efforts communs déployés par les Etats européens afin de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme et le blanchiment.

Marcos KYPRIANOU (Chypre - Chambre des représentants)

Je tiens à féliciter l'Assemblée nationale française et son président, qui s'attaquent à un sujet qui préoccupe toutes les démocraties et qui représente une plaie pour les systèmes économiques et financiers de tous les pays. Les Parlements doivent veiller à l'application des lois et des conventions internationales. Notre Parlement a pris l'initiative d'élaborer certains projets de loi pour rendre plus strictes les dispositions à l'encontre du blanchiment. Une Commission au sein de notre Parlement est plus spécialement compétente sur ce sujet. En outre, plusieurs points figurant dans la Déclaration de Paris sont déjà appliqués dans notre pays. Nous avons ainsi institué une loi concernant les autorités de surveillance et certaines professions, comme celle des avocats, nous avons fixé un seuil pour les transactions en espèces et nous avons adopté le renversement de la charge de la preuve. Notre système présidentiel permet au Parlement de jouer pleinement son rôle de contrôle parlementaire. Sur ce genre de sujet, la politique gouvernementale et l'action du Parlement sont convergentes. Chypre soutient totalement la Déclaration de Paris et réitère sa volonté politique de l'appliquer. Nous transmettrons le message à notre gouvernement et nous en contrôlerons l'application. En nous attaquant au blanchiment des capitaux, nous nous attaquons au c_ur du crime organisé.

Rein VOOG (Estonie - Parlement)

Je remercie Monsieur Forni et l'Assemblée nationale française pour l'organisation de cette conférence et je suis ravi de constater que mon pays y a été invité. La plupart des propositions inscrites dans la Déclaration sont déjà appliquées dans mon pays, mais il nous reste à accomplir un travail considérable. L'Estonie s'est lancée dans une nouvelle phase de lutte contre le blanchiment. Certains textes de loi ont été adoptés ou améliorés afin de les rendre conformes aux normes internationales. Les autorités estoniennes ont activement collaboré avec les organisations internationales, notamment en émettant certaines recommandations dans le cadre du GAFI. En effet, nous avons déjà une certaine expérience en la matière. C'est pourquoi je me félicite de la proposition de la délégation allemande : que les pays candidats participent dès à présent aux activités d'Europol et d'Eurojust. Après la mise en _uvre de mesures contre le blanchiment, nous avons accordé de plus en plus d'attention à ces actions. Les banques et les institutions financières assument maintenant leur responsabilité avec le plus grand sérieux. Aujourd'hui, nous essayons de former notre personnel et de sensibiliser le public à nos actions. De plus, la coopération internationale est essentielle. Il faudrait donc mieux coordonner les différentes actions entreprises par les nombreuses organisations et institutions concernées. Nous devons enfin suivre de près les grandes tendances liées au blanchiment au niveau international. Nous sommes disposés à apporter une contribution considérable à la lutte internationale contre le blanchiment.

Janos HORVATH (Hongrie - Parlement)

Je vous transmets les salutations les plus chaleureuses du Parlement hongrois. Je suis prêt à défendre la Déclaration de Paris au sein de mon Parlement. Nous avons adopté une loi contre le blanchiment d'argent dès 1994 et depuis les attentats du 11 septembre, notre gouvernement a pris de nouvelles mesures en la matière, comme l'adoption sans hésitation de la déclaration des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, l'application d'un plan d'action pour accélérer le système de lutte au niveau européen et la mise en place d'un Comite interministériel pour prendre les mesures requises en matière de coopération judiciaire et policière. De plus, le gouvernement hongrois a soumis le 2 octobre au Parlement un projet de loi portant sur la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Ce texte a été voté et est maintenant entré en vigueur. Nous prévoyons par ailleurs l'instauration d'un système de lutte contre le terrorisme international, par l'application de mesures restrictives dans les domaines économique, financier et commercial. En outre, le champ d'application de la loi couvrira désormais des professions, comme celles des avocats et des agents immobiliers, susceptibles de bénéficier des systèmes des fiducies. Par ailleurs, toute personne franchissant notre frontière avec une somme équivalant à au moins 4 000 euros doit déclarer cette somme. Enfin, un système de contrôle plus strict sera appliqué dans les officines de change. Le GAFI a récemment étudié toutes ces mesures prises par la Hongrie et a considéré qu'elles permettraient de la rayer de la liste des pays non coopératifs. Je remercie personnellement un certain nombre de collègues, notamment Monsieur McFall et Madame Becerril, pour leur soutien sans faille.

Aleksandrs KIRSTEINS (Lettonie - Parlement)

Je vous remercie de m'avoir offert la possibilité de participer à cette conférence. En 1996, lorsque Mario Monti s'est déplacé à Riga, il a reconnu que notre pays luttait contre le blanchiment. Notre Premier ministre avait alors réaffirmé son engagement à lutter contre ce fléau. Nous en ferons l'une de notre priorité et nous avons l'intention de travailler avec les autres pays qui mènent le même combat. Nous nous félicitons de l'établissement d'un registre central qui permettra de collecter des renseignements sur le blanchiment et de la mise en _uvre de certains programmes de formation. Nous respectons le programme des Nations Unies de lutte contre la toxicomanie, nous coopérons avec le GAFI et l'Union européenne et nous avons l'intention de collaborer avec les autres Etats baltes pour lutter contre le blanchiment. Nous souhaitons leur apporter l'assistance technique nécessaire en la matière. Nous avons depuis longtemps adopté une législation adéquate pour prévenir et contrer le blanchiment. Les bureaux de change doivent notamment déclarer leurs transactions de devises dont le montant dépasse les 10 000 euros. Après le 11 septembre, nous avons défini un plan d'action contre le terrorisme, prévoyant un contrôle renforcé des visas, la réduction des contacts bilatéraux avec les Etats qui soutiennent le terrorisme, un contrôle plus strict des flux d'immigration, de l'aviation civile, de l'acheminement du courrier, des transports de fret, etc. Nous avons aussi veillé à recueillir toutes les informations nécessaires pour rassurer la population. Nous accordons bien entendu notre soutien à la Déclaration de Paris et nous engageons à continuer de coopérer avec les pays de l'Union européenne et les pays candidats à l'adhésion.

Mme Giedré PURVANECKIENÉ (Lituanie - Parlement)

Laissez-moi vous exprimer toute ma gratitude d'avoir pu participer à l'élaboration du texte contre le blanchiment. La Lituanie appuie cette démarche et a toujours consacré ses efforts à lutter contre la délinquance et le blanchiment. Une loi a été votée en ce sens en 1997, puis amendée en 1998, 1999 et 2001. De nouveaux amendements sont encore à l'étude, permettant d'aménager la libre circulation des capitaux et de mettre en place un système intelligent de lutte contre les opérations de blanchiment. Les trois Etats baltes ont une certaine expérience en matière de coopération dans la lutte contre le blanchiment. Notre collègue de Lettonie a évoqué la Déclaration de Riga : elle fut signée par les Présidents des trois Etats baltes en 1996. Cette déclaration résultait d'une collaboration entre nos Parlements et le Conseil des ministres des Etats baltes. Nous appuyons donc la Déclaration de Paris.

Victor GALEA PACE (Malte - Chambre des représentants)

Je remercie l'Assemblée nationale française d'avoir organisé cette conférence. Je suis heureux de pouvoir évoquer la position de mon pays vis-à-vis du blanchiment, car elle a donné lieu à certains troubles sur la scène internationale et diplomatique. Malte ne semble pas être confrontée à de graves problèmes de blanchiment. Cependant, notre gouvernement a accordé une attention particulière à ce sujet. De nombreux changements sont ainsi intervenus sur le plan législatif et dans les milieux financiers. Le centre financier maltais est responsable de l'octroi de licences à toutes les institutions financières du pays et contrôle les flux financiers qui transitent par Malte. Nous avons adopté une loi sur le blanchiment en 1994. La sanction maximale prévoit une amende de 2,5 millions d'euros et 14 ans d'emprisonnement, outre la confiscation de l'argent et des propriétés immobilières des personnes incriminées. En outre, la Banque centrale de Malte a adopté certaines mesures contre le blanchiment qui s'appliquent aux institutions financières, aux firmes d'investissement et aux agents de change. Ceux-ci doivent en effet identifier leurs clients, tenir à jour des registres, communiquer les transactions douteuses et former leurs personnels aux techniques du blanchiment. Concernant le secret bancaire, il a été supprimé, à la suite d'un ordre d'investigation décrété par les tribunaux, sur la demande du ministre de la Justice.

Malte est membre du Conseil des centres extraterritoriaux, du Conseil de l'Europe et de son Comité restreint d'experts chargés de la lutte contre le blanchiment. Malte a aussi participé à la Convention de Vienne, a signé mais n'a pas encore ratifié la Convention des Nations Unies relative au crime organisé sur le plan transnational. Concernant la loi de 1994 contre le blanchiment, l'unité du crime organisé a été saisie d'une série d'affaires. La police a notamment mis en place en 2001 une unité spécialisée, dont le personnel examinera toutes les questions transmises par l'unité de renseignement financier, également créée en 2001. Les responsables de cette unité proviennent du ministère de la Justice, de la Banque centrale et des forces de police. Toutes les affaires douteuses pourront ainsi être examinées. L'unité pourra aussi procéder à des échanges d'informations avec des organismes étrangers, exerçant des fonctions similaires, et sera habilitée à intervenir non seulement à Malte, mais aussi à l'étranger. En général, toute la législation concernant le blanchiment a bénéficié de l'appui tant du gouvernement que de l'opposition et du parti travailliste. Le développement des nouvelles technologies permettent aux flux financiers de transiter très rapidement à travers le globe. Il est donc plus urgent que jamais de lutter contre le blanchiment. C'est pourquoi Malte continuera de coopérer sur le plan européen et international pour s'attaquer de façon décisive à ce phénomène moderne de la criminalité organisée.

Aristide ROIBU (Roumanie - Sénat)

Je suis très honoré de participer à cette Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment. Dans le contexte de la mondialisation, la criminalité organisée, le trafic de drogue et le blanchiment ne connaissent plus de frontière. Tout en agissant en vue d'atteindre le standard requis pour l'intégration au sein de l'Union européenne, la Roumanie a fourni des efforts pour harmoniser sa législation en la matière. Elle a ainsi adopté en 1999 une loi sur la prévention et les sanctions contre le blanchiment des capitaux, notamment harmonisée avec les dispositions de la directive du Conseil européen concernant l'utilisation du système financier pour le blanchiment. De plus, la Roumanie a adopté en 2000 une loi contre la corruption. Notre loi contre le blanchiment définit d'une manière explicite et détaillée les catégories d'infractions relatives au blanchiment de fonds, en faisant précisément référence aux modalités d'accomplissement de cette infraction et aux sources illicites de provenance de ces fonds, comme le trafic de drogue et des armes, les différentes formes de contrebande, la banqueroute frauduleuse, les jeux de hasard, les infractions commises à l'aide de cartes de crédit ou d'ordinateur. Cette loi stipule également les obligations qui reviennent aux institutions financières et bancaires, aux compagnies d'assurance et aux bureaux de change. Pour pouvoir mener une lutte efficace, notre gouvernement a récemment élaboré un programme national de prévention de la corruption et a créé un Comité national de prévention de la criminalité. Dans ce contexte, la Roumanie reste ouverte à la collaboration avec les institutions spécialisés des pays européens développés afin de bénéficier de leur expérience et de transposer dans sa législation nationale les dispositions communautaires.

Jozef BERNIK (Slovénie - Assemblée nationale)

Je suis ravi et honoré de représenter le Parlement slovène et je vous transmets tous les v_ux de mes collègues. La Slovénie est un pays jeune, qui n'a pas pu éviter certains fléaux, comme le blanchiment d'argent. En 1995, nous avons donc adopté une loi spécifique contre le blanchiment et qui a fait l'objet d'une mise à jour en 2001. Les agences européennes nous ont largement aidés dans notre lutte contre cette délinquance financière et je félicite les participants à cette conférence de leur coalition contre ce danger, de plus en plus menaçant pour nos valeurs et nos systèmes financiers. Le document que nous adopterons aujourd'hui sera extrêmement bienvenu dans mon pays et nous ferons de notre mieux pour en appliquer les dispositions. Monsieur Jospin a mentionné deux autres fléaux : les conflits d'intérêt et la corruption dans la vie privée comme dans la vie publique, tant au niveau national qu'international. Ces fléaux empoisonnent les fondements de nos sociétés. C'est pourquoi nous devons essayer de combattre cette ennemi commun main dans la main. Certes, nous avons tous des intérêts et des systèmes divergents, mais nous sommes tous obligés de lutter contre des systèmes de corruption. Or, nos armes actuelles sont insuffisantes. Le cas d'Enron démontre en effet que l'auto-régulation n'est pas un mécanisme parfait. Il nous faudrait donc des organismes internationaux, des sortes de « tuteurs » de nos sociétés. En conclusion, je vous assure de notre soutien.

Janoslav PETRIK (République Tchèque - Sénat)

La République tchèque appuie elle aussi la lutte contre le blanchiment et souhaite un grand succès à tous les participants de cette conférence dans leur combat contre ce fléau.

Ahmet TAN (Turquie - Parlement)

Je transmets les remerciements du président de la Grande Assemblée de Turquie aux auteurs de cette initiative. Les résultats obtenus ont nécessité un dévouement de la part de tous les participants. C'est pourquoi nous nous associons au contenu de la Déclaration qui nous est aujourd'hui soumise et qui reflète la volonté politique de tous les participants présents de lutter contre le blanchiment sous toutes ses formes. La Turquie a déjà ratifié la Convention de Vienne, la Convention internationale des Nations Unies relative à la lutte contre le terrorisme, les conventions du Conseil de l'Europe et les recommandations du GAFI. Par ailleurs, la Turquie renforce et harmonise actuellement son système législatif en matière de lutte contre le blanchiment. Notre unité de lutte contre les crimes financiers veille notamment à l'application des recommandations et à l'utilisation des instruments internationaux par l'administration. Une des principales sources du financement du terrorisme passe par le blanchiment. Or la Turquie a beaucoup souffert d'actes terroristes et se déclare donc totalement disposée à coopérer avec vous pour éradiquer cette menace. Nous considérons les pays membres de l'Union européenne et les pays candidats comme des interlocuteurs incontournables, étant donné que les organisations terroristes, notamment situées en Turquie, entretiennent des relations avec l'étranger. Cette conférence représente une forme efficace de lutte contre le blanchiment. Une autre réunion sur le blanchiment et le terrorisme se déroulera la semaine prochaine à Vienne, alors que la session de l'Assemblée interparlementaire à Berlin mettra l'accent sur la lutte contre le terrorisme sous tous ses aspects. Nous sommes ravis d'être présents ici pour vous manifester notre soutien et vous assurer de notre entière coopération.

Raymond FORNI

Avant de céder la parole au représentant de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie, je tiens à remercier le président Seleznev qui a accepté d'envoyer un émissaire pour prendre part à notre réunion. J'interprète cette décision comme le signe d'un intérêt que porte la Russie à nos travaux, ainsi qu'un signe d'amitié et de confiance.

Vladimir LOUKINE (Fédération de Russie - Douma d'Etat)

Au nom de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie et de son président, j'exprime ma gratitude à la partie française et, notamment, à Monsieur Forni, pour avoir pris l'initiative d'organiser cette réunion et invité la délégation russe à participer à ce travail commun, en vue d'élaborer des principes généraux et européens de lutte contre le blanchiment d'argent, permettant ainsi de s'opposer à l'activité terroriste. Les parlementaires russes ont récemment voté une loi contre le blanchiment des revenus illégaux. En outre, un arrêté présidentiel a été signé, d'après les mesures d'application et de résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU, numéro 13-73 du 28/09/01. Par ailleurs, un Comité de monitoring financier a entamé ses activités dans notre pays en février 2002. Il comprend aujourd'hui une quarantaine de personnes et coopère au niveau international, notamment pour assurer la formation du personnel et l'achat du matériel approprié. La direction de ce Comité a l'intention de supprimer les obstacles qui empêchent l'adhésion de mon pays au GAFI. Les premières informations afférentes aux activités financières suspectes seront transmises aux services policiers de mon pays d'ici à la fin du mois de février.

Nous estimons que la Déclaration de Paris aura des répercussions cruciales pour plusieurs pays, y compris le nôtre, en contribuant à la définition des normes du droit européen et, plus largement, du droit universel. Les normes législatives diffèrent d'un pays à l'autre, mais nous croyons que la formation de la législation pénale et financière universelle constituera un progrès décisif. L'Europe doit s'exprimer d'une seule voix en matière de lutte contre le blanchiment. Il est important d'élaborer une classification claire et nette des délinquances et du système des sanctions vis-à-vis des criminels et des institutions financières qui auront manqué de vigilance. Il nous paraît également important d'établir des sanctions pour abus de pouvoir relatif aux structures de contrôle. Cependant, nous devons faire preuve d'une grande prudence vis-à-vis de la notion de pays et de territoires non coopératifs. Les formules interdisant d'y détenir des comptes de correspondants ou d'y ouvrir des filiales ou des succursales peuvent en effet provoquer l'ire des élites financières de ces pays. A mon avis, il est préférable de résoudre ce problème dans le cadre de la législation en vigueur, simplement en s'efforçant de rendre les investissements dans les centres off shore de moins en moins attrayants. Enfin, la levée du secret professionnel contredit la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Il serait donc peut-être juste d'envisager cette déclaration et les dispositions visant à sa réalisation comme une mesure extraordinaire, dans les conditions de l'accroissement de la menace terroriste. Nous pourrions même envisager de prendre des mesures plus fermes, en fonction de l'évolution de la situation. Quoi qu'il en soit, la Russie continuera de collaborer de manière active dans ce domaine avec l'Union européenne. Elle a déjà pris des mesures réelles en ce sens. En conclusion, j'indiquerai que, parallèlement au problème du blanchiment, mon pays est confronté à d'autres problèmes autrement graves, que j'ai cherché à évoquer.

Mme Sarah LUDFORD (Parlement Européen)

Je rappelle que les élus du Parlement européen représentent quelque 360 millions de personnes et représenteront bientôt, je l'espère, quelque 500 millions de personnes. Nous agissons en partenariat avec les Parlements nationaux des Etats membres, dont nous complétons les activités. Au cours des prochaines années, nous recueillerons les fruits des progrès accomplis ces deux dernières années dans les secteurs des affaires intérieures et de la justice pour aider les pays membres à lutter contre la délinquance financière et le blanchiment d'argent. Les Conseils des ministres de la Justice et des ministres de l'Economie travaillent désormais de concert pour lutter contre les transactions financières illicites. Au sommet de Tampere, l'Union européenne s'est engagée à mettre en _uvre des législations communes pour contrer les transactions transfrontalières et des juridictions communes, disposant d'une certaine marge de man_uvre, pour permettre l'interaction entre les différents systèmes juridiques. Je suis convaincue que nous pourrons compléter la Déclaration de Paris lors de la prochaine réunion à Londres. La qualité du travail accompli est d'ailleurs excellente, puisque certaines sanctions sont prévues en cas de non-application de cette législation. Nous avons adopté une nouvelle directive sur le blanchiment en décembre 2001, le mandat d'Europol a été renforcé en 2000, nous avons constitué Eurojust, organe permanent, nous avons conclu un accord politique, adopté par le Parlement européen il y a deux jours, à propos du mandat d'arrêt européen et nous disposons d'une série de mesures pour combattre le terrorisme, parmi lesquelles est prévu le gel des avoirs. La prochaine réunion des participants ici présents devrait permettre de dresser le bilan des progrès accomplis par les Etats membres et les Parlements nationaux.

Dans ce genre d'exercice, des points de détail et de divergence mineurs apparaissent inéluctablement. Je rappelle que je ne peux engager le Parlement européen, car je ne dispose pas de mandat pour adopter ce texte. Je vous assure néanmoins de l'engagement total et de la volonté politique du Parlement européen, sous l'égide de Pat Cox, notre nouveau président, de coopérer avec vous dans votre lutte contre la criminalité, le terrorisme et le blanchiment de l'argent sale qui représentent des menaces sérieuses à l'encontre de nos sociétés.

Raymond FORNI

Nous pouvons à présent passer à l'adoption du document final de cette conférence. Je précise que cette adoption correspond à une approbation personnelle. Ce mode d'expression particulier représente sans doute le meilleur moyen de conférer à l'adoption la signification d'un encouragement à soutenir la démarche adoptée. Au-delà de l'expression personnelle, cette adoption symbolise aussi un message politique fort, puisque nous représentons d'une certaine manière nos peuples respectifs. Telle est la définition du parlementaire. Celui-ci doit assumer les décisions qu'il prend devant le peuple qui l'a désigné. Il est important de rappeler que nous affichons une volonté commune qui consiste à lutter contre la délinquance financière et le blanchiment, malgré les quelques nuances qui tiennent compte de la situation de chaque pays. Même s'il existe d'autres problèmes à régler et d'autres questions à traiter, cette mobilisation des Parlements européens sur ce sujet est à mes yeux importante, non seulement parce que la délinquance financière est une plaie, mais aussi parce que les attentats du 11 septembre ont révélé au monde la dangerosité de ces actions et la fragilité de nos démocraties. Il m'appartient maintenant de vérifier que vous n'avez plus d'objections à émettre contre le texte de la Déclaration que vous avez élaboré ensemble, sous réserve des remarques formulées.

Les représentants des Parlements des Etats membres approuvent la Déclaration de Paris à l'unanimité.

J'invite ensuite les pays observateurs à se prononcer, car leur soutien à cette déclaration constituera un symbole fort. Dans leur marche vers l'adhésion à l'Union européenne, ils doivent en effet prendre en compte ce fléau. De plus, en nous permettant d'élargir l'assise de cette déclaration, ils nous confèrent un atout précieux. J'ai toujours considéré que l'adhésion de nouveaux pays à l'Union européenne ne représentait pas seulement une chance pour ces pays, mais aussi un avantage supplémentaire pour nous. En effet, comme l'a souligné Mme Sarah Ludford, l'Europe de demain aura acquis grâce à eux un poids considérable sur le plan international.

Les représentants des Parlements des pays candidats à l'adhésion approuvent la Déclaration de Paris à l'unanimité.

Je me réjouis de l'idée et de la méthode qui ont conduit à cet excellent résultat. J'ai été très heureux de vous accueillir aujourd'hui, comme Vincent Peillon l'a fait hier. Je remercie les parlementaires qui ont participé à cette conférence, les experts qui nous ont accompagnés, nos collaborateurs respectifs, les membres de mon cabinet et les fonctionnaires de l'Assemblée nationale qui nous ont apporté une précieuse contribution. Je remercie enfin la presse qui a déjà relayé le message de cette conférence internationale en France.

La politique se résume à ce combat permanent que chacun d'entre nous livrons pour transformer le rêve qui l'anime en réalité quotidienne pour tous ceux qui lui font confiance. Vous avez participé à votre manière à ce rude travail et je suis persuadé que nos démocraties y ont gagné, ainsi que la construction européenne.

La séance est levée à 12 h 20.

Annexe n° 2

Déclaration finale de la Conférence des Parlements
de l'Union européenne contre le blanchiment,
dite « Déclaration de Paris »

DÉCLARATION DE PARIS

PRÉAMBULE

1. Le blanchiment des capitaux d'origine criminelle et la délinquance financière n'ont pas cessé de se développer ces dernières années en exploitant les potentialités fournies par la mondialisation des marchés financiers ; ils représentent une menace directe pour la stabilité de l'économie globale mais aussi pour la sécurité de nos sociétés démocratiques.

2. Le financement du terrorisme repose sur des systèmes très variés dont certains relèvent de l'économie légale mais il est conduit à recourir aux mêmes instruments que l'ensemble de la criminalité organisée.

3. Sans une action globale et coordonnée des Etats, les autorités et services chargés de la prévention et de la répression ne pourront pas lutter efficacement contre ceux qu'ils poursuivent.

4. Dans la lutte contre le blanchiment et l'utilisation du système financier par les réseaux criminels, l'exemplarité de l'Europe doit être sans faille même si l'efficacité de son action dépend aussi de la prise de conscience et du soutien de l'ensemble des pays développés.

5. La persistance de mécanismes juridiques qui entretiennent l'opacité des transactions financières, l'utilisation des « trous noirs » du système financier international, les carences de la coopération entre les Etats membres de l'Union européenne, ne peuvent plus être tolérés.

6. L'Union européenne n'est toutefois pas restée inactive puisqu'elle a actualisé la directive contre le blanchiment et qu'elle a constamment travaillé à renforcer l'Europe policière et judiciaire qui demeure en retard par rapport à l'Europe économique et monétaire.

7. L'accord politique récent sur le mandat d'arrêt européen devrait aussi permettre d'accroître l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et la délinquance financière, sous réserve d'une application rapide.

8. Dans un cadre élargi, le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, a affiné les analyses du phénomène et a défini les critères permettant d'identifier les pays et territoires non coopératifs ou les lacunes des dispositifs des pays coopératifs.

9. Issus du suffrage universel, les parlements nationaux doivent nécessairement contribuer à orienter et stimuler l'harmonisation des législations et la coopération des États membres de l'Union européenne dans le respect des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des différences des systèmes juridiques nationaux.

10. Au terme d'un débat associant de nombreux experts européens, parlementaires mais aussi universitaires ou praticiens, la Conférence des parlements de l'Union européenne a privilégié quatre thèmes de travail et formulé des propositions de mesures concrètes tendant à améliorer l'efficacité de la lutte contre le blanchiment.

10bis. Afin d'assurer le suivi et l'actualisation des mesures qu'elle a préconisées lors de sa session constitutive, la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment a convenu de se réunir périodiquement.

La transparence des mouvements de capitaux

11. Une lutte efficace contre le blanchiment et la délinquance financière impose de pouvoir reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d'ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles, parmi lesquels :

12. l'opacité de certaines entités juridiques (fiducies, établissements, fondations, sociétés en commandite) et des comptes anonymes ;

13. l'opposabilité aux enquêteurs de différents secrets professionnels dont le secret bancaire ;

14. le fonctionnement de certains services financiers internationaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires) qui ne permet pas toujours d'identifier le donneur d'ordre.

Propositions :

15. Prévoir une déclaration systématique auprès de l'unité du renseignement financier des opérations menées avec des fonds fiduciaires ou assimilés, en cas d'impossibilité d'identifier l'ayant droit économique.

16. Réglementer la forme des fiducies (documentation normalisée, interdiction de clauses « suspectes »).

17. Prévoir l'obligation d'inscription des fiducies sur un registre central ainsi que l'identification des bénéficiaires.

18. Harmoniser les procédures de levée des secrets professionnels.

19. Généraliser l'accès des unités du renseignement financier aux informations détenues par les organismes financiers.

20. Créer un registre central des comptes bancaires.

21. Normaliser, au niveau mondial, l'identification du donneur d'ordre dans les messages financiers internationaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires).

22. Prévoir l'identification par les fournisseurs d'accès des auteurs de transactions financières sur Internet.

Les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs

23. L'identification des pays et territoires non coopératifs dans la lutte contre le blanchiment relève du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) dont les 40 recommandations constituent le standard international de référence. Ce processus doit garantir une évaluation objective.

24. La détermination et l'application des sanctions dépendent actuellement des États. Une action coordonnée de l'Union européenne dans ce domaine ne peut que renforcer l'efficacité de ces sanctions.

Propositions :

25. Renforcer les obligations d'identification de l'ayant droit économique par les organismes financiers avant l'établissement de relations avec des particuliers ou entités de ces pays et territoires.

26. Renforcer les mécanismes de déclaration ou prévoir une déclaration systématique auprès de l'unité du renseignement financier des opérations financières avec ces pays et territoires.

27. Renforcer les ratios prudentiels applicables aux opérations financières menées avec ces pays et territoires.

28. Assortir de conditions, restreindre, surtaxer ou interdire les opérations avec des particuliers ou entités situés dans ces pays et territoires.

29. Interdire aux établissements des pays membres de l'Union européenne d'ouvrir des filiales, succursales ou bureaux de représentation dans ces pays ou territoires ou d'y détenir des comptes de correspondants.

30. Interdire aux établissements financiers dont le siège social est implanté dans ces pays et territoires d'ouvrir des filiales, succursales ou bureaux de représentation dans l'Union européenne ou d'y tenir des comptes de correspondants.

La coopération judiciaire, policière et administrative

31. La lutte contre le blanchiment et la délinquance financière passe nécessairement par la coopération transfrontalière, judiciaire, policière et administrative en raison de l'internationalisation systématique de ce type de délinquance.

32. Le blanchiment repose sur des montages économiques et financiers qui franchissent les frontières.

33. Le groupe Egmont a jeté les bases de la coopération entre les unités du renseignement financier et la création de l'Office européen de lutte antifraude a apporté une première réponse communautaire. Néanmoins, la coopération policière et judiciaire demeure moins avancée.

34. Plusieurs instances internationales (ONU, OCDE, Conseil de l'Europe, Union européenne) ont proposé à la signature des États des conventions destinées à améliorer cette coopération. Au-delà de la nécessaire ratification de ces textes, leur application, souvent assortie de réserves, n'est pas optimale.

35. L'Union européenne s'est régulièrement attachée à promouvoir cette coopération. Dans cet esprit, après la création d'Europol qui a jeté les bases de la coopération policière, le Conseil européen de Tampere a notamment annoncé la création d'Eurojust confirmée par le Conseil européen de Nice. De même, l'accord politique récent sur le mandat d'arrêt européen est une étape importante qui doit être consolidée dans les prochaines années.

Propositions :

36. Développer les échanges d'information entre les unités du renseignement financier.

37. Ratifier, appliquer et renforcer la cohérence des conventions internationales destinées à faciliter la coopération judiciaire et à lutter contre le blanchiment et les organisations criminelles.

38. Harmoniser les incriminations en matière de délinquance financière.

39. Instituer un partage de la charge de la preuve de l'origine criminelle des capitaux, dans le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

40. Harmoniser les sanctions pénales en privilégiant notamment la confiscation du produit du délit et de l'instrument du blanchiment.

41. Reconnaître mutuellement les décisions de gel, saisie et confiscation des avoirs illicites et prévoir un mécanisme de partage entre les Etats des avoirs confisqués à l'issue d'une coopération internationale.

42. Veiller à l'application rapide du mandat d'arrêt européen, notamment en matière de délinquance financière.

43. Consolider le caractère opérationnel d'Eurojust en lui permettant, au-delà de l'échange d'information, de demander aux autorités nationales compétentes de déclencher et d'exercer des poursuites, de les assister dans ce cadre et de coordonner les enquêtes.

Les règles prudentielles

44. La dérégulation mondiale des marchés de capitaux a compliqué la prévention du blanchiment et de la délinquance financière, notamment en raison de l'accélération et de la croissance des flux financiers internationaux qu'elle a générées. La sophistication des techniques et des métiers qui a accompagné la globalisation financière nécessite un renforcement des normes prudentielles et des obligations déontologiques des marchés.

45. Cet élargissement du contrôle et de la régulation financière devrait porter sur l'ensemble des prestataires de services financiers ou juridiques mais aussi sur les réseaux internationaux, qu'ils soient traditionnels et informels (de type « Hawala ») ou, au contraire, très intégrés aux marchés internationaux de capitaux (remise de fonds, compensation, virements interbancaires).

Propositions :

46. Limiter les paiements en espèces au-delà d'un certain montant.

47. Prévoir l'agrément obligatoire auprès de l'autorité de régulation des services financiers :

48. des agents appartenant à un réseau de transfert de fonds ou de valeurs, y compris les réseaux traditionnels, informels ou parallèles ;

49. des agents de création de sociétés ;

50. des bureaux de change ;

51. des intermédiaires financiers actifs sur Internet.

52. Renforcer le contrôle prudentiel et la régulation, au besoin sur un plan international, des activités des sociétés de compensation et de règlement-livraison de fonds et de titres.

53. Assortir de sanctions pénales le manquement manifeste à leurs obligations de vigilance des professions qui y sont soumises.

Conférence des Parlements de l'Union

européenne contre le blanchiment,

Paris, le 8 février 2002.

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2311 - Rapport d'information de M. Arnaud Montebourg. Tome II : La lutte contre le blanchiment des capitaux en France : un combat à poursuivre Volume 1 - Rapport et annexes (2ème partie).

1 Source : rapport d'activité de TRACFIN - année 2000.

2 Enzo Ciconte, auteur d'un ouvrage sur la mafia calabraise (N'drangheta) était, sous la Xème législature italienne, député membre de la commission des Lois.

3 A la suite de son entretien, le Président Yves Le Bourdon, a adressé une lettre au Président de la Mission, par laquelle il regrette d'avoir eu à s'exprimer sur ce sujet. Votre Rapporteur a répondu à ce courrier. Ces deux lettres sont reproduites après le compte rendu de cette rencontre, figurant dans les auditions.

4 La Carsan est la Caisse des règlements et services des avocats de Nice. Elle gère l'argent manipulé par les avocats dans les procédures judiciaires et ne peut servir à autre chose.

5 La Principauté du Liechtenstein : paradis des affaires et de la délinquance financière.

Principauté de Monaco et blanchiment : un territoire complaisant sous protection française.

La lutte contre le blanchiment des capitaux en Suisse, un combat de façade.

La Cité de Londres, Gibraltar et les Dépendances de la Couronne : des centres offshore, sanctuaires de l'argent sale.

Le Luxembourg : un paradis bancaire au sein de l'Union européenne, obstacle à la lutte contre le blanchiment.

6 Rapport d'information n° 2311, Tome I, Volume 1 - La Principauté du Liechtenstein : paradis des affaires et de la délinquance financière - 30 mars 2000.

7 Rapport d'information n° 2311, Tome I, Volume 2 - Principauté de Monaco et blanchiment : un territoire complaisant sous protection française - 23 juin 2000.

8 Rapport d'information n° 2311, Tome I, Volume 3 - La lutte contre le blanchiment des capitaux en Suisse, un combat de façade - 21 février 2001.

9 Voir en annexe entretien du Président Vincent Peillon avec M. Jaume Bartumeu Cassany, Député d'Andorre, le 16 mars 2000.

10 Sur cette question, voir notamment l'intervention du Rapporteur au cours de la VIIème session de la commission parlementaire France-Russie, en novembre 2001.