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N° 2902

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 janvier 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2867) DE M. Alain VIDALIES ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS, relative aux droits du conjoint survivant.

PAR Mme Marie-Françoise CLERGEAU,

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Donations et successions.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Conchita Lacuey, Jacqueline Lazard, Raymonde Le Texier, MM. Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I - POUR UNE PLACE PLUS FAVORABLE DANS L'ORDRE SUCCESSORAL 6

A. LE CONJOINT SURVIVANT "PARENT PAUVRE" DE LA SUCCESSION 6

B. UN RÉGIME SUCCESSORAL QUI NE CORRESPOND PLUS AUX ÉVOLUTIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES 7

C. UNE MEILLEURE PLACE DANS L'ORDRE SUCCESSORAL 8

II - POUR LE MAINTIEN DES CONDITIONS D'EXISTENCE 9

A. LES SOLUTIONS PRÉCÉDEMMENT AVANCÉES : OPTION ENTRE USUFRUIT ET DROITS EN PLEINE PROPRIÉTÉ 10

B. LA PROPOSITION DE LOI : POUR UN DROIT D'HABITATION ET D'USAGE SUR LE MOBILIER 10

C. UN NOUVEAU DROIT AU LOGEMENT TEMPORAIRE APRÈS LE DÉCÈS 12

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 15

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 17

MESDAMES, MESSIEURS,

La Délégation aux droits des femmes, saisie par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, a souhaité se prononcer sur la proposition de loi (n° 2867), présentée par M. Alain Vidalies et les membres du groupe socialiste et apparentés, relative aux droits du conjoint survivant. En effet, à ce vocable juridique austère, correspond une forte réalité sociale qui ne pouvait laisser indifférente votre Délégation.

Ce sont les femmes qui sont principalement concernées par la situation faite au conjoint survivant. Sur 25 millions de femmes, notre population compte plus de 3 240 300 veuves, âgées ou même très âgées pour la plupart.

La situation précaire qui leur est faite dans les successions par le code civil, injuste et inadaptée, est dénoncée depuis longtemps.

Le code civil napoléonien reposait en effet sur l'idée que la succession était liée à la parenté dont le conjoint survivant ne faisait pas partie, la liberté testamentaire permettant éventuellement de compenser par des libéralités l'absence de droits successoraux du conjoint. Malgré les quelques améliorations apportées par le législateur à cette situation, elle reste mal perçue de l'ensemble de nos concitoyens, qui ne comprennent pas que l'épouse ne puisse hériter de son mari.

Les propositions de réforme du droit des successions se sont succédé depuis plus de trente ans, sans qu'aucune n'ait pu aboutir, en raison principalement de la complexité des seules dispositions concernant le conjoint survivant.

Le texte présenté par M. Alain Vidalies a le grand mérite de sortir de l'ensemble du droit successoral les quelques articles qui concernent le conjoint survivant. Il propose des solutions simples et équitables, dans le souci d'une meilleure protection de ces femmes, trop souvent démunies au moment du décès de leur conjoint.

La proposition de loi améliore les droits du conjoint survivant, d'une part en lui assurant une place plus favorable dans l'ordre successoral et en lui reconnaissant plus largement un droit de propriété sur une part des biens du défunt, d'autre part en lui permettant de maintenir ses conditions d'existence après la disparition de l'époux.

I - POUR UNE PLACE PLUS FAVORABLE DANS L'ORDRE SUCCESSORAL

A. LE CONJOINT SURVIVANT "PARENT PAUVRE" DE LA SUCCESSION

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la situation faite par le code civil au conjoint survivant est actuellement désavantageuse, surtout s'il y a des enfants. Comme le souligne l'exposé des motifs de la proposition de loi, ce dernier est le véritable "parent pauvre" de la succession. Lorsque le défunt n'a fait ni donation entre époux, ni testament permettant d'avantager son conjoint, celui-ci ne bénéficie que - très rarement - d'un droit en pleine propriété, ou plus communément d'un droit en usufruit.

· En effet, le conjoint du défunt ne bénéficie de droits en pleine propriété que dans des situations résiduelles :

_ Lorsque le défunt ne laisse ni descendant, ni ascendant, ni collatéral privilégié (frère, s_ur, neveu), le conjoint survivant hérite en pleine propriété des biens de la succession.

_ Lorsque le défunt n'a pour héritier que des ascendants (père ou mère, grands-parents) dans une ligne et dans l'autre des parents plus éloignés que des collatéraux privilégiés, le conjoint survivant hérite en pleine propriété de la moitié de la succession.

· S'il n'a pas de vocation en pleine propriété, le conjoint n'a droit qu'à un usufruit sur une quotité de la succession, variable suivant la qualité de l'héritier avec lequel il est en concours.

_ Le droit à l'usufruit est d'un quart, si le défunt laisse un ou plusieurs enfants soit légitimes, soit naturels.

_ Le droit à l'usufruit est de moitié, en présence d'ascendants, de collatéraux privilégiés (frères, s_urs) ou de leurs descendants, ou des enfants naturels conçus pendant le mariage.

Ainsi, dans la hiérarchie des héritiers, le conjoint ne se trouve placé qu'entre les ascendants ordinaires (grands-parents) et les collatéraux ordinaires (oncles, tantes, cousins).

Par rapport aux enfants et ascendants, le conjoint survivant a une situation peu enviable. En effet, ces héritiers "réservataires" disposent d'une part de la succession dont ils ne peuvent être privés ni par donation, ni par testament, tandis que l'époux survivant n'a droit à aucune part obligatoire dans la succession. N'étant pas héritier réservataire, il peut même être déshérité de ses droits en propriété ou en usufruit, par testament du défunt ou par donation entre vifs lorsque ce dernier a donné tous ses biens de son vivant.

B. UN RÉGIME SUCCESSORAL QUI NE CORRESPOND PLUS AUX ÉVOLUTIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES

· Le système successoral institué par le code civil de 1804 répondait à la préoccupation de conserver les biens dans les familles. Transmettre la succession au conjoint aurait fait sortir les biens de la famille ; aussi le conjoint, considéré comme un obstacle à la conservation des biens dans le clan, étranger dans la famille, était-il rejeté le plus loin possible dans l'ordre successoral (1).

Progressivement, cependant, les droits du conjoint survivant se sont améliorés par la reconnaissance de droits en usufruit, puis par l'octroi de droits en pleine propriété, en cas de concours avec des successibles éloignés. Mais, aujourd'hui, son statut ne correspond plus à l'évolution rapide de la société au cours de ces dernières décennies.

· La structure de la famille a profondément évolué. Celle-ci s'est resserrée autour du noyau formé par le couple et les enfants ; les liens avec la famille élargie, frères, s_urs, neveux et nièces se sont distendus et les liens du sang qui avaient favorisé ascendants et collatéraux passent désormais au second plan.

Parallèlement, on assiste à un accroissement du nombre des divorces et au développement des familles recomposées, qui rendent de plus en plus complexes les règlements successoraux.

La composition des fortunes s'est également modifiée au détriment du patrimoine terrien, qui avait justifié autrefois les règles successorales. De plus en plus, la fortune se réduit, pour beaucoup, à ce que les époux ont acquis durant le mariage, les acquêts.

L'allongement de l'espérance de vie, particulièrement chez les femmes, (82 ans pour les femmes, 75 ans pour les hommes) fait que les conjoints survivants sont majoritairement des veuves âgées. Selon les chiffres du dernier recensement, on compte aujourd'hui en France 3 240 300 veuves (et 613 450 veufs). La moitié d'entre elles ont 80 ans et plus. Comme le souligne Mme Irène Théry (2), l'importance sociale de la question est considérable, sachant qu'environ 240 000 mariages sont dissous chaque année, dont 174 000 par le décès du mari et 66 000 par celui de la femme.

C. UNE MEILLEURE PLACE DANS L'ORDRE SUCCESSORAL

· La proposition de loi de M. Alain Vidalies vise à améliorer les droits du conjoint survivant dans la succession de son époux.

Ainsi, il se verra reconnaître des droits propres en pleine propriété :

_ un quart des biens de la succession, en présence d'enfants ou de descendants du défunt ;

_ la moitié des biens de la succession, si le défunt laisse ses père et mère, à défaut d'enfants ou de descendants ; dans ce cas, et si le père ou la mère est prédécédé, il recueille les trois quarts des biens de la succession ;

_ la totalité de la succession, en l'absence d'enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère.

· Le texte ainsi proposé constitue une avancée considérable pour la protection du conjoint survivant qui se voit reconnaître :

- une meilleure place dans l'ordre successoral, avant les collatéraux privilégiés (frères, s_urs, neveux), toutefois en concours avec les enfants et descendants et les père et mère du défunt ;

- des droits propres en pleine propriété, même en présence d'enfants ou de parents du défunt.

Ces dispositions, nettement plus avantageuses que celles des articles 765 à 767 du code civil, lui confèrent, non plus à titre résiduel, mais quelle que soit la situation familiale du défunt des droits en pleine propriété, marquant ainsi de façon claire et symbolique la place aujourd'hui reconnue au conjoint dans la famille et dans la société.

Comme le souligne M. Alain Vidalies, le lien d'affection lié au mariage induit des droits propres. Plus avantageux que l'usufruit, ces droits en pleine propriété permettent au conjoint survivant de disposer d'une partie de la succession, sans avoir à subir de droit concurrent.

La nouvelle situation faite au conjoint survivant qui tend à écarter, non pas les père et mère, mais les grands-parents du défunt, correspond par ailleurs à une situation de fait, le concours dans une succession entre le conjoint et les grands-parents du défunt étant tout à fait hypothétique.

Toutefois, la proposition de loi ne crée pas de réserve au profit du conjoint survivant. Cette question a été longuement débattue ces dernières années. Aussi bien le projet de loi (n° 1941) déposé en février 1995 que le rapport Théry précité et celui du groupe de travail de Mme Dekeuwer-Defossez (3) ont écarté une telle solution.

Créer une nouvelle réserve, à côté des réserves déjà existantes concernant les descendants et ascendants, ne conférerait au conjoint que des droits réduits, ne lui permettant pas de répondre au souci de voir se maintenir ses conditions de vie. De plus, la réserve du conjoint serait une entrave à la liberté individuelle du testateur ou du donateur en rigidifiant le droit successoral. Enfin, elle serait un facteur aggravant de complexité des liquidations de successions.

En revanche, l'institution d'une réserve héréditaire en faveur du conjoint survivant est soutenue par la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC), dans le souci tout à fait légitime de protéger celui-ci contre le risque de se retrouver dépouillé de ses droits de par la volonté du défunt exprimée par donation ou testament.

II - POUR LE MAINTIEN DES CONDITIONS D'EXISTENCE

Pour la grande majorité des conjoints survivants, la principale préoccupation est de pouvoir conserver, après la mort de l'époux, les mêmes conditions de vie, qui passent essentiellement par la conservation du logement occupé au moment du décès.

A. LES SOLUTIONS PRÉCÉDEMMENT AVANCÉES : OPTION ENTRE USUFRUIT ET DROITS EN PLEINE PROPRIÉTÉ

De nombreuses solutions ont été avancées ces dernières années, pour améliorer la situation du conjoint survivant. La solution retenue par le projet de loi (n° 1941) combinant l'usufruit et la propriété, offrait au conjoint survivant une option entre des droits en pleine propriété et des droits en usufruit, afin de couvrir les situations familiales et patrimoniales les plus variées.

Pour des veuves âgées, le choix de l'usufruit, dont le mérite est de ne rien changer au cadre de vie, est préférable. C'est d'ailleurs la solution généralement retenue lorsqu'il y a donation entre époux. En revanche, une veuve jeune sans enfant opterait sans doute pour le quart en pleine propriété, afin de pouvoir refaire sa vie sur d'autres bases. L'option de la propriété présente aussi l'avantage d'éviter le maintien de liens juridiques entre le conjoint survivant et les autres héritiers, en cas de relations difficiles.

L'usufruit, cependant, présente des inconvénients pour le conjoint survivant. Ainsi, il peut être converti en rente viagère à la demande des héritiers nu-propriétaires qui peuvent en effet exiger cette conversion jusqu'au partage définitif de la succession - à condition de fournir des garanties au conjoint pour le paiement de la rente -. Ce n'est que si les héritiers sont en désaccord, que la conversion reste facultative pour les tribunaux.

Il présente aussi des inconvénients pour les héritiers, en raison de l'allongement de la durée de la vie et de l'évolution des structures familiales. Lorsque le conjoint survivant, à la suite d'un remariage, n'est guère plus âgé que les enfants du défunt, ces derniers risquent de se trouver dans la situation désavantageuse de nu-propriétaires à vie.

B. LA PROPOSITION DE LOI : POUR UN DROIT D'HABITATION ET D'USAGE SUR LE MOBILIER

En sus des droits en pleine propriété du conjoint survivant, la proposition de loi fait bénéficier ce dernier non pas d'un droit à l'usufruit dont on a vu qu'il présente des inconvénients, mais d'un droit au logement et à l'usage du mobilier, garantissant ainsi le maintien de ses conditions d'existence :

"Sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l'article 971, le conjoint qui occupait effectivement, à l'époque du décès, à titre de résidence principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession a sur ce logement, jusqu'à son décès, un droit d'habitation et un droit d'usage sur le mobilier le garnissant."

_ Les dispositions proposées bénéficieront au conjoint survivant, sauf volonté contraire du défunt exprimée dans un testament par acte public, c'est-à-dire un testament authentique dicté par le testateur, en présence de deux notaires ou d'un notaire et de deux témoins, document qui s'oppose au testament olographe. Cette précaution présente une garantie pour le conjoint, qui pourrait craindre d'être lésé par le défunt et privé du droit d'habitation et d'usage.

_ La proposition de loi fait le choix non pas de l'usufruit, mais d'un droit d'habitation et d'usage sur le mobilier.

Le droit d'usage et d'habitation a un caractère viager et s'éteint au décès du conjoint. Il est personnel et ne permet pas, comme c'est le cas pour l'usufruit, de louer à un autre. Il évite ainsi aux héritiers nu-propriétaires l'arrivée de tiers, locataires, dans les lieux.

Le droit d'habitation et d'usage, reconnu par la proposition de loi, ne pourra faire l'objet d'une conversion en rente viagère ou en capital qu'avec l'accord du conjoint. En aucun cas, ce dernier ne pourra y être contraint.

Il conviendra à cet égard de préciser que c'est bien d'un commun accord entre les héritiers et le conjoint que pourra se réaliser la conversion, le conjoint disposant d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de ses droits d'usage et d'habitation.

Il conviendra également d'indiquer à quel moment les héritiers pourront demander la conversion : soit à l'expiration du délai d'un an laissé au conjoint pour prendre sa décision, ou bien à tout moment par la suite ou comme pour l'usufruit, jusqu'au partage de la succession.

Votre rapporteure tient à souligner l'intérêt pour le conjoint survivant de pouvoir demander ultérieurement, passé le délai d'une année après le décès de l'époux, la conversion de ses droits, en rente ou en capital. Comme l'a souligné la FAVEC, entendue par votre rapporteure, une veuve âgée, diminuée physiquement, voire en état de dépendance, nécessitera un hébergement en maison de retraite ou en établissement spécialisé, plusieurs années après le décès. Une solution devra être trouvée afin de lui permettre de couvrir les frais souvent élevés de cet hébergement, notamment par la conversion immédiate de ses droits en rente.

Le conjoint survivant peut aussi renoncer, pour diverses raisons, à bénéficier du droit d'usage et d'habitation et signifier sa décision au plus tard dans le délai d'un an. Dans ce cas, il retrouvera la totalité de ses droits en pleine propriété.

_ La valeur des droits d'habitation et d'usage s'imputera logiquement sur la valeur des droits en propriété du conjoint survivant.

Deux cas sont envisagés :

- "Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est inférieure à celle des droits en propriété, le conjoint peut prendre le complément sur les biens existants."

- "Si la valeur des droits d'habitation et d'usage est supérieure à celle des droits en propriété, le conjoint n'est pas tenu de récompenser la succession à raison de l'excédent."

Cette deuxième disposition est intéressante pour le conjoint survivant qui n'est pas tenu, lorsque la valeur des droits d'usage et d'habitation excède celle des droits en propriété, d'en payer la différence aux héritiers.

Enfin, la proposition de loi prévoit également la situation du conjoint cotitulaire du droit au bail selon l'article 1751 :

"Le droit au bail du local... qui sert effectivement à l'habitation des deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l'un et l'autre des époux."

En cas de décès de l'un des époux, le droit au bail est attribué au conjoint successible s'il en fait la demande, à l'exclusion de tous autres éventuels ayants droit, y compris des enfants.

Dans cette hypothèse, précise le texte, il pourra également bénéficier du droit d'usage sur le mobilier prévu plus haut.

C. UN NOUVEAU DROIT AU LOGEMENT TEMPORAIRE APRÈS LE DÉCÈS

Le décès, outre le choc psychologique et affectif qu'il entraîne, met souvent le conjoint survivant dans une situation de grande précarité.

Nonobstant toute disposition testamentaire contraire, la proposition de loi reconnaît au conjoint la jouissance gratuite, pendant une année du logement occupé à titre d'habitation principale à l'époque du décès, considérée non comme un droit successoral, mais comme un effet direct du mariage, au même titre que le devoir de secours entre époux, qui survit au décès de l'un des époux.

Toutefois, ce laps de temps d'une année a été estimé trop court, notamment par la FAVEC. Aussi est-il suggéré de porter ce délai à dix-huit mois, afin de tenir compte du délai de six mois dans lequel doit se faire la déclaration de succession et de la longueur du règlement des successions.

Lorsque l'habitation fait l'objet d'un bail à loyer, les loyers seront remboursés par la succession pendant l'année de jouissance gratuite du logement. Cette protection reconnue au conjoint survivant pose cependant le problème du poids que cette charge financière risque de faire peser sur la succession.

*

* *

Votre rapporteure tient à souligner l'urgence qu'il y a à adopter cette proposition de loi, afin de mettre un terme aux longues discussions qui ont entouré ces dispositions de la réforme des successions et réparer vis-à-vis des femmes une injustice juridique qui n'a que trop longtemps duré.

Votre rapporteure constate par ailleurs que l'injustice des textes est renforcée par la méconnaissance qu'ont généralement les couples des possibilités offertes par le droit des libéralités permettant précisément de compenser les inégalités de traitement dans la succession.

Une information au moment du mariage devrait permettre de sensibiliser les couples à ces questions afin de mieux protéger la situation du conjoint survivant, particulièrement en cas de décès précoce.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation s'est réunie, le mardi 31 janvier, sous la présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, pour examiner le présent rapport d'information.

La rapporteure en a présenté les grandes lignes et a donné lecture de ses propositions de recommandations.

La première recommandation propose qu'une information soit donnée aux couples, lors du mariage, sur le droit de la famille et en particulier sur les droits du conjoint survivant. M. Patrick Delnatte a estimé que cette information devrait être donnée avant la célébration du mariage.

Après intervention de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, le principe d'une double information, avant le mariage, puis lors de sa célébration, a été retenu.

Selon la deuxième recommandation, il conviendrait de préciser que les droits d'habitation et d'usage reconnus au conjoint survivant ne peuvent être convertis en rente viagère ou en capital que d'un commun accord entre ce dernier et les héritiers, à la demande de l'une ou l'autre partie.

Répondant à l'interrogation de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, sur les conséquences d'une absence d'accord entre les héritiers et le conjoint survivant au sujet de la conversion de ces droits, la rapporteure a indiqué qu'en tout état de cause, le conjoint survivant bénéficierait d'un maintien dans la résidence principale au moment du décès, et que la conversion des droits d'habitation et d'usage ne pourrait se faire qu'avec son accord.

M. Patrick Delnatte, ayant souligné le problème de la baisse progressive dans le temps de la valeur des droits d'habitation, la rapporteure a précisé que la conversion des droits d'habitation et d'usage du conjoint survivant se ferait à partir d'un barème d'évaluation et qu'il était plus que probable que ce dernier et les héritiers trouveraient un accord à ce sujet. Elle a rappelé que le conjoint survivant bénéficierait de toute façon de la moitié des biens à la liquidation de la communauté et, en vertu des nouvelles dispositions, d'un quart au minimum en pleine propriété des biens de la succession.

La rapporteure a indiqué que le conjoint survivant pourrait, s'il le souhaite, dans le délai d'une année, renoncer à son droit d'habitation et d'usage. Dans ce cas, il disposerait, sans imputation, de son droit en pleine propriété sur la succession.

La rapporteure a ensuite proposé dans une troisième recommandation que la durée de jouissance gratuite du logement et du mobilier reconnue de plein droit au conjoint survivant, pendant une année, soit portée à dix-huit mois.

M. Patrick Delnatte a émis une réserve sur cette proposition, souhaitant que les implications de l'allongement de ce délai soient approfondies.

Compte tenu des observations de M. Patrick Delnatte sur la première recommandation et de sa réserve sur la troisième, la Délégation aux droits des femmes a adopté les recommandations ainsi modifiées présentées par la rapporteure.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. Afin de mieux informer les couples sur la situation du conjoint lors du décès de l'un des époux, un document comportant des informations pratiques sur le droit de la famille et, en particulier, sur les droits du conjoint survivant devrait leur être remis avant la célébration du mariage. Ce document devrait également être annexé au livret de famille qui leur est délivré par l'officier d'état civil lors du mariage.

2. L'article 767-5 du code civil, tel qu'il résulte de la proposition de loi, devrait préciser que les droits d'habitation et d'usage reconnus au conjoint survivant ne peuvent être convertis en rente viagère ou en capital que d'un commun accord entre le conjoint survivant et les héritiers, à la demande de l'une ou l'autre partie.

3. La durée de jouissance gratuite du logement et du mobilier reconnue de plein droit au conjoint pendant une année, lorsqu'il occupe effectivement le logement à titre d'habitation principale au moment du décès, devrait être portée à dix-huit mois.

4. Ce texte, qui constitue une avancée juridique incontestable, devrait s'appliquer immédiatement après la promulgation de la loi, afin d'apporter aux conjoints survivants une protection légitime attendue depuis longtemps.

2902 - Rapport d'information de Mme Marie-Françoise Clergeau relatif aux droits du conjoint survivant (délégation aux droits des femmes)

() "Le droit de la famille, état d'urgence". Etude par Jean Carbonnier, Professeur honoraire de l'Université de Paris II Panthéon-Assas, Doyen honoraire de la Faculté de droit de Poitiers. JCP - La Semaine Juridique Édition Générale - n° 50 - 9 décembre 1998.

() "Couple, filiation et parenté aujourd'hui". Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Rapport à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, au Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mai 1998.

() "Rénover le droit de la famille : Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps". Rapport du groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, Professeur à l'Université de Lille II - Septembre 1999.