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N° 3642

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2002

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES(1)

sur

le cinéma

et prÉsentÉ

par M. Marcel ROGEMONT,

Député.

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Actes du colloque sur l'avenir du cinéma
en France et en Europe

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Mercredi 20 février 2002

INTRODUCTION 125

Propos introductif de M. Jean LE GARREC, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales 125

Présentation du rapport par M. Marcel ROGEMONT, député d'Ille-et-Vilaine, rapporteur de la mission d'information 127

I.- PREMIER DÉBAT : « LE CINÉMA FRANÇAIS EN 2001 : ENTRE EUPHORIE ET MUTATIONS » 135

Introduction du modérateur, M. Michel HERBILLON, député du Val-de-Marne 135

INTERVENTIONS DES « GRANDS TÉMOINS » 138

1. M. Marc TESSIER, président de France Télévisions 138

2. M. Philippe CARCASSONNE, producteur, membre du conseil d'administration de l'Union des producteurs de fims (UPF) 143

3. M. Serge SIRITZKY, directeur de la rédaction d'Ecran Total 146

DÉBAT AVEC LA SALLE 150

II.- DEUXIÈME DÉBAT : « LE SYSTÈME DE SOUTIEN FRANÇAIS AU CINÉMA : CHANGER POUR QUE RIEN NE CHANGE ? » 157

Introduction du modérateur, M. Pierre-Christophe BAGUET, député des Hauts-de-Seine 157

INTERVENTIONS DES « GRANDS TÉMOINS » 158

1. M. Jean CAZÈS, président du Club des producteurs européens 158

2. Mme Coline SERREAU, réalisatrice, présidente de la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs français (ARP) 160

3. M. Denis OLIVENNES, directeur général du groupe Canal Plus 162

4. M. David KESSLER, directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC) 167

DÉBAT AVEC LA SALLE 170

UN REGARD EXTÉRIEUR : LE SYSTÈME DE SOUTIEN AU CINÉMA CORÉEN 173

Intervention de M. Byounggug CHOUNG, député à l'Assemblée nationale de Corée du Sud 173

III.- TROISIÈME DÉBAT : « LE MARCHÉ EUROPÉEN DU CINÉMA, UNE AMBITION COMMUNE » 177

Présentation des propositions « européennes » de la mission d'information par M. Marcel ROGEMONT, rapporteur 177

Introduction du modérateur, M. Didier MATHUS, député de Saône-et-Loire 180

INTERVENTIONS DES « GRANDS TÉMOINS » 181

1. M. Jean-Michel BAER, directeur pour la culture et la politique audiovisuelle à la direction générale éducation et culture de la Commission européenne 181

2. M. Guglielmo ROSITANI, membre de la Chambre des députés italienne 184

3. Mme Beatriz RODRIGUEZ SALMONES, membre du Congrès des députés espagnol 188

4. Mme Gisela SCHROËTER, députée, membre du Bundestag allemand 190

5. M. Daniel TOSCAN DU PLANTIER, président d'Unifrance 192

DÉBAT AVEC LA SALLE 197

CONCLUSION DU COLLOQUE PAR MME CATHERINE TASCA, MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION 201

INTRODUCTION

Propos introductif de M. Jean LE GARREC, président de la commission
des affaires culturelles, familiales et sociales

M. Jean LE GARREC - J'ai le plaisir d'ouvrir ce colloque sur le cinéma organisé par la commission que je préside.

Avant de commencer, je tiens à remercier tous ceux qui ont organisé ce colloque ainsi que M. Marcel Rogemont, qui, depuis plus d'un an, a animé la mission sur le cinéma qui réunissait un certain nombre de députés. Il vous en présentera les travaux.

Je remercie également nos amis parlementaires allemands, italiens, espagnols et coréens qui ont fait un long voyage pour se joindre à nous aujourd'hui.

Depuis cinq ans que je préside la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui compte un grand nombre de députés, puisqu'il sont cent quarante-cinq, j'ai eu le souci de développer une action dans le domaine culturel en suivant, bien entendu, les textes proposés par le Gouvernement mais en prenant aussi des initiatives. Je ne les citerai pas toutes, cela vous lasserait, mais je peux souligner, entre autres, la création d'une mission qui a travaillé pendant un an sur les musées, l'organisation d'une table ronde sur l'architecture et bien entendu la mission portant sur le cinéma qui nous réunit aujourd'hui.

Pourquoi un colloque sur le cinéma ?

Les raisons en sont simples. Aujourd'hui, il y a dans le monde des dizaines de millions de femmes et d'hommes qui vont voir un film. C'est un fait mondial extraordinaire. Aujourd'hui, dans Paris intra muros, sont projetés 249 films : des films coréens, italiens, européens, des films récents mais aussi des films anciens qu'il est parfois extrêmement agréable de revoir, des films en version originale et en version française, etc...

Pourquoi le cinéma ?

Parce qu'il est une source d'émotion, de joie, de plaisir, d'histoire, de culture. Il est, pour le cinéphile que je suis, un art probablement majeur.

Pourquoi le cinéma ?

Parce que, comme beaucoup d'entre vous, en faisant un petit effort de mémoire, des images me reviennent, des dialogues aussi, comme ceux de Bogart avec Lauren Bacall ou Ingrid Bergman, Woody Allen, voyant le film Casablanca projeté et répétant lui-même le dialogue ; Almodovar et la « Movida » ; la splendeur des Visconti ; Moretti ; la beauté fulgurante de Simone Signoret dans Casque d'Or ; Ken Loach ; et probablement le plus jeune des cinéastes en activité, Manuel de Oliveira qui, à 93 ans, est en train de préparer deux films. Son dernier film Je rentre à la maison fut un grand moment d'émotion.

Je tiens aussi à citer deux grands films coréens d'Im Kwon-Taek qui ont connu un beau succès en France : La chanteuse de Pansori et Le Chant de la fidèle Chunyang ne serait-ce que pour remercier nos amis d'être venus de si loin.

Pourquoi le cinéma ?

Parce qu'en France, mais aussi en Corée, en Iran, et partout dans le monde, une nouvelle génération de réalisateurs apparaît et je suis très heureux qu'à la fin de ce colloque, nous assistions à la projection en avant-première d'un film de Manuel Poirier : Les femmes... ou les enfants d'abord ; Manuel Poirier qui fut l'auteur d'un très joli film Western, tourné en Bretagne, comme me le signalait mon ami Marcel Rogemont, député de la région.

Le seul rappel de ces grands noms, et je pourrais en citer bien d'autres, nouveaux et anciens, suffirait à justifier ce colloque.

Mais le cinéma est un domaine extrêmement compliqué. S'il est incontestablement un art, art du scénario, de la musique, de la photo, de la mise en scène, il est, en même temps, une industrie. On parle d'industrie cinématographique et comme toute industrie a une tendance irrépressible à se concentrer et à agir sous le poids des flux financiers, nous voyons très clairement combien cette concentration, ce poids des flux financiers peuvent entrer en contradiction avec cet espace créatif et la volonté de faire vivre pour les spectateurs la culture des pays, un art.

C'est en cela qu'une réflexion sur l'évolution du cinéma est tout à fait importante.

C'est la raison qui nous a incités à confier à Marcel Rogemont depuis un an cette mission de réflexion sur le cinéma en France, en Europe et dans le monde. A travers cette action, nous entrons dans un débat, qui est déjà largement engagé, celui de l'exception culturelle, et, plutôt que de m'appuyer sur une citation franco-française, j'ai préféré reprendre un texte du ministre allemand de la culture qui, dans le journal français Libération, disait le 8 février dernier : « Les biens culturels ne peuvent être considérés comme des biens économiques. Leur rôle premier est d'exprimer l'identité culturelle d'un pays et la diversité culturelle à l'échelle mondiale. Seule cette mission nous légitime pour financer opéras, théâtres ou cinémas avec l'argent public. » Il indiquait que la position française lui paraissait raisonnable.

Nous posons bien là le problème ; c'est la raison d'être de cette mission : non seulement mettre en valeur tout ce que le cinéma apporte en tant que création, qu'espace et histoire d'une culture, d'une identité ou d'un pays à travers ses joies et ses crises, mais encore maintenir et, si possible, dépasser cette contradiction.

Il n'est pas question de jeter l'anathème sur tel ou tel cinéma. J'aime beaucoup le cinéma américain, bien évidemment. Mais l'autre espace, européen et mondial, doit aussi pouvoir être développé. Cela pose des problèmes de développement des réseaux, de liens entre ce que l'on a appelé les cinémas d'art et d'essai, de soutien à la création indépendante, c'est-à-dire toute une politique qui, je le crois, est très bien résumée dans les propos que je viens de citer du ministre de la culture allemand, M. Nida-Rümelin.

Telles sont les raisons qui ont conduit notre commission à prendre l'initiative de créer cette mission animée par M. Marcel Rogemont. Elle se composait de dix parlementaires représentants toutes les familles politiques de l'Assemblée nationale.

En conclusion, je citerai un grand cinéaste français, Jean-Luc Godard, qui vient de produire - c'est en soi un film d'ailleurs - une très belle histoire du cinéma et, quand on lui a posé la question de savoir ce qu'est le cinéma, il a très simplement répondu : « Le cinéma, ce n'est rien. Que veut-il devenir ? Tout. » Cette phrase de Jean-Luc Godard illustre notre propos : « Tout ! », c'est à dire à travers l'action que nous menons au niveau européen, préserver cette exception culturelle et donner à chaque pays la possibilité de raconter sa propre histoire, de créer et de nous donner joie et émotion - ce qui est, dans le fond, le but essentiel ! Telles sont les quelques remarques liminaires que je souhaitais faire pour non pas justifier mais expliquer la raison de cette mission.

Je vais céder la parole à M. Rogemont, rapporteur de cette mission. Notre journée sera bien remplie, le temps nous est compté. Je lui demanderai d'user de son autorité pour tenir les délais, autorité sans autoritarisme, en essayant de trouver l'équilibre entre l'expression de chacun et la bonne organisation de la journée.

Présentation du rapport par M. Marcel ROGEMONT,
député d'Ille-et-Vilaine, rapporteur de la mission d'information

M. Marcel ROGEMONT - Je remercie M. Jean Le Garrec de ses propos introductifs pour présenter cette mission. Je remercie également chacun ici présent car les uns et les autres avez apporté votre contribution à ce rapport, à notre connaissance du cinéma et nourri nos réflexions.

Ces remerciements étant faits, je voudrais souligner que les années se suivent et ne se ressemblent pas. Ainsi, l'année 2000 fut une année noire du cinéma français, l'année 2001 une année resplendissante. Chose curieuse, à la fin de chacune, les déclarations vont bon train, avec la ferveur et la sûreté de jugement des prédictions que nous connaissons en matière économique qui veulent que, lorsque cela va mal, on prédit que cela va aller mal et, lorsque cela va bien, on prédit que cela va aller bien.

C'est la raison pour laquelle nous avons voulu nous situer nettement en dehors d'un discours de satisfaction et de prédiction et ausculter modestement le système français du cinéma et le système européen.

Dans un monde qui change, qui fait de la nouveauté un mode de pensée et d'agir, il devient presque révolutionnaire de ne pas proposer la révolution et de suggérer plutôt le respect pour ce qui existe depuis des lustres. Cette réflexion nous est venue et s'est construite pas à pas à mesure de nos travaux sur le cinéma français et européen.

Pourquoi cette réflexion ?

Tout d'abord, parce que la politique du cinéma français repose sur un arsenal de dispositifs au coeur duquel se trouve le Centre national de la cinématographie (CNC). Cela fait plus de cinquante ans que le système fonctionne et force est de constater qu'il répond correctement au pourquoi de sa création, c'est-à-dire « faire vivre le cinéma français ». On le constate en France, on le constate également dans les pays que nous avons visités. La très grande majorité des personnes rencontrées s'accorde à considérer le cinéma comme une activité économique, mais aussi culturelle et à reconnaître qu'à ce titre, l'intervention publique est nécessaire pour garantir la diversité. Ces personnes disent aussi l'attrait que représente le système français pour assurer la vitalité du cinéma.

La première originalité de notre système est de créer un marché pour le cinéma national - l'argent du cinéma va au cinéma français - lorsque la taille de ce marché n'en permettrait pas seule la survie. Les exemples sont nombreux qui témoignent de ce constat.

La seconde originalité du système français est sa durée. On ne peut durer si l'on ne s'adapte pas. Nous avons constaté la grande plasticité du système et une grande capacité à intégrer, à digérer des modifications de l'environnement du cinéma français mais aussi mondial. Cette adaptation permanente rend probablement le système complexe, mais cette complexité tient-elle au système ou au cinéma ?

Certains déclarent que sa durée tiendrait à sa complexité : il est difficile de supprimer une chose complexe car on n'en connaît pas toujours les répercussions. Je crois plutôt, et nous croyons tous au sein de la mission, que la durée tient plutôt au succès du système.

C'est pour cela que nous ouvrons cette journée sous le signe du respect ; le respect que l'on doit à une institution plus que quinquagénaire qui reste d'actualité chez nous, nous le verrons ce matin, et ailleurs, nous le verrons cet après-midi.

Répondant, il y a quelques jours, à Jean Le Garrec qui m'interrogeait : « Marcel, au bout du bout, que dois-je retenir ? », je lui rappelais une pensée bouddhiste qui dit : « Si nous allons dans la bonne direction, ce qu'il reste de mieux à faire est de continuer »...

C'est dans cet esprit que nous vous présentons ce rapport. Je dis « nous », car j'ai souhaité que plusieurs membres de la mission, de droite comme de gauche, prennent la responsabilité d'un échange complémentaire au rapport, d'une part, pour montrer que, si chacun vit sa différence, le respect est partagé et, d'autre part, pour noter que nos réflexions et nos propositions, que je vais vous présenter, sont une participation à une oeuvre collective à laquelle vous tous, ici, producteurs, distributeurs, diffuseurs, journalistes, participez autant que nous, plus même, et ce, je le pense, avec un égal respect, ce dont je vous remercie.

Néanmoins, si le respect évite la révolution, le respect réclame l'évolution. Le paysage cinématographique mondial connaît une accélération sans précédent de la concentration des industries culturelles liées à un marché mondialisé. Comment assurer au cinéma français les conditions d'un développement durable ? Comment construire un véritable espace cinématographique européen ? Telles sont les deux questions que nous aborderons ; la première ce matin, la seconde cet après-midi.

Avant d'entrer dans le détail des propositions, je retiendrai quelques idées qui colorent notre regard porté sur le cinéma.

Premièrement, laisser le cinéma aux lois du marché, c'est la mort du cinéma ; voter des lois pour régir le marché du cinéma, c'est la vie du cinéma pour la raison simple que, pour vivre, un marché national doit avoir une taille suffisante que la France n'a pas et que, d'ailleurs, aucun pays d'Europe n'a.

Deuxièmement, un marché organisé qui veut promouvoir la création, les talents, doit défendre l'indépendance, particulièrement l'indépendance des producteurs.

Troisièmement, nous n'éviterons pas une réflexion sur le poids du financement du cinéma par les télévisions.

Quatrièmement, le système français est une source d'inspiration pour construire un espace cinématographique européen et, donc, pour permettre à des cinémas nationaux de vivre, de se développer et de prospérer.

La problématique qui nous occupe ce matin est de savoir comment assurer au cinéma français les conditions d'un développement durable. Trois axes de réponse se sont dégagés de nos travaux : tout d'abord, préserver les conditions de la concurrence et de l'indépendance pour une plus grande diversité de la création ; ensuite, ouvrir le financement du cinéma en diversifiant les sources de ce financement ; enfin, former les citoyens à l'image.

Sur le premier axe, celui de la préservation des conditions de la concurrence et de l'indépendance pour une plus grande diversité de la création, le cinéma français, comme tous les cinémas nationaux, a besoin tout à la fois d'entreprises fortes disposant de la taille nécessaire pour affronter le marché mondial mais aussi de plus petites entreprises indépendantes alimentant la diversité et la liberté de création.

Si l'effet taille semble important pour la distribution, voire l'exploitation, il en va tout autrement de la production car il n'existe pas de taille magique pour ce métier d'artisans. C'est ce pluralisme artisanal qui fait la richesse du cinéma français. Il risque aujourd'hui de disparaître au profit des grands groupes de diffusion qui rassemblent sous leur aile la totalité des métiers du cinéma et interviennent de plus en plus sur les contenus.

Afin de garantir les conditions de la concurrence et donc de préserver la diversité à tous les niveaux de la chaîne cinématographique, il faut adapter la réglementation au nouveau paysage de la communication et préserver l'indépendance des créateurs.

Pour ce faire, nous suggérons quatre propositions : revoir les règles applicables en matière de contrôle des concentrations, préserver une production indépendante par un aménagement des obligations des diffuseurs, clarifier la politique de soutien de chaînes publiques de télévision et assurer une exposition équitable pour tous les films.

Premièrement, revoir les règles applicables en matière de contrôle des concentrations. « L'hégémonie assèche le marché : la moitié d'un marché vivant est préférable au contrôle d'un marché mort. » déclarait M. Toscan du Plantier au journal l'Humanité le 11 janvier 2002. Il a raison. La liberté naît de la règle, c'est la raison pour laquelle des règles et des pratiques claires devront notamment être établies en matière de contrôle des concentrations et de sanctions des abus de position dominante. Le CNC a lancé un groupe de réflexion sur le droit de la concurrence. Nous l'encourageons dans cette voie et attendons avec impatience le résultat de ses travaux. Est-il, en effet, acceptable que 60 % des droits des oeuvres disponibles en France soient détenus ou gérés par un groupe qui peut, demain, passer sous contrôle américain ?

Deuxièmement, préserver une production indépendante par un aménagement des obligations des diffuseurs. Il s'agit d'aménager les obligations de productions des diffuseurs et non de baisser ces obligations. Quels sont ces aménagements ? Il conviendrait, d'une part, d'autoriser la migration d'une partie des investissements sur l'amont des films - écriture et développement - comme l'a fait la loi du 1er août 2000 pour la distribution. Il ne s'agit pas cependant, en même temps que l'on autoriserait ces migrations d'une partie des investissements des films, de construire des ateliers d'écriture maison pour films formatés télé. Il faudrait, d'autre part, limiter plus fortement les possibilités de cumul des fonctions de producteur et de diffuseur.

Sur ce point, nous formulons deux propositions. Pour les oeuvres audiovisuelles, les diffuseurs ne pourront plus prendre de part de coproduction dans des productions d'une oeuvre s'ils souhaitent qu'elle soit prise en compte au titre de la production indépendante. Une telle disposition pour le cinéma clarifierait la relation producteur-diffuseur. C'est la première proposition. La seconde proposition tend à ce que les chaînes hertziennes soient autorisées à investir 25 % de leurs obligations dans des productions maison. Nous proposons un abaissement à 20, voire 15 % de la part autorisée de production directe. L'effet attendu serait une probable baisse des coûts, mais aussi une meilleure garantie de diversité. Dans cette logique, nous proposons la séparation des fonctions de producteur et de diffuseur, il nous paraît important de ne pas céder sur la question de la détention des mandats de production qui détermine une oeuvre indépendante. Ce point nous paraît primordial. Que la chaîne ne détienne pas plus d'un mandat de commercialisation de l'oeuvre coproduite ou préachetée nous semble être une règle qu'il ne faut pas modifier.

Troisièmement, clarifier la politique de soutien par les chaînes publiques. Les filiales des chaînes de cinéma de France Télévisions répondent aux besoins de l'antenne mais contribuent aussi au renouvellement du cinéma français, en portant notamment une attention particulière aux premiers et deuxièmes films ainsi qu'aux longs-métrages d'animation ou aux documentaires naturels et animaliers, comme Microcosmos. Dans cet esprit, il nous semble souhaitable d'introduire dans le cahier des charges des chaînes publiques une clause de diversité, comme elle existe pour Canal Plus, au profit de films à petits budgets. Il nous paraît également intéressant d'établir une connexion entre l'octroi de l'avance sur recettes du CNC et le financement par une ou plusieurs chaînes publiques. Il ne s'agit pas de créer un cinéma d'Etat mais bien d'indiquer qu'une part des investissements cinéma des chaînes doit revenir à des films bénéficiant de l'avance sur recettes.

Quatrièmement, assurer une exposition équitable pour tous les films. Pour cela, nous formulons une suggestion et deux propositions.

La suggestion serait d'obliger les plus gros opérateurs exploitants diffuseurs à diversifier leurs sources d'approvisionnement en films pour lutter contre l'effet « vente en paquet ». C'est facile à dire, difficile à faire. C'est pour cela que ce n'est qu'une suggestion.

En ce qui concerne les propositions, nous pensons que les contrats de distribution des films devraient comporter, comme cela existe dans d'autres pays européens, un engagement sur une durée minimale d'exposition des oeuvres. La massification de la distribution et de l'exploitation conduit à renouveler l'offre des films sans toujours laisser sa chance à chaque film. En allant plus loin, on pourrait autoriser les distributeurs à saisir le médiateur du cinéma lorsqu'ils estiment que leur film est retiré de l'écran dans des conditions qui ne respectent pas le marché.

Le deuxième axe de réformes consiste à ouvrir le financement du cinéma.

La très grande force du cinéma français et sa capacité de résistance unique en Europe sont liées à son mode de financement. Il permet aux producteurs de dépasser les années difficiles ou les échecs, pour réinvestir dans de nouveaux projets. La part prépondérante prise par les télévisions dans le financement est ressentie par de nombreux acteurs du secteur comme une menace, une fragilité potentielle. Sans revenir sur le financement du cinéma par les télévisions, le cinéma gagnerait à diversifier ses sources de financement.

Il faudrait tout d'abord mettre à contribution les nouveaux diffuseurs pour alimenter le compte de soutien.

Ainsi, toutes les fenêtres d'exploitation d'un film seraient contributrices au compte de soutien. Je pense à cet égard à la distribution des films sous formes de fichiers informatiques. La question est largement ouverte aujourd'hui. Il est difficile d'écarter cette possibilité de contribution. A défaut, un déséquilibre général du système de soutien se ferait sentir. C'est pour cela que nous souhaitons un accord sur ce point. Pour les obligations de production, les contributions de l'ensemble des opérateurs au développement du cinéma doivent être équitables et respecter les similitudes de format. C'est là encore une question délicate, qui doit prendre en compte l'ensemble des chaînes diffusées en France ainsi que les possibilités d'émettre vers le territoire français en s'affranchissant des règles françaises. Pour le reste, des interrogations se font jour sur le taux de contribution au financement du cinéma par les télévisions. De même, le développement de la télévision numérique terrestre modifiera probablement les équilibres entre les opérateurs et les modes de consommation de la télévision. Chacun s'accordera à constater que l'on ignore, dans une large mesure, la nature et l'ampleur de ces modifications. C'est pour cela que s'il est utile de nourrir le débat, il est inutile d'anticiper la réponse à des questions encore mal cernées.

Il serait bon, ensuite, de restructurer les dépenses des comptes de soutien.

Cela pourrait se faire en modulant les mécanismes de l'aide automatique. Il faut préserver la marge d'intervention sélective du CNC. Pour ce faire, la mise en place d'une dégressivité du taux de retour du soutien automatique, voire son plafonnement au-delà d'un montant de recettes de résultats particulièrement élevé, est à prévoir. Nous pourrions également revoir les mécanismes de l'avance sur recettes. Le CNC a engagé une réflexion, en cherchant à doter l'avance sur recettes d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Nous nous félicitons de cette volonté de transparence, nécessaire pour réfuter les critiques de clientélisme et d'élitisme, qui sont parfois faites à l'avance sur recettes. En outre, il est regrettable que l'avance sur films terminés soit aussi peu utilisée et plafonnée à un montant, somme toute, modeste de 500 000 francs. La revalorisation de cette aide encouragerait une production à prendre plus de risques.

Il conviendrait également de réformer le régime des SOFICA.

Nous souhaitons qu'un relèvement du plafond de la collecte à 100 millions d'euros, quasiment un doublement, devienne la contrepartie d'une ouverture des interventions des SOFICA et de leur plus grande indépendance en limitant les possibilités de garantie du risque de sortie et d'adossement aux grands groupes de diffuseurs. Nous souhaitons en outre que l'intervention des SOFICA sur l'amont de la production soit aussi une incitation à la prise de risque et puisse avoir, comme contrepartie, un taux de garantie plus élevé. Nous souhaitons également des SOFICA ouvertes aux industries techniques ainsi que des SOFICA régionales. L'ouverture des SOFICA aux industries techniques du cinéma et de l'audiovisuel remédierait à une sous-capitalisation chronique de ce secteur, qui en limite le développement. Les SOFICA territoriales pourraient, de façon ciblée, accompagner le financement des productions en régions.

Autre point : donner une nouvelle dimension aux aides régionales. Pour cela, il faut d'abord affirmer la légalité des interventions des régions dans le cinéma. C'est chose faite depuis très peu de temps, avec l'article 102 de la loi sur la démocratie de proximité. Ce point étant acquis, il faudra professionnaliser ces structures. A cet égard, nous avons noté que depuis 1997, le CNC accompagne les interventions des régions dans la production cinématographique. C'est une bonne orientation.

Il conviendra aussi de mieux assurer l'amortissement des risques financiers. Dans ce domaine, il semble bien que la France soit en retard. L'Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) est un mécanisme efficace, peu coûteux, mais sous-employé. Pourquoi ne pas étendre ce système à des productions de niveau européen dès lors qu'il serait alimenté par des crédits communautaires ? L'Institut pourrait aussi s'engager dans le secteur de la distribution internationale de films aujourd'hui très peu financé par emprunt. Au-delà de la distribution, il conviendrait de réfléchir à un outil permettant de garantir ce que d'aucuns appellent le gap financing, c'est-à-dire les recettes réalisées en supplément des entrées salle - export, vidéo, etc. Pour un film indépendant, il s'agit là parfois de quelques millions de francs, mais cela suffit souvent à empêcher le bouclage financier d'un projet. Une garantie sur cette partie de recettes serait donc utile. Cela permettrait aux petits producteurs de conserver une part du négatif et donc une part de leurs actifs.

Le troisième axe d'évolution, la formation du citoyen à l'image, passe notamment par deux initiatives.

Premièrement, réaffirmer le rôle de la télévision publique en matière de diffusion de la culture cinématographique. Nous constatons, sur ce point, qu'à part l'auto-promotion par la diffusion de bandes-annonces, il n'y a aucune émission sur le cinéma sur une quelconque chaîne, et je ne parle pas seulement des publiques mais aussi des privées. Nous rêvons d'un « Masque et la plume » qui, à défaut d'une émission intelligente et critique, permettrait aux téléspectateurs de mieux apprécier ce qu'on leur propose sur les écrans. A quand une émission sur le service public, et ce, à des heures décentes ? A défaut de volonté des chaînes publiques, le cahier des charges pourrait le prévoir.

Il conviendrait également de renforcer la place du cinéma à l'école. Des opérations ponctuelles du collège ou du lycée au cinéma participent à donner aux jeunes une pratique mais absolument pas à forger une culture et un esprit critique. Bien entendu, on ne peut que se féliciter du plan quinquennal de développement de l'enseignement artistique à l'école, présenté par les ministres Tasca et Lang. Malheureusement, cette ouverture reste assez modeste et nous souhaiterions que l'éducation à l'image soit intégrée dans les programmes généraux d'enseignement tant dans le primaire que dans les collèges et lycées.

Voilà dressé l'inventaire des trois axes qui participent à donner au cinéma français les conditions d'un développement durable.

Pas moins de vingt-six propositions, d'inégale importance, vous ont été faites. Elles concourent à porter un regard sur des évolutions nécessaires du système financier d'aide au cinéma.

Je tiens à remercier mes collègues de la mission. Avec eux, je pense pouvoir affirmer que le cinéma est une affaire sérieuse et intéresse de nombreux emplois. J'ose espérer que notre travail ne sera pas sans lendemain, vous pouvez compter sur nous.

M. Jean LE GARREC - Merci, M. Rogemont, d'avoir introduit ce débat après mes quelques remarques liminaires. Bien entendu, je joins mes félicitations aux siennes pour le travail remarquable accompli par tous les députés ayant participé à cette mission, en commençant par M. Michel Herbillon, député du Val-de-Marne, qui va animer la première table ronde.

I.- PREMIER DÉBAT : « LE CINÉMA FRANÇAIS EN 2001 : ENTRE EUPHORIE ET MUTATIONS »

Introduction du modérateur, M. Michel HERBILLON,

député du Val-de-Marne

M. Michel HERBILLON - Mesdames et messieurs, je voudrais vous dire le plaisir que j'ai à animer ce premier débat sur le thème « Le cinéma français en 2001 : entre euphorie et mutation » et tiens à vous remercier tous de votre présence ainsi que ceux qui participent à cette première table ronde, que je voudrais en quelques mots vous présenter.

Marc Tessier, notre premier intervenant, a reçu une double formation de l'Ecole Polytechnique et de l'ENA. Il a commencé sa carrière dans l'administration comme haut fonctionnaire avant, en 1982, de l'orienter vers le secteur privé, au sein du groupe Havas où il fut nommé directeur financier, puis, directeur général. En 1983, conjointement à ses fonctions de directeur général d'Havas, il participe au lancement de Canal Plus sous l'autorité d'André Rousselet et, en 1984, devient directeur général de Canal Plus, président du conseil de surveillance d'Havas Tourisme, directeur général de la Société pour l'étude et l'exploitation des télévisions par satellite, président-directeur général de Canal Plus International. En 1993, il est directeur général chargé du développement de Canal Plus et lance le projet numérique de Canal Plus en France et en Europe. En 1995, il est nommé directeur général du Centre national de la cinématographie et président de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe. Il est président de France Télévisions depuis le 2 juin 1999. A ce titre, il est aujourd'hui président de France 2, France 3 et France 5.

Philippe Carcassonne est producteur, membre du conseil d'administration de l'Union des Producteurs de Films. Il a créé un certain nombre de sociétés de production dont Ciné A, production cinématographique de long métrage - et Ciné B, créée en 1998. Il fut également vice-président de l'avance sur recettes au CNC en 1994 et 1995.

Le troisième participant à cette table ronde est Serge Siritzky. Sa présence est intéressante car il possède une double nationalité, française et américaine. Lui aussi ancien élève de l'ENA, il a été exploitant, distributeur et producteur de cinéma en tant que président-directeur général de Parafrance, producteur de télévision en tant que président-directeur général de Télésite, et dirige aujourd'hui l'hebdomadaire Ecran Total, premier magazine français destiné à tous les professionnels de l'audiovisuel. Serge Siritzky réalise également des études stratégiques importantes. Je citerai notamment sa dernière étude, sortie en janvier 2002 et intitulée « Quelle stratégie pour les acteurs du câble et du satellite face à la télévision numérique terrestre ? ». Depuis janvier 1993, Serge Siritzky est également secrétaire général et trésorier de l'Association des journalistes des médias et de la communication.

Avant d'ouvrir ce débat, je voudrais, aussi rapidement que possible, mais c'est une gageure, fixer le paysage du cinéma français en 2001.

La première caractéristique, ce sont les résultats exceptionnels du cinéma en 2001 et les quelques chiffres que je vais vous livrer sont autant de cris de victoire et de satisfaction : 185 millions d'entrées dans les salles pour 2001, soit 11 % de plus qu'en 2000 ; 23 millions d'entrées pour le seul mois de décembre 2001, le plus haut niveau atteint depuis vingt ans ; la part du marché des films français représente 41 % en 2001, elle était de 28 % en 2000 ; vingt titres français ont réalisé plus d'un million d'entrées ; parmi les cinq premiers films de l'année au box office, quatre films sont français.

La production française a atteint le chiffre record de 204 films. Ce niveau de production n'avait pas été atteint depuis 1980. Le nombre de films à gros budget progresse, ce qui confirme l'industrialisation du secteur et sa capacité à dégager des financements importants, mais le nombre de films à petit budget et des premières oeuvres progresse également.

A l'exportation, les films français connaissent une véritable explosion en 2001, marquant une progression de 120 % par rapport à 2000, selon les chiffres publiés par Unifrance.

En fait, on peut dire que la situation actuelle du cinéma français est un démenti à toutes les prédictions les plus pessimistes et aux évolutions que l'on considérait comme irréversibles.

On disait le cinéma d'auteur condamné, il réalise aujourd'hui de véritables succès. On disait le cinéma français « inexportable », les chiffres ont doublé ces dernières années. On disait que seuls les films tournés en anglais pouvaient avoir une chance de succès, ce sont aujourd'hui les films en français qui marchent le mieux. On disait que le cinéma français était censé ne pas savoir produire des films de genre, comme les policiers ou les fantastiques, Les rivières pourpres et Le pacte des loups ont connu un grand succès. Et je ne peux oublier de parler du Fabuleux destin d'Amélie Poulain dont l'affiche orne les murs de la salle. Il va réaliser plus de 60 millions de dollars de recette aux Etats-Unis alors qu'il s'agit d'un film d'auteur, qu'il est tourné en français et sur un sujet très français.

Il existe donc en France un véritable savoir-faire et de véritables talents qui n'ont rien à envier aux autres systèmes, en particulier au système américain qui fonctionne sur un modèle industriel associant production massive - 600 films par an - et diffusion mondiale. Alors, à quoi ce succès est-il dû ? Probablement à une évolution des comportements et des mentalités des différents acteurs de la chaîne cinématographique.

On peut véritablement se demander si le cinéma français n'a pas réalisé une vraie révolution culturelle en retrouvant, pour citer ce que nous disait Alain Terzian, « le chemin du coeur du public ». On retrouve les effets de ces changements quand on interroge le public. L'état d'esprit du public français a changé, il n'y a plus d'a priori négatif par rapport aux films français, comme l'ont démontré les récents sondages et les spectateurs reconnaissent que les scénarios se sont améliorés, que la façon de raconter des histoires a changé et que les sujets développés sont aujourd'hui plus accessibles.

Non seulement il y a une véritable révolution culturelle dans le cinéma français, mais il y a aussi, deuxième caractéristique, une véritable stratégie de conquête du public.

On distingue quelques éléments de cette stratégie de conquête : les investissements ont été renforcés en amont et en aval du tournage ; la gamme des films produits s'est élargie ; les budgets de production se sont accrus. La hausse de la fréquentation est tout autant liée à l'attractivité et à la diversité de l'offre des films qu'à l'amélioration tant quantitative que qualitative des conditions de projection ; le développement des multiplexes depuis 1993 a certainement contribué à l'accroissement du nombre de spectateurs.

Faut-il pour autant se laisser bercer par cette douce euphorie ?

Je ne le pense pas, parce que le regain de dynamisme du cinéma français s'effectue dans un environnement mouvant. Les résultats exceptionnels de 2001 ne doivent pas cacher l'importance des mutations structurelles. C'est la troisième caractéristique du paysage du cinéma français aujourd'hui.

Mutations structurelles : l'industrie cinématographique française est aujourd'hui confrontée à une transformation rapide de son environnement technologique, économique et financier qui suscite des interrogations et des inquiétudes. Le secteur de la communication, et en son sein celui du cinéma, connaît une accélération des mouvements de concentration capitalistique des différents acteurs, qu'ils soient producteurs, distributeurs, exploitants ou diffuseurs.

Je le rappelle en quelques mots, mais les faits sont présents dans vos mémoires, ce sont : la naissance du groupe Vivendi Universal et l'intensification de son développement aux Etats-Unis, la fusion des réseaux de salles Pathé et Gaumont, le mouvement d'acquisition de sociétés de production par des diffuseurs - l'opération TF1-Téléma, le renforcement des structures de distribution et de négoce des droits développées par l'ensemble des diffuseurs français et les interrogations sur le devenir de Canal Plus.

Certains voient dans ces mouvements de concentration une menace pour le cinéma français. D'autres y voient une possibilité de renforcement des entreprises françaises du secteur et une façon de préserver l'identité nationale des entreprises, des contenus et des détenteurs de droits par la constitution de groupes de taille internationale. C'est évidemment une question que nous aborderons dans le cadre de nos débats.

Les mutations que connaît le cinéma français se sont également traduites par une massification des modes d'exploitation, qui est illustrée par le développement des multiplexes et la création des cartes d'accès illimité. Je rappelle qu'il existe actuellement quatre-vingt deux multiplexes en exploitation et que soixante-quatre projets ont été approuvés. Le développement des multiplexes et des cartes d'accès illimité a des conséquences structurelles et entraîne une modification des comportements des téléspectateurs.

L'autre mutation structurelle importante est l'arrivée de la technologie numérique. Celle-ci va profondément transformer les conditions de production, de distribution, d'exploitation et de « consommation » des films, avec, vous le savez, les questions qui sont ouvertes en matière de gestion des droits intellectuels et moraux et qui sont loin d'être réglées.

La quatrième caractéristique de ce panorama du cinéma français est aussi, et enfin, la permanence des points faibles.

Ces points faibles sont tout d'abord, en amont des films, le secteur de l'écriture et du développement des scénarios, qui souffre en France de problèmes spécifiques alors qu'il existe, vous le savez bien, un lien incontestable entre l'écriture et le succès d'un film.

C'est le problème de la formation insuffisante au métier de scénariste. C'est aussi le problème de la rémunération de cette profession, qui, en conséquence, n'attire pas suffisamment de vocations. C'est encore le problème de l'image de ce métier : les jeunes scénaristes veulent absolument devenir réalisateurs, alors qu'il ne s'agit pas du tout du même métier. Le rapport Gassot a mis en lumière qu'en France, les dépenses d'écriture ne représentent que 2,2 % des investissements totaux d'un film.

En aval des films, c'est la promotion et la distribution qui sont considérées comme le maillon faible des activités cinématographiques par rapport à la production et à l'exploitation.

Dernier point faible enfin, les industries techniques sont aujourd'hui dans une position financière très délicate et sont peu capables de se développer pour répondre à la demande, alors qu'elles sont unanimement reconnues dans le monde pour leur excellence. Du fait notamment de l'absence d'aides adaptées à cet aspect technique fondées sur une logique industrielle, les industries techniques n'ont pas les moyens de créer un véritable studio comparable à ce qui existe, par exemple, en Allemagne à Babelsberg ou en Italie à Cinecita.

Mes chers amis, le débat est maintenant ouvert. Je cède donc la parole à M. Marc Tessier.

INTERVENTIONS DES « GRANDS TÉMOINS »

1. M. Marc TESSIER, président de France Télévisions

M. Marc TESSIER - Je trouve extrêmement significatif que le premier intervenant dans un colloque aussi important, organisé sur le cinéma, à un moment particulièrement euphorique de la vie du cinéma, soit le président d'une télévision publique.

Je voudrais souligner ce point puisqu'en fait, si nous sommes réunis ici et si ce colloque a un sens, c'est bien parce que, derrière les données qui sont tout de même extraordinaires et dont je n'aurais jamais espéré que nous puissions les atteindre lorsque j'étais dans mes fonctions de directeur général du CNC, car aucune de nos projections ne manifestait alors de résultats d'une telle ampleur pour le système français de soutien au cinéma, c'est que peut-être, on l'a vu encore récemment, le consensus français autour du système de soutien au cinéma est en train non pas de se déchirer, mais de s'effriter.

Est-ce la conséquence du succès ? Peut-être. Est-ce la conséquence de l'arrivée de nouveaux acteurs, comme vient de le dire M. Herbillon, liée à des phénomènes de concentration ? Probablement aussi. Mais c'est sans doute aussi le fait que les acteurs qui se situent en aval de la filière, c'est-à-dire ceux qui interviennent après la diffusion en salle, observent des mutations très profondes dans le mode de diffusion des films post-salle et, donc, dans le mode de financement des films post-salle, et que les uns et les autres essaient de se repositionner par rapport à ces changements.

Si je devais souligner un point au cours de cet exposé, c'est avant tout celui-là : le succès en salle, qui est l'extraordinaire résultat de l'année 2001 - mais qui suit les résultats également très positifs enregistrés des années précédentes et se confirme cette année - ne doit pas dissimuler le fait qu'en aval, des changements importants, parfois positifs, parfois négatifs, sont en cours et que ces changements vont probablement nous amener à réfléchir à des évolutions de notre système.

La télévision publique, bien entendu, doit jouer son rôle. Et il est, à cet égard, très significatif que l'on se tourne maintenant vers le président d'une télévision en clair, même publique, c'est-à-dire vers celui qui incarnait l'ennemi de la salle il y a encore quinze ou vingt ans - je me souviens encore des débats au moment du lancement de Canal Plus -, vers celui dont on demandait qu'il finance plus le cinéma et en diffuse le moins possible - on plafonnait ses diffusions et on le soumettait à des règles de quotas qui sont toujours en vigueur dont je ne demande, d'ailleurs, en aucun cas, la modification - bref, vers celui auquel on imposait toute une série de disciplines pour lui demander s'il pourrait contribuer plus à stabiliser l'avenir du cinéma par rapport à ceux qui viennent dans l'intermédiaire de la chaîne.

Je trouve cela très significatif, fort intéressant - et je ne le relève pas du tout sur un mode ironique et critique - parce que je crois qu'en fait, on a raison de se poser la question sous cette forme.

Parmi les différentes évolutions importantes que je situe en aval de la salle - je laisserai les professionnels du cinéma parler de la salle elle-même - je voudrais en évaluer plusieurs qui concernent donc le cinéma mais aussi la télévision en clair et la télévision publique en particulier.

Premier point, tout le monde se rend bien compte, avec le succès de l'exploitation des films en support DVD, que l'imprécision de notre régime concernant la vidéo, notre point faible des années précédentes que nous n'avions jamais totalement réglé, peut poser un problème général à tous les intervenants du secteur si l'on assiste à un véritable boom des différents modes de diffusion et d'utilisation du cinéma à la carte. Il y a bien sûr le DVD. Il y aura aussi des modes d'utilisation en ligne et le développement du paiement à la séance.

Or, il est clair aujourd'hui que si ce secteur d'activité continuait à connaître un développement aussi rapide, soutenu par le développement technologique, il faudra bien qu'il contribue au financement du système, au plan du financement stricto sensu, c'est-à-dire à l'apport financier en amont des oeuvres et pas simplement au paiement en aval au moment de l'utilisation. Il faudra voir aussi de quelle façon il pourra contribuer davantage à la politique de diversification de l'offre cinématographique, diversification culturelle et de création.

C'est donc l'un des grands absents de notre système, car aujourd'hui il n'y contribue que marginalement, qui doit y revenir. Je comprends cependant que tel ou tel, en particulier les télévisions payantes, et notamment le groupe Canal Plus et TPS, soient préoccupés de ce développement et nous interpellent sur ce sujet.

Le deuxième point est spécifique à la télévision : il consiste à réfléchir à la prise en compte de ce que j'appelle la surabondance de l'offre télévisuelle de films.

C'est un phénomène qui n'est pas récent, qui va s'accentuant et, lorsque j'entends parler du lancement de six nouvelles chaînes de cinéma qui seront diffusées bientôt par Canal Satellite et viendront s'ajouter aux nouvelles chaînes cinéma que nous avons initiées au cours des années précédentes - et cela, je le tiens à le souligner, sans qu'il y ait eu un effet négatif sur la diffusion en salle, ce qui est un élément extraordinairement positif - cela m'amène à réfléchir aux réglementations qui s'appliquent spécifiquement aux télévisions en clair qui sont en aval de la filière.

Le goût du public pour le cinéma français est tout simplement lié au fait que les télévisions publiques et privées sont tenues de diffuser un quota de films français et que cette règle est très importante. Quand on y réfléchit bien, on ne peut pas à la fois dire aux télévisions en clair qu'elles doivent soutenir le cinéma et sa diversité et ne pas se demander aujourd'hui s'il faut maintenir un maximum de films à diffuser à la télévision et des contraintes sur les jours de diffusion.

Cette question se pose à tous, et particulièrement à la télévision publique puisque, je vous le rappelle, nous avons aujourd'hui trois canaux publics - France 2, France 3 et l'ensemble constitué par France 5 jusqu'à 19 heures et Arte ensuite - et, bientôt, nous en aurons un supplémentaire puisque Arte et France 5 diffuseront vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il va bien falloir harmoniser notre offre de films en première, deuxième et même troisième partie de soirée car avec un nombre de premières parties de soirée trop restreint, nous allons nous cannibaliser mutuellement. C'est d'ailleurs ce que nous sommes déjà en train de faire.

Quand on reproche à la télévision publique de ne pas diffuser assez de films en première partie de soirée, il faut avoir conscience que nous avons des problèmes de programmation qui se traduisent par le fait que la performance du cinéma sur la télévision publique en première partie de soirée a diminué ces dernières années, alors même que la performance de la fiction française produite en France - je rappelle que nous avons cinq soirées sur France Télévisions consacrées à la fiction française - ne cesse d'augmenter et dépasse largement aujourd'hui la performance moyenne du cinéma sur nos antennes.

Se pose donc là un véritable problème de souplesse de programmation. C'est l'un des points dont nous discutons avec les professionnels à l'heure actuelle, notamment pour ce qui est du vendredi. Il faut y réfléchir en envisageant une évolution progressive de notre métier dans le domaine du cinéma. Il ne faut pas de mutation brusque. Tout doit être négocié et faire l'objet d'accords. Il doit y avoir des contreparties. C'est la règle du jeu, la règle dite du consensus. Elle est logique, rationnelle et a fait ses preuves les années précédentes.

Monsieur le rapporteur, si vous le permettez, j'en profite pour dire que je ne comprends absolument pas cette opposition que l'on fait en matière de diffusion, comme en matière de contribution à la production, entre ARTE et les autres télévisions publiques.

La télévision publique est un ensemble de trois chaînes et, bientôt, quatre. Il est heureux que toutes ne fassent pas du ARTE. Imaginez que les quatre chaînes publiques ne fassent que cela ! Chacune a sa vocation spécifique et contribue à des cinémas différents et à des politiques de programmation et de diffusion différentes. Je me félicite que nous ayons en France un système de télévision publique en diffusion si complémentaire. Je ne pense pas qu'il faille comparer France 2 à France 3 ou cette dernière à France 5 ou à ARTE.

Il faut, au contraire, accentuer les différences pour favoriser la diversité de l'offre cinématographique et de la contribution à la création cinématographique. J'insiste sur ce point, car je suis sans doute en léger désaccord avec les analyses développées de ce point de vue dans le rapport.

Après la surabondance de l'offre sur les télévisions diffusées, venons-en à un troisième phénomène, problème que vous relevez légitimement : celui de l'écart croissant entre les différentes formes de cinématographie.

Il va de soi que le sur-développement du secteur en aval et le succès en salle font qu'aujourd'hui, nous avons une tendance à avoir des films à très gros budget, qui réalisent des performances en salle considérables et qui, parfois, malgré ces performances en salle, sont des échecs financiers, et d'autres formes de films et d'innovation dans le cinéma, en particulier ce que l'on appelle l'industrie du premier film.

C'est sur ces derniers que la télévision publique et les télévisions en clair doivent, de mon point de vue, jouer un rôle très important. Quand je parle de télévision publique, c'est bien de l'ensemble France Télévisions plus ARTE.

Je m'inscris en faux contre les analyses qui ont été présentées sur la politique de France Télévisions dans ce domaine. Nous avons pris il y a deux ans, et pratiqué depuis, la décision formelle d'augmenter le nombre de films que nous coproduisons. Si nous avions un investissement moyen par film identique à celui de TF1 qui contribue, au contraire, au phénomène d'hyper-commercialisation du cinéma, France Télévisions coproduirait moitié moins de films et contribuerait à la surenchère en essayant d'investir dans les mêmes films que nos concurrents privés. Nous ne le faisons pas. Nous avons décidé de ne pas le faire. Nous avons d'ailleurs affiché officiellement cette position. Nous coproduisons plus de cinquante films par an, dont un nombre de premiers films considérable puisqu'un tiers des films que nous coproduisons appartiennent à cette catégorie.

Ensuite, sur l'ensemble des films coproduits entre ARTE et France Télévisions, soit soixante-douze films, la quasi-totalité des films de l'avance sur recettes sont coproduits par la télévision publique. Je ne pense pas qu'il en manque un à la liste... bon, peut-être quatre ou cinq ! Mais laissons-nous le droit de ne pas reprendre tous les films qui nous sont présentés. C'est une liberté qui est source de diversité.

Il va de soi que c'est l'une des fonctions de la télévision publique. Il ne doit pas y avoir de doute sur notre contribution à la diversité de l'offre cinématographique, à la création, à l'émergence de nouveaux talents. C'est notre politique. Nous la suivons déjà depuis deux ans et comptons la poursuivre au cours des années à venir. Nous avons, je le rappelle, augmenté notre contribution du simple fait que nous passons de 3 % à 3,2 % du chiffre d'affaires.

Un quatrième facteur est à l'origine des inquiétudes sur le consensus cinématographique, celui de la dépendance. Un nombre croissant de films est produit, il est vrai, par des sociétés qui dépendent ou sont liées très étroitement à des diffuseurs, payants ou non. C'est une question centrale, qui n'est jamais abordée de front dans les mesures envisagées.

En tout cas, la télévision publique est, pour sa part, exemplaire en ce domaine. Elle est l'un des gages de survie des producteurs indépendants. Comme nous n'avons pas l'intention de développer de filiales propres en dehors de France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, nous sommes, je l'espère, exemplaires dans ce domaine, et le resterons dans les années qui viennent.

Enfin, Monsieur le rapporteur, en ce qui concerne la promotion du cinéma à la télévision, je m'étonne de votre analyse. Excusez-moi de vous le dire avec franchise, mais nous avons lancé en septembre 2001 une émission sur France 5, Après la sortie, animée par Ruth Elkrief qui, volontairement, ne parle des films qu'une semaine après leur sortie afin de ne pas entrer dans le mécanisme de la promotion commerciale. Cette émission repose sur l'analyse des performances des films, des raisons pour lesquelles ils ont marché ou pas, de la façon dont ont réagi les téléspectateurs, etc. C'est une sorte de critique en direct, qui est diffusée une première fois à 16 heures le samedi, rediffusée à 19 heures et à 22 heures 30, le mercredi. L'émission, lorsqu'elle est après 19 heures, n'est alors diffusée que sur le satellite et le câble, ce qui est regrettable. Nous avons bien l'intention lorsque nous serons sur le numérique terrestre que ce type de produit reste un des points forts de France 5.

Nous avons deux émissions sur France 2 : Comme au cinéma et un magazine court De bouche à oreille ; elles passent en revue l'actualité cinématographique de la semaine.

Enfin, nous diffusons et assurons la promotion, pratiquement toutes les semaines, de deux à trois films qui sortent en salle, au cours des grands journaux d'informations télévisées. Dans aucun pays au monde, le cinéma n'est aussi présent dans les journaux et l'information. C'est très bien comme cela. Ne pas le dire serait se dissimuler une partie de l'explication des résultats du cinéma.

Les grands journaux populaires d'information diffusent massivement des séquences des films qui vont sortir en salle, avec une interview des acteurs et des réalisateurs. Si je faisais le bilan de ce que nous faisons pour les sorties en province sur France 3, vous seriez très étonnés. Je le sais bien car je tiens un baromètre là-dessus pour m'assurer - et parce que je crois qu'il faut que nous soyons volontaristes - que nous soutenons bien la sortie en salle. Les distributeurs nous en savent gré. C'est, en tout cas, ce qu'ils me disent quand je les rencontre. Nous accompagnons bien la sortie en salle et nous entendons bien continuer à le faire car c'est une de nos missions. De plus, le public en redemande !

M. Michel HERBILLON - Ces émissions sont-elles suivies par une forte audience ? Avez-vous des renseignements à ce sujet ?

M. Marc TESSIER - L'émission Comme au cinéma fait 22 à 23 % de parts de marché en deuxième partie de soirée, ce qui la place parmi les émissions de large audience.

Au cours des discussions que nous avons avec les professionnels du cinéma, la question nous est posée - c'est une exigence bien naturelle - de savoir si nous allons relancer un magazine sur France 3. Nous en discutons actuellement.

Pour conclure sur ce sujet, on nous reproche de faire la promotion du cinéma et non la critique du cinéma, mais il n'est pas très facile de faire la critique du cinéma à une heure de grande écoute sur une télévision de grande audience car il faudrait alors accepter l'idée qu'au cours de cette émission on puisse dire qu'un film est mauvais, si les animateurs indépendants que nous réunirions autour de la table souhaitaient le dire. Or personne ne peut souhaiter qu'à une heure de très grande écoute, on se livre à une opération massacre sur un film avant sa sortie en salle.

M. Serge SIRITZKY, directeur de la rédaction d'Ecran Total - Je voudrais juste intervenir à ce propos. Vous avez cité Le masque et la plume. Vous savez qu'il a été diffusé sur France 3 et que c'est le Bureau de liaison des industries du cinéma (BLIC) qui a demandé sa suppression en disant : « La télévision finance le cinéma, on ne va tout de même pas permettre à des critiques de dire du mal du cinéma. » Ce ne sont donc pas les télévisions.

M. Marc TESSIER - Il faut, à mon avis, que nous fassions la promotion du cinéma, dans sa diversité, surtout au moment de la sortie en salle. Il faut aussi que nous ayons à la télévision des magazines critiques sur le cinéma, c'est indispensable. Mais ces magazines ne doivent pas être connectés à la sortie en salle, sinon nous faisons courir un risque excessif à un film à un moment où la prudence s'impose.

En conclusion, je pense que le débat sur ce que peut être le rôle de l'aval télévisuel dans le cinéma est fondamental ; on peut l'aborder aujourd'hui avec d'autant plus de sérénité que l'on sait que le succès en salle, y compris pour le cinéma français, peut être assuré par les dispositifs mis en place. On peut dépassionner le débat et parler de promotion et de soutien à la diversité. De ce point de vue, la télévision publique à un rôle particulier à jouer.

M. Michel HERBILLON - Nous vous remercions. Je donne maintenant la parole à M. Philippe Carcassonne, auquel je vais demander de synthétiser son propos, de telle sorte que nous puissions aussi donner la parole à la salle et que les participants au débat puissent ensuite répondre.

2. M. Philippe CARCASSONNE, producteur, membre du conseil d'administration de l'Union des producteurs de fims (UPF)

M. Philippe CARCASSONNE - J'essayerai d'être aussi bref que possible, d'autant que je ne me permettrais pas porter la contradiction à M. Marc Tessier, ni à aucun président de télévision en exercice.

M. Marc TESSIER - Philippe Carcassonne est un vieux complice de la télévision publique, et le restera !

M. Philippe CARCASSONNE - Je m'en tiendrai donc, prudemment, au chapitre des généralités, d'autant que nous manquons de temps pour entrer dans le détail. Trois éléments me paraissent mériter d'être relevés dans ce qui vient d'être dit.

Le premier concerne les mutations récentes. M. Marc Tessier faisait allusion, à juste titre, aux nouveaux médias, aux modifications des différents acteurs, à l'offre du cinéma qui s'est considérablement multipliée. Il a tout à fait raison de le souligner -d'ailleurs, il a toujours raison !

Néanmoins, il faut préciser que les acteurs de ces mutations ne sont pas de nouveaux acteurs. Si je prends Canal Satellite, il me semble bien, même si je ne me suis pas penché de près sur la question, qu'il existe un rapport entre le groupe Canal Satellite et le groupe Canal Plus. J'ai aussi le sentiment que dans le capital de TPS, on retrouvait des opérateurs audiovisuels, dont certains sont présents dans cette salle.

De même, je ne suis pas totalement persuadé que l'explosion du DVD, la création et le lancement du DVD en France, soient dus à des personnes qui ont débarqué dans l'audiovisuel ou la vidéo du jour au lendemain.

Donc, si je souscris à ce qui a été dit sur le fait que ces nouveaux mécanismes doivent contribuer au financement et à la régulation du système, je constate cependant qu'il ne s'agit pas de gens tombés du ciel et que, s'il y a une formule juridique célèbre selon laquelle « nul ne peut exciper de sa propre turpitude », il n'y a pas de raison non plus que l'on puisse exciper de ses propres « conneries ». En d'autres termes, je ne suis pas sûr qu'il soit logique de demander à des gens extérieurs à ce système, en l'occurrence au cinéma et aux professionnels du cinéma, de supporter les modifications liées aux cannibalisations, suroffres et déséquilibres dans ce domaine. C'est le premier point.

Pour prendre un peu plus de hauteur, le deuxième point a trait à la concentration et au caractère international de la concentration. C'est très compliqué et paradoxal. Nous sommes tous, y compris les plus petits indépendants, les plus petits artisans du cinéma, conscients de la nécessité que les groupes de cinéma en France soient forts. Cela étant posé, il n'y a pas d'exemple dans l'histoire de cinéma que l'internationalisation d'acteurs européens ne se soit pas traduit par la disparition des enjeux européens qui motivaient ces acteurs devenus internationaux.

Pour prendre un exemple concret, j'ai longtemps fait partie du groupe Polygram. Je l'ai quitté au moment où j'ai eu le sentiment que le centre de priorités de Polygram se déplaçait aux Etats-Unis. Le président de Polygram de l'époque m'avait alors expliqué que je me trompais et que l'on pouvait parfaitement conserver une priorité forte sur le cinéma européen tout en se développant aux Etats-Unis.

Quatre ou cinq ans après cette conversation, le résultat est que l'on a même oublié jusqu'au nom de Polygram, qui a déjà subi trois rachats. Les membres de la direction qui, certainement de bonne foi à l'époque, soutenaient cette théorie sont en train de compter les golden parachutes avec lesquels ils sont partis du groupe. J'espère pour eux qu'ils n'ont pas été payés en actions Universal !

M. Michel HERBILLON - Connaissez-vous un contre-exemple ?

M. Philippe CARCASSONNE - A ma connaissance, il n'y en a aucun. La monnaie forte chasse l'autre, la culture forte chasse l'autre.

Même si l'on est très satisfait des résultats ponctuels de telle ou telle cinématographie, française ou autre d'ailleurs parce que de bons chiffres sont enregistrés aussi ailleurs qu'en France, il existe un cinéma fort dans le monde, une industrie du divertissement forte, il n'y en a pas deux. Si l'on n'admet pas cela comme préalable, on n'en sortira pas.

Donc, je ne connais pas de contre-exemple. Je connais un nombre considérable d'acteurs européens qui ont, à titre artisanal ou industriel, tenté l'aventure américaine. J'en connais qui ont réussi, d'autres qui ont échoué, mais je n'en connais aucun qui ait pu maintenir un semblant d'équilibre entre des priorités multinationales.

Le troisième et dernier point, je vous rassure, complète le précédent et a trait à l'Amérique. Sans vouloir anticiper sur ce qui sera dit dans des débats à caractère plus international que celui-ci, il me semble que l'on doit s'interroger sur le pourquoi de la situation actuelle.

Je n'ignore pas l'importance des résultats que vous avez enregistrés. Je constate simplement qu'ils sont très ponctuels. Je ne suis pas sûr que l'on puisse être beaucoup plus optimiste avec une part du cinéma français à 41 % qu'il y avait lieu d'être pessimiste quand elle était à 28 % douze mois avant. Les statistiques en matière de cinéma sont trompeuses parce que l'on photographie à un temps t quelque chose qui est de l'ordre du prototype et qui bouge tout le temps.

Pour prendre un exemple précis. Un film va probablement dépasser les dix millions d'entrées à lui seul, qui s'appelle Astérix et Obélix : mission Cléopâtre. Ce film est sorti le 30 janvier, si la post-production du film avait été un peu plus rapide, il est fort possible que le groupe auquel je suis adossé, le groupe Pathé, aurait essayé de le sortir un mois et demi avant pour profiter de l'aspiration de Noël. Ce film serait alors entré dans les statistiques 2001 et pas 2002.

En revanche, il est vrai que non pas depuis l'installation du système de soutien en France, depuis bien plus longtemps, il existe un cinéma hégémonique, c'est le cinéma américain. Il me faudrait plus que les trois minutes que j'ai décidé de m'allouer maintenant et même plus que la journée pour débattre des raisons pour lesquelles le cinéma américain se trouve dans cette situation.

Je constate, par contre, avec certitude que l'Amérique a considéré depuis les origines que le cinéma était un enjeu culturel économique prioritaire, primordial, fondamental, allant bien au-delà de l'économie du cinéma. C'était pour elle un vecteur d'exportation et de conquête politique, idéologique, commerciale, culturelle qui allait au-delà, de façon absolument incomparable, de la seule économie du cinéma qui, somme toute, est relativement réduite.

Résultat des courses : aujourd'hui, le cinéma américain, ou plutôt l'industrie du divertissement en Amérique est le premier produit d'exportation de l'ensemble de l'économie américaine, ce qui n'est pas rien. Je constate que, dans les autres pays du monde, la force du cinéma dans son marché national comme à l'export est strictement proportionnelle à la volonté politique qui s'est trouvée derrière sur la durée, pas sur une réforme qui dure cinq ans.

En Allemagne, le problème a été traité sur un plan plus régional. Le cinéma y reste fort en tant qu'industrie régionale mais n'a plus vraiment la puissance nationale que la culture allemande logiquement devrait lui allouer.

Nous avons ici des représentants italiens ; j'aurais la politesse, ou la prudence, de ne pas faire de commentaires sur l'évolution politique en Italie.

Quant à l'Angleterre, qui n'est pas un pays où la volonté politique a été particulièrement marquée en matière de cinéma, nous avons aujourd'hui une situation encore plus dangereuse, qui est une situation de faux cinéma national, totalement vassalisée, où la réalité de l'économie est strictement dépendante des Etats-Unis.

En conclusion, je dirai qu'au-delà des réformes, et je souscris naturellement à 97 % au rapport qui nous est présenté, même si je pense que Marc Tessier a raison - comme d'habitude ! - de rappeler que certains déséquilibres ne sont pas de son fait et que des efforts de bonne foi et de bonne volonté sont faits à France Télévisions et ailleurs pour éviter d'avoir des blocs qui s'opposent ; au-delà de ces points sur lesquels nous pourrions débattre en détail, je vous conjure, messieurs les parlementaires, de considérer que c'est au-delà d'une mission, au-delà d'un rapport, au-delà même des clivages politiques, que la continuité du soutien au cinéma doit se faire, pour certains pour des raisons culturelles et pour d'autres, et de façon tout aussi légitime, pour des raisons de survie économique.

Ce n'est pas seulement pour le cinéma qui représente une poignée d'emplois dont tout le monde se moque ou quelques nantis dont je suis dont le monde se moque encore plus, mais surtout pour les enjeux commerciaux que le cinéma véhicule, comme l'Amérique le démontre depuis soixante-dix ans.

M. Michel HERBILLON - Nous pouvons maintenant compter sur Serge Siritzky pour réagir à la fois aux propos de Marc Tessier et de Philippe Carcassonne.

3. M. Serge SIRITZKY, directeur de la rédaction d'Ecran Total

M. Serge SIRITZKY - Je vais réagir et les compléter.

Vous avez, M. Herbillon, souligné que j'ai une double nationalité. Je suis né, il est vrai, aux Etats-Unis et j'étais associé à Paramount. J'ai donc travaillé aux Etats-Unis et connais un peu le système américain de l'intérieur. Je voudrais insister sur ce qui a été dit, notamment à destination de nos invités étrangers.

En fait, deux pays dans le monde considèrent que le cinéma est très important : ce sont les Etats-Unis et la France.

Les Français le savent bien puisqu'à la Libération, quand les Américains ont libéré l'Europe, les fameux accords Blum-Byrnes ont été signés : en gros, les Américains acceptaient d'aider la France à condition qu'elle ouvre ses écrans aux films américains. Le négociateur français, Léon Blum, est tombé des nues, c'étaient les seules demandes des Américains. Mais derrière le cinéma, derrière les images, les Américains savent bien qu'il y a tous leurs produits. Ils vendent ainsi leur culture et leurs produits.

La France reste très loin derrière les Etats-Unis, mais il est vrai que les chiffres donnés sur les résultats du cinéma sont impressionnants. Je ne connais pas bien la Corée, mais c'est aussi un pays où le cinéma a une part importante. En Europe, en tout cas, les Français sont loin devant les autres.

2001 a été une bonne année. La semaine dernière, le film français faisait en France 64 % de parts de marché ; 50 % depuis le début de l'année. Le cinéma américain représente 44 % de parts de marché en France. L'embellie continue. Autre exemple, la semaine dernière au Japon, sur les dix films en tête du box office, on comptait trois films français. Le cinéma français marche donc à l'exportation.

Ces résultats montrent bien qu'il n'est pas écrit dans le ciel que le cinéma américain doit dominer dans tous les pays.

Je voudrais aussi insister auprès de nos amis étrangers sur les qualités du système français. On se rend compte aujourd'hui que cela fonctionne mais cela fonctionne parce que des mécanismes extrêmement intelligents ont été mis en place.

Je suis dans le cinéma et la télévision et je dois dire que, dans le domaine de la télévision, je ne conseillerais pas aux étrangers de suivre le modèle français. Il est bourré d'incohérences. La télévision n'est pas considérée comme quelque chose d'important. Mais, dans le domaine du cinéma, sincèrement, je suis surpris que les autres pays mettent autant de temps à comprendre notre système et à s'en inspirer.

Première philosophie, c'est un système fondé sur le marché ; les interventions publiques ne sont là que pour accompagner ou corriger les effets du marché. Si vous regardez tous les systèmes d'aides, vous vous rendez compte qu'il n'y a pratiquement pas d'argent qui provient du budget public. Ce sont des systèmes d'autofinancement et d'autorégulation qui jouent. C'est un élément très important : cela ne coûte pas d'argent au budget général de l'Etat.

La majeure partie des mécanismes sont des mécanismes automatiques. On obtient de l'aide en fonction des recettes que l'on a dégagées. C'est une sorte d'épargne forcée. Quand on a fait contribuer la télévision au compte de soutien, c'était son programme numéro un. Sur les cent premières audiences, dans les années 80, il devait y avoir soixante-dix films. Canal Plus était, au début, une chaîne cinéma et il était normal - Canal était d'ailleurs tout à fait d'accord - qu'elle contribue fortement au financement du cinéma.

Donc je pense vraiment que vous devriez étudier ce mécanisme de près car, quand je regarde les mécanismes européens et les pays qui font des efforts, je me demande toujours pourquoi ils ne reprennent pas les bases du système français. Nous avons vraiment là un article d'exportation car c'est un système qui fonctionne.

A l'heure actuelle, la situation est particulièrement favorable puisque la part de marché intérieur est très forte et que nous exportons. Cela a demandé du temps parce qu'évidemment, le cinéma, c'est un film dans une salle de cinéma. Or, dans les années 80, la fréquentation s'est effondrée et l'on est passé de 200 millions de spectateurs à 116.

Heureusement, tous ces mécanismes d'aide, de soutien ont été mis en oeuvre car, lorsque la fréquentation a augmenté à nouveau en raison de la création des multiplexes, il a été frappant de constater que, pendant plusieurs années, seul le cinéma américain a bénéficié de cette remontée de la fréquentation.

A la fin, car tout système a ses effets pervers, quand nous regardions les plans de financements des films - ce que je faisais dans mon journal - le financement salle, c'est-à-dire l'aide des distributeurs, n'apparaissait, dans la plupart des cas, que pour mémoire. Nous étions tellement habitués que les films français ne marchent pas en salle que l'essentiel du financement venait de la télévision.

A une époque, les producteurs français se disaient que l'essentiel était d'être financé par la télévision, car une fois qu'elle décidait de financer, elle allait diffuser le film. Qu'il marche en salle ou pas, ce n'était pas un problème. A la limite mieux valait faire cinq films financés, pour lesquels on avait un salaire et des frais payés, que de prendre le risque d'en faire un sur lequel on ferait peut-être fortune s'il marchait en salle. Le système a donc eu des effets pervers.

Lorsque, avec un certain décalage, les producteurs français - mais je ne les critique pas - se sont rendu compte que les entrées en salle remontaient ainsi que l'exportation, ils ont travaillé et conçu, inconsciemment ou consciemment, des films pour les salles de cinéma. On disait alors que si un film n'était pas en anglais, il ne pouvait pas faire plus de tant de millions de dollars. Eh bien, regardez les recettes de certains films français cette année ! Ils sont en français et marchent bien, y compris dans des pays anglo-saxons où ils font un nombre d'entrées absolument inimaginable. En tout cas, dans les pays non anglo-saxons, ils font souvent des recettes équivalentes à celles de films américains. C'est l'aspect positif.

En revanche, je suis tout à fait d'accord avec Philippe Carcassonne pour dire que cela reste extrêmement fragile. Dans ce secteur, on constate toujours un phénomène inflationniste, c'est-à-dire que lorsque des talents ont eu du succès, tout de suite, leur rémunération augmente. J'imagine donc qu'Audrey Tautou ne sera pas payée pour ses prochains films aussi peu qu'elle l'a été pour Amélie. C'est normal, mais elle ne fera pourtant peut-être pas le même succès. Il y a une sorte d'effet cliquet, parce qu'avant que l'on rebaisse les salaires des talents, cela prend un certain temps.

Autre point important, il est vrai qu'à l'heure actuelle, l'essentiel du préfinancement du cinéma provient de la télévision. C'était tout à fait justifié dans le passé. Il est encore tout à fait justifié que la télévision joue un rôle essentiel, mais il y a des mutations importantes aujourd'hui, indépendamment des mutations de la concentration sur lesquelles je terminerai mon propos.

Dans les années 80 et même au début des années 90, plus de la moitié des cent premières audiences étaient des films de cinéma. Ce n'est absolument plus le cas aujourd'hui. Ayant vécu aux Etats-Unis, je puis vous assurer que là-bas, les networks diffusent au grand maximum un film de cinéma par semaine - et encore pas toute l'année. Donc, compte tenu de ces évolutions, il est impensable que, dans les cinq ou six ans à venir, les grandes chaînes généralistes continuent à diffuser deux films par semaine en prime time comme elles le font actuellement. Il suffit de regarder les courbes pour savoir que cela ne pourra être le cas.

Canal Plus a été créé comme chaîne de cinéma. J'étais alors président du BLIC, l'organisme qui représentait la profession et, lorsque nous avons signé dans le bureau d'André Rousselet avec Marc Tessier, c'était la chaîne de cinéma. Aujourd'hui, on dit que c'est une chaîne premium, parce que le sport est venu peu de temps après et Canal se rend compte que, dans cet univers, elle ne peut plus asseoir son développement et amener les gens à payer 180 francs par mois uniquement sur le cinéma que l'on peut voir sur tous les écrans, en DVD et autres.

La grande faiblesse du système, c'est que si on ne trouve pas d'autres relais de préfinancement, à terme, l'économie rétablira la situation. Je ne dis pas qu'il faille supprimer ou baisser fortement les apports de la télévision, je dis seulement qu'à l'avenir, cela ne peut se poursuivre comme par le passé. Cela justifie totalement votre mission de réflexion.

Il est vrai que l'on a assisté dernièrement à des phénomènes de concentrations. Or, dans le secteur du cinéma, la diversité au niveau de la production est essentielle. Tout le monde le reconnaît et en est conscient. S'il n'y a que deux fabricants automobiles dans le monde, peut-être que, si la concurrence est maintenue, on aura de très bonnes voitures. Mais s'il ne reste que deux ou trois producteurs, on voit très bien que l'intérêt des produits va diminuer.

On n'a pas encore mis en place de philosophie en la matière : où poser les limites et quelles mesures prendre pour garantir cette diversité car il est vrai que, d'un autre côté, en ce qui concerne la distribution, notamment mondiale, on a intérêt à avoir des structures qui permettent de bénéficier d'économies d'échelle ?

Un des domaines où les Américains ont encore une avance très importante, c'est que leurs films sont distribués mondialement. Même quand il y a des distributeurs indépendants comme ce fut le cas, par exemple, pour le dernier film de New Line, qui était diffusé en France par un distributeur indépendant, la sortie est mondiale. Les Européens n'ont pas encore les moyens de bénéficier des économies d'échelle fantastiques que pourrait représenter le fait qu'un film européen puisse être lancé mondialement.

C'est un problème. Peut-être que ce point de vue, la concentration et les grandes structures sont importantes. Mais, en revanche, le problème de concentration qui s'accélère est très inquiétant, y compris d'ailleurs pour les groupes diffuseurs parce que, si les diffuseurs contrôlent les plates-formes, les chaînes et sont aussi producteurs, et que, par manque de diversité, progressivement, le système s'étiole, ce sera aussi à leur détriment.

Nulle part, on n'a encore trouvé où mettre la barrière et comment la mettre sans détruire les sociétés. Mais je rappelle que les Américains, grands libéraux, comme on le sait, ont demandé, dans les années 50, aux majors de choisir les films ou les salles. Ils ont failli en mourir et ont décidé de vendre leurs salles. Puis, dans les années 60, ils ont dit que les Networks ne pouvaient être producteurs des fictions diffusées sur leurs chaînes. Ils ont donc été beaucoup plus interventionnistes que nous.

Enfin, je ne suis pas d'accord avec vous sur l'idée de supprimer le rôle de coproducteur des chaînes. Les producteurs de fiction ont eu tort de supprimer cela dans le domaine de la fiction, parce que si le diffuseur qui finance un film comme une fiction n'a plus aucun intérêt dans l'amortissement du film ultérieurement sur d'autres marchés, dans d'autres pays, il va finir par ne financer que les films qui correspondent à une diffusion sur leur chaîne dans les dix-huit mois qui viennent. L'idée même d'associer les chaînes au succès ultérieur sur d'autres marchés est une idée intelligente. C'est un avis personnel mais, parfois, avec les meilleures intentions du monde, les gens se tirent dans le pied.

M. Michel HERBILLON - Nous allons maintenant donner la parole à la salle pour quelques vingt minutes d'échange. Les questions qui viennent d'être évoquées suscitent évidemment débat : ce sont les changements importants en cours et en aval de la salle, le « boom » des différents modes de diffusion, la surabondance de l'offre télévisuelle de films, les relations entre le cinéma et la télévision, les concentrations, la diversification de l'offre, la force du cinéma américain, les financements, et la question posée du succès du cinéma français : phénomène fragile, éphémère ou, au contraire, tendance de fond.

Débat avec la salle

M. Michel FRANÇAIX, député de l'Oise, membre de la mission d'information - C'est une très bonne idée d'avoir ce débat à l'heure actuelle...

Etant également administrateur de France 2, à un moment ou un autre, je dirai moi aussi pour commencer : « Comme vous avez toujours raison, monsieur le président... » Mais il est vrai que je partage beaucoup des idées énoncées par le président Tessier.

Le premier point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est qu'il est bien de faire ce débat à un moment où le cinéma français se porte bien car, en période de crise, on pourrait avoir tendance à vouloir aller vite et à faire n'importe quoi.

Cela étant, la première question à se poser est de savoir si c'est par chance que le cinéma français se porte bien, parce que nous avons quelques talents et trois ou quatre films qui ont trouvé la méthode de fonctionnement ou si les techniques dont nous disposons pour aider le cinéma français sont encore valables.

Pour ma part, je suis très pessimiste car je pense que le système Malraux-Lang est à bout de souffle. Pourtant, ce système a été merveilleux. Contrairement à ce que j'entends dire partout, je pense qu'il a été heureux que nous ayons été un certain nombre à défendre la règle des quotas car, sans ceux-ci, il n'y aurait plus de cinéma français et nous serions dans une situation identique à celle que connaissent les autres pays européens.

Les quotas ont, en effet, permis d'avoir un cinéma français parce qu'ils signifiaient que toute une jeunesse, en regardant la télévision, voyait une forme de civilisation, de culture françaises. C'est ainsi que, quand elle allait au cinéma, cette jeunesse n'avait pas l'impression de faire quelque chose de tout à fait étonnant en allant voir un film français.

Dans nombre d'autres pays, la force du cinéma américain est d'avoir joué non seulement culturellement, parce qu'ils avaient du talent, mais aussi économiquement parce que, d'une certaine façon, toute une jeunesse mondiale se retrouve uniquement dans une forme de décontraction vestimentaire façon américaine ou une forme de vie à l'américaine et ne pense même pas que l'on puisse avoir une identité européenne diverse et digne de retenir l'intérêt.

De ce point de vue, les quotas ont été parfaits, mais l'on voit bien qu'ils seront de plus en plus difficile à défendre. Canal Plus a été parfait. Je me rappelle encore quand le Président de la République, François Mitterrand, a imposé Canal Plus. On a tout entendu alors, y compris que c'était la mort annoncée du cinéma et que, sous une forme ou sous une autre, nous allions passer à côté. Eh bien, ce ne fut pas le cas ! Canal Plus a été une grande force et a permis de redonner envie aux téléspectateurs d'aller au cinéma.

Mais il se trouve aussi, il suffit de voir les mutations de Canal Plus aujourd'hui pour s'en convaincre, que l'on ne sait pas ce que sera Canal Plus dans cinq ou six ans. Nous ne pouvons donc pas dire aujourd'hui si cette chaîne pourra jouer le même rôle dans les années à venir.

De plus, comme cela a été très bien dit, l'évolution économique fait que même si nous pouvons maîtriser un peu l'avenir de Canal Plus, nous ne pourrons pas toujours dire à Canal Plus qu'étant la chaîne du cinéma, elle ne doit faire que du cinéma. Nous serions peut-être contents de pouvoir le lui imposer mais elle mourrait et nous en mourrions ensemble.

Donc, nous voyons bien que les techniques qui ont permis jusqu'à aujourd'hui de fonctionner ne sont plus suffisantes et que si les recettes nouvelles que nous essayons de mettre en place sont indispensables, elles ne sont pas tout à fait à la hauteur des besoins de demain.

Il est vrai qu'en matière de scenarios, nous sommes très en retard par rapport à ce que font les Américains. On met tant de temps à trouver l'argent pour faire le film qu'à partir du moment où on l'a, le scénario est écrit de façon hâtive, pas toujours professionnelle, en dehors des quatre ou cinq films dont on parle. D'une certaine façon, c'est une faiblesse.

Nous savons bien aussi que la promotion du cinéma n'est peut-être pas faite d'une façon toujours intelligente. En tout cas, on n'arrive pas à la faire fonctionner dans une diversité européenne et je ne suis pas sûr que le lancement du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, avec huit mois d'écart pour certains pays, soit très intelligent. Il existe certainement une façon de lancer un film en bénéficiant d'un effet de masse suffisant.

Mais, cela étant posé, nous voyons bien que nous nous heurtons là à une difficulté. En France, elle est moindre que dans les autres pays parce que nous avons une culture cinématographique. Cela a été bien souligné par tous, la France est le seul pays où, si vous achetez un journal, vous avez quatre pages critiques sur le cinéma. Vous allez y voir se développer une polémique très parisianiste sur le fait de savoir si ce film est épouvantable ou non, si Le fabuleux destin d'Amélie Poulain a des tendances pétainistes ou pas, etc...

Ce n'est pas imaginable dans aucun autre pays du monde. D'un seul coup, vous allez voir cent intellectuels se passionner et nous allons faire vivre le film. Cela n'existe nulle part ailleurs : c'est notre force. Cela prouve, d'une certaine façon, que la presse française est d'une autre qualité que la presse étrangère. Dans la presse anglaise, très populiste, ce genre de débat ne pourrait même pas être imaginé. C'est une façon comme une autre de se féliciter, et du service public de télévision, et de la presse française.

Je voudrais maintenant que l'on réfléchisse pour trouver d'autres techniques qui nous permettent de dépasser le système des quotas et le rôle que Canal Plus a pu jouer. Là, il y a du pain sur la planche.

M. David KESSLER, directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC) - A propos du succès, Philippe Carcassonne a fait preuve de son pessimisme coutumier en disant qu'il n'était que très conjoncturel. Seul l'avenir nous dira, bien sûr, si ce succès est conjoncturel ou structurel car, effectivement, une hirondelle ne fait pas nécessairement le printemps.

Je voudrais malgré tout souligner que ce succès a une importance fondamentale moins par les chiffres que l'on peut avancer pour l'année passée que par ce qu'il révèle. Il faut se rappeler, on a parfois la mémoire courte, les discours qui décrivaient la situation du cinéma il y a encore un an et demi. C'étaient pour la plupart des discours fatalistes : « De toute façon, le public n'aime pas et n'est pas intéressé par les films français, il veut aller voir les films en anglais, il n'aime que les films d'action américains et les cinéastes français ne savent pas toucher son coeur ». C'était un discours que nous trouvions un peu partout dans la presse. Je rappelle des couvertures de presse du genre « Pourquoi le cinéma français est-il nul ? »

Ce qui est important aujourd'hui, c'est que cette image s'est renversée. On a montré, quels que soient les chiffres à venir, qu'il n'y a pas de fatalité de l'échec, que la logique de demande du public n'est pas une logique de refus du cinéma français. C'est un point très important.

Puisque vous avez invité des parlementaires étrangers et que, dans votre rapport, vous faites référence aux exemples étrangers, je suis très frappé de constater, lors de mes déplacements à l'étranger, l'importance que revêt aussi pour eux cette situation. Il ne faut pas la méconnaître parce qu'elle démontre - et je rejoins là Philippe Carcassonne - qu'avec une volonté politique forte, il n'y a aucune fatalité à la mort des cinémas nationaux. C'est pour cela que je pense que sans survaloriser ce succès, il ne faut pas non plus en affaiblir la portée.

M. Marc TESSIER - M. Françaix a souligné un point important, c'est que nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Certains mécanismes sont probablement encore durables. Je ne pense pas, par exemple, que le système des quotas soit condamné à terme sur les télévisions nationales. Bien au contraire. Mais leur efficacité risque, en effet, de devenir décroissante. Tout système est en évolution.

L'une des difficultés que nous connaissons aujourd'hui, c'est que Canal Plus finance moins de films. Or, jusqu'à présent, le système fonctionnait quand même sur deux piliers : Canal Plus qui finançait pratiquement 80 % de la production nationale, si ce n'est plus, et la télévision publique qui en finançait les trois quarts. La télévision publique finance pour sa part soixante-douze films par an. Certains films ont donc plus de mal à trouver un relais individuel de la télévision pour maintenir un niveau de production et une diversité de production satisfaisante.

C'est, à mon avis, une des difficultés qui ne peut être réglée que par les mécanismes propres et internes du CNC, comme d'ailleurs le CNC s'y est toujours employé. Je ne vois pas d'autre issue pour maintenir un nombre de films suffisamment élevé pour assurer la diversité cinématographique.

M. Philippe CARCASSONNE - Je répondrai très rapidement à M. David Kessler qu'évidemment, le succès que nous connaissons va au-delà d'une simple conjoncture. Tout le monde l'a dit, je ne vais pas le répéter.

Le danger que je voulais essayer de signaler maladroitement est qu'il y a un risque d'erreur d'interprétation lié, tout bêtement, au temps qu'il faut pour faire un film. Pour les gens de l'extérieur, il peut sembler paradoxal que, nous, professionnels, soyons en train de crier au loup, de réclamer des soutiens et des supports, et de nous inquiéter d'une évolution que nous jugeons dangereuse au moment même où le système a l'air de faire ses preuves.

Le problème est que ces films qui ont l'air de faire leurs preuves actuellement en France et à l'exportation sont des films qui sont nés, culturellement et économiquement, il y a quatre ou cinq ans. Ils sont nés non pas dans la situation de crise que nous connaissons depuis deux ans mais bien avant. Nous touchons aujourd'hui les fruits de projets qui ont été lancés dans une période d'euphorie sinon comparable, du moins bien plus optimiste et plus stable que celle que nous vivons depuis deux ans.

Je redoute donc que les tensions et les difficultés que nous enregistrons depuis dix-huit à vingt-quatre mois, nous les retrouvions non pas en 2002 - je reste assez optimiste sur 2002 - mais plutôt en 2003 ou 2004. Il faut toujours garder ce décalage présent à l'esprit pour analyser cette morosité, qui peut avoir l'air contradictoire face à des chiffres relativement satisfaisants.

M. Michel HERBILLON - M. Carcassonne, qu'est-ce qui vous fait croire que cette tendance, aujourd'hui favorable, s'arrêtera ou s'inversera ? C'est sous-jacent dans votre propos, j'aimerais que vous explicitiez cela.

M. Philippe CARCASSONNE - C'est très simple. Pour que des films marchent, il faut qu'ils existent ; pour qu'ils existent, il faut que certaines conditions requises à leur existence soient réunies. Ces conditions étaient réunies il y a quatre ou cinq ans, quand les films qui marchent à l'heure actuelle ont été conçus, je crains qu'aujourd'hui ces conditions, sans avoir disparu, ne soient plus ou qu'elles soient en passe d'être moins favorablement réunies dans les mois qui viennent qu'elles ne l'ont été il y a quatre ans. Je ne peux pas être beaucoup plus précis que cela, sinon mon intervention serait trop longue.

M. Jean LE GARREC - Tout d'abord, je pense qu'il faut éviter d'être trop franco-français. Nous aurons cet après-midi un débat sur la dimension européenne. C'est, à mon avis, fondamental.

Ensuite, je rebondis volontiers sur ce que disait M. Carcassonne. La monnaie forte chasse la faible. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui fait que nous construisons une monnaie forte en Europe. La monnaie a toujours été une arme économique et surtout une arme politique - et je remercie M. Carcassonne d'avoir utilisé ce mot de « politique ». D'ailleurs, en parlant d'exception culturelle, c'est une bataille politique que nous menons.

Le problème n'est pas de savoir si l'on est pessimiste ou optimiste, cela m'importe peu, mais bien de savoir, alors que nous construisons une monnaie forte et qu'une identité se construit, si nous considérons que la bataille culturelle est aussi une bataille politique. Si nous répondons par l'affirmative à cette question, ce qui me semble évident et indispensable, la volonté politique sera là inévitablement. Ou alors ce n'est pas la peine que nous ayons ce genre de débat au niveau européen.

Enfin, les mécanismes que nous avons construits sont-ils, à l'expérience, tout à fait adaptés ? Ne doivent-ils pas évoluer ? Il semble évident qu'ils le doivent. Si nous organisons pareil colloque, c'est bien pour essayer d'avoir un regard sur ces mécanismes et formuler de nouvelles propositions. Certaines sont critiquables, d'autres plus adaptées, mais peu importe, c'est le sens de tout débat. Ramenons ce problème à sa véritable signification.

Je remercie M. Siritzky d'avoir évoqué ce qui s'était passé avec M. Blum. J'avoue que j'ignorais ce fait historique, mais il est la parfaite illustration de ce que je viens de dire en quelques mots : derrière l'ouverture à l'image, bien d'autres choses sont véhiculées. Le débat est ainsi posé.

Nous allons donner la parole à nos amis coréens.

M. Hong-Joon KIM, Korea Film Commission - KOFIC - J'accompagne le président du Centre de promotion cinématographique coréen.

Tout d'abord, je voudrais vous parler du cinéma coréen qui est aujourd'hui un cas exemplaire pour le cinéma asiatique. Notre politique de soutien au cinéma est axée sur la diversité culturelle et s'étend aujourd'hui à de nombreux pays différents, en Amérique, en Amérique du Sud, en Europe, etc.

Je pense que la diversité et la coexistence de cultures différentes jouissent aujourd'hui d'un soutien du public dans le monde entier. Nous avons, en tout cas, mis en place une politique de soutien au cinéma coréen. Les chiffres donnés tout à l'heure pour témoigner du succès du cinéma français étaient impressionnants, mais peuvent être provisoires.

Nous avons également connu des chiffres très satisfaisants pour l'année 2001, mais ceux-ci ne peuvent que servir d'instrument d'évaluation de l'état des lieux du cinéma à un moment donné. Actuellement, nous sommes tenus de déployer nos forces, comme lors d'une guerre, pour lutter contre des pressions extérieures. C'est ainsi que nous avons un quota de diffusion du cinéma coréen sur le marché national qui a suscité de nombreux problèmes, surtout dans le cadre de négociations internationales comme celles du GATT, de l'OMC, etc...

Ces accords internationaux exercent déjà une pression sur notre cinéma national mais, par ailleurs, nous nous préparons à un avenir qui s'annonce déjà très difficile, d'autant que nous n'avons pas beaucoup de temps pour mener des actions nécessaires.

En tout cas, ce débat est une occasion très utile et significative pour nous, car il réunit plusieurs pays. Les négociations internationales comme celles du GATT et celles menées au sein de l'OMC devraient pouvoir s'appliquer sans être une entrave au développement du cinéma de chaque pays. La communauté internationale doit se mobiliser pour la sauvegarde du cinéma national, sinon nous serons confrontés à une menace très forte, trop forte surtout pour le cinéma coréen qui est un cinéma tout juste naissant, qui ne pourra pas résister à cette pression énorme.

J'espère que ce débat va stimuler nos efforts pour conforter notre avenir cinématographique. J'espère également que nous préparerons, dès aujourd'hui, les mesures à mettre en oeuvre pour contrer les pressions américaines.

Le cinéma est un produit culturel et, à ce titre, on peut parler de concurrence mais, en termes de concurrence, le cinéma devrait d'abord obtenir une taille optimale sur le marché. Les pays qui bénéficient déjà d'un marché suffisamment large ont sans doute moins de soucis puisqu'ils profitent aussi des exportations, mais la Corée est un pays minoritaire, notre langue maternelle ne s'emploie pas dans d'autres pays. Nous nous heurtons donc à des obstacles divers pour le marché d'exportation. De ce fait, nous avons vraiment besoin d'un soutien très fort et j'espère, en tout cas, qu'un effort multilatéral sera fait dans ce sens pour assurer notre situation menacée.

M. Michel HERBILLON - Nous arrivons au terme de notre débat.

Nous avons parlé, au cours de cette première table ronde, de pessimisme, d'optimisme, de volonté politique en évoquant la situation du cinéma français. Pendant le temps de pause, je soumets à votre méditation cette phrase de Paul Valéry, qui pourrait servir de fil rouge à la place que l'on veut accorder au cinéma français : « Le pessimisme est d'humeur et l'optimisme de volonté. »

II.- DEUXIÈME DÉBAT : « LE SYSTÈME DE SOUTIEN FRANÇAIS AU CINÉMA : CHANGER POUR QUE RIEN NE CHANGE ? »

Introduction du modérateur, M. Pierre-Christophe BAGUET,

député des Hauts-de-Seine

M. Pierre-Christophe BAGUET - Lorsque mon groupe parlementaire m'a demandé si je voulais faire partie de la mission d'information sur le cinéma, il a surtout insisté sur le fait que le cinéma était une affaire de la gauche depuis plus de vingt ans et qu'il fallait absolument un député de droite pour être présent ! J'avoue que ce n'est pas du tout ce qui motive ma présence aujourd'hui. Pour reprendre les propos de Philippe Carcassonne, la défense du cinéma n'est ni une affaire de gauche ni une affaire de droite, mais l'affaire de la nation. Nous devons constituer une union nationale pour la défense et la promotion du cinéma.

Les raisons qui ont motivé ma participation à cette mission ont été les rumeurs, ce qui se disait autour du cinéma. David Kessler a rappelé des titres de presse. Il faut savoir que l'on entend encore fréquemment que le cinéma français est mort, qu'il n'intéresse personne, que l'on n'a jamais vu un producteur français faire faillite, que tout cela se fait avec l'argent du contribuable. Ces affirmations continuent de circuler. Le fait que l'on se réunisse aujourd'hui à l'Assemblée nationale autour d'un rapport parlementaire pourra peut-être contribuer à tuer un canard dont on a coupé la tête et qui court toujours. C'est important. Nous sommes tous chargés de cette mission publique.

Changer pour que rien ne change est le thème de notre table ronde.

Lorsque nous avons entamé les travaux de la mission parlementaire, nous avions les uns et les autres - je crois pouvoir m'exprimer au nom de tous - le couteau entre les dents. En effet, nous nous demandions si le soutien public apporté au cinéma français était toujours bien adapté. Je me souviens d'un schéma paru il y a quelques années dans Télérama. Il était assez impressionnant de constater le montage des financements du cinéma français. Nous avons crié que ce n'était pas possible, qu'il fallait couper à la serpe. Nous étions très remontés. Un an après, au mille-feuilles qui existe déjà, nous vous présentons vingt-six autres propositions sous la forme de vingt-six feuillets supplémentaires. Nous les pensons mesurées, équilibrées ; en tout cas, elles doivent faire l'objet de débats.

La présentation de ce rapport sous forme de débat est aussi une rareté à l'Assemblée nationale. Je remercie le président Jean Le Garrec et Marcel Rogemont d'avoir retenu cette formule, car cela nous permet de tester nos vingt-six propositions et de savoir si elles sont recevables par les professionnels.

· Présente parmi nous, Coline Serreau, actrice, grande réalisatrice ; elle écrit aussi bien pour le cinéma que pour le théâtre. Son talent a recueilli de nombreux prix : les César, les Molière. . . Aujourd'hui, elle prépare la mise en scène du Barbier de Séville de Rossini, qui sera présenté en avril 2002 à l'Opéra de Paris. Elle est surtout, depuis le mois de juin 2001, présidente de l'Association des réalisateurs et producteurs (ARP).

Les trois intervenants suivants ont tous trois été conseillers techniques ou chargés de mission auprès de ministres ou de Premiers ministres au cours des dernières années. Tout le monde sait qu'un homme politique ne sert souvent pas à grand-chose ; André Santini disait qu'un ministre servait à ramasser le crottin pendant que les conseillers techniques et l'administration réalisaient le travail. Nous avons donc affaire à trois spécialistes qui ont accompagné l'histoire du cinéma depuis vingt ans et qui ont participé à son développement. Je tiens à les remercier ; il s'agit de :

· Jean Cazès, président du Club des producteurs européens. Sa vision européenne sera un élément intéressant à porter au débat. Il a été conseiller technique de Jack Lang entre 1981 et 1983 ; il a participé à la création du compte de soutien pour les programmes audiovisuels, à la réforme du cinéma, à la création de l'IFCIC , de Canal Plus et des réseaux câblés. Il a connu le succès avec Lumières, Freesbee. . .

· David Kessler, grand patron du cinéma, est directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC) depuis mars 2001. David Kessler a une formation de professeur de philosophie, mais il a vite adopté les milieux de l'audiovisuel et de la presse. Il a été secrétaire général du Conseil supérieur de l'Agence France Presse, directeur de cabinet du directeur général de France 2, directeur général du CSA de 1996 à 1997. Il connaît donc parfaitement bien le milieu du cinéma.

· Denis Olivennes, membre du directoire et directeur général du groupe Canal Plus, membre du Comité exécutif de Vivendi Universal, a été conseiller technique, puis chargé de mission auprès de Pierre Bérégovoy, de 1992 à 1993.

M. Michel Françaix, député de l'Oise a estimé tout à l'heure que nous étions à la fin du « système Malraux-Lang ». Jean Cazès, vous avez été conseiller technique de Jack Lang, qu'en pensez-vous ?

INTERVENTIONS DES « GRANDS TÉMOINS »

1. M. Jean CAZÈS, président du Club des producteurs européens

M. Jean CAZÈS - Je ne crois absolument pas que l'on connaisse la fin du « système Malraux-Lang ». Le système en question est avant tout le renforcement du marché et sa correction. Chaque acteur du secteur a le sentiment de fonctionner dans un marché, en réalité totalement distordu par ses mécanismes, un marché à la fois amplifié et corrigé. Pour l'exemple, les sommes que la production française reçoit des entrées en salle sont identiques à celles qu'elle reçoit du soutien automatique. Lorsqu'une personne achète un billet, le système du soutien automatique double le montant que reçoit le producteur.

C'est un système selon lequel les chaînes de télévision doivent dépenser ou investir telle somme dans le cinéma français. Ensuite, on laisse aux interlocuteurs, les chaînes de télévision, la liberté de choisir dans quel film ils investissent. On ne contraint pas le service public à investir dans les films choisis par l'avance sur recettes, on laisse le jeu d'un marché fonctionner, mais il s'agit d'un marché curieux : on demandera à Canal Plus d'investir 9 % de son chiffre d'affaires dans le cinéma français. Si un jour Canal Plus n'a plus guère envie d'investir 9 % de son chiffre d'affaires dans le cinéma français, on discute, mais, tant que l'on n'a pas fini de discuter, Canal Plus est obligé d'investir les 9 % en question. Il est à peu près libre de décider comment les investir. Tel est le principe.

Ce système a toujours été fondé sur deux consensus : d'une part, un consensus interne au monde politique. Gauche ou droite confondues, depuis cinquante ou soixante ans - car, en vérité, cela date d'avant Malraux - un consensus a toujours existé pour maintenir, développer et adapter ce système.

D'autre part, un consensus interne à la profession. Tout le monde, sous la pression de ce consensus politique a fini, parfois avec la médiation de l'administration, par s'entendre. Depuis quelques années et à l'heure actuelle, on perçoit une tentation de contournement du système, car des moyens de contournement existent, à savoir la réglementation européenne en matière de concurrence ; la tentation est forte de passer par un contournement territorial. C'est ce que l'on observe de façon à peine voilée dans l'affaire qui nous occupe en ce moment sur les chaînes proposées par le groupe AB.

Nous évoluons sur la base d'une réglementation européenne sans rapport avec le système français de réglementation et de soutien, dont on vient de rappeler qu'il est à la source même de notre situation, somme toute bien meilleure que celle des autres pays européens, dans la mesure où la réglementation européenne est infiniment plus lâche. Quels que soient les efforts que la France fournira - peut-être arrivera-t-elle à convaincre certains des autres pays membres - il sera impossible de hisser le niveau européen de soutien et de réglementation au niveau français. Il faut donc que la volonté politique française soit ferme pour empêcher toutes tentatives de contournement.

Cela étant dit, je reviens au système de soutien lui-même. Nous sommes aujourd'hui sous une pression qui ne se traduit pas dans les chiffres, car la situation actuelle est la conséquence de ce que nous connaissions il y a deux ou trois ans. C'est dire que vous connaîtrez les résultats de la situation actuelle dans trois ans. Aujourd'hui, la situation est relativement tendue. Le rapport entre le total des recettes du cinéma français d'une année par rapport au montant des productions, c'est-à-dire en retenant l'ensemble des recettes - salles, films étrangers -, y compris l'avantage fiscal offert aux Sofica, qui, somme toute, est une recette, fait apparaître que le système perd globalement entre 5 % et 8 %, même au cours d'une année faste. C'est dire que des personnes se sont ruinées et que d'autres se sont enrichies.

Je serai quelque peu provocateur en disant que l'idéal du système de soutien est un système où des personnes se ruinent ! C'est-à-dire que des personnes peuvent gagner beaucoup d'argent. L'idéal du système de soutien est celui qui calque le marché, le corrige à la marge sur les films difficiles ou les premiers films, mais qui surtout l'amplifie pour donner le sentiment au monde de la production et de la distribution qu'il agit « comme s'il était » dans un marché de cent millions d'habitants au lieu de soixante millions.

Aujourd'hui, ce système est menacé, parce que l'un des points fondamentaux d'appui est très clairement Canal Plus et que celui-ci subit une pression liée à l'augmentation de la disponibilité des films sur d'autres médias, lesquels payent aux producteurs beaucoup moins que ce que Canal Plus nous paye aujourd'hui encore. C'est une évolution dont sont « responsables » Canal Satellite, TPS et l'apparition des DVD, mais c'est là une évolution irréversible. On voit mal aujourd'hui comment modifier le système pour permettre de maintenir une proportion équilibrée entre le soutien et le succès.

Selon moi, il faut absolument maintenir le dispositif. C'est dire qu'il faut éviter que le soutien automatique en salle diminue, parce que la part de marché du film français a augmenté. Il est nécessaire de trouver une solution pour combler le trou de l'ordre de 150 millions de francs que l'on vient de créer. Et surtout, il faut trouver des recettes du même type. L'idée de diversifier les sources de financement, en soi, ne présente aucun intérêt. Le problème ne réside pas dans le fait de diversifier les sources de financement, mais d'augmenter les recettes.

La seule chance d'augmenter les recettes du cinéma français comme globalement celles du cinéma européen serait de créer un espace européen pour le cinéma, ce qui nécessite un consensus au niveau de l'Europe. Président du Club des producteurs européens, je puis vous dire que nous n'arriverons pas à un véritable consensus sur une politique européenne forte et ambitieuse pour la circulation des oeuvres, si ce n'est probablement sous la forme d'une zone de coopération renforcée ou sous la forme d'accords multilatéraux.

Des Etats, ensemble, doivent décider de prendre des mesures concrètes. Nous en avons proposé deux, de notre point de vue extrêmement puissantes, à maintenir sur une dizaine ou une quinzaine d'années.

La première mesure est destinée à promouvoir une dizaine de films par an, de façon lourde, avec les mêmes moyens que les films américains, dans chacun des pays. Je parle de films européens non nationaux. C'est là un système qui bénéficierait plutôt aux grands films commerciaux : Astérix, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain pour les films français ou, si les Anglais participaient, ce qui est peu probable, à un système multilatéral, à quelques films anglais. Curieusement, on ne connaît pas chaque année dix grands films européens non nationaux qui aient été dans chaque pays diffusés de cette façon. Le coût est évalué entre 30 et 40 millions d'euros par an, ce qui paraît ridicule au regard de l'enjeu culturel, y compris pour la construction de l'Europe. Pour autant, nous n'arrivons pas aujourd'hui à dégager cette somme.

La seconde proposition que nous avançons, elle aussi importante, consiste en ce que les systèmes d'aide automatique existant dans quatre grands pays en Europe, qui s'inscrivent à peu près dans la même logique que le nôtre, soient interconnectés et que le coût de cette interconnexion, c'est-à-dire le coût de l'ouverture du système espagnol aux films allemands par exemple, et réciproquement, soit compensé par l'Europe.

Tant que ces deux mesures fondamentales ne seront pas à l'oeuvre pour développer de façon concrète un marché européen pour des films européens, nous n'arriverons pas à augmenter les recettes. Dès lors, nous connaîtrons une situation bien plus difficile que celle de cette année.

2. Mme Coline SERREAU, réalisatrice, présidente de la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs français (ARP)

M. Pierre-Christophe BAGUET - Quelle est la position de l'ARP, Madame la présidente, sur la problématique de ce débat : Changer pour que rien ne change et, éventuellement, sur d'autres ?

Mme Coline SERREAU - Nous vivons dans un système qui, jusqu'à présent, a à peu près fonctionné pour plusieurs raisons et notamment parce que les politiques, de droite comme de gauche, nous ont soutenu dans cette bataille depuis des années, et de façon intelligente. C'est propre à la France et nous ne saurions avoir trop de gratitude envers la classe politique. Ce système fonctionne, parce que son intelligence est « d'être dans le marché », c'est dire de ne pas le refuser bêtement et d'assurer la correction de ce marché.

Comment le système doit-il évoluer ?

Il doit évoluer, tant il est vrai que les technologies et la production évoluent, de la même façon que la diffusion, elle aussi, évoluera, car on entrera d'ici à quelques années dans le numérique. Les films se tourneront en numérique. J'ai tourné mes deux derniers films comme cela. Le prochain sera probablement en 35 millimètres, mais il y a peu de chances pour que, dans les années à venir, je revienne durablement à ce format. Beaucoup de jeunes cinéastes tournent en numérique. Il faudra donc repenser la diffusion des films, autrement que sous forme de pellicules par des projecteurs. À ces évolutions, il faudra s'adapter.

Se pose également le problème de la baisse du financement par Canal Plus. Comme l'a très bien expliqué Jean Cazès, ce n'est pas seulement une baisse volontaire. Les films s'exploitent sur d'autres supports et donc les recettes diminuent. Nous proposons de revoir la liste des financeurs, car il est tout à fait anormal que les structures qui tirent profits du DVD ne financent pas la production. Il faudra repenser le mode de financement, comme il faudra revoir le problème des exploitants. À une époque, ils finançaient le cinéma de la même façon que les producteurs (qui finançaient les projets à hauteur de 40 %). J'ignore à quelle hauteur participaient les exploitants, mais il est certain qu'il y avait toujours des à-valoir. Le financement des exploitants n'existe plus. Seulement, les profits ne diminuent pas quand la fréquentation augmente comme c'est le cas à l'heure actuelle. Là aussi, il faudra revoir les équilibres avec les exploitants.

Il faudra que nous adaptions notre système, car les opérateurs sont comme des vibrions. Ils contournent les systèmes, ils savent s'engouffrer dans les failles - et à toute vitesse. La diffusion sur Canal Satellite de six chaînes du groupe AB dédiées au cinéma à partir du Luxembourg est un bon exemple. Cela s'appelle de la délocalisation sauvage ; c'est dramatique, sans compter que les programmes édités par le groupe AB ne sont pas connus pour la hauteur de leur contenu !

C'est donc une question que nous posons à Canal Plus : certains disent s'installer au Luxembourg, mais affirment qu'ils respecteront la réglementation française. C'est comme si nous allions nous installer à Monaco mais que nous paierions nos impôts ! Comme le dit Bedos, pourquoi allez-vous à Monaco ? Est-ce pour la vue ? S'ils s'installent au Luxembourg, je ne pense pas que ce soit pour la vue ! Il faudra donc parler de tout cela sérieusement.

Des propositions ont été présentées. Sur celle relative au soutien à la promotion de dix gros films européens par an, la difficulté tient à l'absence de dix gros films italiens, de dix gros films allemands. Pourquoi ? Parce que les cinéastes sont morts alors qu'ils ont autant de talent que nous, voire davantage ! Il existe de grands cinéastes partout dans le monde. Il faut qu'ils puissent faire des films.

Je ne suis absolument pas d'accord avec Jean Cazès quand il dit que l'on n'arrivera jamais à harmoniser nos réglementations en Europe. La réglementation française a prouvé qu'un cinéma national pouvait exister. Il faut prouver au public allemand, au public italien, à la classe politique, que c'est un système qui marche, qu'il faut l'appliquer, avec le principe de l'exception culturelle. Un film ce n'est pas une paire de chaussettes, ce n'est ni plus ni moins bien, c'est autre chose ! Cette réalité doit pénétrer les esprits et il ne faut pas désarmer de peur de ne pas y arriver : on y arrivera, on les convaincra.

Et puis nous pouvons nous appuyer sur la pression de la rue, de l'opinion publique, des élus que vous êtes et qui représentent le peuple. ATAC a fait des textes remarquables, pas du tout gauchisants - et même s'ils l'étaient ! Ce sont des textes intelligents sur la question de la langue ; ce sont des textes sur lesquels on peut se mettre d'accord. Ils sont sérieux. Il ne faut donc pas désarmer, mais en débattre, affirmer, que l'exception culturelle doit être la règle !

M. Pierre-Christophe BAGUET - Il faut en effet parler de l'exception culturelle, ce qui a d'ailleurs fait l'objet de quelques remous dans les médias. Il y a également eu la demande de Canal Plus de revenir sur ses obligations en faveur du cinéma avant 2004. Des interrogations portent également sur l'évolution de Multithématique. Dans la mesure où nous sommes mercredi et que l'Assemblée nationale traite des questions d'actualité, il en est une que se posent nombre des participants à ce colloque : l'accord entre AB et Canal Satellite, qui vient d'être annoncée dans les médias.

Denis Olivennes, vous êtes directeur général de Canal Plus. Puisque vous nous faite l'honneur de venir répondre directement à nos questions sur le cinéma français et son financement, vous pourriez peut-être répondre également à cette question d'actualité...

J'ai lu des déclarations, de vous-même ou d'un dirigeant de Canal Plus, sur le fait que vous vous émeuviez de la succession de procès d'intention alors que, de tous les opérateurs européens, vous êtes celui qui consent et respecte le plus d'engagements à l'égard du cinéma français et européen. Il fallait le rappeler avant de vous donner la parole.

3. M. Denis OLIVENNES, directeur général du groupe Canal Plus

M. Denis OLIVENNES - Nous sommes récemment intervenus dans le débat pour rappeler que Canal Plus est profondément attaché au cinéma français et donc au système qui le protège. Nous y sommes attachés, toutefois pas au point que cet amour conduise à vouloir nous ruiner ainsi que d'aucuns nous le suggèrent, mais notre amour est très grand. Et précisément parce que nous sommes profondément attachés au cinéma français et au système qui le protège, nous considérons qu'il y a quelques raisons de tirer le signal d'alarme et de réfléchir ensemble, aussi intelligemment qu'au moment où nous avons imaginé ce système, aux adaptations nécessaires pour qu'il puisse durer, être préservé avant qu'il ne soit trop tard et qu'il explose sous l'effet d'évolutions de l'environnement que nous n'aurions pas su anticiper. Nous appelons une réflexion à froid, collective, aussi intelligente et visionnaire pour l'avenir que l'a été hier la création de ce dispositif.

Nous sommes profondément attachés au cinéma français ; ce n'est pas une précaution oratoire ou un propos démagogique. Tous ceux qui travaillent avec Canal Plus - réalisateurs, producteurs, distributeurs - savent que Canal Plus entretient avec le cinéma une relation qui n'est pas seulement commerciale ; elle est consubstantielle à l'entreprise même et elle est de nature particulière. On ne la retrouve, je crois, dans aucune autre entreprise de même nature. Cela se traduit dans notre politique d'acquisition et de diffusion de films et de respect de la diversité - avant même que nous n'acceptions des engagements en la matière. Cela se traduit, par exemple, dans le fait que cette culture a été diffusée par Canal Plus en Espagne, en Italie, en Scandinavie et ailleurs, alors que nous n'y étions pas obligés.

Au-delà de la politique de diffusion, cette relation s'est traduite dans une multitude d'actes de la vie quotidienne, dont nous ne parlons pas nécessairement et qui manifestent notre attachement au cinéma : le soutien que nous apportons aux festivals, aux associations de formation des jeunes talents...

Je pourrais citer des dizaines d'exemples. Canal Plus est non seulement une chaîne qui diffuse du cinéma, mais aussi une chaîne engagée dans le cinéma, engagée aux côtés des cinéastes. Exemple anecdotique : M. Chevènement donne une conférence de presse actuellement contre Canal Satellite, Canal Plus et AB ; il le fait dans une salle qui s'appelle Le Cinéma des cinéastes, que nous subventionnons ! Car nous considérons que cette salle, à la programmation d'une nature particulière, doit être aidée. Voilà un exemple anecdotique de l'aide multiforme de Canal Plus et de son engagement citoyen en faveur du cinéma.

Cet engagement citoyen fait que nous sommes évidemment attachés au système français, car ce n'est pas par miracle que nous avons une cinématographie nationale si animée, si vivante, si dynamique ; c'est parce qu'un système a été mis en place, que, je crois, l'on nous envie, précisément parce que c'est un système génial. Cela paraît être une formule un peu enfantine, mais génial au sens propre du terme, est le bon mot.

Le système de financement et d'aide au cinéma français repose sur trois piliers principaux : d'abord, un prélèvement sur les tickets d'entrée en salle qui vient alimenter un fonds automatique de soutien ; ainsi, les films américains contribuent au financement de la production française. C'est un mécanisme génial qui a été inventé ; je trouve que l'on devrait débaptiser la rue de Lübeck où est installé le CNC pour lui donner le nom des membres du CNC qui ont inventé ce système à l'époque, car ils ont contribué, beaucoup plus que Lübeck, à la vitalité du cinéma.

Deuxième mécanisme : la chronologie des médias, le fait que l'on ait organisé des fenêtres de diffusion pour chacun des modes d'exploitation : d'abord, la salle, puis la vidéo, puis la télévision payante, enfin, la télévision en clair, en sorte que chacun de ces modes d'exploitation ne se cannibalisent pas mutuellement et qu'une même oeuvre puisse générer le maximum de revenus par ses exploitations successives.

Last, but not least, comme on dit si bien chez nous, la contribution de la télévision en général, mais de Canal Plus en particulier, à travers les obligations d'acquisition des droits de diffusion principalement, mais aussi la taxe qui alimente le fonds de soutien.

Le caractère très exceptionnel du système réside tout à la fois dans son caractère très protecteur et dans sa souplesse. Il a permis de défendre la cinématographie française ; quand on compare à ce qui s'est passé dans d'autres pays européens, on voit l'effet produit : en dehors de l'Inde, nous sommes la deuxième cinématographie du monde occidental après les Etats-Unis. Il a donc permis de protéger la cinématographie nationale sans être pour autant ni un système administré ni un système d'art académique, de subventions étatiques. Ce sont tout simplement des mécanismes de marché : c'est un système ouvert au libre-échange - les films américains peuvent pénétrer - en même temps qu'un système redistributif et qui ne repose pas sur le bon vouloir de l'Etat ou sur la fiscalité, mais sur des mécanismes de marché.

C'est donc un système quasi parfait. Aujourd'hui, nous considérons qu'il faut, non pas le modifier mais ajuster ses curseurs, car certains d'entre eux sont fragiles, principalement la contribution de Canal Plus au cinéma, qui représente environ 25 % du financement du cinéma français.

Quelles furent les clauses du « contrat de mariage » entre Canal Plus et le cinéma qui fonctionne si bien depuis l'origine ? Canal Plus bénéficiait d'une exclusivité quasi absolue : le droit de diffuser des films un an après leur sortie en salle, exclusivité extraordinairement attractive pour les abonnés de Canal Plus, qui échangeait cette exclusivité contre une obligation très forte, puisque la chaîne doit consacrer 20 % de son chiffre d'affaires à l'acquisition de droits de diffusion : 9 % pour les oeuvres françaises, 3 % pour les oeuvres européennes et, curiosité du système - que l'on n'évoque pas souvent, car on ne l'assume pas collectivement - 8 % consacrés à l'acquisition de droits de diffusion de films américains.

Cette obligation à hauteur de 20 % de notre chiffre d'affaires forme la contre partie de l'exclusivité dont nous bénéficions. Or, depuis cinq ou six ans, avec l'apparition du DVD, avec l'extension des fenêtres d'exploitation du paiement à la séance, avec la création de ce que l'on a appelé « la deuxième fenêtre d'exploitation », c'est-à-dire le droit de diffuser un film après sa première exploitation en télévision payante, mais avant son exploitation en télévision en clair, c'est-à-dire quelques semaines ou quelques mois après la première exploitation par Canal Plus, l'ensemble de ces mécanismes, soit de nature technologique, soit de nature juridique, a érodé, émoussé la valeur de l'exclusivité de Canal ; ce n'est pas la qualité des films qui est en cause : elle est au moins égale à ce qu'elle était il y a dix ans. C'est la valeur de l'exclusivité aux yeux de nos abonnés qui s'est émoussée. Cela transparaît dans toutes les enquêtes dont nous disposons. Alors que le cinéma était, jusqu'à une date récente, un motif d'abonnement - environ un tiers de nos abonnés s'abonnait à ce titre -, il représente aujourd'hui moins de 20 %.

Même si nous enregistrons encore les taux de résiliation les plus bas du monde, le principal motif de résiliation des abonnements à Canal Plus tient à l'insatisfaction en matière de cinéma, non pas que nos films soient mauvais, mais parce que nos abonnés ont le sentiment que la valeur d'exclusivité n'est plus la même qu'autrefois. Toutes nos enquêtes démontrent que la valeur de l'exclusivité a décru. Dans le même temps, nos obligations, calculées au prorata de notre chiffre d'affaires, ont augmenté. Nous devons nous attaquer à cela, car sinon c'est le marché qui s'y attaquera par la réduction du nombre des abonnés de Canal Plus. Dans la mesure où son obligation est assise sur le chiffre d'affaires, celui-ci décroîtra et la contribution au financement du cinéma décroîtra concomitamment.

C'est un signal d'alarme que nous tirons avant qu'il ne soit trop tard. Nous devons réfléchir, non pas pour revenir sur nos obligations - jamais nous n'avons dit cela -, mais pour modifier, alléger nos curseurs pour réallouer une partie de ces budgets à des oeuvres profondément exclusives qui relanceraient la mécanique des abonnements. Cela permettrait d'ailleurs de mettre de l'essence dans le moteur des programmes audiovisuels. Si l'on compare la France aux autres pays européens, nous avons une cinématographie nationale très puissante, mais une industrie des programmes audiovisuels moins puissante qu'ailleurs.

À l'avenir, Canal Plus pourrait jouer, parallèlement à son rôle en faveur du cinéma, un rôle en faveur des oeuvres audiovisuelles. Tout le monde serait gagnant. Mais cela n'est possible que si, parallèlement, on maintient un niveau de ressources croissant en faveur du cinéma. S'il y a une légère modification des obligations de Canal Plus, soit en matière de règles de programmation, soit en niveau d'obligations, il faut engager parallèlement une réflexion collective sur la manière d'alimenter, de créer de nouveaux mécanismes de financement en faveur, par exemple, des fonds automatiques de soutien du CNC. C'est à notre portée. Pourquoi ne pourrions-nous pas faire aujourd'hui ce qu'ont fait nos aînés il y a une quinzaine d'années ? Voilà la façon dont la question se pose pour Canal Plus et voilà les termes dans lesquels nous l'avons posée.

Nous avons proposé aux professions du cinéma d'anticiper sur la fin de nos accords ; toutefois, ce n'est possible qu'avec leur assentiment et si nous sommes capables de trouver des modalités qui les satisfassent autant que nous, autrement dit si nous trouvons un accord gagnant-gagnant. Nous avons proposé cette solution, parce que 2004 nous paraît loin. D'ici là, nous craignons que les mécanismes décrits à l'instant ne s'accélèrent et qu'en 2004 nous ne soyons en train de traiter une crise à chaud au lieu de la traiter à froid.

En dehors du cinéma, nous avons une spécificité française : la difficulté à anticiper les problèmes et le fait que nous les gérions sur le mode de la crise et du compromis. En règle générale, nous traitons les problèmes lorsqu'ils ont atteint un niveau d'acuité tel que l'on ne peut pas ne pas les traiter. Or, l'on sait qu'il est toujours plus douloureux et coûteux de les traiter ainsi. Jusqu'à présent, en matière de cinéma, nous avons échappé à cette idiosyncrasie française : à chaque fois, nous avons réussi à adapter les mécanismes de soutien au cinéma de manière calme, dépassionnée - pas toujours dans les débats -, mais dépassionnée au fond et de manière anticipée. Nous devons persévérer sur cette voie, anticiper une fragilisation du dispositif et la corriger pour que ce système auquel nous sommes attachés retrouve la pérennité et la longévité qu'il mérite.

Pour répondre à la question d'actualité, j'avais l'impression que Canal Plus avait signé une lettre d'intention avec le groupe AB et pas un procès d'intention avec Le Figaro, quelle que soit la qualité du journal !

Quels sont les faits ? Nous nous sommes engagés avec le groupe AB, dans le cadre d'une négociation plus globale, à accueillir cinq ou six chaînes de films de catalogue, c'est-à-dire des films diffusés entre dix et vingt ans après leur sortie en salle, à compter du printemps prochain, entre juin et septembre. Nous avons une lettre d'intention pour amener ces chaînes sur Canal Satellite. Quel intérêt pour nous ? En termes de marketing, il s'agit d'un produit d'entrée pour un certain nombre d'abonnés qui ne sont pas nécessairement prêts à payer très cher un abonnement, mais qui veulent du cinéma. Une fois que nous aurons ces abonnés, nous les ferons monter en gamme sur des produits de cinéma, moyen ou haut de gamme que nous-mêmes développons, ce qui est rendu possible par des première ou des deuxième fenêtres, notamment les chaînes de Multithématique. Voilà l'accord.

Est-ce contraire à ce que je viens de dire ? Du point de vue de la protection de la qualité d'exclusivité de Canal, procéder ainsi est-il imbécile ? À cette question sous-jacente qui nous est posée, la réponse est non. Ce qui affecte l'exclusivité de Canal et ce qui, éventuellement, présente un risque pour le cinéma, ce ne sont pas les films de catalogue qui sont diffusés dix, vingt ou trente ans après leur sortie en salle. On sait que cela n'affecte nullement la valeur des exclusivités de première fenêtre. Ce qui l'affecte, ce sont les paiements à la séance, la vidéo à la demande ou la seconde fenêtre. Jamais nous n'avons été affectés par des films de catalogue. Il n'y a pas d'incohérence dans notre stratégie, aucune menace sur l'exclusivité ni sur le prix payé pour l'exclusivité de tels films. J'ajoute que c'est une façon d'activer des catalogues de films sinon inactifs et que l'on ne voit pas.

Faisant cela, atteignons-nous, affectons-nous, attaquons-nous l'exception ou la diversité culturelle ? Un « Schengen de l'audiovisuel » a été créé pour la télévision par la directive Télévision sans frontières. Ce n'est pas au distributeur de chaîne de contrôler les papiers d'identité et d'ailleurs nous n'en aurions pas le droit, car nous pourrions nous exposer à une sanction juridique si nous discriminions les chaînes en fonction de leur origine dès lors qu'elles sont émises par un Etat membre. C'est le droit. Au reste, dans nos discussions avec AB, nous n'avons jamais eu à nous interroger et jamais la question de savoir si elles étaient émises du Luxembourg n'a été posée, dans aucun des textes qui nous lient à lui.

Cela étant, nous sommes profondément attachés aux règles qui permettent au cinéma français d'être ce qui l'est. Nous y sommes attachés par principe, mais aussi par intérêt. Quel intérêt aurions-nous à diffuser des chaînes dont les règles de programmation seraient plus souples que les nôtres et qui nous affecteraient directement ? Bien évidemment, nous avons demandé que le groupe AB, quel que soit son lieu d'émission - ce sur quoi, je le répète, nous n'avons nulle prise - respecte les principes fondamentaux en matière de quotas de diffusion et de règles de programmation. Ce sont nos valeurs et notre intérêt. À partir de là, s'il a envie de se faire diffuser, pour des raisons de facilités techniques de diffusion, à Bruxelles, à Luxembourg ou à Londres, nous n'y pouvons rien en droit et, à la limite, cela ne nous concerne pas. En revanche, je serai attentif au fait qu'il respecte les règles de quotas de diffusion et de programmation françaises. Ce sont nos valeurs et notre intérêt. J'ai observé ce matin dans Le Figaro que Claude Berda lui-même l'indiquait publiquement.

Nul ne peut dire qu'un engagement pris par Canal Plus depuis dix-sept ans aussi fermement que je viens de le faire n'a pas été tenu ! Si on est capable de me démontrer que nous n'avons pas tenu une seule fois un engagement que nous aurions pris de cette nature, qu'on vienne nous le dire ! C'est donc un engagement ferme que nous prenons : il est clair, net, sans ambiguïté et sera mis en oeuvre. Et je me pose la question de savoir qui a intérêt à souffler sur les braises. J'ai observé dans les articles que j'ai lus que l'un de nos principaux compétiteurs, bien connu pour son souci et son engagement en faveur du cinéma, considérait que l'on commettait en matière d'exception culturelle un crime capital. J'ai donc le sentiment que, derrière cette opération, il y a des personnes qui ne souhaitent pas que Canal Satellite élargisse son offre de cinéma et son attractivité en proposant des films de catalogue qui lui permettront d'attirer des abonnés à faibles revenus.

4. M. David KESSLER, directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC)

M. Pierre-Christophe BAGUET - Merci, M. Olivennes d'avoir répondu à cette question d'actualité, ici, à l'Assemblée nationale.

David Kessler, vous venez d'entendre nos invités sur le financement du cinéma. Le CNC a pour sa part créé récemment de nombreuses commissions de réflexion. J'en ai relevé au moins quatre ces derniers jours dans la presse : une commission sur les industries techniques et leur passage au numérique, une commission d'aide aux films réédités, une commission sur le thème « Qu'attendre du droit de la concurrence ? », une commission sur la définition des oeuvres audiovisuelles indépendantes. Est-ce à dire que notre système de financement est obsolète ?

M. David KESSLER - Il existe en effet différents types de commissions. Le Centre compte trente-six ou trente-sept commissions permanentes, indépendamment des groupes de travail. C'est dire que nous avons un sens aigu des réunions !

Vous penchant sur le mode de fonctionnement du CNC, vous vous êtes dit qu'il était si complexe que des éléments étaient certainement à simplifier. Il est vrai que, parfois, nous interrogeons sur la possibilité de simplifier nos procédures, ce qui n'est pas si aisé. Je me réjouis que vous l'ayez remarqué.

J'ajoute que moi-même, comme l'ensemble des collaborateurs du Centre, nous nous sommes grandement réjouis du rapport que votre commission a publié. Nous y sommes sensibles bien sûr parce qu'il contient des éloges sur le fonctionnement et la nature du CNC, mais également parce que le rapport témoigne d'un large consensus et d'un fort intérêt de la représentation nationale pour les questions qui touchent au cinéma.

Je reste convaincu comme beaucoup que l'un des éléments qui explique la force du système français, même s'il connaît quelques faiblesses ou tensions, réside précisément dans la mobilisation des pouvoirs publics en sa faveur ; c'est ce lien fort qui existe entre le cinéma et la vie politique. Votre rapport en témoigne à travers un travail patient et une description complète et très riche de l'existant en France comme en Europe.

Denis Olivennes a dessiné si parfaitement notre système que je n'ai pas besoin d'y revenir. Comment analyser les échecs comme les succès du cinéma français, les inquiétudes que cela suscite ? La force du système réside dans sa pérennité, quand cela marche mais aussi quand cela ne marche pas. Et c'est à cette dernière occasion qu'il est presque le plus utile. Autrement dit, le mécanisme inventé il y a cinquante-cinq ans permet, y compris lorsque le public n'est pas au rendez-vous - il ne faut pas s'en réjouir, ni l'accepter -, même quand les films français ne sont pas vus, de créer les conditions qui permettent aux réalisateurs de continuer à réaliser, aux producteurs de produire et aux talents de s'épanouir. C'est le maintien permanent d'un terreau où le cinéma existe et se développe. C'est ainsi que le cinéma retrouve son public et justifie par là même son système. Ce fut le cas l'année dernière.

Dans d'autres pays, ce n'est pas que les talents aient disparu, mais le terreau était absent, parce que les facteurs objectifs de destruction des cinématographies nationales étaient là, à la fois par l'intervention massive de la télévision et par la volonté d'hégémonie du cinéma américain. Sans une action volontaire pour contrer ces deux facteurs forts, essentiels de marché, le cinéma français disparaîtrait également. La vertu première de notre système est là : maintenir ce qui va, même quand l'environnement est défavorable.

Quelle est la nouveauté et qu'est-ce qui vaut ce débat auquel nous assistons aujourd'hui ? Qu'est-ce qui explique certaines des inquiétudes actuelles ?

Le cinéma français est la résultante de fortes tensions : tensions entre des groupes puissants et des producteurs indépendants, tensions entre des systèmes d'aide automatique et la nécessité de corrections par des systèmes sélectifs, tensions entre le marché, l'industriel et le culturel. Ces tensions constituent l'essence même du cinéma. Pour autant, on a toujours trouvé un point d'équilibre entre ces tensions, à la fois par un accord interprofessionnel et un accord entre la profession et les pouvoirs publics ; Dieu sait que ces tensions existent aussi au sein de la profession entre des intérêts, par nature divergents !

Une inquiétude commence d'émerger : il s'agit de savoir si la tension n'est pas à ce point forte que l'élastique risquerait la rupture. J'ai dit qu'il y avait tension entre les groupes et les producteurs indépendants, mais à partir de quel moment le pouvoir d'un groupe ou de deux groupes du système fait que l'indépendance des autres est véritablement menacée ? Je n'ai pas la réponse à cette question. On comprend les inquiétudes actuelles quand on perçoit la force de ces tensions et donc la nécessité à la fois pour la profession cinématographique et tous ceux qui y contribuent de maintenir une forme d'unité dans ses intérêts et la nécessité pour les pouvoirs publics d'encourager à la définition de ces intérêts.

Il existe, selon moi, trois enjeux, ce qui explique le nombre des commissions ou des groupes de travail mis en place au CNC. Notre conviction, comme celle de Denis Olivennes, réside dans l'idée qu'il faut anticiper les échéances, qu'il est préférable de les traiter à froid qu'à chaud. Les réponses que l'on apporte peuvent être différentes. En tout cas, nous pouvons participer. Il s'agit de trois enjeux majeurs :

L'enjeu technologique, tout d'abord. La technologie n'est pas un problème en soi pour le cinéma. Ainsi que l'a souligné Coline Serreau, des évolutions sont à l'oeuvre, mais la technologie peut devenir problématique si on ne prend pas garde aux conditions dans lesquelles elle est introduite.

Par contre, la diffusion des films sur internet est un problème majeur, tout autant à travers ses aspects financiers, de chronologie des médias, qu'à travers le respect des droits d'auteur et de la propriété intellectuelle.

La diffusion du numérique pose la question du tournage et des chances que cela peut représenter pour une économie différente des films comme celle des risques en termes de diffusion forte : qui sera maître de la diffusion quand on sait le coût que représente l'équipement numérique pour un exploitant ? Ce sont là des questions majeures qu'il faut soulever.

Il existe ensuite un enjeu européen. Je suis convaincu que l'Europe est une chance pour le cinéma national. Il faut toutefois avoir conscience qu'elle peut aussi devenir une menace. Notre rôle comme celui des pouvoirs publics est précisément qu'elle soit une véritable chance et non une menace.

La menace consisterait en l'alignement de la norme européenne sur le bas. Les débats récents, à travers les risques de délocalisation, ont montré que cette menace existait, même si je pense qu'une chaîne émise de l'étranger à seule destination du public français est contraire au droit communautaire si elle ne respecte pas les règles strictes du droit français. C'est un petit débat juridique que nous pourrions avoir. Je ne crois donc pas que la situation actuelle représente une impasse totale. Au-delà, il existe une menace de délocalisation. L'Europe peut également présenter un danger par les menaces que la Commission fait peser sur nos systèmes d'aide nationale. Il nous faut entretenir un débat permanent avec elle. Nous avons déjà obtenu des résultats. Nous devons avoir un débat permanent avec nos voisins pour essayer de les convaincre ; nous avons là aussi déjà obtenu des résultats. C'est un travail de longue haleine.

Ce peut être aussi une chance, dans la mesure où, effectivement, l'Europe peut devenir un marché. Il est très important d'avoir à l'esprit que, dans l'espace qu'est l'Europe, le bilatéral est un élément de construction du multilatéral. C'est par les relations que nous entretenons avec d'autres pays que nous arriverons à construire une Europe du film. Je ne crois guère aux produits européens, aseptisés, faits d'acteurs de tous les pays qui viennent parler une langue commune. Par contre, les coproductions peuvent êtres très fructueuses. Je pense notamment au travail extrêmement positif que nous menons à l'heure actuelle avec l'Allemagne, non seulement par l'effort de financement de coproductions mais aussi par la compréhension mutuelle. Nous étions il y a peu avec des professionnels à Berlin ; nous avons dialogué avec des producteurs allemands des coproductions. Cet effort commun de compréhension mutuelle des systèmes et des aides nationales est un élément fort de la construction d'une Europe du cinéma. Il faut nous engager sur cette voie.

Enfin, l'enjeu du financement est majeur. Il ne faut surtout pas partir de l'idée que le système est parvenu à expiration, d'une part car nous n'avons pas de moyen de le remplacer et d'autre part parce que le système du cinéma fonctionne aujourd'hui principalement par le financement des télévisions, y compris par Canal Plus, et que tout retrait ou diminution ne peut s'envisager que dans le cadre d'une négociation et d'un dialogue réciproque. On ne peut unilatéralement annoncer que l'on renoncera à ses contributions. Il ne faut donc pas croire que l'évolution du système permettra une diminution fondamentale de l'apport des télévisions. En revanche, je suis convaincu de la nécessité de rechercher soit des sources de financement complémentaires soit un accroissement de financements actuels insuffisamment exploités. C'est ce que le Centre essaie de faire.

Je n'entrerai pas dans le détail. On a parlé des financements régionaux, des financements européens, notamment à travers les coproductions, des possibilités d'évolution des systèmes fiscaux. Votre rapport évoque les SOFICA ; on peut en effet s'interroger pour savoir si aujourd'hui la SOFICA reste le mécanisme le mieux adapté ou si l'on peut le transformer. Nous pouvons aussi nous inspirer d'exemples étrangers. Il y a là des recherches à faire.

Il ne faut jamais oublier une réalité : le budget moyen d'un film français s'élève à 4 millions d'euros contre 50 millions de dollars pour un film américain. Alors que la différence est de taille, la France et son cinéma ne s'en sortent pas si mal !

M. Pierre-Christophe BAGUET - Merci de terminer sur ces propos positifs et optimistes ! Nous allons maintenant engager un débat avec la salle.

Débat avec la salle

M. Mario D'ANGELO, coordinateur de l'association Idée Europe et expert auprès du Conseil de l'Europe - Une remarque tout d'abord : il est toujours difficile de transformer un millefeuille en éclair au chocolat ! Tous les dispositifs, quels que soient les secteurs d'intervention qu'ils concernent ou les pouvoirs publics qui les abritent ou les pays qui les promeuvent, plus ils prennent de la longévité, plus ils se complexifient.

Mon questionnement porte plus précisément sur les aspects européens : la difficulté d'avoir un espace européen, l'inexistence d'un marché européen. Puisque modèle français et références il y a - il obtient des résultats - comment convaincre d'autres acteurs dans d'autres pays de l'intérêt de transférer ou de s'inspirer du modèle français pour créer un modèle européen ?

Ce matin, les débats ont essentiellement porté sur des critères, des aspects, des problèmes sectoriels ou liés aux différentes professions. Ma question est plus générale : existe-t-il des indicateurs sur le coût réel pour le contribuable de la politique de soutien au cinéma en France ? Combien d'euros sur la feuille d'impôts ? Pour combien d'emplois et pour quelles qualifications ?

Les indicateurs que je viens de citer sont quantitatifs, économiques, fiscaux... En revanche, les indicateurs de société font cruellement défaut, mais ce n'est pas spécifique à la France. Qu'est-ce que le cinéma ? Qu'est-ce que le fait d'avoir un cinéma national ou européen apporte vraiment en termes de société ? Des considérations existent, c'est vrai, mais elles restent relativement générales. On sait que cela apporte quelque chose, mais on ne sait pas vraiment quoi. En quoi une scène de ménage hollywoodienne noyée dans le bourbon ou dans le whisky modifie-t-elle la vision du monde, la vision de soi, par rapport à une scène de ménage noyée dans le schnaps ou dans un calva ?

Toutes ces questions méritent d'être abordées si l'on veut défendre le cinéma auprès des publics, des politiques, des acteurs sociaux.

M. Pierre-Christophe BAGUET - Il sera répondu à la partie « européenne » de votre question, avec M. Didier Mathus, député de Saône-et-Loire, et nos collègues parlementaires italiens, allemands et espagnols lors du débat de cet après-midi.

Quant aux questions sur le coût pour le contribuable, les conséquences en matière, de qualification..., le CNC dispose-t-il d'un tableau de bord?

M. David KESSLER - La diversité des questions est telle que nous ne disposons pas d'un tableau de bord exhaustif.

Sur le coût pour le contribuable, si j'étais un peu provocateur, je répondrai zéro ! À la vérité, ce n'est pas totalement exact, mais notre système coûte très peu au contribuable ; c'est d'ailleurs ce qui fait sa force. Pour le CNC, ce n'est quasiment pas un système budgétaire, à peu de choses près. Cela ne signifie pas que cela ne coûte pas aux spectateurs, puisque, sur le coût d'une place de cinéma, une part sert à financer le cinéma, mais cela ne coûte pas au contribuable. J'espère que je ne choquerai pas la représentation nationale en avançant que si cette politique avait été intégrée au budget de l'Etat, le système de soutien public aurait été plus gravement menacé au fil du temps.

M. Jean LE GARREC, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Tout au moins plus difficile à défendre !

M. Marcel ROGEMONT, député d'Ille-et-Vilaine, rapporteur de la mission d'information - Je partage totalement les propos de M. Kessler : si jamais cette politique avait coûté au budget de l'Etat, on ne connaîtrait pas le consensus politique actuel sur la politique cinématographique en France.

M. Pierre-Christophe BAGUET - Il est vrai que c'est toujours l'argent qui est source de déchirement dans les familles !

M. Mario D'ANGELO - Dans de nombreux pays européens, beaucoup de personnes sont convaincues que cela coûte cher.

M. Pierre-Christophe BAGUET - En effet, ainsi que je le soulignais en introduction, la rumeur court toujours ; il faudra lui couper la tête !

M. Alexandre PHILIPPO, journaliste au Revenu Français - Je suis intéressé par les nouvelles sources de financement du cinéma. Avec l'apparition d'internet, on a vu des personnes privées investir, non pas dans des FCPI, les équivalents des SOFICA pour des startup, mais directement dans des sociétés auxquelles elles croyaient. Elles étaient prêtes à perdre leur argent si le projet n'aboutissait pas.

Concernant le cinéma, les SOFICA est-il le véhicule le plus adapté ? Le public ne peut-il être une source de financement, les personnes qui ont quelque argent et qui sont prêtes à en perdre en se faisant plaisir ? N'y aurait-il pas là une source de financement, dont le cinéma pourrait profiter à travers des maisons de production, d'autres véhicules que les SOFICA ?

M. Jean CAZÈS - Effectivement, des personnes, dont je fais partie, sont prêtes à investir de l'argent, à en perdre beaucoup parfois, à en gagner d'autres fois sur des projets qui les intéressent. Peut-on les inciter par des systèmes fiscaux ? La très grande qualité du système des SOFICA est de déconnecter ce que voit l'investisseur de ce dans quoi il investit. Tous les systèmes qui ont cherché à créer des incitations fiscales sur des investissements liés à un film donné ont amené à enrichir des avocats, des intermédiaires, des banquiers dans le meilleur des cas et des escrocs dans le pire.

Le cinéma permet de tellement rêver, on peut raconter tellement n'importe quoi sur un projet que si l'on n'est pas professionnel, on peut connaître tous les dérapages.

Aujourd'hui, en matière d'abris fiscaux, seuls deux systèmes fonctionnent. Les premiers sont de simples allégements fiscaux : l'Etat « subventionne » 20 % d'un budget, dont 10 % va à des avocats et 10 % à réduire le budget du film, quels que soient ses résultats. Le second système est celui des SOFICA, très réglementé, mais qui déconnecte complètement l'investisseur des films dans lesquels il investit.

M. Jean LE GARREC, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Nous allons maintenant céder la parole à notre collègue coréen qui va nous expliquer comment son pays a mis en place un système efficace de protection de son cinéma national.

UN REGARD EXTÉRIEUR : LE SYSTÈME DE SOUTIEN AU CINÉMA CORÉEN

Intervention de M. Byounggug CHOUNG, député à l'Assemblée nationale de Corée du Sud

M. Byounggug CHOUNG - C'est un grand plaisir pour moi de rencontrer Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles et les députés français, italiens, allemands et espagnols. Je voudrais tout particulièrement remercier M. Marcel Rogemont qui a mené une étude très intéressante et que nous avons rencontré avec sa délégation à Cannes au cours du dernier festival pour parler de la promotion du cinéma dans le monde. Pour moi, c'est une rencontre très significative.

C'est un grand honneur pour moi d'intervenir dans le cadre de ce colloque qui se tient dans un pays d'art et de culture. Je souhaite vivement que notre rencontre d'aujourd'hui marque une occasion propice au développement d'un partenariat entre les pays participants.

Je souhaiterais esquisser l'état des lieux du cinéma coréen.

Depuis 1993, la population coréenne a crû de 5,2 % alors que le taux de fréquentation du public en salles a augmenté de plus de 35 %, engendrant un accroissement des recettes de 200 %. La Corée du Sud compte plus de 800 cinémas en 2001 contre 600 en 1993. La part de marché des films coréens est en forte augmentation puisqu'elle est passée de 15,9 % en 1993 à 46,9 % aujourd'hui. Les recettes ont également progressé. En 2000, la part du cinéma coréen dans les recettes totales s'élevait à 35,3 % ; en 2001, à 49,5 %.

Le cinéma coréen est donc en pleine croissance et bénéficie d'une véritable reconnaissance internationale.

Nous avons ainsi participé à de nombreux festivals internationaux avec des productions nombreuses et variées. L'an dernier, 76 films différents ont bénéficié de 431 projections dans le monde entier. Nous connaissons également une progression des exportations. Par exemple, en 2001, le cinéma coréen a enregistré 11 millions de dollars de recettes à l'étranger. Enfin, nous avons organisé avec succès des festivals internationaux en Corée : l'année dernière, le festival de Pusan a accueilli des films de cinquante-cinq pays, 1 500 journalistes coréens et internationaux et 181 000 spectateurs, dont 170 000 payants, étaient présents.

Cette « gloire » cinématographique coréenne peut être attribuée à plusieurs raisons :

- l'augmentation du revenu disponible de la population coréenne concomitante à la croissance économique nationale,

- le public porte davantage d'intérêt et d'affection à la culture nationale,

- la politique de soutien du gouvernement au cinéma coréen.

La Corée dispose d'un Centre de promotion cinématographique à l'image du CNC, qui soutient les productions de courts et longs métrages ainsi que les salles. En 2000, le soutien s'est élevé à plus de 4 millions de dollars, en 2001 à un peu plus de 6 millions de dollars. Ces montants, en valeur absolue, sont relativement modestes si on les compare à d'autres pays industrialisés, mais il n'en reste pas moins qu'ils ont contribué au développement cinématographique coréen.

La raison principale du développement du cinéma coréen reste néanmoins l'instauration d'un quota de diffusion des films coréens en salles. Un tel système a été effectivement mis en place en 1993, alors que la loi y afférent a été votée en 1966. Ce système a connu une crise très grave dès sa mise en oeuvre, sous la pression des Américains qui voulaient limiter la portée du dispositif.

Nous avons formé une association en faveur de la diversité culturelle de l'image. Elle a pour mission de surveiller l'application fidèle de la réglementation pour la sauvegarde du cinéma national. Cette structure mène de nombreuses activités et des campagnes de publicité. À l'occasion de la lutte contre la pression américaine, quelques membres de l'association se sont rasés la tête et ont manifesté dans la rue. Nous devons le succès actuel du cinéma coréen à ces personnes qui ont donné beaucoup d'elles-mêmes. Je voudrais leur adresser tous mes compliments et remerciements.

Je veux souligner aujourd'hui le rôle majeur de ce quota de films coréens en salle. Sans lui, nous n'aurions pu assister au développement du cinéma coréen. Ce système offre surtout à des salles de multiples occasions de projeter des films coréens. Ces occasions sont précieuses alors que la pression américaine est très présente. L'efficacité des aides à la production aurait en effet été nulle si ces films n'avaient pas pu être projetés en salles. La Corée tient donc à maintenir son système.

En 1998, lors de la crise financière, le Gouvernement coréen a voulu signer un accord d'investissement avec les Etats-Unis, qui en ont profité pour augmenter leur pression. Si l'Etat coréen signait l'accord, cela signifiait la suppression du principe de quotas en salles. Les cinéastes, en collaboration avec les organisations non gouvernementales, se sont élevés contre ce principe. Si le système de quotas venait à disparaître, il était prévu que les capitaux étrangers ne financeraient plus les films coréens, engendrant l'effondrement de l'industrie cinématographique coréenne. Les cinéastes, les artistes et les organisations citoyennes ont fait valoir que le système de quotas était le garant de la souveraineté culturelle. A deux reprises, en 1999 et en 2000, les députés coréens ont adopté une résolution en faveur du maintien du système de quotas, afin de montrer au Gouvernement que s'il signait l'accord d'investissement en supprimant les quotas, l'accord ne serait pas ratifié par l'Assemblée nationale.

Le système de quotas en Corée est la mesure minimale contre le monopole des films hollywoodiens. Face à l'économie mondiale, aucun gouvernement ne laisse faire entièrement le marché et les Etats-Unis ne sont pas une exception. Le Gouvernement américain a démantelé par le passé de grandes entreprises comme ATT ou Standard Oil afin d'améliorer l'efficacité des industries et la concurrence. Il mène aujourd'hui un procès contre Microsoft dans le cadre de la loi antitrust. Ses efforts sont justifiés.

Le système de quotas en Corée relève de la même logique. La Corée garantit aux studios hollywoodiens une totale liberté pour la distribution et la diffusion de leurs productions. Sur 359 films étrangers sortis en Corée en 2000, les films américains occupent 56,3 %, soit 102 films. Ils occupent également plus de 50 % des sorties totales.

Certains parlent de la liberté de choix des spectateurs, mais il faut savoir que les films hollywoodiens occupent 85 % du marché mondial. Si l'industrie cinématographique coréenne s'effondrait, la liberté de choix des spectateurs serait plus restreinte encore.

Aujourd'hui, le film occupe une place essentielle dans un réseau d'industries extrêmement complexes, formées de vidéos, de disques de musique et de tourisme. Mais le cinéma représente avant tout la culture, ce n'est pas uniquement un produit. Le quota des films en salle est la dernière mesure pour sauvegarder l'identité culturelle coréenne, ce qui est très bien décrit dans Le Monde du 18 décembre 2001. Les sociétés américaines de cinématographie s'efforcent obsessionnellement de démanteler l'exception culturelle française et le soutien au cinéma coréen et profitent de toutes les occasions comme les accords bilatéraux ou les zones de libre-échange pour ouvrir totalement le marché cinématographique des autres pays.

L'humanité appelle à la reconnaissance de la diversité. Une culture mondiale diverse plutôt qu'uniforme serait bien plus bénéfique à la paix mondiale. De ce point de vue, le système de quotas coréen n'est pas un mécanisme chauvin, mais contribue à la diversité culturelle. Tous ces efforts doivent être coordonnés pour être plus efficaces.

La Corée connaît à l'heure actuelle de fortes pressions dans le cadre des nouvelles négociations de l'OMC. Nous avons surtout besoin de la solidarité et de la coopération internationale en la matière afin de sauvegarder la diversité culturelle et le bonheur de l'humanité. Nous devons conclure un accord comme celui portant sur la sauvegarde de la diversité des biogénèses pour renforcer la diversité culturelle dans le monde. Par exemple, nous pourrions conclure un accord culturel mondial qui stipulerait notamment que les images d'un pays ne doivent pas occuper plus de 50 % dans tel autre pays. Cela participerait à sauvegarder l'identité culturelle de chaque pays dans ce siècle de l'image.

Aujourd'hui, nous espérons sincèrement que les pays européens, y compris la France, participent à la même ligne d'effort. Nous allons créer cette année un International theatre institute et une organisation internationale Asie-Pacifique des parlementaires pour sauvegarder l'identité culturelle et la diversité. Les parlementaires européens pourraient par exemple participer à une organisation mondiale de solidarité universelle. Je compte sur votre soutien et vous remercie une nouvelle fois de votre invitation.

M. Jean LE GARREC, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Nous remercions chaleureusement M. Byounggug Choung de son intervention et de sa participation à nos débats.

III.- TROISIÈME DÉBAT : « LE MARCHÉ EUROPÉEN DU CINÉMA, UNE AMBITION COMMUNE »

Présentation des propositions « européennes » de la mission d'information par M. Marcel ROGEMONT, rapporteur

M. Marcel ROGEMONT - En introduction du débat de cet après-midi, j'évoquerai la deuxième partie du rapport, qui pose la question de savoir comment construire un véritable espace cinématographique européen.

Avec mes collègues de l'Assemblée nationale qui composaient la mission, nous sommes partis à la rencontre de plusieurs pays européens. On reproche souvent aux Français cette image du petit village gaulois qui résiste seul à l'envahisseur, avec ses petits bras et la potion magique du CNC ! Nous en avons entendu quelques accents ce matin. Aussi, avons-nous adopté une position critique sur le système français, jugé trop complexe, qui supprime souvent le risque et avons-nous essayé de conserver, surtout, une attitude ouverte à la compréhension du cinéma national et non national dans chacun des pays que nous avons visités, à savoir la Belgique, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Commission européenne, qui n'est certes pas un pays mais nécessitait une visite, au même titre que les pays cités.

Nous en sommes revenus avec des convictions. La première est qu'il n'existe aucun élément fédérateur au sein de la culture cinématographique européenne, à part le cinéma américain. La seconde est que le marché de chacun des Etats, Allemagne et France comprises, est trop étroit pour offrir un espace permettant à un cinéma national de vivre et de s'auto-développer.

Forts de ces deux convictions, nous avons fait plusieurs propositions pour nourrir la construction d'un espace européen cinématographique, qui s'organisent autour de cinq grands axes : réactiver les politiques de coopérations bilatérales, préserver la diversité des auteurs, soutenir la distribution, renforcer la promotion des cinémas européens en Europe et enfin, formaliser des obligations de diffusion dans la directive « Télévision sans frontières ».

Tout d'abord, réactiver les politiques de coopérations bilatérales.

Il nous semble que le domaine de la production ressort essentiellement des Etats et que la circulation des films au sein de l'Union européenne est un enjeu collectif important. Cependant, si la production ressort des Etats, pour éviter l'eurococooning, il est clair que la connaissance, la reconnaissance des cultures cinématographiques des autres pays passent aussi par des coproductions.

C'est la raison pour laquelle il convient de réactiver la coopération bilatérale et même multilatérale. L'exemple nous est donné par l'Académie franco-allemande du cinéma dont l'objet n'est pas que la coproduction, mais bien l'ouverture sur l'ensemble de la distribution des films. C'est une voie à encourager et à généraliser.

L'encouragement à la coproduction passe également par l'adaptation des critères d'aide nationaux en vue de faciliter les coproductions et notamment de lever, au moins partiellement, les problèmes liés aux langues. Ce n'est pas une tâche facile car chaque pays veut protéger son industrie technique et ses emplois. Cependant, que voulons-nous : nous replier sur nous-mêmes ou nous ouvrir à l'Europe ?

Les accords de coproductions devraient également être étendus au soutien, à la distribution et à la promotion afin d'améliorer la circulation des oeuvres. Cela se fait avec l'Allemagne, mais ce sont là des éléments qui peuvent intégrer des coopérations bilatérales.

Une autre proposition, évoquée ce matin par M. Cazès, vise à établir des interconnexions entre les systèmes d'aide automatique existants dans les pays. Nous aurions alors une zone de coopération renforcée fondée sur le principe d'une libre adhésion : tout film national d'un pays adhérent aurait accès au système de soutien automatique des autres pays adhérents. Ce système présenterait l'énorme avantage de favoriser les coopérations puisqu'un film français distribué en Allemagne ouvrirait ainsi des possibilités d'investissement en Allemagne, ce qui développerait effectivement les coproductions. Ce système étant susceptible de coûter trop cher au pays qui diffuse le plus de films européens non nationaux, il conviendrait de mettre sur pied un mécanisme de compensation qui pourrait être financé par le programme MEDIA PLUS.

Deuxième axe : préserver la diversité des acteurs et donc encadrer les concentrations.

L'encadrement des concentrations nécessite une intervention européenne, de loin préférable à l'addition de règles nationales diverses et variées. En l'absence d'une telle intervention, une tension apparaîtra nécessairement entre l'objectif d'accroissement de la compétitivité européenne et celui de la promotion de la diversité culturelle au sein de l'Europe.

Une telle intervention devrait permettre de garantir le pluralisme des structures de production, petites ou grandes, ainsi que l'accès des indépendants à la distribution, à l'exploitation et au catalogue des films.

Il me semble également utile d'insérer une définition de la production indépendante dans la directive « Télévision sans frontières ». Cette directive traite de la production indépendante, mais ne la définit pas. Nous pensons qu'une telle définition pourrait être utilisée pour l'application des règles communautaires de concurrence, notamment lors de l'examen de projets de fusion afin de veiller à ce que le secteur, composé principalement de petites et moyennes entreprises, conserve sa diversité.

Troisième axe : soutenir la distribution.

L'Europe doit trouver les moyens de rendre visible son offre cinématographique, en son sein et à l'extérieur de ses frontières, tout d'abord, en accroissant sensiblement les moyens de soutien de MEDIA PLUS en faveur des distributeurs. C'est déjà le volet le plus important du programme, mais il faut faire encore plus. M. Cazès nous en a indiqué ce matin un des moyens.

Ensuite, nous proposons la création d'un fonds européen de garantie pour les distributeurs. Lors de chacun de nos déplacements dans les différents pays, les distributeurs nous ont dit rencontrer des difficultés financières pour l'acquisition des copies - souvent en nombre insuffisant pour permettre une diffusion concomitante dans plusieurs Etats - ainsi que pour l'avance des frais de promotion. Il nous semble que la création d'un fonds de garantie faciliterait la distribution des films européens non nationaux.

Enfin, il conviendrait de favoriser une meilleure connaissance des performances des films européens. Cela est nécessaire pour les distributeurs, les exploitants et diffuseurs télévisuels, de façon à ce que chacun connaisse la performance des films. Pour ce faire, nous pensons qu'il serait utile, même si des statistiques existent déjà avec MEDIA PLUS, que ce système statistique repose sur un système de billetterie uniforme dans l'ensemble des Etats de l'Union ; un système qui soit comparable à celui qui existe en France afin d'avoir un outil incontestable de performance des films en salle. De plus, ce système pourrait, comme on le fait en France, servir aussi pour le financement d'un compte de soutien. Par ailleurs, un box office international des films européens serait bien utile dans une profession que l'on sait être très « suiviste ». Tout progrès réalisé en ce sens serait donc tout à fait intéressant.

Quatrième axe : renforcer la promotion par la mise en réseau des Académies nationales du cinéma.

Il nous paraît important que, plutôt que de construire un « machin » européen, là où elles existent déjà, ces structures se mettent en réseau. Pourquoi ne pas créer un prix de l'Union des Académies européennes du cinéma, comme il existe un prix de l'Eurovision pour la chanson ? Pourquoi ne pas organiser aussi, pour dynamiser l'attrait du cinéma, une Fête du cinéma, sur le modèle de la Fête de la musique ? De telles initiatives pourraient être prises par les Académies nationales du cinéma : dès lors qu'elles se mettraient en réseau, elles seraient ainsi susceptibles de lancer des initiatives communes.

Le renforcement de la promotion des films passe également par l'harmonisation des calendriers de sortie des films. La sortie des films américains, nous en avons déjà parlé ce matin, fait l'objet d'une campagne souvent bien orchestrée. Les sorties des films européens se font au cas par cas, dans le désordre le plus total. Cette non-synchronisation des sorties ne permet pas d'optimiser efficacement l'engouement du public. Il y a là matière à intervenir sous l'égide de MEDIA PLUS, en recherchant une aide qui favoriserait le lancement programmé des films. Il convient aussi de fédérer les structures nationales en faveur de la promotion et de l'exportation des films au sein de l'Union dans le reste du monde. En la matière, MEDIA PLUS pourrait tout à fait encourager ces initiatives.

Cinquième axe : définir une obligation de production et de diffusion des oeuvres cinématographiques européennes pour les diffuseurs télévisuels.

La directive « Télévision sans frontières » n'impose aucune contrainte en matière de production et de diffusion des oeuvres cinématographiques. Il s'agirait d'encourager les chaînes de télévision à programmer davantage de films européens non nationaux. Les quotas ont certainement, et même sûrement, un effet vertueux en matière de production nationale. Il conviendrait désormais d'avoir une démarche aussi volontariste en matière de films européens.

Telles sont donc les quelques propositions qui visent à poser la question de l'espace cinématographique européen. Elles visent aussi à essayer de le construire ou de participer à sa construction.

Ces propositions, compte tenu de ce qui existe aujourd'hui sur le plan européen, peuvent paraître hardies tant il est vrai que leur mise en oeuvre dépend tout autant des Etats membres que de l'Union européenne, mais il ne peut y avoir de politique européenne du cinéma sans politique nationale du cinéma dans chacun des pays de l'Union.

C'est la raison pour laquelle la création d'un espace européen passe par une dialectique subtile entre des avancées au sein de l'Europe et des avancées dans chaque pays, les unes nourrissant les autres, et réciproquement. C'est pour cela aussi que nous croyons à la vertu des accords bilatéraux dont je vous parlais en introduction de mon propos : ils sont porteurs d'une pédagogie européenne bénéfique et susceptible d'être étendue à l'ensemble de l'Europe.

Voilà l'ensemble des réflexions que la mission souhaitait vous présenter sur cette question « Comment créer ou participer à la création d'un espace cinématographique européen ? »

Nous avons évité de traiter du film européen, parce que personne n'y croit et les essais qui ont été faits en la matière montrent que c'est une impasse. Nous pensons que la circulation des oeuvres non nationales au sein de l'Europe participe à la création d'une richesse de chacun des pays, elle contribue non seulement faire connaître sa culture, mais aussi à faire tourner la machine économique du cinéma.

Introduction du modérateur, M. Didier MATHUS, député de Saône-et-Loire

M. Didier MATHUS - Comme l'indique l'intitulé de cette table ronde, nous allons aborder le marché européen du cinéma et non le marché du cinéma européen puisque, dès le début, une des dimensions du travail de notre mission a été de sortir de nos frontières et de regarder la façon dont se déroulaient les choses à l'échelle européenne. Chacun pressent que, si l'on souhaite développer des politiques du cinéma, cela ne peut être qu'à l'échelle des cinémas d'Europe. C'est ce qui a servi de base de réflexion aux propositions que vient d'exposer M. Marcel Rogemont.

A ce titre, nous avons rencontré nombre de collègues dans plusieurs pays européens. Nous avons parfois eu le sentiment, il est vrai, que l'on considérait un peu saugrenue cette mission de parlementaires français qui s'intéressaient à ce point au cinéma qu'ils ont fait la tournée des capitales européennes pour essayer de rencontrer quelques-uns de leurs collègues sur le sujet.

Mais cela reposait aussi sur une conviction, qui est la nécessité de faire partager une volonté politique en faveur du développement du cinéma en Europe. Au fond, c'est un des aspects important de cette mission que de nous être efforcés de faire partager notre conviction, en rencontrant des professionnels, d'autres parlementaires, et en essayant de nouer l'esquisse d'un réseau européen de dirigeants politiques ou de parlementaires attachés au développement du cinéma.

Cela nous a permis aussi, et peut-être surtout, de faire un diagnostic, un inventaire de la réalité du cinéma en Europe, réalité qui, vous le savez tous pour être des professionnels de ce secteur, est très contrastée. Entre la Grande-Bretagne qui considère que le cinéma est une industrie de « l'entertainement » ordinaire ne méritant aucune approche spécifique et l'approche d'autres pays, sans parler de la France, il y a bien sûr de très grandes différences.

Pour nous éclairer sur ces enjeux européens, nous avons des invités : ceux présents à cette tribune, à commencer par M. Daniel Toscan du Plantier, président d'Unifrance, c'est tout ce que je dirais car je ne ferai à personne l'offense de le présenter ainsi que M. Jean-Michel Baer, directeur pour la culture et la politique audiovisuelle à la direction générale éducation et culture de la Commission européenne, mais aussi quelques amis députés venus de différents pays européens qui ont eu la gentillesse et l'amabilité de faire le voyage pour participer à nos travaux. Nous les en remercions très chaleureusement.

Pour la plupart, nous les avions rencontrés lors de nos déplacements. Il s'agit, pour l'Espagne, de Mme Beatriz Rodriguez Salmones et de M. Joachim Leguina Herran ; pour l'Italie de Mme  Giovanna Grignaffini et de M. Guglieme Rositani ; et, pour l'Allemagne, de Mme Gisela Schroëter.

M. Marcel Rogemont a exposé quelques pistes. Au fond, la question est de savoir - alors que l'on constate partout un frémissement, voire un mouvement, en faveur des cinémas nationaux - si l'on peut inventer une politique européenne des cinémas, qui ne soit pas de « l'europudding », qui a fait ses preuves par la négative. La dimension européenne est-elle une piste pour consolider des politiques du cinéma ?

C'est le sens de cette table ronde et sans doute est-il préférable que je m'adresse d'abord à M. Jean-Michel Baer pour lui demander comment il voit ce développement possible.

INTERVENTIONS DES « GRANDS TÉMOINS »

1. M. Jean-Michel BAER, directeur pour la culture et la politique audiovisuelle à la direction générale éducation et culture de la Commission européenne

M. Jean-Michel BAER - En vous écoutant, j'ai le sentiment d'une certaine redite. Je veux dire par là qu'il y a des idées nouvelles qui ne sont pas forcément intéressantes, et des idées intéressantes qui ne sont pas forcément nouvelles !

Certaines d'entre elles sont malgré tout intéressantes. Mais franchement, qui parle encore de « l'europudding » aujourd'hui ? On en parle plus depuis vingt ans !

Si on aborde les problèmes du cinéma européen aujourd'hui, il ne faut pas les aborder avec l'état d'esprit de gens qui auraient découvert l'euro le 17 février dernier. Vous nous dites que vous n'avez trouvé aucun élément fédérateur, mais enfin, il existe un socle réglementaire depuis dix ans. Nous sommes en train d'examiner la directive « Télévision sans frontières » et l'on s'aperçoit que neuf pays sur quinze ont rendu obligatoires des dispositions visant le cinéma plus contraignantes que les règles figurant dans la directive.

La position défendue devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est assez forte, de la part de tous les professionnels, en tout cas, si ce n'est de la part de tous les gouvernements. C'est un acte majeur : la défense de l'exception culturelle et de la diversité culturelle.

MEDIA PLUS a triplé ses crédits en dix ans. Des propositions sont faites dans le domaine de la garantie, de la mobilisation de la Banque européenne d'investissements. Savez-vous que MEDIA PLUS a distribué cette année, pour la circulation des films français, deux fois le budget d'Unifrance, deux fois votre budget, M. Toscan du Plantier ! C'est ce budget aussi qu'il faut renforcer !

Il faut aborder ces questions avec une claire vision de la situation. Il est vrai, vous avez raison de le dire, que l'élément fédérateur de l'espace européen est le film américain. On le dit depuis longtemps, les films européens ne bénéficient pas suffisamment de cet espace européen qui est ouvert et, vous l'avez dit très justement aussi, certains pays ne peuvent pas offrir, sur leur seule base nationale, une marge de rentabilité pour leurs films. C'est toute la construction de cet espace audiovisuel européen à laquelle nous nous attachons depuis une dizaine d'années. Dix ans, ce n'est rien dans l'histoire des institutions.

Savez-vous que, chaque année, sept mille à huit mille professionnels de tous les pays d'Europe travaillent ensemble sur des projets communs dans le domaine du cinéma ? Des projets importants sont en train de prendre forme.

Quant à un élément fédérateur, on nous dit toujours qu'il n'y a pas de cinéma européen, et c'est vrai : personne ne veut que les films grecs ressemblent aux films danois. Ce sont vraiment de fausses questions. Il faut sortir de cette problématique viciée. En revanche, ce qu'il y a de commun en Europe, c'est un certain goût de la différence que l'on retrouve dans tous les pays. Ce goût de la variété, de la diversité, ce goût de la découverte ne se limite pas d'ailleurs aux seuls films européens. L'Europe est certainement le continent qui accueille le plus grand nombre de films venus du monde entier.

Nous retrouvons dans toutes les actions que nous finançons, notamment les festivals, un engouement formidable des jeunes. En ce moment, les festivals font « salle comble » partout en Europe, avec des films qui ne seront jamais distribués par les grands groupes qui prônent parfois la diversité. C'est un phénomène social majeur.

Regardons la situation, la réalité, et ne nous bornons pas à répéter des idées qui ne sont que des poncifs, des lieux communs.

En parlant du goût européen pour la diversité, je veux dire que la politique audiovisuelle n'est pas seulement attachée à la valorisation de son espace audiovisuel, à des politiques communes pour renforcer le tissu industriel et la circulation des films, elle est aussi attachée à l'existence de cinémas autres. C'est ainsi que l'Union européenne - donc votre Europe car ce n'est pas l'Union de la Commission mais bien la vôtre - qui finance le cinéma africain. Elle est l'un des plus grands financeurs de ce cinéma. Depuis 1992, une centaine de films africains ont été financés par l'Europe et, récemment, il a été décidé de financer vingt-cinq films du bassin méditerranéen.

Il reste effectivement des défis importants. Celui de l'OMC, qui est un acquis, mais un acquis qui pourrait s'avérer fragile, exige de la vigilance.

La révision de la directive « Télévision sans frontières » se profile à l'horizon. Sur la base des études que nous avons faites, il n'est pas du tout évident que l'affaire des quotas soit révisable, ni même qu'il soit souhaitable de les réviser. Nous avons, en effet, le sentiment que c'est un dispositif qui fonctionne bien. Il autorise les pays à renforcer leurs dispositifs et leurs mesures en faveur des oeuvres audiovisuelles nationales sans trop les contraindre.

D'ailleurs, les pays qui ont choisi de bénéficier d'une certaine flexibilité dans la mise en oeuvre des quotas n'ont eu aucun mal à les remplir. Ils n'ont pas été gênés et ceux qui veulent aller plus loin ne le sont pas davantage. Cela prouve que c'est une base de départ tout à fait acceptable.

Il faut aussi développer l'action extérieure. Il faut de la promotion et de la circulation. A cet égard, vos idées de relations bilatérales sont bonnes, même s'il faut faire attention tout de même à ce qu'elles soient compatibles avec le droit communautaire et que ces accords bilatéraux ne soient pas discriminants par rapport au cinéma et aux activités cinématographiques des autres pays.

Et il faut mettre davantage l'accent sur la promotion. Nous allons lancer avec le concours des Etats membres et des professionnels - nous en avions parlé avec M. Toscan du Plantier à Strasbourg il n'y a pas si longtemps - une semaine du cinéma européen dans cinquante villes, par le biais du réseau des cinémathèques et de celui d'Europa-cinemas pour offrir aux jeunes la possibilité de découvrir les trésors du cinéma européen. Ils pourront rencontrer des artistes, des metteurs en scène, des réalisateurs et des producteurs. Nous allons accompagner cette opération, qui se déroulera du 24 au 30 novembre 2002 par ce que l'on appelle des « netdates ». Les « netdates », ce sont des jumelages d'écoles, concernant environ 30 000 écoles européennes qui développent des projets de communication communs à travers internet. Nous les inviterons à développer des projets de communication communs sur le cinéma européen la même semaine.

L'autre défi, déjà mentionné, est l'arrivée du cinéma électronique, sur lequel l'Europe doit se mobiliser parce que la question n'est plus de savoir si cela va arriver mais quand cela arrivera.

Deux questions se posent à ce sujet : celle de l'économie de la distribution, dont une partie pourrait être mise en cause par la distribution électronique et celle du financement. Nous avons déjà pris des contacts avec la Banque européenne d'investissement afin d'essayer de monter un dispositif européen pour accompagner le mouvement. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Telles sont quelques informations que je pouvais vous livrer. La tâche est difficile, elle nécessite la mobilisation de tous. Les succès enregistrés sur les différents marchés sont plutôt encourageants. Le cinéma danois fait une percée remarquable, et ce que nous avons décidé ensemble n'y est pas étranger. Le cinéma français connaît des succès très brillants, MEDIA PLUS les accompagne.

Il existe un dispositif d'accompagnement, qui est sans doute insuffisant car on ne peut pas se satisfaire du fait que la part de marché du cinéma européen oscille entre 20 et 30 % du marché des salles, même s'il augmente parfois sur le marché de la télévision.

Un dernier point pour dire notre accord sur le fait que les télévisions, notamment publiques, devraient accorder plus d'importance à la circulation des films européens car, quand on regarde la programmation de certains grands diffuseurs publics, on s'aperçoit que la programmation des films européens non nationaux est proche de zéro. Ce n'est pas une action très constructive en direction de l'Europe.

M.  Jean LE GARREC - J'ai envie de me retourner vers nos collègues pour leur demander leur façon de voir les choses dans leur pays et connaître leurs points de vue. Nous commencerons par M.  Guglielmo Rositani, notre collègue italien.

2. M. Guglielmo ROSITANI, membre de la Chambre des députés italienne

M. Guglielmo ROSITANI - Chers collègues, mesdames et messieurs, je remercie la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale française qui nous a offert la possibilité d'assister aujourd'hui à cette rencontre importante et à ce débat.

Vous connaissez bien sûr, la situation du cinéma italien Ce matin, nous avons eu un échange de vues assez nourri qui concernait pour l'essentiel le cinéma français, il est vrai. Or le cinéma italien vient de sortir d'une crise, d'une longue crise. Il commence à respirer. Un enthousiasme renaît, une reprise s'amorce même si nous enregistrons une certaine stagnation, une pause dans cette progression. Il y a différentes raisons à cela : des raisons professionnelles, de formation, mais des raisons liées également à la manière dont sont octroyés les fonds d'aides au cinéma, peut-être liées aussi au manque de publicité. Quoi qu'il en soit, toute une série d'éléments fait que le cinéma italien tarde à décoller définitivement. Nous sommes actuellement dans une phase de recherche. Nous essayons d'identifier les raisons de ce ralentissement et d'y remédier.

Ce matin, le système français de collecte de fonds nous a été présenté ainsi que le système de financement de l'industrie cinématographique. Vous avez beaucoup de chance car, en Italie, les télévisions ne sont pas prêtes à financer l'activité cinématographique. Nous ne pouvons pas non plus taxer les billets d'entrée dans les salles de cinéma pour en assurer le financement.

Le financement du cinéma italien est public. Il est assuré par le budget de l'Etat. Chaque année, un fonds annuel d'environ 110 à 115 millions d'euros provenant du budget de l'Etat, est consacré à la production cinématographique. Ce que disait le rapporteur ce matin est exact : dès lors que l'on demande aux peuples européens de trouver une solution commune pour parvenir à un système unique européen en matière de financement, il faut bien sûr qu'il soit applicable aux critères de dépenses. Sur quels critères les dépenses sont-elles autorisées pour être ensuite consacrées à la production cinématographique ?

Nous pensons que le système italien ressemble au système français quant à la manière de dépenser les fonds. Mais l'aide au cinéma doit être aujourd'hui doublée d'un nouveau critère, celui d'un soutien à l'industrie cinématographique. L'erreur que nous avons commise est peut-être que, jusqu'à ce jour, nous n'avons pas eu la volonté d'impliquer les producteurs dans la dépense liée au film. L'aide de l'Etat était perçue comme une sorte de participation forfaitaire.

Les producteurs doivent aujourd'hui en revenir aux principes de l'entreprise c'est-à-dire que les avances de financement qui leur sont consenties - et notamment les financements publics - devraient pouvoir bénéficier d'une sorte de garantie de remboursement de la part des producteurs. Nous pensons qu'en adoptant une telle méthode, nous irons dans le sens d'une plus grande qualité des films. Cela permettra de créer une sorte de concurrence vertueuse qui, sans aucun doute, serait utile et nécessaire pour le cinéma européen.

D'aucuns semblaient considérer ce matin, avec une certaine suffisance, que l'intervention fiscale de l'Etat, en faveur du cinéma n'était pas nécessaire. Nous ne partageons pas cet avis et pensons, pour notre part, qu'elle peut avoir un effet positif sur l'évolution du cinéma italien et, donc, du cinéma européen, à partir du moment où l'Etat facilite l'arrivée des capitaux privés dans le monde du cinéma en encourageant les producteurs et les opérateurs économiques de différents secteurs à investir.

Comment encourager ces investissements ? En Italie, nous allons proposer une défiscalisation des recettes ou des bénéfices investis par les différents opérateurs économiques dans le secteur cinématographique. Nous comptons également proposer une loi qui permettra une intervention extérieure au monde du cinéma, c'est-à-dire que des opérateurs économiques extra-cinématographiques pourraient investir dans l'univers du cinéma et bénéficier d'un système de défiscalisation. Nous pensons que l'engagement direct du producteur ainsi que la participation des capitaux des opérateurs privés devraient garantir une plus forte cohérence et, dès lors, une meilleure qualité et davantage de concurrence.

Voilà qui pourrait être un moyen de rapprochement des différents systèmes européens.

Nous souhaitons, bien sûr, vous rencontrer sur ce point. Pourquoi pas en Italie, très prochainement, afin de définir ensemble les critères les mieux adaptés pour que le cinéma européen puisse sortir de cette crise dans laquelle il est enlisé actuellement ? C'est une crise que connaissent d'ailleurs tant les différents pays européens que le cinéma européen dans son ensemble.

J'ai écouté avec beaucoup de plaisir l'optimisme de M. Jean-Michel Baer, responsable européen. L'Europe a fait des choses ; on ne peut le nier. Pour autant, elle manque de continuité et d'esprit d'ensemble.

Lorsque l'on voit que 22,7 % de films européens doivent faire face à 70 % de films américains distribués dans les salles européennes, on comprend que le problème n'est pas de nature purement économique, mais tout autre. Quand on pense que l'Europe, dans son ensemble, produit plus de films que les Etats-Unis, et que l'on constate que l'Europe est un bassin virtuel de rencontres entre les différentes formes de cinéma, - 376 millions de citoyens européens, des dizaines et des dizaines de millions d'européens qui se trouvent en Amérique du Sud ou du Nord, qui y résident, Espagnols, Italiens, Français, Allemands bien sûr, sans compter que, dans quelque temps, d'autres pays vont nous rejoindre et faire partie de la famille européenne au sein de l'Union - on comprend que cette donnée de répartition des films européens et des autres nous inquiète énormément.

Il ne s'agit pas de dire ici du mal de son prochain, mais il faut avoir du courage et une certaine cohérence. Il faut prendre acte de la situation, l'analyser en profondeur, comprendre les raisons pour lesquelles nous sommes confrontés à cette situation et chercher ensemble les solutions pour l'avenir car il est inquiétant que ce bassin potentiel, qui est énorme par rapport au bassin des Etats-Unis, ne soit pas exploité. Mais il est encore plus inquiétant que 9 à 10 %  des films diffusés en Europe, n'aient aucun public. Ils sont pourtant européens, ce qui veut dire que nous n'avons pas encore compris l'Europe en tant que citoyens.

Nous devons comprendre que cette crise européenne découle de différents motifs : peut-être la piètre qualité des produits, c'est vrai, le défaut ou la faiblesse des financements également mais, de notre point de vue, il y a aussi un problème de carence culturelle.

J'ai entendu des interventions intéressantes, aujourd'hui, et j'espère que vous serez d'accord avec moi : la culture européenne est bien plus que la somme des différentes cultures européennes prises individuellement. Penser le contraire serait une grossière erreur, à mon sens, car tel n'est pas le cas objectivement.

Nous avons fait une Europe économique. Nous nous apprêtons à créer l'Europe politique. Cette Europe politique passe aussi par l'Europe culturelle. Or l'Europe culturelle, nous la construisons à travers les messages culturels qui renvoient à nos traditions, nos coutumes, à l'histoire de nos peuples européens, à nos valeurs communes également.

La culture européenne se fera à travers un effort commun de l'ensemble des peuples européens. Elle doit être revue à la lumière de la réalité européenne. Les valeurs communes doivent être le fruit d'une relecture sereine et positive. Elle doit être le fruit également de l'harmonisation des courants culturels et littéraires. Elle doit être également la fusion de l'ensemble des histoires politiques, économiques et sociales des différents pays européens. Nous ne pourrons faire l'économie de cette étape car, sans elle, nous sommes convaincus que le message que l'Europe transmettra aux Européens et au reste du monde à travers le cinéma risque de n'être qu'une représentation fragmentaire de tel ou tel esprit ou culture nationale.

D'où la nécessité de parvenir à des valeurs communes mais également de les transmettre via le cinéma afin d'intéresser les Européens d'Europe, bien sûr, mais aussi tous ceux qui vivent en dehors des frontières de cette culture commune.

Pour sortir de la crise cinématographique européenne, nous devons, pensons-nous, abandonner cet esprit de clocher absolument inutile et nous comporter comme de véritables Européens. Par l'intermédiaire de MEDIA PLUS, grâce aux interventions de la Banque européenne d'investissement, l'Europe a proposé des aides en faveur du cinéma, mais les 400 millions d'euros qui ont été donnés sur cinq ans ne permettront pas de résoudre le problème du cinéma européen. Ce sont des interventions trop ponctuelles.

Les ministres de la culture et le Conseil européen ont pleinement approuvé la résolution adoptée par le Parlement européen. Au travers de ces différentes instances, nous devons trouver tout ce qui peut rapprocher les pays européens et leur permettre de produire, de distribuer et de créer ensemble, dans cet esprit de rapprochement des films en Europe.

Les critères de financement doivent être harmonisés. C'est la première chose. Mais nous devons aussi pouvoir faire appel aux capitaux privés par le biais des instruments que j'évoquais tout à l'heure, en particulier l'intervention sur la TVA. Il faut faire participer les chaînes de télévisions. C'est un problème que ne connaît pas la France, mais que connaissent tous les autres pays européens. Nous essayons et nous espérons parvenir à créer des incitations qui permettraient à la télévision publique d'intervenir pour aider le financement du cinéma. En Italie, il existe maintenant une loi qui oblige les télévisions à investir dans le cinéma. Cela se fait dans une certaine mesure, en particulier pour la fiction.

Il faut, par ailleurs, favoriser l'échange d'idées. Des programmes didactiques, des échanges doivent être réalisés entre les différentes écoles européennes. Ces échanges sont importants eu égard à l'engagement que nous devons déployer par rapport à l'industrie de l'Amérique du Nord. Cela nous permet d'avoir les meilleurs réalisateurs et les meilleurs comédiens. Il faut également organiser une école de formation cinématographique et des centres européens de production où la technologie de pointe puisse être mise à la disposition des réalisateurs européens.

Il convient par ailleurs de mettre en place un Institut de recherche et de technologie européen qui serait mis à la disposition des opérateurs cinématographiques intéressés.

Il faut aussi permettre un développement de la production européenne qui nous permette de nous mesurer aux producteurs américains. Il faut favoriser les coproductions - sur ce point, je rejoins pleinement M. Rogemont - en créant des sociétés inter-européennes, car l'avenir passe nécessairement par ce type d'outils. Eurimages contribue déjà d'une manière ou d'une autre au développement de ce secteur.

Enfin, des directives doivent permettre le développement du cinéma national dans le cadre européen. Il faut aussi favoriser l'insertion de la discipline « cinéma » dans les cursus scolaires, en permettant aux jeunes d'acquérir une vision critique des films.

M.  Jean LE GARREC - Je vous remercie de cette profession de foi européenne. La parole est maintenant à Mme Beatriz Rodriguez Salmones, membre du Congrès des députés espagnol.

3. Mme Beatriz RODRIGUEZ SALMONES, membre du Congrès des députés espagnol

Mme Beatriz RODRIGUEZ SALMONES - Je tiens, pour commencer, à remercier les députés français de leur excellente initiative. Puissent-ils continuer à prendre de semblables initiatives. Nous avons sous les yeux un rapport très important comportant vingt-six propositions. Je pense qu'il serait bon d'assurer un suivi de ce rapport, pour voir comment ces propositions auront pu trouver une réalisation concrète. Nous espérons que vous continuerez à nous inviter à ce type de travaux.

Nous remettrons, bien évidemment, ce rapport à nos collègues parlementaires, à la commission des affaires culturelles de notre assemblée ainsi qu'aux parlementaires européens, aux représentants du gouvernement et aux associations professionnelles qui travaillent dans le secteur du cinéma en Espagne parce que, de notre point de vue, il s'agit là d'un document extrêmement important. J'espère que la prochaine fois que nous nous reverrons, nous aurons la possibilité de vous transmettre les échos qu'il aura éveillés en Espagne.

Je ferai quelques remarques liminaires, en précisant, tout d'abord, que les gouvernements espagnols successifs ont appuyé ce que l'on appelle maintenant « l'exception culturelle européenne ». On parle parfois aussi de « diversité culturelle », mais cela revient au même. Nous avons, me semble-t-il, toujours reçu le soutien de tous les politiques en faveur de cette exception culturelle, et pas seulement le soutien des responsables politiques européens dont parlait M. Baer.

Il est vrai que l'Union européenne nous a laissé la possibilité de conserver ou développer des aides d'Etat, dans l'intérêt de la diversité culturelle du cinéma, tout comme dans d'autres secteurs du produit culturel. Nous espérons qu'en Espagne, nous continuerons à travailler dans ce sens. J'ai bon espoir que cette ligne soit maintenue car nous y croyions et le Parlement espagnol continuera de s'engager en faveur de ce genre d'actions.

Autre point, et j'espère ne pas me tromper, nous croyons en des produits à forte dimension européenne. Nous en avons vu l'efficacité dans notre pays. Nous croyons à la possibilité de créer à une industrie purement européenne, qui ne soit pas la somme des industries de chaque pays européen, mais une véritable industrie européenne du cinéma, réalisant de véritables films européens en coproduction, avec plusieurs producteurs issus de divers pays européens. Bien entendu, les politiques européennes et les politiques d'aides des Etats varient d'un Etat à l'autre. Cependant, c'est déjà une base importante pour le cinéma et nous attendons encore des produits véritablement européens. J'espère que nous assisterons à leur naissance dans un tout proche avenir.

Il est important que je vous donne quelques chiffres sur le cinéma espagnol, mais je pars du principe que, malheureusement, nous ne pouvons pas souscrire à certains termes qui ont été employés ce matin car si nous sommes modestement satisfaits de la situation du cinéma espagnol, pour ce qui est de ses créateurs - il est incontestable, je me permets de le dire, que le cinéma espagnol est un cinéma brillant - en revanche, sur le plan industriel, il est beaucoup plus fragile. Nous avons une industrie du cinéma dont nous ne pouvons pas encore dire que son avenir se trouve assuré. Les personnes qui investissent dans le cinéma en Espagne le font en prenant d'énormes risques. Néanmoins, les chiffres du cinéma espagnol sont révélateurs d'une tendance qui n'est pas mauvaise. J'insiste sur ces deux aspects parce qu'il y a réellement, d'une part, la créativité, d'autre part, l'industrie.

Depuis une dizaine d'années, le cinéma espagnol est sur la bonne voie. Il représente environ 20 % des films qui sont montrés sur les écrans des salles en Espagne. Nous sommes passés de 7 à 10 puis à 20 %. Aujourd'hui, le cinéma espagnol s'impose sur nos écrans, c'est un élément objectif.

Cette année, les Espagnols sont, après les Néerlandais, les Européens qui se sont rendus le plus souvent au cinéma. Or aller au cinéma, c'est ce qui est vital car, à partir de là, on peut soutenir la création et l'industrie...

Comme je le disais, depuis une dizaine d'années, les investissements ont été multipliés par cinq. Chaque tournage a triplé son budget. Deux fois plus de films sont produits par an qu'il y a cinq ans. On note donc une forte amélioration du cinéma espagnol. Il est en bonne voie. A ce propos, nous souhaiterions féliciter nos collègues français. Nous sommes ravis d'entendre que les procédures d'appui ou de soutien au cinéma sont absolument fantastiques, parfaites. Le rapport le montre aussi, et il fallait que je vous le dise. C'est un système superbe, malheureusement, si l'on en juge d'après les résultats, nous ne pouvons pas en dire autant de nos procédures. En France, les résultats démontrent que votre système de soutien est tout à fait satisfaisant et génial, comme cela a été dit. Nous, nous sommes loin d'être aussi géniaux et parfaits quand il s'agit d'apporter un soutien à notre cinéma, mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que la situation s'améliore.

En fait, nous avons trois ou quatre procédures de soutien au cinéma et quand vous dites que le soutien au cinéma français ne coûte rien au contribuable, j'aimerais que les représentants du gouvernement espagnol l'entendent car, en Espagne, cela coûte au contribuable. Les budgets de l'Etat en Espagne n'affectent pas des sommes très élevées au cinéma mais, chaque année, ce sont quand même 53 millions d'euros qui viennent soutenir le cinéma, et cela coûte au contribuable.

Le second système de soutien au cinéma espagnol, ce sont les quotas de projection. Je pense que nous sommes les seuls en Europe à utiliser cette formule. Chez nous, pour la projection en salle, un film sur trois doit être un film européen. Cette loi est une nouvelle loi. Elle a été adoptée l'an dernier et est entrée en vigueur il y a six mois. Nous comptons maintenir ce quota pendant cinq ans.

Il y a donc un fonds d'aides au cinéma, qui relève du budget de l'Etat, de 53 millions, mais il est bien clair que nous devrions faire beaucoup plus pour appuyer le cinéma espagnol. Et nous avons une autre aide qui se fait automatiquement en fonction des recettes. Mais elle dépend beaucoup du succès public.

A mon avis, sur le plan fiscal, nous devrions être plus généreux avec le cinéma, mais il existe tout de même une défiscalisation importante pour ceux qui investissent dans le cinéma espagnol.

Par ailleurs, la directive « Télévision sans frontières » est un instrument qui fonctionne très bien en Espagne. Elle a d'ailleurs été intégrée dans la loi de l'an passé. En fait, l'aide publique au cinéma viendra essentiellement des chaînes de télévision et les pourcentages sont en forte augmentation. Cela m'intéresserait de savoir dans quelle mesure les autres pays européens se heurtent à des problèmes avec les chaînes de télévision ou si, en définitive, ils trouvent une réelle bonne volonté de la part des responsables de chaînes.

D'autres aspects ont été abordés mais très rapidement et j'aurais aimé que nous ayons le temps de les approfondir.

Tout d'abord, les écoles. Comment enseigner le cinéma ? Non pas comment enseigner la réalisation mais comment enseigner aux enfants dans les écoles à regarder le cinéma ? C'est bien la voie qui permettra d'offrir de plus en plus un cinéma de qualité plutôt que celui, de piètre qualité, qui nous est présenté encore trop souvent.

Autre débat très important, celui de la propriété intellectuelle et des droits d'auteur, du cinéma sur Internet. Tout cela ne manquera pas de soulever des problèmes et j'aurai aimé savoir, en matière de droits d'auteur, par exemple, comment ces questions sont gérées dans les autres pays européens.

En conclusion, je vous dirai que je crois véritablement dans les possibilités et l'avenir du cinéma européen. J'ai foi dans le cinéma espagnol. Nous avons parlé des différents mécanismes de financement et nous avons moins parlé de la création, de la beauté et de la qualité de notre cinéma. Mais si nous croyons véritablement au pouvoir de la culture, nous savons à quel point il est important d'avoir un cinéma de bonne qualité, qui finira bien par s'imposer.

M.  Jean LE GARREC - Je vous remercie. Nous reviendrons ensuite vers M. Joachim Leguina Herran. Je vais auparavant donner la parole à Mme Gisela Schroëter, notre collègue allemande.

4. Mme Gisela SCHROËTER, députée, membre du Bundestag allemand

Mme Gisela SCHROËTER - Je souhaiterais, moi aussi, vous remercier de m'avoir donné la possibilité d'être parmi vous aujourd'hui. Nous avons beaucoup parlé du consensus politique en matière de cinéma. Chez nous, le consensus existe également. Le représentant de l'opposition n'a pu venir et m'a, en fait, donné pouvoir de me prononcer en son nom, c'est dire le consensus qui règne en la matière.

Le système d'aide au cinéma allemand fait actuellement l'objet d'une révision en profondeur. Après de nombreuses années, nous essayons de voir comment le modifier et l'adapter aux exigences européennes. Je pense qu'il existe une excellente coopération avec la France. De très intéressantes initiatives ont vu le jour au cours des trois dernières années.

Jusqu'en 1998, le cinéma dépendait du ministère de l'intérieur et de l'économie. Cela en a énervé plus d'un ! Et le Prix du film allemand était décerné par le ministre de l'intérieur, ce qui était assez surprenant, surtout pour les réalisateurs et autres professionnels du cinéma. Depuis, nous avons un responsable de la culture et des médias, marquant une mutation et des modifications dans ce secteur éminemment important.

Notre commission de la culture et des médias, qui n'existe que depuis 1998, s'est déjà attaquée à de difficiles questions comme, par exemple, les droits d'auteurs dont on parle beaucoup actuellement en Allemagne dans le contexte de l'industrie du cinéma. Cela a donné lieu à des débats très houleux, mais les textes ont été adoptés il y a quelques semaines.

De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de la modernisation de notre législation pour l'aide au cinéma ?

Pour ce qui est de la politique générale du film, en Allemagne, le film a toujours été perçu comme un divertissement plutôt que comme un bien culturel. Notre objectif est de faire maintenant du film un bien culturel, non pas un bien culturel allemand mais un bien culturel européen. Il faut qu'il soit accepté en ces termes à l'avenir. Pour nous, c'est la condition sine qua non.

Vous savez que nous avons un système fédéral en Allemagne. Ce sont donc seize Länder qui s'occupent de la promotion et de l'aide au cinéma. Mais il existe également un système d'aide fédéral, gouvernemental.

Les pourcentages d'investissement des télévisions sont bien moins élevés qu'en France. Cette aide représente au maximum 3 % des budgets des chaînes publiques. De plus, les quotas n'existent pratiquement pas en Allemagne. D'ailleurs, cette question ne fait même pas l'objet d'un débat. C'est une pratique que l'on rejette encore catégoriquement. On cherche plutôt d'autres possibilités. A cet égard, j'ai trouvé très intéressant d'entendre dire tout à l'heure qu'en France, on réfléchissait à la question de savoir s'il fallait poursuivre le système de quotas. Quoi qu'il en soit, c'est un débat qu'il faudra à l'avenir mener à l'échelle européenne, de façon très franche et ouverte.

Je vous avoue que je suis très curieuse de voir comment tout cela va évoluer. Mais c'est absolument passionnant. Pour notre part, nous n'en sommes qu'aux premiers balbutiements dans ce processus. Nous sommes en train d'essayer d'apporter, à l'avenir, plus d'aides à ce que nous appelons les films de référence en Allemagne.

Ce qui est prioritaire aujourd'hui, c'est d'ouvrir un dialogue avec les chaînes publiques de télévision pour que leurs contributions au financement des productions cinématographiques soient supérieures. Dans ce contexte, il faut élargir également aux possibilités européennes car je pense que sur ce terrain, il y a beaucoup de chances.

Un autre axe central du débat est le renforcement et le soutien aux productions indépendantes. Nous l'avons évoqué rapidement. Je pense qu'à l'échelle européenne, les perspectives sont bonnes pour le film indépendant.

En conclusion, je me bornerai à vous proposer notre appui, notre soutien et notre coopération, car c'est en unissant nos forces, en les conjuguant, que nous parviendrons à un résultat et à une véritable culture du film européen. Il est de notre mission, en tant que responsables politiques, de créer les conditions pour y parvenir.

Pour cela, il faut une coopération plus étroite et ne pas toujours commencer par se demander combien et pourquoi cela coûte, mais replacer la question dans un cadre plus global et chercher ce que nous pouvons faire pour développer et faire avancer la culture du film européen, pour coopérer plus étroitement et coordonner nos initiatives. Je remercie donc la commission des affaires culturelles de cette Assemblée d'avoir fait le premier pas. J'espère que nous pourrons poursuivre très loin dans cette voie.

M.  Jean LE GARREC - Après ce tour d'horizon européen et avant de donner la parole à la salle, je demanderai à M. Daniel Toscan du Plantier, qui a l'expérience d'une action internationale déjà ancienne, de nous faire part de son point de vue en tant qu'acteur important de l'action cinématographique.

5. M. Daniel TOSCAN DU PLANTIER, président d'Unifrance

M. Daniel TOSCAN DU PLANTIER - Je pense tout d'abord que votre intitulé est le bon. Il s'agit bien, en effet, du « marché » européen plus que du « cinéma » européen et je ne saurais trop recommander la méfiance sur ce concept qui n'a pas d'authenticité.

Le cinéma doit, d'abord et avant tout, garder sa relation avec le public et elle n'existe que dans une relation d'authenticité et de vérité qui ne peut pas se créer par des manipulations. En même temps, constatons que cela n'a pas été une des priorités initiales de l'Europe, du Traité de Rome. Nous avons eu un débat il n'y a pas très longtemps sur cet aspect juridique. Il est vrai que la culture n'est apparue que progressivement et, jusqu'à présent, de façon assez modeste.

M. Didier MATHUS - Ce n'était pas, en effet, dans l'acte fondateur.

M. Daniel TOSCAN DU PLANTIER - Il faut cependant le rappeler, car on ne peut indéfiniment se tourner vers nos amis de Bruxelles pour leur reprocher tout ce qui n'a pas été fait. Il faut aussi dire, qu'à la vérité, on ne leur a pas demandé de faire. Quand on prend l'ensemble des pays fondateurs de l'Europe, on voit que l'on a eu tous les gouvernements, tous les ministres, tous les premiers ministres, tous les présidents, toutes les couleurs politiques, et il faut bien constater que l'Europe s'est fondée autour de principes plus fondamentalement économiques. Peut-être aujourd'hui politiques, et je pense que l'entrée en politique veut forcément dire entrée en culturel, ou alors je n'ai rien compris.

Donc, cela commence, et de façon assez réjouissante parce que, malgré tout, des décisions pratiques ont été prises qui sont d'une efficacité certaine. Je ne sais si l'on a cité Eurimages, mais c'est sans doute un organisme des plus efficaces du Conseil de l'Europe.

Puis, il y a eu un ensemble de consolidations, y compris une consolidation « philosophique », on a parlé de diversité, d'exception culturelle. Mais nous allons rester prudents et refermer bien vite le dossier car nous savons bien qu'en l'ouvrant, nous pourrions entrer dans des conversations sémantiques de plusieurs jours. En tout cas, il y a eu un consensus.

Puisque nous, Français, « initions », si je puis dire, ayons la modestie et, en même temps, l'orgueil de dire que nous vivons dans un pays où le cinéma est et est resté une passion nationale. C'est une chance, que nous avons peut-être un peu organisée et si ce n'est encore pas tout à fait l'engouement que connaît le football, mais il y a un petit quelque chose... qui fait que nos élus sont attentifs !

Je me permets d'ailleurs de dire que ce rapport est remarquable, y compris du point de vue du français utilisé. Il me semble même que c'est le rapport le plus remarquable que j'ai lu sur le cinéma venant d'instances publiques. Tout y est dit. C'est une analyse très complète. Certes, il était plus facile de publier ce rapport début 2002 qu'un an plus tôt. Nous vous avons un peu aidé, le public vous a aidé, et le talent !

Il est vrai que nous sommes dans une phase extraordinairement positive. En même temps, nous sommes assez prudents pour nous rappeler que le cinéma est un art précaire, fragile, toujours menacé par les évolutions, les révolutions et les changements.

Mais nous sommes aussi dans un pays qui a la chance d'être à la veille d'échéances politiques importantes touchant l'ensemble des représentants de la Nation, et, par une sorte de miracle français, je pense pouvoir affirmer qu'il règne un large consensus sur notre activité, même s'il existe certainement des nuances. Nous avons la chance de pouvoir nous dire que lorsque nous verrons apparaître sur l'écran de notre télévision le nom du prochain président de la République, nous serons assez tranquilles parce que nous savons que, quel que soit l'élu, il s'agit de personnalités qui ont prouvé à plusieurs reprises, au-delà des petites démagogies traditionnelles de la vie politique, un réel attachement à cette dimension nationale. Je rappelle aussi que le cinéma français est le seul des cinémas mondiaux dont la passion ne s'est pas tarie depuis le 28 décembre 1895, le jour de la première projection des frères Lumière. Cette passion ne s'est pas éteinte. Traversant les crises, les guerres, les occupations, les révolutions, assez étrangement, elle s'est toujours maintenue.

Cette Europe, qu'il faut faire, ne peut se faire que si, dans chacun des pays, il y a une sorte de contamination collective du désir de cinéma.

J'entends par là que, pour moi, le phénomène le plus important se passe aujourd'hui chez vous, Mme Schröter. Quand j'ai lu le texte initial de votre ministre M. Nida-Rümelin sur l'évolution de la loi audiovisuelle cinématographique, j'y ai vu l'affirmation d'un bien culturel, j'y ai lu que le cinéma appartenait à l'expression de l'Allemagne et qu'il est vrai que le fait que cela n'ait pas été dit pendant cinquante ans pour de multiples raisons, dont une peut-être que l'on connaît, a été un handicap majeur pour l'Europe.

On ne peut imaginer une Europe, dans quelque domaine que ce soit, qui ne se préoccupe de l'Allemagne. Si vous faites des casseroles dans l'Allier, vous vous préoccupez de l'Allemagne, forcément ; la carte vous le dit ainsi que son nombre d'habitants, sa richesse, sa culture. Cette abstention, j'allais presque dire cet autisme de l'Allemagne-cinéma a été un grand manque. Comme toujours, le manque, c'est ce dont on ne parle pas.

Pour ne rien vous cacher, il y a vingt-cinq que je travaille sur le sujet et je n'ai cessé de me dire que quelque chose ne se passait pas dans le cinéma, de me demander ce qui faisait que l'on n'arrivait pas à penser la chose clairement. Je connais aujourd'hui l'explication - curieusement, depuis que le gouvernement allemand l'a affirmé. C'est cette absence de l'Allemagne dont nous mesurons plus aujourd'hui le poids par sa décision de « rentrer en cinéma ».

C'est un mérite immense que nous devons reconnaître au Chancelier Schröder. Je me souviens qu'il est venu il y a un peu plus deux ans devant cette Assemblée dont il était l'invité, et l'on m'avait signalé alors un paragraphe extrêmement étrange, qui avait d'ailleurs alerté les ministères français parce qu'on ne voyait pas d'où cela venait, exprimant le souhait du Chancelier de créer une académie franco-allemande du cinéma.

On m'a alors téléphoné pour me demander ce qu'était cet animal. Je n'ai pu que répondre que je ne savais pas, que nous n'en avions jamais entendu parler, que c'était son idée.

Par la suite, je me suis rendu à Berlin, où j'ai même eu l'honneur de rencontrer le Chancelier qui m'a dit : « Ce n'est pas que je crois que ce soit possible mais que je pense que mon devoir est de dire que l'on ne peut pas ignorer indéfiniment le cinéma en Allemagne. »

Cette entrée en cinéma de l'Allemagne va nous permettre, à nous tous, Européens, de dire que les choses commencent, car ce n'est que si chacun de nos pays s'y engage que nous avancerons.

Nous avons assisté avec bonheur à la révolution qu'a représenté le retour au cinéma de l'Espagne, pour d'autres raisons - enfin, entre nous, c'est toujours le même genre de raisons. Le cinéma espagnol fut plutôt un cinéma d'exil pendant près d'un demi-siècle et le retour créatif du cinéma espagnol a été un événement majeur. Grâce à cela, vous avez quelques uns des cinéastes les plus intéressants du monde et l'un des plus grands, Pedro Almodovar, est espagnol. Il est un exemple et un modèle dans le monde entier.

L'Italie avec ses difficultés vit le cinéma depuis toujours et, avec elle, la France a un long parcours marqué de hauts et de bas.

Mais, quoi que l'on fasse, il faut que tous ces pays agissent ensemble pour que se dessine une Europe. Ce ne peut être une décision qui vient du haut. De plus, si je ne m'abuse, c'est la notion même du Conseil des ministres européens ; il faut passer par les souverainetés nationales pour affirmer quelque chose de commun. L'entrée de l'Allemagne, à mon sens, va débloquer un certain nombre de positions. De plus, c'est un détail, mais je pense que maintenant que l'Allemagne et la France en ont envie, aucun autre pays ne commettra l'imprudence d'en être absent.

A ceux qui seraient tentés de dire qu'il faut arrêter les politiques publiques de soutien au cinéma je signale que les politiques du cinéma vont devenir une politique du cinéma dans sa diversité car, je le crois profondément, il faut maintenir les différences. Il ne faut pas chercher, obstinément, un modèle unique européen de réglementation, de financement, de création. Nous avons tous nos histoires. Maintenons-les. La richesse de l'Europe est son handicap : nous sommes tellement de cultures différentes !

Restons différents ! C'est aussi notre force sur les autres. Les autres sont un : un seul quartier américain décide des 80 % du cinéma mondial : que les 20 % qui restent soient plein de diversité, de fantaisie, de contradictions, d'antagonismes ! C'est notre richesse. Ne demandons pas à Pedro Almodovar de faire le même film que Lars Von Trier, Nanni Moretti, Michaël Hanecke. Chacun fait le sien, ce n'est pas un problème de cinéma allemand, danois ou autre, chacun fait son cinéma, c'est la caractéristique de l'Europe.

Il faut évidemment faire quelque chose au niveau industriel, au niveau commercial car, si les Américains ont témoigné d'un vrai génie dans le cinéma, c'est d'avoir mis la main sur l'offre de films. A la vérité, en termes de production, l'Europe ne s'est jamais arrêtée. Elle est de loin le plus grand producteur de cinéma mondial, en qualité et en quantité.

Mais, évidemment, de la part de l'Amérique, c'est une volonté politique qui date... je croyais que cela remontait à après la Seconde guerre mondiale et j'ai découvert assez récemment que cela remontait à après la Première. Je pensais que les accords Blum-Byrnes étaient à l'origine de la domination américaine, mais en me penchant avec plus de soin sur la question, j'ai trouvé un article incroyable dans une revue française, La Revue des deux Mondes de 1936, d'un historien, Francis Jade, qui disait que 80 % du cinéma mondial était contrôlé par l'Amérique et que cela résultait d'une décision du président Wilson, qui aurait dit que cela leur servirait de langage commun. Il avait compris que l'Amérique n'ayant pas de passé, « l'American dream », c'était le cinéma qui allait le fournir, à la fois en tant que mémoire inventée, histoire, communauté, etc. En réalité, le cinéma a fait autant l'Amérique que l'Amérique a fait le cinéma.

Évidemment, l'Europe n'a pas la même histoire, puisqu'elle préexistait à la naissance du cinéma. C'est peut-être son handicap : comme ce n'est pas le cinéma qui a fait l'Europe, elle a peut-être du mal à faire du cinéma. C'est une différence historique que l'on ne peut pas effacer par une simple décision, quelle que soit l'énergie des parlementaires.

Mais il est mieux de penser que cette hégémonie américaine, bientôt séculaire, est le résultat d'une volonté, plutôt que de croire qu'un accident s'est produit, que nous n'avons pas bien travaillé dans les années 70. Non, jusqu'à la guerre de 1914, l'hégémonie du cinéma a été française et s'est arrêtée faute de combattants - c'est un mot douteux. Le cinéma français s'est retiré du monde pendant la guerre et a laissé la place à la stratégie américaine.

Donc, aujourd'hui, il nous faut occuper une place que nous n'avons jamais eue car il faut rappeler que lorsque, avant la télévision, les cinémas nationaux avaient des centaines de millions de spectateurs, cela ne voulait pas dire pour autant que l'on voyait des films de tous les pays partout. Il y a une espèce d'âge d'or que l'on se réinvente toujours a posteriori. Depuis longtemps, le système n'est pas celui des échanges.

La vérité, c'est qu'il faut mettre en route la machine de l'offre. Il faut organiser en Europe une offre permanente basée sur les échanges. On assiste à quelque chose que l'on n'aurait jamais cru, soyons honnête : l'explosion des cinématographies nationales presque partout et là où cela n'est pas encore, cela va venir, grâce aux systèmes d'accompagnement réglementaire et même sans.

Le cas coréen est extraordinaire. La Corée a décidé un jour de faire du cinéma coréen ; c'est fait. C'est un pays qui a les résultats parmi les plus extraordinaires et, quand on connaît les liens de la Corée avec l'Amérique, l'on se dit qu'il faut une particulière énergie pour avoir su imposer un système réglementaire aussi... plus français que français. C'est coréen. Bravo !

A chacun son système, bien évidemment. Il ne s'agit pas de dire que l'on va imposer un modèle. Cela susciterait immédiatement des rebellions.

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Je peux parler d'un sujet qui est le mien, celui de la promotion. Je rappelle que le génie américain, c'est le génie de la promotion, bien sûr aussi de la distribution et du commerce, mais la distribution et le commerce sont des actes industriels, qui veulent dire des investissements et je reviens à ma question : les entrepreneurs aujourd'hui en Europe, je n'ose dire européens, sont-ils décidés à faire des investissements ? Les choses se passent lentement, trop lentement.

En revanche, l'avantage de la promotion est que cela coûte moins cher et que tout reste à faire. Je souhaiterais qu'au niveau européen, et je me tourne vers M. Baer, soit créé un groupe de travail sur ce thème. Il existe dans chaque pays des systèmes promotionnels, en général trop modestes et même celui dont j'ai la charge, qui est de loin celui qui est le mieux doté, me paraît quand même trop modeste. Il reste une synergie à créer. Il existe certes des actions communes européennes mais, excusez ma franchise, ce sont celles du plus petit commun dénominateur. Il faudrait trouver le moyen d'élargir l'horizon.

C'est en route. Tout est réuni pour pouvoir le faire aujourd'hui, et en particulier la volonté politique de chacun des grands pays fondateurs de l'Europe. Il faut réellement apprendre à travailler, pas seulement sur nos conflits, mais aussi sur nos isolements ou nos absences car, finalement, le fond du problème est plutôt l'absence : absence de l'Europe. On en parle aujourd'hui mais dans la vie quotidienne, je suis bien obligé de reconnaître que cela n'est pas intervenu comme un élément fondamental, alors qu'une grande partie de nos films ne se font que par les coproductions.

Plus qu'en amont, il y a quelque chose à faire en aval du film. Ce sera forcément un travail commun. Prenons garde que nos cinémas restent chacun le sien. C'est la force de Roberto Benigni d'être italien. Même s'il est distribué par les Américains, il est avant tout italien et c'est parce qu'il est italien qu'il nous séduit. Tout le monde sait l'extraordinaire succès que rencontre Le fabuleux destin d'Amélie Poulain actuellement dans le monde, mais plus français que ce film il n'y a pas ! On ne cesse de lui reprocher d'être franchouillard, mais sa principale qualité est d'être un film français, absolument français. Les tentatives de faire des films en anglais vers le marché mondial se sont révélées être généralement catastrophiques ou bien se sont soldées par un film à l'américaine, n'ayant plus rien d'européen.

A mon avis, le chantier qui reste à engager est celui du marketing, de la promotion, du travail commercial qui doit, lui, être bien évidemment européen.

Quant à la production, on peut dire que c'est ce qui fonctionne le mieux parce que les systèmes de coproduction existent, qu'ils fonctionnent bien et que nous en profitons tous. Ils sont un peu lourds et complexes. Il serait probablement bon de les faire évoluer vers une simplification, mais aujourd'hui une grande partie de nos films sont faits ainsi.

Par contre, en matière de diffusion et de distribution, vous avez évoqué, M. Rogemont, la question des grands prix européens et je me suis réjoui que votre mission ait gardée cette idée. Il existe des initiatives dans chaque pays, que ce soient les « Donatello » en Italie, les « Goya » en Espagne, le « British film Institute » en Angleterre, les Prix du cinéma en Allemagne. De ce point de vue, il y aurait vraiment une action à mener ensemble pour créer une Académie européenne du cinéma réellement dotée.

Un organisme a bien été créé à Berlin avec beaucoup de bonne volonté. Mais il n'est pas orienté vers les réalités nationales. C'est ainsi chaque fois que l'on veut faire quelque chose par le haut : il manque le tissu. Il faut donc redescendre dans le tissu national pour remonter après vers le niveau européen.

C'est une des pistes de réflexion. Mais les autres, celles que vous avez tracées, me paraissent toutes intéressantes. Alors, « au travail ! », ai-je envie de dire.

M. Didier MATHUS - Je vous remercie, M. Toscan du Plantier, c'est avec bonheur que j'ai notée votre expression concernant l'Amérique : « Le cinéma a fait autant l'Amérique que l'Amérique a fait le cinéma. »

Il nous reste encore quelques instants pour des interventions brèves avant celle de notre ministre. Je suis désolé, nous sommes un peu contraints par les horaires, c'est la difficulté de l'exercice. M. Joachim Leguina, je crois, souhaitait intervenir. C'est avec plaisir que je lui donne la parole.

Débat avec la salle

M. Joachim LEGUINA, membre du Congrès des députés espagnol - Quelques brèves remarques, si vous me le permettez, sur ce que vient de dire, très brillamment, M. Toscan du Plantier. Mais avant, je voulais dire que ce rapport nous aidera beaucoup. Que vous en soyez remerciés. Il vous aidera au premier chef, mais nous en profiterons également.

Je suis ravi que l'on ait abordé et que nous soyons tombés d'accord sur deux grands principes : ceux de la diversité et de l'échange. Ils sont reconnus par l'assemblée assez hétéroclite qui est la nôtre, et il est vrai que l'échange sans diversité ne mènerait à rien, et réciproquement. Ce sont les deux principes que nous reconnaissons tous, les uns comme les autres.

Nous avons évoqué les problèmes liés à la construction d'un espace cinématographique européen commun. Néanmoins, je ferai preuve d'optimiste en raison de ce que nous disait M. Baer, mais aussi parce qu'il n'y a pas lieu de ne pas l'être. En sortant de mon hôtel ce matin, je suis allé acheter le journal, j'ai sorti les pièces de monnaie avec lesquelles j'étais venu d'Espagne, à l'effigie du Roi d'Espagne... et l'on m'a pris cette monnaie au kiosque. Il y a vingt ans, cela eût été purement impensable. Il y a matière à optimisme, c'est évident.

Il reste néanmoins des problèmes, c'est tout aussi évident.

Le premier, que M. Toscan du Plantier évoquait devant nous à l'instant, est l'échange avec les Etats-Unis. L'échange cinématographique avec les Etats-Unis est bien trop faible. À mon sens, il devrait être plus nourri et moins inégal.

M. Toscan du Plantier disait, par exemple, que le cinéma d'Amérique du Nord avait une grande vertu : la promotion. Il ne faudrait pas oublier aussi sa qualité. Pour autant, sur les télévisions de mon pays, qu'elles soient payantes ou gratuites, je vois des films et des séries américains que n'a pas vus le citoyen de New York. En fait, c'est moi, citoyen espagnol, qui me voit infliger cette télévision poubelle, qui n'a pas été imposée au citoyen de New York. Je pense que nous pourrions bien plus combattre ce genre de phénomènes dans un cadre européen que dans un cadre bilatéral.

Petite anecdote pour finir. Vous connaissez sûrement un film réalisé par Amenabar, un jeune réalisateur espagnol d'origine chilienne, intitulé « Los Otros ». Ce film a connu un vif succès aux Etats-Unis. Comme vous devez le savoir, il a été tourné en anglais, coproduit par Tom Cruise, et Nicole Kidman, cette femme superbe australienne qui appartient au star system en est la vedette. Il a constitué une forte réussite financière, enregistrant de bons résultats économiques aux Etats-Unis et en Europe, en France et en Espagne notamment.

Cette année, il a été primé par l'Académie espagnol de cinéma et quand nous avons remis le prix au réalisateur, une personne mal intentionnée lui a demandé : « Mais ce film que vous avez tourné est-il réellement un film espagnol ? » Ce à quoi le réalisateur a répondu du tac au tac : « Posez la question au ministère des finances. »

En ce sens, il est vrai que ce film est espagnol, mais c'est une question qui reste présente dans tous les esprits car que penser si, pour avoir du succès aux Etats-Unis, il faut se déguiser de telle manière que l'on ait l'impression que les films paraissent universels plutôt qu'espagnols ou européens ? Si tel est le cas, de toute évidence, il semble qu'il faille y remédier.

M. Didier MATHUS - J'accueille maintenant Mme Catherine Tasca, ministre de la culture, mais avant de lui céder la parole, nous avions une demande d'intervention de notre amie italienne, Mme Givoanna Grignaffini.

Mme Giovanna GRIGNAFFINI, membre de la chambre des députés italienne - Je serai brève. Nous sommes vraiment enthousiastes et nous nous réjouissons d'avoir pu participer à ce colloque consacré au cinéma. Je vois que vous avez une mission parlementaire qui s'intéresse au cinéma et, à la lumière de ce que nous disions ce matin, il me semble que je ne peux que vous encourager à exporter votre modèle et à poursuivre votre activité.

Pourtant, pour de nombreuses raisons, je ne pense pas que l'on puisse formuler ce type d'affirmation de façon aussi simple. J'aimerais donc vous poser quelques questions d'ordre stratégique, sur un plan général. Je ne puis cependant pas m'exprimer au nom de mon Gouvernement étant, pour l'heure, membre de l'opposition.

Première question : dès lors que l'exception culturelle est garantie et a rendu possible l'activation de politiques publiques, qui, en fait, sont liées à ce concept d'oeuvre, que va-t-il se produire lorsque nous nous serons rendu compte que cette capacité de répondre à l'hégémonie américaine passe par une espèce de capillarisation de notre présence, par une présence plus diffuse de notre cinéma ? Il faut qu'il y ait une masse critique de productions qui circule pour que nous puissions faire face au cinéma américain.

On a dit ce matin que la politique publique avait permis aux auteurs de survivre même lorsqu'il n'y avait aucune demande de la part du public. C'est bien mais pouvons-nous nous le permettre, et jusqu'à quand en tout cas ? Cela renvoie à une question soulevée par M. Toscan du Plantier concernant le produit culturel : une offre peut-elle exister alors qu'aucune demande ne lui correspond ?

En d'autres termes, les économistes de la culture se posent des questions aujourd'hui. Ils pensent, en fait, qu'il faut aller dans le sens d'une différenciation de l'offre mais aussi, en sens inverse, s'orienter vers un élargissement de la demande. C'est dans cette optique que nous pourrions probablement relancer la culture. J'essaie de contribuer au débat et soulève ces questions en guise de conclusion.

On nous a également dit ce matin que le cinéma français fait davantage de spectateurs et de recettes. Voici ma question : voulez-vous dire que les mêmes spectateurs sont allés plus souvent au cinéma ou que l'on a assisté à un élargissement, à la base, du nombre de spectateurs ? Ce sont deux réponses bien différentes qui renvoient à la question de l'élargissement de la demande de culture qui vient en écho à ce développement de l'offre. Si c'est le même spectateur qui va cent fois plus au cinéma et non cent spectateurs supplémentaires qui y sont allés une fois, du point de vue de votre politique, vous allez être dans une situation difficile.

Nous avons aussi parlé des différences de financements existant entre les systèmes français et italiens. En Italie le gouvernement de centre gauche - et j'espère que le gouvernement de centre droite poursuivra cette politique - s'est axé sur la fiscalité générale. Vous, vous êtes axés sur la fiscalisation du billet. Je ne dis pas que l'une ou l'autre des méthodes soit la meilleure, ce sont néanmoins deux approches fort différentes pour ce qui est du rôle de la culture.

Agir par le biais de la fiscalité générale, cela signifie que la culture, dont fait partie le cinéma, est un droit, un droit universel que l'on cherche à garantir par le moyen de la fiscalité. C'est donc sur ce pacte social par excellence qu'est le paiement de l'impôt, que l'on agit. Par contre, si on travaille sur la fiscalisation du billet d'entrée, on considère qu'un certain groupe de consommateurs « s'autolégitimise » en participant, du point de vue fiscal, à la production des biens qu'ils consomment.

Ce sont autant de questions que je pose parce qu'il est vrai qu'il y a aujourd'hui un souffle d'optimisme, je vous rejoins pleinement sur ce point, mais si l'on veut progresser dans ce cinéma européen, il faut que nous nous posions toutes ces questions pour un cinéma européen généreux mais aussi intransigeant.

Enfin, dernière remarque, c'est grâce à la loi que nous avons pu, en Italie, relancer la production cinématographique et audiovisuelle. C'est encore une interrogation que je soulève : en adoptant une forme de quotas, ces contingents obligatoires de productions italiennes et en contraignant les chaînes télévisées, publiques et privées, à investir dans la production, nous avons prévu un investissement moitié-moitié entre fiction et cinéma, considérant que les séries - donc, les fictions à la télévision - constituaient aussi ce bassin de la promotion de tout cet imaginaire, de toute cette culture au même titre que l'était le cinéma de genre dans les années 40 et 50. C'est aussi sur ce terreau que s'opère cette évolution.

Il y a, il est vrai, en termes de quotas et de parts de production, une philosophie différente en France et en Italie, mais je pense qu'envisager le cinéma dans le cadre plus général de la politique audiovisuelle au plan européen nous permettrait de progresser au mieux. Cela devrait nous permettre de préserver la différence du cinéma, tout en voyant comment ce cinéma, par le biais du numérique notamment, va pouvoir survivre car il ne pourra le faire que s'il s'inscrit dans un système plus général englobant l'ensemble des médias.

CONCLUSION DU COLLOQUE PAR MME CATHERINE TASCA, 
MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION

M.  Jean LE GARREC - Madame la ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir à la suite de ce colloque qui a été studieux, très nourri et très riche. Il n'est pas question, bien entendu, d'en rendre compte en quelques phrases. Je signale à tous nos amis qui ont participé à ce colloque, qu'un compte rendu sera diffusé et mis à leur disposition.

Je me contenterai de quelques remarques.

Tout d'abord, nous avons constaté une approbation générale sur l'intérêt de cette mission qui a travaillé pendant un an et sur la qualité du rapport présenté par M. Marcel Rogemont. C'est un rapport, il est important de le souligner, qui a fait l'unanimité des membres de la mission, qui représentaient toutes les familles politiques de l'Assemblée nationale. Et M. Toscan du Plantier a eu la gentillesse de faire remarquer qu'il était écrit en très bon français.

Deuxième remarque, tout le débat s'est organisé autour de quelques grands thèmes. Et pour ne reprendre que ce que disait Mme Gisela Schröter, sur l'idée de faire du cinéma un bien culturel, j'ai cité ce matin M. Nida-Rümeling, le ministre allemand, qui disait que les biens culturels ne pouvaient être considérés comme des biens économiques. C'est un débat sur lequel, me semble-t-il, se dégage un accord assez général.

Une autre phrase dont je partage tout à fait l'esprit vient de M. Toscan du Plantier. Il disait : « Quand on rentre en politique, on entre en culture. » Je pense ne pas trahir sa pensée. Je lui donne raison : la culture est un combat politique. Sur ce plan, il y a aussi, me semble-t-il, un accord assez général.

Dernière remarque, l'importance de l'espace européen, fondé non pas sur l'uniformité de je ne sais quel être hybride que serait le cinéma européen, mais respectueux de nos particularités, nos diversités, nos complexités, nos possibilités d'innovation qui font notre richesse, sur l'offre de cinéma et l'élargissement de la demande, comme vient de le dire notre collègue député italien.

Comme vous le voyez, madame la ministre, nous avons eu quelques temps forts qui ont fait l'unanimité de ce colloque, que je voulais rappeler en vous cédant la parole.

Mme Catherine TASCA, ministre de la culture et de la communication - Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, chers amis venus des pays voisins, mesdames, messieurs, je voudrais d'abord remercier la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, son président, Jean Le Garrec et la mission parlementaire conduite par Marcel Rogemont de leur double initiative, celle d'une ample réflexion sur le cinéma et celle d'en soumettre les conclusions à un débat ouvert associant ceux que l'avenir du cinéma concernent.

Cette mission illustre bien le rôle que le Parlement peut remplir pour évaluer l'action des pouvoirs publics dans un domaine, le cinéma, qui tient une place constante dans la politique culturelle de la France.

Vous avez su lui donner une impulsion décisive en élargissant, dès l'origine, votre réflexion au cinéma européen, conscients de la nécessité de refonder une communauté cinématographique européenne que nous avons connue plus vivante dans les années soixante et soixante-dix, une communauté un peu mise à mal ou parfois dés_uvrée en l'absence, dans certains pays, d'une réelle politique du cinéma.

Cette situation évolue cependant aujourd'hui de manière positive grâce à une mobilisation forte des cercles artistiques, de l'ensemble des organisations professionnelles et grâce aussi à certaines initiatives politiques. Vous avez cité, à juste raison, monsieur le président, les prises de positions de mon collègue M. Nida-Rümeling qui s'efforce actuellement d'engager l'Allemagne dans une politique de soutien à son cinéma.

Votre mission s'est vraiment déroulée à un moment opportun porté par la bonne santé du secteur du cinéma en France. L'année 2001 a été marqué par un succès que l'on peut qualifier, je pense, d'historique, du film français qui confirme à la fois sa vitalité et sa diversité et ce qu'il faut bien appeler une forme de réconciliation du public avec notre cinématographie. Cela sans rien concéder aux exigences d'une vraie qualité et de la recherche d'écriture singulière. Il y a cinquante-cinq ans que nous n'avions pas connu la même année, quatre films français dépassant les cinq millions d'entrées et le nombre de films millionnaires en nombre de spectateurs a plus que doublé par rapport aux années précédentes. Et l'on constate que les films français, y compris ceux qui sont réputés être plus difficiles, ont rencontré leur public. C'est donc toute la production française qui a bénéficié de cet engouement du public.

Je fais là une petite parenthèse pour répondre à l'interrogation de Madame la députée Grignaffini. Je ne pense pas que nous ayons les moyens de dire aujourd'hui que l'accroissement de la fréquentation est dû à une boulimie des spectateurs les plus éclairés ou, au contraire, à la venue d'un nouveau public. Pour ma part, je pense que la réponse n'est ni complètement d'un côté ni complètement de l'autre. Il est vrai que si certaines pratiques commerciales ont pu encourager les adeptes du cinéma à aller plus souvent voir des films, sans conteste possible, les chiffres de la fréquentation nous ont convaincus qu'il y avait véritablement là un nouveau public, un public plus large.

À cela s'ajoute, et c'est extrêmement important, un succès accru du film français dans le monde. Les résultats dans de nombreux pays ont atteint eux aussi des records. Les sélections et les distinctions dans les festivals internationaux se sont multipliées - le dernier festival de Berlin a encore apporté sa moisson de distinctions.

Tous ces indices concordants attestent que le cinéma devient un mode essentiel de notre culture. Mais je voudrais dire - car le soupçon de chauvinisme est vite là - que je suis persuadée que ce succès des films français au-delà de nos frontières est aussi la preuve de l'appétit croissant des publics du monde entier - en tout cas dans de nombreux pays - pour les cinématographies étrangères. Je suis convaincue que si plus de pays parviennent à soutenir leur production originale de films et à se doter des moyens de les présenter hors de leurs frontières, les publics du monde attendent aussi cette offre diversifiée. Donc, le rappel que je fais du succès des films français hors de nos frontières n'est pas un cocorico unilatéral, il est plutôt, pour moi, le signe fort de cette attente des publics, aujourd'hui, d'une offre non seulement diversifiée à l'intérieur des frontières de chacun de nos pays, mais venant aussi des cinématographies étrangères. On retrouverait là d'ailleurs un appétit qui était manifeste dans les années soixante où nous étions les uns et les autres nourris par des cinématographies de pays voisins.

Face à ces succès du film français hors de ses frontières et face à ce tableau positif, pourquoi devons-nous rester vigilants et témoigner parfois d'une inquiétude sur l'avenir des cinémas français et européen ? Pour une raison fondamentale, qu'il est utile de rappeler alors que certains esprits, faisant état d'un contresens, disent qu'il serait temps d'abandonner la notion d'exception culturelle.

L'économie du cinéma est, parce qu'il s'agit de création, une économie en permanente situation de fragilité et de risque. Le risque est d'ailleurs la définition même de toute aventure de création. Face à ces risques, ce sont les choix politiques du gouvernement de Lionel Jospin, et notamment les aides publiques qui sont anciennes dans notre pays et qui ont été encore confortées depuis 1997, qui assurent, de fait, le meilleur cadre du développement du cinéma pour l'avenir. C'est vrai pour un cinéma dit de divertissement, ça l'est encore plus pour un cinéma qui se fixe des objectifs plus ambitieux concourant au pluralisme de la création. Il n'est donc jamais superflu de s'interroger sur l'avenir du cinéma. Le faire dans un contexte de croissance permet évidemment d'exercer son jugement avec plus de sérénité et de liberté aussi.

Nous savons que des échéances décisives, inscrites à l'horizon de 2004, justifient aujourd'hui une certaine mobilisation des esprits. 2004 est le terme fixé par la Commission européenne pour un réexamen général des systèmes d'aides au cinéma dans les pays de l'Union. C'est aussi, et je sais que les professionnels du cinéma appréhendent cette étape, la date à laquelle prennent fin les accords conclus en mai 2000 entre Canal Plus et les professionnels du cinéma ainsi que la convention conclue avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Du côté de la Commission européenne, je rappelle simplement que cet examen des systèmes nationaux a été engagé bien en amont de 2004 et que les travaux de la Commission et, en particulier, le travail de la commissaire Viviane Reding aujourd'hui, nous confirment dans la viabilité durable des systèmes d'aides nationales au cinéma.

Concernant les échéances nationales, je veux rappeler que les obligations essentielles des chaînes de télévision à l'égard du cinéma français et européen, notamment sa contribution à la production indépendante, viennent d'être réinscrites dans les décrets publiés fin 2001. Ces décrets, qui concernent l'ensemble des diffuseurs, ne sont aucunement limités à l'échéance 2004. J'espère que nos amis étrangers me pardonneront ce petit détour typiquement hexagonal.

Ceci étant dit, cela ne nous dispense évidemment pas de réfléchir à l'avenir.

Sur le plan national, les relations cinéma-télévision sont bien au coeur de notre réflexion et je pense que c'est le cas aussi au-delà de nos frontières, l'intervention de notre amie italienne l'a prouvée.

S'agissant de la diffusion des films, français et européens, la télévision est plus que jamais un enjeu important d'un point de vue culturel d'abord pour assurer la diffusion la plus large de notre patrimoine cinématographique auprès du public le plus diversifié et, j'ajoute, où qu'il habite, même s'il est loin des réseaux de salles d'exploitation et, sur le plan économique, pour permettre une meilleure valorisation des catalogues des producteurs indépendants qui est, nous le savons, la clé de la santé économique d'entreprises qui sont souvent sources d'innovation et de création.

La contribution, la participation des télévisions à cette économie est une nécessité évidente. Il n'est donc pas acceptable aujourd'hui, alors que la part des entrées réalisées par les films français en salle dépasse 40 %, que certaines chaînes de télévision principalement consacrées à la diffusion de films ne respectent pas leurs obligations en ce domaine.

De même, je juge indispensable que les chaînes du secteur public se mobilisent encore mieux en faveur de la diffusion des cinémas français et européen. C'est un complément indispensable de la politique d'éducation à l'image. Des discussions entre le service public en France et les professionnels sont en cours. Je souhaite qu'elles aboutissent rapidement pour organiser une diffusion et une programmation des films représentatifs de la production récente.

J'ajoute, car il est très difficile de dissocier le cadre national du cadre européen, que les services audiovisuels publics ont un rôle éminent à jouer dans la circulation des cinématographies européennes d'un territoire à l'autre.

Quant au rôle de la télévision dans le financement de notre cinéma, c'est à l'évidence un des piliers de notre système de soutien. Il n'existe à mes yeux aucun motif tangible de réduire la contribution des chaînes de télévision au bénéfice mutuel, d'ailleurs, des diffuseurs et du monde du cinéma.

En revanche, rien ne s'oppose, comme vous le suggérez opportunément dans votre rapport, à mener une réflexion sur une plus grande diversité des sources de financement, par la modernisation de notre système de soutien, par la réforme des SOFICA, par le développement des aides régionales, et David Kessler, le directeur général du Centre national de la cinématographie, a engagé sur ce thème depuis l'automne dernier cette réflexion dont il nous livrera dans quelques mois les conclusions.

Je pense que nous sommes donc tout à fait en phase avec votre souci d'assurer au cinéma français les conditions d'un développement durable.

Vous vous êtes également attachés à souligner un certain nombre d'autres objectifs plus ciblés et importants.

Les industries techniques, tout d'abord, sur lesquelles reposent un savoir-faire souvent indissociable de la qualité artistique de notre production, ont à financer de lourds investissements imposés par l'évolution rapide des technologies numériques. J'ai donc demandé à une personne qualifiée un rapport détaillé sur ce secteur et des propositions concrètes d'actions.

Pour ce qui concerne l'amont et l'aval de la production, vous savez qu'un effort important a été engagé par mon ministère concrétisé par la mise en place de nouveaux dispositifs en faveur de l'écriture et de la distribution. Je pense qu'il ne faut jamais oublier qu'un film s'inscrit dans une longue chaîne si on veut lui assurer ses pleines chances d'être vu par le plus large public et dans les meilleures conditions. C'est pourquoi l'amont et l'aval sont au coeur de nos réflexions sur les évolutions, peut-être souhaitables, de notre système d'aides.

Reste un chantier important que vous abordez fort bien dans votre rapport, qui est celui de la concurrence dans le secteur de la distribution et la question aussi de la définition de l'indépendance. Beaucoup a été déjà fait dans le travail réglementaire accompli au cours de l'année 2001 pour réguler les relations entre les diffuseurs et la production indépendante. Comme vous le signalez, le contrôle des concentrations doit aussi devenir un outil efficace pour éviter que les alliances, fusions, acquisitions, que l'intégration aussi bien verticale qu'horizontale, ne portent atteinte à l'indépendance des acteurs de cette chaîne du cinéma et à la diversité de la production et de la diffusion.

Ainsi, la fusion Gaumont-Pathé a été soumise à des conditions précises. Il faudra veiller à leur application effective. Il en est de même pour la fusion Vivendi-Universal, approuvée par la Commission européenne. Le respect par ces acteurs économiques, désormais très puissants, des conditions posées par le contrôle des concentrations est évidemment essentiel. Et c'est un souci qu'il nous faut porter au niveau européen.

Une part importante de votre réflexion est consacrée à la construction d'un véritable espace cinématographique européen. Cela passe précisément par le droit européen de la concurrence, tout le monde en convient aujourd'hui. J'ai personnellement _uvré à ce que cette position soit partagée par un grand nombre de pays voisins lors de la présidence française de l'Union européenne, au cours du dernier semestre de l'année 2000, et je dois dire que nous nous sommes retrouvés nombreux sur cette position. Nous avons donc _uvré pour que ce droit européen protège les indépendants, bien sûr, plutôt que de servir à limiter la portée des aides nationales. Il faudra s'assurer que la Commission a bien été durablement convaincue de la légitimité de ces systèmes de soutien dans les pays bien sûr qui souhaitent s'en doter puisque nous sommes là dans un domaine qui relève éminemment de la subsidiarité.

Il faut également défendre les acquis de la directive « Télévision sans frontières » qui protège la diversité des producteurs et garantit celle des programmes. Je ne suis pas sourde, je sais que certains plaident pour une remise à plat, une révision complète de cette directive. Pour notre part, nous sommes convaincus qu'il faut plutôt conforter ses principes.

Enfin, il faut militer pour le développement d'actions positives à travers le plan « MEDIA PLUS ». Nous avons obtenu lors de la présidence française, avec le concours des autres pays membres, bien sûr, que ce programme dispose d'une enveloppe financière sensiblement accrue. Je pense que son budget devrait néanmoins encore progresser pour développer d'autres actions.

En d'autres termes, nous agissons pour que l'Europe soit porteuse d'une politique ferme en faveur du cinéma, en faveur de sa diversité et de sa créativité.

Tous les débats que nous avons avec les opérateurs et les organisations professionnelles très diverses du cinéma et notre action, en particulier réglementaire, sont un rempart constant face aux tentations de dérégulation de la part de ceux qui souhaiteraient utiliser des artifices pour tourner et donc affaiblir nos dispositifs nationaux. Tentatives de dérégulation qui, on le voit, prennent souvent appui et argument sur les évolutions technologiques et, de ce point de vue, l'arrivée de la télévision numérique terrestre semble avoir réalimenté ces réflexions dérégulatrices et les tentations de contournement de nos dispositifs.

A ce stade, je veux dire un mot sur le projet de création de chaînes cinéma qui seraient diffusées à partir du Luxembourg, à l'initiative de la société AB. Cette société et Canal satellite ont clairement affirmé que leur intention n'était pas de détourner la réglementation française. Nous en prenons acte avec satisfaction. Pour sa part, le Gouvernement y sera très attentif, qu'il s'agisse de l'application de la loi, des décrets ou des conventions qui pourront être passées entre les opérateurs, en particulier, lorsqu'il s'agira de programmes à destination de publics non exclusivement français. Comme le droit européen nous y autorise, nous n'accepterons pas que soit fragilisé un système dont nous constatons tous le succès. C'est d'ailleurs l'objet de ce colloque que d'en apporter, me semble-t-il, la démonstration. Je tenais donc à être claire, sur ce sujet.

Votre mission, monsieur le président, s'était fixé dès le départ un programme de travail vaste et ambitieux. Le résultat est un document que vous livrez aujourd'hui à l'appréciation de tous ceux pour qui l'avenir du cinéma, français et européen, constitue un enjeu culturel de premier ordre. En tant que ministre responsable de la langue français, je me réjouis de l'appréciation portée par Daniel Toscan du Plantier sur l'excellence de la langue de ce rapport !

Ma conviction la plus profonde est que l'intérêt de ce travail dépasse de beaucoup le cercle des experts, hommes politiques, responsables professionnels, acteurs de toute cette chaîne du cinéma que vous avez su réunir pour cette journée de travail. En fait, ce rapport concerne directement ces millions d'hommes et de femmes qui trouvent quotidiennement dans le cinéma, tout à la fois, un moyen de se divertir et aussi d'avoir un regard sur le monde où se jouent leurs libertés individuelle et collective.

M.  Jean LE GARREC - Madame la ministre, merci de votre intervention qui cerne bien les contours d'un combat qui est devant nous.

Parfois, je me demande s'il ne faut pas des gestes symboliques. M. Toscan du Plantier évoquait la création d'une Académie européenne du cinéma. Tous les problèmes que vous avez évoqués sont importants, mais il faut parfois symboliser une volonté politique. Je mets cela dans le débat. Après tout, nous avons dans cette salle des représentants de plusieurs pays et s'ils manifestaient la même intention, peut-être pourrions-nous construire un symbole qui nous réunirait tous. Ce serait, je pense, tout à fait utile.

Par ailleurs, nous allons maintenant pouvoir participer à une projection d'un film en avant-première. Son metteur en scène, Manuel Poirier, a déjà réalisé un film qui a eu beaucoup de succès, « Western », tourné en Bretagne, plein de charme et de talent. De plus, le film que nous allons voir « Les femmes ou les enfants d'abord » est une co-production franco-espagnole.

Je pense que c'est aussi une bonne idée de terminer ce débat par la projection d'une coproduction.

Je vous remercie tous d'avoir assisté à ce débat, animateurs, créateurs, hommes politiques, venus parfois de très loin comme nos amis coréens, par exemple, avec lesquels nous avons maintenant quelques projets en commun. Votre présence montre bien qu'il y a quelque chose à faire entre nous, que ce quelque chose est commencé, qu'une dynamique est créée, qu'il faut absolument développer, car je pense que c'est un point fondamental d'une politique européenne.

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La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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3642 - Rapport d'information de M. Marcel Rogemont sur le cinéma

1 En 1998, le nombre de films produits était de 183 en France contre 70 en Allemagne et 90 au Royaume-Uni, le nombre d'entrées de 170 millions en France contre 148 en Allemagne et 135 au Royaume-Uni et la part de marché des films nationaux respectivement de 27 % en France contre 8,1 % en Allemagne et 12 % au Royaume-Uni (source : MEDIA Salles 2001)

2 Sondage réalisé par l'Observatoire de la satisfaction pour l'hebdomadaire Ecran Total, du 5 au 11 novembre 2001.

3 La loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant DDOEF avait abaissé les seuils d'autorisation, initialement fixé à 1500 places, à 1000 places pour une création et 1500 places pour une extension ; la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques est à nouveau intervenue pour abaisser à 800 places le seuil d`autorisation administrative.

4 FEMIS : Ecole nationale supérieure des métiers de l'image et du son

5 Interview de Fabienne Vonier, Présidente de Pyramide, Ecran Total, n° 402, 23 janvier 2002

6 Il existe à l'heure actuelle cinq types de mandats de commercialisation : salles France, vidéo France, télévision France, international et commercialisation en ligne.

7 Cf. la décision du tribunal administratif de Poitiers du 21 mars 2001 annulant la subvention d'un million de francs accordée par le Conseil général de la Charente pour le tournage du film  Les destinées sentimentales d'Olivier Assayas au motif que, dans le film, « la Charente n'est pas assez identifiable. ».