N° 3502
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N° 160
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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

 

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 20 décembre 2001

Annexe au procès-verbal de la séance
du 20 décembre 2001

 

________________________

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

 

RAPPORT

SUR

LA BREVETABILITÉ DU VIVANT

 

Par M. Alain CLAEYS
Député

 

__________________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Yves LE DÉAUT,
Président de l'Office

__________________

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Premier
Vice-Président de l'Office.

 

Propriété intellectuelle

 

Sommaire

Saisine 1

Introduction 3

Première partie : le vivant et la brevetabilité 9

1 - Le régime général des brevets 9

A - Historique 9

B - Les conditions de délivrance des brevets 10

C - Les effets des brevets 12

D - La finalité des brevets 14

2 - Le vivant n'a jamais été formellement exclu de la brevetabilité 15

A - L'exclusion du vivant de la brevetabilité s'est faite sans texte 16

B - Une remise en cause aux Etats-Unis dans le domaine des plantes 17

C - L'organisation de l'Europe dans ce domaine : le système de l'Union

pour la protection des obtentions végétales (U.P.O.V.) 18

3 - Le mouvement croissant de brevetabilité du vivant 20

A - Le mouvement croissant de brevetabilité 20

B - Le tournant des années 1980 : la décision « Chakrabarty » 21

C - Quelques réflexions à propos de cette évolution 22

Deuxième partie : Le cadre juridique de la brevetabilité du vivant 24

1 - Le cadre international 24

A - Les accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce

(A.D.P.I.C.) 24

B - Les dispositions des A.D.P.I.C. en matière de vivant 25

2 - Le cadre européen 26

A - La Convention de Strasbourg 27

B - La Convention sur la délivrance de brevets européens 27

C - L'Office européen des brevets 28

D - La directive 98/44/CE 32

3 - Le cadre national 35

Troisième partie : La directive 98/44/CE 36

I - La position de l'Office européen des brevets en matière de brevetabilité

du vivant 36

1 - La position de l'O.E.B. en matière de brevetabilité du génome humain 36

2 - La position de l'O.E.B. en matière de brevetabilité des animaux

et des végétaux 38

A - Les animaux 38

B - Les végétaux 39

II - La directive 98/44/CE : les dispositions sur la matière vivante 40

III - La directive 98/44/CE : les dispositions sur le génome humain 41

1 - Les dispositions du texte 41

A - Le non brevetable 41

B - Le brevetable 42

2 - Les problèmes posés par ce texte 43

A - La fonction du gène 43

B - La remise en cause de la distinction invention-découverte 46

C - Les questions éthiques 49

D - Des dispositions contradictoires 52

IV - La directive 98/44/CE : les dispositions sur les végétaux et les animaux 53

1 - Les dispositions du texte 53

A - Le non brevetable 54

B - Le brevetable 55

2 - Les problèmes posés 55

A - L'étendue de la protection 55

B - Certificat d'obtention végétale et brevet 59

C - Les incertitudes concernant l'animal 63

D - Les problèmes éthiques 64

E - Le problème de la biodiversité 65

Quatrième partie : Les enjeux de la brevetabilité du vivant 68

1 - Les enjeux éthiques 68

2 - Les enjeux économiques 70

A - La brevetabilité du vivant est l'illustration d'une certaine mondialisation 71

B - Mettre en place des garde-fous pour protéger la recherche 72

3 - Les enjeux sociaux 77

Cinquième partie : Comment agir dans ce domaine de la brevetabilité du

vivant ?  82

1 - L'état de la transposition de la directive dans l'Union européenne 82

A - Les pays ayant transposé 82

B - Les pays actuellement en cours de transposition 84

C - Les pays n'ayant pas encore transposé 84

D - La situation de la République fédérale d'Allemagne 86

2 - Le projet de loi de transposition en France 88

3 - L'action internationale : instaurer l'exception du vivant 89

Conclusion 93

Recommandations 97

Examen du rapport par l'Office 101

Personnalités auditionnées 103

Annexe : texte de la directive 98/44/CE 107

SAISINE

graphique

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Les biotechnologies, les technologies du vivant, occupent une place grandissante dans nos sociétés. Elles se sont ainsi signalées par des réalisations spectaculaires comme, notamment, la naissance par clonage de la brebis Dolly. Elles sont aussi porteuses de grandes promesses comme l'espoir, malheureusement encore assez lointain, du traitement par thérapie génique des maladies génétiques.

Elle sont aussi au centre d'un grand nombre de discussions acharnées, voire de polémiques, notamment sur les problèmes liés aux techniques de clonage susceptibles d'être utilisées pour les êtres humains. Des controverses existent aussi, du moins en Europe et en France, sur les plantes génétiquement modifiées à but alimentaire.

Mais la plus grande nouvelle dans ce domaine a été, au début de cette année 2001, l'aboutissement de l'aventure du décryptage du génome humain.

Les biotechnologies fascinent ou inquiètent.

Les biotechnologies fascinent et inquiètent en même temps.

Elles sont d'ores et déjà à la source d'un nombre croissant de produits ou de procédés, spécialement dans le domaine pharmaceutique. Un grand nombre de malades en sont en effet déjà tributaires par exemple pour la production de l'insuline ou des interférons par bactéries recombinantes.

Mais elles apparaissent aussi dans les rubriques économiques et financières des journaux. En effet il n'est quasiment pas de jour sans qu'il y soit question des entreprises de biotechnologies, de leur essor ou aussi de leur déconfiture. Elles mènent, à l'instar de leurs cons_urs du secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication, des vies parfois mouvementées. Le développement de ces petites sociétés est en effet complètement lié à leurs possibilités de trouver le plus rapidement possible un ou des produits qu'elles pourront commercialiser. Manquant la plupart du temps des capacités de financement qui leur permettrait de passer au stade industriel, elles suscitent alors l'intérêt des grandes entreprises chimiques et spécialement pharmaceutiques. Celles-ci possèdent des capacités de financement très étendues et sont engagées dans une très âpre concurrence désormais mondiale. Elles sont donc à l'affût du ou des produits ou des techniques qui leur permettront de mettre au point la pharmacopée de demain et de la développer de façon industrielle.

Cette importance croissante des enjeux industriels et financiers oblige ces entreprises à essayer de s'assurer le monopole de leurs découvertes ou de celles qu'elles acquièrent.

Il apparaît que ce monopole peut leur être assuré par un instrument juridique, le brevet, qui a pris son essor avec le développement de l'industrie au XIXème siècle et de la recherche scientifique.

Avant de s'interroger sur les possibilités d'application au vivant d'une technique juridique mise au point pour des objets inanimés, il paraît opportun de rappeler quelques données essentielles sur le vivant.

La biochimie des êtres vivants est remarquablement uniforme : toutes leurs structures de base, les cellules, sont composées des mêmes matériaux soumis aux mêmes règles de construction.

Les cellules sont essentiellement formées à partir de quatre types de macromolécules : les acides nucléiques, les protéines, les lipides, les glucides. Le milieu cellulaire est constitué essentiellement d'eau, représentant 90% de la masse des organismes vivants.

_ Les acides nucléiques

Un nucléotide est formé d'un groupement phosphate, d'un glucide et de l'une des cinq molécules cycliques suivantes : adénine (A), guanine (G), thymine (T), uracile ou cytosine (C). Une liaison covalente peut s'établir entre le groupement phosphate et le glucide de deux nucléotides voisins. Cela permet la formation de chaînes qui constituent les acides nucléiques.

Ces chaînes sont de deux types : l'acide désoxyribonucléique (A.D.N.) qui a pour ose constitutif le désoxyribose et ne contient jamais d'uracile et l'acide ribonucléique (A.R.N.) qui a pour ose constitutif le ribose et ne contient jamais de thymine.

Dans le cas de l'A.D.N., découvert en 1953 par James Watson et Francis Crick, les nucléotides sont rangés dans un certain ordre à la manière des lettres de l'alphabet dans un texte. C'est cet ordre qui détermine l'information génétique. Le décryptage de l'enchaînement des nucléotides se fait grâce à un code, appelé code génétique, qui permet la traduction de l'information génétique des protéines. C'est donc l'A.D.N. qui porte l'ensemble de cette information.

L'A.R.N., quant à lui se présente sous la forme de molécules beaucoup plus courtes qui sont des copies de petites séquences de l'A.D.N. destinées à être "traduites" (A.R.N. messager) sous forme de protéines ou à participer à cette traduction (A.R.N. de transfert et A.R.N. ribosomique).

Chez les espèces vivantes, à l'exception des virus, l'A.D.N. est une structure double ressemblant aux montants d'une échelle dont les barreaux se forment par la liaison d'éléments spécifiques des nucléotides, les bases azotées. Par le jeu des forces électrostatiques, cette échelle d'A.D.N. subit une torsion qui lui fait adopter la forme hélicoïdale bien connue. Une des échelles est obligatoirement complémentaire de l'autre car les associations entre bases des deux brins de l'hélice sont obligatoirement A-T, T-A, G-C, C-G.

Les chaînes d'A.D.N. sont organisées en unités de fonction appelées "gènes", responsables de la synthèse d'une protéine ou d'une fraction de protéine, enzymatique ou non enzymatique. Les gènes ont une longueur moyenne de 1 000 à 2 000 paires de nucléotides et codent pour 300 à 600 acides aminés.

Les gènes sont portés par les chromosomes et occupent sur ceux-ci des emplacements fixes. Les chromosomes sont des filaments porteurs de l'information génétique. Ils sont constitués de protéines et d'A.D.N. et logés dans le noyau de la cellule. Leur nombre est constant dans une espèce donnée (2 fois 23 chez l'être humain); un seul chromosome différenciant l'homme de la femme.

L'acide désoxyribonucléique est le support de base de l'hérédité. Il gouverne notamment la biosynthèse des protéines. Pour ce faire l'information contenue dans 1'A.D.N. est d'abord transférée à des molécules d'A.R.N. Celles-ci servent à leur tour de matrice pour produire des séquences d'aminoacides caractéristiques des protéines. La traduction du "langage" des acides nucléiques à quatre nucléotides en "langage" des protéines à vingt acides aminés se fait par l'intermédiaire du code génétique. Les chromosomes sont, par conséquent, le siège de la biosynthèse des A.D.N. (replication) et de celle des A.R.N. (transcription).

La molécule d'A.D.N. doit au cours de son existence assurer un certain nombre de fonctions au sein de la cellule : sauvegarde, replication, transcription, réparation, recombinaison et transposition de l'information génétique. Seule la première de ces fonctions est passive et nécessite que l'A.D.N. soit sous une forme aussi stable et peu réactive que possible. Les autres fonctions nécessitent que l'A.D.N. soit au contraire sous une forme aussi réactive que possible.

_ Les protéines

Les acides aminés sont au nombre de vingt principaux. Ce sont les éléments de base des protéines.

Celles-ci remplissent au sein de la cellule des fonctions extrêmement variées. Certaines ont un rôle structural. Ainsi les fibres d'actine, en glissant les unes sur les autres, permettent aux cellules musculaires de se contracter. D'autres permettent de véhiculer diverses molécules comme par exemple l'albumine qui transporte les acides gras dans le courant sanguin. Les anticorps participant à la défense immunitaire sont également des protéines. Enfin les réactions chimiques dans les cellules sont catalysées par des protéines qui sont en variété infinie : les enzymes. Celles-ci accélèrent les réactions de fabrication des macromolécules dans des conditions compatibles avec la vie.

Il faut noter que la plupart de ces fonctions reposent sur la capacité qu'ont les protéines à reconnaître de façon spécifique d'autres molécules. Cette reconnaissance est permise par le jeu de la complémentarité des formes. En effet les chaînes latérales des acides aminés constituant les protéines imposent à celles-ci une structure tridimensionnelle. Elles ménagent ainsi à leur surface des sites dans lesquels peuvent s'insérer d'autres molécules, à l'image d'une clef dans une serrure.

_ Les glucides et les lipides

Les molécules des glucides (sucres) et des lipides (graisses) constituent les formes universelles d'apports énergétiques pour les cellules vivantes.

Les glucides sont stockés sous forme de polymères de glucose. Selon leur enchaînement ils peuvent prendre deux formes voisines : l'amidon chez les végétaux et le glycogène dans le foie et les muscles des animaux. Les lipides sont quant à eux entreposés surtout sous forme de gouttelettes de triglycérides. Ils sont abondants dans le cytoplasme des cellules d'un tissu spécialisé : le tissu adipeux.

Les lipides et les glucides jouent un rôle primordial dans l'élaboration des structures biologiques. Les premiers permettent l'édification des membranes cellulaires dans lesquelles s'insèrent de nombreuses protéines aux fonctions variées telles que des transporteurs de molécules ou des récepteurs de messages hormonaux. On retrouve les glucides liés à des lipides ou à des protéines dans les membranes de toutes les cellules. Les unités de base constitutives des glucides sont les oses. Deux d'entre eux notamment, le ribose et le désoxyribose, forment avec le groupement phosphate le squelette des acides nucléiques.

_ L'eau

Formées d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène, les molécules d'eau représentent 70 à 90 % du poids des êtres vivants.

Du fait de sa dissymétrie électrique la molécule d'eau est "polaire". Elle peut donc établir des liens électrostatiques, les liaisons hydrogène, avec d'autres molécules polaires comme les glucides ou les ions. Ces derniers sont ainsi rendus solubles. Par contre les molécules non polaires ne peuvent former ces liaisons et sont donc refoulés en amas non solubles. C'est le cas des acides gras qui édifient les membranes cellulaires.

La polarité de l'eau est également responsable de la structure spatiale spontanément adoptée par des polymères tels que les protéines ou les acides nucléiques. Dans ce cas les parties polaires forment une surface hydrophile entourant les parties non polaires hydrophobes.

L'eau n'est pas une simple molécule de "remplissage" des cellules, elle joue un rôle primordial dans la détermination des structures cellulaires.

Toutes ces connaissances sont en fait relativement récentes

Elles se sont développées depuis à peine un siècle à partir de la « redécouverte » en 1903 des travaux de Gregor Mendel qui dataient, eux, de 1865 et qui étaient tombées quelque peu dans l'oubli.

Elles se sont considérablement accélérées après 1953 pour aboutir très récemment au décryptage du génome humain qui a donné lieu à une véritable course entre une entreprise du secteur privé et le secteur public.

L'aboutissement de cette aventure a engendré une seconde course, peut être encore plus intense que la première, pour l'appropriation par brevet de ces séquences humaines.

Cette compétition a ainsi été le révélateur le plus éclatant d'une évolution commencée dans l'entre deux guerres aux Etats-Unis où le brevet, jusque là appliqué à la matière inanimée, a été progressivement étendu à la matière vivante.

Cette affaire a acquis maintenant une importance considérable et a donné lieu à des prises de position quelquefois très véhémentes entre partisans et adversaires de la brevetabilité du vivant.

Il ne faut d'ailleurs pas oublier que celle-ci englobe aussi un domaine très important, le végétal et l'animal.

Il convient de rappeler que des rapports de notre Office s'étaient déjà préoccupés de cette question de la brevetabilité du vivant concernant le végétal, l'animal et maintenant l'être humain.

On peut citer à cet égard celui de M. Daniel Chevallier, concernant les applications des biotechnologies à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire en 1990 et, plus récent, celui de M . Jean-Yves Le Déaut consacré en 1998 à l'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation.

La saisine de notre Office sur ce sujet par la Commission des affaires familiales culturelles et sociales de l'Assemblée nationale ne pouvait être plus opportune dans la mesure où le Parlement doit être saisi d'un projet de loi de transposition en droit interne d'une directive, la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

Ce travail sera essentiellement une présentation des problèmes qui se posent dans ce domaine. Il pourrait ainsi préparer le débat de transposition de cette directive au sein de nos assemblées ainsi que celui consacré à la prochaine révision des lois de bioéthique qui interviendra dans les prochaines semaines.

Ce faisant, nous sommes tout à fait en phase avec les dispositions de la loi du 8 juillet 1983 créant notre Office dont la « mission est d'informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin notamment d'éclairer ses décisions ».

Après avoir décrit la situation du vivant par rapport à la brevetabilité, nous examinerons quel est son cadre juridique. L'étude de la directive 98/444 et des enjeux de cette brevetabilité du vivant nous amènera ensuite à nous demander comment agir dans ce domaine. Nous formulerons enfin un certain nombre de recommandations.

Première partie : Le vivant et la brevetabilité

Evoquer les rapports entre le vivant et la brevetabilité nécessite d'abord de rappeler le régime général des brevets. Nous serons ensuite amenés à souligner, ce qui est peu connu, que le vivant n'a jamais été formellement exclu de la brevetabilité. Nous constaterons enfin que celui-ci est engagé dans un mouvement croissant de soumission au brevet.

1 - Le régime général des brevets

Les droits sur les inventions sont apparus à une époque relativement ancienne. Leur délivrance est soumise à un certain nombre de conditions afin de pouvoir produire des effets.

A - Historique

Si il a été possible de découvrir un texte grec datant du VIème siècle avant notre ère accordant un monopole d'une année à l'inventeur d'une recette de cuisine, c'est un texte plus récent, une loi vénitienne du 19 mars 1474, qui semble avoir été, en l'état actuel de la recherche historique, le véritable premier texte instituant un brevet. En effet était accordé à celui qui révélait une invention, le droit exclusif d'exploitation pendant dix ans. Cette loi semble avoir été ignorée partout ailleurs.

Dans les siècle suivants, des pays comme la France et le Royaume-Uni instituèrent des droits sur les créations nouvelles.

En fait ils apparurent rapidement comme des privilèges, discrétionnairement octroyés par des souverains qui y trouvèrent soit une source de bénéfices pour le Trésor soit un moyen de favoriser leurs protégés.

En Grande-Bretagne, la concession du monopole se faisait par des « lettres ouvertes », litterae patentes. Cette expression est à l'origine du mot patent qui désigne encore aujourd'hui le brevet d'invention aussi bien en anglais qu'en allemand.

On cite souvent les abus commis par Elisabeth 1re et Jacques 1er qui délivraient des « lettres de patentes » non seulement pour des inventions mais aussi pour la vente de certains produits usuels. Pour y mettre fin, le Parlement anglais vota en 1623 le Statute of monopolies qui est la première loi moderne sur les brevets d'invention.

Selon celle-ci, les lettres de patente ne pouvaient être accordées que pour des inventions n'ayant pas encore pénétré en Angleterre. Celui qui les obtenait bénéficiait normalement d'un monopole pendant quatorze ans et pendant vingt et un ans de façon exceptionnelle. Passé ces délais, l'invention tombait dans le domaine public.

En France le régime des privilèges arbitraires dura presque jusque la Révolution. Un édit de Turgot de 1762 les limita à une période de quinze ans à condition d'exploiter l'invention dans l'année sous peine de déchéance.

Finalement, en France, ce fut une loi du 7 janvier 1791 qui conféra à l'inventeur un droit de propriété sur les inventions totalement nouvelles ou nouvelles en France seulement pour une durée de quinze ans.

Aux Etats-Unis, c'est un acte du 10 août 1790 qui instaura le régime de protection des inventions.

B - Les conditions de délivrance des brevets

La naissance d'un droit de propriété industrielle est subordonnée à des conditions de fond et de formes.

a - Les conditions de fond 

Les conditions de fond pour pouvoir breveter une invention sont au nombre de trois : la nouveauté, l'activité inventive et l'application industrielle.

Les inventeurs se voient conférer des droits pour la seule raison qu'ils ont apporté à la technique et à l'industrie des moyens qu'elles ne possédaient pas avant lui.

La nouveauté est une condition impérative de la possibilité de breveter.

En France, la loi du 2 janvier 1966 sur les brevets exige une nouveauté absolue.

En effet toute publicité donnée à l'invention antérieurement au dépôt rend le brevet nul. La nouveauté est en effet exclue lorsqu'on peut opposer au brevet ce qu'on appelle une antériorité, c'est-à-dire l'existence avant le dépôt du brevet d'une publicité concernant le contenu de l'invention et suffisante pour permettre à un homme de l'art de la réaliser. Ce n'est pas le cas par exemple aux Etats-Unis où existe ce qu'on appelle la règle de la «période de grâce ». Selon celle-ci, l'inventeur a le droit, pendant un délai d'un an à partir de la date de dépôt de sa demande de brevet, de tester, d'utiliser, d'offrir à la vente ou de vendre son invention sans que ces actes lui fassent perdre son caractère de nouveauté.

L'avantage présenté par cette « période grâce » n'est pas négligeable.

En effet l'inventeur peut, pendant cette période, tester la viabilité commerciale et technique de son invention et évaluer son potentiel d'innovation. Cela lui laisse ainsi le temps de déterminer si son invention vaut ou non la peine d'être protégée par un brevet.

Les formes de la nouveauté peuvent être diverses.

Elle peut ainsi porter sur des produits nouveaux ainsi que sur des moyens nouveaux.

Dans ce cas on est en présence de ce qu'on appelle des «brevets de procédé» : le produit ou le résultat obtenu est déjà dans le domaine public mais la façon d'y parvenir est nouvelle.

Elle peut également porter sur une combinaison nouvelle.

De ce point de vue, tous les éléments de l'invention pris de façon analytique étaient connus mais n'avaient jamais été assemblés de cette façon. L'idée inventive peut aussi porter sur leur groupement original afin de les faire concourir à un résultat qui pouvait être connu mais n'avait jamais été obtenu avec une telle combinaison.

La nouveauté peut encore avoir pour objet les applications nouvelles de moyens connus.

Celle-ci est appréciée d'une façon qui comporte fatalement des éléments subjectifs. Elle s'apprécie notamment en fonction de la difficulté vaincue pour obtenir un résultat ou de l'avantage inattendu résultant de l'invention. Il doit notamment y avoir plus qu'un simple tour de main technique, fruit du savoir-faire de tout technicien mis en face d'un problème à résoudre.

Pour qu'il y ait nouveauté il est nécessaire que l'inventeur ait fait preuve d'une idée inventive.

Un invention est considérée comme impliquant une idée inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique.

En pratique l'activité inventive est examinée selon l'approche « problème -solution ». Il s'agit d'abord d'établir l'état de la technique le plus proche de l'invention, puis de déterminer le problème technique que l'invention cherche à résoudre. Ensuite il est procédé à la vérification du fait si l'invention revendiquée aurait été évidente pour un homme du métier au regard de l'état de la technique et du problème posé.

Aux Etats-Unis, il s'agit de la « non évidence » qui implique de prouver qu'il n'aurait pas été évident pour l'homme du métier compétent dans le domaine considéré de concevoir l'invention au regard de l'art antérieur.

L'application industrielle est la troisième condition de fond pour l'obtention d'un brevet.

De ce point de vue, une invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie.

Aux Etats-Unis, la notion correspondante est celle d'« utilité ». La définition exacte est difficile à donner mais on peut dire qu'une invention est considérée comme utile dès lors qu'elle fonctionne et donne lieu à une application pratique.

Enfin il est nécessaire de rendre publique l'invention si on souhaite la faire breveter.

b - Les conditions de forme

Trois conditions de forme existent : le titre, la description et les revendications.

- Le titre

Le titre contient la description sommaire et précise de l'objet de l'invention. Il a pour but de permettre de classer le brevet dans les catalogues et répertoires afin de faciliter la recherche ultérieure des antériorités. Un titre erroné peut en effet égarer les recherches des concurrents et leur causer un grave préjudice.

- La description

C'est la pièce capitale du dossier car c'est l'élément qui fait connaître l'invention aux tiers. Elle est destinée à permettre à tout technicien ou homme de l'art de pouvoir réaliser l'objet de l'invention.

- Les revendications

L'inventeur expose par les revendications ce sur quoi, c'est-à-dire sur quelles applications, il entend bénéficier d'un monopole.

C - Les effets des brevets

Le principal effet des brevets est de conférer à leurs titulaires le droit de s'opposer à toute exploitation de l'invention par un tiers. Il donne de ce fait un monopole temporaire d'exploitation à condition que celle-ci ne soit pas prohibée par la législation.

Une autre limitation est que l'exploitation de l'invention ne soit pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes m_urs.

Le monopole d'exploitation est en règle générale de vingt ans au terme duquel l'invention tombe dans le domaine public.

Mais il peut arriver qu'un brevet valable lors de son dépôt disparaisse avant l'arrivée du terme prévu en raison d'une cause de déchéance.

Outre le défaut de paiement des annuités d'entretien du brevet auprès de l'organisme de dépôt, il existe une déchéance pour défaut d'exploitation. Le monopole accordé au détenteur d'un brevet a en effet une finalité économique très précise : l'exploitation de l'invention.

Le détenteur du brevet peut soit exploiter lui-même l'invention soit en concéder l'exploitation par une licence, le plus souvent contre rémunération.

En cas de non exploitation d'un brevet il est possible aux autorités publiques d'octroyer de façon autoritaire des licences.

En effet pour assurer la meilleure exploitation possible du brevet, le législateur a créé plusieurs catégories de licences particulières dérogeant à la libre discussion des parties.

La licence de droit institue un régime de licence contractuelle conclu sous le contrôle de l'administration qui convient de façon particulière aux inventeurs isolés qui préfèrent recevoir des redevances plutôt que d'entreprendre eux-mêmes l'exploitation de leur invention.

La licence obligatoire sanctionne le défaut d'exploitation de l'invention. Dans ce cas, à l'expiration d'un délai de trois ans après la délivrance du brevet ou quatre ans après sa demande, toute personne peut demander une licence obligatoire au tribunal de grande instance si le propriétaire du brevet n'a pas commencé à l'exploiter.

L'établissement de ce régime correspondant au fait qu'une telle inaction est contraire à l'intérêt public et constitue une sorte d'abus de monopole.

Les licences d'office sont des actes de la puissance publique. Elles permettent à l'Etat d'accorder des licences d'exploitation de brevets lorsque l'intérêt de la défense nationale, de l'économie nationale ou de la santé publique le justifie. Les licences d'office dans l'intérêt de la santé publique ne peuvent actuellement porter que sur des médicaments. On rappellera à ce propos qu'à la fin des années 1980, la menace d'une telle licence avait été agitée par le gouvernement pour forcer l'entreprise détentrice des droits du produit appelé RU 486, dite « pilule du lendemain » à mettre en fabrication, en France, cette spécialité.

D - La finalité des brevets

Un tel monopole est accordé pour donner une incitation financière à l'activité inventive car seul le titulaire du brevet pourra pour la période de sa validité procéder à la commercialisation du ou des produits objets du brevet.

La conséquence est que si la commercialisation de ce ou ces produits rencontre le succès, le détenteur du brevet pourra non seulement se rembourser des frais exposés par la mise au point de l'invention, mais aussi, et au delà, dégager un retour sur investissement positif.

Les brevets constituent donc de ce fait des valeurs économiques réelles puisqu'ils représentent des espérances d'enrichissement. De ce fait ils entrent maintenant de façon tout à fait courante dans les stratégies des entreprises pour la conquête des marchés.

Ils répondent donc aussi à la nécessité pour les entreprises de rémunérer leurs efforts de recherche par les ventes des produits élaborés.

Depuis environ une trentaine d'années un autre aspect des brevets s'est développé.

En effet de nombreuses entreprises se sont créées, essentiellement à l'origine dans le secteur de la micro informatique, avec comme unique capital un ou des chercheurs et leur(s) idée(s) novatrice(s). Ce fut le cas de sociétés comme Microsoft ou Apple. L'objectif est alors de développer ces idées afin de mettre au point une ou des inventions qui seront brevetées et exploitées commercialement.

Ce type d'entreprise, fondée sans capital financier ni produit ou service à vendre, a besoin pour survivre jusqu'à la mise au point d'une invention, que des détenteurs de capitaux s'intéressent elle.

Ceux-ci investissent alors en pariant sur la réussite à terme de l'entreprise qui se matérialisera par un brevet permettant la mise sur le marché d'un produit ou d'un service. En cas de succès ils pourront ainsi rentabiliser leur investissement.

Le brevet, ou plutôt l'espoir d'un brevet, apparaît ainsi comme un véritable produit d'appel pour des financements.

C'est tout le phénomène des start up ou « jeunes pousses » qui s'est d'abord développé dans l'informatique et les nouvelles technologies de la communication.

Le secteur des biotechnologies a été, à son tour, touché par ce phénomène.

Les biotechnologies présentent des ressemblances avec ces technologies. Elles opèrent elles aussi sur le terrain de l'information, ici l'information génétique, et requièrent aussi une très forte créativité intellectuelle. Les produits qu'elles sont susceptibles de mettre au point possèdent également, comme pour l'informatique, des marchés potentiellement très étendus et très fortement rémunérateurs.

Ces biotechnologies sont en effet considérablement stimulées par l'âpre concurrence au niveau mondial des entreprises pharmaceutiques qui ont fait le choix de ces technologies pour concevoir et réaliser les médicaments de demain.

Il s'est donc créé, au niveau mondial, une concurrence très importante entre les pays pour mettre en place les conditions les plus attractives possibles pour ces entreprises de recherche.

Les Etats-Unis, compte tenu de leurs traditions économiques, de l'ampleur de leur marché financier et de la souplesse de leur réglementation, sont bien entendu le pays où on compte le plus de ce type d'entreprise. Tous les pays développés, ainsi qu'un certain nombre de pays en développement, ont été de fait obligés de mettre en place des facilités pour ce type d'entreprises sous peine de voir leur créateurs, emportant avec eux leurs idées, s'expatrier pour, le plus souvent, les Etats-Unis.

C'est ainsi que la France a mis en place en faveur de ces entreprises un certain nombre d'incitations dans la loi sur l'innovation de 1999.

Le brevet, ou, bien souvent, l'espoir d'un brevet, est donc de plus en plus un moyen de financement de la recherche.

La question des rapports du vivant et de la brevetabilité s'est donc posée de façon croissante et avec de plus en plus d'acuité dans la mesure où les entreprises de recherche de ce secteur ont voulu protéger les résultats de leurs recherches.

Ce problème est ainsi apparu alors que le vivant n'a jamais été formellement exclu de la brevetabilité

2 - Le vivant n'a jamais été formellement exclu de la brevetabilité

L'exclusion du vivant de la brevetabilité s'est faite sans texte mais celle-ci a fait l'objet d'une remise en cause d'abord aux Etats-Unis puis en Europe.

A - L'exclusion du vivant de la brevetabilité s'est faite sans texte

Comme le souligne Mme Marie-Angèle Hermitte, si l'on examine attentivement les lois sur les brevets, le vivant n'en a jamais été expressément exclu.

Cette exclusion existait de façon tacite. Elle était en effet sans doute tellement intériorisée qu'elle en était en fait jamais exprimée.

C'était certainement une véritable croyance qui était incorporée aux mentalités et qui n'avait pas donc besoin d'être inscrite dans les textes.

Il y avait en effet une conviction très profonde dans les pays industrialisés de la séparation entre les choses animées, les êtres vivants, et les choses inanimées.

Les choses inanimées pouvaient subir, sans difficulté, l'intervention de l'homme. En revanche « le vivant était considéré comme sacré car participant à la nature sacrée de l'être humain ».

On peut sûrement trouver une preuve de cette position dans le fait que jusqu'au début du XXème siècle, on ne trouve guère de traces de demandes de brevet portant sur des plantes ou des animaux.

Lorsque les premières commencèrent à se manifester, elles furent rejetées pour des raisons de principe.

Ce fut par exemple en 1921 le cas de la décision du tribunal de commerce de Nice refusant de reconnaître à un horticulteur la propriété d'_illets qu'il avait sélectionnés.

Certes, et c'est un exemple extrêmement abondamment cité, Louis Pasteur obtint en 1873, de l'Office américain des brevets, un brevet pour une « levure exempte de germes pathogènes » destinée à l'industrie de la brasserie.

Ce brevet concernait bien des êtres vivants. Mais on peut penser qu'ils étaient considérés comme très lointains de l'être humain dans la mesure où ils se trouvaient hors de sa perception directe.

On peut donc considérer que le principe restait très ferme : l'être humain restait exclu de la brevetabilité, y compris dans le silence des textes.

L'exclusion de la brevetabilité de l'être humain était sans doute liée aussi au fait qu'il n'était pas techniquement envisageable d'en créer matériellement un.

La remise en cause de ce principe est venu des Etats-Unis dans le domaine des plantes, l'Europe suivant le mouvement plus tard.

B - Une remise en cause aux Etats-Unis dans le domaine des plantes

C'est le vote du Plant Patent Act de 1930 aux Etats-Unis sur la protection des variétés végétales qui a introduit une remise en cause fondamentale de cette situation.

Le législateur américain a ainsi effectué une distinction entre les produits de la nature, vivants ou non, et l'activité de l'homme. De ce point de vue, les êtres humains étaient en quelque sorte mis « hors nature » ; tout ce qui n'était pas eux-mêmes étant considéré comme un fonds à exploiter.

Il y a donc ainsi d'un côté la nature vivante ou non obéissant à ses propres programmes et l'activité humaine qui peut les modifier. La nature s'offre de ce fait aux hommes comme un immense champ d'investigation et d'exploitation.

Le Plant Patent Act s'appliquait essentiellement aux plantes ornementales.

En 1970 d'autres mesures furent prises aux Etats-Unis pour protéger les résultats des recherches phytogénétiques dans le Plant Variety Protection Act.

Celui-ci s'appliquait non seulement aux graines mais aussi aux organes de multiplication et à plus de trois cent cinquante espèces végétales.

La combinaison de ces textes fait des Etats-Unis un cas particulier car elle permet de prendre non seulement l'équivalent des certificats d'obtention végétale, que nous évoquerons dans le paragraphe suivant, mais aussi des brevets et cela non seulement sur les variétés transgéniques mais aussi sur les variétés classiques.

Cette possibilité a été reconnue en 1985, ce qui a entraîné un nombre importants de procès en contrefaçons intentés par les firmes semencières américaines.

Il convient cependant de noter que la Cour Suprême a été récemment saisie d'une affaire qui l'amènera à se prononcer sur la licéité de ce cumul. Cette décision pourrait ainsi avoir un très fort impact sur l'ensemble des producteurs de plantes.

Au début des années 1960, l'Europe suivait le mouvement dans ce domaine des plantes en organisant le système de l'Union pour la protection des obtentions végétales (U.P.O.V.).

C - L'organisation de l'Europe dans ce domaine : le système de l'Union pour la protection des obtentions végétales (U.P.O.V.).

Le système des obtentions végétales et animales a été créé en Europe pour permettre aux produits complexes que sont les variétés végétales et animales de bénéficier d'un droit qui leur soit adapté.

En fait le système n'a été réellement développé que pour les végétaux, laissant de côté les animaux.

Les nouvelles variétés de céréales, de fruits, de légumes, de plantes ornementales... peuvent donc, comme toute nouvelle invention, bénéficier d'un système de protection de la propriété intellectuelle.

Ce système de protection a été mis au point en 1961 avec l'adoption, à l'initiative de la France, de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, plus connue sous le nom de « Convention U.P.O.V. » entrée en vigueur en 1968.

Selon cette convention, les variétés végétales, ainsi que les espèces animales, ne sont pas brevetables.

Les variétés végétales sont protégées par un certificat d'obtention végétale (C.O.V.) attribué pour une durée de 20 ans pour les espèces annuelles et de 25 ans pour les espèces pérennes.

Le certificat d'obtention animal n'a jamais été défini compte tenu des difficultés spécifiques présentées notamment par la définition juridique des races animales.

Le C.O.V. est donc un titre de propriété conférant au détenteur d'une variété, l'obtenteur, le droit exclusif de la reproduire, de la multiplier, de la conditionner, de l'offrir à la vente ou à l'importation, de la vendre et de l'exporter.

Ce régime prévoit trois exceptions obligatoires à ce droit de l'obtenteur.

Celui-ci ne peut en effet s'opposer aux actes accomplis sur sa variété :

- dans un cadre privé ou à des fins non commerciales,

- à titre expérimental,

- en vue de la production des semences dites « de ferme » (possibilité facultative selon les pays),

- aux fins de la création de nouvelles variétés.

Il faut souligner toute l'importance de cette dernière exception, appelé « exception de l'obtenteur ».

C'est en effet la pierre angulaire du système. Elle garantit le libre accès à la source initiale de variation. Toute variété protégée par un certificat d'obtention végétale peut être librement utilisée par tout sélectionneur comme géniteur pour un nouveau programme de création variétale.

Ce qui est protégé par ce système est la combinaison spécifique des gènes constituant la variété mais non les gènes eux-mêmes.

La conséquence de ce fait est extrêmement importante car cela signifie que le progrès génétique lié à la création des variétés est immédiatement accessible à tous pour de nouvelles améliorations.

Nous évoquerons plus loin les rapports entre C.O.V. et brevet mais il apparaît très important de souligner dès à présent les caractéristiques fondamentales du C.O.V.

Il n'y a pas du fait de cette protection une possibilité de blocage de la recherche. C'est un système tout à fait équilibré dans la mesure où il reconnaît la propriété du travail souvent fort long de la sélection végétale tout en permettant à un tiers de disposer librement de cette variété comme base potentielle d'un nouveau progrès.

Les obtenteurs français sont très attachés à ce système. En effet c'est lui qui a permis les progrès, notamment en terme de rendement, que nous connaissons dans bien des domaines et notamment dans les céréales.

Je suis très fermement attaché à ce système qu'il conviendra de défendre avec une grande vigueur contre toutes les tentatives de déstabilisation dont il est susceptible de faire l'objet au niveau mondial de la part notamment des Etats-Unis.

Le contenu de cette Convention a évolué à plusieurs reprises : en 1972, 1978 et 1991.

Il convient d'exposer à grands traits la dernière modification de cette convention en 1991 qui a principalement introduit le critère de la dérivation essentielle et l'extension des genres et espèces à protéger.

a - Le critère de la dérivation essentielle

Le critère de la dérivation essentielle exprime la possibilité pour un obtenteur d'étendre la protection d'une variété qu'il a mise au point aux variétés essentiellement dérivées, ce qui lui donne une source potentielle supplémentaire de revenus.

L'introduction de ce critère permet aussi d'éviter qu'un obtenteur commercialise une variété dérivée d'une autre et s'approprie par conséquent le travail de sélection du premier obtenteur. Il s'agit donc du renforcement du critère de distinction d'une variété.

Les critiques de cette évolution de la convention soulignent que cette exigence accrue risque de limiter les possibilités de création des petits sélectionneurs en augmentant la distance génétique entre deux variétés et de réduire corrélativement l'exception de l'obtenteur.

Il faut reconnaître que par cet aspect, le certificat d'obtention végétale se rapproche un peu du brevet car l'obtenteur ne pourra plus commercialiser une variété essentiellement dérivée d'une autre sans l'autorisation, le plus souvent à titre onéreux, de l'obtenteur de la première variété.

b - L'extension des genres et espèces à protéger

La nouvelle convention prévoit l'extension à terme de la protection à la totalité des genres ou espèces végétaux dans des délais variables selon la date d'adhésion à la convention.

Ainsi le délai maximal pour l'adoption d'une protection globale, au delà des genres et espèces prévus dans les anciennes conventions est de 5 ans pour les Etats déjà membres de la convention de 1978 ou de 1961/1978 et de 10 ans pour les nouveaux membres de la convention de 1991.

Il faut noter que la France n'est pas partie à cette révision de 1991 de la Convention U.P.O.V. compte tenu du problème posé par les semences de ferme.

Même si la protection des plantes est parvenue à un certain équilibre, notamment en Europe, le mouvement de brevetabilité du vivant était amorcé. Il ne devait plus s'interrompre.

3 - Le mouvement croissant de brevetabilité du vivant

Ce mouvement fut croissant jusqu'au tournant de 1980 qui fut marqué par la décision « Chakrabarty ».

A - Le mouvement croissant de brevetabilité

En 1963 fut signée la convention de Strasbourg qui affirma la brevetabilité des procédés microbiologiques et des produits obtenus à leur issue. A l'époque c'étaient les procédés de fermentation qui étaient concernés.

Mais les premières réalisations du génie génétique ont amené des bouleversements importants dans ce domaine.

En effet la technique a profondément changé de nature puisque, désormais, le produit obtenu n'est plus seulement ce qui est produit par le micro-organisme mais le micro-organisme lui-même.

La question de la propriété de ce micro-organisme ainsi obtenu n'a pas tardé à se poser.

Entre cette convention de Strasbourg et la loi française de 1978 sur les brevets, l'évolution a abouti au fait que les micro-organismes sont devenus brevetables. Dans le même temps cependant, les végétaux et les animaux restaient exclus de cette brevetabilité.

Les possibilités de breveter se sont alors étendues.

C'est ainsi que sont devenus brevetables des compositions de virus ou des population de lymphocytes, des procédés comme ceux concernant les insertions de gènes ou les expressions de gènes, les cultures de cellules, les procédés de production de protéines ou d'anticorps et aussi les combinaisons de procédés et de produits.

C'est dans ce contexte qu'est intervenu le tournant des années 1980 : la décision « Chakrabarty ».

B - Le tournant des années 1980 : la décision « Chakrabarty » .

A l'origine de cette affaire se trouve la revendication d'un chercheur de la compagnie General Electric, Ananda Chakrabarty, portant sur une bactérie modifiée du genre Pseudomonas contenant des plasmides stables capables de dégrader les hydrocarbures.

Dans un premier temps, l'Office des brevets et des marques des Etats-Unis (U.S.P.T.O.) avait déclaré la demande de brevet irrecevable en raison du caractère naturel du produit.

Mais la Cour Suprême, saisie de cette affaire, est revenue sur cette décision. Elle a en effet précisé, pour reconnaître la brevetabilité de cette bactérie, que tout ce qui pouvait être créé de main d'homme était brevetable.

Cette décision est remarquable en ce sens qu'elle consacre ainsi le pouvoir inventif de l'homme auquel rien ne semble devoir échapper et qui peut s'approprier tout ce qu'il crée.

Cette décision est à l'origine d'une accélération du mouvement de brevetabilité de la matière biologique.

Ainsi en 1987 l'instance d'appel de l'Office des brevets américain acceptait de breveter une huître car, estimait-elle, le brevet peut porter sur « tous les organismes vivants pluridisciplinaires non humains et non préexistants dans la nature, y compris les animaux, qui sont les produits de l'ingéniosité humaine ».

Le 12 avril 1988, le même organisme acceptait de breveter une souris transgénique cancéreuse de mère en fille (« Mycmouse ») et en 1992, l'Office européen des brevets (O.E.B.) adoptait la même position.

C'est, comme nous le verrons plus loin, à cette époque, à la fin des années 1988 et au début des années 1990 que débutait la préparation de ce qui allait devenir la directive 98/44 du 6 juillet 1998 sur la protection des inventions biotechnologiques.

Cette évolution peut inspirer quelques réflexions.

C - Quelques réflexions à propos de cette évolution

Après avoir ainsi décrit à grands traits l'évolution qui a aboutit à la brevetabilité du vivant, il faut d'abord souligner la relativité du droit des brevets.

En effet les spécialistes de ce domaine insistent souvent sur sa « neutralité ». Il faut rappeler avec force que le droit n'est en aucune façon neutre. Il est en effet très intimement lié à une conception, naturellement évolutive, de la société.

Compte tenu du développement économique des pays industrialisés de plus en plus basé sur la science et la connaissance, il devenait sans doute inévitable que la brevetabilité du vivant finisse par se poser.

Car comme le souligne M. Jean-Marc Mousseron dans son Traité des brevets, « Tôt ou tard, les systèmes de propriété industrielle rencontrent le vivant et doivent décider l'exclusion ou l'inclusion dans le champ du brevet des espèces animées ou de certaines d'entre elles seulement, avec en arrière plan, sans doute, le souci des interventions concernant l'espèce humaine elle-même ».

De ce point de vue la convention de Strasbourg n'a été qu'une étape. On peut estimer en effet que l'évolution ultérieure était en quelque sorte inscrite dans ces premières décisions car il n'y a pas de frontière objective et évidente entre ces micro-organismes et le reste du vivant.

La portée de cette évolution a été mieux perçue quand les progrès de la connaissance ont montré le « voisinage » génétique de toutes les espèces vivantes à la fois en terme d'organisation mais aussi en termes de constituants. C'est ainsi qu'il a été démontré que les protéines, bases de la vie, sont communes à tous les êtres vivants, y compris l'homme.

Face aux techniques et aux sciences qui progressent le droit a aussi posé un certain nombre d'interdits.

Mais on a parfois l'impression que ces interdits ne sont posés que parce que la technique est ou devient possible.

N'est ce point en effet parce que l'étau se resserrait autour de l'être humain que les législations sur les brevets commençaient à envisager de l'exclure de façon formelle et, maintenant, le font effectivement comme on le verra dans l'article 5 de la directive 98/44 ?

Ces interdits que l'on pose parce que la technique, tout d'un coup fait peur, n'auraient-ils pas non plus comme rôle inconscient de rassurer sur le moment en montrant, de façon involontaire, quelle sera la prochaine étape ?

C'est pour cette raison qu'il me semble tout à fait nécessaire et indispensable d'engager maintenant, une profonde réflexion éthique sur les conséquences des sciences et des techniques dans le domaine de la vie en évitant de succomber à une tentation démiurgique.

Mais cette évolution vers la brevetabilité du vivant n'a pas été due à une recherche scientifique et technique qui ignorerait tout principe d'humanisme.

En effet pour tout homme de science il n'existe aucun et ne doit exister aucune frontière à la connaissance et donc à la recherche.

C'est une attitude qu'il faut très fortement encourager car c'est la seule qui permette et qui a permis dans le passé, de progresser. C'est aussi la seule qui corresponde à la nature profonde de l'Homme de vouloir aller toujours plus avant dans l'élucidation des mystères de la nature.

Mais cette quête sans fin de la connaissance s'effectue à l'heure actuelle dans le cadre d'une mondialisation qui ne reconnaît quasiment plus aucune limite que ce soit à l'ouverture de tous les marchés, c'est-à-dire y compris celui de la connaissance et de la recherche.

Une autre dimension à laquelle se trouve soumise la recherche, et notamment celle en biotechnologies, est le développement de la concurrence économique qui a atteint dans les dernières années, une exacerbation certaine.

Les biotechnologies sont aussi soumises, comme les autres technologies, aux exigences des marchés de capitaux qui ont fait de la rentabilité financière, le plus souvent à court terme, le but de toute technologie.

Il ne s'agit pas cependant de rejeter, a priori, la mondialisation qui ne comporte pas que des aspects négatifs.

Celle-ci est en effet génératrice d'une concurrence, notamment dans le domaine de la recherche, qui peut s'avérer très féconde par l'émulation qu'elle engendre. En effet une activité de recherche qui n'est pas vivifiée par la concurrence perd rapidement toute vitalité et devient incapable d'être source d'innovations.

Or il faut se souvenir que les grandes victoires acquises, notamment, sur les maladies depuis un siècle, mais surtout depuis soixante ans, sont dues à la recherche dans les sciences du vivant. Nous lui devons ainsi, tout au moins dans les pays développés, une longévité accrue tout en bénéficiant en même temps d'une meilleure santé.

Cette recherche dans les sciences du vivant s'impose d'autant plus que nous sommes loin d'avoir vaincu un certain nombre de grands fléaux, comme par exemple le sida, tout comme un grand nombre d'affections touchant principalement les pays en développement.

Mais il s'avère cependant nécessaire de marquer un certain nombre de limites à ce qui est techniquement faisable et ceci est de la responsabilité éminente des hommes politiques. C'est ce que nous nous efforcerons de faire par exemple dans quelques semaines lors de la révision par le Parlement des lois de bioéthique.

Deuxième partie : Le cadre juridique de la brevetabilité du vivant

La brevetabilité du vivant est soumise aux règles du droit national qui s'insère dans un cadre international, les accords dits « A.D.P.I.C. » et la réglementation européenne.

1 - Le cadre international

Le cadre international est celui des « Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce » (A.D.P.I.C.) connu également sous l'acronyme anglais T.R.I.P.S., pour Trade related aspects of intellectual property rights.

A - Les Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (A.D.P.I.C.)

Les accords du G.A.T.T. conclus en 1947 ont voulu instaurer une libéralisation des échanges commerciaux entre les nations du monde. A cette époque, la propriété intellectuelle n'était guère à l'ordre du jour de ce point de vue, les échanges concernant plutôt les produits matériels.

Aucune réglementation visant spécifiquement les droits de propriété intellectuelle dans le cadre du système commercial multilatéral régi par le G.A.T.T. n'avait donc été prévue.

Cette question n'a commencé à être réellement débattue sur la scène internationale qu'au cours des négociations du Cycle de l'Uruguay (Uruguay Round) qui ont duré de 1986 à 1994.

Ce sont les Etats-Unis qui, les premiers, ont soulevé dans le cadre de ces négociations commerciales multilatérales la problématique selon laquelle l'absence de législation exhaustive sur la propriété intellectuelle pouvait être constitutive d'une barrière aux échanges commerciaux.

Un lien a alors été établi entre les droits de propriété intellectuelle et le système commercial multilatéral régi par l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) qui avait succédé à l'organisation du G.AT.T. Il s'agissait de légitimer les possibilités de sanctions contre les nations ne se soumettant pas à des règles strictes en matière de protection de la propriété intellectuelle.

Les négociations ont abouti à la signature de ces A.D.P.I.C. le 15 avril 1994. Le texte de ces accords figure en annexe de l'accord cadre de Marrakech instituant l'O.M.C. Les Etats membres de l'Union européenne sont tenus de s'y conformer depuis le 1er janvier 1996.

Ces Accords visent à définir un cadre d'harmonisation des législations nationales sur les droits de propriété intellectuelle.

Ceux-ci sont des droits attribués à des acteurs privés pour leur contribution au développement de nouvelles technologies et leur donnent le contrôle sur l'innovation qu'ils ont produite, ces droits pouvant prendre différents formes : brevets, marques déposées, copyrights...

B - Les dispositions des A.D.P.I.C en matière de vivant

Les dispositions de ces accords concernant le vivant sont contenues dans les articles 27-1 précisant que des brevets doivent pouvoir être obtenus dans tous les domaines et 27-3(b) qui détermine les possibilités d'exclusions de la brevetabilité.

Selon l'article 27-1 « un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ».

Le vivant est concerné puisqu'il s'agit de toute invention dans tous les domaines technologiques. Il y a également dans cet article la reprise des critères classiques du brevet : nouveauté, invention et application industrielle.

L'article 27-3(b) précise, outre les classiques exclusions pour protéger l'ordre public, la moralité, la santé et la vie des personnes et des animaux, préserver les végétaux ou pour éviter les graves atteintes à l'environnement, que pourront être exclus de la brevetabilité « les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes et les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux autres que les procédés non biologiques et microbiologiques »

Toujours selon cet article, les membres devront prévoir « la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace ou par une combinaison des deux moyens »

La protection des variétés végétales est donc obligatoire, les moyens de parvenir à cette fin pouvant varier. Il faut remarquer que la mention d'un « système sui generis efficace » est une allusion au système de l'U.P.O.V.

Tous les pays membres de l'O.M.C. doivent donc introduire dans leur législation un système de protection des inventions conforme à ces A.D.P.I.C., ce qui est parfois difficile par exemple pour un pays comme l'Inde dont les agriculteurs et les communautés agricoles recourent, traditionnellement, de façon très importante aux semences de ferme, et peu aux semences protégées, pour des raisons d'économie.

La disposition finale de cet article prévoit que ces dernières dispositions « seront réexaminées quatre ans après la date d'entrée en vigueur des accords de l'O.M.C. ».

Ce réexamen aurait donc du avoir été effectué en 1999, ce qui n'a pas encore été fait à l'heure actuelle.

Il semble que le bilan des dispositions de cet article devrait être fait assez rapidement afin de déterminer s'il convient ou non de les modifier à la lumière des évolutions ayant eu lieu depuis 1994 en matière de biotechnologies. La France pourrait certainement prendre une telle initiative comme nous le verrons au dernier chapitre de ce rapport.

2 - Le cadre européen

Au niveau européen existent, hors la directive 98/44, deux textes concernant le vivant : la Convention de Strasbourg et la Convention sur la délivrance de brevets européens (C.B.E.).

A - La Convention de Strasbourg

La Convention de Strasbourg signée par les membres du Conseil de l'Europe en 1963, a eu pour but d'unifier certains éléments du droit des brevets d'invention.

Elle prévoit l'obligation de protéger les procédés micro-biologiques et les produits obtenus par ceux-ci. La protection des variétés végétales ou des races animales ainsi que des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux n'est pas comprise dans le champ de cette Convention. Celle-ci fixe également les critères de brevetabilité ainsi que les cas de non brevetabilité.

B - La Convention sur la délivrance de brevets européens

Cette convention a été conclue à Munich le 5 octobre 1973 et est entrée en vigueur le 7 octobre 1977. Le nombre des signataires est actuellement de vingt pays1 dont quelques-uns ne sont pas membres de l'Union européenne comme par exemple la Suisse ou la Turquie. Il faut signaler que sur requête du demandeur, les demandes de brevet européen peuvent être étendues à un certain nombre de pays autres que les signataires.2

Cette Convention reprend pour l'essentiel les dispositions de la Convention de Strasbourg.

Elle introduit cependant une disposition importante dans son article 53-b. Celui-ci prévoit que « sont exclues de la brevetabilité les variétés végétales ou les races animales, ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention des végétaux ou d'animaux, cette disposition ne s'appliquant pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés ».

La Convention rappelle la distinction entre invention et découverte et pose à l'article 53-a le principe de la contravention aux bonnes m_urs et à l'ordre public. Cette notion est appréciée au cas par cas par le juge et par l'Office européen des brevets (O.E.B.) créé par l'article 4-2-a de cette Convention.

Cette Convention a créé une procédure d'examen unique des demandes de brevets au plan européen qui sont soumises à l'O.E.B.

La Convention sur la délivrance de brevets européens est liée au traité de coopération en matière de brevet (Patent Cooperation Treaty). Celui-ci est un traité international offrant une procédure de dépôt unique et simplifiée. Il a été signé par plus de cent pays. Ce traité est administré par l'Organisation mondiale de la propriété industrielle (O.M.P.I.) dont le siège est à Genève.

C - L'Office européen des brevets

a - L'organisation de l'Office européen des brevets

L'Office européen des brevets (O.E.B.) n'est pas une institution de l'Union européenne.

C'est une organisation intergouvernementale de droit international public instituée par la C.B.E. Son siège se trouve à Munich et il possède un département à La Haye ainsi qu'une agence à Berlin et à Vienne.

L'O.E.B. est dirigé par un président assisté de vice-présidents. Ceux-ci sont nommés par le Conseil d'administration pour des durées variables et sont responsables devant lui.

Le Conseil d'administration est lui-même composé des représentants des Etats contractants. Il dispose de pouvoirs assez importants tant dans le domaine de l'administration que du financement de l'O.E.B. Il accueille également un représentant de la Commission européenne avec un statut d'observateur.

Il faut souligner que s'il n'est évidemment pas dans les pouvoirs du Conseil d'administration de l'O.E.B. de modifier la Convention sur le brevet européen, celui-ci peut cependant amender le Règlement d'exécution de façon assez large. La modification de la Convention ne peut se faire quant à elle, que par une conférence diplomatique des Etats signataires.

Un exemple de ce pouvoir a été fourni par sa décision du 16 juin 1999 entrée en vigueur le 1er septembre suivant intégrant les dispositions de la directive 98/44 dans le Règlement d'exécution de la Convention sur le brevet européen par l'insertion dans celui-ci d'un chapitre VI intitulé « Inventions biotechnologiques ».

Il faut souligner que la France s'est opposée à cette intégration dans le Règlement d'exécution en estimant que cette prise en compte était plutôt du ressort de la Convention elle-même.

L'O.E.B. possède par ailleurs plusieurs organes correspondant aux divers stades de la procédure de délivrance d'un brevet.

Il y a d'abord une section de dépôt chargée de recevoir les demandes de brevet européen, d'en examiner la régularité formelle et d'en suivre l'instruction jusqu'à la présentation de la requête en examen. Cette section est rattachée au département de La Haye où se trouvent également les divisions de la recherche, compétentes pour établir les rapports de recherche européenne.

Les divisions d'examen sont chargées de l'examen des demandes de brevet et sont composées en principe de trois examinateurs techniciens auxquels se joint, si nécessaire, un juriste.

Les effectifs des examinateurs en biotechnologies ont considérablement augmenté : il n'y en avait en tout et pour tout un seul il y a quinze ans et ceux-ci sont au nombre de deux cents actuellement.

Les divisions d'opposition sont compétentes pour examiner les oppositions formulées par des tiers après la délivrance du brevet. Elles sont composées de trois examinateurs techniciens dont deux au moins ne doivent pas avoir participé à la procédure de délivrance. Un examinateur juriste peut compléter la division.

La division juridique est compétente pour un certain nombre de décisions et, notamment, les mentions à porter sur le registre européen des brevets.

Des recours sont possibles contre les décisions des précédentes divisons.

Ils sont portées devant les chambres de recours composées selon les cas de juristes, de techniciens ou de techniciens et de juristes. Ces juges sont complètement indépendants.

Il y a d'ailleurs actuellement un projet de réorganisation de ces chambres de recours visant à les séparer complètement de l'ensemble de l'O.E.B. afin de mettre en évidence leur indépendance, ce qui apparaît souhaitable.

La Grande Chambre de recours, composée de cinq membres juristes et de deux membres techniciens, est compétente pour statuer sur les questions de droit qui lui sont soumises par les chambres de recours ou pour donner des avis sur les questions de droit soumises par le président de l'O.E.B.

En fin on peut noter que l'O.E.B. s'autofinance entièrement. Ses budgets de fonctionnement et d'investissement sont financés exclusivement par des taxes de procédure ainsi que par un pourcentage des taxes annuelles acquittées au titre des brevets européens délivrés.

b - La portée des brevets délivrés par l'O.E.B.

La Convention sur la délivrance de brevets européens prévoit à l'article   64-1 que « le brevet européen confère à son titulaire, à compter du jour de sa publication et de la mention de sa délivrance dans chacun des Etats contractants pour lesquels il a été délivré, les mêmes droits que lui conférerait un brevet national délivré dans cet Etat .»

Pratiquement une demande de brevet européen est déposée en « désignant » un ou plusieurs des pays membres de la Convention. Cette formule signifie qu'est indiqué dans la demande dans quel pays on souhaite voir s'appliquer le brevet s'il est délivré. Il est ainsi possible de « désigner » un, plusieurs pays ou l'ensemble des vingt pays membres de la Convention.

Il faut noter cependant qu'une fois la demande examinée positivement par l'O.E.B., l'invention bénéficie d'une sorte de présomption de brevetabilité. Mais pour que le brevet puisse produire des effets, il faut qu'il soit déposé devant les instances nationales chargées de protéger l'invention.

La conséquence est que l'O.E.B. peut actuellement délivrer un brevet désignant la France portant sur des séquences génétiques humaines suivant les dispositions de l'article 5 de la directive 98/44 intégrée dans le Règlement d'exécution de la Convention. Ce brevet sera applicable en France et ce, malgré les dispositions de l'article 611-17 du Code de la propriété intellectuelle prohibant, comme nous le verrons, les brevets sur le corps humain.

Ce brevet peut être également interprété, le cas échéant par les tribunaux nationaux dans la mesure où la Convention sur la délivrance du brevet européen n'a pas prévu de cour de justice compétente.

Mais il faut garder à l'esprit une disposition très importante à savoir que lorsque les tribunaux nationaux sont saisis à propos d'un brevet européen, ils doivent appliquer les dispositions de la Convention sur la délivrance de brevets européens et celles de son Règlement d'exécution et non le droit national.

c - Quelques réflexions sur l'O.E.B.

L'O.E.B. est l'un des Offices de brevets les plus importants dans le monde avec l'Office américain et l'Office japonais. A eux trois, ceux-ci délivrent 80% des brevets mondiaux.

La recherche des antériorités qui est une activité primordiale pour apprécier le caractère de nouveauté d'une demande de brevet lui a fait développer un important service de recherches qui doit se maintenir constamment au fait de toutes les informations scientifiques et techniques.

Il collecte et organise une masse considérable d'informations provenant de toutes les parties du monde : la documentation interne de l'O.E.B. comporte ainsi plus de 31 millions de documents. C'est donc un très important producteur d'informations dans les domaines des sciences et des techniques dans la mesure où les demandes de brevets représentent les documents les plus actuels sur les innovations techniques.

L'O.E.B. a d'ailleurs également une activité de prestataire de services en étant la division d'instruction d'un certain nombre d'Offices nationaux de brevets dont l'Institut national de la propriété industrielle en France.

Enfin depuis 1988, l'O.E.B. met à disposition des informations en vue d'améliorer en Europe l'accès public et privé aux informations techniques contenues dans les documents des brevets.

L'O.E.B. coopère également depuis 1983 avec les Offices des brevets américains et japonais sur des projets d'automatisation de la recherche et de bases de données.

A côté de ce dynamisme et de cette compétence indéniables il me semble nécessaire de souligner un certain nombre de traits de l'O.E.B.

Outre son aspect assez opaque de l'extérieur, un trait dominant est son fonctionnement assez fortement autocentré.

L'indépendance semble être un maître mot de cette organisation.

On ne perçoit ainsi par exemple pas très facilement si des contrôles peuvent s'exercer sur la façon dont les différents services remplissent leurs différentes attributions.

Un certain nombre d'exemples peuvent être donnés de ce point de vue.

Ainsi il nous a été indiqué que les juges des chambres d'examen sont complètement indépendants. Leur nomination est faite par le Conseil d'administration sur proposition du président, elles-mêmes fondées sur des propositions de comités de sélection internes. Il s'agit donc d'un auto-recrutement interne à l'O.E.B.

Le contrôle de ces chambres d'examen est assuré par cette sorte de « Cour de Cassation » qu'est la Grande Chambre de recours de l'O.E.B. qui statue en dernier ressort.

Un autre exemple de cette résolution des problèmes à l'intérieur de la structure concerne l'éthique.

Il m'a été indiqué qu'il n'y avait pas de comité d'éthique en tant que tel à l'O.E.B.

Les problèmes pouvant se poser dans ce domaine sont résolus par des recommandations adressées aux examinateurs sur les cas susceptibles de poser des difficultés. Il ne s'agit en fait que d'une simple prise de position interne pour harmoniser l'action des examinateurs.

Comme il m'a été spécifié que le Conseil d'administration ne débattait pas de problème éthiques, les sources et les auteurs de ces considérations éthiques restent assez flous. Il ne m'a pas été indiqué si un contrôle de la prise en compte de ces recommandations par les examinateurs était effectué.

Il semble au total qu'il y ait une certaine confusion au sein de l'O.E.B. entre les différents pouvoirs réglant l'organisation de cet organisme.

Certes il m'a été indiqué que l'O.E.B. était en fait contrôlé par vingt ministères de tutelle, c'est-à-dire les représentants des vingt Etats membres. Mais de ce point de vue chacun sait que plus les tutelles sont nombreuses, plus libres sont les organismes ainsi contrôlés.

Il ne semble pas que l'O.E.B. qui poursuit son activité depuis maintenant plus de vingt ans n'ait jamais été autant sous les feux de la rampe. Cette affaire de la brevetabilité du vivant l'a incontestablement fait sortir de l'ombre.

Il serait peut-être nécessaire de se saisir de l'occasion pour non pas l'empêcher d'effectuer un travail de grande qualité qui a été loué devant moi par un certain nombre d'interlocuteurs et dont la collectivité a besoin mais pour préciser un certain nombre de règles.

Il faudrait certainement que son fonctionnement interne pour la délivrance des brevets devienne aussi transparent que le cheminement des demandes de brevet qui peuvent être suivies sur son serveur.

A cet égard il pourrait être possible d'introduire soit dans la Convention elle-même soit dans le Règlement d'exécution des dispositions amenant à plus de transparence dans les procédures administratives de cet organisme. Un certain contrôle démocratique pourrait aussi y être introduit. La France pourrait proposer à ses partenaires au sein de cet organisme une telle démarche.

D - La directive 98/44/CE

Dans ce paragraphe, nous n'évoquerons que la genèse de cette directive, la présentation et l'analyse de ses dispositions étant effectuées au chapitre suivant.

Cette directive adoptée par le Parlement européen le 12 mai 1998 et le 6 juillet 1998 par le Conseil européen n'est que la deuxième mouture d'un texte qui trouve son origine en 1984.

C'est en effet cette année-là que le Conseil européen avait souligné que les biotechnologies étaient un des axes prioritaires de la recherche en Europe et qu'il convenait d'améliorer l'environnement législatif et réglementaire de ce secteur.

Il était souligné qu'il était nécessaire de prévoir un système de droit de la propriété intellectuelle commun à tous les pays membres afin de faciliter la production, la commercialisation et l'utilisation des produits issus des biotechnologies dans l'Union européenne.

Une voie d'action possible était une révision de la Convention sur la délivrance de brevets européens en l'actualisant pour tenir compte des nouvelles possibilités apparues en matière de biotechnologies.

La procédure de révision de la Convention de Munich apparaissait cependant très complexe et les milieux de l'industrie notamment émettaient des doutes quant à la possibilité de son adaptabilité concernant le droit des brevets. Ils considéraient que ce texte ne semblait pas posséder la même capacité d'adaptation que la législation américaine des brevets.

Au surplus, il pouvait se produire des divergences entre les législations nationales des différents Etats de l'Union européenne, divergences que la C.B.E. pourrait ne pas pouvoir résoudre. Cela risquait ainsi à terme de nuire à l'unification économique des pays membres de l'Union européenne et d'entraver les échanges de produits biotechnologiques.

C'est ce qu'indiquent par exemple les « considérants » 5, 6 et 7 de la directive 98/44/CE. En effet ils relèvent que des divergences existant entre les législations et pratiques des différents Etats membres sont de nature à créer des entraves aux échanges commerciaux, au détriment du développement industriel de ces inventions et du bon fonctionnement du marché intérieur.

Il convenait donc d'harmoniser la protection de ces inventions afin d'encourager les investissements dans ce domaine au sein de l'Union européenne.

Pour parvenir à ce but il fut donc choisi d'élaborer une directive.

Une première proposition de directive sur la protection des inventions biotechnologiques fut présentée par la Commission le 20 octobre 1988.

Ce texte avait des préoccupations uniquement techniques.

La Commission estima à ce moment que la dimension éthique des inventions biotechnologiques était prise en compte par la C.B.E. et par les législations nationales des Etats membres.

Ces textes prévoyaient en effet déjà que sont exclues de la brevetabilité les inventions dont la publication ou la mise en _uvre seraient contraires à l'ordre public ou aux bonnes m_urs.

Le Parlement européen examina en première lecture ce texte de la Commission à la fin de l'année 1992. Un nombre assez important d'amendements, 46, furent proposés.

Les amendements adoptés par le Parlement au cours des deux lectures de cette proposition de directive ont principalement eu pour objet d'introduire une dimension éthique ainsi que le « privilège de l'agriculteur ».

Le Parlement européen, pour souligner la dimension éthique de cette question a introduit des amendements excluant la brevetabilité :

· du corps humain et des éléments de ce dernier, « en tant que tels »

· des procédés de modification de l'identité génétique du corps humain contraires à la dignité de la personne humaine

· des procédés de modification de l'identité génétique des animaux.

Après un certain nombre d'allers et de retours entre la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement européen, celui-ci rejeta la proposition de directive le 1er mars 1995.

A la suite de cet échec, une nouvelle proposition de directive fut proposée par la Commission le 13 décembre 1995.

La Commission inséra alors dans sa nouvelle proposition des dispositions de nature à répondre aux principales préoccupations qui s'étaient exprimées lors du débat au Parlement européen sur le premier texte.

C'est ainsi qu'elle visa de façon expresse pour les exclure à ce titre les inventions dont l'exploitation serait contraire à l'ordre public et aux bonnes m_urs et les méthodes de traitement sur les cellules germinales de l'être humain.

Elle exclut au même motif les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances ou des handicaps corporels sans utilité substantielle pour l'homme ou l'animal en ajoutant toutefois « dans la mesure où la souffrance ou les handicaps corporels infligés aux animaux seraient disproportionnés par rapport à l'objectif poursuivi ».

Elle introduit également dans le texte proposé le privilège de l'agriculteur en faveur du bétail d'élevage.

Enfin, une des difficultés principales portant sur l'exclusion de la brevetabilité du corps humain et de ses éléments, la Commission proposa la nouvelle formulation : « le corps humain et ses éléments en leur état naturel ne sont pas considérés comme des inventions brevetables ».

Après discussion et présentation de 64 amendements, le Parlement européen a voté ce texte le 12 mai 1998.

On peut remarquer que 56 « considérants » précédent le dispositif de cette directive alors qu'il n'y en avait que 20 dans le projet initial de la Commission. On peut penser que le nombre important de ces « considérants » reflète les diverses sensibilités qui se sont exprimées au cours de ce débat et qui s'y « sont comme sédimentées » comme l'a écrit un commentateur de ce texte.

3 - Le cadre national

Actuellement en droit national, s'applique l'article 611-17 du Code de la propriété intellectuelle qui est ainsi rédigé :

« Ne sont pas brevetables :

a) Les inventions dont la publication ou la mise en _uvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes m_urs, la mise en _uvre d'une telle invention ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu'elle est interdite par une disposition législative ou réglementaire, à ce titre, le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tel, faire l'objet de brevets [cette dernière partie de phrase étant issue de l'article 7 de la loi n° 94 653 du 29 juillet 1994];

b) Les obtentions végétales d'un genre ou d'une espèce bénéficiant du régime de protection institué par les dispositions du chapitre III du titre II du présent livre relatives aux obtentions végétales ;

c) les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, cette disposition ne s'appliquant pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenu par ces procédés. »

Nous apprécierons ces dispositions au regard de celles de la directive 98/44 dont nous allons entreprendre l'analyse.

Il convient cependant de noter, dès à présent, que ce droit national est de fait déjà contourné, comme on l'a vu, par l'intégration des dispositions de la directive 98/44 dans le Règlement d'exécution de la Convention sur la délivrance de brevets européens.

La question se pose donc de savoir quelle peut être dans ce domaine la valeur et l'utilité de l'intervention du législateur.

Troisième partie : La directive 98/44/CE

Avant d'analyser les dispositions de cette directive, il convient d'exposer la position de l'Office européen des brevets en matière de brevetabilité du vivant.

I - La position de l'Office européen des brevets en matière de brevetabilité du vivant

La décision « Chakrabarty » a eu une conséquence très importante en Europe.

En effet à la suite de la délivrance de ce brevet le président de l'O.E.B. a publié un communiqué relatif à la modification des directives internes concernant l'examen des demandes de brevet pratiqué à l'O.E.B.

Il paraît important d'en citer le passage essentiel : « [...] L'article 53 - b de la C.B.E. peut être interprété en ce sens que la propagation du micro-organisme elle-même est un procédé microbiologique et que, par conséquent, le micro organisme, étant donné qu'il est un produit obtenu par un procédé microbiologique, peut être breveté[...] ».

On peut estimer que la constatation de la brevetabilité du vivant en Europe date de cette époque.

Nous évoquerons sa position en matière de brevetabilité du génome humain et des végétaux et des animaux.

1 - La position de l'O.E.B. en matière de brevetabilité du génome humain

Face au vide juridique sur la question des gènes humains, l'O.E.B. s'est livré à une construction prétorienne dans une décision du 8 décembre 1994.

Dans cette affaire le Howard Florey Institute avait obtenu en 1991 de la part de l'O.E.B. un brevet portant sur un fragment d'A.D.N. codant pour une protéine humaine : la relaxine. Celle-ci est sécrétée par les femmes enceintes sur le point d'accoucher et leur permet d'atténuer les contractions. L'intérêt thérapeutique de cette protéine et ses applications industrielles potentielles étaient donc manifestes.

Mais ce brevet fit l'objet d'une opposition.

Celle-ci fut motivée par le fait que la demande ne remplissait pas les critères de brevetabilité du point de vue de la nouveauté et de l'activité inventive et était contraire à l'ordre public et aux bonnes m_urs.

Cette dernière motivation fut rapidement écartée dès lors que les femmes ont donné leur consentement au prélèvement et que des produits du corps humain sont fréquemment utilisés comme sources de produits utiles.

Dans cette affaire il s'agissait d'une copie d'A.D.N. original qui ne fait pas directement partie du génome humain, d'un « clone du gène » qui porte une molécule d'A.D.N. et qui est répliqué en laboratoire.

L'O.E.B. a estimé qu'il n'y avait pas de différence entre une demande de brevet portant sur une simple copie d'A.D.N. dérivé du véritable A.D.N. ou sur une séquence d'A.D.N. génomique qui, lui, est un élément naturel issu du corps humain.

Concernant la question de la nouveauté et de l'invention, la division d'opposition de l'O.E.B. a jugé que la relaxine s'assimilait à une invention et non à une découverte dans la mesure où un procédé permettant de l'obtenir et de la caractériser de façon convenable avait été mis au point.

La conséquence est qu'un fragment d'A.D.N., dès lors qu'il est isolé et caractérisé, même s'il a été toujours présent dans l'organisme peut être considéré comme nouveau. Donc si une simple substance trouvée dans la nature à l'état brut constitue une découverte non brevetable, la mise au point d'un procédé permettant d'obtenir cette substance sera brevetable.

De même si la substance obtenue peut être isolée et caractérisée dans sa structure et que son existence n'était pas connue auparavant, elle peut être brevetée.

Ainsi la relaxine est obtenue par un procédé qui n'existait pas auparavant, sa structure chimique est caractérisée et une application industrielle lui est trouvée. Les critères sont donc réunis pour l'O.E.B. pour l'attribution d'un brevet.

Cette décision affirmait donc le déplacement de la séparation entre invention et découverte. En effet un gène, en tant que matériel de départ d'un processus technique, est rendu brevetable du simple fait de sa reproduction par ce processus technique qui en découvre l'une des fonctions susceptibles d'application industrielle.

La nouveauté de cette décision était considérable.

Comme le soulignait le Conseil d'Etat dans son rapport de 1999 sur l'application des lois « bioéthique », « ce raisonnement ne va pas du tout de soi puisqu'il suppose que soit conféré un caractère attractif à la notion d'invention pour lui permettre d'inclure, en l'interprétant comme une découverte appliquée, l'identification d'une séquence d'A.D.N. dans son état naturel dans la demande de brevet. »

Il y a donc un déplacement du critère de la brevetabilité du seul caractère de nouveauté vers celui qui devient prépondérant, de l'obtention technique et de l'application industrielle.

Il convient aussi de noter que la conception du gène retenu par l'O.E.B. est celle de l'assimilation à une molécule chimique. Les responsables de l'O.E.B. m'ont indiqué que cette pratique s'est développée à partir de la chimie. Les gènes ont été ainsi tout simplement considérés comme les éléments chimiques, des produits trouvés dans la nature.

Nous verrons dans le prochain paragraphe combien cette décision a influencé le texte de la directive 98/44/CE.

2 - La position de l'O.E.B. en matière de brevetabilité des animaux et des végétaux

A - Les animaux

L'Université de Harvard avait sollicité un brevet en 1985 pour la souris oncogène, Myc Mouse, auprès de l'O.E.B.

A cette époque, la division d'examen a rejeté cette demande car elle s'opposait aux termes des articles 53-a et 53-b de la C.B.E. De plus il était estimé que la description n'était pas suffisante pour mettre en _uvre l'invention sur des animaux autres que les souris.

Le demandeur ayant fait appel de cette décision devant la Chambre de recours, le brevet avait finalement été délivré en 1992.

La Chambre a justifié sa position en indiquant que l'exception prévue à l'article 53-b de la C.B.E. vise certaines catégories d'animaux mais non les animaux en tant que tels.

Après s'être livrée à un travail d'exégèse sémantique sur le terme « race » elle avait conclu que l'exclusion ne vise expressément que les races animales et non pas les animaux dans leur ensemble.

Elle a également précisé que la souris en question n'était pas le résultat d'un procédé essentiellement biologique mais d'un processus non biologique de fabrication de l'animal transgénique par micro-injection.

La conséquence pour la Chambre de recours est que la souris oncogène est a priori brevetable. Par contre ses descendants qui seraient issus d'un procédé essentiellement biologique fondé sur la reproduction sexuée ne seraient pas brevetables.

Enfin examinant les critères de l'ordre public conformément à l'article 53 - a de la C.B.E., la Chambre de recours a indiqué qu'il convient, dans tous les cas, de prendre en considération les souffrances de l'animal au regard de l'utilité de l'invention pour les progrès de l'humanité.

Dans ce cas, la souris oncogène, bien que développant des tumeurs malignes, a été conçue pour comprendre les mécanismes de carcinogenèse, ce qui a justifié la qualification d'invention.

A l'inverse, le caractère d'invention brevetable a par exemple été dénié à une souris transgénique ayant reçu un gène stimulant la pousse des poils pour lutter contre la calvitie.

Ces décisions ont également été la source directe des dispositions de la directive 98/44 concernant la brevetabilité des animaux.

B - Les végétaux

Dans un premier temps, l'O.E.B. avait assez largement admis la brevetabilité des plantes génétiquement modifiées. en faisant pour cela une interprétation large des dispositions de l'article 53-b.

Il estimait en effet que le procédé microbiologique était défini par rapport à son importance dans le résultat à atteindre mais également par rapport au degré d'intervention de l'homme.

En conséquence un procédé de génie génétique nécessitant une étape microbiologique essentielle, comme la transgénèse1, ou des procédés non essentiellement biologiques pouvait faire l'objet d'un brevet.

L'O.E.B. est cependant revenu sur cette position en 1995 dans une affaire de demande de brevet pour une plante transgénique résistante aux herbicides.

Dans cette décision T 356/93 « Plant Genetics System et Biogen », il a posé des règles strictes à la brevetabilité.

Il a en effet indiqué que si les plantes transgéniques n'étaient pas exclues en tant que telles de la brevetabilité, il était néanmoins possible de prononcer l'exclusion si l'invention se révélait contraire à l'ordre public ou si elle constituait un produit issu d'un procédé essentiellement biologique.

De façon plus précise il a affirmé qu'il ne suffisait pas qu'au moins une étape essentielle du procédé considéré soit microbiologique pour qualifier l'ensemble du procédé de microbiologique et donc de brevetable.

Il y a donc là une interprétation stricte de l'article 53-b car il été considéré qu'une étape microbiologique dans le processus technique n'est pas nécessairement suffisante pour déclarer l'invention brevetable.

En outre cette décision a inclus dans l'ordre public des considérations environnementales en indiquant que si l'invention menace gravement l'environnement, elle doit être exclue de la brevetabilité.

A la suite de cette affaire « Plant Genetics System et Biogen », le président de l'O.E.B. avait décrété un moratoire sur la délivrance des brevets dans ce domaine dans la mesure où il n'avait pas été possible de donner une interprétation certaine à l'exclusion de la brevetabilité tant des variétés végétales que des races animales.

Il avait été alors indiqué qu'était attendue une clarification soit des Etats membres de la C.B.E., soit de l'Union européenne.

C'est donc la directive 98/44 qui devait amener les précisions souhaitées par l'O.E.B.

II - La directive 98/44/CE : les dispositions sur la matière vivante

Il semble nécessaire d'attirer l'attention sur les articles 2 et 3 de la directive car c'est sur eux que reposent toutes les dispositions concernant à la fois le corps humain et les végétaux.

L'article 3 est annoncé par le « considérant » 15, stipulant « que ni le droit national ni le droit européen des brevets (convention de Munich) ne comportent, en principe, d'interdiction ou d'exclusion frappant la brevetabilité de la matière biologique »

Par ce considérant la directive affirme ainsi se situer dans le droit fil de la situation juridique existante et donc ne pas innover.

Cet article 3 est ainsi rédigé :

« 1 - Aux fins de la présente directive, sont brevetables les inventions nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle, même lorsqu'elles portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique.

2 - Une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut faire l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel. »

La « matière biologique », quant à elle, est définie avec précision par l'article 2-1-a de la directive : c'est « une matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique ». Cette définition couvre de façon manifeste le vivant dans son ensemble. La matière biologique en cause est bien le substrat matériel comportant une information génétique, soit une séquence de nucléotides A,T,C,G.

Ces deux articles sont rarement en cause dans les discussions sur la brevetabilité du vivant mais ils me semblent tout à fait fondamentaux et en tout cas très éclairants des intentions poursuivies en la matière.

En effet l'article 3 rappelle d'abord dans le premier alinéa les conditions générales de la brevetabilité en soulignant qu'il en est ainsi y compris lorsqu'il s'agit d'un produit composé de matière biologique.

Le second alinéa pose le principe qu'une invention concernant une matière biologique peut être nouvelle, même si celle-ci préexistait à l'état naturel, du moment qu'elle est isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique.

Ce qui me semble tout à fait décisif dans cet article est l'affirmation que la matière biologique est en mesure de remplir les conditions de la brevetabilité. Le vivant est ainsi bien reconnu comme brevetable.

De cette affirmation découlent les dispositions concernant le génome humain, les végétaux et les animaux.

III - La directive 98/44/CE : les dispositions sur le génome humain

Les dispositions sur le génome humains sont prévues aux articles 5 et 6.

1 - Les dispositions du texte

L'article 5 prévoit un domaine non brevetable et un autre brevetable.

A - Le non brevetable

Le premier alinéa de cet article prévoit que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables »

Comme on l'a déjà indiqué une des raisons qui avait motivé le rejet par le Parlement européen du premier projet de directive était la différence entre la découverte, non brevetable, et l'invention, brevetable, en matière de gènes d'origine humaine. Ce débat avait fait irruption à la suite de la tentative des National Institutes of Health des Etats-Unis de breveter des séquences partielles de gènes de fonction inconnue.

L'article 6 prévoit de son côté de façon classique que les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes m_urs ne sont pas brevetables.

Le deuxième alinéa de cet article 6 précise les exclusions de la brevetabilité au titre de l'ordre public et des bonnes m_urs. Ce sont :

- les procédés de clonage des êtres humains,

- les procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humain,

- les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles et commerciales.

B - Le brevetable

Le deuxième alinéa de l'article 5 de la directive prévoit qu'«un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la séquence de cet élément est identique à celle d'un élément naturel.»

Cet alinéa utilise l'expression « peut constituer une invention brevetable ». Il ne semble pas qu'il pourrait y avoir une sorte de choix d'accepter ou de refuser le brevet. Cette expression doit être interprété dans le contexte du droit des brevets et indique que si les conditions de brevetabilité sont remplies, le brevet doit être délivré.

Il semble que toute autre interprétation serait contraire à l'article 27-1 des A.D.P.I.C., cité précédemment, et auquel fait référence l'article premier de la directive dans son deuxième alinéa qui précise que « la présente directive n'affecte pas les obligations découlant, pour les Etats membres, des conventions internationales, et notamment de l'accord A.D.P.I.C [...]. »

Ces dispositions posent un certain nombre de problèmes.

2 - Les problèmes posés par ce texte

Ce texte amène à s'interroger sur la fonction du gène, la distinction invention - découverte et sur sa conception éthique. Ces interrogations nous conduisent à juger les dispositions de cet article 5 contradictoires.

A - La fonction du gène

La directive 98/44 exige pour qu'une séquence d'A.D.N. soit brevetable que soit indiquée une fonction de celle-ci.

Cette exigence n'est pas formulée dans le dispositif, l'alinéa 3 ne requérant que la description concrète de l'application industrielle : « l'application industrielle d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet ».

C'est le « considérant » 23 qui prévoit l'exposé de la fonction du gène pour que soit reconnu le caractère brevetable d'une séquence d'A.D.N. : « une simple séquence d'A.D.N. sans indication de fonction ne contient aucun enseignement technique ; [...] elle ne saurait par conséquent constituer une invention brevetable ».  

Le « considérant » 24 prévoit également « que pour que le critère d'application industrielle soit respecté, il est nécessaire, dans le cas où une séquence partielle d'un gène est utilisé pour la production d'une protéine de préciser quelle protéine ou protéine partielle est produite ou quelle fonction elle assure ».

Il n'y a pas de reprise dans le corps du dispositif de la directive, au bénéfice de l'exposition concrète de son application, de l'exigence de décrire la fonction de la séquence revendiquée.

Cela peut traduire, à mon sens, l'incertitude où on se trouve actuellement en matière de fonction du gène.

Ces dispositions sont en fait la trace laissée par les débats suscités en 1992 et 1993 par les demandes de brevets déposées par M. Craig Venter auprès de l'U.S.P.T.O qui avait lancé tout le débat éthique et technique actuel sur la brevetabilité des gènes d'origine humaine. Ces demandes avaient été rejetées du fait de l'absence d'indications quant aux fonctions exercées.

Cependant si un certain nombre de personnes estiment que ce débat est tranché, ce n'est pas mon opinion compte tenu du fait que l'élucidation de la fonction du gène n'a été que progressive et n'est en effet pas encore déterminée de façon exacte.

a - L'élucidation progressive de la fonction du gène

Le terme de « gène » fut employé pour la première fois par le Danois Wilhelm Johannsen en 1909.

Mais l'idée qu'il existait un support matériel de l'hérédité organisée en particules indépendantes est déjà acceptée par de nombreux biologistes dès la fin du XIXème siècle dans le prolongement des lois de la génétique proposée par Mendel en 1865.

L'existence du gène est donc alors supposée mais non démontrée.

Le positionnement des gènes sur les chromosomes par Thomas Morgan qui établit de façon expérimentale la théorie chromosomique de l'hérédité, va enclencher à partir de 1910 le début du processus d'élucidation de la fonction du gène.

En 1944 est déterminée sa nature chimique puis, on l'a vu, sa structure tridimensionnelle en 1953.

La détermination de sa fonction élémentaire est ensuite établie : il code l'enchaînement des acides aminés formant les protéines.

Au début des années 1960, les biologistes proposent une définition structurale et fonctionnelle simple du gène : c'est un fragment d'A.D.N. permettant la synthèse d'une chaîne protéique.

Mais cette définition va très rapidement se révéler dépassée par la mise en évidence des séquences régulatrices, situées en dehors des gènes mais essentielles pour leur activité. Celles-ci vont faire disparaître les frontières que l'on pensait bien définies du gène et remettre en cause la simplicité apparente de sa fonction.

b - Une fonction non encore déterminée de façon exacte

Les changements les plus importants intervenus ces dernières années concernent la nature de la relation entre le produit direct des gènes et les caractéristiques complexes des organismes vivants.

On a ainsi découvert que les mêmes gènes se retrouvent dans des espèces différentes mais avec des fonctions différentes. Le même gène peut aussi se trouver dans le même organisme avec des rôles différents suivant le type de cellule et le stade de développement. Il est donc impératif de tenir compte de l'environnement intracellulaire des gènes, c'est-à-dire des autres gènes mais aussi des protéines et d'autres molécules que l'on pourrait qualifier de plus « banales ».

Les recherches récentes ont mis l'accent sur les protéines dont on a cherché à élucider le rôle.

Les protéines naturelles sont constituées d'enchaînements de 50 à 30 000 acides aminés pouvant être de 20 types différents. Depuis la publication de la séquence complète du génome humain, il est théoriquement possible d'écrire la séquence - nature et ordre des acides aminés - de presque toutes les protéines humaines. Mais cette simple séquence ne suffit pas pour décrire une protéine, comprendre son rôle biologique et ses interactions avec les autres protéines ou ses substrats.

En effet ces longues chaînes d'acides aminés se replient sur elles-mêmes et adoptent des conformations très spécifiques dans l'espace. C'est cette conformation, dite « structure 3D », qui détermine les propriétés et la fonction d'une protéine.

Or la séquence d'une protéine ne permet pas, à l'heure actuelle, de prédire sa structure 3D qui dépend de l'environnement physico-chimique, par exemple du pH ou du potentiel d'oxydo-réduction, et des interactions avec d'autres molécules.

Il faut donc la déterminer de façon expérimentale au moyen de méthodes physiques telles que la cristallographie ou la résonance magnétique nucléaire. Cependant compte tenu du coût, il est impossible d'explorer expérimentalement chacune des protéines. On a alors recours à des méthodes de bio-informatique que nous évoquerons dans le paragraphe suivant.

Cette attention portée aux protéines à leurs structures et à leurs fonctions a d'ailleurs entraîné la formation d'une nouvelle branche de la biologie, la protéomique.

Avec cette présentation, qui reste nécessairement très succincte compte tenu de leurs complexité, des recherches sur la caractérisation des fonctions du gène, on mesure combien la position de la directive peut sembler fragile d'un point de vue scientifique.

En effet la nécessité de décrire « concrètement » une application précise nécessaire pour pouvoir revendiquer un brevet implique d'avoir au moins une connaissance de son rôle dans un processus biologique.

Cette condition semble difficile à remplir compte tenu de la situation actuelle des connaissances sur les fonctions des gènes.

La métaphore classique assimile les bases de l'A.D.N. à des lettres. Si on suit cette image, il faut ensuite identifier les mots, c'est-à-dire les gènes. Ceux-ci forment alors le texte, c'est-à-dire la séquence génétique. Il reste donc enfin à élucider le sens du texte c'est-à-dire la fonction des gènes.

Une manifestation supplémentaire de la complexité de la détermination de la fonction des gènes est liée au fait que nous ne possédons qu'environ 30 000 gènes au lieu des 100 000 généralement attendus. Nous n'en possédons ainsi qu'à peine deux fois plus que le ver nématode Caenorhabditis elegans qui n'a que 959 cellules.

Cette comparaison amène à conclure que la complexité de l'organisme semble découler essentiellement de la régulation des gènes, de leurs interactions et de celles de leurs produits et non de leur nombre.

Cette situation nous éloigne donc d'un certain nombre de visions simplistes décrivant l'A.D.N. comme le plan de base de l'organisme. Cela montre qu'un nombre de gènes relativement restreint mais pouvant se combiner de façon très complexe peut produire une grande variété de structures et de fonctions.

En fait il semble bien que le gène a été purement et simplement considéré par les auteurs de la directive comme une molécule chimique comme une autre. Cela est dans le droit fil de la décision « relaxine » de l'O.E.B. Ses responsables m'ont d'ailleurs déclaré que la directive ne modifiait en rien la position antérieure et que 200 gènes humains sont déjà brevetés. Ils ont également indiqué que de ce point de vue, il n'y avait aucune raison de faire une différence entre les gènes humains, végétaux ou animaux.

Traditionnellement, comme l'a rappelé récemment M. Jean Weissenbach dans un article de la revue « Futuribles », la connaissance de la structure chimique de composants nouveaux avait pour effet de renforcer la validité d'un brevet. Il est en effet plus facile de défendre un objet chimiquement bien défini dans la mesure où il devenait bien identifiable.

C'est ainsi que des protéines douées d'activité biologique susceptibles d'applications, comme les interférons ou les hormones, rentraient dans cette catégorie.

Cette logique de la synthèse d'une nouvelle molécule chimique que l'on peut estimer être une véritable activité inventive commença alors à s'appliquer à des ensembles de molécules, les gènes, élaborées non par des inventeurs mais par des millions d'années d'évolution.

Cette conception « chimique » du gène a en fait amené une remise en cause de la distinction entre l'invention et la découverte.

B - La remise en cause de la distinction invention - découverte

Une invention doit satisfaire à trois critères pour être susceptible d'être protégée par un brevet : nouveauté, utilité et inventivité.

La nouveauté ne semble pas devoir poser de problèmes dans ce domaine puisque, par exemple, une séquence génétique clonée est bien mise à disposition sous une forme sous laquelle on ne la trouvait pas auparavant.

L'utilité rejoint l'exigence de décrire une application pratique, de démontrer que la séquence génétique en l'occurrence peut servir à quelque chose.

Il n'est pas niable que ce critère peut être rempli en envisageant par exemple les tests diagnostiques qui permettent et permettront certainement de plus en plus de mettre en évidence les origines génétiques d'un certain nombre d'affections.

Reste le problème de l'inventivité.

C'est un problème crucial car en droit des brevets une invention s'oppose à une découverte et il est établi que celle-là est brevetable mais que celle-ci ne l'est pas.

La définition de l'invention est donc essentielle. Le dictionnaire enseigne qu'une invention est à la fois la création de quelque chose de nouveau et la découverte de choses cachées.

Le Code de la propriété industrielle dans son article L 611.10.2 ne donne pas de définition positive de l'invention, se contentant d'en exclure certaines choses comme par exemple, entre autres, les méthodes mathématiques ou les théories scientifiques.

On peut par contre retenir la distinction faite par M. Jean-Marc Mousseron dans son « Traité des brevets » entre invention et découverte :

« La découverte se distingue en ce qu'elle est la perception par voie d'observation d'un phénomène naturel préexistant à toute intervention de l'homme, alors que l'invention se caractérise en ce qu'elle est la coordination volontaire par l'homme de moyens matériels. L'aspect naturel d'un objet distingue la découverte de l'invention industrielle nécessairement marquée par une intervention artificielle de l'homme».

Comme l'on noté de nombreux chercheurs, l'inventivité en matière d'isolement de gènes a considérablement changé depuis un certain nombre d'années.

En effet il y a quelques années, lorsqu'on isolait un gène, c'était le plus souvent après avoir lancé une recherche biologique dans un but particulier. On travaillait ainsi sur une hormone, une enzyme, un récepteur ou un phénomène biologique quelconque et on essayait de trouver le gène responsable.

Pour arriver à ce résultat, on mettait en _uvre une recherche souvent fortement inventive qui permettait d'aboutir au gène. Isoler un gène constituait à cette époque un tour de force expérimental et résultait d'une approche pouvant à juste titre être assimilée à une démarche inventive.

Mais depuis une dizaine ou une quinzaine d'années l'isolement de gènes humains et la détermination de leur structure chimique a considérablement changé grâce à l'apport des puissantes capacités de calcul de l'informatique.

Cette contribution de l'informatique à la biologie a d'ailleurs donné lieu au développement d'une nouvelle branche de celle-ci : la bio-informatique.

Celle-ci a révélé toute son efficacité et son caractère irremplaçable dans le développement du projet « Génome humain » ; sans elle celui-ci n'aurait sans doute pu être envisageable.

L'impulsion déterminante pour ce programme fut la mise au point aux Etats-Unis en 1986 par la société américaine Applied BioSystem du séquençage de l'A.D.N. par fluorescence. Cette société a ensuite mis au point en 1997 le séquenceur à capillaires qui a été à la base de l'accélération considérable de la vitesse de séquençage dans les laboratoires du monde entier.

Cette technique n'a cessé depuis cette date de se développer et de s'améliorer. On estime qu'elle a conduit à augmenter les performances des laboratoires d'un facteur dix entre 1995 et 1997 et de nouveau du même facteur depuis 1997.

Un des problèmes soulevés par les programmes de génomique est en effet l'augmentation considérable des volumes de données biologiques à traiter, celles-ci devant être stockées dans de très grandes bases.

Il est néanmoins difficile à partir de ces données de reconnaître les gènes souvent morcelés dans le génome. L'informatique apporte alors une aide précieuse pour identifier et reconstituer les gènes codant pour des protéines. Des programmes informatiques élaborés à partir des connaissances obtenues sur des milliers de gènes permettent de prédire la localisation des parties codantes des gènes pour telle ou telle protéine.

Ensuite la comparaison, elle aussi automatique, des séquences permet de rechercher parmi l'énorme masse des données les gènes qui présentent des ressemblances avec une séquence étudiée, que ce soit dans le même organisme ou dans toute autre espèce.

Si on connaît déjà la fonction biologique de gènes similaires, on peut alors souvent proposer un rôle pour les gènes étudiés, hypothèse que l'on pourra ensuite essayer de confirmer de façon expérimentale.

Le traitement informatique peut également faire apparaître des modules de structure ou de fonction déjà connue. Celles-ci peuvent alors donner des informations, par exemple, sur la régulation de l'expression du gène ou sur la localisation de la protéine dans la cellule.

La bio-informatique assume donc un rôle essentiel dans cette recherche de l'activité biologique des protéines découvertes. Elle permet ainsi, en déduisant les fonctions probables des protéines à partir de leur séquence, d'aider à identifier les molécules d'intérêt. Elle est aussi capable de prédire si une protéine présente une structure originale - différente des séquences déjà connues et répertoriées - qu'il sera intéressant d'étudier de façon expérimentale.

Le rôle irremplaçable joué dans cette recherche par la bio-informatique conduit de très nombreux chercheurs à estimer abusif de parler d'invention puisque l'essentiel du travail est effectué par des programmes informatiques, certes sophistiqués, qu'il suffit simplement de savoir faire marcher.

Beaucoup de ces chercheurs estiment aussi que les prédictions d'activité biologique qui peuvent être faite au vu des résultats donnés par ces programmes informatiques peuvent rester très souvent assez vagues et les applications potentielles proposées génériques.

M. Jean Weissenbach donne ainsi l'exemple dans l'article déjà cité du cas d'une société de biotechnologies qui a déposé une demande de brevet pour un groupe de gènes de protéines kinases, de séquence certes nouvelle, dont l'activité biologique était déduite de comparaisons de séquences de routine. L'activité biologique ainsi définie restait vague et les applications envisagées dans la demande de brevet ne faisaient que reprendre des faits établis à partir de protéines kinases apparentées et connues par ailleurs. Le brevet fut néanmoins accordé.

Il semble donc que la frontière entre la découverte et l'invention devienne, dans ce domaine, de plus en plus floue. La tendance semble bien s'être établie de ne plus chercher, dans ce domaine des biotechnologies, à faire réellement la séparation entre découverte et invention au profit de cette dernière. Cette attitude serait-elle due à la volonté de faciliter l'appropriation privée du génome ?

C - Les questions éthiques

Comme l'avait noté M. Alain Pompidou au colloque organisé par l'Académie des sciences en 1995 sur la propriété intellectuelle dans le domaine du vivant « le génome présente une haute valeur symbolique dans la mesure où le gène n'est pas seulement une unité d'information génétique : il a la valeur prédictive d'un effet. C'est le cas pour le diagnostic de prédisposition aux maladies ; c'est aussi le cas pour la transmission à la descendance des caractères héréditaires. De ce fait le gène touche au maintien de l'espèce et à la prédiction de sa stabilité. »

Ces questions éthiques ne touchent pas seulement à la seule morale personnelle mais plutôt à l'établissement d'une nouvelle forme de morale pour nos sociétés contemporaines confrontées aux possibilités d'actions offertes par les progrès de la science.

Ces questions éthiques ne sont pas ignorées de la directive car la brevetabilité est refusée à un certain nombre d'opérations par l'article 6 puisque leur exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public et aux bonnes m_urs.

Le « considérant »39 explique les raisons de cette exclusion en notant que « l'ordre public et les bonnes m_urs correspondent notamment à des principes éthiques ou moraux reconnus dans un Etat membre, dont le respect s'impose tout particulièrement en matière de biotechnologie en raison de la portée potentielle des inventions dans ce domaine et de leur lien inhérent avec la matière vivante ».

C'est peut-être la raison pour laquelle le paragraphe 2 de cet article 6 se distingue des législations existantes en la matière dans la mesure où il désigne explicitement, comme nous l'avons vu, trois catégories d'inventions concernant les êtres humains exclues de la brevetabilité, réservant pour le chapitre suivant les exclusions concernant les animaux.

Outre le « considérant » 39 déjà cité, il faut souligner que trois autres « considérants » traitent de ce sujet.

Se référant au « consensus existant au sein de la Communauté » en la matière, le « considérant » 40 pose que l'« intervention génétique germinale sur l'homme et le clonage sont contraires à l'ordre public et aux bonnes m_urs » : il faut par conséquent les exclure de la brevetabilité.

Le « considérant » 41 donne une définition des procédés de clonage humain exclus de la brevetabilité :  cloner un être humain c'est « créer un être humain qui aurait la même information génétique nucléaire qu'un autre être humain vivant ou décédé »

Cette définition correspond à celle donnée à l'article 1 du Protocole additionnel à la convention pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine faite à Paris le 12 janvier 1998.

Quant au « considérant » 42, il précise que l'exclusion de la brevetabilité des utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ne concerne pas les inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s'appliquent à l'embryon humain et lui sont utiles ».

Toutes ces exclusions de la brevetabilité sont certainement bien venues et doivent donc être estimées à leur juste valeur.

Cependant ces articles 5 et 6 de la directive n'abordent pas le problème qui me semble être fondamental c'est-à-dire le caractère du gène et, essentiellement, du gène humain.

Les gènes sont, comme on l'a vu, des enchaînements moléculaires complexes répétitifs et en tant que tels, du fait de leur matière même, ne peuvent être exclues a priori du domaine de la brevetabilité.

Mais la grande difficulté, et il est nécessaire d'y insister, est que le gène a clairement un double statut : celui d'une molécule complexe mais banale, et celui d'un élément du programme des propriétés des êtres vivants et, au premier chef, de l'être humain.

Il faut donc décider si le gène humain doit être considéré comme une simple molécule chimique, comme il en existe tant, et donc brevetable sans difficultés, ou s'il est en définitive autre chose, même si cet « autre chose » est remarquablement difficile, sinon impossible, à définir par des humanistes.

Le Comité consultatif national d'éthique a, en peu de mots, posé les termes du défi éthique de la brevetabilité des gènes humains.

Il souligne en effet « Avec le gène nous sommes au niveau moléculaire où qualifier d'humaine la réalité en cause n'a guère de sens. Cependant le gène humain porte inscrit dans sa séquence des déterminants élémentaires fondamentaux de l'être humain ; son rapport au corps humain est, de ce fait, d'une toute autre signification que pour d'autres molécules ; décrypter l'information que porte le gène, c'est ouvrir la compréhension du vivant et si ce vivant est humain, cette compréhension est fondamentale pour les êtres humains que nous sommes ».

Il tire ensuite les conclusions de la conception « chimique » du gène :

« Comment imaginer, si l'on décidait de traiter le gène comme un produit banal, que cette conception ne s'étendrait pas à une cellule, à un organe ou à des transactions concernant la reproduction ? [...] Ce qui serait dit du gène à propos de la propriété intellectuelle pourrait si l'on n'y prend garde fragiliser la règle qui met le corps humain hors commerce et il faut éviter d'en arriver là. »

Il faut peut-être élargir ce propos à l'ensemble des gènes dans la mesure où les découvertes les plus récentes ont montré la communauté de ces gènes à l'ensemble du vivant, qu'il soit humain, animal ou végétal. Je pense que cette question sera le défi éthique des années à venir.

D - Des dispositions contradictoires 

Cet article 5 de la directive nous semble contradictoire car retenant successivement les deux conceptions du gène pour donner finalement la préférence à l'une.

En effet le premier alinéa renvoie de façon évidente à une conception que j'appellerais « humaine » car reconnaissant qu'il est l'un des constituants de base de la nature humain et participant de ce fait de son éminente dignité. Il est donc logiquement de ce fait non brevetable.

Le second alinéa lui considère le gène comme une simple molécule chimique et le considère donc logiquement comme brevetable bien qu'il soit en rien différent du précédent si ce n'est qu'il a été isolé.

Un certain nombre de commentateurs, notamment les juristes, ont approuvé ces dispositions de l'article 5.

De même la Cour de justice européenne a jugé, dans sa décision du 9 octobre 2001 sur le recours des Pays-Bas (affaire C 377/98), « que s'agissant de la matière vivante d'origine humaine, la directive encadre le droit des brevets de façon suffisamment rigoureuse pour que le corps humain demeure effectivement indisponible et inaliénable et qu'ainsi la dignité humaine soit sauvegardée »

Elle a rejeté de ce fait le moyen des Pays-Bas, qui estimait que « la brevetabilité isolée d'éléments du corps humain, qui découle de l'article 5 paragraphe 2 , de la directive équivaudrait à une instrumentalisation de la matière vivante humaine »

Un certain nombre de critiques ont été adressées à ces dispositions.

Ainsi en avril 2000, nos collègues, MM.  Jean-Fraçois Mattei et Wolfgang Wodarg, député allemand, ont lancé sur Internet un Appel contre la brevetabilité des gènes humains qui a recueilli plusieurs milliers de signatures.

Le Comité consultatif national d'éthique, saisi par le Secrétaire d'Etat à l'industrie le 11 février 2000, a rappelé le principe de non commercialisation du corps humain, principe affirmé par les articles 16-1 et 16-5 du Code civil et reconnu par le Conseil Constitutionnel.

L'Académie des sciences a souligné dans une déclaration du 26 juin 2000, concernant les deux alinéas de cet article 5 que « la détermination de la séquence d'un gène exige son clonage par des procédés techniques d'ailleurs aujourd'hui devenus bien classiques. De la sorte, cet alinéa élimine en réalité toute restriction au dépôt de brevet sur des gènes...ou des fragments de gènes »

Mais il convient certainement de prendre en considération la situation des personnes souffrant de maladies génétiques et qui voient dans la recherche génétique un des espoirs de pouvoir bénéficier de la mise au point de traitements voire, à plus longue échéance, de thérapies géniques.

Il ne fait pas de doute que dans ces cas la perspective de pouvoir breveter les gènes est considérée comme un puissant attrait pour les chercheurs. Nous discuterons plus loin des effets possibles de cette brevetabilité sur la recherche et j'indiquerais alors ce qui me semble souhaitable en la matière.

Il ne fait pas de doute qu'il y a une assimilation complète par la directive des gènes humains à, un produit chimique banal, sauf la précaution énoncée par l'alinéa premier de l'article 5.

On peut d'ailleurs se demander s'il y a une réelle nécessité de la directive de ce point de vue compte tenu de la pratique antérieure de l'O.E.B.

Mais peut-être cette directive aura-t-elle été en définitive fort utile.

Elle aura en effet permis que ce problème de la brevetabilité du vivant et notamment des gènes humains soit placé sur la place publique et puisse ainsi devenir l'objet d'un débat alors que les pratiques de l'O.E.B. en la matière étaient peu connues en dehors des cercles de spécialistes.

Je souhaite que le débat qui n'a fait que s'amorcer sur cette question de la brevetabilité du vivant se développe non seulement en France mais aussi dans l'ensemble de l'Union européenne.

En attendant que les citoyens se saisissent de cette affaire, il me semble souhaitable que le Parlement puisse en discuter au cours d'un large débat qui pourrait être organisé avant la discussion de la transposition de la directive en droit interne. Ce sera une recommandation de ce rapport.

IV - La directive 98/44/CE : les dispositions sur les végétaux et les animaux

Après avoir exposé les dispositions de la directive concernant les végétaux et les animaux, nous évoquerons les problèmes posés.

1 - Les dispositions du texte

Comme l'article 5, l'article 4 est divisé en deux parties abordant d'abord le non brevetable et ensuite le brevetable.

A - Le non brevetable

Aux termes de l'article 4-1 de la directive, ne sont pas brevetables :

- les variétés végétales et les races animales

- les procédés essentiellement biologiques pour l'obtention de végétaux ou d'animaux.

Ces deux catégories ont été définies par l'article 2 alinéas 2 et 3 de la directive.

Ceux-ci sont rédigés de la façon suivante :

Article 2-2 : «  Un procédé d'obtention de végétaux ou d'animaux est essentiellement biologique s'il consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection ».

Article 2-3 : « La notion de variété végétale est définie à l'article 5 du règlement (CE) n° 2100/94. ».

Selon ce règlement qui a institué un régime de protection communautaire des obtentions végétales, la variété végétale est « un ensemble végétal d'un seul taxon botanique du rang le plus bas connu qui, qu'il réponde ou non pleinement aux conditions d'octroi d'une protection des obtentions végétales peut :

- être défini par l'expression des caractères résultant d'un certain génotype ou d'une certaine combinaison de génotypes,

- être distingué de tout autre ensemble végétal par l'expression d'au moins un desdits caractères,

- être considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit sans changement. »

Les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux sont exclus de la brevetabilité, de tels procédés, conformément à la pratique de l'O.E.B. consistant intégralement en des phénomènes naturels.

La directive ne partage pas ici le point de vue de la chambre de recours de l'O.E.B. dans l'affaire « Plant Genetics System » qui a déjà été évoquée.

Le mot décisif est « intégralement ». Il permet d'éviter qu'une étape essentiellement biologique dans un procédé technique de création d'animaux ou de végétaux ne « contamine » l'ensemble du procédé technique en lui fisant perdre sa qualité microbiologique.

B - Le brevetable

L'article 4-2 prévoit que :

« Les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée »

Ce texte signifie qu'une revendication qui porte sur des végétaux, sans revendiquer individuellement des variétés végétales spécifiques, échappe à l'exclusion de la brevetabilité des variétés végétales, même si elle comprend des variétés végétales.

Par exemple une revendication concernant les plantes dicotylédones est admissible alors qu'une revendication sur une espèce de houblon ne le serait pas.

Enfin l'article 4-3 prévoit que sont brevetables les inventions ayant pour objet un procédé microbiologique ou d'autres procédés techniques, ou un produit obtenu par ces procédés.

Les animaux et les végétaux obtenus par des procédés microbiologiques sont donc également brevetables, les procédés microbiologiques étant définis par l'article 2-2 de la directive comme étant « tout procédé utilisant une matière microbiologique, comportant une intervention sur une matière microbiologique ou produisant une matière microbiologique ».

On peut noter enfin l'arrivée en droit positif d'un nouveau concept, le « procédé technique », qui prendra place aux côtés des procédés microbiologiques et essentiellement biologiques.

Ce nouveau terme n'ayant pas de définition précise, on peut donc penser qu'il reviendra à la jurisprudence de la déterminer.

2 - Les problèmes posés

Ces dispositions doivent être examinées du point de vue de l'étendue de la protection, du problème de l'articulation entre certificat d'obtention végétale et brevet, des incertitudes concernant l'animal et enfin du point de vue de la protection de la biodiversité.

A - L'étendue de la protection

Dans ce domaine la directive fait _uvre d'innovation car les questions relatives aux droits conférés n'étaient pas réglées, notamment par la Convention de Munich, qui se limitait aux questions de délivrance des titres.

La matière biologique étant réplicable et susceptible de mutation, la logique de la directive nécessitait de poser des principes répondant à ces caractéristiques.

Il conviendra d'étudier ici l'étendue de la protection ainsi que ses limitations.

a - L'étendue de la protection

Celle-ci est prévue par les articles 8 et 9 de la directive.

· L'article 8

Celui-ci est ainsi rédigé :

«  1 - La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée dotée de ces mêmes propriétés.

2 - La protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l'invention , de propriétés déterminées s'étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de la matière biologique directement obtenue, par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés. »

Le premier alinéa de cet article prévoit la protection de la filiation de la matière biologique protégée.

La protection n'est en effet pas limitée à la première génération : elle s'étendra à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique, c'est-à-dire les générations successives et les variants.

Cette mesure paraît logique dans la mesure où il s'agit de matières reproductibles ou autoreproductibles.

Ne pas prévoir cette protection pour les descendants d'une matière biologique brevetée reviendrait à vider de son sens la protection initiale et, dans certains cas, très rapidement puisque certains organismes, comme les végétaux, peuvent se reproduire dans des laps de temps très courts.

Cependant le problème du contrôle de ces dispositions risque de s'avérer difficile.

En effet pourront s'effectuer des contrefaçons en quelque sorte involontaires quand un animal transgénique ou une plante, qui posera certainement un problème plus aigu, se seront reproduits hors du contrôle de leur maître. Les plantes seront sans doute beaucoup plus difficiles à maîtriser de ce point de vue que les animaux.

Le deuxième alinéa concerne la protection des inventions de procédés. La protection conférée à un procédé s'étend à la matière biologique directement obtenu par ce procédé et à ses générations successives.

Le droit commun des brevets admet que le produit obtenu directement par un procédé breveté est lui-même couvert par le brevet et que le brevet d'un produit intermédiaire s'étend au produit fini qui l'inclut. C'est ce raisonnement que la directive a appliqué aux inventions biotechnologiques.

L'article 9 de la directive étend encore le champ de la protection en l'élargissant au delà des descendants directs.

Cet article est ainsi rédigé :

« La protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s'étend à toute matière sous réserve de l'article 5, paragraphe 1, dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue et exerce sa fonction. »

La protection est étendue dans ce cas en dehors de la filiation envisagée à l'article 8. Il s'agit là d'interdire le libre emploi d'une matière biologique brevetée qui est incorporée dans un autre produit. Ce principe n'est pas, de façon logique, applicable au détenteur d'un gène humain.

La combinaison des articles 8 et 9 donne ainsi au titulaire d'un brevet la possibilité de suivre son invention brevetée partout elle peut se retrouver.

Les conséquences de ces dispositions risquent d'être importantes dans le domaine végétal comme nous le verrons au paragraphe suivant concernant les relations entre certificat d'obtention végétale et brevet.

Les importantes extensions ainsi accordées par la directive s'accompagnent d'un certain nombre de limites.

b - Les limites à l'étendue de la protection

Ces limites sont prévues par les articles 10, 11 et 12 de la directive.

L'article 10 est ainsi rédigé :

«  La protection visée aux articles 8 et 9 ne s'étend pas à la matière biologique obtenue par reproduction ou multiplication d'une matière biologique mise sur le marché sur le territoire d'un Etat membre par le titulaire du brevet ou avec son consentement, lorsque la reproduction ou la multiplication résulte nécessairement de l'utilisation pour laquelle la matière biologique a été mise sur le marché, pourvu que la matière obtenue ne soit pas utilisée pour d'autres reproductions ou multiplications. »

La situation visée ici est celle par exemple d'une levure ou d'une bactérie dépolluante qui se multiplie au fur et à mesure où elle remplit son office.

L'article 11 prévoit dans son premier alinéa « le privilège de l'agriculteur » que nous avons évoqué dans le premier chapitre de ce rapport. Il semble bien que la directive ait voulu en admettant ce principe éviter tout conflit avec les traditions du monde agricole.

Ce privilège ne concerne que les variétés transgéniques et non pas les variétés protégées par un certificat d'obtention végétale.

L'article 12 traite des licences obligatoires pour dépendance.

Deux cas sont envisagés dans lesquels il peut être demandé des licences obligatoires.

Le premier concerne la situation dans laquelle un brevet domine une variété végétale.

L'étendue de la protection conférée sur une matière biologique se retrouvant dans cette variété végétale permettrait au breveté de contrôler l'utilisation que pourrait en faire le titulaire du droit d'obtention végétale. Il s'agit là d'éviter un abus de monopole.

Le second cas est l'inverse de la situation précédente, c'est-à-dire lorsque le titulaire d'un brevet concernant une invention biotechnologique ne peut l'exploiter sans porter atteinte à un droit d'obtention antérieur.

Dans ces cas une licence obligatoire pour dépendance peut être accordée sous réserve de respecter deux conditions essentielles :

- les demandeurs de licence doivent établir qu'ils se sont vainement adressés au titulaire du brevet ou du droit d'obtention végétale pour obtenir une licence contractuelle

- la variété ou l'invention représente un progrès technique important d'un intérêt économique considérable par rapport à l'invention revendiquée dans le brevet ou à la variété végétale protégée.

Cet article est conforme à l'article 31 des A.D.P.I.C. prévoyant les conditions dans lesquelles certaines utilisations sans autorisation du détenteur sont autorisées.

Il peut présenter des difficultés d'application compte tenu notamment des termes de la deuxième condition.

En effet les notions de « progrès technique important » qui devra être de plus « d'un intérêt économique » considérable ne sont pas définies.

En fait ces notions sont certainement trop imprécises et on peut se demander comment un juge pourrait les quantifier. Elle paraissent pouvoir constituer des obstacles très sérieux à la délivrance de licences obligatoires.

B - Certificat d'obtention végétale et brevet

Les relations entre certificat d'obtention végétale et brevet constituent un problème qu'il est fondamental d'évoquer tellement il nous semble caractéristique de l'influence de cette mondialisation sur la brevetabilité du vivant.

Comme on l'a vu dans la première partie de ce rapport, les variétés végétales sont protégées par le certificat d'obtention végétale.

Mais l'irruption des brevets dans ce domaine, risque de profondément désorganiser ce type de protection et de le remettre en cause.

Nous évoquerons de ce point de vue le cas des végétaux transgéniques en nous appuyant sur un article de M. Henri Feyt paru dans le numéro d'octobre 2000 de la revue Biofutur.

Nous considérerons pour faire cette comparaison la Convention U.P.O.V. dans sa version de 1991. Même si la France ne l'a pas encore ratifié, les obtenteurs français peuvent obtenir un certificat d'obtention végétale communautaire valable sur tout le territoire de l'Union européenne auprès de l'Office communautaire des variétés végétales.

C'est d'ailleurs un exemple supplémentaire d'une législation nationale tournée par une disposition communautaire, l'obtention d'un tel certificat d'obtention communautaire étant seulement un peu plus complexe et coûteuse que le certificat d'obtention national.

Comme on l'a déjà mentionné, le système du C.O.V. protège la combinaison spécifique des gènes constituant une variété végétale.

C'est une protection du travail et du talent du sélectionneur en matière d'assemblage de gènes. Il s'agit là d'un travail de patience qui n'aboutit pas à une création ex nihilo. C'est un mélange, une recombinaison de façon aléatoire de plusieurs variétés végétales.

Il faut maintenant apprécier les conséquences des dispositions de la directive 98/44 en la matière et la conjugaison du C.OV. et du brevet pour les variétés transgéniques.

La Convention U.P.O.V. modifiée en 1991 n'exclut pas le principe de la double protection d'une même invention d'un C.O.V. et d'un brevet.

Une comparaison avec le système américain s'impose en la matière.

Comme on l'a vu dans la première partie de ce rapport, aux Etats-Unis, trois systèmes coexistent pour les plantes. Les deux premiers, le Plant Patent Act et le Plant Variety Protection Act de 1970, révisé en 1994 et qui est conforme à la Convention U.P.O.V. de 1991, couvrent des espèces différentes. Le troisième est l'Utility Patent, équivalent du brevet.

Selon son type de reproduction, une variété peut être ainsi protégée par le Plant Patent Act, le Plant Variety Protection Act ou le Plant Variety Protection Act plus le brevet.

Dans ce système seul le Plant Variety Protection Act admet la possibilité de produire des semences de ferme sans limitation de quantité. Par contre la production de semences de ferme de plantes protégées par le Plant Patent Act ou par brevet est impossible sauf contravention.

Cette situation a entraîné en matière de plantes transgéniques brevetées un nombre important de poursuites de la part des entreprises semencières contre des agriculteurs reproduisant, notamment, des plantes transgéniques.

Seul le Plant Variety Protection Act prévoit que l'on peut accéder librement à la variabilité génétique d'une variété protégée, alors que l'accès au matériel protégé par brevet ou par le Plant Patent Act n'est autorisé que pour des recherches à but non commercial. Il y a donc contrefaçon pour un sélectionneur ou un biotechnologue américain à utiliser une variété brevetée dans un programme de croisement ou à introduire un gène breveté dans une variété, sauf accord préalable et, généralement, payant.

Aux Etats-Unis le situation ne souffre pas d'ambiguïté. Les questions pouvant se poser à propos des variétés transgéniques, qui sont toujours protégées par un brevet, sont réglées de facto par la législation déjà existante pour les variétés traditionnelles.

Cette situation entraîne des distorsions de concurrence au niveau mondial.

C'est le cas notamment vis-à-vis des entreprises américaines de semences qui, présentes en Europe, puisent dans le fonds des variétés végétales uniquement protégées par certificat d'obtention végétal alors que des entreprises européennes installées aux Etats-Unis ne peuvent avoir accès au stock génétique américain protégé par brevet.

Dans le système européen, le cas des variétés transgéniques pose un certain nombre de problèmes dans la mesure où leur protection conjugue nécessairement deux systèmes qui s'excluaient a priori : le C.O.V. et le brevet.

La question des semences de ferme est réglée, comme on l'a vu, par l'article 11 de la directive. Sur le territoire de l'Union, les agriculteurs peuvent reproduire les variétés transgéniques dans les mêmes conditions que les variétés classiques, avec un système d'indemnisation similaire à celui qui est prévu par l'obtenteur de la variété initiale.

Se pose également le problème des dépendances entre C.O.V. et brevet.

De ce point de vue, il faut être conscient du fait qu'une bonne variété transgénique est avant tout une bonne variété classique : il n'y a ainsi aucun intérêt à insérer un gène de résistance par exemple à la sécheresse dans une variété de faible rendement.

Il semble que l'invention biotechnologique est le moyen idéal pour faire faire rapidement à une variété un saut technologique important dans un domaine précis mais que la performance de la variété restera ce qui intéressera au premier chef l'agriculteur.

Le généticien moléculaire a ainsi besoin du sélectionneur pour valoriser son travail. C'est cette circonstance qui a amené dans les années récentes un grand nombre d'entreprises semencières multinationales, et en premier lieu américaines, à prendre le contrôle de petites ou moyennes entreprises semencières européennes qui disposait d'un catalogue de variétés très important.

Mais si les intérêts des uns et des autres sont ainsi très liés, il semble bien que leurs positions respectives soient assez inégales.

En effet une firme détentrice d'un gène breveté qu'elle souhaite introduire dans une variété classique protégée par C.O.V. y a librement accès pour effectuer un travail de sélection. La nouvelle variété transgénique est elle-même protégeable par C.O.V. si elle répond à ses critères. Elle sera considérée comme principalement dérivée de la variété initiale non transgénique, son exploitation étant donc soumise à l'autorisation de son obtenteur.

Mais la réciproque ne semble pas strictement équivalente.

Cette situation est due au fait que l'accès du sélectionneur au gène breveté n'est pas aussi libéral que l'accès à la variété végétale.

En effet si l'exemption de recherche n'est pas remis en cause, la directive la prévoyant dans son article 13-3.b, il semble que ses conditions d'application soient, de façon pratique, de plus en plus soumises à la signature de licences de recherche.

En effet la plupart des firmes biotechnologiques européennes, suivant les pratiques de leurs homologues américaines, ont aujourd'hui tendance à exiger, avant toute utilisation du gène par le sélectionneur, y compris à des fins expérimentales, la signature d'une licence de recherche dont le contenu semble plus ou moins négociable.

Certes une fois la variété transgénique mise au point, les deux parties sont bien obligées de s'entendre mais il y a un non parallélisme assez évident avec la situation précédente où la firme de biotechnologie a eu librement accès à la variété protégée par C.O.V.

Comme on l'a vu l'article 12 prévoit ce type de situation mais avec des termes très imprécis.

De plus il sera toujours possible au détenteur du brevet d'effectuer des recours. Un tel type de licence ne pourrait ainsi être délivrée qu'après des années de contentieux et a à un coût financier tel que le demandeur ne sera plus intéressé.

Il serait très souhaitable que l'équilibre entre le C.OV. et le brevet soit beaucoup mieux assuré.

Une autre difficulté considérable tient à l'article 9 de la directive.

Comme l'indique le texte de cet article, la protection du gène incorporé s'étend à toute la variété qui le contient.

La conséquence des dispositions de cet article est que la variabilité génétique de cette variété ne serait plus librement accessible aux sélectionneurs sauf par l'intermédiaire de la licence d'expérimentation qui a déjà été évoquée.

Cette situation semble tout à fait contraire au système de l'U.P.O.V. Elle risque d'apparaître comme inadmissible aux sélectionneurs car on se rapprocherait ainsi du système du brevet américain.

Ce problème m'apparaît tout à fait fondamental. Si on devait arriver à une extension du brevets dans ce domaine, on ne pourrait aboutir qu'à une monopolisation croissante des variétés végétales.

La Commission a semblé très soucieuse de maintenir la concurrence dans le domaine industriel comme l'ont montré un certain nombre d'affaires récentes. On ne peut dès lors que s'étonner qu'elle ne soit pas apparemment préoccupée de ce problème.

Il y a certainement là un risque de faire progressivement perdre à l'U.P.O.V. toute valeur. Il est bon de se souvenir que c'est certainement en grande partie grâce à ce mécanisme que les firmes semencières européennes ont su gagner et préserver une place importante dans cette industrie très internationale des semences.

Mais les solutions à ce problème ne semblent pas devoir être trouvées dans le cadre de la transposition de cette directive.

Elle pourrait l'être par contre dans le cadre de la révision de l'article 27 3. b des accords A.D.P.I.C.

Comme on l'a déjà noté, la protection des variétés végétales peut être effectuée par brevet, par un système sui generis, ou par une combinaison des deux. Nous pensons que la Convention de l'U.P.O.V. devrait être ce système sui generis.

En tout état de cause, il semble qu'il devrait être possible de proposer la mise en place de « l'exception du sélectionneur » dans les droits nationaux des pays reconnaissant le droit des brevets comme protégeant les variétés végétales.

La France pourrait suggérer à ses partenaires de l'Union européenne une solution de ce type. Cela me paraîtrait une manifestation tout à fait bienvenue de la personnalité européenne que l'Union européenne défende activement un système de libre accès à la variabilité végétale qui, finalement, a fort bien réussi depuis quarante ans.

Il conviendrait donc que la France propose à ses partenaires européens d'adopter une telle position lors du réexamen de cet article des A.D.P.I.C. Ce sera une recommandation de ce rapport.

C - Les incertitudes concernant l'animal

Nous avons vu que les races animales sont exclues de la brevetabilité.

Cette disposition a une portée extrêmement incertaine pour ne pas dire inexistante car il ne semble pas qu'il existe une définition scientifique univoque de la race animale et encore moins une définition juridique.

Il conviendrait donc de lancer une réflexion sur ce que pourrait être une définition juridique des races animales, notamment à l'occasion des travaux de transposition de la directive en droit national avant de la proposer à nos partenaires européens. Ce sera une recommandation de ce rapport.

Dans son deuxième alinéa l'article 11 prévoit le « privilège de l'obtenteur d'animaux » reconnu aux utilisateurs d'animaux transgéniques brevetés.

Néanmoins ce privilège reste purement virtuel car comme le dit un commentaire de cet article, « ce n'est pas avant un certain temps que l'on verra du bétail d'élevage transgénique s'ébattre dans les cours de ferme européennes ».

Le troisième alinéa de cet article prend d'ailleurs acte de cette situation en prévoyant que l'étendue et les modalités de cette dérogation doivent être réglées par les lois, les dispositions réglementaires et les pratiques nationales.

Cette disposition nous semble d'ailleurs quelque peu curieuse dans un texte à visée communautaire qui veut homogénéiser les pratiques des Etats membres que de renvoyer ainsi non seulement à des textes nationaux mais aussi à des « pratiques » nationales dont la précision semble bien incertaine.

Cependant il convient de remarquer qu'à l'heure actuelle l'innovation en matière animale porte essentiellement sur des lignées ou des individus utilisés dans la recherche médicale. C'est donc plutôt la brevetabilité des animaux transgéniques qui est susceptible d'intéresser les industries biotechnologiques, les animaux transgéniques ne constituant par ailleurs pas une race.

En matière animale il semble urgent que soit élaborées des définitions un peu plus précises. Il conviendrait notamment de mettre en place dan un premier temps un certificat d'obtention animal parallèle à celui des obtentions végétales. Ce sera une recommandation de ce rapport.

Enfin il faut noter qu'il faudra envisager avec beaucoup de prudence la brevetabilité des animaux et, notamment, de ceux qui ont fait l'objet d'une amélioration continue tout au long de l'histoire de l'humanité.

Il y a en effet un risque non négligeable d'appropriation de l'ensemble des caractères génétiques sélectionnés par les collectivité humaines depuis des siècles.

D - Les problèmes éthiques

Le texte de cette directive prévoit que des problèmes éthiques sont susceptibles de se poser concernant les animaux.

En effet l'article 6-2-d indique que parmi les inventions exclues de la brevetabilité dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public et aux bonnes m_urs figurent « les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à  provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal ainsi que les animaux issus de tels procédés».

En fait il semble bien que la directive se soit contentée de suivre le raisonnement de la Chambre de recours de l'Office européen des brevets dans l'affaire de la « souris de Harvard ».

En effet selon celle-ci il appartient aux offices de brevet nationaux d'apprécier d'une part les réserves qu'appellent les souffrances endurées par les animaux ainsi que les risques éventuels pour l'environnement et, d'autre part, les avantages de l'invention, c'est-à-dire son utilité pour les êtres humains ou les animaux eux-mêmes.

Ce texte peut comporter des difficultés d'interprétation. En effet comment quantifier la souffrance d'un animal et à partir de quel moment « l'utilité médicale substantielle » prévaudra sur les souffrances de l'animal en cause ?

E - Le problème de la biodiversité

La valeur intrinsèque de la diversité biologique a été reconnue pour la première fois au niveau international par la Convention dite de Rio-de-Janeiro présentée dans cette ville à l'occasion du premier sommet de la Terre en juin 1992 et entrée en vigueur en décembre 1993.

Il a été notamment affirmé à ce sommet la nécessité mondiale de préserver la biodiversité, outil indispensable à long terme pour l'alimentation et la santé humaines.

Lors de ce sommet, il avait déjà été question des problèmes posés par la propriété intellectuelle appliquée aux éléments de l'environnement.

Il convient de noter que la Convention de Rio, à la différence des A.D.P.I.C. qui obligent les Etats membres de l'O.M.C. à s'y conformer dans des délais précis, ne comporte pas de dispositions pouvant directement obliger les Etats parties.

La directive 98/44, quant à elle, mentionne à plusieurs reprises cette Convention.

Elle n'est mentionnée qu'une seule fois dans le dispositif, à l'article 1er. Son deuxième alinéa affirme que la directive n'affecte pas les obligations découlant pour les Etats membres de la Convention sur la diversité biologique.

Par contre cette Convention est mentionnée dans ses « considérants » 55 et 56.

Le « considérant » 55 rappelle que les Etats membres doivent, dans le cadre de la mise en vigueur des dispositions pour se conformer à la directive, tenir compte d'un certain nombre d'articles de la Convention sur la diversité biologique : les articles 3, 8 j) et 16, paragraphes 2 (deuxième phrase) et 5.

Ces articles sont ainsi rédigés :

Article 3 :

« Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l'environnement dans d'autres Etats ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction nationale »

Article 8 j) :

«  Chaque Partie contractante, dans la mesure du possible et selon qu'il conviendra :

[...]

j) Sous réserve des dispositions de sa législation nationale, respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l'application sur une plus grande échelle, avec l'accord et la participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et encourage le partage équitable des avantages découlant de l'utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques. »

Article 16 : 

- § 2 (deuxième phrase) :

« Lorsque les technologies [transférées aux pays en développement] font l'objet de brevets et autres droits de propriété intellectuelle, l'accès et le transfert sont assurés selon des modalités qui reconnaissent les droits de propriété intellectuelle et sont compatibles avec leur protection adéquate et effective »

- § 5 :

«  Les Parties contractantes, reconnaissant que les brevets et autres droits de propriété intellectuelle peuvent avoir une influence sur l'application de la Convention, coopèrent à cet égard sans préjudice des législations nationales et du droit international pour assurer que ces droits s'exercent à l'appui et non à l'encontre de ses objectifs »

Il convient de souligner que ce « considérant » 55 ne fait partie du dispositif de la directive et qu'il ne renvoie qu'à la nécessité pour les Etats membres de « tenir compte » de ces articles de la Convention sur la diversité biologique.

Tout ceci est évidemment très peu contraignant d'autant plus que le « considérant » 56 de la directive prend, en fait, acte de l'absence « d'appréciation commune » entre les pays détenteurs de la technologie et les pays en développement sur les relations entre les accords A.D.P.I.C. et les dispositions citées de la Convention sur la diversité biologique.

Un autre « considérant », le 27, de la directive est intéressant à cet égard.

Celui-ci est ainsi rédigé :

« Considérant que si une invention porte sur une matière biologique d'origine végétale ou animale ou utilise une telle matière, la demande de brevet devrait, le cas échéant, comporter une information concernant le lieu géographique d'origine de cette matière, si celui-ci est connu ; que ceci est sans préjudice de l'examen des demandes de brevet et de la validité des droits résultant des brevets délivrés ».

Ce texte trouve son origine dans une proposition d'amendement du Parlement européen.

Celui-ci souhaitait en effet introduire dans le dispositif de la directive un article obligeant les Etats membres à exiger des demandeurs de brevet certaines informations concernant l'origine géographique de la matière biologique faisant l'objet de l'invention. La sanction était le refus de la délivrance du brevet.

Cet amendement n'a pas été accepté car il était contraire à l'article 27-1 des A.D.P.I.C. qui exclue toute discrimination concernant l'origine géographique d'une invention lorsque les conditions de brevetabilité sont respectées. L'état actuel du droit international ne permettait donc pas l'insertion de cette disposition dans le dispositif de la directive.

Pourtant cette connaissance de l'origine géographique d'une matière biologique faisant l'objet d'une invention paraît essentiel pour concrétiser un processus permettant un partage équitable des avantages découlant des ressources de la diversité biologique.

Le « considérant » 27 de la directive est donc simplement l'indication d'une faculté de mentionner l'origine géographique de la matière employée dans une invention sans aucune conséquence sur l'examen des demandes de brevets ni sur la validité des droits résultant des brevets délivrés. On peut donc penser, sans risque de se tromper, que cette mention ne figurera que fort rarement dans les demandes de brevets...

On peut estimer que la directive fait finalement peu cas de ce problème de la diversité biologique.

Sa finalité première étant la protection juridique des inventions biotechnologiques, il était en fait fort difficile de concilier ce souci avec la protection de la souveraineté des pays, et notamment ceux en développement, sur leurs ressources génétiques.

Quatrième partie : les enjeux de la brevetabilité du vivant

Le débat sur la brevetabilité du vivant s'est cristallisé en Europe avec l'adoption de la directive 98/44.

Il nous semble qu'un certain nombre d'enjeux peuvent être distingués : les enjeux éthiques, les enjeux de la diffusion de la connaissance, les enjeux économiques et les enjeux sociaux.

1 - Les enjeux éthiques

Qualifiée de nouvelle « théorie générale des êtres vivants » par Jacques Monod, la biologie génétique introduit une rupture quantitative et surtout qualitative dans les connaissances de l'homme sur les mécanismes du vivant et, d'abord, sur lui-même.

Les biotechnologies ont comme but de décrire la Vie dans son essence la plus intime. Mais elles donnent aussi à l'être humain le pouvoir de la modifier et même de la « réarranger ».

Ce « réarrangement » possible de la vie prendra la forme des thérapies géniques et pourrait donc permettre de guérir de redoutables maladies génétiques qui ne laissent, à l'heure actuelle, malheureusement aucun espoir à ceux qui en sont affectés.

Il pourrait aussi déboucher sur des techniques de clonage reproductif humain que dans, leur délire, quelques-uns envisagent déjà et qu'il convient de proscrire avec la dernière énergie.

Toutes ces possibilités engagent tout un faisceau d'attitudes et de croyances propres à la fois à chacun de nous individuellement, mais aussi, au delà, en termes collectifs, aux sociétés dont nous sommes membres.

Ces potentialités des biotechnologies pouvaient donc déjà susciter des angoisses, contrebalancées par les espoirs suscités en matière de santé.

La possibilité de breveter les séquences génétiques humaines a certainement accru ces sentiments ambivalents à l'égard de ces technologies.

La considérable accélération de cette brevetabilité est une conséquence du décryptage du génome humain qui pourrait rendre possible la connaissance des causes d'un certain nombre d'anomalies génétiques.

A leurs débuts les recherches en génomique ont fait l'objet d'un consensus quasi général car on en percevait les possibles conséquences en matière médicales. Comme le rappelle à ce propos M. Axel Kahn dans son ouvrage, « Et l'Homme dans tout ça ? », le démarrage du programme « Génome humain » à la fin des années 1980 a été salué de façon quasi unanime comme une grande entreprise humaniste. Les premières demandes de brevet ont suivi de près les premiers résultats du décryptage du génome humain. La concurrence qui s'est instaurée ensuite dans ce domaine entre le secteur privé et le secteur public a considérablement renforcé cette pression pour l'appropriation privée du génome.

Celle-ci ouvrait la voie à la commercialisation du corps humain dans la mesure où celui-ci va certainement devenir de plus en plus une véritable source de matières premières pour l'industrie.

De ce point de vue il s'est alors produit un véritable renversement d'attitudes.

En effet jusqu'à maintenant la commercialisation du corps humain évoquait l'esclavage unanimement condamné.

Aujourd'hui on a l'impression que celle-ci est de plus en plus liée à la possibilité de progrès médicaux ou pharmacologiques. Car l'espoir est que cette brevetabilité du vivant constituera un attrait suffisamment puissant pour que des entreprises s'intéressent aux maladies génétiques et investissent des sommes qui devront certainement être considérables dans la recherche de possibles traitements génétiques.

C'est en tout cas l'espoir des personnes atteints de maladies génétiques comme le diabète ou la mucoviscidose qui manifestent parfois une impatience que l'on peut aisément comprendre car l'espérance de guérir souffre mal l'attente.

Mais tandis que l'homme de science et le technicien décryptent le génome humain et pénètrent toujours plus loin dans la connaissance de son fonctionnement, que l'industrie, demain, va synthétiser à grande échelle des oligonucléotides propres à activer ou à inhiber l'expression des gènes et que les juristes appliquent sans retard et sans états d'âme aux gènes les critères de brevetabilité des objets les plus banals, le philosophe et...le politique cherchent encore à comprendre la portée de cette révolution scientifique.

De façon évidente la réflexion éthique et politique a été complètement prise de vitesse et c'est un fait qu'elle accuse, à l'heure actuelle, un retard considérable sur la réalité de la situation.

C'est pour cette raison qu'il me semble nécessaire que soit lancée au plus tôt une réflexion sur le statut du vivant dans nos sociétés. Celle-ci ne peut évidemment être limitée à la France mais doit être conduite au niveau international dans la prolongation de l'article 4 de la Déclaration universelle sur le génome humain adoptée en 19997 par l'U.N.E.S.C.O. disposant que « le génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires ». Ce sera une recommandation de ce rapport.

Cette réflexion ne pourra évidemment aboutir au mieux qu'à moyen terme alors que le politique, lui, est confronté au court terme.

Il occupe ainsi une situation particulièrement inconfortable car il doit prendre en compte à la fois l'impatience des uns, malades, industriels, chercheurs, et les inquiétudes des autres, celles-ci se trouvant certainement à la confluence de trois phénomènes : angoisse vis-à-vis du génie génétique, malaise à l'égard de l'industrie et craintes du monopole susceptible d'être donné en la matière à l'industrie.

Le politique se trouve en effet devant une situation où il peut commettre deux types d'erreurs :

- soit donner son aval trop vite à la brevetabilité du vivant humain en minorant les risques éthiques et aboutir à la banalisation du corps humain, à sa « marchandisation »,

- soit attendre des certitudes scientifiques et éthiques qui retarderaient la recherche au préjudice des malades et aussi de l'indépendance du pays.

Car dans ce domaine il n'est pas possible de faire abstraction du contexte mondial et des enjeux économiques.

2 - Les enjeux économiques

Le mouvement vers la brevetabilité est à mon sens l'illustration d'une certaine mondialisation qui doit nous amener à veiller à mettre en place des  garde-fous pour protéger la recherche dans ce secteur.

A - La brevetabilité du vivant est l'illustration d'une certaine mondialisation

Le terme « mondialisation » possède une très forte charge émotive. D'aucuns voient dans celle-ci un processus bénéfique qui contribuera de façon décisive au développement économique mondial. D'autres, au contraire, y sont très hostiles et la redoutent, estimant qu'elle accroît les inégalités au sein des pays et entre eux, menace l'emploi et le niveau de vie et entrave in fine le progrès social.

Cette mondialisation se caractérise par une abolition de fait de quasiment toutes les frontières essentiellement pour les capitaux et l'information sous toutes ses formes.

Elle possède à n'en pas douter des aspects positifs notamment en termes de communication entre les êtres humains qui permet une propagation très rapide des idées.

Mais elle est aussi marquée par une universalisation des rapports marchands, exacerbée par une concurrence sans limite et sans régulations qui concernent maintenant la quasi totalité des domaines de l'activité humaine.

A cet égard le mouvement vers la brevetabilité du vivant en est certainement une bonne illustration. En effet dès les débuts du décryptage du génome humain la logique économique a fait son entrée dans un secteur, la biologie humaine, qui ne la connaissait guère jusque là. On s'est alors rendu compte qu'étaient là aussi en jeu, dans ce domaine, comme finalement dans tous les autres, des intérêts économiques et financiers, non seulement entre entreprises mais aussi entre pays.

Cette logique économique s'est « naturellement » installée quand le vivant humain est devenu maîtrisable. A partir de ce moment il devenait susceptible d'appropriation privée pour en tirer profit. Ce profit est attendu de marchés qui apparaissent d'ores et déjà virtuellement gigantesques comme ceux des médicaments du futur. Il en est de même du marché des tests de diagnostic qui sont mis au point par les entreprises de biotechnologies dans le cadre du développement de la médecine prédictive. A cet égard ce qu'on appelle « l'affaire Myriad Genetics », que nous évoquerons plus en détail dans le paragraphe suivant, est certainement exemplaire et annonciatrice de l'avenir.

L'exploitation du vivant humain est ainsi en passe de devenir un secteur économique comme un autre.

Dans cette conception l'être humain est réduit à la dimension d'un patrimoine à faire fructifier. Il doit donc, selon cette logique, pouvoir faire l'objet de brevets.

Il est fort dommage que l'Union européenne n'ait pas voulu ou pas su se démarquer de cette approche tout économique de ce problème. Mais n'était-ce pas un signe que de le confier à la Direction du marché intérieur de la Commission, plutôt, par exemple, qu'à celle de la recherche ?

Elle a de fait entériné les positions prises par l'O.E.B. dans ces matières, elles-mêmes justifiées par des auto interprétations de la Convention sur la délivrance de brevets européens.

Il faut en effet rappeler que celui-ci avait assimilé, bien avant d'intégrer le texte de la directive 98/44 dans le Règlement d'exécution de la C.B.E., les gènes aux molécules synthétisées par l'industrie chimique.

On peut souligner qu'aucune autorité détenant une légitimité démocratique n'est intervenue pour autoriser l'O.E.B. à faire ce choix, de même que cette directive est devenue applicable en France, comme on l'a vu, sans aucune intervention du législateur.

La brevetabilité du vivant est ainsi exemplaire d'une certaine mondialisation, celle qui fait fi non seulement de toutes les frontières mais aussi de toutes les autorités démocratiques légitimes pour imposer ses lois de la rentabilité économique.

C'est pourquoi il convient de mettre en place des garde-fous pour protéger la recherche.

B - Mettre en place des garde-fous pour protéger la recherche

Il est essentiel de souligner que l'accès à la connaissance ne doit pas être freinée par l'existence de brevets car c'est le problème de la recherche qui est ainsi posé. Cette question est d'ailleurs d'autant plus sensible que l'on touche à l'humain.

C'est le sens de la déclaration commune du 14 mars 2000 du Président des Etats-Unis, M. Bill Clinton, et du Premier ministre britannique, M. Tony Blair.

Ces deux personnalités ont en effet demandé aux scientifiques du monde entier de placer dans le domaine public toutes les informations concernant le décryptage du génome humain. Il faut souligner que cette déclaration s'adressait en particulier aux sociétés privées travaillant dans ce domaine et qui n'autorisent l'accès aux informations en leur possession que moyennant paiement.

Le droit des brevets ne s'oppose pas de façon automatique à l'accès aux connaissances.

Ainsi la directive reconnaît-elle dans son article 13-3-b l'exemption de la recherche, c'est-à-dire le droit pour les tiers d'utiliser la matière biologique brevetée à des fins expérimentales.

Mais cette exemption rencontre un certain nombre de limites.

En effet si un tiers apporte un perfectionnement à une matière biologique brevetée, un gène par exemple, ou s'il l'utilise en tout ou en partie pour une nouvelle invention, il pourra obtenir un brevet. Mais il ne lui sera pas en principe possible de la commercialiser pendant les vingt années de la durée de validité du brevet, sans que le titulaire de celui-ci n'accorde une licence de dépendance qui ne sera donnée que contre rémunération.

C'est une situation qui peut être à même de décourager les chercheurs, notamment, ceux du secteur public. Elle pourrait entraîner une concentration de la recherche et du développement entre les mains de quelques entreprises.

Mais ce procédé normal et courant dans la vie industrielle acquiert une autre dimension en matière de vivant.

En effet nous avons vu que les fonctions d'une même séquences génétique peuvent être très diverses. Une revendication peut ainsi être très large et même couvrir toutes les applications génériques possibles même celles qui n'ont même pas été entrevues.

Cette situation est illustrée par l'affaire du récepteur CCR5.

Il s'agissait à l'origine d'un brevet obtenu dans les années 1990 par la société américaine Human Genome Science sur un A.D.N. complémentaire qui avait été séquencé au hasard. L'étude informatique avait alors montré qu'il avait le pouvoir de commander la synthèse d'une protéine membranaire intervenant dans la transmission de signaux à la cellule. Ce brevet revendiquait ainsi l'utilisation de la séquence non seulement pour ce à quoi on avait alors pensé - le contrôle de l'information, de la croissance et des régulations cellulaires - mais aussi pour tout autre usage générique.

Mais à la fin des années 1990, une équipe de chercheurs de l'Université libre de Bruxelles (U.L.B.) découvrait que cette protéine CCR5 était un corécepteur du virus de l'immunodépression humaine (V.I.H.) et qu'il était indispensable à sa pénétration dans la cellule. Ni l'analyse biologique ni les banques de données de séquences utilisées par cette institution ne devaient quelque chose à l'activité et à l'inventivité de la firme Human Genome Science. Il faut bien insister sur le fait que jamais dans ce cas, Human Genome Science n'avait eu l'idée de cette fonction..

Mais l'application du droit des brevets a comme conséquence que Human Genome Science est fondée à exiger la négociation d'une licence pour que l'U.L.B. ou un autre intervenant puisse développer une recherche de médicaments contre le sida qui pourrait être basée sur des inhibiteurs de l'internalisation du V.I.H.

Si l'U.L.B. décidait de passer outre, de ne pas solliciter une telle licence, elle aurait alors à faire face aux énormes frais en contrefaçon de brevet dont la menace peut être aussi dissuasive que la négociation de licences. Si elle souhaitait faire un recours devant les tribunaux, elle s'exposerait également à l'engagement de frais très importants.

On peut d'ailleurs remarquer que la généralisation de ce système de dépendance entraînerait une augmentation des coûts des médicaments issus de la connaissance du génome humain.

Nous reviendrons dans le paragraphe suivant sur les enjeux sociaux de ce problème.

La recherche publique qui est plutôt focalisée sur la recherche fondamentale, pourrait également être affectée par cette situation. Elle risque ainsi d'être considérablement gênée pour valoriser sa recherche en aval comme les pouvoirs publics l'y invitent depuis un certain nombre d'années. Elle se heurtera alors au problème de la dépendance, ce qui ne facilitera pas la valorisation de sa recherche.

Ces dépendances en matière de brevet sont une des conséquences de l'acceptation par les Offices de brevets de revendications trop larges dans les demandes des déposants.

A cet égard on peut revenir sur la politique suivie en la matière par l'Office des brevets américains, l'U.S.P.T.O.

A la fin de l'année 1998, l'Office des brevets américains accordait à la société Incyte un brevet portant sur des E.S.T. (Expressed sequence tags) qui sont de courtes séquences d'A.D.N., en général de l'A.D.N. complémentaire (A.D.N.c) comportant 100 à 150 nucléotides correspondant à une des extrémités d'un A.R.N. messager (A.R.N.m). Celle-ci servent à « étiqueter » les gènes et à permettre de décoder de longues séquences d'A.D.N.

Bien que dans la plupart des cas il s'agisse d'un morceau de gène dont on ignore très souvent la fonction exacte, l'Office américain avait admis que ces E.S.T. pouvaient répondre au critère d'utilité si les applications potentielles étaient suffisamment décrites.

Les milieux scientifiques s'étaient émus à l'époque des conséquences possibles d'un tel type de brevet. Ils craignaient en effet que le propriétaire d'une E.S.T. n'ait également des droits sur le gène complet séquencé grâce à l'outil que constitue l'E.S.T.

Après avoir été critiqué à ce sujet l'U.S.P.T.O. a souhaité renforcer le critère d'utilité des inventions.

Depuis janvier 2001 de nouvelles règles sont en vigueur pour relever le seuil d'utilité.

Désormais une invention doit avoir :

- soit une utilité apparente bien établie (well-established utility)

- soit revendiquer une utilité crédible, substantielle et spécifique.

Lors de l'examen d'une demande de brevet, l'examinateur devra par conséquent vérifier soit que l'invention en cause a par elle-même (per se) une utilité qui apparaît évidente à un homme du métier, soit que l'invention démontre une utilité spécifique, substantielle et crédible, ces trois sous-conditions étant cumulatives.

La spécificité fait référence à l'objet spécialement revendiqué dans l'invention et contraste avec une utilité générale ou générique qui serait applicable à l'ensemble des membres d'une même espèce ou classe.

De ce point de vue, un polynucléide qui serait utilisé simplement comme marqueur de chromosome ne pourrait être considéré comme spécifique s'il n'indiquait pas une cible particulière dans l'A.D.N.

Il en serait de même pour un gène utile pour diagnostiquer une maladie sans que celle-ci soit précisée.

La substantialité renvoie directement à l'application pratique de l'invention. Ainsi si des recherches sont nécessaires pour identifier ou confirmer un contexte d'application pratique, il n'y a pas utilité substantielle. Au contraire une séquence d'A.D.N. codant une protéine utile ou servant de marqueur pour une maladie génétique donnée remplira cette condition d'utilité substantielle.

La crédibilité quant à elle fait référence à la fiabilité des faits et informations fournis par le demandeur. Elle sera examinée du point de vue d'une personne raisonnablement compétente dans le secteur de l'invention.

Ces nouvelles règles d'examen vont sans doute rendre plus difficiles dans le domaine des biotechnologies le dépôt de demandes de brevet à un stade encore peu avancé des recherches. On peut penser qu'il sera désormais plus difficile de breveter une molécule d'A.D.N. simplement séquencée mais dont on ignore la fonction biochimique, même en revendiquant une utilité en tant que sonde, comme une E.S.T.

Les conditions de description détaillée de l'invention lors de la demande de brevet a également fait l'objet d'un renforcement.

C'est la Cour d'Appel pour le Circuit Fédéral, dans une décision Regents of the University of California v. Eli Lilly and Co de 1997 qui a établi le niveau de description nécessaire dans le cas d'une invention revendiquant un genre composé de plusieurs espèces.

Dans cette affaire était en cause un brevet portant sur un gène codant pour l'insuline. Celui-ci a été en partie jugé non recevable car la description de l'invention ne concernait que l'insuline du rat alors que la revendication couvrait également l'insuline de tout mammifère, y compris l'être humain. Cette description n'a donc pas été jugée suffisante.

La conséquence de cette décision est que la description d'une invention contenant des revendications larges ou génériques doit être particulièrement détaillée si son inventeur souhaite obtenir un brevet.

L'U.S.P.T.O. a adapté, à la suite de cette décision, son examen des demandes de brevet afin de déterminer si la condition de description détaillée de l'invention est ou non remplie.

L'ensemble de ces adaptations des règles d'examen devrait permettre d'écarter à l'avenir des revendications génériques qui aboutissent à des protections beaucoup trop étendues.

Mais il n'en demeure pas moins un problème en matière de brevets dépendants.

J'estime que les réglementations actuelles en matière de brevets ne permettent pas de stimuler l'innovation car elles encouragent, malgré les mesures prises aux Etats-Unis, des dépôts de demandes trop en amont des applications. Les demandeurs ont donc normalement tendance, compte tenu de la situation, à « tenter leur chance » devant les offices de brevets avec des revendications exagérées.

Face à ce problème, les spécialistes du droit des brevets estiment que les litiges trouveront toujours une solution devant les tribunaux ou par des compromis.

On peut donc prévoir un développement considérable des litiges juridiques dont les avocats seront les premiers gagnants. Ces recours ne seront en fait ouverts qu'aux entreprises les plus riches au détriment de ceux qui n'ont que leurs idées pour vivre.

Les recours auront aussi avoir l'immense inconvénient de retarder des actions de recherche car un tribunal voudra nécessairement dans ce domaine ordonner des expertises qui peuvent être longues. En fin de compte, quand le litige sera résolu, la recherche n'aura sans doute plus guère d'intérêt à être entreprise.

Une éventuelle solution résiderait peut-être, comme me l'a suggéré Mme Noëlle Lenoir, dans une sorte de réexamen de la portée des revendications acceptées par l'autorité ayant délivré le brevet au bout d'une période qui pourrait être de cinq ans. Il faudrait donc prévoir une procédure de redéfinition du périmètre des brevets accordés en cas de constatation d'une étendue qui se révélerait manifestement trop large.

Il était concevable que le droit des brevets concernant les choses inanimées soit applicable aux animaux ou aux plantes. Cela ne peut pas être le cas pour les brevets concernant l'être humain. Il ne paraît pas en effet possible qu'une entreprise privée possède un monopole sur une partie du vivant et qu'elle s'approprie donc par des brevets de produit des éléments de la nature.

Autant il nous semble normal que les procédés ayant permis de définir ou de purifier une séquence génétique et les applications en découlant puissent, sauf à considérer les enjeux sociaux existant, faire l'objet de brevets, autant la propriété de la séquence génétique d'origine ne paraît pas du tout souhaitable. Il faut donc développer un droit autonome des brevets en matière de biotechnologies lorsque l'être humain est concerné.

Mais compte tenu de la communauté d'un nombre important de caractéristiques entre les êtres humains et des autres formes de vie, il pourrait apparaître que c'est l'ensemble des biotechnologies qui devraient relever d'un droit autonome, d'un droit spécialement adapté aux caractéristiques des êtres vivants.

Nous sommes bien conscients que cela ne peut être une affaire simple. Mais il convient d'y réfléchir. Ce sera également une recommandation de ce rapport.

La considération des enjeux sociaux de la brevetabilité du vivant apporte un nouvel appui à cette proposition.

3 - Les enjeux sociaux

Le décryptage du génome humain, formidable étape scientifique s'il en est, touche maintenant à sa fin. Dès lors, la question des conditions de l'utilisation scientifique et donc médicale et sociale de ces connaissances devient essentielle.

En effet les connaissances qui découleront du séquençage du génome humain permettront de comprendre la structure et le fonctionnement des protéines issues d'une ou de plusieurs familles de gènes. A partir de là il sera possible d'envisager un certain nombre d'applications thérapeutiques.

Parmi celles-ci on peut citer la synthèse de protéines médicaments, la thérapie génique, c'est-à-dire la correction de défauts génétiques par transfert de gènes fonctionnels et la pharmacogénétique qui étudie les facteurs génétiques influençant le métabolisme médicamenteux. Les développements de ces deux derniers domaines restent cependant encore très limités compte tenu des considérables difficultés techniques et des coûts hautement prohibitifs.

Dans le domaine clinique on peut penser que cette identification des gènes et de leurs fonctions pourra déboucher sur un bouleversement d'un certain nombre de pratiques médicales.

Parmi celles-ci il est possible que puissent se généraliser les « examens génétiques ». Ceux-ci pourraient révéler des informations utilisables pour confirmer ou établir un diagnostic ou pour anticiper la survenue d'une maladie, dans le cadre, dans ce dernier cas, de la médecine prédictive.

Ces perspectives peuvent être enthousiasmantes et donner un réel espoir aux personnes souffrant de maladies génétiques, la question se posant alors de savoir quelle sera l'organisation de l'offre médicale et l'accessibilité des patients à ces innovations.

Il semble que l'affaire des gènes de prédisposition au cancer du sein soit emblématique des difficultés qui risquent d'intervenir dans ce domaine.

La recherche des gènes potentiellement responsables de la multiplication des cancers du sein dans certaines familles commence à la fin des années 1980 sur la lancée des programmes de décryptage du génome humain. Les premiers travaux donnent lieu à des échanges assez classiques entre des cliniciens fournissant les échantillons d'A.D.N. provenant des familles atteintes et des généticiens et biologistes tentant de localiser les régions chromosomiques suspectes.

La localisation du premier gène de prédisposition BRCA 1 (BRCA 1 pour Breast Cancer) est effectuée en décembre 1990 par une équipe universitaire de Berkeley. Le second gène BRCA 2 est localisé en décembre 1995 par un consortium de laboratoires publics européens, américains et canadiens. Ces deux gène sont aussitôt brevetés.

En mai 1998, après un certain nombre de péripéties, la société américaine Myriad Genetics se retrouve la seule propriétaire des deux gènes avec un monopole très étendu sur les connaissances et les applications de ces gènes.

En effet, les revendications de ces brevets sont très larges et couvrent toute reproduction de la séquence d'A.D.N. et tous les produits dérivés : sondes, amorces, anticorps, animaux transgéniques porteurs d'un allèle altéré, toutes méthode de diagnostic d'une prédisposition d'un cancer du sein ou des ovaires ainsi que les applications à des fins thérapeutiques et de criblage génétique. De plus ces revendications ne comportent pas de limitation quant à la technique utilisée pour la mise en évidence d'une mutation.

Myriad Genetics a alors axé sa stratégie sur deux domaines : les usages thérapeutiques qui réclament un développement complexe et long et les usages diagnostiques beaucoup plus simples à mettre en _uvre et autorisant un retour sur investissement plus rapide.

Dans le cadre du développement de ce deuxième domaine, cette entreprsie s'est engagée à partir de 1996 dans le marché du dépistage des mutations des gènes BRCA1 et BRCA 2 grâce à la mise au point d'un certain nombre de tests diagnostiques.

La particularité de cette politique est que ces tests ne sont pas vendus sous forme d'ensembles prêts à l'emploi (kits) mais comme services directement produits dans une unité de réalisation en série de tests par Myriad.

Grâce à ses brevets et à son organisation industrielle, cette firme a ainsi progressivement étendu son contrôle sur le marché des tests du cancer du sein non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe où elle a obtenu des brevets auprès de l'O.E.B.

Il faut noter que l'Institut Curie de Paris a fait opposition à ces brevets devant l'O.E.B. Cette affaire a aussi fait l'objet d'une résolution du Parlement européen du 4 octobre 2001 critiquant la délivrance de ces brevets.

Cette firme a ainsi entamé la prospection du marché européen des principaux laboratoires cliniques en leur proposant un accord de licence. Les conditions de celui-ci sont les suivantes : envoi par ceux-ci à Myriad des prélèvements biologiques des personnes pour la détection des altérations moyennant un prix de 2 400 dollars (soit plus de 15 000 F) par échantillon, détection ensuite par eux de la mutation caractérisée par Myriad chez les autres membres de la famille contre une redevance de 45 dollars (environ 350 F) par sujet testé.

Ce type de proposition pose un certain nombre de problèmes.

Tout d'abord il convient de souligner le coût très important des tests proposés : soit il est acquitté par un système collectif mais représentera alors une charge très lourde, soit il ne l'est pas et il y aura une discrimination inadmissible entre les patients fortunés et les autres.

D'autres conséquences méritent d'être notées.

On peut d'abord penser que cette situation entraînera une perte de connaissances pour les laboratoires qui accepteraient ce genre d'accord dans la mesure où ils seraient confinés dans des tests de routine. Ensuite ce monopole des opérations de haute qualification dissuadera les chercheurs d'entreprendre de nouvelles recherches dans ce domaine. Enfin les contrôles de qualité de ces tests par des laboratoires extérieurs seront rendus pratiquement impossibles.

Il convient aussi de souligner un grave problème : celui de la confidentialité liée à la circulation des prélèvements entre les laboratoires européens et ceux de Myriad aux Etats-Unis.

Enfin on notera qu'il serait ainsi loisible à la société Myriad Genetics de se constituer à peu de frais un fichier des personnes atteintes de cette altération génétique.

Cette affaire illustre les conséquences de l'étendue excessive de certains brevets sur le vivant qui interdit de fait toute concurrence, et donc tout progrès, dans un domaine. Elle pose également le problème de l'accès aux tests, compte tenu des coûts. Demain le problème se posera certainement pour des médicaments issus du génie génétique et brevetés.

Il y a donc des risques très importants de grever de façon considérable le prix des produits qui seront mis à la disposition des malades.

Le problème de l'accès des pays en développement se posera certainement aussi.

Un certain rapprochement peut être ainsi fait avec l'affaire des médicaments génériques de lutte contre le sida en Afrique du Sud.

On se rappelle que 39 laboratoires parmi les plus importants du monde avaient, il y a trois ans, attaqué une loi sud-africaine qui accordait au ministre sud-africain de la santé le pouvoir d'autoriser les importations de copies de médicaments de marque, des génériques, contre le sida. Selon les entreprises pharmaceutiques, cette autorisation violaient les accords internationaux en matière de propriété intellectuelle.

Le gouvernement sud-africain faisait valoir pour sa part que les prix pratiqués par ces multinationales rendaient impossible toutes possibilités de soins pour la population sud-africaine victime du sida.

Face à la pression de l'opinion publique mondiale, les laboratoires ont retiré en avril 2001 leurs plaintes, sans avoir obtenu de réelles contreparties.

L'affaire a trouvé son épilogue à la dernière réunion de l'Organisation mondiale du commerce à Doha à la mi-novembre dernier.

Il y a été ainsi été décidé que « l'accord A.D.P.I.C. n'empêche pas et ne devrait pas empêcher les membres [de l'organisation] de prendre des mesures pour protéger la santé publique »

Cela accorde le droit aux pays en développement producteurs de médicaments de fabriquer des médicaments génériques moins coûteux pour lutter contre les grandes pandémies comme le sida. Cette affaire rappelle la confrontation existante depuis longtemps entre le droit des brevets et les impératifs de santé publique en matière de médicaments.

On ne peut pas exclure que ce problème, et cette confrontation, risquent de se poser de nouveau en matière d'inventions biotechnologiques.

Aussi il me semble à la lumière des affaires du gène CCR5 et Myriad Genetics, et en attendant une réforme d'ensemble du droit applicable aux biotechnologies, qu'il convient que soit élargi le système des licences obligatoires et des licences d'office dans le cadre de la préservation de la santé humaine.

La licence obligatoire est prévue par l'article 31 b des A.D.P.I.C. stipulant que l'utilisation de l'objet d'un brevet « pourra n'être permise que si, avant utilisation, le candidat utilisateur s'est efforcé d'obtenir l'autorisation du détenteur du droit, suivant des conditions et des modalités commerciales raisonnables, et que ses efforts n'ont pas abouti dans des délais raisonnables (...) ».

Comme on l'a vu l'article 12 de la directive prévoit les conditions de délivrance de ces licences obligatoires.

 

L'extension des licences obligatoires et d'office a été prévue de manière heureuse dans le projet de loi de transposition de la directive qui vient d'être adopté en Conseil des Ministres.

L'article 10 du projet de loi modifie ainsi l'article L 613-15 du Code de la propriété intellectuelle de façon à élargir les possibilités d'octroi de licences non volontaires de dépendance, en supprimant la condition d'intérêt public et le délai avant l'expiration duquel, trois ans après la délivrance d'un brevet ou quatre ans à compter de la date du dépôt de la demande, il n'est pas possible, dans la situation actuelle, de formuler une demande.

Cet article substitue aussi la notion de brevet dépendant, plus large, à celle de brevet de perfectionnement.

L'article 11 du projet de loi, quant à lui, modifie l'article 613-16 du Code de la propriété intellectuelle.

Il a pour but de ne pas limiter l'octroi de licences d'office aux seuls brevets de médicaments mais d'inclure dans son champ d'application les dispositifs médicaux à visée thérapeutique ou diagnostique, les méthodes de diagnostic ex vivo ainsi que les procédés et produits nécessaires à l'obtention de ces dispositifs.

Il y ainsi un élargissement des situations dans lesquelles une licence d'office peut être accordée en ajoutant le cas de l'exploitation dans des conditions contraires à l'intérêt de la santé publique ou constituant des pratiques anticoncurrentielles.

Cinquième partie : Comment agir dans ce domaine de la brevetabilité du vivant ?

Avant de présenter le projet de loi de transposition que le gouvernement proposera au Parlement, nous ferons donc le point, d'après les notes de nos ambassades, sur l'état de la transposition de ce texte dans les autres pays européens en donnant, chaque fois que cela sera possible, quelques indications sur le débat à l'intérieur de chacun de ces pays.

Nous examinerons enfin quelques propositions pour une action internationale dans ce domaine.

1 - L'état de la transposition de la directive dans l'Union européenne

Nous évoquerons la situation dans les différents pays européens selon que la transposition a déjà été effectuée, est en cours de transposition, ou n'est pas encore faite avant d'examiner la situation de la République fédérale d'Allemagne.

A - Les pays ayant transposé

a - Le Danemark

La directive européenne a été transposée en droit interne danois dès le printemps 2000, le Danemark étant ainsi l'un des premiers pays à effectuer cette transposition.

Mais les débats ne sont pas clos dans ce pays.

En effet ils ont été réactivés par l'affaire Myriad Genetics et la transposition de la directive reste critiquée par un certain nombre d'institutions qui l'estiment pas satisfaisante sur le plan éthique notamment. Elle est par contre notamment défendue par la bio-industrie et les médecins.

Un rapport sur son application sera effectué au printemps 2002.

b - La Finlande

La Finlande a transposé la directive en juillet 2000.

Il semble que cela se soit fait sans problème particulier, aucun débat public n'étant engagé sur la brevetabilité du vivant.

Les biotechnologies sont abordées dans ce pays sous l'angle de l'intérêt scientifique et du développement économique dans la mesure où elles sont considérées comme un secteur de diversification économique par rapport aux technologies de l'information.

c - La Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne a transposé la directive en juillet 2000.

Apparemment cette transposition n'a soulevé aucune controverse particulière dans ce pays. Les industriels y étaient fortement favorables.

Les rares inquiétudes du grand public dans ce domaine sont liées aux brevets pour l'alimentation (O.G.M.) et à la génétique sur la question de la dignité de l'homme.

Il convient de signaler que l'article 12 de la directive n'a pas été transposé. D'après les explications fournies par le Patent Office, il se posait un problème technique lié au fait que les brevets sont contrôlé par cet Office, alors que les droits liés aux variétés végétales le sont au niveau communautaire, donc hors de la juridiction de la Grande-Bretagne.

d - La Grèce

Dans ce pays la directive a été transposée par un décret présidentiel du 1er octobre 2001.

Il n'y a pas de débat éthique significatif dans ce pays.

e - L'Irlande

L'Irlande a effectué la transposition de la directive avec effet au 30 juillet 2000.

Cette transposition a été accomplie dans un environnement marqué par une défiance assez forte de l'opinion publique envers les modifications génétiques notamment agricoles.

B - Les pays actuellement en cours de transposition

a - L'Espagne

La transposition de la directive est actuellement en cours d'étude par le Parlement en Espagne.

Il semble que les scientifiques espagnols estiment que le texte de la directive comporte des « points obscurs qu'il convient d'éclaircir ». Au nombre de ceux-ci figurent notamment les deux premiers alinéas de l'article 5.

b - Le Portugal

La directive est en cours de transposition au Portugal.

La révision du code des brevets qu'implique cette transposition devrait être approuvée par le Parlement portugais cet hiver. Le gouvernement pourra alors formellement transposer la directive en droit interne portugais par décret-loi. La procédure devrait être achevée d'ici la fin de l'année 2001 ou au début de 2002.

Apparemment cette transposition ne pose pas de problème de fond au Portugal, ce thème n'ayant pas provoqué de débat particulier. Le Centre portugais de bioéthique a approuvé la révision du code des brevets et la transposition de la directive.

C - Les pays n'ayant pas encore transposé

Parmi ceux-ci, outre la France et la République fédérale d'Allemagne, deux situation existent : ceux qui n'ont pas transposé pour des raisons purement conjoncturelles et ceux qui éprouvent une certaine difficulté.

a - L'Autriche

L'Autriche n'a pas encore transposé la directive.

Un projet de loi visant à modifier et à amender la loi autrichienne sur les brevets de 1970 a été adressée au Parlement par le Gouvernement en mai 2000.

Ce projet n'a pas encore fait l'objet de débats mais pourrait être discuté à partir de l'automne 2001. Il ne paraît pas faire l'objet d'une priorité pour les parlementaires ou la société civile.

Les demandes concernant la transposition étant rares, les perspectives de la voir adopter à court terme sont donc actuellement minces.

b - La Belgique

En Belgique, un accord politique au sein de la coalition gouvernementale a permis la rédaction d'un projet de loi de transposition de la directive 98/44.

Ce projet devrait être, après avis du Conseil d'état, éventuelles modifications et notification aux commissions compétentes du Parlement, soumis au vote au printemps 2002.

c - L'Italie

Un projet de loi de transposition avait été adopté en juillet 1999, le gouvernement italien de l'époque ayant souhaité que la transposition soit effectuée dans les délais prescrits, soit avant le 30 juillet 2000.

Toutefois cette échéance n'avait pu être respectée puisqu'à la veille des dernières élections, soit près d'un an plus tard, le vote du Parlement n'était toujours pas intervenu.

Le changement de gouvernement survenu après les élections de mai 2001 a eu pour effet de rendre caduc le projet de loi adopté deux ans auparavant.

A l'heure actuelle cette directive ne fait l'objet d'aucun calendrier de transposition précis.

d - Le Luxembourg

Un projet de loi de transposition a été déposé en juin 2000.

La transposition de l'article 5 pose un problème dans ce pays dans la mesure où le Conseil de Gouvernement du 16 novembre dernier s'est prononcé contre la brevetabilité de toute partie et de tout élément du corps humain. Il prévoit d'amender dans ce sens le projet de loi de transposition qui est en attente devant le Parlement. Il n'est pas prévu que la reprise de la discussion s'effectue avant que soit disponible l'avis de la Commission consultative nationale d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

e - Les Pays-Bas

Le débat sur la transposition de la directive était prévue dans ce pays comme devant débuter en novembre 2001.

Mais un certain nombre de développements comme par exemple l'affaire Myriad Genetics ainsi que les demandes d'un certain nombre d'autres pays concernant des changements souhaités dans la directive ont provoqué un nouveau report de la discussion de la transposition au plus tôt au début de 2002.

Apparemment de nombreuses discussions ont lieu et de nombreux forums sont en cours ou en préparation sur les thèmes importants de la discussion.

f - La Suède

La Suède n'a pas encore transposé la directive, mais seulement pour des raisons conjoncturelles, la présidence de l'Union européenne au premier semestre 2001 ayant mobilisé l'essentiel des ressources administratives suédoises.

Ce débat devrait s'engager à partir de la fin de cette année.

Apparemment aucun problème ne devrait de poser pour cette transposition dans la mesure où seuls des partis minoritaires semblent devoir présenter des objections.

D - La situation de la République fédérale d'Allemagne

Le débat sur la transposition de la directive en République fédérale d'Allemagne se déroule sur un arrière plan de fort développement des biotechnologies.

La croissance de ce secteur se fait grâce à un fort engagement des pouvoirs publics depuis environ une dizaine d'années.

C'est ainsi qu'attribuant moins de150 millions d'euros en 1990, le budget fédéral alloue aujourd'hui à ce secteur une somme de presque 265 millions d'euros d'aides directes dont 215 millions proviennent du Ministère de la recherche et 50 millions du ministère de l'agriculture.

Ce fort engagement des pouvoirs publics ainsi que le modèle allemand de financement d'entreprises associant, mais aussi conditionnant l'attribution de capitaux publics à l'obtention de capitaux privés, ont permis à ce pays de devenir le premier pays européen en terme d'entreprises de biotechnologies.

Elle totalisait ainsi à la fin de 2000 332 sociétés spécialisées en biotechnologies alors que la Grande-Bretagne n'en comptait alors que 281 et la France 180.

En plus de ces petites entreprises, la République fédérale d'Allemagne compte 23 très grandes entreprises de pharmacie et d'agrochimie engagées dans les biotechnologies et plus de 400 petites et moyennes entreprises de bio-industrie.

Il convient cependant de nuancer cette situation en notant que ces entreprises de biotechnologies restent petites et instables. En effet le chiffre d'affaire moyen de ces entreprises est de l'ordre de 2,40 millions d'euros contre 7,40 millions en Grande-Bretagne et 127 aux Etats-Unis. Les effectifs moyens sont aussi plus faibles que dans les deux autres pays : 35 personnes contre respectivement 65 et 127.

Le retard est encore beaucoup plus important en termes de produits en développement puisque ces entreprises sont essentiellement des plates-formes de technologies ou des sous-traitants.

Ce secteur en pleine croissance est naturellement très intéressé à la transposition de la directive 98/44.

Un premier projet de loi rédigé par le ministre S.P.D. de la justice avait été jugé trop libéral. Après des modifications conformes à un compromis entre les ministères fédéraux de la justice, de la santé, à l'époque un membre des Verts, et de la recherche, ce projet a été adopté par le gouvernement au mois d'octobre 2000.

Cette question de la transposition a fait l'objet d'échanges de vues au cours du 78ème sommet franco-allemand qui s'est tenu à Nantes le 23 novembre dernier.

Les entretiens en République fédérale d'Allemagne sur ce sujet m'ont convaincu que la stratégie allemande repose sur la transposition très rapide et très fidèle de cette directive. Il m'a été indiqué qu'une fois cette transposition effectuée, il y aurait une renégociation avec la Commission. Souhaitant savoir quelles seraient les orientations de cette renégociation, je n'ai pu cependant obtenir aucune réponse précise.

Après une première lecture au Bundestag, la Commission d'enquête parlementaire sur l'éthique de la médecine moderne s'est prononcée contre une transposition directe de la directive.

Une audition publique s'est déroulée le 17 octobre dernier au Bundestag pour examiner d'éventuelles modifications du projet de loi.

A travers les interventions de divers experts et représentants de la société civile a émergé une dualité de positions entre la volonté de protéger les investissements et le souhait que soient posées des frontières éthiques claires.

Il semble que les opposants à toute brevetabilité du vivant soient très isolés en R.F.A. Les Verts, qui s'étaient prononcés en mai 2001 contre la transposition de la directive, participent maintenant à un groupe de travail commun avec le S.P.D. pour rechercher un compromis sur cette affaire.

Il convient cependant de souligner dans ce projet de transposition une disposition originale prévoyant que si une autre fonction d'une séquence génétique déjà brevetée est découverte, aucune retombée financière ne sera exigible par le premier détenteur du brevet.

Cet état de la situation en Europe à la fin du mois de décembre 2001 est donc assez contrasté.

Il ressort cependant de ce panorama rapide que les pays éprouvant des difficultés à l'égard de cette transposition sont plutôt minoritaires dans l'Union européenne puisque étant au nombre de quatre seulement : Pays-Bas, Espagne et Luxembourg et France.

La France devrait rejoindre les pays ayant transposé dans la mesure où le gouvernement vient d'élaborer un projet de loi de transposition.

2 - Le projet de loi de transposition en France

Un projet de loi de transposition a été présenté au Conseil des ministres du 31 octobre 2001.

Il a été préparé après des échanges de lettres entre le gouvernement et le Président de la Commission européenne. Le texte de celles-ci n'a pas été rendu public.

Le gouvernement a fait le choix de rédiger un projet de loi de transposition ne comprenant pas l'article 5 de la directive à la transposition duquel se sont opposés le Président de la République et le Premier Ministre.

L'article 611-17 du Code de la propriété intellectuelle est donc conservé sans changement.

Cette transposition incomplète de la directive va donc mettre notre pays en porte à faux avec la légalité européenne, la cohérence de cette politique semblant impliquer une nouvelle négociation avec la Commission sur le texte de la directive ou au niveau international des A.D.P.I.C.

Il faut noter que l'article 3 de la directive qui, comme nous l'avons montré, pose le principe de la brevetabilité de la matière « biologique » qui se décline ensuite par l'article 4 pour les végétaux et les animaux et par l'article 5 pour l'être humain a été logiquement repris dans le projet de loi de transposition à l'article 1er sous réserve de l'article L 611-17 actuel du Code de la propriété industrielle.

Les articles 8 et 9 du projet de loi établissent un parallélisme tout à fait bienvenu entre brevet et certificat d'obtention végétale pour l'obtention de licences en cas de conflit possible entre les deux titres de propriété.

On ne peut cependant que regretter que des formules autres que le « progrès technique important » et l'« intérêt économique certain » n'aient pu être trouvées comme conditions à la concession de licence.

On rappellera à ce propos que la directive emploie le terme « considérable » pour l'intérêt économique. Le terme employé par le projet de loi précise cependant quelque peu celui de la directive.  

Ce projet comprend aussi, de façon tout à fait bienvenue, comme on l'a déjà vu dans le chapitre précédant, un renforcement des licences obligatoires et des licences d'office.

Actuellement la date de la soumission de ce projet de loi au Parlement n'est pas encore connue.

Il convient de souligner que parallèlement à la présentation de ce projet de loi, le gouvernement a pris la mesure de l'enjeu des biotechnologies en termes de croissance et d'emplois qui sont estimés à 3 millions en Europe. Afin de faire rattraper à la France son retard puisque notre pays ne compte qu'environ 5 000 emplois dans ce domaine, il a ainsi présenté un plan « Biotech 2002 » dont l'ambition est de faire jouer à la France le premier rôle en matière de biotechnologies en Europe en 2006 en rattrapant l'Allemagne dans les deux ans.

Selon ce plan, l'Etat va contribuer à hauteur de 100 millions d'euros au financement de ce secteur. Grâce par ailleurs aux prêts garantis, les sociétés innovantes de biotechnologies de notre pays devraient pouvoir bénéficier d'un financement de plus d'un demi milliard d'euros.

La situation actuelle dans l'Union européenne est compliquée par le fait que certains pays ont déjà transposé la directive et qu'un certain nombre d'autres vont y procéder sans doute de façon imminente.

Les voies de la renégociation à ce niveau me paraissent donc de ce fait impraticables. Elles me semblent de plus très incertaines quant à leurs résultats compte tenu du fait que la directive européenne se situe dans la logique des A.D.P.I.C.

C'est pourquoi il me semble que l'action à mener se situe plutôt au niveau international.

3 - L'action internationale : instaurer l'exception du vivant

Cette question de la brevetabilité du vivant et, particulièrement, du génome humain doit être nécessairement envisagée au niveau mondial, c'est-à-dire de l'Organisation mondiale du commerce.

Cette nécessité s'impose compte tenu du caractère international des biotechnologies. Celui-ci est un atout important. En effet la concurrence et l'émulation entraînées par cette situation doivent être préservées afin de faire progresser très rapidement les recherches. Se replier au niveau régional serait certainement très dommageable pour le dynamisme de cette activité.

Une action au niveau international est aussi rendu nécessaire par le poids considérable des Etats-Unis dans cette discipline. En effet si ce pays n'était pas lié par ce futur accord international et continuait à appliquer des règles spécifiques et plus libérales en matière de brevetabilité du vivant, il attirerait à terme toute la recherche.

La nécessité, du fait de son texte même, de réexaminer l'article 27-3-b des A.D.P.I.C. peut donner ainsi l'occasion de les réviser plus en profondeur.

A l'occasion de cette révision des A.D.P.I.C., il conviendra de poser le principe de base qu'il doit y avoir en matière de protection des droits de propriété industrielle une exception du vivant.

Plusieurs conséquences découleraient de ce principe de base.

Les biotechnologies cesseraient d'abord d'être comprises dans les termes généraux de l'article 27 des A.D.P.I.C. prévoyant l'obligation d'instaurer une protection de la propriété industrielle dans tous les secteurs technologiques.

Elles relèveraient donc d'un article spécial de ces A.D.P.I.C. dont les dispositions de celui-ci seraient bien entendu élaborées par une négociation entre les différents pays membres de l'O.M.C.

On indiquera néanmoins quelles devraient être selon nous les grandes orientations de ces nouvelles dispositions.

Serait d'abord posé le principe de la non brevetabilité des séquences génétiques en « tant que telles ». Cela signifie que ces dernières ne pourraient plus être assimilées, comme elles le sont aujourd'hui, à des molécules chimiques synthétisées. Les revendications seraient donc limitées aux procédés mis au point pour décrire ou purifier ces éléments naturels et aux applications élaborées à partir de ces éléments naturels. Il n'y aurait jamais possibilité de s'approprier les séquences génétiques originelles, elles resteraient donc toujours libres de tous droits.

Il serait créé un Centre international des séquences génétiques humaines qui rassemblerait dans ses collections toutes les informations qui sont et qui seront acquises sur le génome humain. Il serait organisé sur le modèle des Centres internationaux de recherche agronomique (C.I.R.A.) qui permettent à l'heure actuelle un accès libre à la diversité génétique d'un très grand nombre de plantes.

Ce Centre pourrait ainsi adopter dans ce domaine des séquences génétiques humaines une politique d'attribution de licences libres de type Linux qui a été développée dans le domaine des logiciels informatiques pour combattre la stratégie visant au monopole de Microsoft.

On peut souligner à cet égard que le succès commercial de ces logiciels libres montre que le secret et les restrictions juridiques d'accès aux données ne sont pas une nécessité. En effet il reste toujours possible à une entreprise d'ajouter de la valeur en affinant toujours plus le produit et en fournissant des services.

Cette politique peut s'appliquer de façon très réaliste aux biotechnologies dans la mesure où sont aussi en jeu dans ce domaine, des logiciels, ceux du vivant.

Ainsi les entreprises de recherche en biotechnologies n'auraient pas besoin de restreindre l'accès aux séquences de bases si leur activité reposait sur la fourniture de méthodes informatiques perfectionnées en matière d'analyse des données et sur des services d'interprétation de celles-ci.

On peut par contre penser que cette liberté d'accès aux séquences génétiques humaines dynamiserait de façon considérable la recherche qui ne serait plus entravée par les licences de dépendance. Cela permettrait certainement d'accélérer la mise au point de médicaments issus de la connaissance de ces séquences génétiques.

Il serait également souhaitable que soit instauré au niveau mondial l'obligation pour les Offices de brevet de consulter des comités d'éthique composée de personnalités qualifiées. Cela serait certainement préférable au système actuel où ils disent respecter des règles éthiques qu'ils se donnent eux-mêmes.

A ce propos on peut suggérer que le groupe de conseillers pour l'éthique de la biotechnologie soit séparé de la Commission et modifié pour tenir compte du fait que les signataires de la C.B.E. sont différents des membres de l'Union européenne.

Celui-ci serait ensuite érigé en autorité indépendante qui interviendrait de façon obligatoire dans le processus de délivrance des brevets.

Une négociation entre les membres signataires de la C.B.E. déterminerait les conditions de cette consultation. On peut suggérer que l'avis rendu pourrait être obligatoire en matière de vivant humain et consultatif en matière de vivant non humain.

Concernant plus précisément le vivant non humain il conviendrait que les dispositions de la Convention sur la diversité biologique soient introduites dans les A.D.P.IC. Il faudrait aussi rendre obligatoire la mention de l'origine géographique des séquences génétiques végétales ou animales concernées par les demandes de brevet.

L'accord élaboré à Doha concernant les médicaments génériques devrait également devenir une partie constitutive de ces accords en supprimant la distinction entre pays producteurs de médicaments et ceux qui ne le sont pas.

Naturellement il ne s'agit ici que de quelques suggestions qui devront être discutées d'abord avec nos partenaires européens avant de l'être au niveau mondial.

J'ai la conviction que ces modifications des règles existantes sont nécessaires car elles pourraient permettre réellement à tous les habitants de la planète de retirer un bénéfice de cette merveilleuse et formidable aventure qu'est la connaissance des mécanismes de la Vie.

Conclusion

Les progrès dans la connaissance des mécanismes les plus intimes du vivant et la maîtrise de plus en plus importante de celui-ci ont été à la base de l'essor des biotechnologies. Leur développement a ainsi laissé entrevoir depuis une vingtaine d'années des possibilités fantastiques non seulement en termes d'utilisations agricoles mais aussi de possibilités d'améliorer la santé des êtres humains. Dans ce domaine, ce sont notamment les possibilités, malheureusement encore au stade des promesses, de la thérapie génique qui permettront de guérir les maladies génétiques que tout le savoir actuel est impuissant à enrayer.

A côté de ce progrès vers plus de maîtrise de la nature on a assisté à un mouvement continu vers la brevetabilité du vivant.

Celui-ci s'est développé depuis le début des années 1930 pour les plantes d'abord aux Etats-Unis puis en Europe avec le système de protection des obtentions végétales. Les premières conséquences d'une certaine forme de mondialisation s'étaient déjà faites jour dans le domaine des végétaux. En effet la possibilité avait déjà été aperçue de détenir par ce moyen une partie du pouvoir alimentaire mondial. Cela s'était traduit notamment par la prise de contrôle par un nombre restreint d'entreprises multinationales, la plupart du temps d'origine américaine, d'un grand nombre de petites firmes semencières, notamment européennes.

Cette mondialisation qui se met en place sous nos yeux est mue à la fois par une exacerbation d'une concurrence, qui cherche à s'affranchir de toutes règles, et par une tendance très nette à la constitution de monopoles qui s'insinue dans tous les domaines. Cette situation est ainsi très nette dans les domaines technologiques travaillant sur l'information, que ce soit dans l'informatique ou le vivant. La stratégie mise en _uvre dans tous ces domaines est la même : c'est celle du brevet.

L'arrivée à son terme du décryptage du génome humain a été un élément de considérable accélération de cette brevetabilité du vivant. Car ce sont alors ouvertes de formidables perspectives de fabrication de médicaments à partir de ces séquences génétiques humaines pour les entreprises pharmaceutiques multinationales. Ces projets sont été à la base des revendications de brevets portant sur des gènes humains.

Cette brevetabilité du vivant humain s'est ainsi mise en place aux Etats-Unis à la suite de l'arrêt « Chakrabarty » de la Cour Suprême qui est un organisme juridictionnel et non politique.

En Europe, cette brevetabilité du vivant s'est mise en place par touches successives par l'Office européen des brevets créé par la Convention sur la délivrance de brevets européens de 1973. Là encore aucune autorité politique porteuse de la légitimité démocratique n'a donné, à aucun moment, son aval explicite à cette introduction de la brevetabilité des séquences génétiques humaines dans le droit positif.

Une erreur fondamentale a permis la mise en place de cette brevetabilité du vivant par l'O.E.B. : l'assimilation des séquences génétiques humaines aux simples molécules chimiques synthétisées par l'industrie.

Pour breveter un gène humain, l'O.E.B. exige que soit explicitée une fonction de celui-ci. Or tous les travaux scientifiques ont démontré qu'il est impossible à l'heure actuelle de démontrer quelles fonctions remplit exactement un gène. La conjecture qui rencontre aujourd'hui le plus l'assentiment des scientifiques est qu'il peut en avoir plusieurs suivant son environnement.

Ce raisonnement de l'O.E.B. était acceptable pour les gènes des végétaux et des animaux. Il ne l'est en aucun cas pour les séquences génétiques humaines. En effet c'est un domaine où les préoccupations mercantiles doivent céder, et de façon impérative, devant les considérations éthiques.

Il me semble qu'il est absolument nécessaire de maintenir cette interdiction pour faire obstacle à la « marchandisation » qui s'empare actuellement de toute chose. La méfiance, voire l'hostilité, d'un grand nombre de concitoyens au mouvement actuel de mondialisation sont certainement basées sur cette perception que tout est devenu négociable.

Il convient donc que le politique réagisse sans retard à cette situation.

Tout le débat sur cette brevetabilité du vivant humain s'est développé non seulement en France mais aussi dans un certain nombre de pays d'Europe suite à l'obligation de transposer la directive 98/44 dans le droit interne de chaque Etat membre. On peut considérer cette situation comme positive même s'il convient de ne pas oublier que cette directive a été introduite dans le Règlement d'exécution de la C.B.E. par le Conseil d'administration de l'O.E.B. Elle est donc, de fait, applicable en France sans qu'aucun vote du Parlement ait eu lieu.

Il faut donc que le politique réinvestisse ce domaine et indique de façon très nette ce qui y est acceptable et ce qui ne l'est pas.

Il lui faut poser le principe de l'exception du vivant en matière de brevetabilité.

Il faut donc affirmer que les séquences génétiques humaines ne sont pas brevetables en « tant que telles » : il ne doit pas y avoir de brevets de produits sur les éléments naturels du vivant. Ceux-ci ne sont en rien assimilables à des inventions. Ils restent des découvertes.

Bien entendu cela laisse normalement brevetables les procédés de description ou de purification de ces éléments naturels ainsi que, bien entendu, les produits élaborés à partir de ceux-ci.

Pour que ces dispositions soient réellement applicables il est nécessaire qu'elles soient d'application universelle. Pour cela il nous faudra d'abord les faire partager par nos partenaires européens. Ensuite il sera indispensable qu'elles soient introduites dans les A.D.P.I.C. à l'occasion de leur révision. Il ne faut pas se cacher que cela sera certainement un travail de longue haleine compte tenu des actuels rapports de force internationaux.

Concernant le vivant non humain, les végétaux en particulier, il est nécessaire que soit mieux assurée le respect de la Convention sur la diversité biologique. Les dispositions assurant la protection des droits des pays, et notamment de ceux en développement, sur leurs propres ressources naturelles doivent être introduites dans ces A.D.P.I.C. Sinon on ne pourra pas éviter, à l'avenir, le développement de ce qu'on appelle le « biopiratage », ce qui reviendrait à faire payer à ces pays en voie de développement l'utilisation de leurs propres ressources naturelles.

J'ai indiqué dans l'introduction de ce rapport que les biotechnologies fascinent et inquiètent. Je pense que cette inquiétude d'un grand nombre de nos concitoyens est due à cette crainte de réification du vivant en général et du corps humain en particulier.

Je pense profondément que la recherche doit être absolument libre car c'est à cette seule condition qu'elle peut progresser. En revanche, il convient d'effectuer un contrôle éthique de ses applications. C'est le rôle du politique, éclairé par les avis des personnalités qualifiées, de dire jusqu'où il est possible d'aller dans ce domaine.

C'est là une nécessité afin que les biotechnologies ne soient pas rejetées par les citoyens car je pense profondément qu'elles représentent un immense atout pour améliorer la vie de tous les êtres humains.

Recommandations

Ces recommandations concerneront les niveaux national, européen et international.

I - Les recommandations au niveau national

1 - Organiser d'une réflexion sur le statut du vivant dans notre société

Cette réflexion me semble indispensable compte tenu de la place croissante que prendront, à l'avenir, les techniques du vivant dans nos sociétés et, notamment la société française, à la fois en agriculture et surtout en médecine. Elle pourrait être organisée, notamment, par la Cité des Sciences et le ministère de la recherche.

2 - Organiser d'un débat au Parlement sur la brevetabilité du vivant

Ce débat me semble essentiel afin que le politique puisse réinvestir un domaine qui a sans doute été trop accaparé jusqu'à maintenant par les juristes. Il permettra également de préparer l'examen par nos assemblées de la transposition de la directive 98/44.

II - Les recommandations au niveau européen

On distinguera le degré communautaire et celui de la Convention sur la délivrance de brevets européens (C.B.E.).

- L'Union européenne

3 - Transformer le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies de la Commission en autorité indépendante

Il paraît utile de disjoindre ce groupe de la Commission européenne pour le transformer en autorité indépendante. Celle-ci pourrait être le conseil en ce domaine non seulement de la Commission mais aussi du Parlement européen.

Elle pourra également être consultée par les chambres d'examen de l'Office européen des brevets quand leur seront soumises des demandes de brevets concernant le vivant.

4 - Engager une réflexion concernant le régime juridique des races animales

Cette recommandation vise à déterminer le régime juridique des races animales dans la mesure où son imprécision actuelle empêche l'application d'un certain nombre de textes les concernant.

5 - Créer un certificat d'obtention animal

Le certificat d'obtention animal permettra de mettre en place à l'égard des animaux un régime équivalent à celui institué par l'U.P.O.V. pour les végétaux.

- La C.B.E. et l'O.E.B.

6 - Introduire dans la C.B.E. un article précisant que les séquences génétiques humaines ne sont pas brevetable en tant que telles et que la brevetabilité s'applique exclusivement aux brevets de procédés et d'application.

Cette recommandation est la conséquence du fait que les séquences génétiques humaines ne sont pas des inventions mais des découvertes. Il faut restreindre les brevets aux procédés et aux applications. Le Règlement d'exécution de la C.B.E. sera modifié en conséquence.

7 - Engager une réflexion parmi les membres parties à la C.B.E. pour donner plus de pouvoirs au Conseil d'administration de l'O.E.B.

Cette augmentation des pouvoirs du conseil d'administration de l'O.E.B. est nécessaire afin de mieux contrôler l'action de cet organisme.

8 - Rendre indépendantes les chambres de recours techniques ainsi que la Grande Chambre de recours de l'O.E.B.

Rendre indépendantes les chambres de recours techniques et la Grande Chambre de recours est indispensable afin d'éviter une confusion entre l'instruction, la délivrance des brevets et les recours contre ces décisions.

III - Les recommandations au niveau international

Ces recommandations ont pour objet d'indiquer les modifications qu'il paraît souhaitable d'introduire dans les Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelles qui touchent au commerce (A.D.P.I.C.) pour tenir compte des particularités du vivant en matière de protection de la propriété intellectuelle.

9 - Introduire l'exception du sélectionneur dans chaque système national de protection des variétés végétales.

Il s'agit de rétablir les conditions d'une concurrence égale entre les pays utilisant à titre principal les mécanismes de l'U.P.O.V. pour la protection des variétés végétales et ceux utilisant le brevet.

10 - Créer un régime spécifique de protection intellectuelle pour les biotechnologies

Il convient que les biotechnologies ne soient plus confondues avec tous les autres domaines technologiques pour l'obtention de brevets. Cela nécessitera la modification de l'article 27-1 des A.D.P.I.C.

11 - Exclure de la brevetabilité les séquences génétiques humaines « en tant que telles », des brevets ne pouvant être délivrés dans ce domaine que pour des procédés et des applications.

12 - Introduire des dispositions faisant obstacle au « biopiratage » et permettant à chaque pays de conserver la propriété des ressources naturelles de son territoire.

13 - Création d'un Centre international de dépôt des séquences génétiques humaines

Ce Centre rassemblera toutes les informations relatives à la connaissance des gènes humains. Il en assurera la libre disposition à l'ensemble des chercheurs tant publics que privés.

EXAMEN DU RAPPORT PAR l'OFFICE

L'Office s'est réuni le mercredi 19 décembre 2001 pour examiner le rapport de M. Alain Claeys.

Après la présentation par M. Alain Claeys des grandes lignes de son rapport, plusieurs membres de l'Office sont intervenus.

Après que M. Heni Revol, sénateur, premier vice-président, eut souligné l'importance de ce débat, M. René Trégouët, sénateur, a estimé qu'il s'agissait d'un débat majeur au centre des préoccupations de la société. Il a félicité le rapporteur d'avoir joint les questions de la brevetabilité du vivant et des cellules-souches.

Il a jugé qu'il fallait faire attention à la spécificité du vivant qui n'est pas assimilable à une molécule chimique mais aussi préserver le brevet compte tenu des intérêts économiques en jeu.

M. Pierre Laffitte, sénateur, a déclaré qu'il était en train de préparer un colloque franco-allemand, qui concernera aussi les biotechnologies. Il a estimé que l'on ne pouvait rester isolé sur ces questions.

M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, a attiré l'attention sur la question de la différence entre invention et découverte. Il a également souhaité qu'on ne se précipite pas trop dans ces domaines même si les réponses juridiques étaient évidemment nécessaires.

M. Claude Saunier, sénateur, a exprimé le v_u que le débat se fasse en pleine clarté enfin de ne pas tomber dans l'irrationnel.

M Pierre Laffitte, sénateur, a enfin souligné la rôle de l'Office dans la lutte contre la montée de l'intolérance et de la négation du progrès.

Après les réponses du rapporteur aux différents intervenants, l'Office a approuvé à l'unanimité ses conclusions.

PERSONNALITES AUDITIONNEES

FRANCE

M. Gilles Bariteau, chef de la division « Contrats et propriété industrielle » de l'Institut national de la recherche agronomique

M. François Chrétien, directeur des affaires gouvernementales et publiques (direction de la propriété industrielle) d'Aventis

M. Olivier Clément, animateur « O.G.M. » à la Confédération paysanne

M. Daniel Cohen, directeur général de Genset

M. Guillaume de Durat, adjoint au secrétaire général du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique, chargé de mission fiscal et juridique

M. Bernard Forey, membre de la commission « O.G.M. » de la Confédération paysanne

M. Eric Gall, chargé de campagne « O.G.M. » de Greenpeace France

M. Alain Gallochat, conseiller pour la propriété intellectuelle au Ministère de la recherche

M. Jean-Christophe Galloux, professeur de droit à l'université Paris II

M. Jean-Christophe Gouache, directeur scientifique de Limagrain

Mme Marion Guillou, directrice générale de l'Institut national de la recherche agronomique

Mme Bénédicte Hermelin, chargée de programmes à Solagral

Mme Marie-Angèle Hermitte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique

Mme Hélène Ilbert, administratrice de Solagral

M. Pierre-Benoît Joly, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique

M. Axel Kahn, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale

M. Jean-Jacques Kupiec, ingénieur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale

M. Philippe Lénée, directeur de la Valorisation et de la propriété industrielle de l'Institut national de la recherche agronomique

Mme Noëlle Lenoir, présidente du Groupe européen d'éthique, avocate

Mme Françoise Moisand, directrice du département « Valorisation et transferts de technologie » de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale

M. Patrice Monain, ingénieur brevets chez Sanofi-Synthélabo

M. Bernard Moser, secrétaire général de la Confédération paysanne

M. Pierre Roger, directeur scientifique de Limagrain

M. Fabien Raynaud, conseiller juridique au Comité interministériel pour les questions économiques européennes

M. Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique

M. Jean Vidal, conseiller pour les affaires européennes au cabinet du Premier ministre

M. Thierry Weil, conseiller pour les affaires scientifiques et techniques au cabinet du Premier ministre

M. Jean Weissenbach, directeur général du Génoscope

REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

M. Baumbach, avocat spécialisé en brevets au Max-Delbrück-Centrum

M. Wolf-Michaël Catenhusen, Secrétaire d'Etat parlementaire (Ministère fédéral de la formation et de la recherche)

Mme Ulrike Dolezal, responsable de la mission de coopération internationale au Ministère fédéral de la formation et de la recherche

M. Detlev Ganten, directeur du Max-Delbrück-Centrum, membre du « Nationale Ethikrat »

M. Hans-Josef Linkens, conseiller scientifique au Max-Delbrück-Centrum

M. Raymund Lutz, directeur du service de la propriété industrielle au Ministère de la justice

M. Rainer Osterwalder, membre du service de presse et des relations publiques de l'Office européen des brevets

M. André Rémond, directeur principal « chimie » à l'Office européen des brevets

Mme Margot von Renesse, députée (S.P.D.), présidente de la Commission d'enquête « droit et éthique de la médecine moderne »

Mme Ulrike Riedel, ancienne députée (Verts), membre de la Commission d'enquête « droit et éthique de la médecine moderne », avocate en droit technique et médical

M. Ulrich Schatz, directeur principal des affaires internationales de l'Office européen des brevets

M. Ilja Seifert, député (P.D.S.)

M. Christy Tanner, ancien député européen, conseiller pour la politique de recherche au Max-Delbrück-Centrum

M. Dietrich Welp, chef de la division de la propriété industrielle au Ministère de la justice

Mme Siobhán Yeats, directrice « chimie/biologie » à l'Office européen des brevets

Annexe

DIRECTIVE 98/44/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL

du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques

LE PARLEMENT EUROPÉEN ET LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE

vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 100 A

vu la proposition de la Commission,

vu l'avis du Comité économique et social,

statuant conformément à la procédure visée à l'article 189 B du traité,

(1) considérant que la biotechnologie et le génie génétique jouent un rôle croissant dans un nombre considérable d'activités industrielles; que la protection des inventions biotechnologiques revêtira certainement une importance essentielle pour le développement industriel de la Communauté;

(2) considérant que, notamment, dans le domaine du génie génétique, la recherche et le développement exigent une somme considérable d'investissements à haut risque que seule une protection juridique adéquate peut permettre de rentabiliser;

(3) considérant qu'une protection efficace et harmonisée dans l'ensemble des États membres est essentielle en vue de préserver et d'encourager les investissements dans le domaine de la biotechnologie;

(4) considérant que, à la suite du rejet par le Parlement européen du projet commun, approuvé par le comité de conciliation, de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, le Parlement européen et le Conseil ont constaté que la protection juridique des inventions biotechnologiques avait besoin d'être clarifiée;

(5) considérant qu'il existe des divergences, dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques, entre les législations et pratiques des différents États membres; que de telles disparités sont de nature à créer des entraves aux échanges et à faire ainsi obstacle au fonctionnement du marché intérieur;

(6) considérant que ces divergences risquent de s'accentuer au fur et à mesure que les États membres adopteront de nouvelles lois et pratiques administratives différentes ou que les interprétations jurisprudentielles nationales se développeront diversement;

(7) considérant qu'une évolution hétérogène des législations nationales relatives à la protection juridique des inventions biotechnologiques dans la Communauté risque de décourager encore plus les échanges commerciaux, au détriment du développement industriel de ces inventions et du bon fonctionnement du marché intérieur;

(8) considérant que la protection juridique des inventions biotechnologiques ne nécessite pas la création d'un droit particulier se substituant au droit national des brevets; que le droit national des brevets reste la référence essentielle pour la

protection juridique des inventions biotechnologiques, étant entendu qu'il doit être adapté ou complété sur certains points spécifiques pour tenir compte de façon adéquate de l'évolution de la technologie faisant usage de matière biologique, mais répondant néanmoins aux conditions de brevetabilité;

(9) considérant que, dans certains cas, comme celui de l'exclusion de la brevetabilité des variétés végétales et des races animales ainsi que des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, certaines notions des législations nationales, fondées sur les conventions internationales relatives aux brevets et aux variétés végétales, ont suscité des incertitudes concernant la protection des inventions biotechnologiques et de certaines inventions microbiologiques; que, dans ce domaine, l'harmonisation est nécessaire pour dissiper ces incertitudes;

(10) considérant qu'il convient de prendre en compte le potentiel de développement des biotechnologies pour l'environnement et en particulier l'utilité de ces technologies pour le développement de méthodes culturales moins polluantes et plus économes des sols; qu'il convient d'encourager, par le système des brevets, la recherche et la mise en _uvre de tels procédés;

(11) considérant que le développement des biotechnologies est important pour les pays en voie de développement, tant dans le domaine de la santé et de la lutte contre les grandes épidémies et endémies que dans le domaine de la lutte contre la faim dans le monde; qu'il convient d'encourager de même, par le système des brevets, la recherche dans ces domaines; qu'il convient par ailleurs de promouvoir des mécanismes internationaux assurant la diffusion de ces technologies dans le tiers monde et au profit des populations concernées;

(12) considérant que l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), signé par la Communauté européenne et ses États membres est entré en vigueur; que cet accord prévoit que la protection conférée par un brevet doit être assurée pour les produits et les procédés dans tous les domaines de la technologie;

(13) considérant que le cadre juridique communautaire pour la protection des inventions biotechnologiques peut se limiter à la définition de certains principes applicables à la brevetabilité de la matière biologique en tant que telle, principes ayant notamment pour but de déterminer la différence entre inventions et découvertes à propos de la brevetabilité de certains éléments d'origine humaine, à l'étendue de la protection conférée par un brevet sur une invention biotechnologique, à la possibilité de recourir à un système de dépôt complétant la description écrite et, enfin, à la possibilité d'obtenir des licences obligatoires non exclusives pour dépendance entre des variétés végétales et des inventions, et inversement;

(14) considérant qu'un brevet d'invention n'autorise pas son titulaire à mettre l'invention en _uvre, mais se borne à lui conférer le droit d'interdire aux tiers de l'exploiter à des fins industrielles et commerciales; que, dès lors, le droit des brevets n'est pas susceptible de remplacer ni de rendre superflues les législations nationales, européennes ou internationales, fixant d'éventuelles limitations ou interdictions, ou organisant un contrôle de la recherche et de l'utilisation ou de la commercialisation de ses résultats, notamment par rapport aux exigences de santé publique, de sécurité, de protection de l'environnement, de protection des animaux, de préservation de la diversité génétique et par rapport au respect de certaines normes éthiques;

(15) considérant que ni le droit national ni le droit européen des brevets (convention de Munich) ne comportent, en principe, d'interdiction ou d'exclusion frappant la brevetabilité de la matière biologique;

(16) considérant que le droit des brevets doit s'exercer dans le respect des principes fondamentaux garantissant la dignité et l'intégrité de l'Homme; qu'il importe de réaffirmer le principe selon lequel le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son développement, cellules germinales comprises, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments ou d'un de ses produits, y compris la séquence ou séquence partielle d'un gène humain, ne sont pas brevetables; que ces principes sont conformes aux critères de brevetabilité prévus par le droit des brevets, critères selon lesquels une simple découverte ne peut faire l'objet d'un brevet;

(17) considérant que des progrès décisifs dans le traitement des maladies ont d'ores et déjà pu être réalisés grâce à l'existence de médicaments dérivés d'éléments isolés du corps humain et/ou autrement produits, médicaments résultant de procédés techniques visant à obtenir des éléments d'une structure semblable à celle d'éléments naturels existant dans le corps humain; que, dès lors, il convient d'encourager, par le système des brevets, la recherche tendant à obtenir et à isoler de tels éléments précieux pour la production de médicaments;

(18) considérant que, dans la mesure où le système des brevets s'avère insuffisant pour inciter à la recherche et à la production de médicaments issus de biotechnologies et nécessaires pour lutter contre les maladies rares ou dites «orphelines», la Communauté et les États membres ont l'obligation d'apporter une réponse adéquate à ce problème;

(19) considérant que l'avis n° 8 du groupe de conseillers pour l'éthique de la biotechnologie de la Commission européenne a été pris en compte;

(20) considérant, en conséquence, qu'il est nécessaire d'indiquer qu'une invention qui porte sur un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, et qui est susceptible d'application industrielle, n'est pas exclue de la brevetabilité, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel, étant entendu que les droits conférés par le brevet ne s'étendent pas au corps humain et à ses éléments dans leur environnement naturel;

(21) considérant qu'un tel élément isolé du corps humain ou autrement produit n'est pas exclu de la brevetabilité puisqu'il est, par exemple, le résultat de procédés techniques l'ayant identifié, purifié, caractérisé et multiplié en dehors du corps humain, techniques que seul l'être humain est capable de mettre en _uvre et que la nature est incapable d'accomplir par elle-même;

(22) considérant que le débat sur la brevetabilité de séquences ou de séquences partielles de gènes donne lieu à des controverses; que, aux termes de la présente directive, l'octroi d'un brevet à des inventions portant sur de telles séquences ou séquences partielles doit être soumis aux mêmes critères de brevetabilité que pour tous les autres domaines technologiques, nouveauté, activité inventive et application industrielle; que l'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle doit être exposée de façon concrète dans la demande de brevet telle que déposée;

(23) considérant qu'une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique; qu'elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable;

(24) considérant que, pour que le critère d'application industrielle soit respecté, il est nécessaire, dans le cas où une séquence ou une séquence partielle d'un gène est utilisée pour la production d'une protéine ou d'une protéine partielle, de préciser quelle protéine ou protéine partielle est produite ou quelle fonction elle assure;

(25) considérant, pour l'interprétation des droits conférés par un brevet, que lorsque des séquences se chevauchent seulement dans les parties qui ne sont pas essentielles à l'invention, le droit des brevets considère chacune d'entre elles comme une séquence autonome;

(26) considérant que, si une invention porte sur une matière biologique d'origine humaine ou utilise une telle matière, dans le cadre du dépôt d'une demande de brevet, la personne sur laquelle le prélèvement est effectué doit avoir eu l'occasion d'exprimer son consentement éclairé et libre à celui-ci, conformément au droit national;

(27) considérant que, si une invention porte sur une matière biologique d'origine végétale ou animale ou utilise une telle matière, la demande de brevet devrait, le cas échéant, comporter une information concernant le lieu géographique d'origine de cette matière, si celui-ci est connu; que ceci est sans préjudice de l'examen des demandes de brevet et de la validité des droits résultant des brevets délivrés;

(28) considérant que la présente directive n'affecte en rien les fondements du droit des brevets en vigueur selon lequel un brevet peut être accordé pour toute nouvelle application d'un produit déjà breveté;

(29) considérant que la présente directive ne concerne pas l'exclusion de la brevetabilité des variétés végétales et des races animales; que, en revanche, les inventions portant sur des plantes ou des animaux sont brevetables si leur application n'est pas techniquement limitée à une variété végétale ou à une race animale;

(30) considérant que la notion de variété végétale est définie par la législation relative à la protection des obtentions végétales; que, selon ce droit, une obtention est caractérisée par l'intégralité de son génome et qu'elle est par conséquent individualisée et se différencie nettement d'autres obtentions;

(31) considérant qu'un ensemble végétal caractérisé par un gène déterminé (et non par l'intégralité de son génome) n'est pas soumis à la protection des obtentions; que, de ce fait, il n'est pas exclu de la brevetabilité, même lorsqu'il englobe des obtentions végétales;

(32) considérant que, si l'invention se borne à modifier génétiquement une variété végétale déterminée et si une nouvelle variété végétale est obtenue, elle reste exclue de la brevetabilité, même lorsque cette modification génétique n'est pas le résultat d'un procédé essentiellement biologique mais d'un procédé biotechnologique;

(33) considérant qu'il est nécessaire de définir aux fins de la présente directive quand un procédé d'obtention de végétaux ou d'animaux est essentiellement biologique;

(34) considérant que la présente directive n'affecte pas les notions d'invention et de découverte telles que déterminées par le droit des brevets, que celui-ci soit national, européen ou international;

(35) considérant que la présente directive n'affecte pas les dispositions des législations nationales en matière de brevets selon lesquelles les procédés de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic pratiquées sur l'organisme humain ou animal sont exclus de la brevetabilité;

(36) considérant que l'accord ADPIC prévoit, pour les membres de l'Organisation mondiale du commerce, la possibilité d'exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d'empêcher l'exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l'ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l'environnement, à condition que cette exclusion ne tienne pas uniquement au fait que l'exploitation est interdite par leur législation;

(37) considérant que la présente directive se doit d'insister sur le principe selon lequel des inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes m_urs doivent être exclues de la brevetabilité;

(38) considérant qu'il importe aussi de mentionner dans le dispositif de la présente directive une liste indicative des inventions exclues de la brevetabilité afin de donner aux juges et aux offices de brevets nationaux des orientations générales aux fins de l'interprétation de la référence à l'ordre public ou aux bonnes m_urs ; que cette liste ne saurait bien entendu prétendre à l'exhaustivité ; que les procédés dont l'application porte atteinte à la dignité humaine, comme par exemple les procédés de production d'êtres hybrides, issus de cellules germinales ou de cellules totipotentes humaines et animales, doivent, bien évidemment, être exclus eux aussi de la brevetabilité;

(39) considérant que l'ordre public et les bonnes m_urs correspondent notamment à des principes éthiques ou moraux reconnus dans un État membre, dont le respect s'impose tout particulièrement en matière de biotechnologie en raison de la portée potentielle des inventions dans ce domaine et de leur lien inhérent avec la matière vivante; que ces principes éthiques ou moraux complètent les examens juridiques normaux de la législation sur les brevets, quel que soit le domaine technique de l'invention;

(40) considérant qu'un consensus existe au sein de la Communauté quant au fait que l'intervention génique germinale sur l'homme et le clonage de l'être humain sont contraires à l'ordre public et aux bonnes m_urs; qu'il importe par conséquent d'exclure sans équivoque de la brevetabilité les procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humaine et les procédés de clonage des êtres humains;

(41) considérant que les procédés de clonage des êtres humains peuvent se définir comme tout procédé, y compris les techniques de scission des embryons, ayant pour but de créer un être humain qui aurait la même information génétique nucléaire qu'un autre être humain vivant ou décédé;

(42) considérant, en outre, que les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales doivent également être exclues de la brevetabilité; que, en tout état de cause, une telle exclusion ne concerne pas les inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s'appliquent à l'embryon humain et lui sont utiles;

(43) considérant que l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire;

(44) considérant que le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies de la Commission évalue tous les aspects éthiques liés à la biotechnologie; que, à cet égard, il convient de remarquer que la consultation de ce groupe, y compris en ce qui concerne le droit des brevets, ne peut se situer qu'au niveau de l'évaluation de la biotechnologie au regard des principes éthiques fondamentaux;

(45) considérant que les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle dans le domaine de la recherche, de la prévention, du diagnostic ou de la thérapeutique, pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés, doivent être exclus de la brevetabilité;

(46) considérant que, le brevet ayant pour fonction de récompenser l'inventeur par l'octroi d'un droit exclusif, mais limité dans le temps, au titre de sa créativité, et d'encourager ainsi l'activité inventive, le titulaire du brevet doit avoir le droit d'interdire l'utilisation d'une matière autoreproductible brevetée dans des circonstances analogues à celles où l'utilisation de produits brevetés non autoreproductibles pourrait être interdite, c'est-à-dire la production du produit breveté lui-même;

(47) considérant qu'il est nécessaire de prévoir une première dérogation aux droits du titulaire du brevet lorsque du matériel de reproduction incorporant l'invention protégée est vendu à un agriculteur à des fins d'exploitation agricole par le titulaire du brevet ou avec son consentement; que cette première dérogation doit autoriser l'agriculteur à utiliser le produit de sa récolte pour reproduction ou multiplication ultérieure sur sa propre exploitation et que l'étendue et les modalités de cette dérogation doivent être limitées à l'étendue et aux modalités prévues par le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales;

(48) considérant que seule la rémunération envisagée par le droit communautaire des obtentions végétales en tant que modalité d'application de la dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales peut être exigée de l'agriculteur;

(49) considérant, cependant, que le titulaire du brevet peut défendre ses droits contre l'agriculteur abusant de la dérogation ou contre l'obtenteur qui a développé la variété végétale incorporant l'invention protégée si celui-ci ne respecte pas ses engagements;

(50) considérant qu'une deuxième dérogation aux droits du titulaire du brevet doit autoriser l'agriculteur à utiliser le bétail protégé à un usage agricole;

(51) considérant que l'étendue et les modalités de cette deuxième dérogation doivent être réglées par les lois, les dispositions réglementaires et les pratiques nationales, en l'absence de législation communautaire concernant l'obtention de races animales;

(52) considérant que, dans le domaine de l'exploitation des nouvelles caractéristiques végétales issues du génie génétique, un accès garanti moyennant rémunération doit être accordé sous forme de licence obligatoire lorsque, par rapport au genre ou à l'espèce concerné, la variété végétale représente un progrès technique important d'un intérêt économique considérable par rapport à l'invention revendiquée dans le brevet;

(53) considérant que, dans le domaine de l'utilisation en génie génétique de nouvelles caractéristiques végétales issues de nouvelles variétés végétales, un accès garanti moyennant rémunération doit être accordé sous forme de licence obligatoire lorsque l'invention représente un progrès technique important d'un intérêt économique considérable;

(54) considérant que l'article 34 de l'accord ADPIC contient une réglementation détaillée de la charge de la preuve qui s'impose à tous les États membres; que, par conséquent, il n'y a pas lieu de prévoir dans la présente directive une disposition à ce sujet;

(55) considérant que la Communauté, à la suite de la décision 93/626/CEE, est partie à la convention sur la diversité biologique du 5 juin 1992; que, à cet égard, les États membres, dans le cadre de la mise en vigueur des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive, tiennent compte notamment de l'article 3, de l'article 8, point j). et de l'article 16, paragraphe 2, deuxième phrase, et paragraphe 5, de ladite convention;

(56) considérant que la troisième conférence des parties signataires de la convention sur la diversité biologique, qui s'est tenue en novembre 1996, a reconnu, dans la décision 111/17, que «des travaux supplémentaires sont nécessaires pour contribuer au développement d'une appréciation commune de la relation entre les droits de propriété intellectuelle et les dispositions afférentes de l'accord sur les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle et de la convention sur la diversité biologique, notamment sur les questions relatives aux transferts de technologies, la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité et le partage équitable des bénéfices de l'utilisation des ressources génétiques, y compris la protection des connaissances, innovations et pratiques des communautés indigènes et locales incarnant des modes de vie traditionnels important pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité,

ONT ARRETE LA PRESENTE DIRECTIVE:

CHAPITRE I Brevetabilité

Article premier

1. Les États membres protègent les inventions biotechnologiques au moyen de leu droit national des brevets. Ils adaptent leur droit national des brevets, si nécessaire pour tenir compte des dispositions de la présente directive.

2. La présente directive n'affecte pas les obligations découlant, pour les États membres, des conventions internationales, et notamment de l'accord ADPIC et de la convention sur la diversité biologique.

Article 2

1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

a) «matière biologique»: une matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique;

b) «procédé microbiologique»: tout procédé utilisant une matière microbiologique comportant une intervention sur une matière microbiologique ou produisant une matière microbiologique.

2. Un procédé d'obtention de végétaux ou d'animaux est essentiellement biologique s'il consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection.

3. La notion de variété végétale est définie à l'article 5 du règlement (CE) n° 2100/94.

Article 3

1. Aux fins de la présente directive, sont brevetables les inventions nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle, même lorsqu'elles portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique.

2. Une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel.

Article 4

1. Ne sont pas brevetables:

a) les variétés végétales et les races animales;

b) les procédés essentiellement biologiques pour l'obtention de végétaux ou d'animaux.

2. Les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée.

3. Le paragraphe 1, point b), n'affecte pas la brevetabilité d'inventions ayant pour objet un procédé microbiologique, ou d'autres procédés techniques, ou un produit obtenu par ces procédés.

Article 5

1. Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son

développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la

séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peuvent constituer des inventions

brevetables.

2. Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel.

3. L'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet.

Article 6

1. Les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes m_urs sont exclues de la brevetabilité, l'exploitation ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu'elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire.

2. Au titre du paragraphe 1 ne sont notamment pas brevetables:

a) les procédés de clonage des êtres humains;

b) les procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humain;

c) les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales;

d) les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés.

Article 7

Le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies de la Commission évalue tous les aspects éthiques liés à la biotechnologie.

CHAPITRE II Etendue de la protection

Article 8

1. La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés.

2. La protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de la matière biologique directement obtenue, par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés.

Article 9

La protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s'étend à toute matière, sous réserve de l'article 5, paragraphe 1, dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue et exerce sa fonction.

Article 10

La protection visée aux articles 8 et 9 ne s'étend pas à la matière biologique obtenue par reproduction ou multiplication d'une matière biologique mise sur le marché sur le territoire d'un État membre par le titulaire du brevet ou avec son consentement, lorsque la reproduction ou la multiplication résulte nécessairement de l'utilisation pour laquelle la matière biologique a été mise sur le marché, pourvu que la matière obtenue ne soit pas utilisée ensuite pour d'autres reproductions ou multiplications.

Article 11

1. Par dérogation aux articles 8 et 9. la vente ou une autre forme de commercialisation de matériel de reproduction végétal par le titulaire du brevet ou avec son consentement à un agriculteur à des fins d'exploitation agricole implique pour celui-ci l'autorisation d'utiliser le produit de sa récolte pour reproduction ou multiplication par lui-même sur sa propre exploitation, l'étendue et les modalités de cette dérogation correspondant à celles prévues à l'article 14 du règlement (CE) n° 2100/94.

2. Par dérogation aux articles 8 et 9, la vente ou une autre forme de commercialisation d'animaux d'élevage ou autre matériel de reproduction animal par le titulaire du brevet ou avec son consentement à un agriculteur implique pour celui-ci l'autorisation d'utiliser le bétail protégé à un usage agricole. Ceci inclut la mise à disposition de l'animal ou autre matériel de reproduction animal pour la poursuite de son activité agricole, mais non la vente dans le cadre ou le but d'une activité de reproduction commerciale.

3. L'étendue et les modalités de la dérogation prévue au paragraphe 2 sont régies par les lois, les dispositions réglementaires et les pratiques nationales.

CHAPITRE III Licences obligatoires pour dépendance

Article 12

1. Lorsqu'un obtenteur ne peut obtenir ou exploiter un droit d'obtention végétale sans porter atteinte à un brevet antérieur, il peut demander une licence obligatoire pour l'exploitation non exclusive de l'invention protégée par ce brevet, dans la mesure où cette licence est nécessaire pour l'exploitation de la variété végétale à protéger, moyennant une redevance appropriée. Les États membres prévoient que, lorsqu'une telle licence est accordée, le titulaire du brevet a droit à une licence réciproque à des conditions raisonnables pour utiliser la variété protégée.

2. Lorsque le titulaire d'un brevet concernant une invention biotechnologique ne peut exploiter celle-ci sans porter atteinte à un droit d'obtention végétale antérieur sur une variété, il peut demander une licence obligatoire pour l'exploitation non exclusive de la variété protégée par ce droit d'obtention, moyennant une redevance appropriée. Les États membres prévoient que, lorsqu'une telle licence est accordée le titulaire du droit d'obtention a droit à une licence réciproque à des conditions raisonnables pour utiliser l'invention protégée.

3. Les demandeurs des licences visées aux paragraphes 1 et 2 doivent établir:

a) qu'ils se sont vainement adressés au titulaire du brevet ou du droit d'obtention végétale pour obtenir une licence contractuelle;

b) que la variété ou l'invention représente un progrès technique important d'un intérêt économique considérable par rapport à l'invention revendiquée dans le brevet ou à la variété végétale protégée.

4. Chaque État membre désigne la ou les autorités compétentes pour octroyer la licence. Lorsqu'une licence sur une variété végétale ne peut être octroyée que par l'Office communautaire des variétés végétales, l'article 29 du règlement (CE) n° 2100/94 s'applique.

CHAPITRE IV Dépôt d'une matière biologique, accès à une telle matière et nouveau dépôt

Article 13

1. Lorsqu'une invention porte sur de la matière biologique non accessible au public et ne pouvant être décrite dans la demande de brevet pour permettre à une personne du métier de réaliser l'invention, ou implique l'utilisation d'une telle matière, la description n'est réputée suffisante pour l'application du droit des brevets que si:

a) la matière biologique a été déposée au plus tard le jour du dépôt de la demande de brevet auprès d'une institution de dépôt reconnue. Sont reconnues au moins les institutions de dépôt internationales ayant acquis ce statut conformément à l'article 7 du traité de Budapest du 28 avril 1977 sur la reconnaissance internationale du dépôt de micro-organismes aux fins de la procédure en matière de brevets, ci-après dénommé «traité de Budapest»;

b) la demande déposée contient les informations pertinentes dont dispose le déposant sur les caractéristiques de la matière biologique déposée;

c) la demande de brevet mentionne l'institution de dépôt et le numéro de dépôt.

2. L'accès à la matière biologique déposée est assuré par la remise d'un échantillon:

a) jusqu'à la première publication de la demande de brevet, uniquement aux personnes autorisées en vertu du droit national des brevets;

b) entre la première publication de la demande de brevet et la délivrance du brevet à toute personne qui en fait la requête ou, si le déposant le demande, uniquement à un expert indépendant;

c) après la délivrance du brevet et nonobstant une révocation ou annulation du brevet, à toute personne qui en fait la requête.

3. La remise n'a lieu que si le requérant s'engage, pour la durée des effets du brevet:

a) à ne pas communiquer à des tiers aucun échantillon de la matière biologique déposée ou d'une matière qui en serait dérivée

et

b) à n'utiliser aucun échantillon de la matière biologique déposée ou d'une matière qui en serait dérivée, sauf à des fins expérimentales, à moins que le demandeur ou le titulaire du brevet ne renonce expressément à un tel engagement.

4. En cas de rejet ou de retrait de la demande, l'accès à la matière déposée est limité, à la demande du déposant, à un expert indépendant pendant vingt ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet. Dans ce cas, les dispositions du paragraphe 3 sont applicables.

5. Les demandes du déposant visées au paragraphe 2, point b), et au paragraphe 4 ne peuvent être introduites que jusqu'à la date où les préparatifs techniques de la publication de la demande de brevet sont réputés achevés.

Article 14

1. Lorsque la matière biologique déposée conformément à l'article 13 cesse d'être disponible auprès de l'institution de dépôt reconnue, un nouveau dépôt de la matière est autorisé dans les mêmes conditions que celles prévues par le traité de Budapest.

2. Tout nouveau dépôt doit être accompagné d'une déclaration signée par le déposant certifiant que la matière biologique qui fait l'objet du nouveau dépôt est la même que celle qui faisait l'objet du dépôt initial.

CHAPITRE V Dispositions finales

Article 15

1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 30 juillet 2000. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors d< leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2. Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions de droit interne qu'ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.

Article 16

La Commission transmet au Parlement européen et au Conseil:

a) tous les cinq ans à compter de la date prévue à l'article 15, paragraphe 1, un rapport sur la question de savoir si la présente directive a soulevé des problèmes au regard des accords internationaux sur la protection des droits de l'homme, auxquels les États membres ont adhéré;

b) dans un délai de deux ans après l'entrée en vigueur de la présente directive, un rapport tendant à évaluer les implications dans le domaine de la recherche fondamentale en génie génétique de la non-publication ou publication tardive de documents dont l'objet pourrait être brevetable;

c) tous les ans à compter de la date prévue à l'article 15, paragraphe 1, un rapport sur l'évolution et les implications du droit des brevets dans le domaine de la biotechnologie et du génie génétique.

Article 17

La présente directive entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel

des Communautés européennes.

Article 18

Les États membres sont destinataires de la présente directive.

_____________________

N° 3502.- Rapport de M. Alain Claeys, au nom de l'office parlementaire d'evaluation des choix scientifiques et technologiques sur la brevetabilite du vivant.

1 Les signataires de cette Convention sont actuellement : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Liechtenstein, Luxembourg, Monaco, Pays-Bas, Portugal, Royaume Uni, Suède, Suisse, Turquie.