N° 3101
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N° 347
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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

 

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 30 mai 2001

Annexe au procès-verbal de la séance
du 30 mai 2001

 

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

SUR

Les possibilités d'entreposage à long terme de combustibles nucléaires irradiés

 

PAR M.Christian Bataille,

Député

 

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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Yves LE DÉAUT,
Premier
Vice-Président de l'Office

__________________

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.

 

Déchets, pollution et nuisances

ANNEXES

- Texte de la Saisine
-
Compte-rendu de l'examen du rapport par l'Office le 16 mai 2001
-
Compte-rendu des auditions publiques du 3 mai 2001

Annexe 1 : Saisine

graphique

Annexe 2 :
Compte-rendu de l'examen du rapport
par l'Office le 16 mai 2001

Le Mercredi 16 mai 2001, sous la présidence de M. Henri Revol, sénateur, président, les membres de l'Office ont procédé à l'examen du rapport de M. Christian BATAILLE, député, sur les possibilités d'entreposage et de stockage des combustibles irradiés et des déchets radioactifs dans les installations situées en surface et en subsurface.

A la suite de la présentation par le rapporteur des conclusions de son étude et de ses recommandations, M. Henri Revol, sénateur, président lui a demandé d'apporter des précisions sur l'état d'avancement des recherches sur l'entreposage à long terme et sur les délais qu'il serait souhaitable de fixer pour le séjour en France des combustibles étrangers en attente de retraitement.

M. Claude Birraux, député, a rappelé qu'en 1991, lors de la discussion de la loi sur les déchets à haute activité, il n'avait pas été fait état de la nécessité d'entreposer des combustibles irradiés à long terme, la doctrine officielle était encore, à cette époque, celle du « tout retraitement » et du cycle fermé du combustible.

Il a fait part de son accord à la proposition du rapporteur d'affirmer avec une certaine solennité que la France ne devrait en aucun cas accepter d'envoyer des combustibles irradiés ou des déchets dans des centres de stockage situés à l'étranger, notamment en Russie.

Il a regretté que les gouvernements ne fassent, en général, que peu de cas des initiatives des parlementaires dans le domaine législatif, même quand il s'agit de propositions qui pourraient recueillir un très large consensus comme celle que présente le rapporteur.

La création d'une haute autorité ou d'une délégation interministérielle à l'aval du cycle lui est apparue comme une proposition intéressante, bien que l'articulation avec les prérogatives de la DSIN (Direction de la Sécurité des Installations Nucléaires) lui paraisse difficile à établir.

Il a rappelé que, dans un récent rapport, la Cour des Comptes avait posé le problème du financement des dépenses liées à l'aval du cycle et en particulier au démantèlement et s'est prononcé, pour l'avenir, en faveur d'un fonds, comme le proposait le rapporteur. Un tel fonds, qui existe déjà dans certains pays, comme en Suède, permettrait de faire face à tous les changements de statut des entreprises concernées et aux éventuelles ponctions sur les provisions de ces entreprises par le ministère des finances.

M. Henri Revol, sénateur, président, approuvant également cette proposition de création d'un fonds de financement de l'aval du cycle, a rappelé que le problème se posait aussi dans d'autres secteurs que le nucléaire, et en particulier dans la distribution des eaux où, pour la suppression des canalisations en plomb, aucune provision n'a été prévue.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, a tenu à souligner que les retards sur les autorisations d'extension des capacités de retraitement des usines UP 2 et UP 3 de la Cogema provenaient de difficultés d'ordre politique, la DSIN ayant pour sa part donné son feu vert, et qu'il convenait donc de demander au Gouvernement d'accélérer les procédures.

Rappelant les conclusions d'un rapport qu'il avait préparé à la demande du Gouvernement, il a estimé qu'une haute autorité du nucléaire lui paraissait mieux adaptée à la gestion quotidienne du secteur nucléaire et que cette solution éviterait les blocages auxquels on assiste à l'heure actuelle.

Répondant aux intervenants, M. Christian Bataille, député, rapporteur, a notamment indiqué qu'il souhaitait que la publication de son rapport fournisse l'occasion à EDF de préciser la notion de « retraitement différé » et d'indiquer clairement si on n'assistait pas à la création, de facto, de deux filières distinctes de gestion du combustible irradié.

M. Claude Saunier, sénateur, rappelant que toutes les questions relatives aux déchets nucléaires entraînent, dans l'opinion publique, de très vives réactions, d'ailleurs assez souvent irrationnelles, a estimé qu'il convenait de traiter ce domaine avec la plus grande prudence.

Il a demandé au rapporteur de préciser quelles étaient les politiques suivies par les autres pays, possédant une industrie nucléaire, en matière de retraitement et de gestion des combustibles usés et des déchets.

Il s'est en outre inquiété des conséquences qu'entraînera, dans quelques décennies, le démantèlement des centrales.

M. Christian Bataille, député, rapporteur, a rappelé la distinction qu'il fallait faire entre les pays qui, comme les Etats-Unis et la Suède, ont décidé de ne pas retraiter leurs combustibles irradiés et ceux qui, comme la France ou le Japon, ont opté pour cette technique.

Il a également précisé que l'entreposage temporaire d'une partie du combustible, solution vers laquelle on semblait se diriger, ne devait en aucun cas servir de prétexte pour retarder les recherches sur le stockage souterrain, les deux solutions étant complémentaires, et non exclusives. Il a, à cette occasion, regretté que les recherches pour l'implantation d'un second laboratoire dans le site du Gard, qu'il avait proposé en son temps, aient été abandonnées pour des raisons qui ne tenaient pas à la géologie.

Pour M. Claude Gatignol, député, toutes les décisions concernant le secteur nucléaire doivent tenir compte du facteur temps qui n'est pas, dans ce secteur, le même que dans les autres industries. Il s'est ensuite interrogé sur la compatibilité d'une gestion purement nationale de l'aval du cycle avec les règles de libre circulation en vigueur dans la Communauté européenne.

Il a estimé que le retraitement permettait de conserver des capacités énergétiques qui pourraient être utiles si le marché de l'énergie devait dans l'avenir enregistrer des tensions.

En tant qu'élu du département de la Manche, il a tenu à réaffirmer que les populations concernées par les installations de la Cogema ne manifestaient pas d'inquiétudes particulières, conscientes que les mesures de contrôle sont particulièrement élaborées et efficaces.

M. Christian Bataille, député, rapporteur, réfutant les thèses de ceux qui souhaiteraient une certaine internationalisation du traitement des déchets radioactifs, a estimé que l'opinion publique n'était pas prête à accepter le stockage sur le sol français de déchets étrangers, ce qui est d'ailleurs interdit en application de l'article 3 de la loi du 30 décembre 1991. En ce qui concerne la circulation des combustibles irradiés destinés au retraitement, qui ne constituent pas des déchets, il a estimé qu'une clarification des règles actuelles serait néanmoins indispensable.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, s'est prononcé en faveur d'une loi régissant l'ensemble de l'activité nucléaire, qui permettrait de bien distinguer les attributions qui doivent rester de la compétence exclusive des pouvoirs publics, des décisions de gestion courante qui pourraient, en revanche, être confiées à une autorité indépendante, et a demandé en conséquence au rapporteur de bien vouloir modifier sa recommandation sur ce sujet.

M. Christian Bataille, député, rapporteur, a accepté cette proposition et a précisé que la délégation interministérielle qu'il préconisait serait chargée de faire appliquer « au quotidien » la politique de l'aval du cycle définie par les pouvoirs publics.

Les conclusions et les recommandations du rapporteur ainsi amendées ont ensuite été adoptées à l'unanimité des membres présents.

Annexe 3 :
Compte-rendu des auditions publiques
du 3 mai 2001

Audition publique du Jeudi 3 mai 2001
sur la gestion des déchets nucléaires
et sur l'entreposage à long terme
des combustibles irradiés non retraités

Présidence :

M. Christian Bataille, député du Nord.
Rapporteur pour l'OPECST d'une étude sur la gestion des combustibles irradiés non immédiatement retraités.

Exposé introductif : qu'est-ce qu'un déchet nucléaire ?

M. Philippe Saint Raymond, Directeur-adjoint de la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires

1ère table ronde :
ou en est la recherche sur la gestion des dechets a haute activité ?

¬ Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire :

M. Claudio Pescatore

¬ ANDRA :

M. Yves le Bars, Président

¬ CEA :

M. Patrice Bernard, Directeur du Développement et de l'innovation nucléaire

¬ Commission Nationale de l'Evaluation :

M. Bernard Tissot, Président (suppléé par M. Guillaumont)

¬ DSIN :

M. Philippe Saint Raymond, Directeur-adjoint

¬ Groupement Scientifique pour l'Information sur l'Energie Nucléaire :

Mme Monique Séné, Présidente

2ème table ronde :
Que va-t-on faire des dechets a faible et tres faible activité ?

¬ ANDRA

M. Yves le Bars, Président

¬ CEA

M. Jacques Bouchard, Directeur de l'énergie nucléaire

M. Christophe Behar, Directeur des Matières nucléaires

¬ Ministère de l'Environnement

M. Roland Lagarde, Conseiller technique au Cabinet de la Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement.

¬ OPRI

Professeur Jean-François Lacronique, Président

Conclusion de la matinée

M. René Pellat, Haut Commissaire à l'énergie atomique

3ème table ronde :
Les problèmes poses par le non retraitement immédiat
d'une partie du combustible irradié

¬ CEA

M. Jacques Bouchard, Directeur de l'énergie nucléaire

¬ COGEMA

Mme Anne Lauvergeon, Présidente

¬ EDF

M. François Roussely, Président

¬ Greenpeace

M. Jean-Luc Thierry

¬ Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

M. Dominique Maillard, Directeur général de l'énergie et des matières premières

4ème table ronde :
Comment entreposer de façon sûre et à long terme des combustibles irradies ?

¬ ANDRA

M. François Jacq, Directeur Général

¬ CEA

M. Patrice Bernard, Directeur du Développement et de l'innovation nucléaire

¬ CNE

M. Robert Guillaumont, Professeur honoraire de l'Université Paris XI Orsay

¬ COGEMA

M. Bertrand Barré, Directeur de la Recherche et du Développement

¬ DSIN

M. Claude Lacoste, Directeur

¬ EDF

M. Bernard Dupraz, Directeur au pôle Industrie (Division ingénierie et service)

¬ Ministère de l'Environnement

M. Roland Lagarde, Conseiller technique au Cabinet de la Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement.

CLOTURE DE LA JOURNEE

M. Christian Bataille

La séance est ouverte à 9 heures 35 sous la présidence de Monsieur BATAILLE, député du Nord, Rapporteur pour l'OPECST d'une étude sur la gestion des combustibles irradiés non immédiatement retraités.

M. LE PRÉSIDENT. - Mesdames et Messieurs, chers collègues parlementaires, nous allons pouvoir commencer cette journée d'audition consacrée à la gestion des déchets nucléaires et à l'entreposage à long terme des combustibles irradiés non retraités. Cette journée se décomposera en quatre tables rondes.

Je souhaiterais vous résumer en quelques mots dans quel contexte nous allons réfléchir ensemble.

Au printemps 1990, il y a plus de dix ans, cet Office Parlementaire qui vous réunit aujourd'hui m'a désigné comme Rapporteur d'une étude sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité, sujet sur lequel je n'avais à l'époque que de très vagues connaissances.

J'étais loin d'imaginer que onze ans plus tard, je traiterai encore de cette question après avoir présenté sept rapports successifs sur différents aspects de ce dossier et après avoir visité des dizaines et dizaines de site de stockage et de traitement de ces déchets en France et dans le monde entier.

Le prochain Rapport de l'Office sera présenté à mes collègues le 16 mai et portera sur l'entreposage des combustibles irradiés non immédiatement retraités.

Comme pour les Rapports qui se font à l'Office, celui-ci a eu recours à plusieurs sources d'informations, des auditions à huis clos avec de grands partenaires de l'industrie nucléaire et des déplacements sur site. Pour compléter ces informations et conformément à un usage bien établi à l'Office, j'ai décidé d'organiser une série d'auditions publiques, préalablement à la rédaction des conclusions du Rapport, qui seront livrées à l'opinion sous la réserve de l'approbation de l'Office.

Nous en sommes par conséquent à la dernière étape. Mes collègues et moi-même estimons en effet qu'il est absolument indispensable de permettre aux parties concernées et aux interlocuteurs de s'exprimer librement et contradictoirement afin que le Parlement puisse disposer d'une information aussi exhaustive que possible.

Ces auditions ont peu à peu créé un espace de débat public ; il y en a eu par l'Office dans d'autres domaines. Ces instances manquent encore trop souvent dans notre pays, dans lequel nous ne réussissons pas toujours à organiser la confrontation des opinions sur les grands problèmes de société en respectant un minimum de méthode. A une discussion franche, parfois rude si nécessaire, mais suivant des règles préétablies, nous préférons encore trop souvent les affrontements, les manifestations, parfois par médias interposés voire depuis quelque temps des recours en justice.

Par conséquent, si l'Office peut contribuer à rétablir un peu de sérénité dans les débats, en particulier en ce qui concerne l'énergie nucléaire et l'industrie nucléaire, je pense que nous n'aurons pas perdu notre temps.

À l'origine, cette journée d'audition devait essentiellement porter sur le sujet exclusif de mon rapport : l'entreposage des combustibles irradiés.

Il m'est toutefois apparu qu'il serait intéressant de profiter de la venue de nombreux intervenants qui ont répondu à notre demande pour faire également le point sur la gestion des déchets radioactifs, qu'ils soient de très haute, de moyenne, de faible et même de très faible activité. Ces sujets sont quasiment jointifs avec celui des combustibles irradiés et de leur entreposage.

Ce matin, nous nous pencherons sur les problèmes posés par les déchets radioactifs et nous aborderons cet après-midi les questions relatives à la gestion des combustibles irradiés.

Nous sommes dix ans après l'adoption par le Parlement de la Loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets de haute activité parfois appelée Loi BATAILLE. Il me paraissait intéressant de faire le point sur les recherches dans ce domaine, bien que nous disposions désormais chaque année de deux documents sur l'application de la Loi sur les déchets à haute activité qui émanent du Ministère de la Recherche et de la Commission Nationale d'Évaluation.

Je pense qu'il reste encore pour les parlementaires quelques sujets d'interrogation et quelques inquiétudes dont ils feront état aujourd'hui. N'oublions pas que nous sommes à cinq ans du rendez-vous de 2006, date à laquelle les parlementaires qui seront en place à ce moment auront à se prononcer sur la suite à donner au programme de recherche actuellement en cours. Il n'est donc que temps d'apporter à ces programmes de recherche les inflexions et les corrections éventuellement nécessaires.

Concernant les déchets de très faible activité, les TFA en jargon de spécialistes, des développements récents laissent à penser que nous aurons bientôt une solution mais qu'un certain nombre de problèmes subsisteront et que des questions continueront à se poser. Il sera par conséquent intéressant de faire le point, ainsi que sur certaines dispositions sur les normes de radioprotection et sur les seuils de libération.

Afin de remettre en mémoire quelques données fondamentales et dans un but pédagogique, j'ai demandé en guise d'introduction à Monsieur Philippe SAINT RAYMOND, Directeur adjoint de la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires, de nous rappeler brièvement ce que l'on considère comme des déchets nucléaires, ainsi que leur classification, les quantités produites, les principaux problèmes techniques et législatifs que pose leur gestion.

Nous passerons ensuite à la première puis à la deuxième table ronde de ce matin. Les intervenants de ces tables rondes seront rassemblés autour de la table centrale aux côtés des parlementaires présents.

Avant de commencer, je vais vous rappeler quelques principes qui président à l'organisation de ces auditions. Ces auditions sont publiques, elles sont ouvertes à la presse mais nous nous trouvons malgré tout dans un processus exclusivement parlementaire. Il s'ensuit que seuls les députés et les sénateurs, qu'ils soient ou non membres de l'Office, sont autorisés à poser des questions aux participants aux différentes tables rondes.

Néanmoins, comme cela est indiqué dans le document distribué, les personnes présentes non parlementaires peuvent m'adresser par écrit des questions que j'adresserai à nos intervenants si j'estime qu'elles contribuent à orienter et à enrichir le débat.

En introduction pour ce matin et en présentation des deux tables rondes, je donne la parole à Monsieur Philippe SAINT RAYMOND, Directeur adjoint de la Direction de Sûreté des Installations Nucléaires.

M. SAINT RAYMOND. - Merci, Monsieur le Président. Je vais vous rappeler très brièvement ce que l'on appelle communément un déchet radioactif.

On parle tantôt de déchets nucléaires, tantôt de déchets radioactifs, et vous avez vous-mêmes employé successivement les deux notions dans votre introduction. Pour ma part, je commencerai par dire ce qu'est un déchet radioactif car c'est la notion la plus large, puis j'évoquerai ensuite le problème des déchets nucléaires, c'est-à-dire des déchets radioactifs provenant de l'industrie nucléaire.

Qu'est-ce qu'un déchet radioactif ? Monsieur La Palisse dirait qu'un déchet radioactif est un déchet qui est radioactif. Alors qu'est-ce qu'un déchet ? Que signifie radioactif ? La notion de déchet a été définie en France par une Loi de 1975 et je vais lire la définition du déchet d'après cette Loi : Est un déchet au sens de la présente Loi tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble, abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon.

C'est une définition quelque peu contournée et qui montre qu'une chose ou une substance ne devient un déchet que par le rapport qu'elle a avec son détenteur. Je ferai une comparaison triviale pour bien me faire comprendre : je suppose que j'arrive à trouer l'une de mes paires de chaussettes. Deux possibilités s'offrent à moi : je les reprise ou je les fais repriser par quelqu'un qui m'est cher et ma paire de chaussettes n'est dès lors pas un déchet ; je peux également décider que l'on ne reprise plus les chaussettes au vingt et unième siècle et je les mets directement à la poubelle. Cela devient dans ce cas un déchet. Cet exemple montre que la même chose dans le même état peut être ou non un déchet, suivant son rapport avec son détenteur.

La Loi de 1975 a été complétée par une autre Loi de 1992 qui a introduit la notion de déchet ultime.

Je lis encore la citation de cette Loi de 1992, intégrée dans la Loi de 1975 : Est ultime au sens de la présente Loi un déchet, résultant ou non du traitement d'un déchet, qui n'est plus susceptible d'être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux.

Un certain nombre de personnes n'ont présente à l'esprit que cette addition introduite par la Loi de 1992 et en la lisant rapidement, ont tendance à penser que tout ce qui n'est pas valorisable dans les conditions économiques du moment devient un déchet. Ce n'est pas du tout ce que dit le texte que je viens de vous lire. Ce texte a pour objet de définir, à l'intérieur des déchets, ce que sont les déchets ultimes.

Pour être un déchet ultime, il faut d'abord être un déchet et ensuite, si l'on n'est plus susceptible de valorisation ou de traitement, on devient alors un déchet ultime.

J'ai essayé de présenter ces définitions aussi clairement que possible mais vous voyez qu'elles prêtent à certaines interprétations ainsi qu'à certaines controverses, d'autant plus qu'il existe au niveau européen une définition du déchet qui n'est pas exactement identique à la définition française. Il y a eu un certain nombre de contentieux au niveau français et au niveau européen, qui permettent de mieux cerner la qualité de déchets pour telle ou telle substance ou tel ou tel produit.

Un déchet radioactif est d'abord un déchet et ensuite un déchet qui est radioactif. Là se pose une seconde difficulté : que signifie être radioactif ? En effet, la radioactivité est un phénomène qui a été découvert il y a un siècle seulement, mais dont nous avons depuis découvert qu'elle était omniprésente dans toute la nature. Je suis radioactif, vous êtes radioactifs.

Où situerons-nous la frontière entre ce qui est radioactif et ce qui n'est pas radioactif pour dire qu'un déchet est radioactif ? Je ne répondrai pas à cette question. Je n'y répondrai pas car personne n'a osé franchir le pas en disant : on considérera tel élément radioactif au-dessus de telle teneur et telle activité.

Il faut avoir un ordre de grandeur : il existe des matériaux plus ou moins radioactifs dans la croûte terrestre. La moyenne de la radioactivité est légèrement inférieure à 1 Becquerel par gramme. Nous pourrions dire que tout ce qui comporte plus de 1 Becquerel par gramme est considéré comme radioactif. Cela signifierait que des substances tout à fait naturelles et utilisées de façon courante telles que le granit seraient considérées comme des substances radioactives et dangereuses à ce titre.

En fait, personne n'a réussi à se mettre d'accord sur une limite entre ce qui est radioactif et ce qui ne l'est pas. Nous savons en revanche qu'il existe des substances beaucoup plus radioactives que d'autres. Pour en revenir aux déchets, les déchets spécifiquement produits par l'industrie nucléaire, que l'on appelle les déchets nucléaires, offrent toute une gamme de radioactivité.

Ceci a amené à effectuer plusieurs classements dans les types de déchets que l'on peut rencontrer, qui proviennent ou non de l'activité nucléaire. Ce classement est typiquement fondé sur deux caractéristiques des déchets : tout d'abord leur radioactivité, le nombre de Becquerels par gramme de ces déchets ; le second critère concerne la durée de vie des produits radioactifs.

Les produits radioactifs ont cette caractéristique que, du fait de leur radioactivité, ils se détruisent eux-mêmes. Nous pouvons mesurer ce phénomène par un paramètre que l'on nomme la demie vie, c'est-à-dire le temps au bout duquel l'activité d'une substance radioactive a été divisée par deux. Je donnerais peut-être des critères plus quantitatifs : nous considérons habituellement que sont à courte vie les radioéléments qui ont une demie vie inférieure à trente ans et que sont à longue durée de vie les substances radioactives qui ont une demie vie supérieure à trente ans.

En fonction de ces deux critères d'activité des déchets et de durée de vie des substances radioactives, nous pouvons établir un tableau à double entrée comme celui que je vous présente sur ce transparent.

Telle est la classification que nous retenons à la DSIN pour sérier les déchets. Cette classification est dite opérationnelle car elle est fondée non pas tellement sur des considérations théoriques mais sur des considérations pratiques.

Que pourrons-nous faire de telle ou telle catégorie de déchets ? Nous avons réparti les déchets dans les différentes cases en fonction de cette question, en partant des déchets les plus hautement actifs.

Qu'ils soient à courte ou à longue période ne change pas grand-chose, ce sont les déchets qui tombent dans le champ de la Loi du 30 décembre 1991 qu'évoquait à l'instant Monsieur BATAILLE, et pour lesquels un certain nombre de recherches sont en cours, dont nous parlerons certainement au cours de cette journée.

Lorsqu'il s'agit de déchets qui sont moins actifs, moyennement actifs ou faiblement actifs et qui sont à vie courte, c'est-à-dire d'une demie vie inférieure à trente ans, ces déchets peuvent être stockés, c'est-à-dire mis de façon définitive dans un stockage en surface et le stockage en surface en fonctionnement en France est le Centre de l'Aube exploité par l'ANDRA.

Les déchets moyennement actifs mais qui ont une plus longue durée de vie, de plus de trente ans, entrent également dans le champ de la Loi du 30 décembre 1991, bien que cette Loi ne vise pas directement cette catégorie de déchets. La meilleure gestion que nous puissions avoir de ces déchets est de les gérer de la même façon que les déchets de haute activité qui sont directement visés par la Loi de 1991.

Pour les déchets faiblement actifs mais qui ont une durée de vie supérieure à trente ans, vous voyez une case marquée À l'étude car nous n'avons pas actuellement de solution définitive ni satisfaisante pour la gestion de ces déchets. Ces déchets sont typiquement les déchets provenant de l'exploitation des mines ou les déchets radifères provenant de l'ancienne industrie du radium.

Il y a également la catégorie qu'évoquait Monsieur BATAILLE, celle des déchets très faiblement actifs, qui ne sont d'ailleurs pas tous des déchets nucléaires. Certains des déchets de faible activité ne proviennent pas de l'industrie nucléaire. Pour cette catégorie, l'ANDRA étudie depuis quelques années un concept de stockage en surface, ce stockage pouvant également concerner les déchets qui ont une durée de vie supérieure à trente ans.

J'attire votre attention sur la partie droite de ce transparent, qui donne un ordre de grandeur des volumes attendus d'ici 2020, à la fois en volume et en radioactivité. Peu de déchets très faiblement actifs sont attendus d'ici 2020. Une source importante de déchets très faiblement actifs sera constituée par le démantèlement des installations nucléaires. Les gros démantèlements auront lieu postérieurement à 2020. Nous avons indiqué une estimation tout à fait sujette à caution car l'incertitude est grande mais il s'agit d'un ordre de grandeur de 250 000 mètres cubes.

Il faut s'habituer à des unités barbares du point de vue de la radioactivité : nous avons évalué la radioactivité de l'ensemble à 3 téraBecquerels. En radioactivité αβγ, le téraBecquerel est égal à 1 000 milliards de Becquerels. Je vous rappelle qu'un mètre cube de sol tout-venant représente peut-être deux ou trois millions de Becquerels. Un Becquerel est réellement peu de chose.

Pour le stockage en surface, nous évaluons à environ 500 000 mètres cubes la production de déchets d'ici l'année 2020 et nous évaluons la radioactivité à 250 téraBecquerels en radioactivité α. Il s'agit de la radioactivité avec de grosses particules, c'est-à-dire d'une radioactivité dont on se protège relativement facilement car cette radioactivité est arrêtée par des écrans, même pas très importants. Elle est cependant susceptible de faire très mal lorsqu'elle entre en contact avec le corps humain. Les radioémetteurs α sont généralement à longue durée de vie, ce qui ne simplifie pas le problème.

En radioactivité βγ, nous introduisons une autre unité : il s'agit du PetaBecquerel qui vaut 1 000 téraBecquerels.

Si nous passons dans la catégorie supérieure, c'est-à-dire aux déchets à longue durée de vie et à moyenne activité, nous obtenons de plus faibles volumes, 90 000 mètres cubes, ainsi qu'une radioactivité nettement plus forte puisque nous avons là 500 PetaBecquerels soit 500 000 téraBecquerels et 17 lexaBecquerel. Le lexaBecquerel vaut 1 million de téraBecquerels et 17 millions de téraBecquerels en radioactivité βγ.

Les déchets à haute activité qui font l'objet de la Loi de 1991 ont des tonnages faibles de 6 000 mètres cubes d'ici 2020. Ce n'est vraiment pas grand-chose mais ils comportent des radioactivités considérables de 5 millions de téraBecquerels en α et 1 milliard de téraBecquerels en βγ.

Tels sont les problèmes auxquels nous serons confrontés. Je m'arrêterai peut-être ici, Monsieur le Président, car le reste fera l'objet de discussions.

M. LE PRÉSIDENT. - Je pense en effet que nous y reviendrons dans la demi-heure à venir.

PREMIÈRE TABLE RONDE : OÙ EN EST LA RECHERCHE SUR LA GESTION DES DÉCHETS À HAUTE ACTIVITÉ ?

Je vous l'ai dit, je me suis penché à plusieurs reprises sur cette question depuis une dizaine d'années. Les progrès sont lents mais nous avançons tout de même, malgré tous les obstacles. Il ne s'agit en effet pour le moment que de rechercher des solutions dont, en ce qui concerne les déchets à haute activité, certaines seront présentées en 2006 au Parlement, qui détient seul le pouvoir de décider.

Nous avons diverses attitudes : certains s'opposent à la recherche par principe. Cela ne me paraît pas une attitude raisonnable. Les déchets existent et nous devons rechercher un certain nombre de solutions pour les gérer, que nous soyons ou non partisans de l'énergie nucléaire.

Nous avons une première table ronde concernant ce problème difficile. Les organismes représentés sont l'Agence de l'OCDE pour l'Énergie Nucléaire, l'AEN, représentée par Monsieur Claudio PESCATORE ; l'ANDRA qui est représentée par Monsieur François JACQ. Son Président, Monsieur LE BARS, nous rejoindra dans le cours de la journée. Le CEA est représenté par Monsieur Patrice BERNARD, Directeur du Développement et de l'Innovation Nucléaire. La Commission Nationale de l'Évaluation est aujourd'hui représentée par Monsieur GUILLAUMONT, Professeur honoraire de Paris Orsay et membre de cette Commission. J'en profite pour adresser mes v_ux de prompt rétablissement à son Président Bernard TISSOT.

La DSIN est représentée par Monsieur SAINT RAYMOND qui nous a fait la présentation et qui aura certainement des choses à nous dire lors de cette table ronde. Enfin, le Groupement Scientifique pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire est représenté par sa Présidente, Madame Monique SÉNÉ.

Je vais successivement donner la parole à ces divers intervenants. Je leur demande de présenter brièvement les éléments de réflexion, c'est-à-dire entre cinq et huit minutes, afin que nous ayons ensuite le temps de repréciser les éléments à travers les questions qui viendront des parlementaires dont moi-même, et peut-être également de la salle.

Je donne la parole à Monsieur PESCATORE, de l'Agence pour l'Énergie Nucléaire de l'OCDE.

M. PESCATORE. - Merci, Monsieur le Président.

Je commencerai par vous montrer un graphique qui se réfère à ce que Monsieur SAINT RAYMOND vient de dire. Nous sommes exposés à plusieurs formes de radioactivité naturelle, qu'il s'agisse par exemple du charbon, de la radioactivité de notre corps ou encore des radiations cosmiques.

Vous voyez sur ce graphique que la plus grande part de radioactivité est issue du radon ; un tiers des radiations que nous recevons en radons est dû au fait que nous fermons les maisons afin de conserver la chaleur.

Ce graphique indique une échelle de radons de 65 000 unités. Si nous tentions de représenter sur un tel camembert les doses qui sont issues des dépôts de déchets radioactifs, nous ne pourrions pas les voir.

La raison en est la suivante et je vous donne ainsi un exemple d'analyse de sûreté : en Suisse, il vous faudrait boire un litre d'eau minérale chaque jour durant une année pour absorber l'équivalent de la dose d'un dépôt de déchet de haute radioactivité. Ceci signifie que la situation n'est pas dramatique. Cependant, de nombreuses recherches se poursuivent dans ce domaine, que j'évoquerai brièvement.

L'AEN a plusieurs plates-formes internationales de travail, au niveau des décideurs et du management tel que les spécialistes des analyses de sûreté, ainsi qu'au niveau d'acquisition de données. Nous effectuons des expertises internationales. Parmi les toutes dernières expertises que nous avons menées, je retiendrai l'exemple de la Suède en 1997 pour les régulateurs suédois. Nous préparons actuellement la revue du projet de Yucca Mountain aux États-Unis.

Comme je l'ai indiqué, nous développons également des bases de données et des outils de travail. Nous avons récemment publié plusieurs publications dans ce domaine, qui sont également accessibles à un public profane, notamment le Rapport des dix dernières années concernant le domaine stratégique de la gestion des déchets radioactifs, que j'évoquerai à présent.

Nous avons publié voici deux ans ce Rapport intitulé L'évacuation géologique des déchets radioactifs, bilan des dix dernières années, rédigé à la suite de l'analyse des réponses à un questionnaire adressé aux instances nationales et internationales représentées à l'AEN. Il s'agissait des opérateurs, des autorités de sûreté, des bureaux de politiques énergétiques et des instituts de recherche.

Nous avons établi que l'évacuation géologique, c'est-à-dire le stockage, reste pour les experts la solution de gestion de référence et la seule option qui puisse assurer la sûreté et la sécurité sur le long terme. C'est également une solution éthique.

Le progrès technologique des dix dernières années a été très significatif concernant la compréhension scientifique, les techniques de caractérisation des sites, la modélisation, les analyses de sûreté ainsi que les expériences dans les laboratoires souterrains.

Nous avons en effet une dizaine de laboratoires. Nous pensons que la technologie est accessible. Il existe des dépôts qui ne sont pas des dépôts de haute activité mais qui se situent en profondeur et sont encore en opération. Les expertises nationales et internationales démontrent que nous pouvons accorder un niveau important de confiance en la sûreté de ces dépôts.

Nous avons également établi que les échelles de temps envisagées pour la mise en _uvre de cette option de stockage se sont révélées trop optimistes. Nous pouvons nous demander si cet optimisme était celui des techniciens ou s'il n'y avait pas d'urgence à résoudre ce problème puisque nous savions après tout entreposer ces déchets.

Nous nous sommes cependant aperçus que nous avions sous-estimé la dimension sociale, politique ainsi que la charge réglementaire, c'est-à-dire la difficulté de prouver la sûreté de ces dépôts aux autorités de sûreté. Cet élément est important.

En outre, la confiance des experts dans le stockage géologique ne suffit pas à elle seule. Nous pourrions citer des attitudes négatives envers le nucléaire ainsi qu'un manque de communication, mais il paraît important qu'une nouvelle dynamique décisionnelle apparaisse. Cette dynamique se met actuellement en place au sein des pays de l'OCDE.

Une importante revue canadienne a mis ces éléments en lumière en 1998. Cette revue soulignait que tout ce que nous avions réalisé jusque-là était sûr du point de vue technique mais non du point de vue social.

Nous concluons que le travail technique doit se poursuivre aujourd'hui avec le support de politiques et dans des cadres politiques et réglementaires cohérents, avec des points décisionnels bien identifiés. Nous souhaitons réellement permettre une prise de décision par étape.

Dans cette nouvelle dynamique, nous devons nous donner des opportunités de discours avec le public. Nous devons adopter une ouverture d'esprit lorsque des questions éthiques et morales se posent. Nous constatons également aujourd'hui une flexibilité accrue du concept de stockage un peu partout dans le monde et nous devons nous acheminer vers la réversibilité, et/ou la récupérabilité potentielle de ces déchets. Nous devons en outre donner des ressources aux critiques. Le besoin d'échanges de points de vue se fait encore sentir au niveau international. Certains éléments ont été mis en place : la Loi de 1991 prévoit notamment ces échanges avec le public.

Les prises de décisions en Suède et en Finlande nous montrent d'autres exemples de ces aspects. J'évoquerai à ce sujet la situation finlandaise comme un exemple de prise de décisions. Le projet POSIVA a réalisé dix années d'études et a trouvé quatre sites qui ont tous été jugés acceptables concernant la sûreté à long terme. La demande de développement du site Eurajoki a été appuyée par plusieurs études dont une évaluation d'impact sur l'environnement.

L'autorité de sûreté a jugé cette demande acceptable. La commune, qui disposait du droit de veto concernant cette décision, a également donné son aval. Le gouvernement s'est également exprimé et a réalisé un bilan. La décision du Parlement devrait intervenir dans deux mois.

La Suède s'est également dotée d'une échelle décisionnelle semblable à celle de la Finlande et dispose d'un étonnant niveau de participation des communautés locales. Une structure importante a été mise en place au niveau local grâce au fonds pour la gestion des déchets, afin d'expertiser toutes les études concernant le stockage et d'accroître le niveau de compétence du public. Des groupes de citoyens étudient eux-mêmes le dossier de sûreté et ont accès au rapport technique en même temps que l'opérateur.

Pour conclure, nous pouvons dire que le stockage des déchets est un problème technique, dans la mesure où la technologie développée doit être testée ultérieurement en vue d'améliorations possibles et en vue de la soumettre à des contrôles de qualité. Ces éléments sont très importants et ils prendront des années.

Le stockage des déchets est également un problème de « génie social » dont il faudra tenir compte. Merci.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur PESCATORE. Je vais à présent donner la parole à Monsieur François JACQ, Directeur Général de l'ANDRA, l'Agence Nationale des Déchets Radioactifs.

M. JACQ. - Merci, Monsieur le Président. Dans le cadre de cette table ronde dont l'objectif est de faire le point concernant l'état de la recherche sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue, je présenterai, aussi brièvement que possible, l'état des travaux de recherches qui ont été confiés à l'ANDRA dans le cadre de la Loi de 1991.

Je rappellerai très brièvement notre cadre : pour ce qui est de la Loi de 1991 et des trois voies de recherche, l'ANDRA est en charge d'étudier la faisabilité du stockage. Ce projet de recherche de l'ANDRA peut se décomposer très sommairement en trois éléments : il s'agit d'une part de bien connaître les déchets et de disposer de l'inventaire des déchets que nous aurions à traiter ; il s'agit d'autre part des études de conception de ce que pourrait constituer un éventuel stockage.

Ces études se divisent en études de conception, études de réversibilité et études de sûreté. Il s'agit enfin de l'acquisition de données de terrain, grâce aux laboratoires souterrains qui se situe à Bure dans le milieu argileux. Tels sont les trois éléments de l'architecture du projet.

Je vais balayer très rapidement ce que nous pouvons considérer comme étant les acquis des années antérieures et j'essaierai d'esquisser brièvement deux ou trois perspectives pour les années à venir.

Je serai rapide concernant les acquis du projet afin de laisser la place au débat. J'ai évoqué la notion d'inventaire : l'année 2000 a vu la sortie de ce que nous appelons un modèle d'inventaire dans notre jargon, c'est-à-dire une classification complète de l'ensemble des colis, les soixante familles identifiées de colis étant regroupées en douze familles de colis types. C'est l'outil de base pour savoir ce que nous aurons à traiter et quelles en sont les caractéristiques chimiques diverses et variées.

Le deuxième acquis du projet concerne les études de concept. Nous avons mené un certain nombre d'études de concept sur ce que pourrait être une architecture de stockage, de façon assez spécifique pour chaque type de déchets. Il s'agit des déchets moyennement actifs, dits B et des combustibles usés et des déchets C.

Le troisième élément des acquis des années antérieures concerne un ensemble de programmes d'acquisition de connaissances sur les matériaux, sur le comportement de barrières ouvragées, d'argile, de béton, sur la biosphère, sur les voies de retour à l'exutoire d'éventuels radionucléides dans l'environnement. Il s'agit en outre des programmes d'acquisition de connaissances sur site dans le cadre du laboratoire souterrain. Nous avons à présent plus d'une année de travail. J'y reviendrai dans un instant.

Je poursuis concernant ces acquis du projet et j'évoquerai un terme barbare mais je crois qu'il est important. Nous avons mené une analyse phénoménologique, consistant à essayer de se projeter dans le temps afin de décrire le comportement d'un éventuel stockage dans le temps et dans l'espace. Ceci est étroitement lié à des considérations concernant la simulation sur des programmes de modélisation. Nous effectuons un travail important, en collaboration avec le Commissariat de l'Énergie Atomique. Ce travail s'est bâti au fil de l'année 2000 pour essayer de construire une plate-forme de simulation commune.

Nous avons également beaucoup progressé quant à la réflexion sur la réversibilité afin de tenter de définir des niveaux de réversibilité et des programmes de surveillance associée. Je reviendrai dans un instant sur la sûreté mais nous mènerons au cours de l'année 2001 une première évaluation de sûreté des concepts que nous avons étudiés.

S'agissant des données de terrain, depuis l'autorisation de l'ouverture du laboratoire souterrain de Bure, nous avons engrangé une moisson très riche de données sur le milieu, le comportement hydrologique et le comportement des argiles en termes de campagne de géophysique, de forages de suivi de l'environnement, de forages de reconnaissance géologique et de début de fonçage des puits avec les observations afférentes.

Ce schéma remet tous ces éléments en perspective ; il va jusqu'en 2005. Un certain nombre de travaux de surface ont été conduits entre 1999 et 2000 au sein du laboratoire. Le fonçage des puits a démarré : le puits principal et le puits secondaire sont à - 40 mètres. Le fonçage qui nous amènera jusqu'à la couche argileuse aura lieu jusqu'en 2002. À partir de 2002 ou 2003, nous aurons une première niche d'expérimentation dans l'argile puis un certain nombre de galeries et d'expérimentations. L'objectif de l'ANDRA est de remettre son rapport au gouvernement à la fin de 2005, comme convenu.

Je souhaiterais illustrer ce que cela donne avec quelques photographies du site. Vous avez là un certain nombre d'installations. En haut, le puits tel qu'il était encore il y a quelques semaines, c'est-à-dire durant le début du creusement du puits principal. À droite, le plancher de fonçage est l'installation qui se mettra en place au-dessus du puits afin de le creuser. Vous voyez en outre un certain nombre des éléments du plancher de fonçage et vous avez une vue des travaux en cours sur le site.

J'en aurai terminé lorsque je vous aurai fait part de l'étape de 2001. Elle constitue pour nous une première vérification de sûreté qui doit nous permettre de tester nos méthodologies d'analyse de sûreté, d'évaluer un certain nombre de concepts et de bien orienter l'ensemble des recherches pour la période 2002-2005.

Je conclurai sur le laboratoire de Bure pour rappeler ce qui sera conduit dans le laboratoire, c'est-à-dire un certain nombre d'expérimentations souterraines, dans les puits et en galeries, pour la connaissance du milieu géologique et pour les propriétés géomécaniques, à savoir la tenue des argiles et leurs capacités de confinement concernant les études de migration. Nous apprécierons en outre la pérennité de la qualité de la roche dans le temps et nous étudierons son comportement. J'ai déjà évoqué le calendrier. Une niche sera mise à disposition durant l'été 2002 pour un certain nombre de premières expérimentations. Les expérimentations en galerie seront effectuées début 2003.

Il importera de constituer un acquis et une inflexion dans la politique de l'ANDRA, tout au moins une ouverture supplémentaire. Il s'agira d'une ouverture internationale forte du laboratoire. Un workshop a réuni quasiment dix-huit pays ou agences en décembre 2000 : ces personnes sont intéressées à venir travailler sur le site du laboratoire et sur nos programmes.

J'en ai terminé, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur JACQ. Nous continuons avec Monsieur Patrice BERNARD, Directeur du Développement et de l'Innovation Nucléaire au CEA.

M. BERNARD. - Je voudrais tout d'abord rappeler que la France s'est engagée dans une démarche d'optimisations de la gestion des déchets, consistant à séparer et à recycler les matières énergétiques valorisables, ainsi qu'à réduire, à conditionner et à stocker des déchets ultimes.

Il faut noter qu'à l'issue des opérations de l'aval du cycle, les déchets de haute activité à vie longue, c'est-à-dire les déchets vitrifiés, représentent l'essentiel de la radioactivité totale des déchets, soit 99 %. Comme l'a rappelé Monsieur SAINT RAYMOND, ces déchets sont conditionnés dans un très faible volume puisque 150 mètres cubes de produits vitrifiés sont produits chaque année.

Néanmoins, le contenu radioactif de ces déchets constitue un risque potentiel pour l'homme et pour l'environnement, et la Loi du 30 décembre 1991 a indiqué les voies de recherche à explorer.

Monsieur François JACQ a présenté une voie de recherche concernant l'étude du stockage géologique profond. La Loi demande que nous étudiions comment minimiser la quantité et la radiotoxicité des déchets ultimes, d'une part par la séparation et la transmutation et d'autre part comment conditionner et entreposer ces déchets dans la longue durée.

Ces éléments constituent les deux axes de recherche confiés en termes de pilotage au CEA. Ces recherches sont menées en étroite coopération avec les acteurs de la recherche et de l'industrie, et bien évidemment avec l'ANDRA dans l'articulation de tout ce qui peut concerner le conditionnement, l'entreposage et le stockage.

En outre, nous pouvons considérer qu'il existe dès à présent des solutions pour la gestion à long terme des déchets et qu'il faut considérer les trois axes de recherche comme des voies complémentaires dans une perspective de mise en _uvre progressive des solutions. Parmi les résultats de recherche que je voudrais partager avec vous et porter à votre connaissance dans le domaine du premier axe, c'est-à-dire la minimisation de la quantité et de la nocivité des déchets, il faut souligner que les recherches menées par le CEA et la COGEMA depuis 1992 ont d'ores et déjà permis de réduire d'un facteur 3 la quantité de déchets solides dans le procédé de retraitement de l'usine de La Hague et de diviser par 10 la quantité d'activité d'effluents et de rejets.

Dans une étape complémentaire, en ce qui concerne la séparation poussée et grâce aux études menées depuis 1991, le schéma de référence d'un procédé avancé de séparation poussée des principaux radionucléides à vie longue présents dans les déchets a été défini, avec en particulier le développement de nouveaux procédés chimiques mettant en _uvre des molécules très sélectives. Elles permettent de séparer les actinides mineurs qui sont les principaux contributeurs à la radioactivité à long terme dans les déchets vitrifiés.

Ces familles d'extractants ont été définies, les molécules de référence ont été synthétisées et nous avons pu vérifier expérimentalement leurs performances de séparation, qui sont de l'ordre de 99 %. Nous pouvons ainsi récupérer 99 % des actinides mineurs par cette séparation poussée et ces nouvelles molécules. Ceci a été testé sur des solutions radioactives réelles dans les installations du CEA, notamment l'installation ATALANTE à Marcoule.

L'étape suivante concerne la faisabilité technique, c'est-à-dire le fait de passer de la molécule au procédé chimique d'ensemble, qui sera défini et validé en 2005. L'existence de l'industrie du retraitement permet de rendre réaliste la mise en _uvre de ces procédés.

En ce qui concerne la transmutation, les études menées ces dernières années ont permis de mettre en évidence les performances de transmutation dans différents scénarios de parc électronucléaire, en illustrant notamment la possibilité de multirecycler le plutonium dans les réacteurs à eau pressurisée, en s'appuyant sur l'amélioration des combustibles au plutonium. Ceci permettrait ainsi de consommer l'ensemble du plutonium, qui est à la fois un élément hautement énergétique mais également le principal contributeur à la radiotoxicité à long terme du combustible usé.

En outre, les résultats ont montré qu'en séparant et en multirecyclant en réacteur l'ensemble des actinides majeurs, uranium et plutonium, et mineurs, la quantité et la nocivité des déchets seraient à l'équilibre, divisées par 100 par rapport à leur équivalent en cycle ouvert, c'est-à-dire lorsque le combustible n'est pas recyclé et est considéré comme un déchet.

Ce sont les réacteurs innovants, qu'ils soient électrogènes ou qu'ils se trouvent dans des versions dédiées à la transmutation, qui présentaient les caractéristiques les plus adaptées à ces performances avec une grande capacité à consommer le plutonium et les radionucléides à vie longue et une aptitude à pouvoir utiliser au mieux l'énergie contenue dans le combustible. Pour cela, les systèmes à spectre rapide et des combustibles à taux de combustion les plus élevés auraient les meilleures performances, avec une approche dans laquelle le réacteur et le cycle sont vus dans leur intégration.

Je souligne dans ce domaine les études expérimentales sur les combustibles pour la transmutation en réacteurs à neutrons rapides, menées notamment dans le réacteur PHÉNIX où un programme d'irradiation a été lancé. Ce réacteur fait actuellement l'objet de travaux de contrôle, de rénovation et de maintenance, pour une remontée en puissance en 2002 dans la perspective d'un fonctionnement durant six cycles d'irradiation.

En ce qui concerne le conditionnement et l'entreposage, à savoir le troisième axe des recherches, nous aurons l'occasion d'en reparler cet après-midi mais je voudrais simplement souligner ici ce matin que les développements ont permis en particulier d'établir les bases scientifiques d'une véritable science du comportement à long terme des colis, notamment en ce qui concerne les colis de déchets vitrifiés.

Grâce à l'amélioration et à la compréhension des scientifiques des phénomènes de base qui concernent leur comportement à long terme, nous avons pu évaluer leurs performances de confinement, qui se situent clairement à l'échelle plurimillénaires. Ces acquis scientifiques me paraissent tout à fait importants dans l'esprit des recherches menées.

À titre de conclusion et de perspectives à ce stade, il nous semble que les recherches menées permettront de proposer des modes de gestion des déchets susceptibles d'éclairer les décisions du Parlement et du gouvernement à l'échéance de 2006. Elles sont basées sur trois principes directeurs : d'une part, la minimisation des déchets ; d'autre part, le confinement ; enfin, la réversibilité.

Il nous semble que ces solutions pourraient être mises en _uvre de manière progressive, avec tout d'abord la consommation du plutonium, en le multirecyclant dans les réacteurs à eau pressurisée, afin d'éviter de destiner au stockage géologique profond des quantités significatives de plutonium. Le développement de nouveaux assemblages au plutonium devrait rendre possible ce multirecyclage en permettant que seuls les produits de fission et les actinides mineurs soient destinés au stockage profond après leur vitrification, ce qui assure un confinement à long terme.

Une seconde étape pourrait consister à mettre en _uvre la séparation poussée des actinides mineurs, qui représentent après le plutonium la seconde contribution à la radiotoxicité à long terme des déchets. Le résultat serait que les nouveaux colis vitrifiés en seraient exempts, sauf à l'état de traces, et ne contiendraient que les produits de fission. De tels colis de déchets vitrifiés verraient leur radiotoxicité potentielle redescendre au niveau de celle de l'uranium minier initiale au bout de quelques centaines d'années. Les actinides mineurs pourraient être conditionnés sous une forme permettant leur transmutation ultérieure.

En ce qui concerne la transmutation, les systèmes futurs de production d'énergie nucléaire sont étudiés en intégrant à la base l'objectif même de minimisation des déchets avec la conception et l'évaluation de nouveaux systèmes dans ce sens.

Quoi qu'il en soit à nos yeux, un stockage géologique profond paraît nécessaire dans tous les cas, afin de disposer d'une solution sûre à long terme pour les déchets ultimes et de disposer d'une solution qui serait exempte de charge de surveillance pour les générations futures.

Enfin, la Loi de 1991, a également demandé d'explorer la voie de l'entreposage de longue durée afin de disposer de plusieurs solutions ouvertes et flexibles et de contribuer ainsi dans la flexibilité et dans leur mise en _uvre.

Tels sont, Monsieur le Président, les points d'avancement que je souhaitais partager avec vous.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BERNARD. Nous passons à présent à la Commission Nationale d'Évaluation avec Monsieur GUILLAUMONT.

Pr GUILLAUMONT. - Merci, Monsieur le Président. Je ne répéterai pas tout ce que mes collègues de l'ANDRA et du CEA ont dit mais j'essaierai d'être relativement précis en vous faisant part de ce que la Commission Nationale d'Évaluation pense de l'état actuel des recherches.

Comme vous le savez, la CNE examine et évalue chaque année les recherches conduites dans le cadre de la Loi de 1991. Elle fait des recommandations aux différents acteurs engagés dans les recherches, et ces recommandations sont généralement suivies. Dans son dernier Rapport de 1999-2000, elle a d'ailleurs effectué un bilan à mi-parcours que beaucoup d'entre vous connaissent.

Tout d'abord, la CNE considère qu'en 2006, au terme du délai de quinze ans de recherche imparti par la Loi, le législateur disposera de résultats permettant des choix allant au-delà de la simple prolongation des recherches actuelles. Elle considère qu'il est essentiel de poursuivre les recherches pour honorer l'échéance de 2006.

Les résultats attendus sont de deux natures : une nature scientifique et une nature technique. En effet, la recherche sur les déchets de haute activité à vie longue relève, selon les axes, de développements fondamentaux tels que la séparation poussée, les systèmes de transmutation innovants, la recherche de nouvelles matrices de conditionnement, la migration des radionucléides dans les matériaux, la caractérisation des argiliques et d'autres matériaux de stockage.

La recherche sur les déchets de haute activité à vie longue relève également d'études appliquées en soutien de travaux d'ingénierie, telles que les laboratoires souterrains, les conteneurs pour l'entreposage et le stockage, les installations d'entreposage de longue durée, etc.

Les recherches scientifiques ont été soutenues dès 1993 et des procédés de séparation pour les éléments les plus radiotoxiques seront qualifiés en 2006, comme l'a souligné Monsieur BERNARD. Ils pourraient même être évalués pour une application industrielle. La faisabilité des conditionnements spécifiques pour éléments séparés sera acquise mais nécessitera vraisemblablement encore des recherches.

Je vous rappelle que les recherches sur les verres, actuellement utilisés pour conditionner l'ensemble des produits de fission des actinides, sont conduites depuis plus de vingt ans.

Pour ce qui concerne l'expérimentation sur les systèmes innovants, l'expérimentation sur des éléments d'un système hybride de transmutation a bien progressé en France depuis quelques années. Aujourd'hui, l'Europe soutient fortement l'étude d'un démonstrateur de système hybride, d'ailleurs coordonné par FRAMATOME. Vingt et un partenaires se sont engagés dans ce projet. La CNE pense que la France doit à présent soutenir vigoureusement ce projet.

Voyons à présent les recherches plus appliquées. Les recherches en ingénierie - je parle hors creusement du laboratoire souterrain - ont commencé plus tardivement que les précédentes mais elles viennent d'être profondément réorientées, avec la volonté d'aboutir, sur les conteneurs de colis et l'entreposage de plus ou moins longue durée pour les différentes catégories de déchets.

Ainsi en 2004, des prototypes de conteneurs de déchets devraient être prêts, notamment pour les déchets nommés B ou les déchets contenant des radionucléides à vie longue. La Commission Nationale d'Évaluation considère que ces recherches en ingénierie peuvent aboutir avant 2006 si des obligations de résultats sont clairement fixées dès à présent. La Commission a souvent noté que l'avancement de ces recherches n'était pas toujours suffisant.

Le creusement du Laboratoire de Bure se poursuit selon le calendrier établi. L'expérimentation en cours de creusement ainsi que l'expérimentation en laboratoire devraient permettre de qualifier la couche argilique pour un éventuel stockage. Pour autant, des expériences devront se poursuivre au-delà de 2006.

La Commission Nationale considère que les études génériques sur le granit doivent être poursuivies dans des laboratoires étrangers, afin d'accroître les connaissances sur le comportement des radionucléides dans ce type de roche et de préparer des expériences qui devront être refaites dans un laboratoire creusé en France lorsque les conditions socio-politiques le permettront.

Enfin, la Commission note que des outils de modélisation et de simulation numérique du comportement global des radionucléides dans un stockage se mettent progressivement en place.

D'une façon générale, la Commission considère que la volonté de faire aboutir les recherches d'ici 2006 doit être affichée, vers des scénarios de gestion décidable, et considère que le stockage reste une étape incontournable de toute gestion, en particulier pour les déchets B.

Enfin, la CNE note que les acteurs des recherches conduites dans le cadre de la Loi ont établi un dialogue constructif pour coordonner et harmoniser les recherches.

Voilà, Monsieur le Président, le message que je souhaitais également partager avec vous.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur GUILLAUMONT. Vous voyez que nous avons des interventions qui complètent le paysage. Pour la DSIN, voyez-vous quelque chose à ajouter à vos propos précédents, Monsieur SAINT RAYMOND ?

M. SAINT RAYMOND. - Peu de chose, en effet, Monsieur le Président. De nombreuses choses ont déjà été dites. Je voudrais cependant rappeler l'action que la DSIN a dans le contexte qui vient d'être évoqué par les différents orateurs.

Nous veillons tout d'abord à ce que les trois axes prévus par la Loi soient développés de façon équilibrée, puisque c'est dans la loi qu'il faut appliquer la loi, mais également parce que notre conviction est que ces trois axes ne sont pas du tout concurrents mais au contraire complémentaires. Il serait illusoire de penser que nous pourrons par magie nous passer d'un axe, ce qui serait particulièrement gênant. Non, ces axes doivent être développés tous les trois et nous veillons à ce qu'ils le soient de façon équilibrée.

Dans l'optique où des modalités de gestion des déchets commencent à se dégager, nous nous intéressons également à ce que la sûreté soit bien prise en compte dès le départ pour les solutions qui commencent à se dégager. C'est dans ce sens que nous sommes présents sur le Laboratoire de la Meuse évoqué par Monsieur JACQ, qui trouve quelquefois que nous en faisons un peu trop, mais il faut absolument que nous soyons présents afin d'être certains que nous ne nous trouverons pas, s'il existe par la suite un projet de stockage, face à des problèmes de sûreté qui n'auraient pas été examinés ni discutés dès le départ.

Il en est de même concernant l'axe 3 et l'entreposage de longue durée : nous avons des discussions avec le CEA, Monsieur BERNARD le sait, afin que des options de sûreté soient définies de façon claire dès le départ pour cette installation originale par rapport aux installations nucléaires dont nous avons l'habitude. Nous devons nous accorder dès le départ sur la règle du jeu.

Ceci est moins vrai concernant l'axe 1 car nous n'en sommes pas encore à des projets opérationnels ; nous en sommes au stade de la faisabilité. Si cet axe 1 en vient à des projets opérationnels, nous serons également présents à ce sujet afin que les solutions dégagées présentent toutes les garanties de sûreté souhaitables et que nous ne découvrions pas à l'arrivée certains problèmes rédhibitoires.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur SAINT RAYMOND. Ces interventions permettent également, pour ceux qui ne sont pas des habitués de ce type de débats, de bien voir comment se compose le paysage des intervenants institutionnels sur ce dossier.

Je donne à présent la parole à Madame Monique SÉNÉ, du Groupement Scientifique pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire.

Mme SÉNÉ. - Je voudrais revenir sur plusieurs points. En particulier, un point a été souligné concernant l'acceptation de la population et sa participation. On a l'air de mettre cela simplement sur le compte du fait que les gens ne comprennent rien, sont fortement irrationnels et sont incapables d'accepter quelque chose.

Je souhaiterais revenir sur ce point car je pense que le questionnement citoyen est en fait la seule solution de faire une bonne gestion. Je voudrais dire que commencer la gestion du nucléaire par les déchets n'est pas la bonne façon, parce que ce n'est pas la question posée par le citoyen.

Le citoyen aimerait savoir quelle est la véritable quantité de déchets, c'est-à-dire quel est le programme énergétique de la France. Il ne s'agit pas du programme électronucléaire qui n'en est qu'une composante éventuelle. Ce programme doit être pensé à l'intérieur de la possibilité que nous avons de stocker des déchets et de comprendre ce que nous faisons. La Loi de 1991 dont nous avons parlé ne traite que d'une partie très faible puisqu'elle traite des déchets hautement actifs.

Nous l'avons quelque peu modifiée afin de tenter de tout prendre en compte mais elle traite uniquement de cet aspect et constitue un problème. Les déchets ne sont pas uniquement les déchets hautement actifs ; bien sûr, ils en font partie mais vous avez pu constater la quantité qu'ils représentaient.

En réalité, le problème des déchets concerne le problème de la mine jusqu'au retraitement éventuel. Le retraitement est-il une solution aux déchets ? La question se pose et elle est posée par les citoyens. Il nous faut également réfléchir sur ce thème. Nous avons laissé « sur le carreau » tous les stériles de mines. Nous avons là aussi une problématique. Je reviens de Saint-Priest où j'étais hier : nous allons procéder à quelques mesures dans l'environnement vingt ans après la fermeture de la mine afin d'en vérifier l'impact. Nous avons mis trois ans pour parvenir à obtenir la mise en _uvre de ces mesures. Nous progressons, comme vous le constatez.

Il y a cela, il y a également tous les déchets du démantèlement dont nous avons parlé. Bien sûr, cela sera plus tard, etc., mais il faudra bien faire quelque chose et tout cela ne sera pas transmuté puisque le sujet était la transmutation. Seuls quelques déchets seront transmutés, que nous aurons réussi à extraire de la sauce hautement active et que nous aurons réussi à transformer en cible ou en petite aiguille, tout ceci avec un certain nombre de difficultés.

Nous progressons bien entendu, mais lorsque nous effectuons le bilan et que nous observons toutes les recherches en cours, nous nous apercevons qu'il existe de nombreux procédés mais que la plupart d'entre eux n'existent que dans un tube à essai. Ces procédés ont une faisabilité en laboratoire mais la faisabilité industrielle est totalement différente. Nous n'en sommes pas encore là. Comme l'a indiqué Monsieur GUILLAUMONT, nous avons mis vingt ans pour mettre les verres au point. J'ai appris avec beaucoup d'intérêt que ces verres dureront plusieurs millénaires. J'en accepte l'augure ; je ne le vérifierai pas moi-même.

La problématique des déchets est tout de même d'avoir le courage, en l'état actuel des choses, de faire le bilan avantages/inconvénients de toute une série de procédés. La France est partie sur le retraitement à un moment donné dans les années 60, ceci concerne également le stockage en profondeur mais il est peut-être temps de poser tous les problèmes sur la table et de savoir enfin jauger inconvénients et avantages, ce qui n'est pas fait par la plupart des documents que nous lisons.

Nous étudions la transmutation par un réacteur qui n'existe pas. Nous savons uniquement faire fonctionner un réacteur avec du MOX mais nous ne savons pas encore le faire fonctionner avec d'autres aiguilles. Peut-être le saurons-nous, mais c'est un autre problème. Il en est de même quant à faire fonctionner un couplage réacteur accélérateur. Ce sont des idées mais elles ne sont pas réalisées et peut-être que cela n'a aucun sens d'essayer de les réaliser.

En l'état actuel des choses, nous devons étudier notre programme énergétique et nous ne pourrons pas éviter de le faire, de bien vérifier la part du nucléaire et quels sont les déchets ainsi générés. Notre stratégie sera modifiée selon que nous aurons cinquante, cent ou deux cents réacteurs.

Dire que nous ferons des réacteurs pour traiter les déchets engage déjà le programme énergétique, et cela obère tous les autres éléments.

N'oubliez jamais que le nucléaire vit dans les milliards ; les économies d'énergie et la co-génération ne sont concernées que par un pauvre million. Nous devrons équilibrer ceci. La Loi de 1991 a fait que les députés s'intéressent au sujet et donnent un avis. En cela, c'est une bonne Loi. Elle a ses limites et elle doit être revue sur l'ensemble des déchets, mais ne soyons pas trop optimistes en l'état actuel des choses.

J'ai trouvé que ce qui avait été dit autour de la table laissait supposer que le problème des déchets avait de nombreuses solutions. Il me semble qu'elles sont toutes en gestation éventuelle et qu'il y a beaucoup de travail à faire. Je regrette justement qu'en parlant de transmutation et d'entreposage, en parlant des choses comme si elles étaient acquises, nous ne prenions pas le problème des déchets à bras le corps en essayant de le résoudre.

Oui, nous avons des déchets ; oui, le nucléaire a laissé des choses et nous devons faire le nécessaire afin que les choses soient faites convenablement et non en rêvant !

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Madame SÉNÉ d'avoir apporté votre éclairage, différent naturellement. Ni cette table ronde ni cette journée ne peuvent avoir la vaste ambition que vous avez décrite de traiter de la politique d'ensemble de l'énergie, voire de l'ensemble de l'énergie nucléaire, voire du cycle du combustible. Néanmoins, dans votre propos, vous avez abordé des aspects qui seront en partie évoqués lors des tables rondes de cet après-midi, notamment concernant le retraitement.

Je déplore avec vous que le Parlement n'ait eu qu'une production législative très faible et dans l'urgence. Je souhaite effectivement, et c'est ce que nous essayons de faire aujourd'hui, que l'Assemblée joue son rôle dans l'information du public et pointe un certain nombre de problèmes.

Nous allons par conséquent poser quelques questions. J'ai moi-même deux questions à formuler. Je voudrais faire une remarque toute personnelle sur le problème des laboratoires de recherche sur le stockage souterrain, qui a été évoqué avec le laboratoire unique et orphelins de Bure.

Je redis qu'il est souhaitable qu'il y ait au plus vite un deuxième laboratoire, comme la Loi l'indique puisqu'elle utilise le pluriel et qu'en français le pluriel c'est au moins deux, et comme l'avait dit mon Rapport de médiation de 1993. Certains ont affirmé péremptoirement que ce second laboratoire devait être dans le granit, ce que la Loi ne dit à aucun moment. Les spécialistes de géologie savent bien que lorsque l'on parle d'argile, il existe des argiles et plusieurs types d'argile. L'esprit de la Loi est de dire que les recherches doivent être effectuées dans plusieurs sites pour ne pas paraître avoir choisi à l'avance un site.

Autant je mesure bien les réserves formulées par la Commission Nationale d'Évaluation sur un site granitique de la Vienne, autant je ne comprends toujours pas pourquoi nous avons abandonné aussi rapidement le site du Gard et le site situé près de Marcoule et qui me semblait géologiquement excellent. Si nous souhaitons gagner du temps, il me semble que nous ne devrions pas considérer ce dossier comme fermé de la manière hâtive dont cela a été effectué au niveau de nos responsables.

J'ai deux questions à poser. Je n'en poserai qu'une seule car Monsieur COCHET a également l'intention d'en poser une. Je reviendrai le cas échéant sur ma seconde question. Je connais le principe de réponse de ma première question mais je voudrais qu'elle figure dans le compte rendu de cette journée, qui sera publié en annexe à mon Rapport. Celui d'entre vous qui voudra y répondra.

La poursuite des recherches sur la séparation transmutation implique-t-elle le maintien d'une industrie de retraitement performante ? Peut-on en quelque sorte, comme le font certains, demander à la fois l'arrêt du retraitement et prétendre que la solution du traitement des déchets passe par la transmutation ?

J'ignore qui peut répondre à cette question, peut-être Monsieur BERNARD le pourrait-il ?

M. BERNARD. - Il est clair que la démarche qui consisterait à séparer de façon poussée les radionucléides tels que les actinides mineurs s'articule par rapport à l'existant du retraitement qui sépare lui-même l'uranium et le plutonium. Il y a une cohérence entre des opérations au stade industriel, qui sont celles du retraitement, et une perspective qui fait partie de l'ouverture des choix à apporter au débat de 2006, qui est celle d'une séparation poussée et d'une transmutation des actinides mineurs.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BERNARD. Je donne maintenant la parole à deux députés : Monsieur COCHET puis Monsieur DOSÉ.

M. COCHET. - Merci, Monsieur le Président. J'ai été très intéressé par tous les exposés des intervenants. Ces exposés ont oscillé entre les aspects techniques de l'état actuel des recherches selon les différents points de vue des différentes institutions et les aspects plus politiques, c'est-à-dire ceux tiennent compte de l'opinion de la population. Cette oscillation est bien normale dans ce domaine.

Il faut bien dire que ce type de discours est assez nouveau pour nous, dans la mesure où cela n'était pas le cas au vingtième siècle. Je ne referai pas ici l'histoire des tentatives de dialogue entre les institutions qui s'intéressent de près ou de loin au nucléaire et les différentes associations, mobilisations, manifestations, et autres militants, mais il semblerait que le dialogue soit à présent dans les paroles de tous. C'est très bien et il risque de durer très longtemps puisque nous avons entendu que ces affaires dureraient très longtemps.

Quelle que soit l'évolution politique de notre pays et de l'Europe, quels que soient le Parlement et le gouvernement de 2006, le principe de réalité nous dit de toute façon qu'il y aura en 2006, et même après, des déchets nucléaires et que nous devrons trouver les moyens de les gérer.

Je poserai à présent quelques questions plus précises. J'ai été très intéressé par le premier exposé de Monsieur PESCATORE car il a beaucoup insisté sur l'aspect de la gestion sociale, même si les deux premiers transparents étaient un peu critiquables. Il a même prononcé le mot de génie social. Il s'agit de faire participer la population en déterminant les procédures. Vous avez cité l'exemple des pays Scandinaves mais il en existe d'autres. La question de l'opinion publique est évidemment tout à fait cruciale.

Je poserai une question plus précise à Monsieur JACQ. Je me fixe toujours à l'horizon 2006 en tant que parlementaire. Pensez-vous que nous aurons à cette époque des idées suffisamment précises quant à l'évolution mécanique, chimique et thermique des colis dans le laboratoire de Bure ? Je m'adresse également à la CNE : je me souviens que la CNE nous avait indiqué il y a deux ans que l'un des problèmes dans tous les maillons de cette chaîne de l'aval du site concernait le fait que nous ne disposons pas de bons conteneurs en France.

En tant que parlementaires et politiques, connaîtrons-nous en 2006 l'évolution assez précise des colis eux-mêmes ainsi que de la roche argileuse ?

Ma question suivante s'adresse peut-être plus particulièrement à Monsieur BERNARD. Vous avez été assez rapide et vous avez indiqué que nous avions diminué le volume par trois et l'activité par dix depuis 1992. Je n'ai pas bien compris de quoi il s'agissait.

En ce qui concerne l'usine de La Hague, un certain volume de déchets y rentre ainsi qu'une certaine activité globale. Nous pouvons tenir compte du volume et de l'activité globale annuels. Il y a également un certain volume et une certaine activité qui en ressortent. Ils doivent être entreposés, stockés ou doivent retourner quelque part, ce quelque part étant d'ailleurs très problématique.

Qu'est-ce qui a été diminué par 10 ? S'il s'agit de l'activité, elle n'a pu s'évaporer en quelques années. S'est-elle échappée dans la nature, dans l'environnement local de La Hague ?

Concernant les trois axes de la loi Bataille, le CEA a-t-il une comptabilité plus précise sur les moyens en personnels, nombre de personnes et qualifications, et les moyens financiers alloués spécifiquement dans chacune des trois voies, depuis plusieurs années et pour plusieurs années parce qu'il y a du prévisionnel.

Enfin, une phrase m'a fait m'interroger. Vous avez dit : nous sommes en train d'étudier le multirecyclage du plutonium dans les PWER. Est-ce à dire que vous voulez recycler le MOX usager ?

Il n'existe pas, à ma connaissance, de contrat officiel entre la COGEMA et EDF concernant le recyclage du MOX. Cela n'intéresse pas EDF ou alors je me trompe. Qu'entendez-vous exactement par ce multirecyclage du plutonium dans les PWER ?

Ma dernière question s'adresse peut-être à Monsieur GUILLAUMONT : nous n'avons pas actuellement de recherches granitiques en stockage géologique. Nous entamons les recherches concernant un certain type d'argile, comme l'a précisé la personne de l'ANDRA.

D'autres recherches seront-elles menées d'ici 2006 dans un autre site, comme le disait le Président BATAILLE ou même dans un site granitique. Nous avons en effet des difficultés « socio-démocratiques » d'acceptation par les populations locales. Vous avez cependant indiqué comme le CEA que le stockage géologique était incontournable. D'une certaine manière, vous prenez position dans les trois voies possibles de la Loi BATAILLE. De quelle façon le Parlement français pourra-t-il choisir en 2006 s'il ne dispose pas d'évaluations ? Merci.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci de votre intervention, Monsieur COCHET et toutes ces questions. J'en profite pour glisser une remarque concernant les trois voies : la Loi de 1991 a dix ans et nous avions eu quelque peu tendance à considérer ces trois voies comme alternatives suite au vote de la Loi. Elles s'opposaient en quelque sorte les unes aux autres et je rejoins tout à fait Monsieur SAINT RAYMOND ou Madame SÉNÉ lorsqu'ils indiquent que ces trois voies sont complémentaires.

Mme SÉNÉ. - Oui, mais elles n'ont pas été menées de façon convenable.

M. LE PRÉSIDENT. - Je ne veux pas répondre à la question de Monsieur COCHET sur les moyens mais l'avenir démontrera sans doute une complémentarité entre les trois voies. Nous avons au contraire pour cette raison précise intérêt à leur donner à toutes une ampleur égale.

Si vous en êtes d'accord, Monsieur COCHET, je vais laisser Monsieur DOSÉ intervenir, ce qui permettra à tous les intervenants de répondre à l'ensemble des questions, afin que nous ne prenions pas trop de retard ce matin.

M. DOSÉ. - Merci, Président. J'ai entendu : « Le Parlement aura à se prononcer en 2006 ». Puis j'ai entendu : « Le Parlement pourra se prononcer ». Je rappelle que le texte de Loi indique que laboratoires figure au pluriel comme cela a été dit tout à l'heure. Il y aura un deuxième laboratoire ou alors qui ose me dire que la Loi va changer afin de supprimer le pluriel ? Qui ose dire aujourd'hui, au second trimestre de l'an 2001, que nous serons prêts à pouvoir comparer les résultats dans l'argile de Bure et ceux issus du granit ou de l'argile d'ailleurs ?

Je voulais simplement dire que le texte nous invite à ce que cela se fasse en 2006 et que nous pourrions nous prononcer, sauf à me dire que cela est impossible scientifiquement et compte tenu des marges administratives et des travaux pour la création d'un second laboratoire. Je réside à côté de Bure, je connais donc le temps et le rythme du temps. Si un scientifique me dit : « Je vous dépose le dossier du second laboratoire en 2006 », je veux entendre son nom et qu'il m'explique comment. C'était une première remarque.

La seconde remarque concerne l'appropriation collective : chacun a dit cela. Il existe certes l'appropriation technique et la pertinence technique mais également l'appropriation sociale. Je crois et je veux dire, même si je n'en suis pas obligatoirement ravi, que l'appropriation sociale ne se conforte pas au fil du temps parce que la société change et parce que les institutions qui ont eu à l'amener n'ont pas conduit non plus à cette appropriation.

Je le dis comme je le pense : les méthodes et les pratiques de la décennie précédente - mon collègue parlait du siècle dernier - nous invitent à changer réellement de méthodes si nous souhaitons une appropriation collective de ce domaine car nous allons au-devant d'un certain nombre de blocages.

Enfin, j'ai bien entendu la définition du mot ultime de Monsieur SAINT RAYMOND. Je crois qu'il n'y a pour l'heure pas de déchets ultimes radioactifs, dans le sens où rien n'est encore ultime étymologiquement. Tout peut encore laisser des espaces de travaux et de transformation.

J'aurai trois questions ; la première s'adresse à Monsieur JACQ : lors de la mise en _uvre des recherches d'un laboratoire souterrain, y aura-t-il validation d'architectures différentes, tendant ici à anticiper ce qui serait un entreposage et ailleurs ce qui serait un stockage ? En effet, chacun comprend que l'architecture compte également, outre la roche et le colis.

Je souhaite sincèrement comprendre un élément : il me semble que nous n'avons pas suffisamment associé en France l'échelon local à la décision. Cet échange n'a pas été assez fort, ce qui nous coûtera un certain nombre de désagréments. Là où cela se fait, vous avez cité la Finlande et la Suède, que se passe-t-il en cas d'alternance du pouvoir local ? Je l'ignore et je souhaiterais le savoir.

Monsieur BERNARD, les travaux de séparation et de transmutation conduiraient-ils à la redéfinition des classements des déchets, puisque le classement est aujourd'hui fonction d'une quantité énergétique et d'une durée ? Si demain des travaux nous permettaient de faire que les déchets aient une autre consistance, cela signifierait-il qu'ils seraient classés différemment ? Merci.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur DOSÉ.

Je vais donner la parole à un autre député, Monsieur Gérard REVOL, et je demanderai ensuite à tous les intervenants sollicités de répondre. Nous essaierons de perdre le moins de temps possible car nous avons ensuite une seconde table ronde. Les conclusions des travaux de la matinée seront dressées par Monsieur René PELLAT, Haut Commissaire à l'Énergie Atomique, dont j'avais omis d'expliquer la présence au centre de cette table.

M. REVOL. - Je poserai simplement deux questions puisque certaines l'ont été préalablement. Dans le cadre de la Loi qui porte le nom de Loi BATAILLE et s'agissant du programme de recherche concernant la séparation et la transmutation, existe-t-il une compatibilité sur la durée des six campagnes prévues avec le réacteur PHÉNIX qu'évoquait Monsieur BERNARD et les résultats des recherches devant le Parlement en 2006, date exigée par la Loi ?

J'ignore qui pourra répondre à ma seconde question mais il s'avère que des réflexions se font jour ici ou là concernant la possibilité éventuelle d'avoir plusieurs sites en fonction non pas forcément de la radioactivité mais plutôt de la caractéristique exogène des déchets.

Pourrait-il y avoir plusieurs sites en fonction de la quantité de chaleur dégagée par les déchets et en fonction de la caractéristique géologique ? J'entends par là que certains sites seraient peut-être plus compatibles avec des déchets très exogènes exigeant des tenues mécaniques. Je pense par exemple aux sites granitiques. En revanche, nous savons que les caractéristiques mécaniques et de combustibilité sont différentes pour les sites argileux comme celui de Bure ou pour les sites argileux siliceux comme celui de Marcoule.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur REVOL. Nous allons solliciter les intervenants afin qu'ils donnent leur réponse. J'ajouterai une petite question taquine à l'adresse de Monsieur BERNARD. Nous avons beaucoup parlé de PHÉNIX et j'entends murmurer qu'il serait en panne. Monsieur BERNARD, PHÉNIX se fera-t-il ?

M. BERNARD. - Effectivement, les travaux de rénovation et de mise en cohérence avec les nouvelles normes réglementaires auront été réalisés afin que le réacteur puisse fonctionner en puissance dans le courant de l'année 2002. Il apporterait ses éléments sur les recherches concernant la transmutation des déchets dans les réacteurs à spectre rapide. La réponse est tout à fait claire et elle est positive.

M. LE PRÉSIDENT. - Je vous invite à poursuivre afin de répondre aux questions de Monsieur COCHET ainsi qu'à celles qui avaient été posées par ailleurs.

M. SAINT RAYMOND. - S'agissant du PHÉNIX, je souhaiterais apporter un petit bémol à ce que vient de dire Monsieur BERNARD : nous avons effectivement des propositions du CEA pour répondre à nos interrogations concernant l'état de PHÉNIX mais nous ne les avons pas encore totalement examinées. Un groupe permanent d'experts se tiendra durant le mois de juillet afin de les examiner, et je suis obligé de laisser un point d'interrogation sur le redémarrage de PHÉNIX jusqu'à ce que ce groupe d'experts se soit tenu.

M. LE PRÉSIDENT. - D'accord ; Monsieur SAINT RAYMOND a, comme il l'a dit, mis un petit bémol sur votre gamme montante.

M. BERNARD. - Il est clair que l'exploitant nucléaire qu'est le CEA a pris toutes les dispositions nécessaires afin que les travaux de rénovation et de maintenance aient été réalisés et présentés à l'Autorité de Sûreté. Le dossier présenté propose un refonctionnement en puissance en 2002.

Un certain nombre de questions m'ont été adressées par Messieurs les députés DOSÉ, COCHET et REVOL, notamment une question sur la séparation poussée qui serait susceptible de conduire à la redéfinition des catégories de déchets. Je m'en réfère à la présentation de Monsieur SAINT RAYMOND, il est exact que si les colis de déchets vitrifiés étaient exempts de radionucléides à vie longue, ils auraient une période de très haute activité, due à certains produits de fission durant environ 300 ans, et ils se trouveraient ensuite dans une catégorie dans laquelle les éléments radioactifs à vie longue se situeraient à des niveaux plus faibles. Je n'ai pas à me prononcer sur les catégories réglementaires mais cela modifierait effectivement la problématique en termes de catégories de déchets. Nous serions sur une « courte période » de haute activité pour passer ensuite à un faible niveau pour la partie vie longue.

Monsieur le député COCHET a posé une question sur la possibilité de muter et de recycler le plutonium dans des réacteurs de type à eau pressurisée : ces études ont été menées, notamment à la demande de la Commission Nationale d'Évaluation qui avait souligné le fait que toute stratégie de minimisation de la quantité et de la radiotoxicité à long terme des déchets, basée sur la séparation et la transmutation se devait de prendre dans l'ordre les contributeurs principaux puis secondaires à la toxicité.

Les actinides mineurs se trouvent en seconde position mais nous devons également étudier comment transmuter le plutonium, même dans les générations de réacteurs actuels, et en consommer autant que nous en produisons. Tel est le résultat de nature scientifique et technique que j'ai présenté pour répondre à la question : est-il possible de parvenir à une situation dans laquelle l'ensemble du plutonium est consommé, même dans les réacteurs de la génération actuelle ? Telle est l'étude scientifique, menée dans le cadre de l'axe 1 et présentée à la Commission Nationale d'Évaluation.

Vous avez posé une question sur les moyens en personnels au CEA : un peu plus de 800 personnes scientifiques et techniciennes travaillent sur les recherches de l'axe 1 (séparation et transmutation) et de l'axe trois (conditionnement et entreposage). Ces personnes sont réparties de façon équilibrée puisque chacun des axes bénéficie d'environ 400 personnes.

Quant à la minimisation de la quantité des déchets solides, il s'agit d'études menées dans le cadre de la Loi de 1991 et de l'axe 1, en même temps que l'usine de retraitement de La Hague montait en régime en fonctionnement. Ces études, menées en coopération avec la COGEMA, ont permis de réduire d'un facteur 3 la quantité de déchets solides des déchets vitrifiés et des déchets métalliques compactés, par rapport aux valeurs de démarrage de l'usine. Au fur et à mesure que l'usine montait en régime de production, la quantité de radioactivité, conforme aux normes réglementaires, a pu être divisée par 10 grâce à des améliorations de procédés menées dans le cadre de ces recherches.

Ce résultat a constitué une première phase dans les études de l'axe 1, phase présentée à la Commission Nationale d'Évaluation, afin de montrer que les choses se faisaient de façon opérationnelle. Je rejoins en cela Madame SÉNÉ : nous devons également montrer que des éléments très concrets se font dans les aspects industriels.

M. LE PRÉSIDENT. - Les autres aspects de la question de Monsieur COCHET, concernant notamment La Hague, étaient tout à fait pertinents, mais j'indique que nous y reviendrons largement cet après-midi.

Mme SÉNÉ. - Le calendrier relève davantage de la DSIN.

M. BERNARD. - Je souhaitais terminer la réponse à la question de Monsieur REVOL : en ce qui concerne la transmutation, il est clair qu'en termes de données scientifiques sur la capacité à transmuter, je crois que nous partageons avec la Commission Nationale d'Évaluation, qui nous évalue dans ce domaine, le fait que cette faisabilité est bien mesurée en termes scientifiques. En revanche, dès lors que nous évoquons les objets techniques, qui sont des combustibles ou des cibles pour la transmutation, associés à des systèmes futurs, nous devons alors obtenir des donnés pour la qualification de ces combustibles et les matériaux utilisés. Le programme PHÉNIX sera consacré à ces aspects au cours des prochaines années si nous obtenons les autorisations pour le faire.

Je qualifierai les éléments portés pour le rendez-vous de 2006 en termes de faisabilité dans une vision dans la durée. Je crois que nous avons dès à présent les éléments scientifiques, notamment sur les réactions nucléaires. Nous avons en outre les éléments technologiques de comportement sous irradiation de certains types de matériaux pour les combustibles.

Mme SÉNÉ. - Sur le problème du multirecyclage, en ce qui concerne la stratégie actuelle d'EDF, EDF ne recycle pas puisqu'elle fait entreposer son MOX. L'usine de La Hague ne dispose pas des autorisations pour faire des campagnes de MOX. De plus, le multirecyclage n'est pas si simple puisque la composition du plutonium a été modifiée. Vous êtes alors contraints d'enrichir un peu plus et les études actuellement en cours au niveau d'EDF montrent que le taux de plutonium que nous pouvons insérer est tout de même limité, même si nous tentons de faire de la combustion plus longue. Pour le moment, EDF n'a pas envisagé de faire du multirecyclage dans ses réacteurs.

Cela peut éventuellement se faire dans des réacteurs de recherche mais cela n'est pas encore effectif. La faisabilité scientifique peut être soulignée mais la faisabilité réelle est une autre chose.

M. LE PRÉSIDENT. - Nous enregistrons la prise de position de Madame SÉNÉ ou les nuances qu'elle émet mais je précise à nouveau que nous reviendrons très largement cet après-midi sur les autres aspects.

M. JACQ. - Je dirai un mot concernant la question du granit puisque je ne l'ai pas évoqué dans mon exposé : le travail sur le granit et sur la roche granitique porte sur l'aspect générique et non sur le granit français. Il s'agit de définir quelles sont les grandes propriétés du granit, ce qui nous permet d'apprendre de nombreux éléments. Ces travaux se poursuivent et nous travaillons avec nos partenaires Suédois, Suisses et Canadiens.

J'en dis l'intérêt car nos travaux actuels sur le site de Bure et sur l'argile de Bure concernent également des travaux et des compétences acquis en travaillant sur l'argile en suisse . Un travail positif est effectué, même s'il est nécessairement d'ampleur limitée.

S'agissant du comportement des colis, son appréciation relèvera d'un certain nombre de modélisations sur la façon dont ces colis évolueront en fonction de leur teneur chimique et radiologique. Nous n'aurons pas nécessairement le même degré de connaissance affinée sur tous les colis. Il est évident que nous aurons parfaitement bien caractérisé certains colis que nous aurons étudiés durant des années et que nous en saurons moins au sujet des colis que nous aurons moins étudiés. Ce point est pris en compte dans ce que nous déclarons dans le modèle d'inventaire de l'ensemble des colis.

Nous pouvons demander un certain nombre de caractérisations complémentaires et nous pourrons alors obtenir un certain nombre d'éléments ou prendre des dispositions palliatives : nous insérerions un surconteneur à un colis qui serait considéré comme problématique ou incertain. Nous devrions dans ce dernier cas insérer des suppléments de colisage ou éventuellement reconditionner.

Ceci m'amène à la question du conteneur : Patrice BERNARD a indiqué qu'un travail était effectué entre le CEA et l'ANDRA au sujet de l'entreposage et du stockage. Jusqu'à présent, il est vrai que nous avions davantage traité ces éléments sur le mode de la faisabilité, qui nous semblait acquise par rapport à un certain nombre de technologies. Nous passons actuellement à la démonstration et aux prototypes. Nous aurons un certain nombre d'éléments. Il est vrai que le conteneur joue un rôle important, dans la mesure où il peut pallier certaines déficiences du colis ou amener certaines facilités de gestion.

S'agissant du comportement de la roche et de ce que nous pourrons en dire en 2006, le calendrier des expérimentations sur le site du laboratoire est très tendu et nous en avons tous conscience. Nous avons prévu dans une démarche de recherche la caractérisation des propriétés fondamentales de la roche en termes de géomécanique, d'hydrologie ainsi que l'engagement d'organismes techniques de tenir ce travail et de le faire avec le maximum de sérieux.

Nous disposerons d'un certain nombre d'éléments en 2005. Je mentirais si je disais que nous aurons autant d'éléments en 2005 ou des séries aussi longues que si nous avions traité sur dix ans ou sur vingt ans. Ceci étant, cela n'exclura pas, au contraire, que nous ayons une connaissance solide d'un certain nombre de paramètres sur l'argile.

Les deux dernières questions concernaient les architectures. Cela renvoyait dans ma présentation à ce que nous appelons quant à nous concept. C'est l'idée que nous puissions avoir différentes cavités et différents modes d'approche par type de déchets, en fonction des propriétés repérées de la roche. Nous avons une certaine flexibilité vis-à-vis de ces concepts et ces architectures sont l'un des paramètres à mettre en relation avec le milieu et avec le colis. La difficulté est l'interaction entre toutes ces variables.

Je répondrai enfin à la question concernant les déchets qui dégagent plus ou point de chaleur et les sites : nous pouvons tout envisager. Nous pouvons envisager des spécialisations par type de déchets. Il est évident qu'un dégagement thermique fort ne pose pas les mêmes questions dans l'argile. Cela en pose beaucoup plus dans l'argile que cela n'en poserait dans le granit. Cela renvoie également à une vision un peu plus globale : penser la seule question de l'étude de la faisabilité du stockage nous limite un peu car les températures sont également liées à des durées d'entreposage préliminaire, susceptible de diminuer ladite température ainsi que les exigences que nous pouvons avoir. Nous devons faire preuve de flexibilité ; je ne suis porteur que d'une petite portion.

M. LE PRÉSIDENT. - Mesurant bien l'imperfection des réponses mais souhaitant également laisser la place à la deuxième table ronde, je vais suspendre pour cinq minutes.

Pr GUILLAUMONT. - Il ne reste plus beaucoup de questions n'ayant pas eu leur réponse ; l'une d'entre elles concerne les déchets ultimes. À ma connaissance, je ne vois pas très bien comment les déchets B pourraient être repris. Ils sont par conséquent, pour moi et je pense pour de nombreuses personnes, des déchets ultimes. Je pense que nous devrions les envoyer au stockage car ils correspondent tout à fait à la définition légale des déchets ultimes.

Vous aviez ensuite une question sur le granit : la Loi ne dit pas que le second laboratoire doit se faire dans le granit. Sur le granit lui-même, de nombreuses recherches ont été menées dans le monde puisque de nombreux pays souhaitent stocker dans le granit. Génériquement, nous connaissons le granit et l'ensemble de ses caractéristiques mais il existe des failles. Il faut disposer d'un laboratoire afin de savoir où se trouvent les failles.

Vous me demandez s'il y aura un autre laboratoire en 2006 : je ne peux vous répondre plus que quiconque.

M. LE PRÉSIDENT. - Le schiste et le sel existent également.

M. PESCATORE. - J'apporterai une réflexion au sujet du nombre de colis que nous aurons en 2006. Il ne s'agit pas d'une question mais cela fait partie de ma réponse à Monsieur DOSÉ : vous verrez en 2006 combien de colis vous aurez et vous pourrez dès lors établir un processus décisionnel par étape.

Il me semble que vous ne prendrez pas en 2006 de décision visant à faire un stockage fermé pour un certain nombre d'années. Vous aurez une idée directrice mais également un certain nombre de points de vérification.

Cette idée de prise de décision par étape s'étend sur le long terme et implique un dialogue avec une partie sociale. Pour revenir à votre question concernant le changement des élus locaux, le processus peut s'étendre sur des dizaines d'années. L'ensemble des acteurs doit être impliqué, non seulement les élus mais également les Autorités de sûreté. J'ignore si c'est le cas en France mais les populations de certains pays ne savent pas qu'il existe une Autorité de Sûreté. J'ai parlé en Suède avec un collègue Suédois qui a pour sa part été entendu une quarantaine de fois l'année dernière par la communauté en tant qu'acteur d'une Autorité de Sûreté et il est très connu. Tout le système doit fonctionner d'une certaine façon ; cela prend des années. Cela a pris vingt ans en Suède.

M. LE PRÉSIDENT. - Sur la fameuse date de 2006, l'unique chose dont nous soyons certains est que le Parlement sera consulté. Personne ici ne peut dire s'il le sera ni si le Parlement décidera ou non.

M. COCHET. - Alors j'ai l'impression que nous déciderons d'attendre !

M. LE PRÉSIDENT. - Nous sommes en 2001. Personne aujourd'hui ne peut préjuger. Nous sommes certains que le Parlement se réunira. La Loi ne précise pas ce qu'il aura à décider.

Mme SÉNÉ. - La Loi le prévoit : elle stipule le cas échéant.

DEUXIÈME TABLE RONDE : QUE VA-T-ON FAIRE DES DÉCHETS À FAIBLE ET TRÈS FAIBLE ACTIVITÉ ?

M. LE PRÉSIDENT. - Je n'ai que peu de choses à dire en introduction. Du point de vue de la protection de la santé, les déchets à faible et à très faible activité ne posent pas de problèmes aussi difficiles que ceux à haute activité mais il n'en demeure pas moins que leurs volumes nous contraignent et surtout nous contraindront dans les décennies à venir à rechercher des solutions afin de traiter en radioactivité, mais surtout en masse les déchets qui résulteront du démantèlement, notamment du démantèlement des installations arrêtées.

Que ferons-nous des tonnes de bétons, de gravats, de ferraille ? Stockerons-nous dans des installations spécialisées et coûteuses ou banaliserons-nous au contraire une partie de ces déchets avec des risques possibles de dérapage ?

Pour répondre à ces questions, nous avons l'ANDRA représentée par Monsieur François JACQ. Nous aurons également Monsieur Jacques BOUCHARD, Directeur de l'Énergie Nucléaire au CEA ; il est accompagné de Monsieur Christophe BEHAR, Directeur des Matières Nucléaires. Le Ministère de l'Environnement devait être représenté par Monsieur LAGARDE, qui m'a encore confirmé sa présence hier après-midi. Nous accueillons enfin Monsieur Jean-François LACRONIQUE, Président de l'OPRI.

Nous commençons ce tour de table par l'ANDRA. Je donne la parole à Monsieur François JACQ, qui va nous parler des déchets à faible et à très faible activité.

M. JACQ. - Merci, Monsieur le Président. Je vais balayer l'état des lieux actuel et les projets engagés par l'ANDRA ou les projets existants de l'ANDRA concernant les déchets à faible et très faible activité. Je passe à grande vitesse une matrice qui est une variante de celle présentée par Philippe SAINT RAYMOND. Celle-ci est directement issue du Rapport remis au gouvernement par le Président Yves LE BARS au sujet de notions de méthodologie de l'inventaire des déchets.

Je l'avais prévue car je pensais évoquer tout ce qui appartient au domaine des déchets à très faible activité (TFA), à faible et moyenne activité ainsi que tout ce qui est de faible activité à vie longue, que je commenterai dans un instant. Les TFA concernent très schématiquement les résidus d'industrie, qui peuvent également être hors électronucléaire mais qui peuvent être des résidus liés au démantèlement.

Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte concernent le Centre de l'Aube à Soulaines. Ces déchets sont principalement issus des activités électronucléaires ainsi que de petits producteurs et de centres hospitaliers. Nous aurons également l'occasion d'évoquer les déchets de faible activité à vie longue, qui sont principalement les graphites liés au parc uranium naturel graphite gaz et les radifères liés à des éléments qui n'ont rien à voir avec l'électronucléaire.

Le Centre de Soulaines est bien connu de tous. Il existe une filière de gestion pour les déchets de faible et très faible activité. Il s'agit du Centre de l'Aube, avec une bonne connaissance de colis, un processus de spécification d'acceptation ainsi que des contrôles.

L'outil industriel est le Centre de l'Aube qui a ouvert en 1992, il a une capacité de 1 million de mètres cubes. Nous avons aujourd'hui environ 110 000 mètres cubes consommés et nous le remplissons à raison d'une douzaine de milliers de mètres cubes par an. La perspective de fonctionnement de ce Centre est par conséquent de cinquante ans. Il est suivi par un plan de suivi de l'environnement : environ 17 000 mesures annuelles montrent une absence d'impact sur l'environnement.

J'en viens à présent à un sujet sur lequel nous n'avons pas encore de filière de gestion : la question des déchets de très faible activité. Comme je le disais, ces déchets sont de provenance diverses : démantèlements, secteurs de la chimie et de la métallurgie engendrant une radioactivité très faible. Très grossièrement, 85 % de ces déchets sont inertes et 10 % sont des déchets industriels courants. Nous avons également certains déchets industriels spéciaux, éventuellement mélangés à d'autres produits chimiques.

L'inventaire estimé est très vague puisque l'ordre est de 1 à 2 millions de mètres cubes. La solution industrielle envisagée est un concept de stockage de déchets de très faible activité qu'a élaboré l'ANDRA. Nous visons un calendrier d'ouverture vers 2003. Ce site doit évidemment faire l'objet de toutes les autorisations réglementaires avant de pouvoir ouvrir.

La première étape est très importante et concernera les enquêtes publiques. Je tiens à souligner que nous avons déposé le premier dossier d'enquête publique le 2 avril 2001 pour l'ouverture de ce centre à proximité du centre de l'Aube dans une commune qui jouxte la commune de Soulaines. L'enquête publique suivra par conséquent son cours.

Ce sujet est relativement bien répertorié. L'ANDRA est concepteur d'un stockage et travaille en partenariat dans le cadre d'un Groupement d'Intérêt Économique avec la société FRANCE DÉCHETS pour tout ce qui concerne l'amont de ce projet.

J'en viens à présent aux lacunes ainsi qu'aux problèmes actuellement rencontrés. Ces lacunes et ces problèmes sont de plusieurs ordres : nous avons tout d'abord des déchets dont le devenir n'est pas clair aujourd'hui. C'est le cas des paratonnerres.

La philosophie de ce que devraient devenir ces déchets n'est pas totalement claire aujourd'hui. Nous avons des demandes très fortes de particuliers ou de la puissance publique pour l'enlèvement de déchets tels que des fers contaminés radifères ou des déchets d'assainissement et nous avons un manque en matière d'entreposage et de stockage. Nous avons également des déchets sans filière de gestion disponible concernant les radifères et les graphites.

Pour répondre à ces lacunes, trois types d'actions sont conduits par l'ANDRA : une action sur l'entreposage, une action sur le stockage des radifères ainsi qu'une action sur le stockage des graphites. Je vous ferai part dans un instant de l'état d'avancement de ces différents points. S'agissant de l'entreposage, il s'agit d'un besoin de prise en charge à court terme de déchets sans filière de gestion. Cela concerne des gravats, des paratonnerres, des aiguilles de radium, des substances diverses ou des objets divers, avec des caractéristiques radiologiques très diverses.

Le fait est que l'ANDRA ne dispose pas aujourd'hui d'installations d'entreposage pour ce faire ; elle a choisi de retenir une stratégie depuis l'an passé, pour laquelle il n'existe pas de site potentiel pour un entreposage centralisé identifié à ce jour, mais nous mettons progressivement en place des solutions partielles qui permettront de gérer le problème des paratonnerres ainsi que d'un certain nombre de terres contaminées. Notre objectif est d'obtenir un dispositif de couverture complet des besoins en matière d'entreposage de tous ces déchets hors nucléaire courant 2003-2004.

J'en viens à la recherche de solutions plus définitives de stockage. S'agissant des radifères, j'en profite pour préciser à nouveau de quoi il retourne. Il s'agit de déchets issus d'activités ayant manipulé de la radioactivité naturelle, en moyenne de 100 Becquerels par gramme. Ces déchets sont aujourd'hui localisés dans des entreposages industriels ou des entreposages palliatifs chez certains exploitants nucléaires de base. La quantité est d'environ 100 000 tonnes.

Nous conduisons des recherches sur un concept de stockage en sub-surface, c'est-à-dire à quelques mètres en dessous de la surface du sol. L'Autorité de Sûreté avait émis un avis favorable sur un premier dossier d'option de Sûreté vers 1995-1996. Un dossier complémentaire a été soumis à la DSIN en 2000. À ce jour, il n'y a pas de site envisagé et c'est le principal point de blocage. Aucune reconnaissance de terrain, aucun site ni aucune région volontaire ne sont intervenus. Nous devons identifier ce problème.

Nous espérons néanmoins aboutir en 2007 ou 2008, en tout cas à la fin de la décennie. Telle est la situation concernant les radifères.

Je dirai un mot sur les graphites. Nous avons décidé de coupler ce dossier avec les radifères. Les éléments correspondants sont issus de la filière uranium naturel, graphite gaz, donc de la première filière électronucléaire française. La localisation de ces déchets se situe sur les sites des réacteurs ou dans des entrepôts de la COGEMA.

La quantité est relativement plus faible que ce que nous mentionnions précédemment, c'est-à-dire environ 23 000 tonnes. Les recherches conduites sur un stockage en sub-surface recouvrent un concept différent de celui des radifères mais nous pensons que les caractéristiques géologiques qui ne sont pas très exigeantes pour ces deux types de stockage en sub-surface peuvent être compatibles.

Compte tenu de la difficulté à trouver des sites et à conduire ce type de processus, nous avons imaginé un processus de couplage avec le projet radifère en indiquant qu'il y avait certes deux concepts différents, mais que nous pensions pouvoir trouver des milieux géologiques répondant aux besoins des deux. Nous n'avons pas de site envisagé à ce jour. En revanche, le calendrier s'étale jusqu'en 2007-2008.

J'en aurai presque terminé, Monsieur le Président, en vous disant que j'ai à peu près répertorié l'état du parc de déchets par ce balayage sur la matrice. Vous avez pu constater qu'une bonne partie est largement hors électronucléaire. Nous commençons à présent à avoir une bonne vision de ce dont il retourne. Nous avons avec ces projets des solutions opérationnelles existantes ou bientôt existantes, ou encore des solutions dont les délais sont de plusieurs années avant qu'elles ne se mettent en place, mais pour lesquelles les problèmes sont repérés.

La situation permettra de répondre de manière satisfaisante et de disposer d'actions globalement sûres dès lors que nous aurons stabilisé les questions d'entreposage et de prise en charge des demandes des particuliers.

Merci, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur JACQ pour la brièveté et la densité de votre propos. Je passe la parole au CEA, à commencer par Monsieur Jacques BOUCHARD, Directeur de l'Énergie Nucléaire.

M. BOUCHARD. - Merci, Monsieur le Président. Après l'exposé très complet de Monsieur JACQ, je voudrais souligner quelques aspects vus du CEA, en particulier pour un certain nombre de cas, non directement liés à l'électronucléaire, dont certains ont déjà été évoqués par Monsieur JACQ. Ils représentent une difficulté de gestion actuelle davantage qu'un problème de recherche de solutions.

En termes de Recherche et Développement, je voudrais souligner qu'il existe aujourd'hui un problème pratiquement résolu dans le domaine des déchets de faible et de très faible activité. Nous avons des solutions tout à fait robustes et satisfaisantes pour le problème de la caractérisation et des mesures en général.

Dès lors que nous évoquons des déchets de faible ou de très faible activité, que nous effectuons des catégories et que nous prévoyons des classements et des rangements différents, il est important d'être certains du contenu des colis, de pouvoir caractériser convenablement et de connaître aussi précisément que possible les contenus.

Tous les efforts effectués depuis une vingtaine d'années dans ce domaine, en particulier par le CEA mais pas uniquement par le CEA, ont permis d'apporter des réponses qui sont pour l'essentiel satisfaisantes aujourd'hui.

Pour ce qui concerne la gestion proprement dite de nos déchets, tout ce qui est de faible activité et de vie courte relève du stockage de Soulaines et de l'ANDRA. Tout est opérationnel aujourd'hui et ne pose pas de problème d'application particulier pour le CEA. Pour les TFA, nous entreposons dans l'attente du site que Monsieur JACQ a évoqué, en espérant que cela pourra se développer aussi vite que possible car les capacités d'entreposage deviennent rapidement importantes même si elles ne posent pas de problème majeur de sécurité.

J'évoquerai à présent les quatre cas particuliers qui méritent d'être évoqués à ce sujet. François JACQ en a déjà évoqué deux de façon assez détaillée. S'agissant de ces deux-là, je rappellerai rapidement la position du CEA : le CEA a environ 4 000 tonnes de déchets graphites, résultant pour l'essentiel du fonctionnement des anciens réacteurs G1, G2 et G3. Ils sont aujourd'hui entreposés de manière tout à fait sûre à l'intérieur des blocs réacteurs correspondants et sont sous surveillance permanente.

Nous adhérons totalement au projet de l'ANDRA afin de mettre ces déchets graphiques dans un stockage définitif aussi rapidement que possible. Je crois que la solution technique existe.

En ce qui concerne les déchets dits radifères, le problème pour le CEA, peu producteur de ce type de déchets, était davantage de se trouver en situation d'entreposage temporaire, afin d'aider à la résolution de problèmes intermédiaires. Ces entreposages temporaires concernent aussi bien des paratonnerres que des terres ou des déchets provenant de différentes installations industrielles.

Nous sommes une fois encore en phase avec l'ANDRA concernant la recherche des solutions définitives, de façon à pouvoir quitter notre rôle aussi rapidement que possible, mais cela pose pour l'instant des problèmes de gestion, c'est-à-dire des problèmes de saturation sur certaines installations, concernant en particulier les paratonnerres, mais nous avons une solution raisonnable en vue à court terme et ce problème sera résolu.

Les radifères ne sont pas un problème d'origine CEA mais nous essayons d'intervenir afin d'aider dans la situation temporaire.

Il reste deux problèmes, touchant plus spécifiquement le CEA : il s'agit d'une part des déchets provoqués par les installations de recherche et de développement, essentiellement des concentrés de boue ou des traitements d'effluents. Ils contiennent des produits divers et variés. Le déchet ultime relèvera finalement des dispositions qui seront prises à la suite des travaux de la Loi de 1991.

En revanche, nous rencontrons dans l'immédiat des problèmes de traitement et d'entreposage de ces déchets et nous butons un peu sur le fait que nos installations existantes de Cadarache sont saturées et quelque peu dépassées du point de vue des normes.

L'installation nouvelle de Cédra, mise en chantier voici trois ans, bute quant à elle sur des problèmes de procédure. Nous n'avons toujours pas de solutions pratiques afin de réaliser cette installation. J'espère que ce problème se résoudra rapidement mais il bloque une situation qui devrait être satisfaisante par ailleurs. Ces installations d'entreposage sur ce site modernisées et mises totalement aux normes pour les deux ou trois prochaines décades, nous devrions normalement obtenir le raccordement avec la solution ultime lorsque des décisions auront été prises.

Enfin, le dernier cas particulier spécifique des installations du CEA concerne le problème des déchets tritiés. Pour ce problème, je souhaite laisser la parole à Christophe BEHAR qui a préparé quelques éléments sur ce sujet. Merci, Monsieur le Président.

M. BEHAR. - Merci, Monsieur le Président. Je souhaite tout d'abord rappeler que la durée de vie du tritium est relativement courte puisque l'on parle ici de douze ans.

Si j'étais schématique et si je voulais parler très rapidement, je dirais qu'il suffit d'attendre un peu. Toutefois, cela n'est pas ce que le CEA a décidé de faire.

Je vais vous décrire très rapidement les deux types d'action actuellement en cours : ces actions portent sur des échelles de temps différentes. Nous agissons d'une part sur le présent et nous préparons d'autre part le futur, notamment en collaboration avec l'ANDRA. Les actions sur le présent visent pour nous à continuer de gérer très correctement les déchets tritiés actuels.

Comme nous l'avions annoncé depuis 1995, nous avons par ailleurs mené des actions très volontaristes, qui nous ont permis de réduire par un facteur 2 les rejets de tritium sur l'un de nos sites. Ces résultats ont notamment été obtenus grâce aux progrès réalisés au sein de nos unités de production.

Concernant la préparation du futur, nous essayons de définir avec l'ANDRA les modes de gestion des déchets tritiés et nous avons ainsi été amenés à entreprendre trois actions. La première consiste à définir et à étudier un conteneur destiné à terme à contenir les déchets tritiés solides. Nous sommes actuellement en phase de modélisation. Il s'agit pour nous de déterminer les taux de fuite potentielle de ce type de conteneurs. Nous passerons à terme à l'expérimentation.

Le second type d'actions concerne les études diagnostiques que nous sommes amenés à réaliser. Elles sont destinées à quantifier les quantités de tritium susceptibles d'être contenues dans un colis. Je rejoins ainsi en partie ce que disait Jacques BOUCHARD tout à l'heure : le problème de la mesure est un problème important. Nous développons actuellement un diagnostic qui a commencé à donner de premiers résultats en 1999 et en 2000.

Enfin, nous examinons, toujours avec l'ANDRA, les solutions de stockage de ces déchets tritiés après une durée d'entreposage qui sera limitée.

Je voudrais terminer, Monsieur le Président, en soulignant que ces études progressent aujourd'hui de façon tout à fait satisfaisante. Merci, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BEHAR. En l'absence de Monsieur Roland LAGARDE, Conseiller Technique au Cabinet de Madame VOYNET, il nous reste à entendre le Professeur Jean-François LACRONIQUE, Président de l'OPRI.

Peut-être, Monsieur LACRONIQUE, pourrez-vous nous éclairer sur la portée de l'Ordonnance transposant la directive Euratom relative à la radioprotection concernant en particulier les exemptions d'autorisations en dessous de certains seuils, qui permettraient, si je comprends bien, de banaliser certains déchets TFA. J'ai essayé de m'intéresser à cela, mais je dois dire que la rédaction de cette Ordonnance, qui devrait être comprise par tous, est pour le moins sibylline pour ne pas dire totalement ubuesque.

Je vous en donnerai un exemple : À l'Article 9, Article L152 1 à 4 du Code du Travail, les mots L122-3-11 sont remplacés par les mots L122-3-L, L122-3-11 et L122-3-17. Comprenne qui pourra !

J'ai simplement compris que cette Directive ne s'appliquait pas aux possessions françaises de l'Antarctique. Il est d'ailleurs assez scandaleux d'imaginer que les pingouins ne bénéficieront pas de la radioprotection. Monsieur LACRONIQUE, nous vous écoutons après ce petit intermède plaisant, pour revenir plus sérieusement dans le sujet.

Pr LACRONIQUE. - Je m'associe pleinement à votre indignation sur la protection des pingouins contre les rayonnements ionisants.

Mon intervention sera courte afin de réserver éventuellement d'autres réponses plus précises lors des questions. Ce témoignage se veut significatif de deux points de vue : celui d'une instance publique d'expertise, bien qu'en voie de recyclage comme vous le savez, sur l'impact sanitaire. C'est ce que l'on appelle le détriment sanitaire dû aux rayonnements ionisants, en application directe du problème posé par les déchets, selon la définition qu'en a donnée ce matin Monsieur SAINT RAYMOND.

Il s'agit en outre d'un témoignage d'une activité elle-même polluante puisqu'en tant que médecins et que scientifiques, notre corps de métier participe à l'émission de déchets par la voie de la médecine nucléaire et par la voie de la recherche biomédicale, assez grande consommatrice de produits à durée de vie la plupart du temps courte mais qui, cependant, pose parfois d'importants problèmes d'élimination et de stockage temporel.

Cette introduction me permettra d'illustrer deux points, dont le rapport entre déchets et effluents. Ce problème n'a pas été abordé jusqu'ici. La définition française permet de bien différencier les deux éléments. J'illustrerai également le problème de la notion de seuils de libération, notamment des déductions possibles de ce que vous appelez la définition sibylline qu'en donne actuellement la transcription en Droit français de la Directive européenne dite 96-29.

Les pratiques médicales et industrielles utilisant les rayonnements ionisants constituent en principe un domaine relativement bien réglementé ; en témoigne d'ailleurs l'épaisseur du document qui concentre la totalité des textes réglementaires dans ce domaine qui est une sorte de petit annuaire de textes réglementaires.

Il se trouve que pour ce qui concerne les déchets, on ne peut pas dire que les choses soient parfaitement satisfaisantes ; ceci a d'ailleurs été illustré par les définitions de Monsieur SAINT RAYMOND ce matin. Vous avez pu constater que trois cases restaient encore à définir, et ce sont justement les cases qui nous intéressent, s'agissant des déchets faiblement actifs ou très faiblement actifs.

Cependant, la réflexion s'est beaucoup enrichie depuis vingt ans et il est tout à fait positif de considérer que la terminologie actuelle propre à caractériser ces déchets (très faible activité, faible activité, moyenne activité), est à présent à peu près admise par tous et que des solutions techniques aient pu être dégagées, induisant des procédures de gestion elles-mêmes à peu près définies.

La question des déchets reste néanmoins tout à fait ouverte, notamment parce que le retraitement est une préoccupation majeure en matière d'impact sur la santé pour l'opinion publique. Cette question est couramment posée, aujourd'hui comme pour le futur.

Six observations peuvent être faites : en France, la définition des déchets ne recouvre pas celle des effluents, et notamment des effluents radioactifs liquides et gazeux. Il en résulte que le principe de dilution qui est appliqué pour les effluents est formellement rejeté pour les déchets. On estime parfois qu'il est nécessaire de renoncer définitivement au principe de dilution ou de dispersion dans l'environnement, au profit d'une conversion des rejets en déchets solides. Cette position a été prise et rencontre certains échos.

La seconde observation concerne le fait que toutes les catégories de déchets ne sont pas actuellement couvertes par un dispositif réglementaire encadrant leur gestion, ce qui nous pose quelquefois des problèmes d'interprétation. Cet élément nous amènera au traitement au cas par cas, sur lequel je reviendrai.

Troisièmement, les différentes catégories de déchets radioactifs représentent des quantités et des volumes extrêmement variables. Cela a été amplement démontré et caractérisé ce matin, notamment par l'intervention précédente de Monsieur JACQ. Les déchets TFA correspondent sans doute à plusieurs millions de tonnes alors que l'unité de mesure pour les déchets de haute activité est davantage de l'ordre de la centaine de tonnes.

Certains secteurs d'activité de l'industrie nucléaire produisent des déchets de toutes les catégories tandis que d'autres, notamment l'activité médicale et la recherche, produisent à peu près exclusivement des déchets de très faible activité ou faiblement actifs. La plupart du temps, ces déchets sont à période de vie courte, mais cela ne constitue pas une règle générale.

La définition de la catégorie de déchets TFA ne comporte pas de limite inférieure en deçà de laquelle le déchet ne serait plus considéré comme radioactif, limite en deçà de laquelle aucune mesure de radioprotection n'aurait plus à être envisagée.

Enfin, doit-on renoncer à réutiliser les éléments dont la radioactivité ne diffère pas naturellement de celle qui est présente dans l'environnement ? L'intérêt de la collectivité sur le long terme passe-t-il nécessairement par l'interdiction du recyclage et par la création de lieux de stockage de plus en plus nombreux ? Si l'innocuité du recyclage est garantie à tous les stades de la valorisation, peut-on l'admettre comme un débouché acceptable ?

Ces questions liées au seuil de libération et à la valorisation des déchets TFA sont récurrentes ; le principal obstacle à leur résolution est davantage d'ordre politique que d'ordre technique. Il se situe d'ailleurs assez peu sur le plan sanitaire ou médical.

Il est en effet difficile de faire admettre qu'en deçà d'un certain seuil, même très bas, un déchet présentant une activité résiduelle génératrice d'un impact potentiel formellement non nul puisse être assimilé à un déchet ou à un matériau ordinaire, n'induisant aucune précaution spécifique.

Cette absence de limite inférieure introduit une certaine insécurité juridique et ouvre la voie au contentieux, nous en avons quelques exemples. Elle ne permet pas de concilier la doctrine et la réalité.

Sur ce point, la Directive 96-29 du 13 mai 1996 fixe de nouvelles normes de base et permet d'entrevoir des solutions. L'Article 5 de cette Directive dispose en effet que L'élimination, le recyclage ou la réutilisation de substances ou de matières résultant d'une pratique peuvent être dispensés du respect des exigences de radioprotection, pour autant qu'ils respectent les seuils de libération fixés par les autorités compétentes nationales.

Cette possibilité introduite par le projet de radioprotection des populations est transposée dans la Directive du 13 mai 1996, qui interdit le recyclage des déchets radioactifs dans les biens de consommation et dans les biens de protection, mais en assortissant cette mesure de dérogations possibles, donc au cas par cas.

Le futur Article R 43-8 prescrit que l'élimination de déchets en dehors d'installations ou d'ouvrages autorisés à les recevoir est interdite, sauf si des dispositions particulières pour organiser et contrôler la décroissance radioactive sont prévues. En l'état, le projet de transposition ne se prononce pas définitivement d'une manière uniforme sur le devenir des déchets mais privilégie en fait le traitement pragmatique de ces questions, au cas par cas, en fonction notamment de la nature des radionucléides et des possibilités de traitement, d'entreposage, de stockage et des risques.

Il me serait possible de vous donner un certain nombre de déclinaisons de toutes ces notions, et notamment de revenir sur les questions de déchets radifères mais François JACQ l'ayant déjà fait, il ne me semble pas utile de rentrer dans le détail.

La question du recyclage de matériaux tels que les ferrailles et des résidus de l'industrie conventionnelle mais cependant radioactive mériterait éventuellement que nous en discutions un peu. La question de déchets comportant du carbone 14 ou du tritium entrant dans le cycle organique mériterait également une digression. La question des déchets hospitaliers elle-même mériterait peut-être que l'on s'y attarde mais cela n'est plus tout à fait du domaine nucléaire ; ce domaine est un peu spécifique.

Enfin, la question des matériaux de construction et notamment des ingrédients naturellement radioactifs dans certains matériaux de construction a été illustrée l'année dernière par la fameuse question des laines de verre. Je laisse cet élément en tête de chapitre afin que des questions éventuelles soient posées sans que je ne m'attarde davantage à leur approfondissement.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur LACRONIQUE.

Nous allons, comme précédemment, entendre des questions émanant des parlementaires ou d'autres assistants par écrit.

Je voudrais revenir sur un point : l'Article 2 de la fameuse Ordonnance de transposition des Directives Euratom prévoit que les activités comportant un risque d'exposition des personnes aux rayonnements ionisants soient soumises à déclaration ou à autorisation.

Néanmoins, ce même Article précise que lorsque la radioactivité est inférieure à un seuil qui sera fixé par décret, on peut être dispensé de déclaration ou d'autorisation. Ma question est la suivante : cette disposition permettra-t-elle de recycler certains déchets TFA dans le circuit normal des matières premières ?

Pardonnez-moi de revenir sur ce sujet, Monsieur LACRONIQUE, mais je vous demande quelques précisions.

M. LACRONIQUE. - Pour l'instant, la Directive 96-29 définit un seuil dit de trivialité concernant l'exposition, c'est-à-dire non pas l'activité mais la dose susceptible d'être reçue. À partir du seuil de 10 microsiverts par an, il n'existe pas de déclaration nécessaire ; c'est un seuil de trivialité. C'est la Directive qui le dit. Que je sache, nous n'avons pas encore actuellement de textes reprenant ce seuil ni d'autorisation générique donnée avec un seuil de libération officiel.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci. Y a-t-il des questions ?

Mme RIVASI, députée - Merci, Monsieur le Président. Je suis un peu surprise car nous avions fait un colloque sur le même sujet il y a un an et j'avais fait des propositions mais je m'aperçois que les choses n'avancent pas vite en France. Peut-être faudrait-il activer. Cela nous remet d'ailleurs un peu en cause nous-mêmes sur le plan politique.

Tout d'abord, concernant le problème de la décision et de l'harmonisation, j'avais suggéré que l'ANDRA gère l'ensemble des déchets radioactifs, alors qu'il ne gère actuellement que les déchets faiblement radioactifs ainsi que les TFA. Je pensais que la lisibilité des décisions prises aurait été meilleure concernant le conditionnement ou le fait que des mesures de sécurité existent et que l'ANDRA puisse aller sur des sites du CEA ou de la COGEMA, mais je constate que nous n'avançons pas beaucoup dans ce domaine.

S'agissant des solutions par rapport à certains types de déchets, qu'il s'agisse des radifères, des graphites, des tritiums ou du carbone 14 évoqué par Monsieur LACRONIQUE et que Monsieur JACQ n'avait pas mentionné, cela n'avance pas beaucoup non plus, or il y a urgence pour les radifères.

J'ai visité des sites. Vous n'avez pas mentionné Saclay pour le CEA, site sur lequel vous récupérez bon nombre d'éléments. Nous devrions disposer d'une meilleure lisibilité.

Vous avez évoqué les paratonnerres pour lesquels il existerait soi-disant une solution : j'aimerais que vous nous disiez où sont pour l'instant entreposés ces déchets. Quelles mesures comptez-vous prendre ? Quelle est la sécurité par rapport à l'environnement et la population ? Ces éléments devraient être beaucoup plus précis.

Vous avez indiqué 2007-2008. Je constate que nous devons ôter des déchets radifères de Nogent-sur-Marne et que nous ne savons où les mettre. D'autres sites dans l'Essonne ont également des déchets radifères entreposés et nous ne savons pas trop quoi en faire pour l'instant. Il y a urgence à trouver des solutions.

Je souhaiterais ensuite revenir sur l'Ordonnance de la transposition. Nous aurions normalement dû transposer la Directive : nous avions la possibilité de modifier certains termes de la Directive européenne. Nous ne l'avons pas fait parce que nous sommes lents pour les transpositions.

Nous prenons ainsi les termes tels quels de la Directive, avec toute leur ambiguïté. J'avais suggéré de ne pas accepter en France les seuils de libération puisque c'est la porte ouverte à certaines dérives. On nous avait dit que les autorités compétentes décideraient, mais en fonction de quoi ? Nous n'en avons pas besoin.

En outre, qu'il s'agisse du CEA, de la COGEMA, de la DSIN, etc., notre position consistait à dire que nous devions mesurer la radioactivité dès lors qu'elle était présente. Notre position était que tout démantèlement devait faire l'objet de série : non radioactif, moyennement radioactif, faiblement radioactif ou très faiblement radioactif, afin de disposer de la traçabilité de ces déchets radioactifs.

En tant que Français, nous devons maintenir cette position, même si d'autres pays européens ne le souhaitent pas. Nous avons la possibilité de le faire au niveau de la Directive. Tout sera permis si nous nous lançons sur l'acceptation des seuils de libération.

Nous avons eu des exemples en France concernant le recyclage, en particulier celui des ferrailles : pensez à RADIA-CONTRÔLE, pensez également à ISOVER qui récupérait les déchets, d'ailleurs d'origine naturelle, pour les reconcentrer ensuite. Le consommateur a le choix entre de la laine de verre non radioactive et de la laine de verre dans laquelle des éléments radioactifs ont été rajoutés. La population applique le principe de précaution. Nous ne pouvons par conséquent aller dans ce sens.

Il est assez facile de dire que la position française est la traçabilité et qu'il nous appartient de trouver des sites d'entreposage. Nous devons tous nous y mettre ! Nous devons disposer d'une lisibilité et d'une traçabilité.

S'agissant du nucléaire, cette ambiguïté ne doit pas exister, sinon le nucléaire en pâtira. Si jamais nous laissons la porte ouverte à la possibilité de recyclage de certains déchets, même faiblement radioactifs, nous irons vers une très mauvaise image du nucléaire. Nous souhaitons cependant une très bonne image du nucléaire en France, Messieurs les professionnels du nucléaire, et il faut jouer le rôle du consommateur et du principe de précaution.

M. LE PRÉSIDENT. - Une partie de votre question, chère collègue, relève de l'autorité politique mais ce n'est pas nous, comme chacun sait.

J'inviterai peut-être Monsieur JACQ pour ce qui est du travail de l'ANDRA et Monsieur BOUCHARD pour ce qui appartient plus généralement au cadre général, à répondre à l'interpellation de Madame RIVASI.

M. JACQ. - Merci, Monsieur le Président. Je partage le sentiment de Michèle RIVASI lorsqu'elle affirme que les choses n'avancent pas assez rapidement. Elles vont d'autant moins rapidement à mon gré que l'ANDRA se trouve dans une position délicate, je l'ai toujours dit.

Aujourd'hui, l'ANDRA peut être sollicitée par tel particulier, par tel Préfet, par telle administration compétente, lui demandant l'enlèvement de tel type de déchets. Dans un certain nombre de cas, nous ne sommes pas capables de le faire.

Autant dire que cela ne peut nous satisfaire en tant que représentants d'une agence chargée de la gestion des déchets radioactifs. Cela n'est pas satisfaisant et les populations ont beaucoup de mal à entendre cette réponse, même s'il existe également des contraintes réglementaires ou des contraintes d'existence de sites, etc.

Je mentionnais pour 2007-2008 une perspective de solution définitive, afin que nous disposions d'un stockage où nous puissions amener les choses. Nous ne sommes pas certains de ce calendrier mais il est susceptible de permettre de regrouper les choses, d'avoir des éléments homogènes, de trier, de conditionner et de ne pas disperser ces éléments de part et d'autre.

S'agissant des paratonnerres qu'évoquait Madame la Députée, ils se trouvent aujourd'hui au sein d'installations du CEA, à Saclay pour deux d'entre elles dont l'une est louée par l'ANDRA au CEA. Il existe en outre une installation du CEA à Grenoble ainsi qu'à Cadarache.

Nous avions imaginé un certain nombre de solutions pour ces paratonnerres ayant été collectés. Il existe en outre des paratonnerres en plus petit nombre, aujourd'hui entreposés temporairement chez les installateurs, démonteurs et réparateurs de paratonnerres.

Je suis désolé de rentrer dans le détail, Monsieur le Président, mais je donne simplement une illustration. Pour donner des quantités et des ordres de grandeur, le CEA entrepose quelques milliers de paratonnerres.

Le potentiel maximal de paratonnerres est de quelques dizaines de milliers, estimé au vu de ce qui aurait été installé. Qu'en est-il advenu ? La foudre est susceptible de tomber sans que nous en soyons systématiquement prévenus... Que faisons-nous par rapport à ces éléments ?

Aujourd'hui, nous avons élaboré une solution avec le CEA. Elle permettrait d'une part de réaliser un certain nombre de colis de paratonnerres beaucoup plus compacts, ce qui permettrait d'optimiser la situation en termes de place et de faire un entreposage d'un certain nombre de ces paratonnerres au radium. Il en existe en effet deux sortes, au radium et à l'américium. Il en existe en outre des mixtes. Ces entreposages au radium se situeraient dans la continuité des entreposages existants au CEA et permettraient de regrouper et de désengorger les paratonnerres se trouvant chez les installateurs.

Les paratonnerres à l'américium pourraient être entreposés sur une autre INB existante. Ces éléments devraient nous permettre à la fin de l'année 2001 et au début de l'année 2002 d'être au clair sur les paratonnerres existant ou se trouvant dans la nature.

Cela ne sera pas une solution définitive puisqu'il s'agit d'une solution d'entreposage. Elle aura l'immense mérite d'avoir regroupé ces éléments, d'être dans des conditionnements clairs et d'avoir une traçabilité qui est indispensable, comme vous le souligniez, Madame la Députée.

S'agissant des terres contaminées ou des déchets liés à certains assainissements, nous mettons actuellement en place des entreposages partiels mais centralisés dans un certain nombre d'éléments. Nous effectuons actuellement une première vague. Je pense à certains sites qui ont défrayé la chronique, tels que la rue Chomel pour ne pas la citer. L'assainissement du site a engendré une bonne trentaine de fûts contaminés avec du radium mais se situant à la frontière entre le radium et les déchets très faiblement actifs. L'assainissement a été réalisé sur ce site ainsi que sur deux ou trois autres. Nous avons trouvé un certain nombre de solutions qui nous permettront de regrouper les choses.

Ma perspective se situe à l'horizon 2003-2004. Je devrais avoir mis en place un dispositif de couverture en termes d'entreposages, permettant de répondre aux besoins dès qu'ils seront exprimés par les particuliers ou par les instances publiques.

La question d'une solution définitive sous forme de stockage restera ouverte puisqu'aucun site n'a été identifié. Il me semble qu'il s'agit d'un problème qui n'a pas grand-chose à voir avec les débats sur l'électronucléaire, comme le soulignait Madame la Députée. Ce problème doit être considéré et traité en tant que tel et je pense qu'il implique une réflexion de la collectivité. Le Rapport de Madame la Députée a constitué une occasion importante pour mettre ce problème sous les feux de la rampe.

Tels sont les éléments que je souhaitais apporter non pas en tant que réponse mais en complément par rapport à l'intervention de Madame la Députée.

M. BOUCHARD. - Je ferai deux commentaires très brefs concernant les questions posées par Madame la Députée. Le premier concerne les problèmes d'harmonisation et de lenteur. S'agissant de l'harmonisation, nos exposés ont essayé de montrer que nous travaillions de concert avec l'ANDRA sur ces sujets. Concernant les entreposages temporaires au CEA en attente de stockage à l'ANDRA, il faut nous laisser gérer cela. Je ne pense pas que ces éléments posent des problèmes majeurs. Les solutions doivent avancer clairement.

En ce qui concerne les lenteurs, je ne peux que redire mes regrets de buter de temps à autre sur des problèmes de procédures. Nous sommes actuellement bloqués uniquement pour des questions de procédure sur une installation importante pour la gestion de l'ensemble de nos affaires.

Mon second commentaire concerne les seuils minimums concernant les déchets de très faible activité : je suis tout à fait d'accord avec vous, mais j'apporterai deux petites nuances. Il existe tout de même des seuils de mesure. Il faut effectivement se prononcer sur ce qui se trouve en dessous des seuils de mesure. Nous laisserions apparaître une ambiguïté en indiquant que tel élément est susceptible d'être radioactif parce qu'il se trouvait dans une installation. Les seuils de mesure sont extrêmement bas ; tous les spécialistes le savent.

Nous pouvons tout de même laisser une fenêtre ouverte pour certains recyclages internes à la filière nucléaire, qui permettraient d'éviter de traiter en déchets des éléments susceptibles d'être réutilisés au sein de la filière elle-même, sans risque pour les populations.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BOUCHARD. Il n'y a plus d'autres questions. Je donne la parole à Monsieur René PELLAT, Haut Commissaire à l'Énergie Atomique, pour les conclusions de cette matinée.

INTERVENTION DE MONSIEUR RENÉ PELLAT, HAUT COMMISSAIRE À L'ÉNERGIE ATOMIQUE

M. PELLAT. - Les conclusions ne seront pas des conclusions. Il est tout à fait évident, d'après les débats que vous avez pu avoir et la façon de s'exprimer des différents orateurs, que tout le monde est pris entre deux contradictions.

La contradiction est que nous avons un parc nucléaire important, beaucoup plus important que certains pays que nous citons. Nous avons ce parc nucléaire pour une longue durée, sauf si nous décidons d'arrêter les réacteurs ; nous l'avons pour des dizaines d'années.

Si nous observons le volume des déchets, sous quelque forme que ce soit, nous nous apercevons alors que le facteur que nous avons à traiter par rapport aux autres pays cités est d'un facteur 10 en quantité par rapport à un facteur de 1/10ème en surface du territoire, pour simplifier et en exagérant.

Il est par conséquent tout à fait normal que le problème soit complexe, qu'il soit scientifique et technique - j'en donnerai certains éléments - qu'il soit politique, qu'il repose sur une éducation qui n'a pas été faite et sur une conception de la démocratie que chacun peut avoir.

Une fois que nous avons dit cela, nous n'avons pas beaucoup avancé. Je voudrais pour ma part rendre hommage à ce qui a été fait en 1991, c'est-à-dire le lancement de la Loi BATAILLE car nous pouvons au moins aujourd'hui faire plusieurs choses.

Nous pouvons tout d'abord en discuter avec les personnes directement ou indirectement chargées de s'en préoccuper. Nous avons également développé de nombreuses techniques nouvelles, et cela n'est pas terminé, j'insiste sur ce point. Nous avons pris le problème sous l'angle scientifique ; nous avons déterminé toutes les composantes de ce problème, qu'il s'agisse des effets de faible dose, de radioactivité, de la tenue des centrales, du séisme, ou qu'il s'agisse de l'opinion de chacun, malgré toutes les contradictions de la vie de tous les jours ou des blocages locaux.

Nous avons fait énormément de progrès, mais n'ayant en charge ni l'aspect industriel ni l'aspect opérationnel au sein du CEA, puisque j'ai une position « hors mêlée » - c'est d'ailleurs son intérêt - il me semble que les dates mentionnées tout à l'heure font apparaître certains débats concernant 2006.

Il est cependant évident que nous n'aurons pas terminé en 2006. En 2006, nous constaterons que nous avons fait d'énormes progrès, tout d'abord pour circonscrire les problèmes, ensuite pour donner un certain nombre de solutions scientifiques, enfin pour avoir l'ébauche d'un certain nombre de solutions techniques.

Je trouve que cet effort est remarquable. Les problèmes au niveau local sont hérités du passé : nous avons travaillé d'une façon qui, à mon avis, n'était pas suffisamment démocratique. Ceci dit, je considère également que l'enseignement devrait être revu : j'ai des enfants de douze ou treize ans et je vois ce qu'ils apprennent au lycée. J'en avais d'autres qui ont la trentaine et j'ai vu ce qu'ils ont appris ; j'ai également constaté ce qu'ils n'ont pas appris. Ils arrivent à la maturité ; on leur demande de voter, de prendre des positions locales ou nationales mais ils n'ont aucun background sur le sujet, comme l'on dit en anglais.

On nous a parlé des unités. Le Becquerel est une unité démente. On peut démontrer ce que l'on veut avec le becquerel à quelqu'un qui n'est pas compétent. C'est un fait ; cet élément n'est pas partisan ni nucléocrate, ni antinucléocrate. C'est une évidence d'une erreur historique.

Il est clair que nous disposons d'un ensemble de solutions, mais nous ne devons pas les bloquer l'avance, ni sous l'angle scientifique ni sous l'angle technique. J'ai entendu que la Loi exigeait deux sites. On ne peut avoir « le beurre et l'argent du beurre » : nous en avons un et nous devrons bien aménager la Loi pour savoir ce que nous ferons le cas échéant d'un second site. Même dans un système aussi légal que celui de la France, une loi peut toujours être suivie d'une autre loi. Nous en avons eu de nombreux exemples.

Je ne voudrais pas que l'on mélange les problèmes scientifiques, techniques et les problèmes purement juridiques. Le juridique vise à aider à organiser la société une fois que l'on sait ce que l'on mettra dans le juridique et non l'inverse. Je regrette que l'on puisse se battre sur ces sujets-là. Il est clair que nous n'aurons pas résolu l'ensemble des problèmes en 2006. Il faut du temps pour gérer le temps. Le nucléaire est identique aux autres industries importantes, qu'il s'agisse de l'aéronautique ou de l'espace. Cela concerne des dizaines d'années. En outre, il y a quelquefois des erreurs au passage.

Lorsque nous avons fait l'ELDO, nous avons mal fait l'espace. Lorsque nous avons ensuite réalisé Ariane, nous l'avons mieux fait. Il s'est écoulé des dizaines d'années entre les deux.

Y a-t-il réellement un club nucléaire d'aujourd'hui ? Il me semble que nous devrions en refaire un. Nous n'avons pas beaucoup discuté ce matin car nous parlons des déchets, mais ils proviennent bien de quelque chose : ils proviennent de réacteurs. Ces réacteurs ont ensuite des combustibles. Il faut savoir ce que l'on fait des combustibles.

Je le répète car c'est ma conviction profonde, il n'existe pas d'industries pérennes. Je me place dans le cas où l'industrie nucléaire serait pérenne. Nous parlons toujours d'arrêter le nucléaire et les réacteurs mais nous n'arrêterons pas le traitement des déchets. Il faut savoir ce que l'on veut : nous ne pouvons inverser la logique des choses. Nous ne pouvons dire que nous arrêtons le conditionnement des déchets ultimes chimiques. Il faut arrêter l'industrie chimique si nous ne souhaitons pas de déchets. Il faut avoir une logique dans les choses.

Je peux vous dire que nous réalisons actuellement de grands progrès concernant les conditionnements et les séparations, ceci quel qu'en soit l'usage ultérieur, qu'il s'agisse des produits de fission ou de la qualité des verres, à présent au point.

Le CEA a un Comité de Visiteurs Étrangers dans lequel figurent les Américains et les Russes. En tant qu'américain, Monsieur RICHTER est contre le traitement des combustibles. C'est la doctrine américaine pour la prolifération. Monsieur RICHTER s'est commis à dire que le travail qui avait été effectué dans le cadre de la Loi sur le problème des produits de fission et de leur stockage dans les verres pour l'éternité était remarquable. Je voudrais insister sur les progrès techniques. Bien entendu, il faut à présent convaincre la COGEMA que nous devons le faire.

Nous avons ce matin mentionné ATALANTE. Si vous visitez ce site, vous constaterez qu'il s'agit de la première phase d'une industrialisation, comme cela a été le cas par le passé. Je ne connais pas de domaines pour lesquels nous ne commençons pas par comprendre, par modéliser, par réaliser à échelle réduite pour ensuite passer à l'industrialisation. Selon ma formation scientifique et technique, je ne crois que ce que je peux comprendre et je ne peux comprendre qu'en fonction d'un rationnel que j'ai appris. Toutefois, je ne me ferai pas meilleur que les autres puisque cela ne m'empêche pas d'être totalement irrationnel sur d'autres sujets.

Ce matin, nous avons évoqué le multirecyclage du MOX : nous sommes prêts à vous fournir tous les documents. Il ne s'agit pas de multirecycler les crayons MOX comme nous le faisons aujourd'hui. Il s'agit de nouvelles organisations des c_urs de réacteurs, ensuite susceptibles d'effectuer un recyclage en mélangeant les crayons MOX et les autres. Autrement dit, le MOX n'est pas une fin en soi. Nous en sommes scientifiquement et techniquement convaincus. Il s'agit d'une étape.

Ensuite, les Autorités de Sûreté, les industriels, le Parlement et les voisins de centrales accepteront ou non qu'il en soit ainsi, mais nous pouvons scientifiquement faire beaucoup mieux que nous ne faisons aujourd'hui.

La dimension du sujet et le temps nécessaire pour régler réellement les problèmes sont tels qu'il ne faut pas « jeter le bébé avec l'eau du bain » avant de les étudier, de les approfondir et de les classer de façon honnête. J'accepte pour ma part qu'une personne me dise : Fermons les centrales demain. Nous aurons froid mais pourquoi pas ? Nous aurons un peu plus de mal à prendre le TGV mais c'est un autre sujet. Nous pouvons cependant envisager cette décision.

Nous ne pouvons cependant affirmer avec notre acquis historique que nous ne traitons pas bien les déchets ni les combustibles mais que nous souhaitons conserver les centrales. Nous devons tous nous accorder, en éducation, en proximité et de façon honnête sur le plan scientifique. Finalement, tout le monde dit souvent n'importe quoi, peut-être par manque d'éducation. C'est mon cas : il m'a fallu apprendre lorsque je suis arrivé au CEA et il m'a fallu écouter de nombreuses personnes qui savaient. Il en a été de même lorsque j'ai travaillé sur Ariane. Je n'étais pas un spécialiste de la combustion et il m'a fallu rencontrer les laboratoires, le CNRS et les industriels afin d'étudier comment nous allions mettre au point une meilleure fusée vingt ou trente ans après.

Pour ma part, je suis convaincu que le nucléaire sera durable, à une seule condition : il est indispensable qu'il gère au mieux ses déchets, comme toute industrie. Il devra les minimiser.

Nous devons en outre avoir un programme intelligent d'éducation, de proximité et de formation des jeunes afin qu'ils sachent ce qu'est un Becquerel et qu'ils connaissent son mode de fonctionnement. Il est vrai que nous pourrons leur dire que cela fonctionne dans les étoiles mais ceci est encore un autre sujet.

Ce que je retiens, c'est la nécessité du dialogue, la nécessité de ne pas s'obstiner sur des dates qui paraissent incontournables mais qui constituent pour moi des étapes. Je rends hommage à ceux qui ont lancé l'ensemble du processus car cela était nécessaire, et je souhaite que les industriels et la recherche en amont, à laquelle participent le CNRS comme les Universités avec le CEA, puissent profiter des résultats de ces recherches, puissent les faire leur et que nous parvenions à obtenir une situation durable et consensuelle. Merci.

Mme SÉNÉ. - À condition d'avoir un programme nucléaire au sein d'un programme énergétique cohérent.

M. LE PRÉSIDENT. - Il ne s'agit pas d'un dialogue ; nous concluions pour la matinée.

M. PELLAT. - Bien entendu.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci de votre intervention, Monsieur PELLAT. Je lève la séance de ce matin et je vous donne rendez-vous à 14 heures 30 pour la troisième table ronde qui traitera des problèmes posés par le non retraitement immédiat d'une partie du combustible irradié.

La séance est reprise à 14 heures 36 sous la présidence de Monsieur BATAILLE.

TROISIÈME TABLE RONDE : LES PROBLÈMES POSÉS PAR LE NON RETRAITEMENT IMMÉDIAT D'UNE PARTIE DU COMBUSTIBLE IRRADIÉ.

M. LE PRÉSIDENT. - Pour situer le contexte de cette audition, je souhaiterais tout d'abord vous rappeler que l'Office Parlementaire m'a chargé de conduire une étude demandée par la Commission de la Production et des échanges de l'Assemblée Nationale sur les possibilités d'entreposage et de stockage du combustible irradié et des déchets radioactifs dans les installations situées en surface ou en sub-surfaces. Ce matin, nous avons effectué un large tour d'horizon concernant la gestion des déchets nucléaires et nous aborderons cet après-midi un problème se situant davantage dans l'actualité récente.

E.D.F. ne souhaite plus désormais retraiter immédiatement, et j'insiste sur le terme immédiatement, la totalité du combustible irradié qui sort chaque année des centrales. Nous serons dans quelques années confrontés au problème posé par la gestion de ces combustibles en attente de retraitement différé.

Plusieurs questions se posent : quelle quantité de combustible irradié sera ainsi mise en attente chaque année ? Combien de temps durera cette attente ? Comment sera organisé l'entreposage de ces combustibles ? Tous les types de combustibles seront-ils finalement retraités ? Quel sera le coût de cet entreposage à long terme ? Quelles en seront les conséquences sur le plan technique ? Enfin, faudra-t-il créer de nouvelles infrastructures spécialement dédiées à cet entreposage ? J'en passe...

Je n'ai fait qu'aborder quelques questions que nous pouvons nous poser en tant qu'élus, Parlementaires et en tant que citoyens avertis de ces questions. Il ne s'agit que de quelques-unes de ces questions. D'aucuns m'ont dit qu'il n'y avait pas d'urgence et que les moyens actuels d'entreposage, bien que non prévus pour un tel usage, sont pour l'heure suffisants.

J'ai une expérience relative de plus de dix ans concernant les déchets nucléaires, et cette expérience m'a convaincu qu'il ne faut pas attendre d'être confrontés à un problème pour rechercher des solutions. Nous ne devons pas rechercher des solutions dans l'urgence. Nous avons tout intérêt à ouvrir le débat à froid, avant que l'urgence ne nous contraigne à prendre des décisions actives et souvent erronées.

Aussi, avant d'ouvrir la discussion, je souhaite rappeler qu'il ne s'agit pas aujourd'hui de traiter de l'opportunité du retraitement recyclage. Pour l'heure, la continuité prévaut dans la doctrine gouvernementale : la France continuera à retraiter le combustible irradié. Cependant, ce qui a changé, c'est que ce retraitement se déroulera peut-être pour une partie du combustible sur une période plus longue, ce qui nous contraint à imaginer des solutions d'attente et en tout cas à réfléchir autour de ces solutions.

J'aimerais savoir comment les différentes parties concernées, y compris celles qui contestent cette analyse, adapteront leur stratégie et leur réflexion à cette situation nouvelle. Nous allons à présent ouvrir les débats avec la table ronde réunie.

Je remercie tous les membres présents : pour le CEA, Monsieur Jacques BOUCHARD, Directeur de l'Énergie Nucléaire ; pour la COGEMA, sa présidente Madame LAUVERGEON ; pour E.D.F., son Président Monsieur ROUSSELY ; pour l'association GREENPEACE, Monsieur Jean-Luc THIERRY ; Monsieur MAILLARD, Directeur Général de l'Énergie et des Matières Premières pour le Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

Je propose de donner la parole à Monsieur BOUCHARD. Je vous rappelle très brièvement le travail que nous effectuons et les règles que nous essayons de nous fixer : vu le niveau des intervenants, je ne saurais limiter le temps de parole. Toutefois, je vous demande de le faire d'une manière la plus brève possible afin de laisser place aux débats et aux questions qui seront posées par moi-même, par les parlementaires présents ou indirectement par les personnes présentes, qui devront dans ce cas adresser leurs questions par écrit à la tribune.

M. BOUCHARD. - Merci, Monsieur le Président. Comme vous l'avez rappelé et comme cela a été évoqué ce matin, nous sommes en France dans une situation de retraitement partiel ou total des combustibles usés, par les décisions qui ont été prises depuis plus de trente ans. Cette situation avait une logique très claire à la fois de valorisation des matières énergétiques contenues dans ces combustibles ainsi que de gestion optimale des déchets en limitant au strict minimum ce qui doit être traité en déchets ultimes.

Actuellement, cela a conduit à une situation dans laquelle environ deux tiers des combustibles usés des centrales E.D.F. sont effectivement traités et le plutonium récupéré à cette occasion est utilisé comme combustible dans les combustibles des MOX, qui est ensuite retourné dans les centrales.

En revanche, il n'existe pas aujourd'hui de décision de retraitement de ces combustibles MOX une fois qu'ils ont été irradiés en centrale. Je rappelle que l'ensemble de cette situation s'est établi à une époque où il existait un programme de réacteurs à neutrons rapides, et dans une optique où nous considérions qu'il était normal d'attendre et d'utiliser ce plutonium, en particulier le plutonium issu des MOX, dans des réacteurs à neutrons rapides.

L'élément nouveau réside aujourd'hui dans le fait qu'il n'existe plus de visibilité claire en termes de date objective pour des réacteurs à neutrons rapides, même si j'ai toujours pensé que nous devrions en faire un jour ou l'autre. La question est de savoir ce qui se passera avec les combustibles usés avec le MOX, et en particulier avec les combustibles MOX eux-mêmes.

J'apporterai trois éléments sur le plan technique. Nous disposons aujourd'hui de solutions en termes de Recherche et Développements, permettant d'envisager d'utiliser le plutonium dans les réacteurs à eau actuels ou ceux de la nouvelle génération lorsque nous construirons des réacteurs types EPR. Nous avons la possibilité d'utiliser le plutonium en multi-recyclage dans ces réacteurs. Ceci a été établi aujourd'hui au titre de la Recherche et Développements. Ce procédé devra bien entendu être développé au plan industriel mais nous ne nous trouvons pas dans une impasse technique. Il existe effectivement des solutions permettant de poursuivre dans la logique de valorisation des matières, en utilisant le plutonium dans les réacteurs actuels, tant que nous ne déciderons pas d'en faire d'autres.

Quels peuvent être les arguments en faveur ou en défaveur d'un retraitement immédiat ou différé ? S'agissant du retraitement différé, il faut savoir qu'il existe un problème non négligeable sur le plan technique concernant le vieillissement du plutonium lui-même. Ce plutonium se trouve dans les combustibles usés, qu'il s'agisse de combustible uranium ou de combustibles MOX, et contient en particulier des proportions non négligeables d'isotope 241, c'est-à-dire entre 10 et 15 %. Cet isotope 241 est très fissile et donc très intéressant en tant que matière énergétique ; il disparaît assez rapidement puisqu'il a une période de quinze ans seulement. Il est ainsi évident que nous obtiendrons des différences sensibles sur le contenu en isotope fissile du plutonium correspondant, selon que nous retraiterons après cinq ans ou après cinquante ans.

Ceci signifie approximativement que si nous attendons cinquante ans pour réutiliser le plutonium correspondant, nous perdrons à peu près 10 % du plutonium total et environ 20 % du plutonium fissile. Ces éléments sont un plus élevés dans le cas d'un combustible MOX, c'est-à-dire que nous perdrons environ 15 % du plutonium total et 25 à 30 % du plutonium fissile.

Ceci constitue un petit inconvénient mais qui n'est pas négligeable, notamment si l'on doit réutiliser le plutonium dans des réacteurs à eau. Ceci est beaucoup moins sensible s'il s'agit de réacteurs du type spectre à neutrons rapides.

Il existe un autre inconvénient : la disparition du plutonium 241 se traduit en création d'américium 241 et nous alourdissons la charge en américium, environ d'un facteur 2 ou 2 à 3 suivant les cas. Nous augmentons ainsi ce problème qui existe déjà pour les déchets résultant du traitement de ces combustibles usés.

Ceci est l'inconvénient de procéder à un retraitement différé. Vis-à-vis d'un retraitement immédiat, je dirai que le seul point que nous pouvons mettre en balance concerne le fait que nous utilisons mieux ou nous détruisons mieux ces plutoniums dans un spectre de réacteurs à neutrons rapides que dans les spectres de réacteurs à eau, même si nous disposons aujourd'hui de solutions techniques paraissant tout à fait réalistes et susceptibles d'être mises en _uvre sans difficulté.

Ceci étant, compte tenu de la situation actuelle dans laquelle nous n'avons pas de visibilité de programme de réacteurs à neutrons rapide, il me semble que cet inconvénient peut être négligé.

Telle est la situation en termes purement techniques. L'entreposage fait l'objet de la seconde table ronde de l'après-midi et nous évoquerons la faisabilité de l'entreposage, qui est excellente. Cependant, en termes de choix différé ou immédiat, ces éléments me paressent essentiels sur le plan technique.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BOUCHARD. J'ai choisi de faire intervenir les organismes par ordre alphabétique. Vous venez de nous camper un peu le paysage vu par le technicien que vous êtes. Je donne à présent la parole à Madame LAUVERGEON, Présidente de la COGEMA.

Mme LAUVERGEON. - Merci d'organiser cette audition cet après-midi et de parler d'un sujet qui ne doit en aucune façon être un sujet tabou ou le devenir. Il s'agit d'un sujet que nous ne devons pas craindre. Nous devons en discuter et apporter tous les éclairages adéquats.

Lorsque l'on parle de gestion de combustibles usés, il me semble que nous devons revenir à un problème volumique : de quoi parle-t-on ? De quelle dimension du problème parle-t-on ?

Si nous prenons le cas français, nous produisons en France trois tonnes de déchets industriels chaque année par Français, et un seul kilo est imputable à l'énergie nucléaire. Dans ce kilo, 5 grammes sont très fortement toxiques et très fortement radioactifs. Nous évoquons cet après-midi ces 5 grammes. L'ensemble des déchets ultimes produits par le parc électronucléaire français tiendrait dans l'espace limité de la taille d'une piscine olympique. Ce calcul avait été fait par les services d'E.D.F., me semble-t-il. Il faut là encore revenir au volume de ce dont nous parlons.

Nous devons bien sûr tenir compte de la gestion à long terme de ce déchet ultime. Le retraitement et le recyclage ont pour but de récupérer ce qui peut être valorisé, tout en conditionnant de manière adaptée les déchets ultimes. Il me semble que notre responsabilité environnementale et éthique consiste aujourd'hui à laisser aux générations futures une gestion optimisée selon nos technologies et selon ce que nous savons faire de ces matières ultimes de haute activité.

Je rappelle que l'ensemble du système de retraitement permet de diviser par 5 le volume de ces déchets et de diviser par 10 leur toxicité. Cela permet également d'assurer un conditionnement sous forme de verre, forme géologiquement très inerte, et un conditionnement dans les canisters d'aciers qui assurent une protection de long terme, qui est aujourd'hui celle que nous connaissons comme l'une des meilleures.

Rien ne dit que dans vingt ans, dans trente ans, dans quarante ans ou dans cent ans, d'autres générations ne sauront pas faire mieux, mais c'est aujourd'hui ce que nous savons faire de mieux.

Dans un combustible usé, la méthode du retraitement recyclage permet de recycler 95 % du combustible usé et je dirai qu'il est parfois un peu étrange de voir la remise en cause du retraitement recyclage par des organismes ou des personnes qui promeuvent ces méthodes pour tous les autres types d'industrie. Il me semble que nous devons bien réfléchir au pourquoi de cette remise en cause. Nous avons beaucoup entendu que c'était trop cher et pas assez rentable. Il appartient aux Électriciens de savoir si c'est ou non trop cher et s'ils souhaitent ou non faire cet investissement.

Le rapport CHARPIN-PELLAT-DESSUS, rendu public en juillet 2000, établissait pour le cas français - qui n'induit pas forcément le cas de tous les pays - que nous en étions à 1 % plus cher que le stockage en l'état des combustibles usés. Est-ce trop cher ou très cher ? Il me semble que nous devons savoir par rapport à quoi nous parlons : nous parlons par rapport au coût du kilowatt/heure nucléaire, qui est particulièrement bas. C'est le plus bas avec celui de l'énergie hydroélectrique.

COGEMA a développé une technologie unique au monde dans son usine de La Hague pour ses clients Électriciens, j'y reviendrai si vous le souhaitez. Si l'on observe ce qui a été effectué jusqu'à présent, 16 000 tonnes de combustible ordinaire, à peu près réparties équitablement entre clients français et clients non français, ont été traitées dans les usines de La Hague depuis leur démarrage. Ceci démontre la réalité industrielle de cette activité.

Qu'y a-t-il aujourd'hui dans les piscines de La Hague ? 7 500 tonnes de combustibles usés se trouvent dans ces piscines. C'est le chiffre du début de cette année. 7 000 tonnes sont issues de combustibles usés E.D.F., entreposés à La Hague en vue de leur traitement, et 500 tonnes sont d'origine non française. Je vais y revenir.

Je voudrais d'abord qu'il soit clair que pour COGEMA, le sujet ne souffre d'aucune ambiguïté. La Hague n'est en aucun cas un site d'entreposage à long terme ni un site de stockage. C'est une usine de traitement de combustibles usés.

Conformément aux décrets de l'usine de COGEMA La Hague et aux contrats que nous passons avec nos clients Électriciens, tous les combustibles reçus sont destinés à être retraités. Nous portons une attention toute particulière à ouvrir nos activités au grand public et à montrer ce que nous faisons.

Nous sommes le premier site industriel mondial, et nous avons été suivis par d'autres, à avoir installé en 1999 des webcams qui fonctionnent 24 heures sur 24 et qui montrent ce que nous faisons. Nous avons à présent, à la disposition de tous sur notre site Internet, non seulement le contenu des piscines de La Hague par type de combustible mais également par origine, ainsi que les programmes prévisionnels de traitement.

Je ne vous donnerai pas tous les détails au dixième de tonne près ; je vous conseille d'aller voir ce site. Sur un total de quelque 7 500 tonnes entreposées à La Hague, près de 200 tonnes sont des combustibles allemands, 45 tonnes sont des combustibles belges, 85 tonnes sont des combustibles suisses, 40 tonnes sont des combustibles néerlandais et 0,2 tonne concerne les combustibles australiens, soit environ 500 tonnes non françaises.

Les programmes prévisionnels de traitement de ces combustibles non français, c'est-à-dire européens et internationaux déjà en piscine, s'étalent entre 2001 et 2004 pour l'Allemagne, entre 2001 et 2003 pour la Suisse et les Pays-Bas. Les combustibles belges seront traités en 2001, puis dans une campagne entre 2004 et 2005. Les combustibles australiens seront quant à eux traités entre 2004 et 2005. Quant au programme prévisionnel de retour des résidus vitrifiés qui sont également publics et accessibles sur Internet, ils s'étalent jusqu'en 2005 pour le Japon, la Suisse et les Pays-Bas, jusqu'en 2006 pour la Belgique et jusqu'en 2008 pour l'Allemagne. Il s'agit de 2008 pour les combustibles qui sont déjà en piscine ; d'autres combustibles allemands doivent arriver.

Je rappelle que six retours de résidus vitrifiés ont déjà eu lieu vers le Japon en 1995, 1997, 1998, 1999, 2000 et 2001. Pour l'Allemagne, trois retours ont été effectués en 1996, 1997 et au mois de mars 2001. Ce dernier a d'ailleurs provoqué beaucoup d'agitation.

Concernant la Belgique, trois retours ont été effectués : deux en 2000 et un troisième au mois de février 2001.

Le démarrage de l'atelier ACC, l'Atelier de Compactage des Coques, nous permettra d'entamer prochainement le conditionnement des parties métalliques. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire publiquement, nous négocions avec nos clients l'élaboration de calendriers prévisionnels de plus en plus précis.

Le problème qui a été posé, et que vous posez, concerne le problème des délais techniques de retraitement. Je crois qu'il faut rappeler les contraintes et les échelles de temps liées aux étapes du traitement recyclage et à la programmation des opérations de traitement.

Après le passage d'un combustible dans un réacteur, un assemblage combustible usé contient 95 % d'uranium faiblement enrichi, 1 % de plutonium et 4 % de déchets radioactifs utiles. Après déchargement du c_ur, il passe un ou deux ans à refroidir dans la piscine du réacteur de l'Électricien. Il est ensuite transporté à La Hague et il est entreposé dans l'une des piscines où sa radioactivité continue de décroître.

Lors du retraitement proprement dit, qui consiste en une séparation chimique des différents éléments, les matières recyclables d'uranium et de plutonium sont récupérées ; les déchets de haute activité sont vitrifiés, coulés dans des conteneurs en acier inoxydable et entreposés dans l'attente de leur destination finale. Le plutonium séparé constituera dans un stade ultérieur le combustible MOX.

La durée minimale des phases entreposage en centrale et à La Hague est de deux à cinq ans, suivant les types de combustibles. Cette durée minimale est nécessaire pour ne pas dégrader les performances du procédé de retraitement, sachant que plus nous laissons le combustible refroidir avant de le traiter, moins il est radioactif et moins son traitement engendre d'effluents. En d'autres termes, si nous avons laissé ce combustible refroidir suffisamment en piscine, les effluents seront minimaux lors du retraitement. Cet élément est très important lors du pilotage de l'usine de La Hague.

Quelle a été en pratique la durée moyenne d'entreposage à La Hague au cours de ces dernières années ? Elle fut de huit ans avant traitement. Cette durée moyenne d'entreposage avant traitement à La Hague est une moyenne avec une assez large dispersion suivant les éléments combustibles.

Comment gère-t-on la programmation des opérations de retraitement proprement dit ? Le premier élément concerne la nécessité du refroidissement, comme nous l'avons indiqué. Le second élément concerne la fabrication de combustible MOX. De manière assez prévisible, nos clients Électriciens ne souhaitent pas voir s'accumuler une quantité de plutonium importante après les opérations de retraitement.

Aujourd'hui, la vitesse de retraitement est en fait la vitesse du processus le plus lent, c'est-à-dire de la fabrication de MOX. La plupart de nos clients nous ont demandé d'aller à la vitesse de la fabrication du MOX, en termes de retraitement.

Le troisième élément concerne les effluents de l'usine et le pilotage écologique de l'usine. Nous avons diminué par un facteur 10 les effluents de l'usine ces dernières années et nous souhaitons poursuivre cet effort important, ce qui signifie que nous devons avoir un temps de refroidissement suffisant, en particulier pour les nouveaux combustibles à fort taux de combustion issus des centrales nucléaires aujourd'hui, qui nécessitent un temps de refroidissement plus long que les combustibles à taux de combustion plus faible. La durée du refroidissement ne peut qu'augmenter avec les nouvelles caractéristiques des combustibles issus des réacteurs nucléaires.

La gestion du programme s'effectue également en fonction de la gestion de l'outil industriel lui-même. Il y a dix ans, la plupart des gens pensaient que l'outil industriel connaîtrait davantage de difficultés techniques qu'il n'en a eues, et que nous aurions un retard dans nos productions, comme certains de nos concurrents. BNFL a cinq ans de retard dans ses programmes de retraitement pour ses différents clients. Cela n'est pas notre cas : nous disposons d'un outil industriel qui fonctionne aujourd'hui très bien. Nous avons récemment résolu un problème sur une goulotte mais ce système ne constitue pas un goulot d'étranglement à la production.

Je crois qu'il faut également tordre le cou à une idée que nous avons pu entendre ici ou ailleurs, consistant à dire que COGEMA aurait un intérêt financier à entreposer des combustibles usés sur des périodes longues plutôt que de les retraiter.

Ceci est totalement faux, nous n'avons aucun intérêt financier dans les contrats actuels à entreposer durant de longues périodes. Nous sommes une usine de retraitement qui travaille lorsque nous avons à retraiter. Cela paraît d'autant plus évident que dans une usine telle que La Hague, les principaux coûts sont des charges fixes, que nous parvenons à régler uniquement dans le cadre d'un fonctionnement intégrant le retraitement.

Qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui influencer le rythme du retraitement ? Nous sommes effectivement face à une situation nouvelle dans laquelle l'utilisation principale du plutonium est l'utilisation en MOX. Tout ce qui concerne le MOX a par conséquent une influence directe sur le rythme de fonctionnement de l'usine. Il est clair que les capacités de production des différentes usines MOX et la rationalisation du fonctionnement des usines MOX ont un aspect direct sur le fonctionnement de La Hague.

Le nombre de centrales moxées est également directement en relation avec les capacités de La Hague, et puis bien sûr, comme le disait Jacques BOUCHARD tout à l'heure, le développement à moyen ou à long terme de nouveaux réacteurs plutonivores serait de nature à modifier l'équation telle que nous la connaissons aujourd'hui. L'équation aujourd'hui est que nous allons au rythme le plus lent et que ce rythme est celui du MOX.

Il est à noter également que pour un certain nombre de combustibles, le rythme de traitement pourrait être affecté si les nouveaux décrets précisant les conditions de fonctionnement de La Hague n'étaient pas promulgués. Je rappelle que l'enquête publique demandée par le Ministre de l'Environnement a été menée voici un an avec une procédure très lourde, une Commission d'Enquête de cinq Commissaires Enquêteurs dont l'avis a été positif.

En tout cas, si certains avaient l'idée de transformer La Hague en zone de stockage, je rappelle que cela n'est ni le métier de COGEMA ni la destination de La Hague ; nous n'avons pas légalement la possibilité ni la volonté de la transformer. Je crois que cette transformation de La Hague en stockage serait quelque chose de très maladroit à tous points de vue.

Pour conclure, les éléments du dossier sont connus : il faut un minimum de cinq ans de refroidissement, la moyenne effective étant aujourd'hui de huit ans. Le discours consistant à dire aujourd'hui que La Hague est une poubelle internationale de stockage n'est pas crédible puisque nous avons vu que 7 000 tonnes étaient issues d'E.D.F. et 500 tonnes étaient étrangères sur les 7 500 tonnes. L'ensemble de ces tonnes étrangères doit repartir avant 2008. Il me semble que les faits parlent d'eux-mêmes.

Quant à la remise en cause du retraitement recyclage, je crois qu'il faut bien en mesurer les conséquences dans toutes les dimensions mais j'ai bien compris, Monsieur le Président, que ce n'était pas l'objet de nos débats aujourd'hui.

J'insiste enfin sur le fait que l'ensemble des choix faits par la France sont des choix très cohérents et que la remise en cause de tout ou partie de ces choix entraînerait des conséquences très dommageables dans le contexte actuel. Il est vrai que le nucléaire n'a pas été inventé pour limiter l'effet de serre, mais force est de rappeler que c'est aujourd'hui l'une des deux seules énergies peu chères qui permettent effectivement à la France d'être un pays parmi les moins pollueurs en gaz à effet de serre de la planète. Elle a un coût du Kilowatt/heure très compétitif et - ceci peut peut-être servir de transition - permet à notre Électricien national une extension remarquable au-delà de nos frontières.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Madame LAUVERGEON de ce propos dense et clair. Vous avez fait une transition puisque je vais à présent donner la parole à E.D.F., c'est-à-dire à son Président François ROUSSELY.

M. ROUSSELY. - Merci, Monsieur le Président, et merci à Madame Lauvergeon pour la transition entre le fournisseur et le client. Il faut également remercier l'Office d'organiser ces débats parce qu'au-delà des querelles d'estrades ici ou là, nous nous trouvons dans un processus industriel qui s'inscrit dans le temps. La stratégie industrielle d'E.D.F. concernant ces questions s'inscrit totalement dans l'idée de maintenir l'option nucléaire ouverte avec un mix énergétique ouvert sur l'avenir.

Cette situation a déjà été évoquée il y a un instant : l'énergie nucléaire procure, non pas simplement à E.D.F. mais à l'ensemble de notre pays, un avantage concurrentiel de deux natures. Il s'agit tout d'abord d'un avantage compétitif : il faut rappeler que les clients industriels, comme les clients du service public, ont bénéficié d'une diminution de leur tarif de 14 % pour les clients du service public au cours des quatre dernières années et de près de 10 % au cours des douze derniers mois pour les clients industriels.

Si nous prenons l'exemple de nos voisins italiens, les prix de l'électricité en Italie ont augmenté au cours des six derniers mois de 19 %. Chacun mesure l'avantage compétitif que confère à notre pays, et non pas à E.D.F., le mix énergétique donc nous bénéficions.

Le second avantage est bien sûr celui relatif au gaz à effet de serre et au respect des accords de Kyoto, à l'heure où il est de bon ton de considérer comme normal de ne pas les respecter. Quel pays peut affirmer que 95 % de son électricité est produite sans un centimètre cube de gaz à effet de serre ? Outre le nucléaire, si nous ajoutons la puissance de notre énergie hydraulique, nous sommes le seul pays du monde à bénéficier de cette situation.

Ceci signifie qu'E.D.F. se place comme opérateur avec un mix énergétique qui fait que ce thème doit être envisagé dans la durée. Il concilie le développement économique, le développement social et le respect de l'environnement.

Il me semble que nous devons d'autant plus l'envisager dans la durée que la compétitivité de l'énergie nucléaire ne peut que s'accroître, compte tenu de l'évolution des paramètres observés à l'échelle du demi-siècle et du siècle à venir, c'est-à-dire du renchérissement possible et sans doute vraisemblable des combustibles fossiles. C'est dans cette perspective que le retraitement qui sépare les déchets ultimes et qui les vitrifie sous un très faible volume est de bonne gestion.

C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la stratégie du maintien de l'option nucléaire ouverte, le retraitement et le recyclage des matières énergétiques prennent toute leur importance et doivent être envisagés dans la durée.

Il me semble que nous devons tenir compte de deux éléments, d'une part les différents stades de gestion des combustibles usés et d'autre part des problèmes de flux et de stocks.

S'agissant des différents stades de gestion, nous pouvons rappeler la logique du traitement des combustibles usés. Elle a une double perspective : à court terme, le retraitement permet de valoriser le potentiel énergétique des matières fissiles tout en conditionnant de façon sûre et hautement durable les déchets à haute activité à vie longue, en les confinant à travers la vitrification. À plus long terme, ce processus ouvre la possibilité d'utiliser la totalité de l'uranium par recyclage du plutonium.

Je rappelle à ce titre que les combustibles usés et déchargés annuellement des réacteurs à eau pressurisée du parc E.D.F. contiennent 93 % d'uranium et 1 % de plutonium ; Madame Lauvergeon le rappelait il y a un instant. Ils représentent un potentiel énergétique de 20 M tonnes équivalent pétrole par an.

À ce sujet, nous ne devons pas oublier de rappeler que ce n'est pas le retraitement recyclage qui produit le plutonium, comme on le voit écrit ici ou là, mais bien la combustion de l'uranium. Une fois produit, il s'agit d'un combustible de haute valeur énergétique puisqu'un gramme équivaut à une tonne d'équivalent pétrole. Il est par conséquent naturel de chercher dans la durée à valoriser ce combustible. Dans cette logique, le retraitement et le recyclage sont des outils polyvalents, j'insiste sur le terme de polyvalence dans la durée, de gestion du cycle du combustible pour deux raisons.

La première fonction du recyclage est d'utiliser le potentiel énergétique du plutonium dans les REP. Le second avantage permet également une réduction d'un facteur de l'ordre de 7 de la quantité de combustibles usés, par concentration du plutonium dans les assemblages de MOX. Ce plutonium est concentré au sein de l'assemblage et reste disponible en vue de besoins ultérieurs.

L'option de retraitement recyclage présente ainsi l'avantage de limiter les quantités de plutonium séparé et de ménager l'avenir énergétique à long terme. Il faut bien entendu que les opérations du processus industriel s'enchaînent parallèlement de façon stable et flexible, ce qui correspond au sujet même qui préoccupe l'Office.

Les ordres de grandeur sont les suivants : dans nos centrales sortent chaque année 1 150 tonnes de combustibles irradiés dont 1 050 tonnes de combustibles UOX et 100 tonnes de combustibles MOX. Nous étudierons le sort de chacun de ces combustibles.

Les combustibles d'uranium UOX sont amenés à La Hague, après une période de refroidissement de deux ans dans les piscines de nos centrales. 850 tonnes sont retraitées dans un délai moyen de huit ans et le plutonium séparé au cours de ce traitement est recyclé sous forme de MOX dans vingt tranches de 900 Mégawatts. 200 tonnes rejoignent les 10 000 tonnes mises en piscine à La Hague, en vue de production ultérieure du MOX. Les 100 tonnes de combustible MOX irradié sont également mises en piscine pour refroidissement. Nous mettons par conséquent en _uvre une politique conduisant à court terme à retraiter 850 tonnes de combustible irradié par an et à laisser refroidir provisoirement le complément.

Compte tenu des capacités des piscines actuelles, aucune installation nouvelle n'est à prévoir à court terme et la situation est stable.

Concernant la gestion des combustibles non retraités, il faut faire la différence entre UOX et les MOX. S'agissant de l'UOX, les piscines de La Hague peuvent accueillir des combustibles E.D.F. durant quinze ans sur la base des flux actuels, c'est-à-dire environ 200 tonnes supplémentaires par an. Il est important de noter que les procédés industriels permettront une augmentation du taux de combustion des combustibles et diminueront donc la quantité des combustibles chargés et déchargés dans nos réacteurs pour une même quantité d'électricité, ce qui aura pour effet d'équilibrer les flux dans la durée.

Le stock de combustibles UOX culminera à horizon 2015 à environ 12 000 tonnes, comparées aux 10 000 tonnes actuelles. Dès 2015, les quantités retraitées et les quantités de combustibles déchargées annuellement seront équilibrées. À partir de cette période et au-delà, la quantité du combustible présent en piscine commencera à décroître.

L'amélioration des rendements nous permettra progressivement de décharger annuellement de l'ordre de 750 tonnes d'UOX plus 100 tonnes de MOX au lieu des 1 050 tonnes d'UOX plus 100 tonnes de MOX aujourd'hui.

Le stock de combustibles UOX usé en attente pourra par conséquent commencer à être progressivement résorbé, en utilisant la capacité de retraitement disponible. Il est à noter que sans retraitement recyclage, ce que personne ne défend pour l'heure, le stock d'assemblage irradié existant serait mécaniquement augmenté d'un flux de 1 150 tonnes par an de UOX plus MOX à entreposer, correspondant au déchargement des réacteurs de notre parc.

S'agissant des MOX irradiés, ils ne sont pas des déchets puisqu'ils ont également vocation à être retraités, d'autant plus que les contrats nous liant à COGEMA ne comportent aucune différence entre l'UOX et le MOX dans le coût et dans la rémunération de COGEMA pour les services que COGEMA nous rend, quelles que soient les phases de transport, de mise en piscine et de retraitement, à quelque moment qu'intervienne ou non le retraitement. Je reviendrai sur ces aspects.

Parmi les combustibles en piscine à La Hague, nous choisissons de retraiter prioritairement les assemblages les plus froids et contenant le plutonium de meilleure qualité. Il s'agit d'un problème de gestion et de qualité des combustibles que nous recherchons et rien d'autre. Par ailleurs, compte tenu du stock de combustibles UO2 usé et disponible, il est préférable de commencer par le retraitement des UOX en attente pour recycler une première fois le plutonium dans les REP. Les MOX usés peuvent ainsi attendre encore plusieurs années dans les piscines dans lesquelles ils refroidissent, d'autant plus que leur tonnage, sur la base de 100 tonnes supplémentaires par an, restera limité pendant longtemps et il atteindra 2 300 tonnes à l'horizon de 2020.

À cette échéance, nous disposerons de données supplémentaires, obtenues notamment à partir des recherches menées sur les trois axes définis par la Loi de 1991.

L'axe 1 concerne la séparation et la transmutation ; l'axe 2 concerne le stockage réversible ou non et l'axe 3 concerne le conditionnement et l'entreposage de longue durée en surface.

L'utilisation du plutonium dans des combustibles avancés, le stockage direct ou après conditionnement, l'entreposage de longue durée en attente de l'avènement de futures filières rapides qu'évoquait Jacques BOUCHARD : ces choix seront effectués après 2006, à la lumière des décisions du Parlement, conformément aux principes et au calendrier posés par la Loi de 1991.

Voilà pourquoi il nous semble qu'aujourd'hui, les processus industriels que nous mettons en _uvre laissent toutes les options ouvertes, conformément au fait que les choix dans le nucléaire sont des choix de long terme, à la chronologie ouverte par la loi de 1991 et aux impératifs industriels auxquels E.D.F. est soumise.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur ROUSSELY. Je vais à présent donner la parole à Monsieur Jean-Luc THIERRY de l'organisation GREENPEACE, chargé des problèmes liés à l'énergie nucléaire au sein de l'organisation.

M. THIERRY. - Je pense que si vous avez proposé d'inviter GREENPEACE, ce n'est pas en fonction de ses compétences techniques. Il est vrai que GREENPEACE a produit un certain nombre de rapports, par exemple concernant la comparaison entre la filière du retraitement et d'entreposage à sec des combustibles, mais j'ai l'impression que c'est d'abord à titre de représentants de la société civile que nous avons été conviés aujourd'hui. C'est ma première réflexion, je trouve qu'elle est clairsemée aujourd'hui dans cette assemblée. Je m'étonne en particulier de l'absence des syndicats qui semblent pourtant très émus de ce qui se passe, par exemple à La Hague mais également dans un certain nombre de sites.

J'ai une réponse qui n'est probablement pas partagée par la plupart des personnes de cette assemblée : je pense que quelque chose ne va pas très bien entre le système nucléaire et la société civile ; un courant ne passe pas, si j'ose dire.

Je suis également assez étonné à la fois de la formulation du thème de cette table ronde et des interventions que nous venons d'entendre. Je rappelle le thème : il s'agit des problèmes posés par le non retraitement immédiat d'une partie des combustibles irradiés. En lisant cette phrase, je me suis dit qu'une décision avait peut-être été prise, dont je n'aurais pas entendu parler. J'aurais été à moitié étonné car je crois que depuis plusieurs années, il y a des négociations entre E.D.F. et COGEMA pour le renouvellement d'un contrat. L'un des éléments qui permettraient d'éclairer le débat aujourd'hui est de savoir combien de tonnes sont prévues. J'ai cru comprendre en lisant récemment un quotidien que les deux sociétés étaient enfin parvenues à un accord. Si nous avions déjà cette idée de tonnage, nous pourrions effectuer des calculs un peu plus précis.

Ma confusion ne s'arrête pas là car si je fais le tour des personnes qui se sont exprimées, nous avons évidemment couvert un problème plus vaste ; nous avons entendu un vibrant plaidoyer pro nucléaire, faisant à plusieurs reprises référence à l'effet de serre, mais nous n'avons pas réellement répondu à cette question.

J'ai l'impression qu'aussi bien E.D.F. que COGEMA ont conservé la même attitude par rapport au retraitement, selon laquelle et en résumant, il ne devrait y avoir que des obstacles techniques. Je ne saisis pas où se trouvent actuellement les obstacles techniques. Qu'est-ce qui fait qu'E.D.F. ne retraite pas la totalité de ses combustibles ? J'aurais aimé connaître ces éléments.

Nous pouvons imaginer que E.D.F. et COGEMA étant plus ou moins des entreprises publiques, il existe une limite politique à cette décision, mais comme le rappelait Monsieur le Rapporteur, nous sommes actuellement dans une continuité de la pensée gouvernementale en la matière, même si nous constatons un certain silence ces temps-ci. Nous pouvons cependant penser qu'il existe tout de même une continuité dans ce silence. A priori, la doctrine gouvernementale consiste toujours à retraiter la totalité du combustible. Je ne comprends plus très bien l'objet de cette table ronde : aucune décision n'a visiblement été prise, aucune évolution spectaculaire n'est à attendre. Nous sommes simplement dans la continuité avec de nouveaux types de combustibles.

Ceci m'amène à une dernière réflexion car je crois que nous ne répondrons pas point par point à chacun des éléments. Je ferai un commentaire concernant la transparence : je suis tout de même amusé de l'ensemble des données qui sont en toute transparence sur le site Internet de COGEMA. Je voudrais rappeler que l'ensemble de ces éléments est apparu quelques jours après une décision du Tribunal de Grande Instance de Cherbourg, qui nous a permis d'avoir accès pour la première fois à un contrat qui unit COGEMA à l'un de ses clients. C'est évidemment très instructif mais tous ces éléments n'auraient pas existé si cet affrontement juridique n'avait pas eu lieu.

Nous pourrons peut-être revenir sur un certain nombre de points lors des questions mais l'une des raisons qui expliquent notre divergence, y compris sur les points techniques, dans la comparaison entre retraitement et entreposage à sec, concerne la perspective dans laquelle nous nous plaçons. Si j'ai bien compris ce que disait Monsieur ROUSSELY, nous nous trouvons réellement dans la perspective d'une perpétuation du nucléaire, il n'y a donc aucune remise en cause de cette hypothèse de départ, et toute gestion du combustible est envisagée dans le cadre de cette perpétuation pour cette perpétuation. J'ai également cru comprendre que les choses iraient mieux en 2020, c'est-à-dire que nous passerions à une étape suivante.

Je voudrais tout de même rappeler que ces contrats de retraitement existent depuis plus de vingt ans, tant avec E.D.F. qu'avec des clients étrangers.

L'un des principes de la démocratie est que les acteurs n'avancent pas masqués. Je vais utiliser un nom peut-être quelque peu abusif car je n'ai aucun mandat d'autres associations écologistes ou antinucléaires. Il se trouve que nous avons une grande convergence de points de vue sur ces sujets. Je rappellerai les propos de Madame SÉNÉ ce matin : il est évident que nous posons mal le problème lorsque nous commençons à poser le problème du nucléaire par le biais des déchets. Pour nous, le problème est bien de renoncer à ce mode de production électrique qui crée des déchets.

Pour nous, toute proposition au niveau de la gestion des déchets s'inscrit dans le cadre du renoncement à ce type d'énergie. Il est évident que cette différence de perspective nous conduit également à des analyses techniques et à des appréciations différentes.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur THIERRY. Puisque vous m'y avez un peu invité, je veux resituer le cadre de cette audition. Vous avez fait référence à la démocratie et je crois que nous y sommes en plein et que l'Assemblée Nationale joue son rôle en essayant de contribuer au débat et d'apporter davantage de clarté sur un sujet qui motive l'intérêt de l'opinion publique.

Vous demandez l'objet de cette table ronde, je vais le rappeler, je l'avais dit ce matin : je suis chargé d'un rapport par l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. Je compte déposer ce rapport dans quelques semaines devant l'Office et l'Office me fera peut-être l'honneur d'en permettre la diffusion devant l'opinion. Par conséquent, nous procédons aujourd'hui à des auditions publiques. Il s'agit d'une formule qui s'est substituée aux méthodes anciennes d'auditions en circuit fermé.

L'Assemblée Nationale, par ma voix et par celle des parlementaires présents, interroge les intervenants publics dont vous faites partie, non pas en tant qu'institution mais en tant qu'association prenant des positions, se faisant connaître et participant au débat public. Nous le faisons en toute clarté et je pense par conséquent qu'il ne faut pas dire que nous poserons pas de questions tout à l'heure.

Vous êtes là pour nous affirmer des choses, si vous en avez à affirmer et peut-être poser des questions, mais ne voyez pas une intention ni un objectif derrière ce qui est une audition publique. Il s'agit tout d'abord de remettre les choses au clair s'agissant d'une industrie qui évolue et qui est née en France dans son ampleur dans les années 60. Nous essayons de faire le point avec vous et je l'espère bien dans l'avenir. Je veux en tout cas vous remercier de votre présence, comme les autres participants. Je suis certain que les minutes d'audition qui seront publiées permettront à une large part de l'opinion de mieux se forger une façon d'envisager les choses.

Je vais donner la parole au Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et à travers lui à Monsieur Dominique MAILLARD, Directeur Général de l'Énergie et des Matières Premières.

M. MAILLARD. - Merci, Monsieur le Président. Étant, par le hasard de l'algorithme que vous avez retenu, le dernier à intervenir autour de ce premier tour de table, je voudrais m'efforcer d'éviter les redites par rapport aux interventions détaillées de mes prédécesseurs. J'ai également compris que vous ne souhaitiez pas que nous engagions à présent un débat de fond sur les options, même s'il s'agit d'une question centrale. Vous avez rappelé la continuité concernant l'appréciation par le gouvernement sur le retraitement.

Un certain nombre d'interventions précédentes a déjà confirmé l'abondance des éléments existants sur le sujet, aussi bien les travaux que vous avez menés dans le cadre de votre Office qu'un certain nombre de rapports récents, je pense au rapport PELLAT-CHARPIN-DESSUS. Ils permettent à ceux qui le souhaitent de disposer d'informations.

Il y a bien entendu une étape finale qui est celle de l'Agrégation qui est de traduire un problème qui a de multiples dimensions en une seule variable ; c'est la tentation chère aux économistes qui utilisent le franc ou l'Euro et l'actualisation. Je crois que ces rapports montrent que d'autres pistes sont possibles et que, s'il y a plusieurs dimensions - une dimension politique, une dimension environnementale, une dimension technique - nous pouvons également tenter d'effectuer un bilan coûts/avantages dans chacune d'entre elles, et je n'ai vu à ce jour aucune démonstration sur l'ensemble de ces dimensions que l'option actuelle soit à remettre en cause.

Mais là n'est pas la question que nous traitons. Vous nous avez posé une question : quels sont les problèmes posés par le non retraitement immédiat d'une partie du combustible irradié ?

La première question que je me suis personnellement posée est : s'agit-il d'un problème nouveau ? Il est nouveau par le fait que vous le mettiez à l'ordre du jour dans une séance publique. Ce discours ne s'adresse pas aux spécialistes présents dans cette salle, mais le fait qu'il s'écoule dix ans entre l'extraction d'un élément combustible d'un réacteur et son cisaillage à La Hague est une donnée classique depuis que nous procédons au retraitement. Ceci est lié à la façon dont le process a été conçu et est lié au dimensionnement des installations. Ce n'est pas en soi une découverte ; c'est tout au moins une découverte pour ceux qui n'avaient pas pris la peine de se documenter sur le sujet.

Il en est de même concernant le fait qu'une partie soit en traitement différé sur l'ensemble des combustibles usés produit annuellement par le parc d'E.D.F. Sur les chiffres que rappelait le Président ROUSSELY, 850 tonnes font ainsi l'objet d'un traitement immédiat et les autres - soit environ 200 tonnes - font l'objet d'un entreposage avec un cumul qui devrait ensuite se résorber. Bien sûr, je suis mal placé pour dire que cette information se trouvait sur la place publique mais je n'ai pas non plus l'impression qu'il s'agissait d'une information classée secret défense et inaccessible à ceux qui souhaitaient en disposer.

Je me permets de vous dire qu'il faut certainement aborder cette question et en étudier quelles en sont les conséquences. C'est bien la question que vous nous posez mais nous aurions tort de vouloir présenter ce sujet à l'opinion publique comme un sujet totalement nouveau qui amènerait à repenser l'ensemble de la question du retraitement et du recyclage.

J'ai également tenté, de manière relativement scolaire, d'étudier quelles étaient les différentes dimensions de ces problèmes potentiels dans les registres technique, économique, juridique, et appelons cela sociétal, c'est-à-dire en termes d'acceptation et de compréhension par l'opinion publique ou la société civile, comme disait l'intervenant qui m'a précédé.

Le non retraitement immédiat pose-t-il des problèmes techniques ? Comme nous l'avons dit tout à l'heure, il a plutôt tendance à en résoudre puisqu'en facilitant le refroidissement, dans le sens radioactif des produits radioactifs, il limite toute chose égale par ailleurs l'exposition des travailleurs concernés et facilite le processus chimique de séparation.

Cela a été rappelé par Monsieur BOUCHARD : il est vrai que si nous attendons trop, nous avons inversement quelques petits problèmes d'empoisonnement du combustible. Il y a par conséquent un problème d'équilibre à trouver quant à la date adéquate mais un traitement immédiat n'apporterait en tout cas pas de solutions.

Le seul intérêt d'un retraitement immédiat concernerait un besoin urgent des produits que nous recyclons. Comme cela a été rappelé, nous pensions être en situation de pénurie d'uranium et de combustibles fissiles dans les années 1975-80 mais nous ne considérons plus que cela soit le cas. Pour autant et ceci a également été rappelé par Monsieur ROUSSELY, il s'agit d'un potentiel énergétique non négligeable : 10 millions de têtes par an doivent représenter cinq fois notre production annuelle de pétrole. Il me semble que cet élément mérite considération.

Par conséquent, je ne vois pas de problèmes techniques immédiats. Il pourrait y avoir un problème puisque cela nécessite effectivement un entreposage intermédiaire et préalable. Les capacités d'entreposage de La Hague sont suffisantes pour faire face aux besoins ; il n'y a donc pas, a priori, de saturation envisageable ni de conséquence de ce délai de traitement.

Étudions à présent la question économique : quelles sont les conséquences économiques ? Bien entendu, s'il y a entreposage, il y a immobilisation d'installations, ce qui engendre un coût. Cela signifie plus exactement que les installations effectuées pour cela, et plus particulièrement les piscines de La Hague, doivent bien entendu donner lieu à une rémunération de leur utilisation.

S'agissant de cette rémunération et au vu des comptes de la COGEMA, je n'ai pas le sentiment que ces prestations ne soient pas facturées aux clients français ou étrangers. Ces coûts sont répercutés et si les clients le paient, c'est sans doute qu'ils estiment que « le jeu en vaut la chandelle » et que cette prise en compte est cohérente, avec les coûts alternatifs qu'ils auraient à supporter s'ils devaient eux-mêmes procéder à cet entreposage à proximité des réacteurs. Nous connaissons les difficultés que nos voisins d'outre Rhin rencontrent ces temps-ci afin de faire face à certaines demandes résultant des options choisies par le gouvernement allemand.

Ils auraient également à supporter ces coûts s'ils devaient procéder au stockage définitif et immédiat de ces combustibles. Je pense que la dimension économique est correctement traitée.

L'aspect juridique est un aspect complexe. Je ne souhaite pas trop en parler puisque certaines de ces affaires donnent pour l'heure lieu à des procès. La justice et les tribunaux compétents en décideront mais je crois qu'un certain nombre de ces questions tourne autour de l'interprétation à donner à l'Article 3 de la Loi de 1991 concernant les délais techniques imposés par le retraitement.

La Loi dit effectivement que les déchets issus du retraitement ne devaient séjourner que dans des délais techniques compatibles avec ce retraitement. Il s'agit d'une formulation législative, légale donc générale qui doit évidemment donner lieu à une interprétation plus précise, faute de dispositions juridiques qui viennent pour l'instant en préciser le terme.

Il me semble cependant que dans tous les cas, la question principale est de savoir comment donner un message clair concernant le sort réservé à ces produits, à l'égard de l'opinion publique. Je le disais tout à l'heure en toute sincérité et sans ironie, je ne suis pas convaincu que nos concitoyens qui s'intéressent à la question sont réellement conscients que l'ensemble du process de retraitement porte sur dix années. Je ne parle pas des personnes qui sont ici présentes. Je crois qu'il est vrai que nous avons tendance à penser que cette opération se fait quasi immédiatement.

Nous avons bien l'idée qu'il existe des transports et des délais de transport mais je pense qu'il y a sans doute un aspect important. J'emploierai un terme très galvaudé mais je ne suis pas le premier à l'avoir employé cet après-midi : il existe des exigences de transparence importantes sur le sujet. Il me semble que la COGEMA y répond abondamment. Je crois que faire un procès d'intention pour savoir si ceci aurait eu lieu ou non relève d'un registre qui n'est pas de ma compétence. Je constate aujourd'hui que qui souhaite disposer d'informations détaillées sur les conditions de retour de traitement peut en disposer.

Les choses peuvent-elles encore être améliorées ? Certainement ; je crois que personne ne peut dire que ce processus ne peut être amélioré, notamment s'agissant d'un processus relativement spécifique. Je voudrais simplement et rapidement prendre l'exemple de l'ensemble des démarches dont doit faire l'objet un contrat de retraitement de combustibles étrangers. Cela nous paraît être un sujet sur lequel la sensibilité de l'opinion publique est encore plus grande que pour le retraitement des combustibles usés issus des centrales françaises.

Le schéma général est à peu près le suivant : il existe tout d'abord une validation que j'appellerai politique générale. Les transferts ou les accords entre l'Australie et la France font l'objet d'accords intergouvernementaux, de même qu'entre la France et l'Allemagne. Il existe déjà un niveau politique très général entre les gouvernements français et du pays qui se trouve être intéressé à faire traiter en France tout ou partie des déchets, qu'ils soient d'ailleurs issus d'installations électronucléaires de production ou d'installations de recherche. Je rappelle que le combustible australien est issu d'un réacteur de recherche et non d'un réacteur de puissance.

Ensuite le projet de contrat lui-même, lorsque nous passons aux opérations tangibles, c'est-à-dire aux opérations physiques et commerciales, est présenté au Ministère de l'Économisme, des Finances et de l'Industrie, qui s'assure de sa compatibilité à l'égard de la Loi du 30 décembre 1991, essentiellement pour les clauses concernant le retour des déchets.

Dans le cas d'une autorisation d'importation générale, COGEMA demande au cas par cas une autorisation de transport, délivrée au titre de la protection et du contrôle des matières sensibles par le haut fonctionnaire de Défense du Ministère de l'Économisme, des Finances et de l'Industrie.

L'autorité de sûreté intervient ensuite au titre du contrôle de la sûreté nucléaire et délivre deux autorisations ponctuelles, au vu du dossier de sûreté présenté par COGEMA, l'une pour la réception, le déchargement et l'entreposage. Cette autorisation est délivrée préalablement au déchargement. Cela revient à considérer que ces produits sont destinés à être retraités.

L'autre autorisation est opérationnelle et est délivrée immédiatement avant le retraitement ; elle concerne l'approbation du process de retraitement lui-même, mais est délivrée selon les pratiques actuelles plusieurs années après la réception des matières et immédiatement avant le retraitement.

Il est certain que ce schéma n'est pas simple. Je n'ai pas essayé de le compliquer ni de l'abréger. Il peut paraître complexe, même si chacune de ces étapes relève de démarches spécifiques. Je pense que tout ce qui pourrait contribuer à bien définir ces étapes serait nécessaire, tout au moins pour ceux qui auraient la curiosité et qui désireraient savoir dans quel cadre se déroule telle ou telle étape dans ce processus.

Il me semble également qu'il existe un souci qui est de savoir quel est le délai de traitement. Nous devons également nous assurer que les produits issus du retraitement, qu'ils soient d'ailleurs recyclables ou qu'il s'agisse de déchets ultimes, font bien retour au pays ou à la compagnie productrice qui demeure propriétaire de ces matières, conformément à la Loi de 1991.

Je crois qu'un progrès a été accompli. Il ne résulte pas de dispositions légales mais peut-être est-ce une piste pour le renforcement de la clarté, puisque nous sommes dans un lieu où nous réfléchissons à l'amélioration du contexte. Nous pouvons imaginer de fixer une date de retour au plus tard du dernier colis de déchets. Cela existe pour le dernier contrat australien. Cet élément fixerait une enveloppe totale pour la durée de l'ensemble du processus.

Nous pourrions également imaginer de fixer de manière normative, par voie réglementaire, des délais qui pourraient correspondre aux durées d'entreposage des produits avant retraitement. Nous pourrions en outre imaginer de fixer une durée limite entre la phase de cisaillage et la réémission des produits sous forme de conteneurs.

Ma préconisation porte sur un process industriel. Un industriel est d'abord un opérateur qui doit maîtriser son process, ce qui est le cas de la COGEMA, mais qui doit également être responsable de la programmation de ses travaux. Nous sommes sensibles au délai de livraison lorsque nous achetons une automobile mais personnellement, peu m'importe de savoir à quel moment le moteur est installé ou la carrosserie est peinte ! Je souhaite uniquement disposer d'une voiture dans les délais avec la carrosserie et le moteur. Il me semble que ce qui doit importer à l'opinion publique, c'est d'avoir la garantie qu'il existe un délai limite.

Il me semble que la fixation de la date du retour au plus tard du dernier colis fixe effectivement l'enveloppe définitive de l'ensemble du process de traitement, et laisse la responsabilité à l'opérateur de définir les campagnes de traitements les plus appropriées en fonction de l'utilisation de son outil. Il s'agit d'une piste mais je crois que cela pourrait être de nature à répondre au souci souvent exprimé d'avoir la garantie du calendrier de retour et de respect de la Loi.

J'en resterai là, à ce stade, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur MAILLARD. Vous étiez le dernier intervenant. Bien entendu, ayant réfléchi sur ce rapport et n'ayant pas attendu ce jour, j'aurai une foule de questions à vous poser mais je me limiterai afin de laisser à mes collègues Députés l'occasion de poser des questions. Monsieur COCHET et Monsieur GALLEY se sont d'ailleurs déjà manifestés.

Je souhaiterais toutefois demander quelques précisions dont l'une est pédagogique. Cet aspect des choses n'ayant pas été abordé, peut-être Monsieur MAILLARD pourrait-il nous faire un « micro-amphi » sur le cours de l'uranium, ce qui est tout de même un aspect permettant la compréhension du sujet.

E.D.F. et la COGEMA pourront ensuite répondre à ma question suivante : j'ai bien écouté Madame LAUVERGEON et j'en déduis que la COGEMA ne veut pas entreposer des combustibles qui ne seraient pas retraités. Mais alors qui le fera ? Est-ce E.D.F. ou un autre partenaire ?

Enfin, peut-être le CEA répondra-t-il à ma dernière question. Je pose plutôt des problèmes qui n'ont pas été abordés : des études ont-elles été réalisées concernant l'état futur après cinquante ans du combustible irradié et des assemblages puisque Monsieur MAILLARD disait que rien n'était changé.

Il est vrai que si nous observons les choses au jour le jour et ce qui se passe aujourd'hui en ce début du mois de mai 2001 par rapport à ce qui s'est passé à la fin du mois d'avril 2001, rien n'est changé mais nous avons tout de même assisté à une inflexion considérable sur une durée récente, me semble-t-il, par rapport à la période où le Parlement avait réfléchi ainsi qu'à la Loi de décembre 1991 puisque nous étions dans le système exclusif qui était à l'époque la doctrine du tout retraitement de tous les acteurs du nucléaire, c'est-à-dire du retraitement de tous les combustibles irradiés. J'ai cependant bien entendu les chiffres cités par Monsieur ROUSSELY tout à l'heure : nous n'y sommes plus.

Nous avons par conséquent deux filières à l'_uvre du combustible en France : la filière du retraitement qui demeure la filière majeure, et une autre filière qui concerne des quantités de combustibles non destinés à être retraités dans l'immédiat. J'essaie de parler par euphémisme.

Par conséquent, Monsieur MAILLARD, vous nous parliez de dix ans immédiatement après que Madame LAUVERGEON ait parlé de périodes de cinq à huit ans, mais je crois que si nous additionnons la période d'attente de retraitement de quelques années et la période de refroidissement après retraitement, que la Loi n'a pas définie mais que j'avais cru comprendre alors que j'étais Rapporteur de la Loi comme étant inférieure à dix ans, nous sommes dans des dimensions d'attente de durée infiniment plus importante, ce qui doit nous inciter à renouveler notre réflexion.

Je crois qu'il faut à présent oser dire des choses nouvelles et ne pas se contenter de dire que tout continue comme avant et qu'il faut que tout change afin que rien ne change, est-ce bien cela ?

C'est un peu la leçon intermédiaire que je tirerai de ces réflexions. Je crois que nous avons au contraire assisté à une inflexion, à un changement clair dans la gestion des combustibles irradiés. Certains combustibles irradiés sont retraités, certains autres ne le sont pas. Pour ce qui est des combustibles irradiés retraités, Madame LAUVERGEON a exprimé avec beaucoup d'éloquence et de force de conviction la clarté de cette filière. Pour ce qui est des combustibles irradiés non retraités, je reste pour l'instant un peu sur ma faim par rapport à la manière dont le problème a été posé.

Je rappelle mes trois courtes questions, auxquelles je vous demande d'y répondre brièvement, par courtoisie pour les autres parlementaires ayant des questions que j'imagine très nombreuses. Ces questions concernent le cours de l'uranium, le fait de savoir qui prendra en charge les combustibles irradiés non retraités en attente de longue durée. J'ignore comment l'exprimer pour ne vexer personne. Ma dernière question concernait les études sur l'évolution des assemblages de combustibles après un demi-siècle, puisqu'il me semble qu'il faut « appeler un chat un chat ». C'est bien de cela dont il est question.

M. MAILLARD. - Je répondrai à votre question concernant le cours de l'uranium, si vous me le permettez. Nous nous trouvons dans une phase dans laquelle il n'existe pas de sentiment ni de réalité de pénurie concernant cette matière.

Nous avons aujourd'hui des prix spots, dont l'unité est le dollar à la livre, en termes de poids. Ces prix sont inférieurs à 10 $, là où des contrats à long terme, qui ont souvent constitué des méthodes de protection des acquéreurs contre les fluctuations, sont aux alentours de 15 $. Ce prix était supérieur à 20 $ il y a dix ans et même au-delà de 30 $.

Ce marché est dominé par des producteurs se situant dans des zones anglo-saxonnes comme le Canada et l'Australie. Il y en a également un peu en Afrique, notamment au Niger. Les mines françaises sont en voie de fermeture, donc la production nationale est à présent très réduite. Ce marché est déprimé mais vous savez également qu'il représente une part très faible dans l'ensemble du cycle, compte tenu des autres cours.

M. LE PRÉSIDENT. - Madame LAUVERGEON ou Monsieur ROUSSELY souhaitent-ils répondre sur la propriété ou la prise en charge du combustible irradié non retraité ?

M. ROUSSELY. - Monsieur le Président, je ne suis pas persuadé de totalement saisir l'objet du débat. Je n'ai pas cru devoir reprendre votre première phrase qui était E.D.F. ne souhaite plus retraiter. Je n'ai pas du tout le sentiment que nous ayons changé de perspective en quoi que ce soit. Nous l'avons étalé dans le temps pour des raisons générales et nous le voyons différemment dans le temps, mais encore une fois, il n'existe pas deux filières par rapport à votre seconde question Y a-t-il deux filières ?

La preuve en est que si nous n'étudions pas la situation de façon instantanée mais entre aujourd'hui et 2030, nous devons stabiliser totalement, et sans doute même faire ensuite régresser le stock de combustible non retraité. Ce stock est composé à la fois d'uranium qui va décroître et d'un stock de MOX, qui est pour sa part légèrement croissant mais pour des quantités faibles.

Personne ne peut rien affirmer aujourd'hui ni sur l'un ni sur l'autre. L'objet du débat d'aujourd'hui n'est pas de répondre à une question ainsi formulée : Dites par oui ou par non si vous ferez retraiter avant 2010 ou 2030 ? Nous avons besoin de ce combustible.

Quel est l'objet du retraitement et ensuite du recyclage ? Il est d'obtenir un combustible. Nous avons besoin aujourd'hui de 1 150 tonnes, nous aurons sans doute besoin de moins si nous augmentons les taux de combustions, les fameux Burn Up qui se trouvent dans une sorte de marche continue dans l'amélioration des taux de combustion. Nous effectuons cette progression sur l'uranium et nous devons de même l'effectuer sur le MOX afin de conserver la même parité.

En fonction de l'amélioration de ces taux de combustion, nous intégrerons davantage de plutonium et nous résorberons donc le stock, le point d'inflexion en ordre de grandeur se situant en 2015. Le stock décroîtra à partir de 2015 et nous aurons une égalité de flux, ce que nous n'avons pas aujourd'hui, entre les combustibles que nous déchargeons annuellement et les combustibles que nous chargeons. Je ne vois pas où se trouve la difficulté.

Dominique MAILLARD a évoqué le cadre juridique. J'ai pour ma part évoqué les questions financières : nous dans la relation qui nous lie et je confirme que nous sommes en négociations avec COGEMA, en l'occurrence avec Anne LAUVERGEON, concernant le prochain contrat qui porte sur les quantités utilisées par E.D.F. et non des quantités différentes. Le reste de la négociation est l'affaire de nos deux entreprises et des négociateurs.

Je ne vois pas ce qui a changé dans la gestion du flux. En revanche, nous voyons bien tout à coup, et somme toute Jean-Luc THIERRY était l'intervenant qui avait le plus de cohérence, que si nous nous inscrivons dans la perspective de l'arrêt du nucléaire et si nous avons à un moment ou à un autre envie de dire qu'il faut que ce stock soit résorbé - le modèle en étant nos collègues allemands - alors effectivement, l'idée de faire tout retraiter prend tout son sens. L'ensemble des combustibles usagés devrait être mis sous une forme qui est celle-ci puisque nous devrions alors tout arrêter.

En tout cas, je ne m'inscris pas dans cette perspective de l'arrêt du nucléaire, pas plus que l'entreprise que je préside. Elle s'inscrit davantage dans la perspective de la durée qui est de maintenir l'option nucléaire ouverte. Je répète à nouveau, et j'ai quelque peu l'impression d'être un mainate en le disant, qu'il ne s'agit pas d'une affaire d'idéologie. E.D.F. existait avant le nucléaire et existera après le nucléaire. Notre objet est de livrer de l'énergie à nos clients. Je ne fais pas de religion avec cette affaire mais en revanche, notre responsabilité consiste également à maintenir l'option d'un combustible, afin de maintenir l'option nucléaire ouverte.

Jacques BOUCHARD rappelait les constantes de temps. Arrêtons de croire que nous trouverons demain matin un combustible nouveau ainsi qu'un mode d'utilisation de ce combustible pour produire de l'électricité ! Arrêtons de croire cela ou en tout cas, démontrons-le ! Nous aurons à ce moment un tout autre débat et chacun se positionnera et prendra les responsabilités qui sont les siennes.

Si à l'horizon des années 2020, qui sont dans un autre cadre - nous ne parlons pas là du problème des combustibles non retraités mais de l'échéance de la durée de vie des centrales - si nous nous inscrivons dans cette perspective, nous avons alors tout intérêt à avoir une vision longue de l'utilisation des combustibles, qui doivent dans certains cas être immédiatement retraités au terme du délai que nous avons évoqué, tout simplement afin d'être réutilisés dans les réacteurs d'E.D.F. La gestion du flux se fait ainsi.

Si nous avons une approche en stocks, c'est que nous nous fixons effectivement pour objectif d'arrêter.

Je n'ai pas compris que la position de notre actionnaire commun était celle-ci. Je rassure Monsieur THIERRY qui disait que nous étions plus ou moins une entreprise publique ; nous sommes plutôt plus que moins une entreprise publique et j'en suis plutôt fier.

J'ignore si vous voyez un moins quelque part mais puisque 100 % de notre capital est public, je ne vois pas trop où se trouve le moins. Je m'inscris en tout cas dans une position qui illustre dans la durée le maintien de l'option nucléaire ouverte pour l'aspect du combustible.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur ROUSSELY. J'ai en tout cas noté que l'entreprise E.D.F. est encore pour longtemps dans la longue durée et je m'en réjouis personnellement mais je crois ceci consisterait à ouvrir un autre débat que nous avons déjà eu au Parlement.

Mme LAUVERGEON. - Je voudrais revenir sur ce qui vient d'être dit en faisant une distinction très claire car il me semble que les personnes qui ne seraient pas forcément très familières de ces sujets pourraient faire une confusion.

En ce qui concerne les contrats internationaux de COGEMA, j'ai donné les dates et les programmes de retraitement ne sont pas en étalement dans le temps. Les quantités sont finies, j'ai parlé de moins de 500 tonnes aujourd'hui en piscine et les traitements s'étaleront entre 2001 et 2004 pour l'Allemagne concernant ce qui est aujourd'hui en piscine, entre 2001 et 2003 pour la Suisse et les Pays-Bas, en 2001, 2004 et 2005 pour la Belgique, et 2004 et 2005 pour l'Australie.

Ceci est d'ailleurs indiqué dans le contrat australien comme le rappelait Dominique MAILLARD : le traitement aura lieu à partir de 2005 et l'ensemble des résidus sera renvoyé en Australie avant 2015. Cela figure dans le dernier contrat signé en 1999. Je dois dire que nous avons une courbe d'apprentissage et je pense que les derniers contrats sont effectivement plus précis et bien meilleurs, si je puis porter un jugement de valeur, que les contrats plus anciens. Cela me paraît d'ailleurs assez logique.

En ce qui concerne E.D.F., il s'agit d'un autre sujet. J'insiste beaucoup sur le fait qu'il n'y a pas d'étalement dans le temps des programmes de retraitement pour les combustibles étrangers. Nous avons aujourd'hui 7 000 tonnes de combustibles usés E.D.F.dans les piscines de la Hague, qui sont autorisées pour 14 400 tonnes. Dans les chiffres donnés, il n'y a pas de problème de taille de piscine pour l'entreposage.

Comme l'a très bien expliqué François ROUSSELY, il y a effectivement un point d'inflexion en 2015, qui fait que grâce à l'augmentation des Burn Up et à la diminution des volumes, nous finirons à partir de 2015 par traiter davantage de combustibles qu'il n'en arrive.

Entre temps, il en arrivera davantage, ceci est vrai depuis plusieurs années : il arrive aujourd'hui 1 100 tonnes de combustibles usés par an là où COGEMA en retraite 850 tonnes. La question est pourquoi 850 tonnes alors qu'il en arrive 1 100 tonnes ?

Nous en revenons au facteur limitant de la capacité de fabrication de MOX. Aujourd'hui, vingt réacteurs d'E.D.F. sont moxés et nous ne pouvons donc fabriquer davantage de MOX. Il n'est pas question de fabriquer du plutonium pour le mettre sur une étagère ni de fabriquer du MOX pour ne pas l'utiliser. Le retraitement se fait par conséquent à la vitesse du phénomène le plus long, c'est-à-dire la vitesse de moxification. Telle est la raison des 850 tonnes et la raison du décalage entre les 1 150 tonnes qui arrivent et les 850 tonnes retraitées.

Cela signifie-t-il que nous entrons dans deux filières et que l'une concernerait les 850 tonnes retraitées tandis que le complément ne serait pas retraité ? La réponse est non : il ne faut pas imaginer que ce qui arrive est retraité avec les cinq ans ou les huit ans de refroidissement que nous avons évoqués. Nous ne mettons pas de côté ce qui arrive en plus en disant que nous verrons dans trente-cinq ans.

Il s'agit en fait d'un flux dynamique dans lequel nous nous arrangeons pour pouvoir retraiter, en termes de programmes, en fonction de ce qui est arrivé. Comme le disait Jacques BOUCHARD, nous ne laisserons pas vieillir des combustibles usés E.D.F. jusqu'en 2015. Nous ne mettons pas dans un coin ces combustibles qui seraient bien anciens et que nous ne reprendrions qu'à la fin.

Nous nous organisons de telle façon qu'il n'y ait pas de vieillissement de certains combustibles par rapport à d'autres. Telle est la façon dont nous gérons le sujet en tant qu'industriels.

Si vous me demandez en tant qu'industrielle si je ne préférerais pas retraiter 1 100 tonnes par an plutôt que 850 tonnes, la réponse est oui. Je préférerais le faire. Ne préférerais-je pas retraiter tout de suite 1 500 tonnes ? La réponse est oui. Cependant, la décision du client concernant sa volonté de ne pas accumuler de plutonium d'une part ni accumuler de MOX d'autre part me paraît une décision tout à fait raisonnable.

M. LE PRÉSIDENT. - Pardon d'ajouter quelque peu à la complexité du problème mais que faites-vous du MOX irradié ? Le retraitez-vous ?

Mme LAUVERGEON. - Le MOX usé qui se trouve aujourd'hui dans les piscines de La Hague est destiné à être retraité. Si le ou les clients souhaitaient ne pas le retraiter, je ne peux le conserver dans les piscines de La Hague.

Vous me posiez tout à l'heure la question de savoir si La Hague ne pourrait pas devenir un lieu d'entreposage. Il y a l'entreposage avant retraitement à La Hague mais il n'existe pas d'entreposage qui serait un début de stockage long sans retraitement final. Cela n'est légalement pas possible de toute façon.

Nous devons en outre rappeler les basiques : La Hague est une usine de retraitement. 3 300 personnes travaillent à La Hague : leur vocation n'est pas de contempler les piscines. Nous avons tout au plus besoin de quelques centaines de personnes pour surveiller les piscines. La vocation de La Hague n'est pas une vocation d'entreposage. Cela ne signifie pas que ce métier de stockage à sec est un métier dans lequel nous n'étudions pas le sujet. Si nous observons les choix qu'ont effectués les différents pays entre le traitement recyclage, le stockage définitif ou des solutions mixtes, nous nous apercevons - et c'est assez intéressant - que 35 % des pays qui ont effectué l'option du nucléaire ont fait le choix du traitement recyclage. 33 % ont fait le choix du stockage définitif de combustibles usés en état, avec une énorme pondération des États-Unis qui représentent une énorme partie.

Il faut signaler le dépôt d'un double projet de Loi de la nouvelle administration concernant la réouverture du dossier retraitement transmutation, c'est-à-dire que ce qui était devenu le dogme du non retraitement au États-Unis est aujourd'hui questionné. Il me semble que ceci est extrêmement intéressant et que nous devrons suivre très attentivement la suite des événements. La création d'un Office of Spent Fuel est prévue ; il aura pour vocation de s'interroger sur l'opportunité d'aller vers le retraitement ou la transmutation. En tout cas, les États-Unis s'interrogent sur le sujet.

Certains pays ont quant à eux choisi la solution dite mixte, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas pris aujourd'hui d'options complètes ni d'options différées dans le temps. C'est par exemple le cas de l'Allemagne et de la Belgique : elles ont choisi dans un premier temps l'option de retraitement puis l'arrêt du retraitement. 32 % des pays du monde ont choisi de procéder ainsi.

Je dirai que ces choix sont aujourd'hui d'un tiers, un tiers, un tiers. C'est une situation totalement ouverte et les politiques de fin de cycle font question dans de nombreux pays. Nous tiendrions ce type de débat certainement de façon différente et nous le tiendrions dans de nombreux pays.

Je voudrais dire au passage que le Japon a fait le choix historique du retraitement en utilisant les services de COGEMA, et il fait actuellement un investissement majeur dans le domaine du retraitement, en lançant l'usine de retraitement de [Rokeshurua], de 850 tonnes ; elle devrait démarrer en 2005.

M. LE PRÉSIDENT. - Monsieur ROUSSELY, quel est votre point de vue concernant le MOX irradié ? Que ferez-vous de ce MOX ?

M. ROUSSELY. - Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai indiqué tout à l'heure. Si l'objet est de dire : prenez une décision instantanée afin de savoir à quel moment vous ferez retraiter votre MOX, je crois que cette décision n'est pas à prendre aujourd'hui. Nous n'en avons pas besoin.

Si vous souhaitez réduire la période entre le moment où les combustibles sortent des réacteurs et le moment où ils sont retraités, se posera tout simplement le problème de la capacité d'entreposage où qu'elle soit, qu'elle se trouve au sein des sites d'E.D.F. ou qu'elle se trouve à COGEMA ou ailleurs. Encore une fois, ni sur le plan économique ni sur le plan de nos besoins en combustibles, la décision du retraitement du MOX n'a besoin d'être prise aujourd'hui.

Je vous rappelle que nous en produisons 100 tonnes par an et que les capacités des piscines d'E.D.F. ou de COGEMA nous placent très loin des situations connues par exemple des exploitants allemands lorsqu'il leur était absolument nécessaire de faire retraiter leurs combustibles et qu'ils se trouvaient en surcapacités par rapport aux piscines. Nous ne sommes à aucun moment dans cette situation, pour quelque combustible que ce soit.

Je répète par conséquent que le maintien de l'option nucléaire ouverte et la flexibilité que nous souhaitons donner à l'utilisation de ces combustibles conduisent à ne pas prendre une décision aujourd'hui. Si tel est l'objet de votre question, Monsieur le Président, nous ne nous comportons à aucun moment comme si nous ne souhaitions pas faire retraiter puisque nous ne faisons aucune distinction entre le MOX et l'UOX dans nos relations financières avec COGEMA.

M. LE PRÉSIDENT. - Monsieur BOUCHARD, nous laisserons de côté, si vous le permettez, la question du destin des assemblages à cinquante ans. Je vais passer la parole à Monsieur COCHET qui souhaiterait intervenir.

M. COCHET. - Merci, Monsieur le Président. Tout ceci soulève en effet bon nombre de questions. Je voudrais d'abord dire quelque chose qui m'irrite depuis très longtemps : nous avons depuis très longtemps cette impression dans les discours très bien architecturés de certains intervenants qu'une décision politique a été prise, notamment en 1974 et chacun s'en souvient, et que le reste est idéologique. J'ai entendu ce mot. C'est un mot que je ne récuse pas. Il s'agit d'ailleurs d'un mot assez proche du mot politique qui implique qu'il faut faire des choix.

Disons alors qu'en 1974, et même avant en 1945-46, des choix politiques ont été effectués en matière de type d'énergies. Nous pouvons les appeler politiques ou idéologiques. Ce sont des choix à très long terme car ils demandent en effet beaucoup de mobilisations, d'investissements et de personnels sur des dizaines d'années. Cependant, nous ne pouvons pas dire que si ces choix sont un jour contestés par la population, par des groupes ou par des personnes, cette population ferait alors des choix idéologiques au mauvais sens du terme. C'est un premier point.

Nous avons ensuite entendu des phrases très lisses, même si ce n'est qu'une demie phrase : je pense en effet comme nous l'avons entendu que le nucléaire n'a pas été inventé pour lutter contre l'effet serre, bien que je rappelle pour ceux qui savent lire qu'en 1974, le Livre collectif que nous avons publié avec René DUMONT dénonçait déjà le risque encouru de l'effet de serre. Personne ne l'a lu à l'époque.

La même année, le gouvernement MESSMER a fait le choix du programme électronucléaire. Ceci est un mauvais procès puisque les inquiétudes que nous pouvons actuellement avoir au sujet de l'effet de serre concernent essentiellement le domaine des transports et de leur croissance extraordinaire voire explosive. C'est la raison pour laquelle je serai contraint de partir dès la fin des questions et des réponses, Monsieur le Président, car je dois assister à la Commission Nationale du Débat Public qui évoquera les aéroports futurs.

Le troisième point est que le choix du nucléaire a été effectué pour des raisons stratégiques en dehors de tout calcul économique, me semble-t-il. Je n'en dirai pas davantage mais c'est pour moi une évidence.

Enfin, je ne parlerai pas non de la phrase selon laquelle l'électricité ne produit pas un seul centimètre cube de gaz à effet de serre. Ceci est un peu faux, notamment en ce qui concerne le chauffage électrique, qui n'intervient qu'en pointe, durant les quelques jours annuels où les centrales à combustibles fossiles démarrent. Ces éléments sont marginaux.

Je dirai une dernière chose avant de poser des questions précises : on dit que le kilowatt/heure électronucléaire actuel n'est pas cher. C'est vrai parce que nous avons énormément investi depuis 1945 ou 1974. Il est heureux qu'il ne soit pas cher actuellement ; que pourrions-nous dire vis-à-vis de la population si nous avions aujourd'hui, en 2001, un kilowatt/heure nucléaire non compétitif ? On pourrait nous dire qu'il était temps qu'il devienne compétitif depuis 55 ans ou 27.

Je m'en tiendrai là pour ce point car tel n'est pas actuellement l'objet du débat mais nous pouvons estimer que la décision du gouvernement MESSMER a fait que 1 300 MdF ont été investis dans le nucléaire depuis 1974 pour le programme électronucléaire. Ce programme électronucléaire n'a jamais été débattu ; seule la Loi BATAILLE a fait l'objet d'un débat. Je répète ce que je dis toujours : donnez-moi 1 300 MdF dans les vingt-sept prochaines années et je vous fais un kilowatt/heure éolien à 20 centimes sortis des éoliennes, tel qu'il est actuellement sorti des centrales ! Il faut mettre les choses en balance et quantifier, sinon il s'agit d'idéologie.

Je poserai à présent des questions plus précises sur ce qui a été dit : vous dites, Monsieur le Président ROUSSELY, que vous ne faites pas de différence dans les contrats avec la COGEMA entre le combustible irradié normal et le moxé. Est-il bien précisé du point de vue des autorisations, et je me tourne également vers Monsieur MAILLARD, que ce qui ira en effet à La Hague en tant que combustible irradié doit être recyclé, y compris le combustible moxé ? Est-ce également précisé du point de vue contractuel entre vos deux entreprises ?

Je n'ai pas connaissance d'un contrat indiquant que le combustible irradié moxé puisse aller à La Hague, de telle façon qu'il soit un jour recyclé. C'est cependant la réponse que vous avez donnée tout à l'heure, semble-t-il.

Monsieur MAILLARD a bien fait de retracer toute la démarche, c'est je crois le mot que vous avez employé concernant l'ensemble de ces autorisations diverses et variées, et elles sont nombreuses.

Nous pouvons notamment distinguer, après accord politique entre les gouvernements, que l'autorité de la DSIN délivre des autorisations de réception, de déchargement, d'entreposage puis de retraitement. Il existe de nombreux types d'autorisations. Nous pouvons nous poser la question de savoir s'il ne devrait pas y en avoir une seule puisque, comme le dit si bien Madame LAUVERGEON, tout ce qui vient à La Hague est censé être retraité un jour ou l'autre. Nous pouvons ergoter sur le nombre d'années.

De longues années s'écoulent entre les autorisations d'importation, de transport, de déchargement, d'entreposage et celle de retraitement. C'est l'une des premières questions que nous pouvons nous poser, qu'il s'agisse des combustibles irradiés français ou étrangers.

La question vaut pour les deux types de combustibles irradiés : pourquoi les opérateurs qui ont des combustibles irradiés envoient rapidement leurs combustibles irradiés à La Hague ? Ce qui compte pour vous, Madame LAUVERGEON, est le fait qu'il existe une autorisation que l'on peut qualifier de définitive, et d'une certaine manière rapide, de retraitement.

Vous recevez par conséquent des combustibles, qu'ils soient refroidis ou en état d'être retraités rapidement en six mois, un an ou deux ans, mais pas huit ans. Pourquoi n'existe-t-il pas de piscines belge, hollandaise, française mais du côté E.D.F., australienne, japonaise, etc. ? Dès lors, l'évocation de l'aspect poubelle se justifie, au moins passager mais tout de même durant de longues années.

Pourquoi recevons-nous des combustibles que les opérateurs étrangers ou français ne peuvent conserver jusqu'au moment où ils doivent être retraités, puisque vous dites qu'il est préférable d'attendre un peu pour le retraitement ? Pourquoi attendre à La Hague ?

Du point de vue administratif, et je me tourne vers Monsieur MAILLARD, pensez-vous qu'il ne serait pas préférable de n'avoir qu'un seul document cohérent, homogène avec la politique, spécifiant que tout ce qui est reçu à La Hague concerne le retraitement ? Ce document serait valable pour l'importation, le transport, le déchargement, la réception et le retraitement. Cela supposerait que tout ceci soit effectué dans la foulée, en quelques années mais sur les doigts d'une seule main - et même de trois doigts !- ou qu'il serait dans le cas contraire nécessaire d'avoir deux types d'autorisations : l'un concernant l'importation, le transport, la réception, l'entreposage, et un autre document concernant le retraitement effectif.

Se pose en effet dans ce cas une question de délai. Dans ce second cas, ne faudrait-il pas que le délai de la première autorisation soit assez court ? Que faire sinon des combustibles irradiés durant plusieurs années ?

Combien de temps prend la réexpédition après le retraitement ? Je vous pose cette question mais nous avons tout de même des contrats dits de retraitement avec engagement de retour dans les pays étrangers, or ces pays n'ont ni les capacités de réception ni les capacités d'entreposage, de stockage ou autres.

Dites-moi comment l'Espagne ou la Hollande peuvent aujourd'hui nous affirmer qu'elles reprendront tout ce qu'elles nous envoient dès la fin du retraitement ! Nous ne parlerons pas ici entre nous des manifestations afférentes. Comment peuvent-elles dire qu'elles ont toutes les capacités pour accueillir ces combustibles dans leurs sites géologiques ou d'entreposage ?

Je souhaiterais savoir s'il existe des pays avec lesquels nous avons des contrats de retraitement et qui sont capables de pouvoir dire que ses déchets peuvent lui être renvoyés parce qu'ils peuvent les reprendre dans de bonnes conditions, et dans les conditions sérieuses d'entreposage ou de stockage à très long terme que nous avons évoquées ce matin.

Vous dites que la COGEMA est à présent transparente et qu'elle peut nous indiquer quelles sont les quantités et même les qualités de tout ce qu'elle a sur son site. Je me tourne vers les instances gouvernementales : ne pensez-vous pas que l'opérateur ne doit pas être seul et qu'une autre autorité est nécessaire, peut-être une autorité de régulation ou de transparence de régulation ? Cela viendra peut-être.

J'ai confiance en les opérateurs historiques mais il serait normal qu'une démocratie dispose de pouvoirs et de personnes diverses et variées. C'est même l'un des principes fondamentaux d'une démocratie : tous les pouvoirs ne doivent pas être concentrés dans les mains d'une seule personne. Nous avons bien vu ce que l'aspect contrôleur contrôlé a donné et cela n'est pas terminé s'agissant du domaine nucléaire. Nous n'avons pas encore totalement effectué la séparation de tous ces éléments. C'est en cours ; il n'y a rien de catastrophique.

Un rapport annuel ne pourrait-il être établi par une autorité à créer ou éventuellement par l'autorité de contrôle actuelle ? Ce rapport annuel serait extrêmement détaillé, gramme par gramme et radio nucléide par radio nucléide annuels de tout ce qui se trouve dans les piscines de La Hague. La COGEMA le fait peut-être de plus en plus, c'est très bien, mais je pense qu'une autre autorité pourrait également le faire.

J'en terminerai enfin, Monsieur le Président, avec un point que nous n'avons pas encore évoqué et qui est peut-être hors sujet. J'ai déposé une requête à la Commission Production et Échanges la semaine passée, concernant une proposition de résolution de Commission d'enquête sur La Hague. Nous n'arrêtons pas de proposer des Commissions d'enquête sur La Hague, qui sont toutes repoussées, je vous rassure Madame LAUVERGEON ! C'est dommage, je le regrette pour ma part mais il semblerait que la majorité de cette Assemblée repousse nos propositions de Commissions d'enquête. Nous ne pouvons pas enquêter sur La Hague. C'est tout à fait dommage.

M. LE PRÉSIDENT. - Je vous en prie, Monsieur COCHET, allez-y ! C'est ce que vous pouvez faire en ce moment. Profitez-en !

M. COCHET. - Pour ce qui concerne les autorisations, ne pensez-vous pas que nous nous battons sur les rejets réels et non sur les rejets nominaux ?

Avez-vous un calendrier de démantèlement de l'UP2-400 ? C'est une question au passage.

Enfin, je termine sur le retraitement lui-même, si vous le permettez, Monsieur le Président, car vous avez quelque peu resserré le débat en indiquant que nous n'évoquerions pas le questionnement général du retraitement. Je me pose tout de même la question puisque je suis contre le retraitement. Il me semble qu'il s'agit d'une interprétation concernant le Rapport CHARPIN-DESSUS-PELLAT de l'an dernier, qui est un très bon rapport mais que chacun interprète différemment.

Je tiens d'ailleurs à vous faire part d'une anecdote que je tiens à répéter car elle est très croustillante : un communiqué du CEA est parvenu le matin à l'AFP avant la présentation publique du Rapport CHARPIN-DESSUS-PELLAT par Monsieur CHARPIN. C'était à la fin du mois de juillet. Le CEA avait évidemment été averti puisque l'un de ses membres les plus éminents était l'un des trois auteurs du Rapport.

Ce communiqué indiquait que le retraitement était confirmé alors que j'avais pour ma part lu le contraire. J'avais lu qu'il s'agissait du coût du kilowatt/heure nucléaire à très long terme, à l'horizon 2050. Il affirmait en gros que l'aspect économique ou l'aspect financier n'importait finalement pas dans le choix d'une politique énergétique. Il coûte à peu près la même chose de faire ou de ne pas faire du nucléaire mais si l'on fait du nucléaire et que l'on retraite en plus, cela coûte dans ce cas plus cher. C'est ce que je retiens du Rapport CHARPIN-DESSUS-PELLAT.

M. LE PRÉSIDENT. - Vous êtes plutôt versant DESSUS !

M. COCHET. - Il existe sans doute un versant PELLAT qui n'est pas le même. Monsieur PELLAT est-il toujours présent ? C'est un grand scientifique que je respecte, c'est même un grand créateur. Il ne s'agit pas de critiquer Monsieur PELLAT en tant que tel. Le fait que trois personnes si différentes établissent ensemble un rapport constituait déjà une innovation extraordinaire. Nous avons pu constater qu'un bilan de matières avait été réalisé. Auparavant, 90 % des matières disparaissaient et nous ne savions pas où elles se trouvaient. Il s'agit d'un rapport tout à fait innovateur dans sa méthodologie ainsi que dans les acteurs qui y ont participé.

Je pense que ce rapport était d'une certaine manière une condamnation du retraitement, ne serait-ce que pour des raisons financières.

M. LE PRÉSIDENT. - Monsieur GALLEY, nous autorisez-vous à répondre dès maintenant aux questions de Monsieur COCHET qui va devoir partir et acceptez-vous de poser ensuite vos questions ? Merci.

Mme LAUVERGEON. - Je vais commencer par les questions qui me concernent.

M. LE PRÉSIDENT. - Je vous demande de le faire de façon synthétique. Je ne voudrais pas priver Monsieur COCHET de ses fonctions de Commission d'Enquête. Je ne suis d'ailleurs pas le seul membre de la Commission de la Production et des Échanges, nous sommes ici quelques-uns. Vous me regardez comme si j'étais seul responsable mais il y a je crois Monsieur GALLEY, Monsieur GATIGNOL et peut-être bien Monsieur DOSÉ.

Mme LAUVERGEON. - Votre première question me concernant demandait : pourquoi faire refroidir les combustibles usés dans les piscines de La Hague plutôt qu'ailleurs, c'est-à-dire plutôt que dans des piscines faites par les Électriciens, par exemple sur site ?

La réponse est simple : le choix historique qui a été opéré est un choix historique différent. Il a consisté à mettre en place à La Hague les capacités d'entreposage permettant de faire ce refroidissement. L'intérêt d'avoir une mutualisation des piscines, si l'on peut dire, est tout de même relativement non négligeable. Bien sûr, l'autre option consistant à avoir des piscines plus vastes chez chacun des Électriciens est possible mais l'option d'avoir des piscines spécifiques pour le refroidissement est tout à fait intéressante.

Il coûte moins cher d'avoir une très vaste piscine plutôt qu'une collection de piscines plus petites. Pour les Électriciens, le coût de l'entreposage unique de ce type est un avantage tout à fait considérable.

Ensuite, nous devons tenir compte de la non contamination de ces piscines. Nous savons que nous avons historiquement rencontré un certain nombre de problèmes concernant la contamination des piscines chez les Électriciens ; ces piscines étaient utilisées pour le déchargement ainsi que pour un certain nombre de man_uvres. Les piscines de La Hague sont très surveillées et sont non contaminées. Le fait d'avoir des piscines d'une certaine taille très surveillées et très contrôlées me paraît un second avantage significatif.

Le troisième avantage est que ces piscines ont été conçues pour contrôler l'évolution du refroidissement, et ont donc un certain nombre d'instrumentations que n'auraient pas, sauf investissements supplémentaires, des piscines d'Électriciens installées dans tel et tel endroit.

Telles sont les raisons qui ont fait que l'arbitrage dont vous parliez, et que je qualifierais d'arbitrage historique, s'est effectué en faveur d'un refroidissement à La Hague et au sein de la zone de retraitement plutôt qu'ailleurs.

L'autre élément que vous soumettiez au débat, qui était une idée de just in time, c'est-à-dire de pouvoir amener le combustible usé juste au moment où nous le retraitons, est un élément qui s'applique très bien dans le domaine de l'automobile. Je ne suis pas persuadée que le traitement de combustibles usés nucléaires soit exactement le même type d'industrie ni qu'il s'agisse d'un avantage considérable. Tels sont les éléments que je peux, pour ma part, versés au débat.

Concernant les retours, vous citiez le cas de quelques pays qui rencontrent des problèmes pour la définition d'un certain nombre de sites de réception des résidus vitrifiés et de leur stockage de long terme. Ceci n'est pas très surprenant : ce problème existe aujourd'hui dans la plupart des pays et est d'ailleurs suscité de la même façon dans les différents endroits.

Je dois dire que cela me paraît une excellente raison de faire avancer les choses dans ces différents pays que de les contraindre à tenir parole par rapport à leurs engagements internationaux. Le fait que des retours soient programmés est une façon très forte de faire pression.

Je ne crois pas qu'il faille remettre en cause ces retours parce qu'il y a des problèmes de stockage dans tel ou tel pays. Il s'agit au contraire d'une façon de faire pression sur ces pays.

M. COCHET. - Il s'agit du fait que nous ayons signé des contrats avec des pays qui n'avaient pas les capacités de retour.

Mme LAUVERGEON. - Dans les pays que vous citez, ces contrats ont été signés depuis de nombreuses années. Si vous évoquez l'Espagne, nous avons signé ce contrat il y a plus de vingt ans. Il est peut-être vrai que certains n'imaginaient pas, il y a vingt ans, les difficultés qu'ils rencontreraient à installer des stockages définitifs. Je ne crois pas que nous ayons imaginé en France certaines difficultés que nous avons rencontrées depuis lors.

Il me semble qu'il ne faut pas faire de procès a priori à ces pays mais au contraire tenter de les aider à résoudre ces problèmes. Chacun doit prendre ses responsabilités. C'est un point important.

Troisièmement, vous dites que la transparence de COGEMA devrait être relayée par des autorités autres : je crois qu'il faut aussi prouver le mouvement en marchant. Nous mettons à disposition l'ensemble de ces informations. Nous appliquons les procédures qui nous sont appliquées. Nous pouvons bien sûr avoir des avis sur la façon dont cela se passe mais COGEMA ne doit pas avoir un quelconque jugement sur les procédures qui lui sont appliquées. Si les procédures changent, COGEMA suivra.

L'autorisation des rejets à La Hague est un sujet qui me tient à c_ur. Comme je le rappelais, l'enquête publique s'est déroulée au début de l'année 2000 et a duré très longtemps avec cinq Commissaires Enquêteurs. Nous attendons les décrets et les arrêtés de rejets qui nous seront imposés.

Vous savez que ces rejets, en termes réels, ont fait des progrès considérables. Je vous disais tout à l'heure que le pilotage de l'usine de La Hague concerne également le pilotage environnemental. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous ne demandons qu'une chose, c'est que ces arrêtés puissent paraître et nous être imposés rapidement.

Je dirai qu'il en est de même s'agissant du démantèlement d'UP2-400. Nous attendons les décrets nous permettant de fonctionner sur UP2-800 et sur UP 3 de façon plus moderne et plus flexible, afin de pouvoir engager le démantèlement d'UP2-400. La balle est dans le camp de nos autorités.

Sur le dernier point, c'est-à-dire le surcoût du retraitement, nous avons rappelé tout à l'heure qu'il était de 1 % du coût du kilowatt/heure. Si vous considérez que c'est absolument non économique, je suis alors quelque peu surprise de certaines autres options. Nous pourrions dans ce cas comparer avec d'autres coûts du kilowatt/heure. Il me semble que 1 % du coût du kilowatt/heure nucléaire est un élément très limité, notamment pour avoir une forme inerte dans le temps des éléments les plus dangereux, ainsi qu'un recyclage qui nous permet de disposer d'une véritable mine énergétique dans ces combustibles usés.

Je suis quelque peu surprise que lorsque l'on met en regard le coût - non négligeable, disons-le - et les avantages, l'on en vienne à conclure que ce pourcentage de surcoût est trop important.

M. ROUSSELY. - Je répondrai sur un point pour vous confirmer qu'aussi bien du point de vue des autorisations administratives que des contrats dans leurs dispositions financières, les mêmes autorisations et les mêmes contrats valent bien pour l'ensemble des combustibles, qu'il s'agisse d'uranium ou de MOX. Nous ne faisons de différence sous aucune forme.

M. LE PRÉSIDENT. - Je donne à présent la parole à Monsieur GALLEY.

M. GALLEY. - Je vous remercie, Monsieur le Président. À partir du moment où Monsieur COCHET a parlé d'une décision gouvernementale et comme je faisais partie du gouvernement de Monsieur MESSMER, je peux lui indiquer un certain nombre d'éléments.

Je souhaiterais au préalable dire que nous avons la chance d'avoir en France des gouvernants particulièrement avisés. Je pense en particulier à la décision prise en 1959 de réaliser l'usine de séparation isotopique. Je concède à Monsieur COCHET qu'en aucun cas, cette décision n'a été prise pour des motifs de production d'électricité civile.

J'ai suffisamment de souvenirs de mes contacts avec Monsieur Francis PERRIN ainsi qu'avec Monsieur GUILLAUMAT, qui étaient deux très grands messieurs, pour savoir qu'ils disaient : ... et cela nous ouvrira également la porte des réacteurs à uranium enrichi. Cette décision de 1959 n'a pas été prise pour des considérations civiles mais c'est une grande chance pour notre pays que des décisions prises pour nous donner une certaine indépendance politique par rapport aux Américains nous aient de surcroît donné l'indépendance énergétique.

En ce qui concerne 1974, je crois que les plus jeunes d'entre vous ne s'en souviennent pas. C'était l'époque de l'embargo sur le pétrole, nous « étions pris à la gorge », et je dirais que si nous nous étions projetés dans le temps avec le risque d'une crise au Proche-Orient, nous aurions alors pu nous estimer très heureux de disposer d'électricité, alors que les autres se battraient à coup de milliards pour avoir les bateaux de pétrole brut.

Par conséquent, je pense que la décision que nous avons prise en 1974 a une double portée : la première est que nous avons ainsi pu faire de notre pays un champion de lutte contre l'effet de serre. Nous avons également pu ouvrir les voies de l'avenir puisque les combustibles fossiles ont inévitablement une limite. Il s'agira de 2030, de 2040 ou de 2050. Dans un rapport que nous avons effectué avec Monsieur le Président, nous avons fixé à 2030 le moment où les réserves de pétrole que nous trouverons deviendront inférieures à l'augmentation de la capacité de consommation. Nous pouvons être certains qu'à ce moment-là, suivant les lois du marché, il y aura une telle flambée du prix du pétrole que ceux qui auront des réacteurs électronucléaires s'en trouveront bien.

Quant au gaz, cette période se situe probablement vers 2050, de telle sorte qu'aujourd'hui, nous pouvons considérer que le débat que nous avons - et dont je remercie Monsieur le Président de l'avoir organisé - est un débat qui prendra probablement toute sa valeur dans trente ans.

Je me limiterai dans ce débat à une seule question : j'ai écouté Monsieur BOUCHARD et il a parlé de plutonium. Personnellement, je crois savoir qu'il existe différents isotopes de plutonium. Si je me plonge dans mes souvenirs, il me semble que certains isotopes de plutonium constituent un poison pour les combustibles que l'on met dans les REP. Je ne parle pas des réacteurs rapides. Par conséquent, ma question est très reliée au sujet de notre débat d'aujourd'hui. À partir du moment où le MOX serait à très haut niveau d'irradiation et que le pourcentage d'isotopes pairs du plutonium deviendrait un poison ou altérerait la capacité énergétique du plutonium pour être mis dans les REP, le problème du stockage définitif des MOX et du non retraitement ne deviendra-t-il pas une nécessité, malgré la bonne volonté ou plus exactement l'enthousiasme de Monsieur ROUSSELY ?

M. LE PRÉSIDENT. - Merci. Monsieur BOUCHARD ?

M. BOUCHARD. - Merci, Monsieur le Président. Le plutonium se dégrade effectivement assez rapidement en composition isotopique lors de sa combustion dans les REP mais tout de même pas au point qu'il soit impossible de le réutiliser ensuite après une première irradiation MOX, fût-elle à des Burn Up assez élevés, de l'ordre de 45 000 ou 50 000. Il n'est cependant pas réutilisable dans les combustibles MOX tels qu'ils sont conçus aujourd'hui.

C'est la raison pour laquelle le retraitement du combustible MOX exige que nous attendions que le produit puisse être utilisé à la sortie, comme le soulignait Madame LAUVERGEON. Nous ne sommes pas encore prêts aujourd'hui. Nous avons des solutions techniques : des assemblages ont été étudiés et concernent différentes conceptions d'assemblage. Il faut le temps de les mettre au point industriellement, de pouvoir convaincre E.D.F. que cette solution est la bonne, d'avoir l'autorisation de la Sûreté, etc. Ceci prend un certain temps mais explique le différé concernant ce retraitement du combustible MOX. C'est encore tout à fait faisable, au moins une fois, et probablement même à plusieurs reprises car nous diluons ensuite un plutonium dans l'autre.

Pourquoi cette situation ? Comme vous l'avez indiqué, un empoisonnement se produit et environ 50 % des isotopes du plutonium à la sortie de l'irradiation MOX sont des isotopes pairs, donc a priori de peu d'intérêt, voire même dans certains cas un peu empoisonnants concernant le fonctionnement des REP.

Il reste tout de même l'autre moitié, qu'il me paraît très important de pouvoir brûler, d'autant plus que nous stabilisons finalement le stock global de plutonium par cette opération. Nous parvenons en d'autres termes à éviter d'avoir une croissance perpétuelle du stock global de plutonium. Nous avons évoqué ce point ce matin. Si nous devions choisir de dire que nous mettons au stockage définitif le plutonium des MOX irradiés puisque nous n'avons pas pour l'instant de réacteurs plus favorables, nous y mettrions en fait des quantités de plutonium très importantes.

La réponse est claire aujourd'hui : il existe une solution technique pour recycler ce plutonium de première génération MOX dans les REP existants ou à venir. Nous devons mettre cette solution technique définitivement au point sur le plan industriel avant de pouvoir la mettre en _uvre. Cela retarde la décision éventuelle de retraiter les MOX lorsqu'il faudra la prendre mais c'est tout à fait faisable et souhaitable, dans la mesure où la quantité de plutonium concerné est encore importante.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BOUCHARD. Y a-t-il d'autres questions ?

M. GATIGNOL. - Le propos de Monsieur BOUCHARD me fait m'interroger. Puisqu'il parle de combustibles usés de type nouveau qui apparaîtront au fur et à mesure de leur réutilisation, est-il nécessaire - et je me tourne également vers Madame LAUVERGEON - d'avoir des autorisations spécifiques de telle ou telle variété de combustible ? Cela pose un autre problème d'aménagement des textes législatifs. Nous fonctionnons avec un certain nombre de textes, de réglementations qui sont en annexe.

Monsieur MAILLARD, comment devons-nous procéder afin de rester dans la légalité d'un bout à l'autre de la chaîne, que nous avons dans la région de La Hague, qui est une région ainsi qu'un territoire et pas seulement une entreprise ?

M. LE PRÉSIDENT. - S'il n'y a plus d'autres questions, je propose à Madame LAUVERGEON ainsi qu'à Monsieur MAILLARD, l'un et autre sollicités par Monsieur GATIGNOL, de répondre assez brièvement, afin que nous puissions passer à la seconde table ronde de l'après-midi.

Mme LAUVERGEON. - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne suis pas très à l'aise pour parler des procédures qui nous sont appliquées. Ce n'est pas à moi de définir ce qu'elles doivent être puisque nous entrons dans l'ambiguïté du contrôleur contrôlé. Je souhaite que les procédures soient les plus simples et les plus efficaces possibles, et qu'elles n'ouvrent la porte à aucune ambiguïté, notamment vis-à-vis de l'extérieur. Tels sont mes souhaits et je prendrai dès lors toutes les procédures qui me sont appliquées.

M. MAILLARD. - Je répondrai très brièvement. Il me semble également que mon collègue Directeur de l'Autorité de Sûreté, qui sera présent à la table suivante, sera amené à évoquer des questions similaires.

Nous avons à l'heure actuelle un système qui fonctionne sur un double étage : nous avons à la fois des autorisations génériques concernant les procédés ainsi que des autorisations plus détaillées qui concernent des produits spéciaux ou des process qui le sont également.

Je pense que cette double architecture a d'ailleurs beaucoup de mérite parce que nous savons bien qu'il n'est pas approprié de vouloir traiter des questions trop pointues à l'aide d'un outil trop général. Inversement, si nous avions uniquement des autorisations ponctuelles, nous savons bien que le système deviendrait rapidement ingérable. Il faut sans doute trouver le bon équilibre.

S'agissant de procédures qui relèvent de l'Autorité de Sûreté et dans le cadre de la séparation des fonctions administratives, je préférerais que mon collègue revienne sur ce sujet puisqu'il est sans doute plus directement concerné.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur MAILLARD.

Je veux remercier tous les intervenants qui sont chacun très occupé dans leurs fonctions et qui ont bien voulu prendre sur leur temps pour venir cet après-midi. Je crois que ceci est nécessaire à la démocratie.

Je suis moi-même, ce n'est un secret pour personne, comme mon collègue et ami Robert GALLEY, l'un de ceux qui pensent que l'énergie nucléaire est un atout pour ce pays pour les années à venir mais je pense également que nous devons dans le même temps débattre autour de l'énergie nucléaire et ne pas laisser de zones d'ombre, même si ceci est difficile. Au fond, l'Assemblée vous pose aux uns et aux autres des questions auxquelles je comprends parfaitement que vous ne puissiez pas toujours répondre.

Je me tourne vers Madame LAUVERGEON et Monsieur ROUSSELY qui ont objecté cela, pas toujours à tort, mais je suis Rapporteur de l'Assemblée Nationale et il me reste quelques semaines pour creuser encore ce sujet. Il me semble qu'il s'agit d'une question centrale. Le Parlement a eu à débattre sur une situation et une « photographie » de l'époque en 1991 et je pense qu'il faudra d'une façon ou d'une autre que nous ayons à nouveau un débat.

En 1991, nous avons débattu sur l'aval du retraitement et nous posons aujourd'hui un certain nombre de questions sur l'amont du retraitement ou du non retraitement. Je ne veux pas rouvrir aujourd'hui un débat. Monsieur THIERRY l'a évoqué tout à l'heure et il est en tout cas certain que l'arsenal législatif est très faible dans ce pays et que nous devons le renforcer. Soyez persuadés que le travail que nous faisons ensemble aujourd'hui est une forme de préparation à ce débat et que le Parlement a bien l'intention de ne pas laisser aux industriels, si talentueux soient-ils, ou au pouvoir exécutif seul, l'opportunité de décider. Nous sommes là un peu pour jouer les « mêle-tout » et nous continuerons à le faire.

Nous avons une brève suspension afin de permettre l'organisation de la table suivante.

QUATRIÈME TABLE RONDE : COMMENT ENTREPOSER DE FAÇON SÛRE ET À LONG TERME DES COMBUSTIBLES IRRADIÉS ?

M. LE PRÉSIDENT. - Pour cette quatrième et dernière table ronde, nous aurons autour de la table pour l'ANDRA son Président Yves LE BARS ; pour le CEA, Monsieur Patrice BERNARD, que nous avons entendu ce matin ; de même que Monsieur GUILLAUMONT pour la CNE ; pour la COGEMA, Monsieur Bertrand BARRÉ.

Je rappelle que Monsieur GUILLAUMONT est membre de la CNE et Professeur honoraire à l'Université de Paris Orsay. Monsieur BARRÉ est Directeur de la Recherche et du Développement. Monsieur Claude LACOSTE est Directeur de la DSIN. Pour E.D.F., Monsieur Bernard DUPRAZ est Directeur au pôle Industrie. Monsieur LAGARDE est Conseiller Technique au Cabinet de Madame VOYNET.

Nous consacrerons cette dernière table ronde au thème de l'entreposage de façon sûre et à long terme des combustibles irradiés. Nous prolongeons au fond l'échange de la table ronde précédente. Le mot entreposage sera simplement contesté et discuté.

Comment s'occuper de façon sûre et à long terme des combustibles irradiés ? Je crois que nécessité fait loi. Nous aurons un certain nombre de questions à examiner : quel concept d'entreposage devons-nous retenir ? Ce sujet inclut les différentes modalités d'entreposage, les piscines des usines de retraitement, les piscines de la COGEMA, l'entreposage à sec, l'entreposage en sub-surface, l'entreposage sous colinaire.

Enfin, nous tenterons de savoir quels en sont les préalables. Cette fois nous sommes davantage dans le domaine politique  : comment préparer ces décisions dans la transparence ? J'espère que le travail du Parlement y contribuera. En outre, nous examinerons peut-être l'un des dossiers qui avaient défrayé la chronique dans les médias concernant la présence en France de combustibles irradiés étrangers, thème déjà un peu abordé par Madame LAUVERGEON.

Je donne tout d'abord la parole pour l'ANDRA à Monsieur Yves LE BARS et j'indique que je dérogerai à la règle de l'ordre alphabétique des organismes afin de permettre à Monsieur LACOSTE de venir comme avant-dernier intervenant.

M. LE BARS. - Merci, Monsieur le Président. L'ordre veut que l'ANDRA ouvre les débats alors que nous devons tout d'abord évoquer l'entreposage et que le CEA est chargé de piloter ces recherches. C'est peut-être l'occasion de faire une transition avec ce qui a été dit ce matin puisque je parlerai des liens entre le stockage et l'entreposage, en regrettant Monsieur le Président, de n'avoir pu être des vôtres ce matin pour des raisons de transport.

Je dirai tout d'abord quelques mots sur l'entreposage et le stockage. Il faut rappeler que si une installation d'entreposage nécessite une reprise, puisqu'elle nécessite une reprise ainsi qu'une intervention humaine, elle n'a pas vocation à accueillir définitivement les déchets. C'est ce qui la distingue d'une installation de stockage. Il doit être possible d'en faire une solution de gestion définitive.

La conception d'une installation réversible donne en outre un certain nombre de possibilités de gestion analogues à celles de l'entreposage, j'y reviendrai rapidement tout à l'heure, dans la première étape de la vie de l'installation, celle au cours de laquelle les colis sont placés mais sans fermeture de galerie. Il s'agit par conséquent d'une différence de fond mais l'un n'exclut pas l'autre et il faut veiller à leur articulation possible.

Ceci constitue mon deuxième point : il faut veiller à cette articulation entre entreposage et stockage sur un certain nombre de paramètres. Ces principaux paramètres nous semblent être la cohérence dans la nature et dans le conditionnement des déchets, des colis et des conteneurs qui doivent permettre de minimiser les charges de transfert de l'un à l'autre et quelque en soit le moment. C'est le premier paramètre.

Le second paramètre est qu'il faut que les capacités de manutention et de transport de ces conteneurs, ou de ces colis, soient également cohérentes. L'aspect de la gestion du caractère exothermique des colis de déchets est souvent évoqué. L'entreposage de combustibles usés est plus long : quelque dix années pour les UOX par exemple permettent d'augmenter la capacité du stockage donc d'en réduire l'emprise ainsi que le coût.

Le dernier paramètre est qu'il faut également veiller à ce que les durées de vie caractéristiques des colis, des installations et des outils soient bien en phase afin qu'il n'y ait pas de décalage temporel dans la capacité à manipuler ces objets délicats. Nous sommes vigilants et essayons d'avoir une articulation étroite avec les travaux du CEA entre l'axe de recherche d'entreposage et l'axe de stockage.

Je voudrais terminer cette brève intervention en évoquant la réversibilité et son apport possible à vos débats. Un stockage réversible signifie une conception d'un stockage permettant de disposer d'un mode de gestion aussi flexible que possible des colis de déchets.

Il s'agit de pouvoir les placer ou les retirer, de pouvoir faire des fermetures ou des ouvertures partielles d'une galerie ou d'un secteur ou de telle ou telle partie du stockage. Cela conduit à définir des niveaux de réversibilité, ce qui permet de mesurer à chaque étape la capacité à revenir en arrière en ayant donc ainsi un outil de pilotage des choix. Ces choix sont techniques, bien sûr, mais ils sont également politiques et doivent pouvoir évoluer au fil des décennies.

À l'instar de l'entreposage, l'existence d'un stockage réversible suppose la pérennité de l'intervention humaine ainsi que du cadre politique, social, réglementaire et financier. Nous constatons par conséquent qu'il est possible d'utiliser le stockage réversible comme un entreposage dans des conditions sûres et avec des possibilités d'évolution, notamment en termes d'option de gestion plus définitive. Cette possibilité d'utiliser le stockage réversible comme entreposage est d'autant plus forte que nous sommes dans les premières décennies de la vie du stockage.

Voilà, Monsieur le Président, ce que je voulais dire en essayant de faire le lien avec ce qui a été dit ce matin.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur LE BARS. Pour le CEA, je donne à présent la parole à Monsieur Patrice BERNARD, Directeur du Développement et de l'innovation nucléaire.

M. BERNARD. - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais tout d'abord rejoindre Monsieur Yves LE BARS, Président de l'ANDRA, sur le fait qu'il existe une coordination forte entre les acteurs de la loi sur tout ce qui peut concerner l'articulation entre les axes de recherche de l'entreposage et du stockage.

Ces recherches, telles qu'elles sont menées, font globalement l'objet d'un travail de définitions de stratégie et de mises à jour des programmes au sein d'un comité animé par le Ministère chargé de la Recherche. Il s'agit du Comité de Suivi des Recherche sur l'Aval du Cycle et il réunit régulièrement des représentants de l'ANDRA, du CEA, du CNRS, de l'IPSN, de la COGEMA, d'E.D.F. et de FRAMATOME ainsi que des Ministères chargés de l'Industrie, de l'Environnement et de la Recherche.

Un document intitulé Stratégie et Programmes des Recherches est annuellement mis à jour et est à disposition des personnes qui seraient intéressées pour le consulter. Il sert de base pour le dialogue entre les acteurs de la Recherche et la Commission Nationale d'Évaluation.

Pour revenir sur un pan des recherches qui est celui que vous animez, Monsieur le Président, nous avons exprimé très clairement lors de cette dernière session qu'un combustible usé contenait un potentiel énergétique important, d'au moins 10 000 tonnes équivalent pétrole résiduel. Nous avons par ailleurs souligné qu'il convenait de conditionner convenablement les déchets ultimes afin d'assurer un confinement durable.

Si un combustible usé représente encore un potentiel énergétique important, il importe également de maîtriser les risques liés à sa gestion à moyen et à long terme. Il s'agit notamment d'une part de garantir le confinement des matières radioactives et la protection contre les rayonnements émis, et d'autre part d'évacuer la chaleur encore émise par cet assemblage après l'arrêt de la production d'énergie au sein même du combustible durant cinquante à cent ans.

Puisque c'est la question que vous posez à cette table ronde, Monsieur le Président, dans la perspective où une partie des combustibles ne serait pas immédiatement retraitée, il est important de savoir dans quelles conditions se comporte le combustible, et quelles seraient les conditions de sa gestion dans une perspective d'entreposage à long terme.

Sur cette question de nature scientifique et technique, les études sont réalisées au CEA, notamment en collaboration avec E.D.F. et l'ANDRA, dans le cadre des recherches dites de l'Axe 3, Conditionnement et entreposage de longue durée, de la Loi du 30 décembre 1991.

L'objectif est en fait de répondre à trois questions principales. La première est : quel est le comportement à long terme du combustible usé, en condition d'entreposage et d'ailleurs également de stockage ? La seconde question est : quel type de conditionnement lui apporter ? Enfin, la troisième question est : dans quel type d'installation peut-on entreposer ces combustibles usés à long terme ?

Le premier point, celui du comportement à long terme du combustible, fait l'objet d'un programme scientifique et technique intitulé PRECCI pour Programme de Recherche sur l'Évolution à long terme des Colis de Combustion Irradiés. Ce programme, mené conjointement par le CEA et E.D.F., bénéficie notamment d'un Comité scientifique constitué de quelques-uns des meilleurs spécialistes internationaux dans le domaine. Il permet de partager les connaissances et de confronter les retours d'expérience sur des bases étayées.

Ce programme scientifique PRECCI a pour objectifs de pouvoir répondre aux principales questions opérationnelles suivantes concernant :

- Le comportement d'entreposage et les conditions de surveillance des combustibles usés.

- La reprise du colis de combustible usé après une période d'entreposage de longue durée afin de s'assurer des conditions de manutention et de retraitabilité différées.

- Enfin, la compatibilité avec le stockage, dans l'hypothèse où cette option serait mise en _uvre, après une période d'entreposage d'assez longue durée.

Le programme a pour but d'apporter, pour un rendez-vous technique fixé en 2005, les éléments les plus étayés de réponse aux trois questions que je viens d'évoquer. Néanmoins, au stade actuel, je crois que nous pouvons considérer :

- premièrement qu'un combustible usé est un objet robuste, conçu pour résister aux conditions d'un réacteur de puissance en fonctionnement, mais qui n'a pas été conçu pour constituer le conditionnement ultime et durable des radio nucléides.

- deuxièmement, après irradiation, il peut être entreposé en piscine sous eau durant une trentaine d'années sans risque particulier.

- Troisièmement et néanmoins, dans la perspective d'une période d'entreposage prolongée, l'entreposage à sec est à retenir.

- Enfin, pour une gestion sûre dans la longue durée, notamment pour la reprise à l'issue de la période d'entreposage, il est utile de placer directement autour de l'assemblage une barrière de confinement supplémentaire à celle que constitue la gaine même des crayons combustibles autour de l'assemblage.

Ce transparent me permettra de faire la transition avec la seconde question : quel type de conditionnement faudrait-il envisager pour un entreposage à sec dans la perspective d'un entreposage de longue durée ? Pour ceux qui peuvent voir ce schéma projeté, la partie gauche représente un schéma montrant ce qu'est un assemblage de combustibles usés. Il s'agit d'un objet de vingt centimètres de côté et de quatre à cinq mètres de hauteur, pour une masse d'environ 500 kilos.

Un concept de conteneur pour l'entreposage à sec des combustibles usés a été développé, qui permet la réouverture pour un retraitement ultérieur ou le stockage. Vous pouvez voir que les combustibles sont conservés sous atmosphère de gaz inerte avec deux enveloppes de confinement : la première est un étui qui est en quelque sorte la boîte carrée que vous voyez sur la figure du milieu, placée autour de chaque assemblage.

La seconde enveloppe est le conteneur externe lui-même, qui contient un ou plusieurs assemblages. La figure que vous voyez montre quatre assemblages en étui contenus à l'intérieur d'un conteneur.

Ces conteneurs sont conçus pour pouvoir résister aux conditions internes, en terme de chimie, de chaleur ou de pression ainsi qu'aux agressions externes, c'est-à-dire aux risques de chute, aux risques d'incendie ou aux contraintes mécaniques.

Sachez qu'en 2002, le CEA disposera d'un démonstrateur fonctionnel de conteneurs de combustibles irradiés, basé sur ce schéma, qui permettra notamment de valider la mise en étui et de vérifier la fiabilité des dispositifs de fermeture et d'ouverture. Il produira en outre pour 2004 des objets complets destinés à qualifier l'ensemble des fonctionnalités.

J'en viens au troisième point et au fait qu'il faut également identifier dans quel type d'installation nous pouvons entreposer les combustibles usés.

La finalité de l'entreposage de longue durée est de garantir, pour une durée qui pourrait être séculaire mais de toute façon limitée, d'une part le confinement des matières radioactives, d'autre part la possibilité de reprise à tout moment et en toute sûreté, et enfin d'assurer la minimisation de la charge de surveillance.

Deux principaux concepts ont été produits ces dernières années en surface ou en sub-surface, de type enterré, c'est-à-dire en rapportant une sorte de tumulus de terre au-dessus. La figure schématique que vous voyez ici sur la partie en bas à droite du transparent présenté illustre cet élément. La sub-surface signifie en relief, à flanc de colline : c'est la partie gauche de la figure.

Ces entreposages sont dans tous les cas modulaires et pourraient être réalisés sur un site centralisé ou sur plusieurs sites régionaux. Les conditions économiques ne seraient évidemment pas identiques pour ces deux cas de figure.

Notons que l'entreposage en sub-surface apparaît comme une modalité de la fonction entreposage au voisinage de la surface, c'est-à-dire quelques mètres à quelques dizaines de mètres. Il est techniquement assimilable à l'entreposage en surface, l'épaisseur du sol pouvant alors apporter une protection naturelle supplémentaire contre les risques externes, notamment contre les chutes d'avions.

Les principales phases prévues pour les étapes suivantes se situeront en 2001-2002 : il s'agira de mener des études d'avant-projet sommaires afin d'asseoir la faisabilité des concepts initiaux que j'ai rappelés ici. De 2003 à 2005, des études de définition aboutiront à la définition technique des entreposages et de leurs interfaces et permettront de caractériser les options retenues en termes de performances techniques, de sûreté et d'évaluation des coûts.

En guise de conclusion, Monsieur le Président, je voudrais dire que l'entreposage de longue durée des combustibles usés paraît possible et ne pose pas de problème technique de faisabilité. C'est la démonstration de la sûreté et de la réversibilité dans la longue durée qui fait l'objet des recherches sur lesquelles portent les programmes et les travaux menés, de façon à pouvoir concevoir, réaliser et définir des modes d'exploitation de telles installations d'entreposage de longue durée.

Merci Monsieur le Président, Merci Mesdames et Messieurs.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BERNARD. Je donne la parole à Monsieur GUILLAUMONT, membre de la Commission Nationale d'Évaluation.

Pr GUILLAUMONT. - Merci, Monsieur le Président. Je vais essayer de ne pas trop répéter ce que vient de dire Monsieur BERNARD puisque nous avons à peu près les mêmes documents.

Pour rester au plus près du thème de cette table ronde qui fait référence au long terme, c'est une période de temps que la Commission Nationale d'Évaluation comprend comme étant au moins de l'ordre du siècle et ce sont en tout cas des périodes de temps avancées, j'insisterai essentiellement sur des considérations se rattachant à ce laps de temps concernant les entreposages.

Le refroidissement des combustibles irradiés et usés est la contrainte technique qui impose leur entreposage avant le stockage. Dans le cas des MOX de première génération, compte tenu des options actuelles de stockage, cette durée d'entreposage est de l'ordre du siècle ou plus. Pour des MOX qui seraient des déchets ultimes, dont nous avons parlé, de deuxième génération et éventuellement d'autres générations, la durée n'est pour l'heure pas estimée.

D'autres raisons d'entreposage à long terme des combustibles usés sont stratégiques, par exemple l'ajustement des calendriers des différentes options de leur gestion, encore que les choix énergétiques devront probablement être faits au cours des cinquante prochaines années. Par conséquent, la contrainte thermique est incontournable.

Les études sur la tenue des combustibles UOX déchargés et le retour des entreposages sous eau ne font pas apparaître de problème majeur pour des périodes de plusieurs décennies. Chacun sait en effet que de nombreux exploitants dans le monde entreposent depuis longtemps leurs combustibles usés, destinés au retraitement ou au stockage, sans autre contrainte que celle de la surveillance des piscines. Des entreposages de ce type pourraient, en tout cas sur le plan technique, recevoir des accords de prolongation et de reconduction au-delà des périodes de temps qui leur ont été accordées.

Au-delà du siècle, l'entreposage à sec paraît nécessaire. Il est déjà pratiqué à l'étranger, en tout cas pour des combustibles dont les taux de combustion restent limités autour de 47 000. C'est son caractère passif qui le rend très intéressant. La prolongation d'entreposage dans le long terme, c'est-à-dire un siècle et éventuellement davantage, nécessite des recherches. Cela va de soi : qui dit long terme dit en effet recherche, afin de s'assurer de la tenue des matériaux sur des périodes aussi longues.

En France est dans le cadre de la Loi de 1991. Un programme d'envergure a été lancé en 1998 par le CEA et E.D.F., dont Monsieur BERNARD vient de faire état. Ce programme vise à la connaissance des phénomènes de corrosion des gaines et de l'altération des plastiques de combustibles, des UOX ou des MOX en atmosphère insaturée et saturée. Il s'agit du programme PRECCI.

La Commission Nationale d'Évaluation a examiné ce programme qui lui a été présenté et qu'elle considère comme étant la clef de voûte des recherches sous-tendant les efforts d'ingénierie. Elle a eu connaissance des premiers résultats et elle considère que les connaissances requises pour un éventuel entreposage de longue durée sous eau seront disponibles en temps voulu, compte tenu de l'ensemble des connaissances déjà acquises de par le monde.

Pour un entreposage à sec, un travail important reste à faire au plan scientifique et technique avant d'engager les réalisations. Par exemple, la surveillance de l'étanchéité des barrières de confinement d'entreposage doit être particulièrement étudiée car ce problème paraît assez complexe.

La Commission pense que le prolongement de l'entreposage des combustibles usés doit être accompagné d'un message social, même si celui-ci consiste, en attente d'une décision sur le sort final de ces objets sous forme de stockage ou d'entreposages séculaires, en la reconduction des pratiques actuelles. La Commission pense qu'en raison des incertitudes stratégiques actuelles, ce prolongement serait une solution acceptable.

Pour terminer, je voudrais dire que le CEA vient d'afficher des orientations stratégiques nouvelles dont Monsieur BERNARD a fait état. Il a défini ses objectifs, ses voies de recherche et ses voies d'étude, relatifs à l'entreposage de longue durée des combustibles usés et des combustibles radioactifs à vie longue.

Ces orientations sont prises dans le cadre de la réflexion globale conduite par le Ministère de la Recherche et de la Technologie avec tous les acteurs de la Loi, sur les recherches accomplies.

Tels sont, Monsieur le Président, les deux ou trois messages que je souhaitais faire passer.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur GUILLAUMONT. Pour la COGEMA, je donne la parole à Monsieur Bertrand BARRÉ.

M. BARRÉ. - Merci, Monsieur le Président. En fait, l'ordre alphabétique a bien fait les choses car il est normal que la question de l'entreposage à long terme ait d'abord été posée au CEA et à l'ANDRA, qui sont des acteurs principaux de la Loi de décembre 1991 ainsi qu'à la CNE qui supervise et synthétise les résultats des recherches mêlées dans le cadre de cette Loi.

Si nous entendons par long terme l'aspect séculaire ou au-delà, il s'agit bien encore d'un objet de recherche, tel qu'il a été exposé par Patrice BERNARD. Il ne s'agit pas encore d'une solution industrielle. À ma connaissance, il n'y a pas de clients aujourd'hui qui demandent la réalisation d'un entreposage séculaire.

Ce que l'on demande à COGEMA, ce sont des solutions industrielles de deux natures : il peut s'agir d'entreposage à sec, mais à moyen terme, pour une durée susceptible d'atteindre une cinquantaine d'années.

Dans ce cas, le groupe COGEMA, et plus particulièrement notre filiale SGN, peut offrir la technologie Cascad, développée par et pour le CEA à Cadarache, ou bien l'entreposage en château, qui est une solution qualifiée auprès de la NRC pour certains clients, notamment américains.

Cependant, la majorité des demandes concernent bien des demandes de traitement de combustibles usés. Nous en avons déjà beaucoup parlé. Nous offrons ces services à La Hague. Ce traitement comporte une première phase d'entreposage intérimaire, en piscine et sous eau.

Il s'agit dans un cas comme dans l'autre d'entreposage, c'est-à-dire d'une étape à l'issue de laquelle il faut reprendre le combustible pour en faire quelque chose. Nous avons alors trois solutions : la première consiste à le remettre en entreposage à moyen terme ou à long terme. Nous pouvons dire que l'une des solutions possibles de l'entreposage à long terme peut être une succession d'entreposages à moyen terme avec reprise à chaque fois.

La seconde solution consistera en un stockage définitif, le jour où une telle opération sera autorisée et opérationnelle. La troisième solution consiste en l'opération de retraitement, c'est-à-dire le cisaillage, la dissolution, la séparation chimique, le conditionnement des déchets et la récupération des matières valorisables.

Je rappelle que la seule sortie autorisée des piscines de La Hague concerne aujourd'hui la troisième solution. La seconde sortie, c'est-à-dire l'envoi à un stockage définitif, n'est pas aujourd'hui disponible mais il me semble évident qu'elle sera certainement l'unique solution pour certains combustibles exotiques ou expérimentaux. Nous en imaginons difficilement d'autres.

L'entreposage doit être sûr à court terme, à moyen terme ou à long terme. C'est la responsabilité des opérateurs et nous y veillons en tant qu'opérateur, sous le contrôle de l'Autorité de Sûreté. Aujourd'hui, notre responsabilité d'opérateur d'entreposage de combustibles usés ne s'exerce que dans l'usine de La Hague, où les combustibles sont entreposés sous eau.

Nous avons déjà évoqué cette phase d'entreposage intérimaire, sa durée moyenne d'environ huit ans avec d'assez grandes variations, en fonction de la nature des combustibles. Nous avons également parlé d'une durée minimale à ce délai entre le déchargement et le cisaillage, durée en dessous de laquelle la radioactivité des combustibles est trop importante et le processus lui-même perd de ses performances, notamment par radiolyse des solvants.

Nous pouvons également dire qu'il existe une limite haute car l'entreposage sous eau n'est tout de même pas une solution à long terme. C'est une solution qui n'est pas assez passive : il faut refroidir pour garantir la sûreté de l'entreposage. Il faut en outre contrôler, filtrer l'eau en permanence et être à tout moment en mesure de détecter un début de dégradation du gainage. Si un combustible usé est un objet robuste, je reprends les termes de Patrice BERNARD, il n'est cependant plus exactement l'objet très résistant qu'il était au sortir de sa fabrication puisqu'il a passé quatre ou cinq ans en réacteur, dans de l'eau à 300 degrés circulant à très grande vitesse. Ses gaines ont subi des bombardements neutroniques ainsi que l'attaque interne de certains produits de fission. Même si sa vie est plus calme depuis le début du chargement, la radioactivité continue son _uvre dans ses pastilles.

Quelle est la limite haute de l'entreposage sous eau ? C'est encore difficile à dire. Nous parlons couramment d'une trentaine d'années. Monsieur BERNARD nous a décrit le programme PRECCI de R&D mené par le CEA et E.D.F. sur la tenue à long terme des combustibles irradiés. Nous sommes associés aux résultats de ce programme.

De notre côté et en parfait accord avec E.D.F. qui nous l'a demandé, nous avons volontairement conservé en piscine quelques assemblages parmi les premiers déchargés des premiers grands REP français. Contrairement aux autres, nous les laissons vieillir exprès afin de surveiller leur évolution et de détecter les premiers indices d'une dégradation éventuelle, susceptibles de nous fournir des indications sur la durée maximale raisonnable d'un entreposage sous eau.

Ces assemblages que nous laissons vieillir ont à présent une vingtaine d'années ; ils se portent bien. Il va de soi que lorsque nous détecterons effectivement les premiers signes de dégradation, ces assemblages auront joué leur rôle et partiront au cisaillage. Ces assemblages anciens n'ont pas atteint les taux de combustion des assemblages modernes mais leurs gainages n'avaient pas non plus la résistance des assemblages plus élaborés d'aujourd'hui, si bien que si cela n'est pas réellement une expérience scientifique, c'est une démonstration semi-qualitative permettant de donner confiance dans les analyses, donc de valider plus ou moins cette idée d'une trentaine d'années.

Telle était la contribution que je souhaitais apporter aujourd'hui. J'en rappelle les grands traits : nous offrons des solutions possibles d'entreposages à sec de combustibles usés mais uniquement à moyen terme, c'est-à-dire une cinquantaine d'années. À La Hague, qui est une usine de traitement, l'entreposage sous eau que nous exploitons n'est qu'une première phase du traitement. Il est sûr et nous y veillons sous le contrôle de l'Autorité de Sûreté. Je vous remercie.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur BARRÉ. Pour E.D.F., nous avons à présent Monsieur Bernard DUPRAZ, Directeur au pôle Industrie.

M. DUPRAZ. - Merci, Monsieur le Président. Je crois que les orateurs précédents de cette table ronde comme ceux de la table ronde précédente ont tous insisté sur l'importance du facteur temps dans ces questions d'énergie en général et d'entreposage en particulier. Il s'agit d'une quinzaine d'années pour le cycle du combustible et de quarante ans pour la vie d'une installation de production d'électricité, donc d'une usine de retraitement.

Je voudrais donner un éclairage sur ce facteur temps et cette échelle de temps vis-à-vis des combustibles irradiés en question. Je souhaiterais en outre éclairer un second point lié au facteur temps et aux spécifications d'un entreposage, et plus particulièrement d'un entreposage de combustibles MOX irradiés, à savoir la possibilité de venir reprendre un combustible irradié.

S'agissant du premier point, François ROUSSELY l'a largement détaillé tout à l'heure, j'évoquerai l'importance des taux de combustion. Il s'agit d'un point capital qui joue de façon favorable vis-à-vis du volume des déchets concernés. Ces taux s'expriment dans une unité barbare des Mégawatts/jour par tonne, c'est-à-dire une quantité d'énergie produite par tonne de combustible.

Les centrales ont démarré au début des années 80 avec 33 000 Mégawatts/jour par tonne. Vingt ans après, donc aujourd'hui, elles produisent en moyenne 45 000 Mégawatts/jour par tonne et nous nous acheminons vers 50 000 Mégawatts/jour par tonne à l'horizon 2010 et 56 ou 57 000 Mégawatts/jour par tonne à l'horizon 2015. Ce sont les valeurs internationales, d'ailleurs obtenues dès à présent par un certain nombre d'exploitants étrangers, en particulier américains.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Cela signifie qu'entre 1980 et 2015, il faudra deux fois moins de combustibles en tonne pour produire un kilowatt/heure. Cet élément conduit à la situation suivante vis-à-vis de cette échelle des temps entre 2000 et 2030 : environ 1 050 tonnes de combustibles UO2 sont aujourd'hui déchargées chaque année, pour un retraitement de l'ordre de 850 tonnes. Cette augmentation des taux de combustion permet d'atteindre l'équilibre des flux, c'est-à-dire autant de combustibles UO2 déchargés que de combustibles retraités, soit 850 tonnes à l'horizon 2015.

Cette augmentation des taux de combustion nous permettra de continuer à réduire ce flux de combustibles déchargés à environ 700 tonnes, donc de pouvoir reprendre chaque année une centaine de tonnes dans la capacité entreposée dans les piscines.

Si nous traduisons ces flux en termes de stocks sur ce transparent, la situation est la suivante : ce transparent a quelque chose de tout à fait conventionnel puisqu'il s'étend de l'horizon 2000 à l'horizon 2050. Il comprend implicitement un certain nombre d'hypothèses concernant les choix effectués au-delà de 2020-2030. Il permet néanmoins de noter un certain nombre de points importants vis-à-vis des hypothèses dimensionnantes pour des capacités d'entreposage.

Vis-à-vis du combustible UO2 aujourd'hui, les piscines des centrales ajoutées aux piscines de La Hague, contiennent environ 10 000 tonnes de combustibles, soit environ dix années de production. C'est le décalage entre la montée en puissance de la production des centrales nucléaires et la montée en puissance du retraitement. Cette valeur culmine à 12 000 tonnes à l'horizon 2015 avant de décroître progressivement. Je n'y reviens pas puisque ce point a été largement développé lors de la table ronde précédente.

Corrélativement, nous voyons augmenter le volume de combustible MOX irradié. Ce volume est d'environ 300 tonnes aujourd'hui, soit 150 tonnes dans les piscines des centrales et 150 tonnes dans les piscines de La Hague. Ce volume atteindra environ 2 300 tonnes à l'horizon 2020.

Si nous nous intéressons au total UO2 plus MOX irradié, le volume est aujourd'hui de 10 000 tonnes. Le total croît et se stabilise sous l'effet de cette augmentation des taux de combustion à environ 14 000 tonnes dès l'horizon 2020, soit un peu plus qu'aujourd'hui mais non de façon considérable. Ces 14 000 tonnes sont à rapporter aux capacités physiquement disponibles dès aujourd'hui dans les piscines des centrales et dans les piscines de La Hague d' environ 18 000 tonnes au total.

Vous me pardonnerez, Monsieur le Président, pour la redite par rapport à la table ronde précédente, mais nous devons avoir ces éléments en tête par rapport à l'échelle de temps vis-à-vis de la capacité d'entreposage.

Le second point concerne la question du devenir du combustible MOX irradié, et vous pardonnerez une fois encore si je reviens sur l'objet de la table ronde précédente. Nous constatons que sa proportion augmente dans la file d'attente pour le retraitement. La politique consiste par conséquent à retraiter ce combustible. La retraitabilité a été démontrée. L'entreposage sous eau, cela a été rappelé par plusieurs intervenants, en particulier par Patrice BERNARD ne pose pas de problème de sûreté pour une période de trente ans.

Quelles sont les perspectives ? Il me semble que le sujet doit être replacé dans un contexte plus vaste, concernant la question de l'ensemble des recherches menées dans le cadre de la Loi BATAILLE comme dans le cadre du renouvellement du parc de production.

Je reviens sur l'échelle des temps : en prenant à titre normatif une durée de vie de quarante ans pour les centrales, les centrales du parc de production actuelles seront progressivement stoppées entre 2020 et 2040.

Le parc de production de renouvellement, quelle que soit la nature de l'énergie primaire en question, démarrera dans cette fourchette de temps et occupera l'essentiel de la seconde moitié du siècle à venir. Dans le fond, nous devons inscrire cette question dans l'ensemble du siècle avec des décisions concernant ce point, qui sont très schématiquement à prendre entre 2020 et 2040.

Il existe par conséquent une coïncidence entre le moment où les décisions concernant la nature du renouvellement du parc existant seront à prendre et l'arrivée du MOX dans la file d'attente du retraitement. François ROUSSELY a rappelé tout à l'heure les raisons qui faisaient qu'E.D.F. est attaché à maintenir l'option nucléaire ouverte, et en particulier à pouvoir utiliser la possibilité voire la nécessité de brûler le plutonium à cette date.

Vis-à-vis des questions d'entreposage, il nous semble important de garder ouvertes toutes les possibilités concernant le MOX. En prenant les possibilités extrêmes, il peut s'agir de la possibilité de retraiter ce combustible. C'est très bien s'il se trouve dans les piscines de La Hague mais nous devons avoir la possibilité de venir le reprendre pour le retraiter s'il se trouve ailleurs.

S'il s'avère à ce stade que ces combustibles MOX ne sont pas une matière énergétique mais un déchet, ils devront être traités en conséquence mais c'est encore trop tôt pour le dire. Nous devons disposer de flexibilité et de capacité à venir reprendre ces combustibles à cet horizon. Nous devons en outre conserver toutes les voies ouvertes et n'en fermer aucune.

Merci, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur DUPRAZ. Je vais à présent donner la parole à Monsieur LACOSTE et ensuite à Monsieur LAGARDE.

M. LACOSTE. - Merci, Monsieur le Président. Le concept que nous examinons est celui d'un entreposage de longue durée pour les combustibles irradiés. Je ferai quatre remarques à la suite des exposés qui viennent d'être présentés.

Lorsque nous parlons d'entreposage, nous parlons d'installations qui n'ont pas vocation à durer pour l'éternité. Le dimensionnement de ces installations ne prend pas en compte la perspective d'abandon. Nous étudions bien sûr ce qui se passerait si l'installation était abandonnée. Ces installations ont par conséquent une durée de vie limitée.

Ma seconde remarque est que nous envisageons malgré tout des durées de vie plus que centenaires. Nous dépassons en cela le type de durée de vie classique des installations. La plupart des règles fondamentales de sûreté que l'Autorité de Sûreté a élaborées et la plupart des codes et normes de construction visent des installations que je qualifierai de classiques, c'est-à-dire des installations conçues pour durer quarante ou cinquante ans. Une durée supérieure à cent ans impose de se reposer tous les problèmes des règles fondamentales de sûreté, de codes et de normes, en termes de conception ou en termes de corrosion.

Ma troisième remarque concerne le CEA. Il mène actuellement les recherches sur ce concept d'entreposage de longue durée. Il me paraît fondamental - mais c'est d'ores et déjà le cas - que l'ANDRA soit associé à ces recherches, car nous ne pouvons à l'évidence réfléchir à un entreposage d'une telle durée sans prendre en compte la qualité du conteneur.

Je me félicite que les présentations effectuées par Yves LE BARS comme par Patrice BERNARD aient comporté un renvoi de l'organisme à l'autre. Historiquement, cela n'a pas toujours été le cas.

Ma quatrième remarque concerne l'Autorité de Sûreté et notre objectif est le suivant : nous avons en tête un rendez-vous important devant le Parlement au sujet de l'ensemble des problèmes de déchets nucléaires en 2006. Notre objectif est d'être capables de sortir d'ici 2006 une règle fondamentale de sûreté concernant l'entreposage à long terme, afin de cadrer l'ensemble des travaux qui seront menés.

Dans une vision optimiste de la capacité du sujet avancé, peut-être même pourrions-nous sortir une proposition de décision à l'endroit des Ministres dont nous dépendons, afin de prendre plus clairement partie sur tel ou tel concept plus précis d'entreposage.

L'objectif minimal est à mes yeux une règle fondamentale de sûreté pour l'entreposage à long terme avant 2006, afin de préciser les règles du jeu en termes de sûreté.

Telles sont, Monsieur le Président, les quatre observations que je souhaitais faire à ce stade du débat.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur LACOSTE. Je donne la parole à Monsieur LAGARDE, Conseiller Technique au Cabinet de Madame la Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement.

M. LAGARDE. - Merci, Monsieur le Président. Je vous prie de m'excuser pour ce matin car je devais être présent mais nous assistions avec Monsieur LACOSTE à une réunion sur les futures organisations du secteur nucléaire qui nous a empêchés d'être des vôtres.

Vu du Ministère de l'Environnement, je dirai enfin, le dossier est ouvert, même si le problème de ce que nous appelons pudiquement le traitement différé persiste. Le problème proprement dit du devenir des combustibles et du retraitement des combustibles est posé et cela nous paraît assez intéressant pour les années à venir et pour les débats qui auront lieu à présent.

Je ferai tout d'abord quelques constats. Le Ministère de l'Environnement constate - et c'est d'autant plus vrai lorsque nous lisons le Rapport de la CNE - que dans le problème des déchets nucléaires en France, seul un stockage définitif existe réellement à Soulaines pour les déchets A. C'est le seul.

En ce qui concerne tous les anciens produits radifères, le graphite des centrales graphites gaz, les combustibles MOX de première ou de seconde générations que nous ne pourrons plus retraiter ou qu'il ne sera plus intéressant de retraiter, les combustibles UOX que nous ne retraitons pas actuellement, les déchets du démantèlement, tout cela n'a pas d'exutoire définitif pour l'instant et ne dispose que d'entreposage, parfois très provisoire, comme le montrent un certain nombre de déchets sur les sites CEA, qui se sont accumulés, y compris d'ailleurs à la COGEMA.

Nous avons déjà évoqué ce point avec Monsieur LACOSTE : il existe des déchets dans un certain nombre de piscines de l'UP2-400. Monsieur LACOSTE demande depuis plusieurs années qu'une solution soit trouvée mais elle n'est pour l'instant envisagée que pour les années 2010.

Il existe par conséquent un passif assez lourd, dont l'Office Parlementaire avait d'ailleurs fait état dans l'un des Rapports de la députée Madame RIVASI. Nous pouvons nous interroger sur le problème suivant : le retraitement simplifie-t-il ou complique-t-il la gestion fin de cycle de l'ensemble de ces produits ? L'impression que nous pouvons en retirer - il me semble que la lecture de la CNE ne démontre pas le contraire - est que le retraitement complique les affaires et ne les simplifie pas. À cet égard, le Rapport PELLAT-CHARPIN-DESSUS était également assez clair.

Pourquoi ? Nous nous retrouvons avec une quantité de produits de type différent, qu'il s'agisse bien sûr des déchets A issus du retraitement technologique mais également des B concernant les embouts et coques dont Madame LAUVERGEON a indiqué qu'elle espérait une solution de compactage, mais également des C et des UOX non traités, ainsi que les MOX non retraités.

Nous nous trouvons ainsi face à une sorte de panorama extrêmement large de produits et de déchets assez complexes à gérer. Au total, on nous dit que le volume de stockage définitif de l'ensemble des produits conduira à peu près au même volume de stockage définitif, quels que soient les solutions et le type de stratégie suivie, retraitement ou traitement.

Les études de l'ANDRA à cet égard commencent à être claires, tout comme certaines indications du Rapport PELLAT-CHARPIN-DESSUS. Certains documents au sein d'E.D.F. le montrent également. Lorsque nous évoquons le volume, compte tenu des puissances thermiques, nous ne pouvons opérer de choix sur le problème des volumes.

Pouvons-nous opérer un choix fondé sur l'économie ? Il a encore une fois été reconnu cet après-midi que le retraitement pèse sur le prix du kilowatt/heure nucléaire. Tout dépend si nous retenons l'augmentation du coût sur le kilowatt/heure ou l'ensemble de la production. Les chiffres ne sont alors pas identiques puisque le Rapport PELLAT-CHARPIN-DESSUS émet l'hypothèse que l'ensemble du coût du retraitement concernant le parc nucléaire actuel est de l'ordre de 150 MdF. Par conséquent, l'économie ne permet pas non plus de discriminer.

Dès lors, les matières valorisables permettent-elles d'opérer la discrimination ? Nous avons beaucoup parlé de l'uranium de retraitement et du plutonium. Force est de constater actuellement que l'uranium de retraitement représente environ 93 % de ce qui sort de La Hague. Il est vrai qu'il sort un peu moins de radioactivité de La Hague qu'il n'en entre puisqu'il y a des effluents. Cet élément fait la différence entre les deux, mais il entre globalement autant de radioactivité qu'il n'en sort.

Le problème de l'un des déchets importants est celui de l'uranium de retraitement. S'agit-il de déchets ou de matières valorisables ? La question se pose. Que faire de cet uranium de retraitement qui ne trouve pas actuellement de valorisation ? On nous dit qu'il y aura une possibilité éventuelle de valorisation ultérieure, lorsque nous disposerons de dispositifs permettant de l'enrichir. Compte tenu du coût actuel de l'uranium, je ne pense pas que nous nous précipiterons demain sur ces stocks d'uranium pour les valoriser, comme pour l'uranium appauvri.

Nous avons également dans ce domaine une véritable interrogation. Que faire de l'uranium de retraitement étranger ? Le conservons-nous sur le site de La Hague ou le renvoyons-nous ?

Cette question n'est pas davantage évoquée et elle fait partie des éléments assez embêtants. S'agissant du renvoi des combustibles étrangers, la Loi de 1991 évoque les déchets C mais n'évoque pas l'ensemble des autres déchets que sont les déchets B ainsi que les matières dites valorisables. Ce sujet n'était pas à l'ordre du jour. C'est une véritable question qui nous est posée actuellement sur le site de La Hague. Que deviennent ces matières ?

J'ajoute un dernier point en indiquant qu'une question se pose actuellement dans le monde concernant le plutonium : comment utiliser le plutonium déjà séparé ayant fait l'objet d'armes militaires ? Nous cherchons désespérément ce que nous pourrions en faire. Si nous souhaitons réellement en faire du MOX, est-il utile de faire du retraitement ? C'est l'une des questions que nous nous posons de plus en plus.

Je souhaiterais à présent donner la position de la Ministre sur un certain nombre de points évoqués et sur un certain nombre d'autorisations. Il faut être clairs : même s'il existe des autorisations suffisamment floues, comme le dit en général Monsieur LACOSTE, pour permettre de retraiter du MOX, de l'UOX ou des combustibles de recherche du type NTR, UP2-400 n'est pour l'heure pas en capacité physique de le faire actuellement. N'est-ce pas Monsieur LACOSTE ? Nous en avons déjà discuté.

Il faudrait apporter des modifications à ces installations et il serait de toute façon plus sage de fermer l'unité UP2-400, pour de nombreuses raisons. Restent les deux unités UP3 et UP2-800.

Que je sache, la demande de la Présidente de la COGEMA auprès des autorités est de pouvoir mettre ces deux unités en confirmation avec le traitement qui se fait actuellement au sein de l'usine de La Hague, d'une part par rapport au taux d'enrichissement initial et d'autre part par rapport au taux de combustion, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Si nous lisons bien sa lettre, la demande de Madame LAUVERGEON visait simplement à demander une extension de la capacité de traitement des combustibles UOX, et uniquement ceux-là, en termes d'enrichissement initial et de taux de combustion.

C'est dans ce sens que la position de la Ministre de l'Environnement se tient pour l'heure puisqu'il n'y a pas eu de décision gouvernementale. Il s'agit pour l'instant d'autoriser, pour les deux unités UP3 et UP2-800, uniquement le traitement de combustibles UOX, à défaut de MOX et de combustibles de recherche. Je répète que la décision gouvernementale n'est pas encore prise ; c'est la position de la Ministre de l'Environnement dans ce domaine.

Un problème assez lourd a été évoqué et assez bien décrit par Monsieur MAILLARD tout à l'heure. Cet élément pose un véritable problème et nous nous en apercevons également dans les paroles de la Présidente de la COGEMA. Il existe une fonction qu'il faut reconnaître à l'usine de La Hague ou il faut alors faire des modifications assez profondes : l'usine de La Hague a une vocation d'entreposage. Il s'agit d'entreposage de refroidissement, d'entreposage d'attente, d'entreposage de je ne sais quoi mais d'entreposage.

Cette fonction d'entreposage pose une réelle question. Cela signifie par exemple pour les combustibles étrangers que lorsque vous signez avec des Australiens qui ont du combustible de recherche qu'ils souhaitent retraiter - on se demande d'ailleurs pourquoi - ils envoient le combustible. Le haut fonctionnaire de Défense et de l'Industrie fait son travail et donne les autorisations d'importation ; Monsieur LACOSTE, en tant que DSIN, fait son travail et donne les autorisations de déchargement et d'entreposage. Moyennant quoi, nous avons du combustible australien dans les piscines de La Hague, peut-être en attente de refroidissement, alors que l'accord définitif de retraitement n'a pas encore été donné par la DSIN, et c'est normal.

L'accord définitif ne doit intervenir qu'au plus près de la phase de retraitement, dans un délai relativement court, peut-être de l'ordre d'une année. Il faut un temps nécessaire mais il faut en tout cas fixer un temps entre le moment où l'accord définitif de retraitement est donné et le moment où le combustible est retraité.

Dès lors, quelle est la situation du combustible ? Supposons que pour des raisons diverses et variées telles que la situation à La Hague, les cisailles, la dissolution ou autres, Monsieur LACOSTE ne puisse donner l'autorisation définitive de retraitement du combustible australien. Que devient alors ce combustible et qu'en faisons-nous ?

Nous ne pouvons plus le renvoyer en Australie actuellement, compte tenu des accords. Nous serons par conséquent amenés à le conserver sur le territoire. Il faut que cette clause soit prévue d'une façon ou d'une autre et que nous ayons les dispositifs administratifs pour prévoir cet élément.

Ce temps d'entreposage est une nouvelle fonction dont nous avons reconnu tout à l'heure dans la précédente table ronde qu'elle donnait lieu à une fonction commerciale et à un service offerts par la COGEMA, directement ou indirectement, suivant les cas.

Dès lors, cet aspect des choses repose la question des autorisations du site de La Hague. Cela signifie que l'on reconnaît la capacité et la possibilité d'entreposer de façon temporaire du combustible au sein de l'usine de La Hague, mais avec quelle échéance et quelle sortie ?

J'évoquerai une dernière question car je ne voudrais pas être trop long. L'une des questions posées est également le problème du financement à longue durée, qui n'est pas un problème simple. Nous avons déjà constaté que les décrets de mise en phase de surveillance du premier site de stockage définitif de déchets mélangés du site Manche étaient publiés. Or, il ne s'agit pas uniquement de déchets A. Dans cette hypothèse, la phase de surveillance devra durer entre deux cents ans et trois cents ans de façon plus ou moins accrue, n'est-ce pas Monsieur LE BARS ?

M. LE BARS. - Il n'y a pas de surveillance de deux cents ou trois cents ans.

M. LAGARDE. - Je parlais de la phase globale de surveillance. Il s'agit évidemment d'un problème sur lequel il faudra bien que nous nous penchions. Nous commençons à tenter d'avancer des hypothèses dans la loi de transparence et de sûreté nucléaire concernant le problème du financement à longue date des entreposages voire des stockages.

Tout ceci nous fait penser que par rapport à l'objet de cette réunion, il serait tout de même intéressant de ne pas se disperser, en particulier dans les recherches. Actuellement, on nous parle beaucoup de concepts, de modèles de conteneurs, de concepts de stockage en sub-surface ou en surface, etc., en se dispersant.

Je pense tout d'abord que l'ANDRA et le CEA doivent travailler ensemble, beaucoup plus qu'ils ne le font actuellement, cela a été dit tout à l'heure.

Nous devons ensuite travailler sérieusement et profondément au sujet de l'entreposage, susceptible de devenir du stockage de combustibles usés pour le long terme. Cela devient à présent relativement urgent et il faudrait tout de même passer à l'acte.

Merci, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur LAGARDE. Vous avez tenu un propos « décoiffant » par rapport au « ronron » que l'on a pu entendre ! J'ai moi-même écouté tout cela avec beaucoup d'attention car je rappelle que l'objet de cette audition est également de me permettre de faire le point pour le rapport que je présenterai à l'Office.

Je voudrais poser une ou deux questions car l'heure tourne. Claude GATIGNOL m'a également indiqué qu'il souhaitait également en poser une ou deux. Je crois que nous pourrions convenir d'essayer de lever cette séance à 18 heures 30. Il me semble qu'un problème a été évoqué par Monsieur BARRÉ et je n'ai pas eu de réponse auprès de Monsieur BOUCHARD. Je ne suis qu'à moitié renseigné car j'entends dire que les assemblages de combustibles irradiés tiennent bon à vingt ans et qu'ils ne sont pas modifiés. Je ne suis pas tout à fait satisfait de ce que j'entends, qui ressemble à une pirouette.

Il existe au fond un hiatus entre les deux tables rondes que nous venons de vivre. J'aurais souhaité que Madame LAUVERGEON soit présente en même temps que vous, Monsieur LAGARDE, afin d'avoir sans doute un échange intéressant.

Dans la table ronde précédente, si j'ai bien écouté les propos rassurants de Monsieur ROUSSELY, nous avons entendu dire qu'il n'y aurait pas d'entreposage de long terme, voire même à moyen terme, des combustibles irradiés. Si j'essaie de traduire, il y aurait en somme une gestion glissante jusqu'à un pic « d'entassement » - je n'ose pas dire d'entreposage ! - de combustibles irradiés qui décroîtraient ensuite.

Nous sommes à présent sur la table ronde suivante. À travers les interventions des uns et des autres, j'ai tout d'abord noté que personne ne s'est indigné du titre de cette table ronde : Comment entreposer de façon sûre et à long terme des combustibles irradiés ? Dans la continuité de ce que j'ai entendu à la table ronde précédente, j'aurais logiquement dû entendre des protestations véhémentes contre une affirmation pour le moins péremptoire.

Nous sommes là à nous dire lors de cette quatrième table ronde que ces problèmes d'entreposage dans la durée de combustibles irradiés vont réellement se poser. Je réitère par conséquent ma question : le CEA et Monsieur BERNARD peuvent peut-être me renseigner sur la tenue dans la durée des assemblages.

Avez-vous des expériences ou des études ? Les assemblages de combustibles irradiés à cinquante ou à cent ans ont-ils été étudiés, du moins de manière prospective ? Savons-nous s'ils restent tels quels ? Sont-ils susceptibles de redonner du plutonium en 2060 ou en 2070, comme ils le font à présent, ou se modifient-ils ? Ce combustible est-il altéré ? Le fait de gérer dans la durée des combustibles irradiés ne les transforme-t-il pas inéluctablement en déchets ?

Le CEA a-t-il des programmes d'étude à ce sujet ?

M. BERNARD. - En ce qui concerne la légitimité de la question, étant donné que l'étude de l'entreposage de longue durée est l'une des options de recherche dans le cadre de la Loi de 1991, sachez que le CEA en a la charge. J'ai par conséquent considéré que la question était légitime au sens de la prospection des options ouvertes. J'apporterai ma réponse au niveau scientifique et technique.

En ce qui concerne les combustibles irradiés dans la durée, j'ai cité le programme PRECCI. Ce programme assemble un certain nombre de réponses dont certaines sont disponibles aujourd'hui et d'autres en prospective. Bertrand BARRÉ a évoqué l'expérience des combustibles ayant été entreposés sous eau depuis une vingtaine d'années à La Hague. D'autres combustibles ont été entreposés à sec aux États-Unis, puisque les Américains ont débuté ces expériences avant nous. Un retour d'expérience intéressant à partager nécessite de vingt-cinq à trente ans. C'est la raison pour laquelle je disais que nous nous sommes dotés d'une structure de retour d'expérience internationale dans le cadre de ce programme PRECCI.

En substance, nous rassemblons le maximum d'éléments et nous étudions en outre quels sont les modes de conditionnement susceptibles d'apporter une réponse. Si nous souhaitions entreposer des combustibles irradiés dans une durée qui peut être longue, cela serait à sec, dans des conteneurs tels que je les ai présentés, c'est-à-dire avec un système de double enveloppe.

La question de la retraitabilité est pertinente. Aujourd'hui, retraiter un combustible usé UOX ou MOX est une situation avérée. Qu'est-ce que cela donnerait dans cinquante ou dans cent ans ? L'objet du programme PRECCI est d'y répondre. Nous pensons qu'il existe une bonne possibilité mais nous avons encore deux à trois ans de recherche pour consolider ce point.

Je répéterai cependant ce que Monsieur BOUCHARD a cité lors de la précédente table ronde : un isotope fissile, le plutonium 241, décroît inéluctablement au cours du temps avec une période de quatorze ans. Nous perdons ainsi une partie du potentiel énergétique. L'autre isotope, le plutonium 239, largement majoritaire, reste quant à lui présent car sa période est d'une durée beaucoup plus longue.

M. LE PRÉSIDENT. - Je vais rajouter une question qui découle de la question précédente : si nous étions amenés à considérer que les combustibles irradiés entreposés à long terme ne sont plus la même chose que les combustibles en retraitement différé ou en attente de retraitement à La Hague, cela signifie que c'est le stockage à sec qui vous semble le plus adapté et que l'on sortirait le combustible irradié des piscines des centrales, non plus pour le mettre dans une nouvelle piscine à La Hague mais pour le mettre dans une installation adaptée de stockage à sec.

Cela signifierait qu'une révision de doctrine amène la création de lieux de stockage à sec et non plus en attente en piscine.

M. BERNARD. - Il nous semble que le mode de conditionnement apte à la longue durée est indéniablement le conditionnement à sec. L'assemblage est mis dans un environnement gazeux, c'est-à-dire de l'hélium qui est un gaz neutre, à l'intérieur d'un premier étui soudé totalement étanche, lui-même placé à l'intérieur d'un conteneur. Ceci vise à l'entreposer dans la longue durée.

Une question se pose ensuite, qui relève de la stratégie et qui est ouverte. Il s'agit de pouvoir ensuite rouvrir l'ensemble et procéder à un retraitement différé. Cela doit être possible à nos yeux, même dans la longue durée. Ceci est à conforter par des résultats scientifiques et techniques. Si nos descendants renonçaient à utiliser ce potentiel énergétique, c'est bien l'objet que je viens d'évoquer, c'est-à-dire le conteneur contenant l'étui et le combustible, qui serait à considérer comme une installation de stockage.

M. LE PRÉSIDENT. - Si je poursuis mon interprétation, cela signifie bien qu'il n'y a pas emboîtement des méthodes mais qu'un stockage à sec réversible est préférable à un entreposage « au fil de l'eau » dans les piscines, si nous prenons en compte la longue durée.

M. BERNARD. - Au-delà de quelques décennies, soit environ trente ans, cette approche semble effectivement être la plus robuste.

M. LE PRÉSIDENT. - D'accord. Par conséquent, il est préférable de le savoir après dix ans.

M. BARRÉ. - En ce qui concerne la légitimité de la question, elle est légitime dès lors que vous la posez. En tout état de cause, nous n'allions pas commencer à nous indigner que vous la posiez. Néanmoins, il me semble que j'ai bien insisté sur le fait que l'entreposage à très long terme était un objet de recherche. Il ne constitue pas aujourd'hui une demande que les industriels doivent résoudre.

Il me semble également que dès l'instant où l'on envisage un entreposage, toujours intérimaire mais à moyen terme et non plus à court terme, la solution à sec est plus raisonnable car plus passive et moins onéreuse.

En prenant un exemple précis pour un certain nombre de combustibles dont il était responsable, le CEA qui n'envisageait pas de les retraiter immédiatement a fait réaliser un entreposage à sec avec Cascad dans lequel nous trouvons un certain nombre de combustibles expérimentaux ou d'autres natures. Cet entreposage est lui-même parfaitement passif et stable. D'une certaine façon, il n'est pas sans analogie avec le caractère passif et stable de nos entreposages parfaitement sûrs de colis vitrifiés à La Hague. Ils sont de même type.

M. LE PRÉSIDENT. - Je donne la parole à Monsieur GATIGNOL puis à Monsieur DOSÉ pour les dernières questions de la journée et nous en viendrons aux conclusions de cette journée, qui seront rapides je vous le promets.

M. GATIGNOL. - Merci, Monsieur le Président. Je reprendrai simplement la question que j'ai évoquée tout à l'heure. Monsieur MAILLARD m'a conseillé de m'adresser en particulier à Monsieur LACOSTE.

Finalement, compte tenu de la nature des combustibles et de ce que viennent de dire nos interlocuteurs quant à la nature du devenir de nos combustibles irradiés, Monsieur LACOSTE, pour vous qui devez appliquer les règles sur le terrain avec vos ingénieurs qui sont les gendarmes du nucléaire, le Parlement a-t-il l'obligation d'envisager des textes nouveaux ? Ces textes seraient complémentaires de la Loi de 1991 afin de permettre le fonctionnement de notre filière française dans la légalité la plus totale, c'est-à-dire qu'ils éviteraient non pas une sécurité nucléaire mais une sécurité juridique anti-procédures permanente, ce qui est une situation tout à fait désagréable et inconfortable.

J'ai bien noté également que Monsieur LAGARDE nous a dit que le Ministère de l'Environnement considérait que l'usine COGEMA n'était autorisée à traiter uniquement que les UOX à ce jour, qu'il existait une vocation d'entreposage et qu'il était finalement tout à fait inutile de poursuivre le retraitement.

Tout ceci passe par un certain nombre de décisions et j'espère bien que c'est le Parlement qui aura le droit de décider. Quels sont les textes et comment Monsieur LACOSTE peut nous donner son avis sur les textes à venir ?

M. LE PRÉSIDENT. - Je vais laisser Monsieur DOSÉ poser sa ou ses questions.

M. DOSÉ. - Merci, Président. Je souhaite faire une observation de caractère politique et je ferai part d'une question ou d'un v_u, je ne sais pas très bien.

Mon observation porte sur la base de la journée. Certes, elle arrive in fine lors de cette quatrième table ronde mais elle porte sur la base de la journée et j'ai envie de la dire publiquement, face à tous les institutionnels que je rencontre parfois ici ou en des lieux proches du premier laboratoire souterrain.

Je veux dire à tous qu'il existe de très nombreux citoyens qui ont des méfiances, des vigilances, des défiances vis-à-vis de la gestion des déchets, et qui font confiance à la filière nucléaire. Je voudrais que chacun pense bien que vous devez d'abord convaincre ceux-là car il faut au fond en finir avec ce syndrome de Troie qui fait penser que l'on prend l'élément ou le chaînon le plus simple pour « casser la baraque ».

Ceux-là existent évidemment, peut-être même autour de cette table aujourd'hui mais je veux vous dire qu'il en est qui continueront à être impertinents dans leurs questions vis-à-vis de la gestion des déchets, afin de pouvoir porter le discours au milieu des autres, sans que jamais ne leur vienne l'idée de remettre en cause cette affirmation : l'industrie nucléaire a le droit d'être une contribution énergétique en France.

Il me semble que nous effectuons souvent des amalgames terribles mais c'est également un peu de la faute des institutions qui veulent tout mêler : ceux qui défilent et ceux qui protestent. La protestation, sur un maillon de la chaîne, n'est pas une remise en cause de la filière. C'est mon point de vue et vous l'avez évidemment compris.

Je l'ai affirmé lors de ma première intervention, il me semble que nous en sortirons grandis s'il existe une appropriation collective plus importante, même si elle est difficile, ou au moins la connaissance ou un petit goût de savoir, qui font que les citoyens comprennent un peu et font confiance.

Vous êtes souvent des scientifiques totalement impliqués, mais tant que vous n'aurez pas parlé clairement concernant l'entreposage, le stockage, l'entreposage long et le stockage réversible peut-être avant le stockage irréversible, la personne qui vous écoute sera en droit de se dire que vous lui parlez de l'entreposage comme un alibi de quelque chose que vous auriez déjà prévu et qui serait le stockage irréversible.

Nous devons au contraire le présenter probablement comme une alternative ou du moins comme une séquence de quelque chose que nos petits-enfants prolongeront.

Sachez bien que tous les discours notés aujourd'hui sont ensuite relus différemment, mais non par ceux qui avaient décidé de conserver la même opinion en entrant dans cette salle. Il existe également des personnes qui se demandent comment croire ce que les députés et les scientifiques disent et font ici ou à La Hague.

C'est un appel au Président, qui représente cette interface entre des communautés bien différentes. Je vous dis néanmoins que nous entendons tout concernant la réversibilité et l'irréversibilité et nous souhaiterions être éclairés.

J'ai beaucoup appris au cours de cette journée mais pas suffisamment encore et je continuerai à questionner. Par exemple, comment a-t-on expliqué que des colis pouvaient contenir les déchets les plus durs durant plusieurs siècles alors que l'on nous disait, lors de la Loi BATAILLE, que ces colis tiendraient quelques décennies. Nous avons entendu cela, ce matin, lors de la première table ronde. Le discours concernant la réversibilité a de même changé de nature. On nous dit : pourquoi se précipiter sur l'irréversibilité alors que les résidus les plus dangereux peuvent tenir durant quelques siècles ?

Il faut à chaque fois faire valoir l'analyse scientifique mais faire en sorte qu'elle devienne une appropriation la plus collective possible.

C'est une question, un v_u ou une déclaration : vous en faites ce que vous voulez mais je ne pouvais pas sortir d'ici sans vous en faire part. Merci.

M. LE PRÉSIDENT. - L'un des participants à la table ronde souhaite-t-il répondre concernant ces interpellations ? Monsieur LACOSTE, vous avez été sollicité par la question de Monsieur GATIGNOL, puisque Monsieur DOSÉ est intervenu de façon plutôt affirmative.

M. LACOSTE. - Je me garderai bien d'intervenir sur des questions ou des prises de position de nature politique, adoptées aussi bien par Monsieur LAGARDE, par Monsieur GATIGNOL que par Monsieur DOSÉ. Mon domaine est la sûreté et je m'efforcerai de m'y tenir, en faisant trois observations.

Ma première observation est que nos débats sont rendus très complexes par la complexité même de la nomenclature des déchets nucléaires. Philippe SAINT RAYMOND a montré ce matin ce que pouvait être cette nomenclature. Il est évident que la gamme existante est très vaste entre une gamme de déchets à faible et moyenne activité, pour lesquels il existe un exutoire définitif, le centre de l'Aube, et des déchets de très faible activité pour lesquels nous essayons de trouver un stockage et des objets de recherche.

Cela me conduit à un second point qui me paraît délicat et fondamental : Philippe SAINT RAYMOND l'a également dit ce matin, un combustible usé reste un combustible usé. Il ne devient pas un déchet tant qu'il a vocation à être retraité, mais qu'est-ce que la vocation à être retraité ? Qu'est-ce qu'un retraitement différé ?

Je prendrai un exemple afin d'illustrer la façon dont le problème se pose. Je n'imagine pas une seconde par hypothèse qu'un combustible qui serait entreposé à La Hague pour cent ans mérite encore le qualificatif de combustible usé en attente de retraitement. Cela me semble donner tout son poids à la nécessité de la recherche en cours concernant l'entreposage à long terme. Il y a à l'évidence un sujet qui mérite d'être traité. C'est un point tout à fait majeur qui me paraît ressortir avec force des débats que vous présidez.

Le troisième point concerne les autorisations de La Hague. Il faut distinguer des autorisations à différents niveaux. Les autorisations principales qui doivent régir le site de La Hague, et qui les régissent, sont ce que l'on nomme des décrets d'autorisation de création.

Il s'agit d'actes solennels signés par les Ministres et par le Premier Ministre. Je souhaite vivement que de nouveaux décrets d'autorisations de création soient accordés à La Hague dans les conditions que le gouvernement jugera propices.

Il m'appartient très largement, en tant que responsable de l'Autorité de Sûreté, de donner en aval des autorisations opérationnelles pour la réception, le déchargement et l'entreposage ainsi que pour le retraitement. À l'évidence, le processus actuel est complexe et il y a matière à écouter le retour d'expérience ainsi qu'à simplifier ces procédures, peut-être en les unifiant. À l'évidence, il faut tirer le retour d'expérience.

M. LE PRÉSIDENT. - Merci, Monsieur LACOSTE. Nous sommes arrivés au terme de nos débats. Monsieur PIERRET et Madame VOYNET devaient initialement clore cette journée mais, comme vous le constatez, ils ne sont pas là et je n'aurai pas la vanité de vouloir me substituer à eux.

Je souhaiterais néanmoins indiquer en deux mots dans quel esprit je travaillerai désormais avant la publication de mon rapport. Je reste convaincu que des faits nouveaux se sont produits lors de ces dernières années dans la gestion des combustibles irradiés, leur retraitement ou leur non retraitement. Nous disposons d'un pluralisme de systèmes et de choix qui n'étaient pas pratiqués au moment du vote de la Loi de 1991.

Cela a été dit par les uns et les autres, la notion de retraitement différé est une réalité dont il faut désormais apprécier les conséquences.

Nous avons eu un débat entre nous : les intervenants autour de ces tables rondes ne sont pas tous intervenus dans le même sens, ce qui indique que les points de vue sont partagés, ce dont il faut tenir compte, me semble-t-il.

Nous pouvons réfléchir ensemble dans la sérénité, sans forcément parler à coups de slogans ou d'invectives, mais de façon argumentée avec le souci de la raison. Nous devons également avoir le souci du long terme, de la prévision, d'une vision au loin qui est l'une des caractéristiques de l'industrie nucléaire. Le nucléaire a forcément un temps long.

J'ai visité de nombreuses installations aux États-Unis et je constate que les États-Unis ont été les grands initiateurs en matière d'énergie nucléaire, qu'ils ont développé avec succès une filière nucléaire avant nous mais qu'ils ont un peu « cafouillé » et un peu patiné sur la fin du cycle.

Ils ont en quelque sorte fait un peu tout et n'importe quoi concernant la sortie du cycle parce que de nouvelles doctrines initiées à l'époque, me semble-t-il par Jimmy CARTER et par ses conseillers, sont venues interférer. Ces doctrines ont fait que l'on a décidé un peu à la hâte de ne pas retraiter les combustibles irradiés comme cela avait été initialement engagé, et les États-Unis ont recherché diverses solutions, non pas dans la précipitation mais dans la confusion.

Certaines installations sont parfois assez remarquables, je pense notamment aux installations de Yucca Mountain qui sont au moins des installations prometteuses pour ce qui concerne l'entreposage des combustibles irradiés, mais ils ont également souvent un peu « cafouillé » et fait n'importe quoi. Je pense notamment à ces entreposages à sec que j'ai vus, construits semble-t-il rapidement à quelques centaines de mètres des agglomérations ou des autoroutes.

Vous pourrez d'ailleurs en admirer une photographie dans mon rapport, que j'ai fait prendre en compagnie du Présidente de l'Office, Henri REVOL, pour démontrer que les dangereux terroristes que nous étions, nous, deux parlementaires français, pouvaient s'approcher comme ils le souhaitaient d'un stockage à sec de combustibles irradiés. J'arrête là ma plaisanterie mais je crois que nous avons ici l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

Je le dis clairement, je pense que l'énergie nucléaire doit encore progresser dans la transparence et dire ce qu'elle veut, pour que son avenir soit indiscutable. Je pense que nous pouvons encore progresser concernant ce dossier des combustibles irradiés non retraités. Nous ne sommes pas allés jusqu'au bout en cette journée d'audition. Une vision à long terme est effectivement nécessaire et est en quelque sorte inavouée.

J'entends parfois dire : la perspective est à cent ans. Je regrette mais cent ans deviennent du long terme à l'échelle d'une vie humaine. Cela n'est certainement pas du long terme à l'égard des ères géologiques ou de la durée de vie des actinides mais c'est bien du long terme pour une vie d'homme. Je crois qu'il n'est pas possible de réduire à vingt ans ce qui est en fait à comprendre dans une unité de temps allant de cinquante à cent ans.

J'anticipe en tout cas un peu sur le travail de rédaction que je poursuivrai mais je crois que nous avons effectué un travail utile aujourd'hui. Nous avions deux ambitions : informer l'opinion à travers vous, auditeurs, à travers les représentants des médias qui ont sans doute participé en partie ou toute la journée à ces travaux et l'informer d'une façon peut-être plus sereine que passionnelle, ce qui est parfois, hélas, l'habitude.

Nous avons également démontré que le Parlement, l'Assemblée Nationale, voulait jouer son rôle dans cette affaire et que nous n'acceptons pas que les méthodes anciennes, qui ont été condamnées par tous, se perpétuent, à savoir qu'il y ait des organismes techniques d'une valeur indiscutable que vous représentez et des industriels qui décident ou décident à nouveau le contraire, du jour au lendemain.

Tout cela doit se faire dans le dialogue et avec la représentation nationale. Monsieur LACOSTE a fait la distinction à juste titre tout à l'heure entre ce qui relevait de la compétence des techniciens et des spécialistes de la filière et la décision politique qui nous concerne, nous les parlementaires. Je pense cependant que nous devons être bien éclairés pour prendre de bonnes décisions politiques.

Je crois que nous y avons travaillé aujourd'hui et je vous donne personnellement rendez-vous au moment de la publication de mon rapport, si l'Office l'accepte tel quel, c'est-à-dire vers le 16 mai.

J'espère que l'opinion s'en fera écho. J'espère également que les participants et externes à l'Assemblée ont communiqué leurs coordonnées car nous nous préoccuperons bien entendu de vous envoyer ce rapport en primeur, à vous qui avez fait l'effort d'être présents toute la journée. Bonne soirée à tous.

La séance est levée à 18 heures 30.


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